BSC NEWS N째82 - SEPTEMBRE 2015
DIDA 1
EDITORIAL
vention institutionnelle, ni aide publique. Notre modèle économique repose exclusivement sur la publicité et sur de nouvelles formules d'abonnements proposées à nos lecteurs qui seront, un jour prochain, les seuls mécènes de la presse. Ainsi le magazine reste le seul garant de sa propre intégrité journalistique et de son indépendance financière. Notre ligne éditoriale nous apparaît comme la seule ressource sur laquelle nous pouvons vraiment compter et qui semble être, plus que jamais, le véritable salut de la presse généraliste et culturelle. Une nouvelle formule est souvent un bien grand mot pour désigner un rafraîchissement
Pour cette rentrée culturelle, (elle est surtout littéraire, vous en conviendrez) nous en profitons pour lancer une nouvelle formule du BSC NEWS MAGAZINE car telle est l'existence d'un magazine qui doit sans arrêt se repenser, s'appréhender autrement et se réinventer pour continuer à exister, à grandir et à voir plus «««« Parce que cette singuloin. Dans un environnement de larité éditoriale doit rester plus en plus assombri, au coeur notre cap et notre phare d'une crise majeure et grave du dans la tempête qui prolivre et de la presse, (à mon sens gresse sur l’écosystème de la intimement liées), le BSC NEWS presse et qui ne cesse de se Magazine poursuit sa route derenforcer jour après jour » puis 2008 sans aucune sub-
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nicolasbscnews
des pages, le lancement de nouvelles rubriques, l'arrivée de plumes et (très souvent) un changement de couverture. Mais la quintessence, elle, ne change pas. Celle pour laquelle toute la rédaction se bat depuis des années, numéro après numéro, avec cette singularité éditoriale remarquable de la part de toutes et de tous. Parce qu’elle doit rester notre cap et notre phare dans la tempête qui progresse sur l'écosystème de la presse et qui ne cesse de se renforcer jour après jour. Ce nouveau numéro de rentrée ne déroge pas à ces principes fondamentaux qui ont permis au BSC NEWS d'attirer de nombreux lecteurs à chaque nouvelle parution en 7 années d'existence depuis notre premier numéro. Ne pas faire un magazine pour contenter le plus grand nombre mais construire un "journal" brique par brique, planche par planche et mettre en lumière des personnalités culturelles et littéraires trop souvent reléguées dans la brume
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lourde et moite de la médiatisation. Bien entendu, la notoriété n'induit pas forcément de l'indigence, c'est évident, mais ne pas en avoir ne doit pas condamner à l'indifférence. Pour ce 82 ème numéro, nous vous proposons donc de découvrir une très large sélection de plaisirs culturels pour ce début d'automne. On vous recommande notamment de découvrir la délicieuse Dida qui est à l'honneur sur la couverture. Un énorme coup de coeur pour cette artiste incroyable. Belles lectures à toutes et à tous. Merci de votre fidélité. Continuez à soutenir et à défendre l'un des derniers bastions de la curiosité et de la démocratie : la presse indépendante.
EN COUVERTURE
P.6
DIDA
P.6
ROMAN GRAPHIQUE
P.6
JONATHAN AMES EXPO
P.32
BEAUTÉ CONGO 4
PORTFOLIO
KEN PAYTON JAZZ CLUB
JON REGEN
RENTRÉE LITTÉRAIRE 2015 JAZZ CLUB
ALEXIA COLEY 5
LA VIE DE TOUS LES JOURS par André
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Bouchard
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DIDA Water Fountain
Dida Pelled est assurément le gros coup de coeur de cette rentrée culturelle. Une fois n’est pas coutume, elle est à l’honneur sur la couverture du BSC NEWS, historiquement dédiée aux illustrateurs et à la bande dessinée, C’est pour dire à quel point la chanteuse israëlienne nous a conquis avec cet album totalement hallucinant. Modern Love Song est une ode magnifique à la chanson sous toutes ses formes ainsi qu’aux textes. Dida cherche avant tout à « chanter dans l’urgence de ce qu’elle ressent » et à nous faire réfléchir sur « le mélange étrange entre le passé et le futur ». Un univers qu’elle a bien voulu nous faire partager ! Propos recueillis par Nicolas Vidal -8Photos D.R
bel ‘Red Records’. À l’époque j’étais une jeune étudiante qui débutait à New York et je n’avais jamais pensé à la création d’un album. Pour l’enregistrement, l’idée de Fabio était de capturer la façon dont je jouais et je chantais en concert. J’ai eu de la chance d’être supportée par des musiciens aussi talentueux. C’était une approche très ‘jazzy’. Nous avons enregistré l’album avec le groupe lors d’une seule journée en studio.
Suite au succès de votre premier album, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur le travail effectué quant à la réalisation de ce nouvel album ? Avez-vous pensé de manière différente ou l’avezvous affronté de la même manière que le premier ? Ma façon de penser au sujet de ce nouvel album a été très différente de mon approche pour la réalisation du premier album. Tout d’abord, je n’avais jamais vraiment pensé à faire le premier, c’est Fabio Morgera qui a commencé à me suivre et, après quelques concerts à New York, il m’a suggéré d’enregistrer un album pour le La-
Pour ‘Modern Love Songs’, tout s’est déroulé différemment. Après avoir joué ces chansons sur scène pendant près de deux ans à de nombreuses occasions, et après avoir enregistré quelques morceaux avec l’approche très « commerciale » d’un autre producteur, j’ai ressenti que la meilleure façon de transmettre la musique de la bonne manière était d’abord d’emmener mon groupe enregistrer en direct dans un studio, puis d’ajouter et construire tout le reste ensuite. L’idée de départ pour l’enregistrement a donc été la même pour les deux albums. Cependant, pour le deuxième album, le travail a commencé après cette session en live. Nous avons continué à travailler sur la musique pendant un an et demi. Nous avons ajouté des instruments et de la couleur, nous avons enregistré une autre chanson à New York, nous avons abandonné d’autres morceaux, etc. Le recueil de chansons et les arrangements sont plus riches. Cet album englobe une
«Cet album englobe une grande partie de mes intérêts et de mes influences musicales» 9
grande partie de mes intérêts et de mes influences musicales. Affiner tout ça et en faire quelque chose a été un processus long pour essayer de créer quelque chose de nouveau à partir de choses que nous aimions dans la musique. Toutes ces décisions particulières, que nous avons dû prendre, ont rendu l’album plus personnel d’une certaine manière. J’ai travaillé en étroite collaboration avec mes asso-
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ciés, Tal Ronen, mon partenaire et bassiste, et Yuval Vilner, qui a co-organisé et coproduit l’album avec moi. D’une certaine manière, nous avons ressenti que nous étions entrain d’enregistrer notre premier album, et c’est ce qui a rendu le processus plus long. Lorsque vous faites quelque chose pour la première fois, prendre toutes ces petites décisions prend plus de temps, et je pense qu’avec l’ex-
«Lorsque vous faites quelque chose pour la première fois, prendre toutes ces petites décisions prend plus de temps, et je pense qu’avec l’expérience tout devient plus facile» périence tout devient plus facile. J’ai vraiment apprécié l’énergie que nous avons utilisée pour faire quelque chose ensemble. Nous nous sommes dévoués corps et âme tout au long du processus, car cela a été notre monde pendant un an et demi. Je pense que ceci transparaît également dans la musique. Pourquoi le titre de Modern Love Songs ? Le nom de ‘Modern Love Songs’ provient de notre tentative à transmettre le paradoxe du mélange de l’ancien et du récent. ‘Love Songs’ étant une structure classique et traditionnelle, nous avons tenté de les aborder d’une nouvelle manière. Pour moi, elles sont modernes parce qu’elles décrivent mon expérience du monde tel qu’il est aujourd’hui. Je ne chante aucune chanson, qu’elle soit ancienne ou récente, de manière nostalgique. Je la chanterai uniqueWaterfall Daedal Eyes
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ment si j’en ressens l’urgence, uniquement lorsque je ressens qu’à travers cette chanson, je suis en mesure d’exprimer mes sentiments et mes pensées actuels. La chanson "I get without you very well" est tirée d’un poème de Jane Brown Thompson. Que préférez-vous au sujet de ce texte ? J’apprécie et je m’identifie à l’honnêteté du texte. Il raconte l’histoire vulnérable d’une personne qui essaie de maintenir une apparence normale avec le visage d’une grande tristesse suite à une rupture. La fragilité de cette apparence, ainsi que les détails de ce qui déclenche les souvenir – le rire d’une personne, une légère pluie – sont représentés de manière réelle et touchante.
« Je ne chante aucune chanson, qu’elle soit ancienne ou récente, de manière nostalgique» L’album a été enregistré entre New York et Tel Aviv. Qu’est-ce que ceci a apporté à l’album ? Je pense qu’il traduit ma vie, qui est divisée entre New York et Tel Aviv. Dans ces deux villes, il y a des personnes avec qui j’aime travailler, et enregistrer dans ces deux endroits m’a offert l’opportunité d’avoir avec moi ces incroyables musiciens qui ont partagé leurs talents pour créer cet album. Au-delà des personnalités, la façon dont le travail est effectué à New York est extrêmement direct, il n’y a pas de temps à perdre. Donc, même si la plupart de mon inspiration pour l’album a été absorbée à New York, j’avais besoin de l’espace et de l’atmosphère détendue que Tel Aviv offre pour travailler sur l’enregistrement de mes idées. Chaque morceau a sa propre identité et plusieurs styles musicaux sont discutés. Était-ce un choix délibéré depuis le début de la réalisation de cet album ? Le choix délibéré était de choisir des chan-
sons avec lesquelles je me sentais connectée indépendamment du style, puis essayer de leur apporter mon propre son. Après un certain temps, nous avons réalisé que chaque chanson nous emmenait vers un univers musical différent et au lieu de renforcer une uniformité, nous avons laissé chaque chanson obtenir naturellement ce dont elle avait besoin. Mon son et ma façon d’aborder les chansons sont ce qui les connecte, plutôt que de s’en tenir à un style en particulier. Diriez-vous que le jazz prédomine dans cet album ? L’album est influencé par une attitude ‘jazz’, ainsi que par des sensibilités que l’on retrouve dans la musique country, la musique folk et le Blues. Je ne dirais pas que le jazz prédomine, car ces influences sont assez équilibrées en ce qui concerne le résultat final. J’ai intentionnellement essayé d’impliquer des personnes de différents milieux dans le projet, comme le compositeur de musique classique, Eliav Kol, qui a écrit l’arrangement des cordes sur ‘Apology’, et un ingé Romane Rostoll <r.rostoll@hotmail.fr> nieur du son, Yonatan Goldstein, qui produit de la musique pop et dispose d’une approche du son très contemporaine. Je pense que le résultat est un son plus riche qui va au-delà d’une étiquette de style. Vous intégrez beaucoup d’instruments dans cet album. Comment ces contributions musicales sont-elles arrangées ? Les arrangements des plus petits groupes –
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soit aussi honnête et réel qu’il peut l’être. Si vous deviez définir ce nouvel album en deux mots ? Premier amour ...
voix, guitare, clefs, basse et percussions – sont le résultat de mois à jouer ensemble. L’arrangement des cordes pour ‘Apology’ a été écrit par le compositeur moderne de musique classique, Eliav Kol, et les parties des cuivres pour ‘I Get Along Without You Very Well’ ainsi que certaines percussions et voix sur d’autres chansons ont été arrangées par Yuval Vilner. Nous sentons que vous aimez raconter des histoires. D’où vient cette passion, Dida ? Je suis uniquement attirée par les chansons qui ont une histoire qui résonne en moi. Lorsque je m’identifie pleinement avec l’histoire d’une chanson, je ressens que la présenter à un public peut offrir une expérience de guérison collective. Dida, qu’est-ce que cet album signifie pour votre jeune carrière ? Est-ce qu’il inclut une certaine forme de maturité comparé au premier ? Chaque album est très différent et représente l’aperçu d’une période de ma vie. La maturité est un processus sans fin, et tout ce que je peux espérer c’est que cet aperçu
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Pourriez-vous nous dire quelque chose au sujet du morceau de Jack Nice qui semble être le plus particulier de cet album ? ‘Jack Nice’ est l’une des toutes premières chansons que Tal Ronen et moi avons écrites. Le mystère est une partie de la magie qui se trouve dans cette chanson, et je suis heureuse que des personnes l’apprécient telle qu’elle est.
Modern Love Songs Dida DidaMusic www.didamusic.com
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KEN PAYTON
Ken Payton, photographe et réalisateur américain, a foulé les coins oubliés et perdus du grand Ouest américain ainsi que de la côté californienne pour revenir avec ce superbe portfolio afin de nous inviter à poser un nouveau regard sur cette région du monde qui fascine. 16 photos qui racontent chacune une histoire, à leur façon, à leur degré et selon votre sensibilité. Bienvenue dans l’univers de Ken Payton.
www.havecamerawilltravel.smugmug.com 16
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Hwy 50. Near Ely, Nevada
Old Truck. Santa Cruz County Farm, California
Bus In The Hills. Ely, Nevada. 18
Angela. Roadside Memorial. Approaching Delta, Utah.
San Rafael Reef. All Suffer. Utah 19
Santa Cruz Beach Boardwalk In Winter. California
Life Guard Tower In Winter. Santa Cruz Beach, California 20
Danae
Sunrise, Walton Lighthouse, Santa Cruz, California
Municipal Wharf, Santa Cruz, California 21
A Dogâ&#x20AC;&#x2122;s Ball. Santa Cruz Beach, California
Dawn Surfer. A Santa Cruz Beach, California 22
Truckers Wait. Fernley, Nevada.
Traffic. Sheridan, Wyoming 23
A Likely Spot. Badlands, New Mexico
Reservation Blues. Lame Deer, Montana 24
You Are Loved. Bridge Over The San Lorenzo River, Santa Cruz, California
Sunset Dust Devil In Formation. I-5, Bakersfield, California 25
ROMAN GRAPHIQUE
N A H T JONA AMES t Louverture
sieur Toussain Photos © réservés Mon l a id V s la o ic Propos recueillis par N
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Jonathan Ames, romancier, scénariste et écrivain est réputé pour son humour caustique et son auto-dérision notamment pour ses chroniques dans le New York Press parues entre 1997 à 2000. Ses romans ont rendu célèbre son sens de l'humour "hilarant" selon le New York Times. On pense notamment à l'Homme de Compagnie (1998) ou Réveillez-vous, Monsieur ( 2004). Il a enfin créé une série pour HBO « Bored to Death » (2009) et il prépare actuellement Blunt Talk toujours pour HBO qui sera diffusée en 2016. À l’occasion de la sortie de son roman graphique conçu avec Dean Haspiel, nous avions une envie pressante d'entendre Jonathan Ames sur ce mystérieux Jonathan A, (anti) héros d’Alcoolique, un roman graphique passionnant qui paraîtra en France le 1er octobre aux Editions Monsieur Toussaint Louverture. Et bien entendu, nous n'avons pas été déçus par la répartie et la dérision de Jonathan Ames. fiction. Est-ce que l’élément déclencheur a été la lecture de Jack Kerouac tout comme votre personnage dans « Alcoolique » ?
Jonathan Ames, lorsque l’on s’intéresse à votre carrière, le thème principal qui ressort semble se centRer autour de l’écriture et de la 27
Je pense que le premier livre qui a réveillé en moi l’idée de devenir un écrivain a été BREAKFAST OF CHAMPIONS de Kurt Vonnegut. J’avais quinze ans et j’ai soudainement découvert cette façon subversive de voir le monde. Puis, j’ai lu Kerouac, peut-être un an plus tard, et il m’a transmis l’idée que la vie d’un écrivain pouvait être romantique et aventureuse. Je ne suis pas sûr que ce soit vrai mais, à ma manière, je pense que j’ai essayé de vivre une vie aventureuse et non pas désastreuse.
Mais je ne fais rien. Je me contente d’aller à des fêtes où je bois en imaginant que je suis Jack Kerouac. Mes parents ne se doutent de rien. Sûrement parce qu’à l’école, comme en sport, je m’en sors pas mal du tout. Un soir, je rentre tellement bourré que je me casse la gueule dans le petit escalier de la maison. Et je suis incapable de me relever.
J’entends une porte s’ouvrir, il doit être deux heures du mat’. Mon père m’appelle. Impossible de bouger. Ça y est… je suis pris la main dans le sac. D’une certaine façon, je suis soulagé. Une part de moi veut que mes parents découvrent la vérité.
JONATHAN… ?
ENFIN… mais quel empoté…
Incroyable ! Pas une seconde il n’imagine que je puisse être saoul. Ce qu’il pense, et il me le reproche depuis des années, c’est que j’ai deux pieds gauches.
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On lit souvent que vos personnages sont d’une certaine manière vos doubles. Quelle est cette relation intime que vous partagez avec le héros du roman illustré, Jonathan A ?
Je pense que tous les écrivains s’inspirent d’eux-mêmes, certains plus que d’autres, et il est certain que, dans beaucoup de mes travaux, j’ai été le sujet ou, du moins, la bibliothèque de recherche quant à l’aperçu de la condition humaine. Je partage beaucoup de mon ADN avec Jonathan A., mais l’histoire de sa vie est vraiment différente de la mienne. C’est également une marionnette et un personnage dans une bande dessinée… et je suis un être humain réel, bien moins prononcé que le personnage d’un livre.
Comment avez-vous travaillé avec Dean Haspiel sur ce roman illustré, pour les croquis et l’organisation de l’histoire ?
Les romans illustrés, comme les bandes dessinées, sont écrits sous forme de scripts. J’ai indiqué le nombre de panneaux que je souhaitais sur une page ainsi que le contenu de ces panneaux. Dean a lu le script et, de temps à autre, m’a proposé quelques
DEAN HASPIEL
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Stacy et moi, malgré des débuts un peu maladroits, sortons ensemble depuis presque deux mois.
Je suis nul comme amant, trop submergé par le plaisir que me procure l’acte.
11 secondes
37 secondes
72 secondes
Ne… ne bouge pas ! Ok. ok.
Stacy propose que nous tentions une autre approche.
Elle y va tout en douceur, elle est très tendre.
Mais je n’arrête pas de penser à son appareil dentaire…
Quand vient mon tour, ça ne lui plaît pas.
©ChachaLala
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ARRÊTE, c’est TROP gênant !
eh, merde! non. Pas encore.
© Seth Kushner
suggestions pour une approche différente de la page, même si la plupart du temps il a suivi le script et l’a interprété à sa manière, fascinante et unique. Il m’a enseigné les premiers croquis de ce qu’il avait dessiné et nous en avons parlé, je lui ai fait quelques suggestions, ici et là, et il dessinait un autre croquis. C’était un dialogue continu. 31
Selon vous, qu’est-ce qui diffère entre l’écriture du script d’une série et l’écriture d’un roman ?
Il existe deux formes complètement différentes, même si écrire la saison complète d’une série télévisée est un peu comme écrire un roman ou une nouvelle qui raconte une longue histoire liée. Mais les romans, en fin de compte, sont bien plus denses.
À cette époque, j’aime traîner dans les bars de New Haven où je lève toujours bien le coude.
C’est ma phase Hemingway : je cherche la baston. Il disait qu’il fallait toujours enchaîner direct du gauche et crochet du droit. Je suis son conseil et gagne mon premier combat…
…mais perds le suivant.
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Ecrire un script, c’est comme créer le plan d’un architecte, alors qu’écrire un roman, c’est comme peindre. Le fait que vous vous mettiez en scène à travers vos personnages, représente-t-il une forme de catharsis ?
Non. Écrire quelque chose, faire quelque chose, c’est la catharsis. L’alcool est omniprésent dans la vie de Jonathan, à tel point qu’il en devient sa raison de vivre. Mais le sexe et l’amitié ont une place importante dans l’histoire. Est-ce que l’alcool dicte les aspirations du narrateur dans ces deux domaines ? Ou sont-ils entièrement complémentaires ?
Je ne sais pas s’il dicte quelque chose, mais il est certain qu’il a un impact. Lorsque Jonathan A boit trop, il prend de mauvaises décisions, souvent
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lorsqu’il s’agit de sexe. Il est trop impulsif, il s’autodétruit. Comme pour l’amitié, je pense que l’alcool a un impact négatif sur ces relations car il floute la vérité et rend la communication réelle presque impossible. Pour vous, l’alcool estil le seul danger mortel qui plonge Jonathan A dans une vie dégradante ? Ou n’est-ce pas le résultat de la perdition et de questions existentielles qui accablent le narrateur ?
Oui, l’alcool est le seul symptôme qui le fait souffrir. C’est un médicament qui ne fonctionne pas pour combattre les douleurs qu’ils portent dans son cœur quant aux pertes de personne qui lui étaient chères, son père, son meilleur ami… Ainsi que son incapacité à vraiment apprécier et profiter de la vie.
Je partage ma chambre avec Tony, un boucher à la retraite. Ça fait trente ans qu’il est toxico. Un type adorable, du moins, il l’est avec moi. Il est mort à New Haven quelques mois plus tard.
J’ÉTAIS VRAIMENT nul comme BOUCHER, FISTON. TOUT LE TEMPS Défoncé, JE FAISAIS SANS ARRÊT TOMBER LA BARBAQUE par terre. J’AI dû filer la gerbe à pas mal de monde. et MAINTENANT, qu’estce que je peux y faire ? LE PIRE, c’est MES ENFANTS… ILS NE VEULENT PLUS ME PARLER. Je suis tout seul. JE SUIS DÉSOLÉ.
te bile PAS mon gars. ON DISCUTE, C’EST TOUT.
J’AI EU plein DE COPINES, MAIS LA PERSONNE DONT JE ME SUIS SENTI LE PLUS PROCHE DANS MA VIE, C’est SAL, MON AMI d’enfance.
JE CROIS QUE JE NE ME SUIS JAMAIS SENTI BIEN DANS MA PEAU. JAMAIS. JE TE COMPRENDS. MON PROBLèME, C’EST QUE LA VIE ME FAIT morfler. DU COUP, J’ESSAIE DE CALMER LA DOULEUR AVEC LA DOPE. AUTANT RÉPARER UN PNEU AVEC DU SCOTCH… SI ON POUVAIT RESTER DÉFONCÉ tout le temps, CE SERAIT FACILE. MAIS LE CORPS TIENT PAS. ET ÊTRE SOBRE, C’EST UNE MALÉDICTION.
PUIS UN JOUR, AU LYCÉE, IL S’EST MIS À ME DÉTESTER. JE N’AI JAMAIS trop SU POURQUOI. ALORS QUE PENDANT QUINZE ANS, ON AVAIT ÉTÉ INSÉPARABLES. êtes-vous sûr qu’il vous déteste ? À QUAND REMONTENT voS derniERS ÉCHANGES ?
Six ANS.
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Quel est l’avantage d’un roman illustré comparé à un roman littéraire ?
Je ne sais pas quel est l’avantage ou si une forme est supérieure à l’autre, mais certaines personnes aiment lire des bandes dessinées, peut-être qu’elles sont plus accessibles que des romans pour certains lecteurs.
Qu’est-ce qui vous plaît quant à la moquerie de soi qui a construit votre succès ainsi que votre carrière en tant que romancier et chroniqueur ?
La moquerie de soi n’est pas une bonne habitude, j’essaie donc de l’estomper. Au moins, l’avantage c’est que je ne me suis pas moqué des autres, j’ai pu faire rire des personnes mais pas aux dépends d’autres êtres humains.
Enfin, est-ce que « Alcoolique » est une représentation de qui vous êtes, Jonathan Ames ?
Je ne pense pas. Ce n’est d’aucune manière un rayon X de mon âme mais quelque chose que j’ai écrit, et je pense que ceci offre un aperçu de mon esprit et de mon être.
Alcoolique
Scénario : Jonathan Ames Dessins : Dean Haspiel
Editions Monsieur Toussaint Louverture
144 pages - 22 euros En librairie le 1er octobre 2015
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Ça doit être mieux avec les filles.
oui… t’as raison.
En vérité, je n’en sais rien, mais je fais quand même semblant d’être d’accord. D’un coup, j’ai honte d’avoir apprécié ce qui s’est passé.
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Je ne regarde pas la télé, mais j’ai un vieux poste qui dort dans un placard. On se croirait dans LA GUERRE DES MONDES . Aux infos, on annonce que le Pentagone a lui aussi été touché, et qu’un autre avion, s’est écrasé. Il règne une atmosphère apocalyptique.
Quand la seconde tour s’effondre, je monte sur le toit de l’immeuble. Une immense colonne de fumée s’élève au loin.
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Deux heures plus tard.
Ça ne vous gêne pas que je sois chauve, les filles ?
non, c’est mignon. Avec ce petit duvet sur le crâne !
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Rentrée littéraire
Sans savoir où Poésie et jazz, deux composantes merveilleuses de la musique des sphères, pour qui se donne la peine de franchir le Pont aux ânes. Par Marc Emile Baronheid / Crédit Photo J. Sassier – Ed. Gallimard
Qu’il soit redit, une fois encore mais hélas pas une fois pour toutes, la source du malentendu entre la poésie et le public de la baronne Nothomb. Un détournement du Wozu dichter in dürftiger zeit ? de Theodor Adorno plaiderait pour les noces du poème et de l’édification de masse. Erreur ! Union contre nature ! Le poète est celui qui éprouve le plus d’estime pour son lecteur, au nom de quoi il est déterminé à ne céder ni aux vers de mirliton, ni aux illusions des queues aux salons du livre. Le souci de répercuter la résonance du temps littéraire qui défile, sa quête du mot indiscutable (et pas simplement « juste ») le lestent de responsabilités autrement pesantes. Lorsque la volonté de retrait ne souffre nul relâchement, il devient difficile de faire la part des choses, de tisonner le for intérieur de l’écrivain. Doute ou tutoiement des muses, humilité ou superbe, attente ou impatience, hantise ou posture ? L’œuvre devient le dernier recours, le révélateur par défaut. Philippe Jaccottet remet sur le métier deux ensembles de textes absents du volume paru en Pléiade. Tant mieux. Ces travaux méritaient de paraître séparément, dans une collection de consécration. « L’entretien des muses », paru
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dants), Jaccottet scrute, investigue, progresse à vue vers un espace « où il n’y aurait plus de mur entre le cœur et le monde ». Plutôt qu’une litanie des noms et autres mille choses à dire, un défi : entrez dans une librairie, prenez le livre, ouvrez-le n’importe où (par exemple et au hasard à Pierre-Louis Matthey) ; vous serez incapable de le remettre en rayon…
initialement en 1968, rassemble des chroniques de poésie. Emprunté à une pièce de clavecin de Rameau, le titre offre plus d’une interprétation, ne serait-ce que par le prisme du terme entretien. Jaccottet y est moins arbitre que défricheur, ouvreur de pistes, crieur public à voix feutrée mais dont l’écho ne se couche jamais. C’est un arpentage franco-suisse (pour mémoire, l’hôte de Grignan est né à Meudon) d’ouvertures parues entre 1955 et 1966, complété par des études et notes inédites. Ponge et Crisinel, Armen Lubin et Gustave Roud, Chappaz, Dadelsen et autres laquais du verbe, comme aimait à s’autoproclamer le regretté Alain Bosquet. Aussi Guillevic, Bonnefoy, du Bouchet, voisins de Jaccottet dans un précieux et nouvel ensemble de douze poètes qui sont autant de tempéraments affirmés, phares du siècle dernier (*). « Une transaction secrète » (titre en hommage à Virginia Woolf, paru une première fois en 1987) se compose de lectures de poésie. On débarque sur un autre rivage de la circumnavigation de Jaccottet, grand traducteur de poètes estimables. Même s’il tient à avertir qu’ « aucun de ces textes n’a été écrit pour les spécialistes de la littérature » (les cuistres et les pé-
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Connaissez-vous Philippe Soirat ? Pour son premier album en meneur (il a participé à une cinquantaine d’enregistrement), cette fine fleur des baguettes et des clubs de jazz revisite quelques-uns des classiques du jazz moderne – entendez par là des oeuvres de Herb Hancock, Monk, Henderson, Shorter, Gillespie e.a. – avec trois comparses en précision, souplesse, nuance. Il y va aussi d’une compo courte mais révélatrice d’une subtilité qui le préserve des numéros de singe savant. C’est en cela qu’il sait aller l’amble avec Jaccottet et les autres poètes de sa galaxie, en une réplique superbement nuancée, manière d’aiguillon paisible, mesuré. Si vous n’avez pas encore tenté l’expérience d’ une double lecture, il n’est plus temps de tergiverser. « L’entretien des muses », Philippe Jaccottet, Poésie/Gallimard, 7,90 euros « Une transaction secrète », Philippe Jaccottet, Poésie/Gallimard, 7,90 euros (*) in « Petite Bibliothèque de poésie contemporaine », Poésie/Gallimard, 30 euros. Sous emboîtage, des plaquettes de Guillevic, André Frénaud, René Daumal, Armand Robin, Edmond Jabès, Ghérasim Luca, Aimé Césaire, Yves Bonnefoy, Henri Pichette, André du Bouchet, Lorand Gaspar, Philippe Jaccottet. Eblouissant ! « You know I care », Philippe Soirat Quartet (avec David Prez – sax tenor, Vincent Bourgeyx – piano, Yoni Zelnik contrebasse), label Paris Jazz Underground. En concert le 18 septembre au Sunside, Paris (www.sunset-sunside.com)
Pascal Marmet
TIRÉ À QUATRE ÉPINGLES LE NOUVEAU POLAR INCLASSABLE ET HALETANT DE PASCAL MARMET
POUR CETTE RENTRÉE LITTÉRAIRE ! PolarÀ QUATRE ÉPINGLES PASCAL MARMET - TIRÉ 270 PAGES - EDITIONS MICHALON DÉJÀ EN LIBRAIRIE 43
AUTOUR DE L’HISTOIRE
Là où fiction et histoire se mêlent inextricablement Par Régis Sully Dans la postface, l’auteur affirme «qu’un roman historique est un roman avant d’être de l’histoire» . Celle-ci ne fournirait que le décor pour servir d’adjuvant au récit. Voire! Ce dernier à pour cadre deux villes de Franconie Wurtzbourg et Fulda aux confins du royaume carolingien en 799. Chacune de ces villes possèdent un scriptorium signe que ce sont des centres culturels importants dans cet espace occupé par les Francs. En outre Fulda est une ville épiscopale. Le décor planté, l’apport de l’histoire ne s’arrête pas là, elle fournit également des personnages. Le lecteur y croisera au détour d’une page Charlemagne qui a un rôle secondaire dans le roman contrairement à Alcuin qui en est un des héros. Historiquement Alcuin d’York a été un grand conseiller influent auprès de Charlemagne. Mais l’apport de l’histoire ne s’arrête pas là à la lecture de ce livre palpitant on ne pourra plus ignorer les différentes attributions des moines dans leur monastère: l’abbé, le prieur les doyens de l’ordre, le chantre, le sacristain le trésorier, le cellérier...on ne pourra plus 44
ignorer non plus l’organisation interne de l’Eglise de Rome distincte des quatre patriarcats d’Orient. De même que le marché aux esclaves ou la piètre opinion des Francs à l’égard des Saxons n’échapperont pas à la sagacité des lecteurs. Bref l’histoire est bien là et donne consistance au récit. Le lecteur ne s’en plaindra pas. Reste la fiction avec ses personnages et l’intrigue. l’héroïne Theresa, une réfugiée politique dirait-on aujourd’hui qui vient de Constantinople avec son père Gorgias a de curieux accents contemporains ainsi que son amant Izam de Padoue voir leur sollicitude vis à vis de leurs esclaves recrutés sur des critères de sélections aux antipodes de ce qui se faisait à l’époque. Voir également son comportement de femme atypique dans une société profondément misogyne. Reste qu’elle possède des qualités précieuses pour l’époque en pleine renaissance carolingienne elle sait lire, écrire et elle maîtrise le grec chose rare y compris parmi les élites carolingiennes. Grâce à ses compétences elle
travaillera aux côtés d’Alcuin. En plus elle est en possession d’un précieux parchemin qui pourrait être décisif pour l’église de Rome. Qui veut s’en emparer? Qui tue pour le posséder. ? Alcuin avec l’aide de Theresa va tenter de démasquer ceux qui veulent lui dérober ce précieux document. Coups de théâtre, rebondissements tiennent en haleine le lecteur jusqu’au dénouement . Passionnant, à lire. Antonio Garrido - La Scribe Editions Le Livre de Poche
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Si la crise n'était pas une fatalité ? L'essai à contre-courant de Giuseppe Versace
Un ouvrage passionnant qui propose de nouvelles pistes à la fois simples et révolutionnaires, pour gagner ensemble, sortir de la crise et retrouver un nouvel essor économique. Editions Akes - 185 pages - Kindle 45
Super Héros malgré lui .... Par Laurence Biava - Photo Philippe Matsas / Opale / Editions Belfond
ternatives et La société du hold-up – Le nouveau récit du capitalisme (2012) aux éditions Fayard/Mille et une nuits.
Paul Vacca est romancier, scénariste et essayiste. Il est l’auteur de deux romans, La petite cloche au son grêle (2008) et Nueva Königsberg (2009) aux Éditions Philippe Rey, ainsi que de deux essais, Hyper, ton univers impitoyable – Le système hypermarché mis à nu (1994) aux éditions Al-
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Le 14 octobre 1968, Thomas Leclerc comprend pourquoi il est sur Terre : il n’est pas Thomas Leclerc, mais Tom l’Éclair plus vif que l’Éclair. C’est en lisant un « comic-book » qu’il a eu cette révélation. Ce roman délicieux et bavard raconte l’enfance fantasque et douce-amère d’un enfant «devenu», comme par magie, super-héros malgré lui. Avec force, il narre également la
grande affaire du monde particulier de l’enfance, son imaginaire débridé, ses souffrances intimes. Mais Tom n’est cependant pas tout à fait un enfant comme les autres. Souffrant d’autisme, il se sent étranger jeté en pâture dans un monde qui ne le reconnait pas. S’inventer un destin le fait évoluer et « s’envoler », et il voyage ainsi de sa maison, à ses rêves, à ses missions, à ses pouvoirs extraordinaires. C’est le tour de force du récit. Pétrifié par son isolement, l’enfant s’invente un monde virtuel. Un monde nécessaire qui l’absorbe totalement. Tout en défiant la réalité et ses pièges pour voler au secours de ses parents qui comptent se séparer. Ce roman d’apprentissage file doux la métaphore pour nous ramener à l’essentiel autour de quelques sécu47
laires remarques et/ou comportement, en particulier le «La vérité sort de la bouche des enfants». Ainsi toutes les questions qui assaillent l’enfant autour du désordre amoureux parental et une autre affaire personnelle qui le tourmente, trouvent soudainement une réponse. Paul Vacca réussit une jolie fable sur la différence et les égarements du maelstöm intérieur.. Le point de vue décalé permet de mieux révéler le clair-obscur de l’univers des adultes, en le confrontant au réalisme de l’enfance. La nébuleuse de l’autisme est bien sentie, bien analysée. La vie secrète de cet enfant est un vaste point d’interrogation. Un mystère d’où jaillissent par endroits des confusions sensorielles et des sensations qui se superposent comme des briques. Cette extrême diversité démontre bien cette autre façon d’être au monde, cette autre capacité de
ressentir la réalité, propulsé par le désir, en dépit de l’empilement fragile de ces briques de mur, en dépit de la singularité de la personne. . Le ton du livre est juste. Le regard qui guette, et le mot qui quête : aussi. Nous sommes dans les années 60. Et il y a tous ces mots qu’on ne dit pas encore, comme autisme ou dépression. Tout comme sont tus, à cette époque –ce n’est pas loin, mais ce n’est pas non plus si proche ! - tous les événements
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familiaux qui dérapent tragiquement.. C’est la réussite du livre de Paul Vacca : le fait de lever le voile sur tous les non-dits parasites et de le dire habilement.
Comment Thomas Leclerc 10 ans 3 mois et 4 jours est devenu Tom l’Eclair et a sauvé le monde Editions Belfond 290 pages
Coup de coeur
Holly Goddard Jones,
une candeur désarmante à écrire sur l’humanité
Par Nicolas Vidal / Crédit Photo Morgan Marie
La citation de William Faulkner en incipit du livre donne déjà de sérieuses garanties sur la qualité du recueil de nouvelles d’Holly Goddard Jones : « Les femmes ne sont jamais vierges. La pureté est un état négatif et de fait contre nature » Holly Goddard Jones dissèque en cinq longues nouvelles les soubresauts d’une Amérique du MidWest et du DeepSouth au plus près des gens et de leur existence, au coeur toutes les grandes questions de l’existence et des petites compromissions de la vie qui animent les personnages d’Holly gooddard Jones dans des mises en scène aussi banales que tragiques. Pouvons-nous y déceler quelques passerelles entre ces deux états de fait ? C’est avec brio que l’auteur américaine s’emploie à décrire, à mettre en lumière et à analyser ces existences 49
chahutées par les tourments de la vie et les comportements humains qui s’y affirment ou s’y délitent. « Personne ne vous parlait de ces moments-là dans la vie d’un couple : quand la proximité et le temps finissent par générer de la méchanceté. Quand deux personnes respectables peuvent révéler ce qu’elles ont de pire en elles, tout simplement parce que c’est dans
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l’ordre des choses.» Holly Goddard Jones semble s’adresser à nous à chaque page en mettant le doigt sur des situations qui nous paraissent familières et banales. Cependant, son talent de noveliste est si abouti qu’elle confère à ses morceaux de vie une fragilité humaine si précieuse quelle en est déconcertante. « Les filles savent y faire, Matt. Mon erreur, ça a été de sortir avec une fille plus intelligente que moi. Je le reconnais, merde. Les études, je n’en ai jamais rien eu à faire. Mais une fille intelligente, elle t’obsède, elle fout le bordel dans ta tête et puis elle retourne ça contre toi, et finalement tout est plus ou moins de ta faute. Tina devrait remporter la palme.» Ne cherchez pas «Une fille bien»
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d’Holly Goddard Jones dans les têtes de gondoles pour la Rentrée littéraire car le roman est paru dans la collection Terres d’Amérique ( Editions Albin Michel) en 2013. Mais il n’a jamais été prouvé que les bons recueils de nouvelles ont une date de péremption. Au contraire, ils se bonifient avec le temps des lectures. Nous vous recommandons donc de vous ruer sur le recueil de nouvelles d’Holly Goddard Jones et apprécier cette nouvelle voix de la littérature américaine. Holly Goddard Jones Une fille Bien Editions Albin Michel Collection Terres d’Amérique 400 pages 22,50 euros
Coup de coeur
Alison Jean Lester, une brillante et redoutable maturité Par Nicolas Vidal / Crédit PhotoDR
« Je pouvais être obsédée par mes cheveux, mais le fait que l’amour de ma vie soit un homme marié, ce n’était pas grave. Même si c’était douloureux, l’opinion de la société me laissait de marbre.» (Presque) n’importe quelle phrase prise au hasard dans le roman d’Alison Jean Lester contient toute la quintessence du style de l’auteur américain. Radical. Puissant. Indélicat. Jouïssif !
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La vie de Lillian, mode d’emploi» est un incroyable récit sur la vie de Lilian, une femme de 57 ans qui porte un regard cru, brutal mais paradoxalement tendre de ses expériences, de ses considérations et de son ressenti sur la généralité du quotidien. Le propos n’a aucun filtre, aucun retenue et c’est pour cela qu’il est très difficile de fermer ce roman à la forme si singulière, bâti comme une pyramide de courts récits et d’anecdotes tranchantes
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farcis dans le coeur du texte. Pour vous en persuader, penchez-vous avec curiosité sur le titre des chapitres et vous comprendrez rapidement la teneur ; de l’importance des grandes poches, de la nourriture de l’amour, du danger de trop s’attacher aux domestiques, de l’impossibilité de sortir du lit, du débordement.... Un pur moment
de bonheur de lecture tant le style d’Alison Jean Lester est incisif. Elle met en exergue les moments d’une vie dans ses récifs les plus banals ou les plus triviaux.
« La plupart des gens font-ils croire le contraire ? Le soir, je ne peux pas me coucher sans sentir mon corps m’entraîner vers le sexe, comme un enfant tire sa mère par le bras quand ils passent devant un magazine de jouets. Bizarrement , tout va bien si je m’allonge sur le côté, mais sur le dos, c’est inévitable.» Alison Jean Lester pratique avec finesse l’auto-dérision de sa propre vieillesse et de sa mutation physique « Vous ne verrez pas en bikini cette année. Tant de femmes n’ont pas conscience qu’un bikini rend leur corps moins attirant que leur nudité. La peau se comprime
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et fait des plis. Je crois que néanmoins que certaines le savent, mais elle s’en fichent. Qu’est ce qui est pire, ne pas s’en apercevoir ou ne pas s’en soucier ? Je n’ai pas décidé. Je ne sais pas. L’excès de peau, c’est horrible.» «La vie de Lilian, mode d’emploi» est une ode à la féminité, accompagné d’une incroyable brillance d’esprit dans sa façon d’écrire et de raconter l’intimité d’une femme. Elégance, im-
pertinence, humour corrosif, sensualité sont les ingrédient que vous devrez être prêts à goûter pour lire Alison Jean Lester. Un gros coup de coeur ! Alison Jean Lester La vie de Lillian, mode d’emploi Editions Autrement 17 euros
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Rentrée littéraire
La midinette et le textomane Ce roman s’intitule « Un homme dangereux ». Charge balourde contre les prédateurs pervers et narcissiques, il révèle une femme à l’ego surdimensionné, inoffensive comme une mine antipersonnel. La paille et la poutre. Par Marc Emile Baronheid
Emilie, narratrice, écrit des romans. Le dernier, consacré à son père, a été porté à l’écran. On a gardé le titre du livre : Un vrai salaud. Bien sûr, Emilie n’a aucun problème avec les hommes. Ainsi, tout se passe bien entre elle et Adam, son mari chirurgien. Elle le trompe discrètement pour Benjamin. Une liaison hygiénique. Puis elle croise Benoît, écrivain et chroniqueur sur le retour, qui pourrait lui être utile pour la promotion du film frappé de modestie. Ce sexagénaire qui « ne savait pas se faire aimer sans faire souffrir » la bombarde de textos, lui imposant une omniprésence dont elle en-
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tretient la flamme maléfique avec une vigilance de vestale défroquée. C’est le prétexte à l’illustration de la dictature du téléphone portable, ce ressort inévitable du vaudeville d’aujourd’hui. Emilie subit, Emilie est humiliée, Emilie en redemande, dans un roman qui bafoue allègrement l’estime de soi, rengaine à la mode des officines de la manipulation consumériste. Elle incarne sa propre marionnette, dans une pantalonnade digne des guignols du clavier ayant le mérite de demander qui, du bourreau ou de la victime,
domine la relation de dépendance. Parodie cruelle du féminisme à l’insu de son plein gré, ceci est le chaînon manquant entre Harlequin et Eliette Abécassis. « Un homme dangereux », Emilie Frèche, Editions Stock 19,50 euros
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Rentrée littéraire
Koffi Kwahulé, un livre dérangeant Koffi Kwahulé est l’auteur de nombreuses pièces de théâtre jouées un peu partout dans le monde. Il se réclame volontiers du jazz, avec ses fractures sur fond de basse continue. Lauréat 2006 du Prix Ahmadou Kourouma pour son roman Babyface, Grand Prix ivoirien des Lettres la même année, Kwahulé a également reçu le Prix Edouard Glissant, destiné à honorer une œuvre artistique marquante de notre temps. Nouvel an chinois est son troisième roman. Par Laurence Biava C’est un récit attachant. Drôle et vivant. Inattendu, singulier. Un roman d’apprentissage singulier. Un récit qui se déroule sur plusieurs niveaux d’écriture. Le premier est romanesque, qui narre et arpente la vie de personnages qui vivent en communauté ; le second plonge dans l’onirisme et déambule de manière hétéroclite parmi les fantasmes incestueux du personnage principal : Ezéchiel. Se greffent dans ce scénario plein d’étrangeté un type funeste ainsi que quelques personnages féminins livrés à eux-mêmes. En particulier une certaine Melsa Coën qui propose un drôle de marché. Un marché cependant plutôt louable, prétexte pour faire sortir l’adolescent Ezéchiel de son enfermement.. C’est un monde cabossé et en rade que nous raconte Kwahulé. L’histoire d’une famille éclatée. Ezéchiel, recroquevillé dans son autisme temporaire, plonge dans ses fantasmes aussi flamboyants que débridés. Le second énergumène, répondant au nom de Demontfaucon prend une stature de prédicateur depuis son balcon en appelant les autres habitants du quartier à venir l’écouter. Et dans ce récit rythmé qui brinquebale en permanence d’un personnage à l’autre, on ne sait jamais trop, quand défile le carnaval chinois dans le quartier Saint-Ambroise, entre la place Léon Blum et le boulevard Richard Lenoir. C’est en tout cas l’hiver, un jour de janvier ou février, quand le ciel s’assombrit. Et c’est là que des choses étranges adviennent. Un jour, au milieu des couleurs criardes, au son des
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gongs et des cymbales, revient le funeste Nosferatu, individu irréconciliable qui prêche même la nuit du haut de son balcon, porté par le souffle de Nabucco, à plein volume. L’intrigue séduit grâce à son écriture musicale. Répétitive, et cadencée. Elle vampirise littéralement le lecteur, séduit par tant de lyrisme. Ce n’est pas un hasard si Ezéchiel, depuis la mort de son père, écoute Back to Black d’ Amy Winehouse, en boucle entre les murs de sa chambre. « Nouvel an chinois » possède une énergie particulière. L’écriture est syncopée, répétitive, hésitant entre la fascination et la répulsion qui portent les personnages de cette tragédie. Souvent, des phrases assimilables à des boucles musicales que l’on retrouve dans certains genres musicaux ponctuent le récit
aussi sensible que musical Les sonorités sont partout. Kwahulé s’est concentré sur l’écriture elle-même, sur la manière dont la langue chante. Avec ses monomanies musicales, l’écriture plonge dans l’imaginaire en permanence, elle réinvente un rêve sans limites et c’est alors que l’oralité de certains passages, en raison de leur sonorité, prend toute son ampleur et tout son sens. Manière efficace d’appuyer la douleur du jeune héros jusqu’à son âge adulte, entre semi-rêverie et vie cauchemardesque. On aime dans « Nouvel an chinois » ces délires qui débordent, ces situations complétement décalées. L’atmosphère est parfois pesante, comme l’est celle d’un huis-clos. Les personnages oppressés s’observent trop, d’où l’épilogue brutal. Fatal. Il faut lire ce livre dérangeant, en dépit du malêtre et des interrogations qu’il suscite.
Koffi Kwahulé - Nouvel an chinois Editions Zulma 235 pages
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Rentrée littéraire
Petit électrochoc dans le mundillo germanopratin à venir Par Christophe Greuet
international, «HHhH», très sombre épopée au coeur de la deuxième mondiale, à son journal “embedded” dans la campagne présidentielle de François Hollande (le très oubliable «Rien ne se passe comme prévu»). Et le perpétue aujourd’hui avec son nouveau roman, «La septième fonction du langage», dont la parution cette rentrée devrait provoquer un petit électrochoc dans le mundillo germanopratin. Mais qui a assassiné Roland Barthes ?
Convoquer la fiction pour mieux écrire l’histoire récente. Un principe auquel s’est tenu l’auteur Laurent Binet dans ses livres, que ce soit son roman inaugural qui connut un retentissement 60
Et pour cause : Binet place son roman au coeur de l’un des épisodes les plus frappants du monde intellectuel de la fin du XXè siècle, la mort mystérieuse du critique Roland Barthes. A l’aube des années 80, alors que la campagne présidentielle s’organise pour faire battre Giscard, Barthes se rend à un repas avec le candidat François Mitterrand,
qui souhaite s’entourer d’intellectuels. En chemin, l’homme de lettres est fauché par une camionnette, et meurt le lendemain. Binet émet alors l’hypothèse qu’il s’agit d’un meurtre. Rapidement, le pouvoir de l’époque envisage que Barthes était en possession d’un document à la valeur inestimable, décrivant la septième fonction du langage du linguiste russe Jakobson. Un principe non décrit jusqu’alors qui donnerait à celui qui entre en sa possession le pouvoir de convaincre n’importe qui. Commence alors pour le commissaire Bayard, flanqué d’un maladroit étudiant en sémiologie, une enquête qui va leur révéler l’étendue des mystères protégés par tout ce que l’Europe compte d’intellectuels.
Outre le dénouement du récit, qui jette le doute que l’un des événements politiques les plus marquants du XXè siècle, le roman malmène nombre de ses protagonistes réels devenus sous la plume de Binet des personnages de fiction secoués sans scrupules. Sollers, qui connaît dans le livre un sort aussi cruel que peu glorieux, devrait en particulier ne pas être insensible à ce double de fiction ! Bâtissant une structure linéaire limpide permettant de suivre les multiples rebondissements de l’histoire, Binet imagine aussi un duo de personnages principaux attachant et décalé, qui ferait des merveilles dans une série TV sur le câble américain. Ce contraste entre la construction classique du récit et la folle inventivité de l’histoire, secret de nombreuses oeuvres de fiction réussies, Le petit monde intello malmané fait à nouveau mouche dans «La septième fonction du langage», l’un des roRoman brillant à plus titre, tant par l’in- mans les plus éclatants de cette rentrée. ventivité de son récit que par la description brillante de son époque, «La sep- «La septième fonction du langage» tième fonction du langage» devrait faire de Laurent Binet, éditions Grasset, beaucoup de bruit dans les milieux po- 492 pages, liticointellectuels. Car outre l’hypothèse 22 €. du complot qu’il formule, le livre est traversé par une myriade de figures dont la plupart sévissent encore, de Philippe Sollers à BHL en passant par Umberto Eco. 61
DICTIONNAIRE
Serruriers du monde « La seule foi qui me reste - et encore! - c'est la foi dans les dictionnaires » aimait à dire Léautaud. Ouvreurs de pistes, témoins, juges de paix, ils sont consubstantiels à l’honnête homme. Par Marc Emile Baronheid
S’il est encore vrai qu’en France tout finit par des chansons, tout devrait commencer par Le Robert, dictionnaire de qualité supérieure, ouvrage fondamental, autrement important que les espadrilles à talonnettes de l’un ou la mirobolante évasion fiscale de l’autre. Observatoire de la langue - qui devra peut-être se muer en mirador - et dictionnaire de son temps, Le Petit Robert édition 2016 poursuit sa politique d’accueil des mots migrants, avec une bienveillance qui ne laisse pas d’inquiéter certains, sous le couvert d’enrichir et de nuancer notre manière de dire et de comprendre le
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monde. Nul n’est obligé à les héberger dans son propre lexique, mais il faut au moins savoir qu’ils existent, pour être prêt à les comprendre et à les utiliser, le cas échéant. L’environnement, les sciences, l’informatique et la planète multimedia, l’économie, la politique, la culture, la gastronomie, le sport, le langage familier, les usages nouveaux dans la francophonie sont pris en compte, désormais. Les citations s’étoffent : plus de 300 nouvelles entrées. Les noms propres et les illustrations de couverture sont les plus sujets à débat, puisqu’ils ont trait à cette misérable vanité qui prend le masque de l’amour-propre. Mais au moins, en ce dernier domaine, saiton désormais qui sont Ferran Adria et éviter la subjectivité et, peut-être, Nuri Bilge Ceylan. Voilà pourquoi le l’agitation concurrentielle des divers Petit Robert est grand. Et inévitable ! contributeurs, chaque rubrique portant la signature de son auteur. Dans le cas de Malraux, on parlera d’un ouUn dictionnaire Malraux, conglo- vrage réjouissant sans être rieur – rimérat de vignettes individuelles ou gueur oblige – et abouti, balayant ou « gardien de l’exactitude des faits », dégageant les mécanismes, les rescomme l’ambitionne le préfacier des sorts, les perceptions, les harmonies, 1214 pages de cet ouvrage ? Certes, il les indignations veloutées, les affiéchappe à la tentation du point de vue nités électives, les composantes, les unique de la biographie, mais ne peut intensités, les ambitions, les vibra-
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tions, les « postures » de séduction la direction de Jean-Claude Larrat, d’un protagoniste majeur de son Classiques Garnier, 69 euros époque. Aussi ses dilections et ses grands conciliabules intérieurs. Les articles Mauriac et Max Jacob, par exemple, témoignent à souhait des ambitions assumées d’un dictionnaire qui embrasse, par-delà Malraux, quantité de perspectives essentielles du XXe siècle. « Le Petit Robert de la langue française », 64,90 euros (avec une clé donnant accès à l’intégralité des contenus du Petit Robert de la langue française et des noms propres) « Dictionnaire André Malraux », sous
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LIVRE
N’oubliez pas Guérin Par Pascal Baronheid
« Sa joie était indispensable à ma joie. Est-ce avoir une fausse idée de la fidélité ? ». Zobain est marié depuis quatre ans. Il
aime sa femme et se croit aimé. Elle est toujours vierge. Elle s’étiole et devient une aubaine pour les Diafoirus. Zobain se raconte au fil d’un roman épistolaire. Et si le bonheur conjugal n’avait été qu’un écran de fumée ? « Etait-elle au moins heureuse sexuellement ? Je l’ai cru longtemps mais je ne le crois plus. Si je l’ai cru longtemps, c’est sa façon d’être qui m’a égaré. C’était une femme extrê-
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mement délicate, très pudique, très réservée. Nos rapports sexuels n’étaient jamais vulgaires ; ils n’étaient non plus jamais simples ». Paru en 1936, ce récit autobiographique marque l’entrée en littérature de Raymond Guérin (1905-1955), auteur notamment de « Retour de barbarie », document sur le Paris des belles-lettres pendant l’Occupation, et « Les Poulpes », roman forgé durant ses années de captivité dans des stalags.
« Zobain », Finitude, 19 euros
Les femmes dominent la rentrée littéraire PAR EMMANUELLE DE BOYSSON
La course aux prix, c’est parti. Hélas, sur 589 romans français et étrangers sortis fin août, seule une poignée d’entre eux restera avant Noël dans les bac des libraires, encore moins en lisse pour les grands prix. Les paris sont ouverts. Chaque maison avance ses pions. Parmi les favoris : Alain Mabanckou, Laurent Binet, Christine Angot, Delphine de Vigan, Boualem Sansal, Hédi Kaddour, Thomas B. Reverdy, Mathias Enard, Jean Hatzfeld, Simon Liberati, Charles Dantzig, Mathias En-
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ard. Dans la sélection du prix Renaudot, notons la présence du premier roman de Christophe Boltanski, particulièrement remarqué dans la rentrée littéraire, mais aussi de titres parus plus tôt dans l’année, comme « Ann », de Fabrice Guénier, publié au mois de mars. En revanche, le nouveau roman de Christine Angot en est absent. Et c’est tant mieux ! Contestée par les critiques littéraires qui la comparent à « un cocktail laborieusement élaboré » dixit Pierre Vavasseur du Parisien, la sélection du Goncourt a éjecté « Profession du père » de Sorj Chalandon (Grasset), un roman remarquable et bouleversant. Drôle d’idée d’aller repêcher «Soudain », d’Isabelle Autissier, paru au printemps.
Pour ma part, je remettrai le Goncourt à Boualem Sansal, pour « 2084, la fin du monde » (Gallimard). Reclus en Algérie, cet auteur courageux dénonce avec virulence les dictatures religieuses, la mort des libertés, la suppression du passé, la violence, le crime organisé, le fanatisme. A l’heure où le temple de Palmyre a été détruit, on ne peut s’empêcher de penser que 2084, c’est maintenant. Un livre puissant qui raconte de l’intérieur les dérives des fous de Dieu, au nom de qui des hommes font régner la terreur, violent et assassinent. En avant première, le prix des libraires de Nancy a été remis à Mathias Enard, le prix Fnac à « La septième fonction du langage » de Laurent Binet (Grasset). Ce dernier est une enquête passionnante autour de l’accident au cours duquel le Roland Barthes a été renversé par une camionnette de blanchisserie le 25 février 1980, Laurent Binet imagine que le philosophe aurait été assassiné alors qu’il transportait un document sur la septième fonction du langage, une fonction permettant de convaincre n’importe qui de n’importe quoi. Dans
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les milieux intellectuels et politiques de l’époque, tout le monde devient suspect. Un texte érudit, captivant et plein d’humour, ce qui n’est pas fréquent en cette rentrée où les femmes s’imposent avec flamboyance. A 49 ans, Delphine de Vigan s’est lancée dans un « vrai faux » roman dont elle a le secret. La narratrice, qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau, est écrivain. Mère de famille, elle aime avec François, un journaliste littéraire. Depuis trois ans, elle n’arrive plus à écrire. Déprimée après la sortie de son dernier roman, la terreur s’est emparée d’elle depuis qu’une de ses admiratrices s’est glissée dans sa vie. Peu à peu, la groupie qui se dit nègre, s’accapare de son existence au point de vouloir se substituer à elle. Un roman sur la manipulation, la vie par procuration, sujet terriblement actuel où chacun a tendance à s’identifier aux people, jusqu’à les singer, voire s’immiscer dans leur existence à travers les réseaux sociaux. Qui n’a pas été piraté ? Qui n’a pas reçu de messages intrusifs sur Facebook ? Qui n’a pas eu dans ses
pattes un « ami qui nous veut du bien », ce pot de colle qui bouffe notre temps, nous pompe notre énergie ? Delphine de Vigan va plus loin. Disséquant les effets de la toxicité d’un intruse qui profite d’un de faiblesse, elle sonde la perte de repères, l’angoisse, le vertige, la panique, voire la folie. Ce roman thriller mérite un grand prix et sera immédiatement adapté au cinéma (Lattès). Dans la veine de ses précédents romans, Nathalie Rheims revient sur son histoire, les blessures et les secrets qui ont jalonné sa vie, ces petits drames si universels. Ce qui frappe lorsqu’on ouvre « Place Colette » (Léo Scheer), c’est le style. Un bon roman se reconnaît dès la première ligne par sa musique, son ton. Ici, Nathalie Rheims écrit au passé – cette manie d’écrire au présent m’agace ! Au passé simple s’il vous plaît, le passé composé étant plus lourd. Des phrases légères, bien balancées, élégantes, presque chuchotées. Une gamine de
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douze ans, pas encore adolescente, tombe amoureuse du théâtre et d’un comédien de trente ans. Quand on sait que la Lolita de Nabokov est une allumeuse, on comprend pourquoi Nathalie Rheims a voulu montrer comment la petite excite, provoque cet acteur qui peut lui ouvrir des portes. Un roman visuel, vivant, un scénario, bien sûr, mais aussi, un roman sensible, de haute tenue, qui, un jour, lui vaudra d’entrer à l’Académie Française, là où elle aurait sa place, là où son père, Maurice Rheims, rayonna. Eve de Castro retrouve ses amours : l’histoire et les rois. A l’occasion de l’anniversaire de la mort de Louis XIV, elle raconte les dernières heures du Roi-Soleil, rongé par la gangrène, à la merci d’un charlatan (Robert Laffont). Colombe Schneck met en scène la jeune Azul, débarquée de Bolivie. Issue d’une famille pauvre, l’immigrée accepte un emploi de boniche a v a n t d’être re-
cueillie à Paris dans une congrégation religieuse. Une histoire qui s’apparente au « cœur simple », de Flaubert où la romancière met en lumière la beauté cachée des humbles, des délaissés, ces migrants trop souvent vilipendés (Stock). Humain, touchant. Notre Amélie Nothomb nationale est la romancière la plus baroque, la plus punk, la plus déjantée, la plus constante, la plus spirituelle, la plus inventive… qui soit (je paraphrase à dessein la lettre de la marquise de Sévigné à propos du mariage de la Grande Mademoiselle avec un homme de «basse condition » à ses yeux). Une conteuse qui nous transporte au pays du conte de Neuville, cet aristo désargenté qui devra, selon une prédiction, tuer lors d’une fête un des invités. Suspense ! Amélie devrait rejoindre Nathalie à l’Académie (Albin Michel). Jessica Nelson vient de publier « Tan-
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dis sue je me dénude » chez Belfond (son éditrice, la sympathique Céline Thoulouze, a repris la collection littéraire de la maison et publie d’excellents romans dont « Azadi », prix de La Closerie des Lilas 2015). Jessica Nelson, chroniqueuse dans l’émission new look animée par Christophe Ono Dit Biot est aussi éditrice des éditions des Saints Pères où elle publie des manuscrits célèbres. Son roman s’apparente à celui de Delphine de Vigan. En effet, une jeune romancière est invitée à une grosse émission de télévision. Elle a le tract, évidemment, mais elle est aussi poursuivie par un dingue qui la harcèle sur les réseaux sociaux. Jessica Nelson dévoile les coulisses de l’émission. Chacun des protagonistes se confie. L’acteur, l’animateur, le politique… chacun son petit tas de secrets. Sous les projecteurs, la ro m a n c i è re / narratrice, est
forcément déçue, flouée : elle n’a que deux minutes pour « vendre sa marchandise » à un animateur n’a pas lu son livre. Au-delà de cette satire de la médiatisation, Jessica Nelson livre les fêlures de la jeune femme qui pourrait être son double. Cette « ombre » qui appartient à notre vie privée, cette fragilité, qu’aucune caméra ne reflètera. En mettant en lumière le fossé entre les apparences et l’intimité, elle permet à chacun de se reconnaître. Lorsque nous devons prendre la parole en public et devant les caméras, ne sommes-nous pas déstabilisés ? Comme disait Daphné du Maurier, les auteurs ne devraient jamais avoir à parler de leurs œuvres. Aujourd’hui, on assure sa promo, son service après vente, on participe à des salons, ces foires à bestiaux où l’on attend, honteux, derrière sa table, à côté de
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ces people qui vendent à tour de bras. Sans qu’elle ait à se déplacer, lisez « Tandis que je dénude », un livre plein d’humour, enlevé, tendre et profond aussi. Gageons tout de même que Jessica sera brillante sur TF1 ou France 2 ! Après « Un héros », portrait féroce de son père, Maurice Herzog, publié en 2012 chez Grasset, Félicité Herzog est entrée dans la Blanche avec « Gratis ». Une charge contre la mondialisation. Tout un programme ! Du côté de la fiction étrangère, Martin Amis, débarqué chez Calmann-Lévy après avoir essuyé un refus de Gallimard, publie « Zone d’intérêt », histoire d’amour dans un camp d’extermination nazi. Parmi les gros calibres : Dinaw Mengestu, David Grossman, Toni Morrison, Jim Harrison et David Foster Wallace qui publie un roman de près de 1500 pages,
« L’Infinie comédie », paru en 1996 aux Etats-Unis et enfin traduit en français. Mystère chez Grasset autour du « Métier de vivant », d’un certain François de Saintonge, pseudonyme d’un auteur confirmé qui a déjà publié sous ce nom de plume « Dolfi et Marylin » (Grasset, 2012). On parlera beaucoup d’Histoire de l’amour et de la haine, roman de Charles Dantzig où sept personnages nous font revivre les manifestations contre le «mariage pour tous ». Un petit moment de plaisir autour de la boisson préférée d’Hemingway : au Seuil, Philippe Delerm a délaissé la bière pour « Les Eaux troubles du mojito ». Pour les romantiques, Philippe Lacoche publie « Vingtquatre heures pour convaincre une femme » (Ecriture). Un beau roman autour d’une chanteuse qui quitte un journaliste, « looser ». Il a 24 h pour la reconquérir… Sacré challenge ! Une belle autopsie du couple, avec des scènes de sexe olé olé : « comme pour le remercier, elle lui tendit sa croupe. Il
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l’empoigna ; elle poussa un petit cri de plaisir quand il pénétra en elle… » Attention ! Une déferlante d’essais va s’abattre sur nos têtes à la rentrée. Trois livres sur le premier ministre grec et son parti, des analyses du terrorisme islamiste, des sujets bateaux : la conférence sur le climat, la rentrée scolaire, la préparation des primaires… A lire, à garder : « Ces amis qui enchantent la vie », de Jean-Marie Rouart (Robert Laffont). Une histoire d’amour avec des écrivains, les livres préférés de l’académicien. Un régal ! A l’occasion du centenaire de la naissance de François Mitterrand (26 octobre 1916) et des vingt ans de sa mort (8 janvier 1996), Eric Roussel publiera en sept chez Robert Laffont : « François Mitterrand, de l’intime au politique ». Un éclairage, entre autres, sur la déception sentimentale qui a dévasté le provincial catholique, le rôle de René Bousquet et l’affaire de l’Observatoire. Ce sera l’année Tonton ! L’année des femmes, surtout !
François Mitterrand (26 octobre 1916) et des vingt ans de sa mort (8 janvier 1996), Eric Roussel publiera en sept chez Robert Laffont : François Mitterrand, de l’intime au politique. Un éclairage, entre autres, sur la déception sentimentale qui a dévasté le provincial catholique, le rôle de René Bousquet et l’affaire de l’Observatoire. Ce sera l’année Tonton ! L’année des femmes, surtout !
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PHILOSOPHIE
Le vol des Cigognes PAR SOPHIE SENDRA
Lors de l’émission de Laurent Ruquier du samedi 29 août 2015, On n’est pas couché sur France 2, une question a été soulevée suite à l’article de l’Obs, intitulé « Doit-on les appeler « migrants » ou « réfugiés » ? Cet article, repris également sur France Inter, est la conséquence directe d’interrogations de journalistes de la chaîne qatarie Al-Jazeera et du journal britannique The Guardian.
Cette question très pertinente à laquelle Yann Moix tenta de répondre fut balayée d’un revers de la main par ses acolytes de plateau. Ces derniers opposaient la sémantique au réel, le langage au fait. Pourtant, quoi que l’on pense de Yann Moix, il est un écrivain attaché à la langue – quelle qu’elle soit – et à l’utilisation des mots, à leur origine, ce qui est loin d’être un défaut en philosophie.
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Ce débat avait déjà eu lieu après les événements du Rwanda : « Fallait-il utiliser le mot génocide ? ». Conséquences : querelles autour des chiffres, de l’étymologie, du sens, cercle herméneutique sans fin. Quelle réalité donne t-on aux choses lorsqu’on les nomme ? Est-ce le mot qui donne sens au réel ou le réel – « res », la chose – qui donne sens au mot employé ?
Le vol des Cigognes Dans l’article de Lucas Burel dans l’Obs, il est expliqué la résonance que peut avoir un texte de loi sur le sens des mots – UNESCO, HCR, Constitution – ce qui donne d’ores et déjà un éclaircissement au débat, mais ne doit-on défendre les mots que par les textes législatifs ? Il semble que nous confondons l’ornithologie et l’Humanité. Les oiseaux migrateurs et les migrants. Les oiseaux migrateurs sont appelés ainsi car, comme l’indique l’étymologie, ils « changent de résidence » - migrare en latin, ameibein en grec « échanger » -, « transmigrare », passer d’un lieu à un autre. Faut-il parler de « migrants » ? Si on considère que ces populations « changent de résidence », c’est que quelque chose n’a pas été compris. En employant le mot « migrants », l’idée selon laquelle ces personnes ne font que passer, rester un temps – une saison – et qu’à l’époque la plus favorable, ils rentreront dans leur pays d’origine, à
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leur convenance, est une idée plus que saugrenue. Elle engendre celle d’une envie irrépressible, une génétique de la migration, telles des cigognes, qui les incite à venir et à repartir à la belle ou morte saison. Quelle population européenne a quitté, de gaîté de cœur, sa sœur, son frère, sa famille toute entière
pour fuir les conflits, la misère, la dictature, la famine, tout cela sans regrets, sans avoir envie de revoir sa terre natale, ou encore les tombes de ceux qui sont restés ? Peut-on toujours parler de « migrants » ? Parlera t-on de « migrants » climatiques à la COP21, Conférence de Paris, des Nations Unies en novembre et décembre ? Non, nous parlerons de « Réfugiés climatiques ». Où sont les cigognes ? Elles fuient.
Le fond et la forme Ceux qui ont coupé la parole à Yann Moix avaient raison de souligner qu’il ne faut pas oublier le fond du problème afin de ne pas oublier l’essentiel : la fuite des populations, les drames, les solutions qui n’arrivent pas, les politiques attentistes, la solitude tragique des ONG. Mais il reste le verbe, le mot qui programme les comportements humains.
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Des cours entiers sont consacrés au langage en journalisme, en psychologie, en philosophie, en sciences politiques, tout ça pour que ceux qui en font une matière sacrée lorsqu’ils s’expriment, balayent son pouvoir quand ça les arrange. Le langage est un vecteur essentiel du conditionnement des comportements. Les éléments de langage ont un pouvoir, celui de transformer les idées en réalité. Les Boat People ont été considérés comme des « réfugiés » pas comme des migrants-envahisseurs. Les partisans du rejet parlent de « migrants », non de réfugiés. La cigogne ne vient pas du bon continent. La question se poserait-elle si une dictature sévissait en Suède, engendrant des milliers de morts, une famine, des camps où règne la peur ? Le réfugié serait sans doute le bienvenu. L’Islande serait secourue par cargos entiers. Faut-il faire du mot « migrants » une question de xénophobie ?
N’allons pas jusque là, disons qu’il s’agit d’une maladresse, celle d’un monde où les mots ne veulent dire quelque chose que quand ils nous concernent. Il aurait donc fallu laisser la parole à Yann Moix, engager le débat avec Léa Salamé, Laurent Ruquier et montrer que le mot a une importance, qu’il dit quelque chose de la réalité, de nous, de la direction que prend le monde pour s’améliorer ou se disloquer. Quand le langage n’a plus de sens ou qu’il s’appauvrit au point de devenir inexistant, c’est la violence qui émerge.
S’il fallait conclure En cette rentrée littéraire, parler de mots, de titres, de débats autour des futurs prix, des intellectuels, des écrivains, est une évidence dans un magazine littéraire et culturel. Parler du sens de ce que l’on dit et de ce que l’on écrit, pousser la réflexion jusqu’au bout sans oublier la réalité est précieux. Comme le disait
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Bergson dans L’Évolution Créatrice, « Le langage fournit à la conscience un corps immatériel où s’incarner ». Nous portons en nous la réalité de ce que nous disons, changeons le mot, nous changerons sans doute les consciences.
Rentrée littéraire
Une réflexion tout aussi pertinente que séculaire Par Laurence Biava - Photo DR manie en qualité de conseiller résident. Fin 2007, il est nommé chef de mission à l’Autorité de Contrôle Prudentiel. Il dirige aussi pendant trois ans la succursale de la Banque de France de Lyon. A l’issue de ce vaste projet, il part en juin 2014 en qualité de résident du FMI à Libreville, au Gabon.
A 53 ans, Jean-François Bouchard, haut-fonctionnaire, économiste, est un familier des grandes institutions financières et monétaires internationales. Ses missions l’ont conduit en Afrique, dans les anciens pays de l’Est, dans les Caraïbes ou ailleurs. Les circuits financiers, les opérations complexes, le blanchiment de l’argent sale, l’instabilité financière qui déséquilibre notre planète sont autant de domaines dans lesquels il a été amené à œuvrer. En 2005, il officie pour la Banque nationale de Rou77
Dans cet essai d’économie brillamment romancé – on parlera ici volontiers de biographie romancée – plus que d’un roman ! - retraçant le parcours étonnant de Hjalmar Schacht, génie des finances allemand du siècle dernier, Jean-François Bouchard souligne indirectement l’intérêt de s’inspirer de méthodes économiques qui ont fonctionné. Avec cette grille de lecture, la crise actuelle que nous subissons ne semble plus sans issue. Ou vouée simplement à l’échec, face aux difficultés croissantes entourant le grave problème que représente le chômage.. Ce livre, c’est la destinée authentique et presque incroyable d’un homme au cœur des guerres, des drames, des conspirations et des coulisses de la grande histoire, au cours des décennies dramatiques sur lesquelles, délibérément ou parfois sans le vouloir, il a profondément imprimé sa marque, annonce Bouchard dans les premières pages. Cet homme, c’est Hjalmar Schacht, dit « Le banquier du diable ». En 1933, Hitler le nomme ministre de l’éco-
nomie. Enfant issu d’un milieu modeste, élevé sévèrement dans les quartiers populaires du port de l’Elbe, brillant à l’école mais aussi moqué par ses camarades, il développe très tôt une personnalité distante, hautaine, arrogante. Après des études de philosophie et d’économie, (il consacre sa thèse au mercantilisme), il gravit une à une les marches du pouvoir. Commissaire à la monnaie de la République de Weimar en 1923, Hjalmar Schaht réduit l’inflation et stabilise le mark grâce à une initiative miraculeuse : la création d’une monnaie de transition, le Rentemark couvert par des hypothèques. La population adhère, c’est un succès magistral. Pour « ce sauveur de la monnaie allemande », la dévotion qu’il porte à son pays est sans limites. Il se rapproche du NDSAP et participe à l’arrivée d’Hitler au pouvoir, séduit par son programme économique. Nommé aussitôt président de la 78
Reichsbank dans une Allemagne encore très faible, il ne cherche pas à restaurer l’équilibre des comptes de l’Etat. Bien au contraire. Abolissant le dogme de l’équilibre des finances publiques, il applique une politique économique proche du New Deal (lancement de grands travaux) et applique ses propres recettes (rapatriement des capitaux allemands, restrictions des importations aux seules matières premières nécessaires au réarmement, organisation de l’insolvabilité de l’Allemagne vis-à-vis des ses créanciers extérieurs, création des bons MEF, etccc). Pour le pays, ce type est un héros. Hjalmar Schacht n’a pas sauvé l’Allemagne de la ruine une fois, mais à trois reprises. Hyperinflation, montagnes de dettes qui étranglent le pays, chômage qui touche sept millions d’Allemands : ce démiurge renverse toutes les situations C’est donc la fin du chômage qui sera pour l’Allemagne d’Hitler un facteur de stabilisation sociale et de consolidation du pouvoir en place. C’est triste à dire et douloureux à
écrire mais de ce point de vue, l’histoire incroyable du banquier du diable en fait la terrible démonstration. Et l’auteur de démontrer habilement comment la Wehrmacht est devenue l’armée la plus puis-
sante du monde. Et aussi, comment ce banquier, né sous Bismarck, mort sous Willy Brandt, œuvre au service du nazisme et des odieuses persécutions anti-juives.
L’ouvrage, très instructif, souligne une intéressante mise en parallèle de la situation de l’Allemagne de 1932 avec celle de la France en 2015. Bouchard dresse un portrait inquiétant d’importantes et étonnantes similitudes entre les deux pays voisins, à deux époques différentes. Ce livre pointu permet ainsi de poursuivre une réflexion tout aussi pertinente que séculaire : l’Europe, hantée par le spectre de l’hyperinflation ne commet elle finalement pas une grave erreur en s’obstinant dans la voie, sans issue, de l’austérité ?
Le livre abonde d’éclaircissements en tout genre sur cette époque démoniaque, ainsi que sur les motivations de sa collaboration avec Hitler dans les années 1930. Il détaille sa politique monétaire et économique, revient sur ses prises de distance (aussi) avec ce même régime. Enfin, on apprend comment ce financier conspire finalement pour renverser Hitler. Jeté dans un camp d’extermination, Le banquier du diable il survit miraculeusement. Devant le tribu- Jean-François Bouchard nal de Nuremberg qui juge les criminels de Essai – Max Milo – 290 pages guerre, les Soviétiques exigent sa tête. Acquitté, il devient après-guerre le conseiller très écouté des grands pays non-alignés. Un parcours hors du commun qu’il termine à 93 ans.
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REPORTAGE
JAZZ IN M
Arriver à Marciac par la route vous invite à serpenter sur de gnobles de l'appellation Madiran dans le département du Ge apparaît après une longue haie de platanes. Rapidement, il e tions musicales vous enveloppent dès vos premiers pas dans l Nous voilà digérés par la 38ème édition de Jazz In Marciac q pas moins de 120 concerts du 27 juillet au 16 août 2015 dans tournable qui devient le temps de l’été la capitale du Jazz !
Nicolas Vidal, envoyé spécial à Marciac- photos © Francis Vernhet 80
MARCIAC
e petites et charmantes départementales au coeur des viers. Puis, au bas d'une colline, le petit village de Marciac est évident qu'il se passe quelque chose ici tant les pulsales ruelles de la cité du Jazz. qui, pour cette nouvelle année, a proposé à son public trois lieux différents. Retour sur un événement incon-
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Les rues donnent lieu à un incessant balais d'aficionados de Jazz qui flânent, sifflotent, se désaltèrent et goûtent goulûment (pour certains) aux spécialités culinaires du Sud Ouest. On vous conseillera à cette occasion si votre route vous amène à Marciac de vous enfoncer dans les petites rues tout autour de la place de l'hôtel de Ville pour trouver un patio ou une gargote qui saura vous recevoir avec enthousiasme pour vous servir ce qu'il y a de meilleur (après le jazz bien sûr) au fil des assiettes qui contiennent une cuisine riche et délicate à base de fois gras, de tomates, de magret ou encore de confit de canard. Ensuite
il vous suffira de regagner à pied le chapiteau ou l'Astrada pour assister à ce qui se fait de mieux sur la planète Jazz alors que la nuit tombe langoureusement sur le village. Pendant deux jours, nous avons vécu sur le fuseau horaire de Marciac où les journées ne commencent réellement que vers 17 heures lorsque la chaleur baisse un peu, que la place de l'hôtel de ville s'emplit des notes jouées depuis la grande scène du OFF. Tout se termine dans les dernières volutes de musique aux alentours de 2 heures du matin. Mardi 4 août 2015 - 21 heures - Le chapiteau Nous avons eu la chance de nous imprégner de l'ambiance électrique
Ici à Marciac, les journées ne commencent réellement que vers 17 heures lorsque la chaleur baisse un peu, et que la place de l'hôtel de ville s'emplit des notes jouées depuis la scène du OFF
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du chapiteau où Stephane Kerecki a joué son projet "nouvelle Vague"en introduction de la soirée avec la performance survoltée d'Emile Parisien qui a littéralement cannibalisé avec tout son talent démonstratif la grande scène. Puis la belle et jeune Leyla McCalla a pris la suite de cette soirée où son trio s'est produit avec cette fraîcheur dévolue aux jeunes formations de talent. Leyla McCalla s'est adressée avec douceur dans un bon français à une salle conquise, sous l'effet magnétique de ses chansons folk & jazz. Enfin Marcus Miller a envahi la scène avec sa formation en pulvérisant ce qu'il restait de
sceptiques sous le chapiteau. Le bassiste new-yorkais a repris tous ces classiques en laissant une belle place à l'ensemble de ses musiciens qui s'en sont donnés à coeur joie entre solos et défis musicaux. pour son nouvel album Afrodezia. Du Marcus Miller pur sucre. On déplorera néanmoins le volume bien trop fort de la première partie du concert qui a littéralement écrasé les trente premiers rangs de la salle. Malheureusement, le Slap légendaire dévastateur de Marcus Miller en a pâtit. Assurément. Même si le show était à la hauteur de la notoriété du bassiste new-yorkais, on notera l'incroyable performance du jeune
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Le lendemain soir, changement de décor pour l’ambiance plus feutrée de l’Astrada, l’autre lieu phare de Jazz In Marciac pour une soirée placée sous le signe de la féminité jazz saxophoniste alto Alex Han (à la carrière déjà richement remplie) avec son jeu énergique et toujours juste donnant une réplique puissante à Miller. A suivre. Mercredi 5 août 2015 - 21 heures - L’Astrada
jeune londonienne est bien plus qu'une chanteuse. Elle compose, joue du piano et de la guitare. Pour cette soirée, Julia Biel a opté pour la carte de son nouvel album "Love letters and others Missiles" accompagnée par Idris Raman (basse) et Saleem Raman (batteur). Sur cette prestation, on aura préféré Julia Biel au piano pour son jeu plus ample, plus simple, plus jazz et mieux adapté à la salle et à l'assistance de cette soirée. Même s'il est incontestable que la londonienne peut faire de belles choses, ce concert a quelque peu été décevant au regard de ce que nous avions entendus et lus sur Julia Biel. Peut-être du au fait d'une oscillation trop fréquente entre le Folk, pop et le Jazz sans ligne bien définie. A revoir.
Le lendemain soir, changement de décor pour l'ambiance plus feutrée de l'Astrada, l'autre lieu phare de Jazz In Marciac pour une soirée placée sous le signe de la féminité jazz avec la chanteuse londonienne Julia Biel et l'inénarrable China Moses. Depuis son succès en 2013 avec "Nobody Lovees you", Julia Biel a connu une ascension fulgurante. Jamie Cullum en a d’ailleurs fait l'une de ses égéries. Il est vrai que Julia Biel a un style bien à elle qui oscille indolemment entre Jazz & Folk. La Au retour de l'entracte, China Moses a littéralement renversé l'Astrada avec sa fougue et son energie.
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Puis quelle voix ! China Moses parle beaucoup et met en scène chacune de ses chansons. C'est assurément pour la bonne cause. Accompagnée d'un impressionnant Luigi Grasso (saxophone), Mike Gorman (Clavier), Level Neville Malcom (contrebasse) et José Joyette (batterie), China Moses a largement joué son nouveau projet en cours de réalisation ainsi que quelques chansons de son dernier album " Crazy Blues". Avec les années, China Moses regorge de peps et d'une énergie qui laisse pantois. Une prestation pleine, frénétique et magnifique de China Moses qui a ravi un public totalement acquis à sons swing et à cette voix qui n'a de cesse à vous coller sur le siège. Un fabuleux moment ! On s'étonnera néanmoins que China Moses n'ait pu jouir d'une programmation sous le chapiteau qui aurait nettement plus correspondu à son style expansif qui déborde de joie et de musique. Encore une belle année pour cette
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nouvelle édition de Jazz In Marciac. Nous vous recommandons vivement de vous y rendre dès l'été prochain pour profiter de ce petit coin de paradis musical. Jazz in Marciac www.jazzinmarciac.com Informations Office de Tourisme Maison Guichard Place de l’Hôtel de Ville 32230 Marciac Tel : 0562082660 www.marciactourisme.com Retrouvez CEs artistes dans ce reportage sur leurs sites respectifs : www.stephanekerecki.com www.leylamccalla.com www.marcusmiller.com www.juliabiel.com www.chinamoses.com
JAZZ CLUB FOLKLO CLUB
Dom Flemon ALEXIA CO
Il est connu pour être le fondateur des Carolina Chocolate Depuis il a pris la route, seul, à la recherche d’un son authent Alexiasa Coley estdans originaire de l’Ouest de Londres, son style g prend source les racines musicale de l’Amérique. Prospect l’occasion rêvée pourTout nouscela de rencontrer Do charismeHill fou,est une voix remarquable. donne un alb mons afinbref, qu’ilune nous explique en détails musica souhait, belle découverte. Vous cette l’aurezquête compris, Ale laquelle il fait paraître un album qui ouvre l’appétit de voya avons dégotté de l’autre côté de la Manche. Le coup de fo Rencontre avec un musicien multi-instrumentiste passionnan
avec celle qui tient le haut du pavé sur la scène de la Soul O Propos par Nicolas Vidal-- photos DR D.R Par recueillis Nicolas Vidal Photo 86
ns OLEY
e Drops. tique qui
gravite dans le twist moderne, elle a un om Flebum détonnant, énergique, glamour à ale exiapour Coley est une chanteuse que nous age. oudre fut immédiat et brutal. Entretien nt ! Outre-Manche. 87
Alexia, pourriez-vous nous parler de votre première rencontre avec la musique? Ma mère, Ethel Coley, interprétait sur scène et à la télévision lorsqu’elle était enceinte de moi, donc la musique a toujours fait partie de ma vie depuis aussi longtemps que je me souvienne. Il n’y avait pas moyen d’y échapper, même si je le voulais. Nous avions auparavant un enregistrement de moi âgée de 4 ans, chantant Rudolph The Red Nosed Reindeer à ma grandmère. Malheureusement, mon père l’a supprimé accidentellement. Qu’est-ce que le fait de vivre à Londres vous a apporté au plan musical? Je vis à Londres, ville qui regorge de tellement de styles et de cultures, mélangés tout ensemble. J’ai été élevée en écoutant de la soul, du jazz, du swing, du reggae, mais également du blues et bien d’autres styles de musique. Tout cela a influencé mes chansons. D’où vient cette passion pour la Motown et la musique des années 1960 viennent? Ma mère faisait partie du casting original du hit musical révolutionnaire «Hair». Mes parents avaient également un goût de musique assez éclectique
et ils jouaient un mélange de différents genres. Donc, j’adore les mélanges. De la Soul, un peu de jazz et une touche de Blues semblaient être les genres où je me trouvais naturellement à l’aise en composant et en chantant. Votre album «Keep The Faith» est très mélodique et bien équilibré. D’où vous vient cette aisance à créer des mélodies tellement percutantes? Merci. Pour être honnête, je n’en ai aucune idée. Je rêve parfois et je me réveille avec une mélodie dans ma tête. Si je la rate, je la perds immédiatement. Ça peut venir n’importe quand, il est important d’avoir mon téléphone à proximité, prêt à enregistrer ce que j’entends. Quand je suis émotionnellement impliquée dans une situation, si je suis heureuse ou triste, la mélodie sort. J’écris les paroles en fonction de ce qui se passe dans ma vie et le fait d’écrire devient quelque chose de très thérapeutique. Pourriez-vous expliquer la signification du titre de votre album? Le monde de la musique est difficile, il est concurrentiel et je crois que cela a beaucoup à voir avec la chance et le timing. Ma mère m’a toujours dit de «continuer à escalader cette montagne, peu importe le nombre de fois
Propos recueillis par Nicolas Vidal - photos DR 88
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tier ; nous avons des poètes, des musiciens, des peintres etc. La vie quotidienne m’inspire pour mon écriture, les tracas des uns et des autres, mes coups de blues ainsi que mon rouge à lèvres ! Chaque jour, vous pouvez vivre une histoire ou une situation dans laquelle vous pouvez être impliqué ou non ! Je tire une leçon de chacun de ses moments pour écrire !
que tu trébuches et que tu tombes. Relève-toi et continue à escalader. Garde la foi». Son titre est très inspiré de ce que ma mère avait distillé en moi. De plus, «Keep the Faith» est un de mes morceaux favoris de l’album, donc il me semblait juste de l’appeler comme ça. Qu’est-ce que la zone de Ladbroke Grove de Londres vous inspire? Ladbroke Grove est historiquement reconnu pour être un foyer de créativité et d’inspiration. Il existe de nombreux types de créations dans ce quar-
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Nous sommes désireux de savoir comment vous composez vos chansons. Avez-vous une façon particulière d’écrire et interpréter vos compositions? Je réalise les paroles et les mélodies de mes chansons. J’ai quelques partenaires de rédaction ; Rob Gentry & Jon Gillies qui traduisent mes idées en agençant des accords autour de mes mélodies, puis ils ajoutent les instruments. Malheureusement, je n’ai jamais appris à lire la musique, comme j’étais trop paresseuse et impatiente. Je le regrette maintenant ... (ma mère me la toujours dit). Cependant, je suis
très impliquée dans cette partie. C’est super quand vous écoutez enfin la bande de ce qui se jouait dans votre tête ! Votre style est singulier et captivant. Où sont vos origines musicales Alexia Coley? Ma mère est ma plus grande inspiration ainsi que tous les artistes que j’ai écoutés en grandissant. Je suis une grande fan d’Otis Redding, Love Ella Fitzgerald, Sam Cooke, Randy Crawford, Etta James, Billy Holiday, pour ne citer que quelques-uns. Je pourrais continuer encore et encore, il y a tellement de grands artistes et des chansons là-dehors.
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Quelle est votre définition de la Black Music? La musique est la liberté d’expression, il existe de nombreux différents genres de musique. Une grande chanson reste une grande chanson. J’aime croire que la musique est définie par son message.
Alexia Coley Keep The Faith Jalapeno Records www.alexiacoley.com
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LA SÉLECTION MUSICALE
Hugh Coltman
Shadows Songs of Nat King Cole - (SONY/OKEH Music)
C’est toujours avec beaucoup de plaisir que nous retrouvons les différents projets du songwriter anglais. Ce qu’il y a de délicieux avec Hugh Coltman, c’est qu’il est à l’aise avec tous les genres qu’il aborde ( pop avec son groupe The Hoax, Jazz depuis ses débuts avec Eric Legnini ou folk quand il s’agit de lui ). Voilà un artiste polyvalent et soucieux de ses textes. Voilà peut-être une des pistes qui mène à cet incroyable talent depuis de si nombreuses années. Ce dernier album est une réflexion de longue date sur Nat King Cole qui s’est dessinée au fur et à mesure des collaborations. Un album empreint de réflexions, de musique comme un hommage à Nat King Cole à et sa propre mère. Saisissant.
YARON HERMAN Everyday (Blue Note ) Nous attendions avec beaucoup d’impatience le nouvel album de Yaron Herman. Lorsqu’on sait qu’il aurait pu devenir basketteur professionnel en Israël, on ne peut s’empêcher de penser que le jazz y aurait beaucoup perdu. Accompagné de l’immense batteur Ziv Ravitz, le pianiste israëlien nous enchante avec Every Day. 13 morceaux de haute volée (on recommandera bien entendu Vista) porté par le jeu aérien d’Herman et le rythme délicat de Ravitz. Un enchantement dont on reste pantois lorsqu’on sait que Yaron Herman s’appuie beaucoup sur l’improvisation autour de quelques thèmes. Délicieux, on vous dit !
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Kevin Bachelder/ Jason Lee Bruns Cherry Avenue (Autoprod )
Le chanteur et compositeur Kevin Bachelder s’est associé au percussionniste et producteur Jason Lee Bruns pour donner naissance à Cherry Avenue, un album fort intéressant qui se laisse déguster sans aucune difficulté. 10 morceaux qui suffiront à vous séduire tant les deux musiciens savent naviguer dans des styles bien différents qu’ils conjuguent à merveille dans Cherry Avenue. Un album qui se pare de plusieurs textures musicales mais qui conserve bien solidement l’unité du talent. Une découverte.
PAOLO FRESU
In Maggiore (ECM ) Paolo Fresu, le trompettiste sarde revient avec un énième album où il a convié Daniele di Bonaventura ( bandonéon). Paolo Fresu est fidèle à luimême. Il ne s’interdit rien à partir du moment où il prend du plaisir à jouer, à interpréter et à se transcender. In Maggiore ne déroge pas aux principes de la quintessence musicale de Fresu. A la base d’un dialogue entre la trompette et l’accordéon, le duo couvre un très large horizon de sonorités et d’influences passant de Puccini à plusieurs chansonniers, auteurs et interprètes du monde entier. Continuez donc à vous délecter de Paolo Fresu.
THE london souls
Here Come The Girls (Live Nation )
Ils viennent de Londres, ils assument avoir puisé leurs influences dans les Beattles et dans The Hollies, ils électrisent les scènes partout où ils passent. Car The London Souls, composés de Tash Neal ( guitare) et de Chris St.Hilaire (batterie) jouent à leur façon avec ferveur et enthousiasme un rock singulier qui navigue sur des rives musicales extrêmement variées et enlevées. Tash Neal a échappé à un grave accident de la route juste avant la sortie de l’album « Here com The Girls». Quel bonheur de flirter avec ce rock londonien qui déménage ! Coup de coeur absolu !
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Ilaria Graziano & Francesco Forni
From Bedland to Lenane (Aguacola records / L’Autre distribution)
Ilaria Graziano & Francesco Forni démontrent une fois de plus ( s’il était encore nécessaire de le souligner) que le Folk a élargi ses frontières bien loin des Etats-Unis. Quelque soit son point d’ancrage et sa nationalité, il a toujours cette même force évocatrice, sensible et parfois mélancolique. Le duo italien continue de renforcer la force du Folk avec From Bedlam to Lenane : Ilaria Graziano au banjo et au chant, et Francesco Forni à la guitare. C’est bon, c’est beau, c’est italien et c’est du Folk.
Mathias Eick
Midwest (ECM)
Mathias Eick, est aujourd’hui une figure importante dans le club très fermé des trompettistes qui comptent. Lui aussi vient de Norvège et vient grossir le rang des artistes incroyables de ce pays qui apportent tant au jazz dans tous ses genres et toutes ses disciplines. Midwest est un nouvel exemple de l’immense talent de Mathias Eick, signé chez le prestigieux label ECM. Lorsqu’on sait qu’il a partagé la scène, et ce, très jeune, avec des artistes comme Chick Corea ou Pat Metheny, on saisit mieux les prédispositions qui l’habitaient déjà et la carrière qui est la sienne maintenant. MidWest, à écouter sans retenue. .
Montevideo Personal Space
(Aguacola records / L’Autre distribution)
Encore un pur produit de la scène belge, Montevideo revient avec un projet à part, atypique et intéressant. On peut parler d’une identité toute particulière que se plaît à travailler Montevideo dans ce nouvel album. Il est évident qu’il y a une recherche d’unité au fil de chansons. Pourtant, à la première écoute, elles ont quelque chose de sensiblement différentes et variées. Entre un rock énergique et des variantes dancefloor savamment empilées sur plusieurs couches, le nouvel album de Montevideo « Personnal Space» devrait pouvoir retenir votre attention avec quelques pointes de plaisir.
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Alex Winston
Sister Wife
(Island Records ) La jeune chanteuse américaine Alex Winston semble avoir une idée bien à elle de la musique. Formée comme chanteuse d’opéra, elle s’est lancée dans la Pop avec une certaine audace. Dans cet album «Sister Wife », il y a peu près tout les facettes de la personnalité musicale d’Alex Winston qui propose un album très très pop où certains d’entre vous pourraient y trouver leur compte et se laisser aller à fredonner les mélodies qui la pigmentent. Candeur, fraîcheur sont au menu de l’audace épicée d’Alex Winston. À découvrir.
Charenee Wade
Offering (Membran )
L’album de Charenee Wade a deux spécificités. D’une part cet hommage à Gil Scott-Heron, musicien et poète de Chicago qui a su briser les lignes établies de la musique avec son son jazz & funk qu’il brillamment marié avec sa poésie. D’autre part, Charente Wade est la première voix féminine à reprendre l’artiste de Chicago. Pour cela, elle a spécialement choisi des titres parmi les plus singuliers de son répertoire.. Ainsi, vous voilà face à un projet à deux entrées : la découverte de Gill Scott Heron et la rencontre avec la nouvelle voix d’Harlem qui s’est entourée pour l’occasion de Christian Mc Bride, de Stefaon Harris ou encore de Marcus Miller. Rien que ça..
Lewis Evans
Halfway to Paradise (Belleville Music)
Lewis Evans ? En deux mots, c’ est un songwriter qui a baigné dans sa plus tendre enfance dans un univers familial très porté sur la chose musicale. Inévitablement, le jeune anglais ( devenu depuis un français par adoption après un road trip en France à bord du camping car familial) s’est lancé dans une carrière de chanteur. Aujourd’hui, l’enfant de Liverpool sort un premier album « Halfway to paradise» qui a le mérite de nous ramener à une époque des sixties, créé sous l’embrun des Beattles, de la Motown et de Simon and Garfunkel. Une découverte qui devrait ravir les fans de musique dans son spectre le plus large. On aime !
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Rémi panossiaN Trio
RP3
(Jazz Family ) Lorsque des musiciens s’acoquinent avec Eric Legnini, c’est qu’il y a forcément une bonne dose de talent qui s’y cache. Le Rémi Panossian trio fait partie de ces artistes qui pratiquent une charmante confusion des genres passant du Jazz au Rock et vice-versa. Le nouvel album du Rémi Panossian Trio « RP3 » ne déroge pas à l’inventivité et à l’audace musicale de cette formation. Le trio composé de Rémi Panossian ( Piano), Maxime Delporte (contrebasse), Frédéric Petitprez (batterie) sous la houlette d’Eric Legnini continue de séduire et d’enthousiasmer avec RP3. Conviendra en premier lieu aux amateurs de Jazz.
mélina tobiana
Mélina Tobiana (OutNote Records )
Un début musical très prometteur pour la jeune artiste Mélina Tobiana. Chanteuse et pianiste, Mélina Tobiana sort un premier album au titre éponyme. Formée au Jazz à l’IACP, la jeune artiste a appris beaucoup sur sa voix jusqu’à maîtriser son timbre avant d’entamer sa carrière. Après différentes expériences dans des cabarets parisiens, Mélina Tobiana sort ce projet avec la complicité musicale de Martin Guimbellot (Doublebass) Rémy Voide (batterie) Emmanuel Duprey (Piano & Fenderrhodes) et Stéphan Moutot (Tenor saxophone). Une jeune carrière que l’on va suivre de près.
VIRGINIE teychéné
Laura Dickinson
Encore
One for my baby
Le nouveau projet de Virginie Teychené aurait eu mille bonnes raisons de ne pas marcher ou de ne fonctionner qu’à moitié tant le projet est ambitieux. Reprendre dix morceaux de grands noms de la musique française pourrait très clairement représenter un sérieux danger pour la suite de sa carrière. Néanmoins, ce projet est autant abouti que réussi. Virginie Teychené a pris à bras le corps toute ces interprétations pour proposer un album plein de candeur avec un talent d’interprétation remarquable. L’album est à paraître le 6 octobre 2015. Pensez-y.
Laura Dickinson a déjà une réputation bien établie aux Etats-Unis grâce à ses succès à Hollywood dans le cinéma et les séries TV. Elle est également comédienne et directrice artistique. Alors Laure Dickinson aurait pu se contenter de cette polyvalence et de cette notoriété. Mais elle a décidé de provoquer la sérénité de sa situation professionnelle pour se confronter à une carrière de chanteuse de jazz en rendant hommage à Franck Sinatra « One for my baby to Franck Sinatra with love». Laura Dickinson a également assuré les arrangements de cet album qui est déjà un succès aux USA. À sortir en France le 23 octobre 2015.
(Jazz Village )
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(Socadisc )
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JAZZ CLUB
JAMILA FORD
Jamila Ford a commencé les scènes jazz en tant que choriste d Mélody Gardot. Puis la chanteuse a décidé de se lancer en so The Deep End est sa dernière production où l’on retrouve a gant et tout en délicatesse. On attirera votre attention sur ce originale de Jamila Ford qui, teinté de bossa nova, laisse un teuse qui devrait monter en puissance dans les mois à venir. Propos recueillis par Nicolas Vidal - photos DR
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d’artistes de premier plan comme olo dès le début des années 2000. avec plaisir son chant assuré, élée délicieux Silencio, composition bel aperçu du talent de la chanDéjà une valeur sûre !
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Pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec le jazz ? Ma première rencontre avec le jazz a eu lieu quand j’étais une petite fille âgée de 2 ou 3 ans. Mes parents écoutaient Nat King Cole. Je me rappelle encore écouter «Young at Heart ». Sarah Vaughn et Nina Simone sont aussi très influentes pour moi, surtout Nina Simone. Je me rappelle quand mon père écoutait la musique de Sarah Vaughan dans sa voiture en nous déposant, mes frères et moi, à l’école le matin. Pourtant, le fait que je chante du jazz est un hasard. Bien que mes parents écoutaient du jazz pendant mon enfance, j’étais bien plus intéressée par la pop et R&B qui passaient à la radio à l’époque. J’étais en primaire dans les années 80 et au lycée dans les années 90, j’écoutais alors Madonna, Boys II Men, Janet Jackson, SWV - toute la musique populaire de ces années. C’est aussi à cette même période que j’ai réalisé que j’aimais chanter et je m’imaginais devenir une pop star. Un jour , j’ai acheté un vieux
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«J’ai l’impression d’être entrée dans le jazz par accident» lecteur cd dans une brocante. La pochette était d’un beige moche tout en plastique, mais il fonctionnait et je voulais en avoir un pour ma chambre, comme ça je pouvais écouter de la musique avec un casque et mieux me plonger dans les chansons. J’ai ensuite déterré les vieux cd de mes parents - Stevie Wonder, Aretha Franklin - c’est là que j’ai sérieusement caressé l’idée de devenir chanteuse, écrire des chansons et apprendre à arranger. J’ai écouté ces chansons encore et encore et j’ai appris chaque ligne par coeur. J’ai rejoint la chorale de l’école au même moment et je chantais dès que je le pouvais. J’ai l’impression d’être entrée dans le jazz par accident. Quand j’ai eu mon bac, j’ai été acceptée à l’université de Californie pour le programme de musique de Riverside. J’ai été la
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première de ma promotion avec une spécialité performance vocale. Le premier jour à l’université, il y avait des auditions pour rejoindre différents groupes de musique. Durant une audition pour l’une des chorales, le directeur a aimé ma voix et m’a suggéré d’auditionner aussi pour l’orchestre de jazz. Je l’ai fait et j’ai été acceptée. Aussi loin que je sais, ils n’ont jamais eu de chanteur dans leur orchestre. Le directeur de l’orchestre à ce moment là, Bill Helms, avait accompagné Sarah Vaughan au trombone. Je trouvais que c’était une drôle de coïncidence. L’université était pour moi un bon endroit pour me concentrer sur l’apprentissage de mon métier de chanteuse et explorer l’écriture. Bill Helms a organisé pour l’orchestre des représentations et il nous a encouragés à trouver nos propres concerts. C’est là où j’ai commencé à fonder mes propres groupes et à faire des concerts pour divers événements en ville. J’apprenais tous les grands standards ainsi que le Scat. Je n’écrivais pas encore de chanson jazz, cepen104
dant. Et même si certains des grands noms du jazz m’avaient fortement influencée, je me considérais encore comme une chanteuse pop et R & B. J’écrivais des chansons pop, et les grandes chanteuses du moment, Celine, Mariah, Whitney étaient très influentes sur ma manière de chanter et d’écrire. J’admirais leur puissance vocale et leur technique. Bien que je ne chantais presque que du jazz, j’étais un peu dans le déni d’être en réalité une chanteuse de jazz. Je pense que c’est simplement parce que j’étais jeune et, autant que je le sache, aucune jeune célébrité ne chantait et n’écrivait des chansons de jazz. Je ne voyais pas où je pouvais trouver ma place dans ce monde. Lorsque j’ai eu mon diplôme, je trouvais le monde de la musique difficile. Ce n’est pas comme devenir médecin ou expert-comptable, où la voie est libre et vous savez où vous allez travailler et comment vous allez payer le loyer. Je vivais à la maison avec mes parents à l’époque, de sorte que le loyer ne soit pas une préoccupation. Trouver ma
voie en tant que chanteuse était ma mission. Je continuais à m’occuper de mes concerts, j’écrivais et j’enregistrais. J’ai sorti mon premier EP pendant que j’étais à l’université. J’en ai écrit toutes les chansons. Je voulais que cet enregistrement soit une démo à montrer aux producteurs et aux labels, et j’ai décidé de la sortir en indépendante. J’ai également commencé à chanter en back up pour d’autres artistes. Je ne sais pas qui était le premier artiste ou comment il m’a trouvé, mais c’est là que chanter dans les choeurs et écouter intensément les harmonies de Stevie Wonder a payé. J’aimais faire ça et ça m’est venu facilement. J’étais capable de me fondre avec d’autres chanteurs et de compléter leur son. Comment a commencé votre carrière comme chanteuse ? J’ai chanté dans la chorale à l’école. Quand j’ai eu seize ans, j’ai fait une tournée dans les États-Unis avec une chorale pendant trois mois au cours d’un été. Quand je suis rentrée, j’ai rencontré deux autres filles grâce à un agent qui formait un groupe 105
de filles avec des producteurs. Le plan était de vendre le groupe à des labels. Ils avaient déjà deux filles et ils en voulaient une ou deux de plus. J’ai passé l’audition et j’ai été acceptée. J’ai commencé à enregistrer avec elles tout de suite. C’est à ce moment là où j’ai appris à travailler en studio. J’ai appris à empiler et à mélanger le support et le chant principal ainsi que créer une chanson avec un ensemble vocal. J’ai vraiment apprécié le processus. Ce fut ma première expérience dans un studio professionnel. Nous allions de Rialto, où j’ai grandi, à Los Angeles. Il fallait au moins une heure de route et c’était toujours tard dans la nuit. Les producteurs avaient des pistes prêtes et ils écrivaient les chansons sur place. Ils nous disaient ce qu’ils voulaient nous faire chanter et nous chantions. On n’a jamais donné de concert public, mais nous avons enregistré plusieurs chansons ensemble. Le groupe a finalement rompu, car il n’a jamais été signé par un label, mais ça a été une expérience d’apprentissage précieuse pour moi. Je dirais que c’est là que ma carrière de chanteuse profession-
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nelle a véritablement commencé. Les compétences que j’ai apprises pendant ce temps me servent encore quand je travaille en studio. Comment avoir concilié la vie de choriste et de chanteuse au début de votre carrière ? J’ai trouvé cela assez facile artistiquement de naviguer entre chanteuse principale et choriste. Ces deux activités sont du même monde et donc elles n’ont jamais été un gros problème pour moi. Si je suis sur un projet qui m’occupe, alors c’est parfait pour moi. Cela signifie que je fais assez d’argent pour enregistrer mes chansons. Je me considère comme une artiste, une chanteuse et une compositrice. Je pense que je dois porter ces différentes casquettes. Je porte certaines casquettes plus souvent que d’autres. La plupart des artistes que je connais pensent de cette façon. Nous avons beaucoup de talents et de capacités
que nous nous mettons à utiliser d’une manière ou d’une autre. Nous l’équilibrons juste pour que ça fonctionne car on aime ça. Je dois dire qu’il est beaucoup plus facile de concilier activité artistique et chant qu’un job dans un bureau, ce que j’ai fait pendant de nombreuses années. J’ai travaillé en tant que réceptionniste dans plusieurs contextes différents. C’était difficile, car cela me laissait peu d’énergie pour être créative et faire de la musique. Je connais des artistes arrivant à travailler la journée au bureau et assurer des représentations le soir. Je suppose que cela dépend de la personne. Je sais que certaines personnes peuvent faire ce travail. Je pense aussi qu’en tant qu’artiste indépendante, lorsque vous êtes en tournée avec quelqu’un en tant qu’accompagnant, il peut être facile de se perdre. Certains artistes donnent à la personne qui les accompagne leur «mo-
« Il est beaucoup plus facile de concilier une activité artistique et le chant qu’un job dans un bureau, ce que j’ai fait pendant de nombreuses années» 107
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ment» dans le spectacle (ou leur chance en solo sur scène ) afin que le public sache comment chacun contribue au projet. J’ai travaillé avec des artistes pendant de longues périodes qui ne donnaient pas cette chance. Lorsque cela se produit, il peut être facile de se perdre et même oublier le son de votre propre voix résonnant dans une salle. Etrange mais vrai. Votre EP « The Deep End » a joliment marqué votre carrière et a été acclamé par la critique. Pouvez-vous nous conter son histoire ? J’avais pensé à l’enregistrement d’un disque de jazz pendant longtemps. Jusque-là, je n’avais enregistré qu’en tant qu’auteur interprète avec une forte influence R & B. Je voulais aussi écrire mes propres chansons donc j’étais habituée que les chansons soient de ma composition. J’ai d’abord décidé d’enregistrer des chansons qui me parlent. Je n’étais pas sûre de ce à quoi je voulais que l’enre-
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gistrement ressemble. Je ne savais pas exactement comment je voulais aborder la musique. Je ne travaillais avec aucun producteur de jazz. Je n’avais pas eu beaucoup de chance avec les producteurs dans le passé et j’avais fini par produire toutes mes chansons moi-même. En tournée avec un artiste qui faisait tous les festivals de jazz, j’ai rencontré un producteur en coulisses. Je lui ai fait part de mon désir d’enregistrer un disque de jazz, mais que tout a déjà était fait et re-fait. Comment puis-je le rendre intéressant ? Il a dit, «Ne vous inquiétez pas d’être intéressante, soyez juste vousmême ! » Ce conseil m’a suivi tout au long de la réalisation de « The Deep End » et il a continué s’harmoniser avec ce que je tentais de faire, même si je ne le savais pas à ce moment. Ce fut l’un des meilleurs conseils que j’ai jamais eu. Sugar, All Blues and Gentle Rain ont été une partie de mon répertoire depuis mes années de collège. Wild is the Wind
était celui que je devais encore réaliser, mais il m’a toujours particulièrement ému et je savais qu’un jour j’allai l’enregistrer. J’ai écrit Silencio avec mon ami, Jeff Crerie, avec qui j’ai collaboré de
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nombreuses fois. En fait, Silencio m’a donné l’impulsion pour l’enregistrement de l’ EP. J’avais créé une démo pour Silencio avec Jeff entre des tournées et après avoir réfléchi sur ce qu’il fallait
faire avec elle pendant un long moment, j’ai décidé qu’il serait adapté à un disque de jazz. Chaque enregistrement d’un artiste est représentatif de ce qu’il vit à un moment particulier dans le temps - l’ensemble de ses humeurs et l’énergie du projet est liée à son expérience. Pour moi, c’était la même chose. Je devais faire face à beaucoup de craintes avec cet enregistrement. Quand nous nous approchions du moment d’enregistrer les titres, il est devenu très clair que je ne savais pas du tout ce que je faisais. Je n’avais jamais enregistré un disque de jazz avant. Habituellement, j’écrivais la chanson, je l’ai fait plusieurs fois et l’ai construite en studio avec les musiciens et ingénieurs. Je me suis rendu compte que j’allais avoir besoin de plus de préparation que prévu. Ce que j’avais déjà, c’étaient des thèmes concrets que je voulais inclure dans notre enregistrement. J’ai connu Mitchell Long (guitare) et Chuck Staab (batterie)
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en étant choriste pour Melody Gardot. Les King (basse), je l’ai rencontré en chantant pour un artiste indépendant à Los Angeles et Pete Kuzma (piano) était bon ami avec Chuck. En l’espace de quelques jours, nous avons répété une fois, nous avons joué un spectacle et puis nous avons enregistré l’EP. À certains égards, je pense que cela a fonctionné à l’avantage du projet, il y avait une bonne ambiance, une nervosité saine, car on ne savait pas comment ça allait fonctionner. Je pense que ce fut une tension nécessaire, semblable à celle de quand au joue devant un public. La veille de la session, Mitchell est venu à chez moi et il a créé les arrangements pour Sugar, Gentle Rain and Wild is the Wind. Tout le Blues a été arrangé dans le studio sur place. Autrement dit, une fois que nous étions dans le studio, je jouais ce qui me plaisait. Chuck était venu avec le rythme pour All Blues pendant les répétitions et il s’est démarqué. En fait,
“Je voulais rendre hommage à ces chansons ainsi qu’à mon passé qui a baigné dans le jazz ” le piano change, ce que vous entendez au début et à la fin de l’enregistrement était sur la bande de répétition et je leur ai demandé de l’incorporer au début et à la fin de la chanson. Chuck et Pete communiquaient entre eux magnifiquement sur la chanson. Nous avons enregistré dans une pièce et toutes les chansons incluant les voix ont été enregistrées en une seule journée. Je pense que j’ai interprété seulement deux fois le chant de Gentle Rain et Silencio où j’y ai ajouté quelques chœurs à Silencio. Pete Korpela (percussion) était en tournée, mais il voulait être impliqué. Il a donc enregistré ses parties à distance à partir d’une chambre d’hôtel dans l’Idaho. Une fois que nous avons enregistré les chansons, je ne les ai
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écoutées qu’un mois ou deux après car j’avais une forte appréhension. Cette expérience a été un peu chaotique dans mon esprit car j’étais très mal à l’aise avec cela. Je me jugeais moi-même avec beaucoup d’exigence. Mon ingénieur de mixage, Thomas Hornig, n’a pas cessé de me pousser à l’écouter et à terminer le projet. Sans lui, le cd n’aurait peut être jamais vu le jour. Enfin, j’ai écouté et plus je vivais avec les enregistrements, plus je les aimais. Maintenant, je suis heureuse et fière de la façon dont ce projet a tourné. Thomas m’a aussi encouragé à présenter The Deep End de 2015 aux Grammys. Je pensais que j’allais gâcher mon temps, mais Thomas avais été avec moi tout le long, il a cru
dans mon projet et je voulais lui donner la chance de profiter de tout le succès que nous pourrions rassembler pour son travail. J’ai accepté de le soumettre et The Deep End a été nominé pour le meilleur album de jazz vocal, Meilleur Nouvel Artiste et Meilleur enregistrement. Après toute cette agitation intérieure, ce fut une belle reconnaissance de ce travail. Pourquoi avoir choisi d’enregistrer de grands standards pour cet EP ? J’ai enregistré ces classiques particuliers parce qu’ils ont été une partie de ma vie pendant de nombreuses années. Ils faisaient partie de mon éducation, non seulement dans le sens littéral, mais aussi pour apprendre à façonner ma voix comme un artiste de jazz. Je voulais rendre hommage à ces chansons ainsi qu’à mon passé baigné de jazz. Chaque fois que je les ai chantées, le sens a changé pour moi. L’ambiance et le ton des chan-
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sons ont évolué avec moi au fil des ans. Ceci est la chose la plus intéressante pour moi au sujet de jazz - la même chanson peut être chantée un million de fois, dans un million de façons différentes. C’est toujours frais . Pouvez-vous nous en dire plus sur la signification de ce titre ? Mon passé est si intime avec le jazz que pendant un moment je ne pouvais pas le reconnaître et l’assumer mais au fil des ans, j’en suis devenue capable. Je pense que le sens du titre « The Deep End» est que je suis enfin capable de plonger dans ce que je suis et de m’accepter, peu importe si les imperfections sont nombreuses et peu importe si les autres sont prêts à m’accepter. Au fil du temps , j’ai compris que ça compte de moins en moins. Il va bien falloir si je veux vivre ma vie aussi pleinement que je veux et m’exprimer autant que je veux. Je pense que j’ai trouvé le titre quand je pensais à tous les démons auxquels je faisais face
en concevant et en enregistrant ce projet. Je devais faire preuve de courage. Je devais l’utiliser comme une sorte de canot de sauvetage et j’ai du plonger dans tout cela, pour ainsi dire. Ce fut un long processus, mais je suis prête à aller en profondeur avec ça. Pourtant, j’ai encore l’impression de ne gratter que la surface.
écrites, je les ai testées sur mon public. Ils semblent aimer ces nouveautés. Comme autre projet j’ai le groupe TJ Doyle, une sorte de blues / rock / alternatif. Les cd d’hommages marchent beaucoup en ce moment et je chante avec quelques-uns. Je travaille avec Bella Donna , un hommage à Fleetwood Mac et Stevie Nicks, un hommage aux Aujourd’hui quels sont vos pro- Supremes, et un autre pour Dujets musicaux Jamila Ford ? ran Duran. Tout cela est amusant Je travaille sur mon prochain - c’est ce qui importe ! projet. Je sais où je veux aller. J’explore encore plus le jazz, Jamila Ford avec le blues et mes racines haï- The Deep End tiennes. Ma mère est haïtienne Skinny Chick Records et je redécouvre certains des en- www.jamilaford.com registrements folkloriques que ma mère avait l’habitude de jouer à la maison quand j’étais enfant. J’écoute cette musique et je trouve ce qui résonne en moi. Je suis également en train de décider quelles seront les normes pour mon prochain album. J’écris pour mon nouveau projet et j’ai présenté certaines des nouvelles chansons que j’ai
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JAZZ CLUB
Jon Regen
Jon Regen est tout d’abord un immense artiste qui s’appuie déjà sur une carrière impressionnante de collaborations et d’associations ( Kyle Evans, Jimmy Scott ...). Pour son huitième album, Stop Time, Jon Regen repousse encore plus loin les limites d’un son délicat avec ce quelque chose pop. Mais, à bien y regarder, cette mise en boîte stylistique serait confiner malheureusement son projet à un manque d’imagination artistique. C’est bien plus que cela tant cet album est un enchantement du début à la fin où n’importe qui ( s’entend, mélomane ou pas) trouvera forcément un morceau à la mesure de son plaisir. Jon Regen a accepté avec enthousiasme à répondre à nos questions. Passionnant. Propos recueillis par Nicolas Vidal - Photos DR 116
Jon, un album incroyable ! Vous avez accompagné de grands artistes tels que Kyle Eastwood D’où vient-il ? Merci, c’est gentil. Je pense que mon nouvel album Stop Time est vraiment l’étape suivante quant à la progression de ma carrière en tant que chanteur, compositeur et pianiste. J’ai déjà publié sept albums jusqu’à aujourd’hui, en tant que leader – trois albums de jazz instrumental (From Left to Right en 1996, Live at the Blue Note en 2000 et Tel Aviv en 2001), et quatre albums en tant que chanteur/compositeur (Almost Home en 2004, Let It Go en 2008, Revolution en 2011 et maintenant Stop Time en 2015). En espérant à chaque fois, que vous créez un album et que vous sortez un recueil de chansons, évoluer en tant qu’artiste. Cette fois-ci, j’ai travaillé extrêmement dur pour amener ma musique à un niveau supérieur. Je veux toujours raconter une nouvelle histoire avec chaque nouveau projet que je présente, et je pense que, sur ce nouvel album Stop Time, vous êtes en mesure d’écouter la pratique musicale d’un nouveau niveau, dans tous les sens du terme.
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ou Jimmy Scott. Qu’avez-vous appris grâce à ces collaborations ? J’ai eu la chance de travailler avec de grands musiciens, à la fois en tant que leader à mon compte, et lorsque le bon projet se présente, en tant que sideman. Dans le cas de Kyle Eastwood, j’ai rejoint son groupe en 1999, à l’âge de 29 ans. Faire partie de son groupe m’a permis de m’introduire en Europe en tant que musicien professionnel. Même si j’y avais été en vacances étant enfant, travailler avec Kyle m’a permis de me retrouver directement au centre du monde de la musique, de jouer dans des clubs et des festivals célèbres comme le New Morning à Paris, Jazz à Juan à Antibes et bien d’autres événements importants. Ce fut un réel plaisir de découvrir l’amour que l’Europe a pour tous les styles musicaux, et pour le jazz en particulier. J’emporte ces expériences avec moi jusqu’à aujourd’hui lorsque j’emmène mon groupe en tournée dans toute l’Europe et dans le monde entier. Jouer avec Kyle m’a également appris à mener un
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groupe – il était extrêmement généreux quant à sa façon de laisser ses musiciens « briller » sur scène. J’ai essayé d’apporter à mon travail, en tant que leader d’un groupe, ce sens de la collaboration et de la communauté. Dans le cas de Jimmy Scott, j’ai appris des leçons de vie, à la fois musicales et personnelles. Je ne chantais pas beaucoup en 2001 lorsque j’ai rejoint son groupe – je me concentrais principalement sur le piano. Ainsi, pour avoir la chance d’apprendre à accompagner un véritable maître comme Jimmy, nuit après nuit sur le piano, il m’a appris à envelopper une partie de piano autour de paroles qu’un vocaliste chante. J’ai appris à formuler, à raconter une histoire avec une chanson et à le faire avec grâce et humilité. Je suis sûr qu’une partie de mon style vocal vient de ces années passées derrière le piano dans le groupe de Jimmy. Il m’a appris à être un chanteur téméraire. Il a dédié toute sa vie pour avoir une chance de mener sa carrière, et lorsqu’il l’a obtenue, il a profité de chaque instant. Je pense qu’il m’a également transmis ça. Il m’a appris à faire en sorte que chaque note compte. 120
Comment avez-vous pris la décision de vous lancer en solo il y a quelques années ? Pour dire vrai, j’ai toujours mené mes propres groupes – allant de mon premier trio de jazz à l’âge de 17 ans dans ma ville natale du New Jersey (nous jouions dans un pub irlandais!), aux groupes de jazz que j’ai menés pendant ma scolarité lorsque j’étudiais avec le pianiste légendaire, Kenny Barron, et que je trimballais un Fender Rhodes dans ma voiture pour les concerts. Je pense que j’ai réalisé très tôt que deux choix étaient possibles en tant que musicien : vous pouvez attendre d’être « découvert » ou vous pouvez faire en sorte que vos propres chances se présentent à vous. Donc très tôt, j’ai appris à écrire mes propres chansons, à mener mes propres groupes, à organiser mes propres spectacles, à enregistrer mes propres albums et à me promouvoir. J’ai toujours travaillé en tant que sideman en même temps que je dirigeais mes groupes. Je pense qu’il est important que tous les musiciens comprennent de quoi il s’agit même s’ils veulent d’abord être des sidemen. Ceci vous permet d’apprendre à prendre le contrôle de votre propre
destin, musicalement, financièrement et en tant qu’artiste à votre compte. Ma carrière solo en tant que chanteur/ compositeur a commencé en 2004 lorsque j’ai quitté le groupe de Jimmy Scott. J’étais réellement fier de l’avoir accompagné nuit après nuit, d’avoir joué des chansons comme “Pennies from Heaven”, “You Don’t Know What Love Is” et “Embraceable You”. Mais je pense que, dans mon cœur, j’ai réalisé que je ne racontais pas ma propre histoire, que j’avais besoin de découvrir à quoi ressembleraient mes propres chansons. J’ai toujours dit que les « références » devenaient uniquement des chansons de référence parce que quelqu’un avait eu le culot de les écrire ! J’ai donc décidé de saisir cette opportunité et d’écrire mes propres chansons. C’est là que j’ai recommencé à me connecter à la musique pop. J’adorais la musique populaire lorsque j’étais enfant, j’écoutais de tout, allant des Beatles, Sting et the Police à Duran Duran et d’autres groupes pop des années 80. Donc, lorsque j’ai songé à écrire mes propres chansons, j’ai essayé, de manière instinctive, de connecter la puissance et l’économie d’une chanson pop de 3 minutes avec la couleur et l’aventure que l’harmonie 121
du jazz offre. Mon premier album en tant que chanteur/compositeur “Almost Home” s’est enregistré en seulement huit heures, le temps d’une journée. Mais il a changé le cours de ma carrière. Les gens ont écouté mes premiers morceaux et ont dit : « Qui c’est ? Puis-je l’engager ?” J’ai donc su que c’était un bon départ ! Pourriez-vous nous faire une confidence musicale sur Stop Time ? Mon nouvel album Stop Time est arrivé après le succès de mon précédent album Revolution, que j’ai produit avec le plus grand pianiste/producteur Matt Rollings (Lyle Lovett, Mark Knopfler). Après avoir fait la tournée de cet album dans le monde entier pendant trois ans, j’ai su qu’il était temps de travailler sur le prochain album. Le titre au parfum de la Nouvelle Orléans a été écrit après une jam session avec l’acteur Jeremy Irons lors d’une fête à Londres (vous pouvez voir le clip dans la bande annonce de l’album sur https://youtu. be/IgDJU0K7shg.) Une fois que cette chansons était terminée, j’ai eu l’idée de collaborer avec le grand producteur britannique, John Porter (Ryan Adams, BB King, the Smiths, Rickie Lee Jones),
parce qu’il vivait à La Nouvelle Orléans à cette époque. Nous avons envisagé de créer un album en utilisant des musiciens de La Nouvelle Orléans, mais John a eu des problèmes 122
d’emploi du temps à la dernière minute. J’ai ensuite eu l’idée de rechercher le producteur Mitchell Froom (Randy Newman, Paul McCartney), et d’emmener l’album dans une di-
rection complètement opposée. J’ai toujours été un grand fan du travail de Mitchell, et saisir la chance de travailler avec lui était une sensation forte. Mitchell a eu l’idée de créer un album plus “minimaliste”, qui se centre sur ma voix, ma façon de jouer du piano et, surtout, mes compositions. Il m’a poussé à continuer d’écrire jusqu’au dernier instant, et je l’ai fait. Il a été un excellent meneur et m’a vraiment poussé à creuser au plus profond pour obtenir les meilleures chansons que je puisse écrire. Quel rôle cet album joue-t-il dans votre carrière ? Je pense que seul l’avenir est en mesure de répondre à cette question ! J’espère que Stop Time est une étape supplémentaire dans mon évolution continue en tant qu’artiste. J’espère que les gens ressentiront l’honnêteté de la musique et qu’ils auront également envie de bouger. Et ce que j’espère par-dessus tout c’est que l’album sera présenté à des personnes et dans des lieux qui ne l’ont jamais écouté auparavant.
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Nous ressentons une grande complicité avec vos musiciens. D’où vientelle ? Mon producteur Mitchell Froom a eu l’idée de me mettre avec Pete Thomas aux percussions et Davey Faragher à la basse, deux membres du groupe d’Elvis Costello, The Imposters. Son idée était d’avoir une section rythmique derrière moi qui s’écouterait comme s’ils étaient mon groupe de tournée. Et ils ont tellement de groove que vous ne pouvez pas vous empêcher de ressentir un soutien parfait grâce à leur façon de jouer. Enregistrer avec eux a été l’un des moments phares de ma carrière musicale. Je les ai même engagés pour jouer avec moi lors du concert de la sortie de l’album à New York, il y a quelques mois. Je sais pourquoi Elvis joue avec eux, ils sont incroyables ! Pourriez-vous expliquer la signification du titre de cet album «Stop Time» ? Il y a un jeu de mot avec le titre. Évidemment, c’est le nom de l’une des chansons de l’album, une chanson qui est basée sur l’impression d’une sorte de marche « Temps d’Arrêt » de la Nouvelle Orléans. Mais au-delà de ça,
l’idée qui se cache derrière le nom “Stop Time” était de rendre hommage au processus d’écriture de l’album, et où j’en étais dans ma vie lorsque j’ai écrit ces chansons. Juste avant d’enregistrer l’album, je venais de me marier. Ma femme m’a beaucoup appris quant au fait de savoir savourer le moment présent et de prêter attention aux petits détails de la vie. En tant qu’individu et, surtout, en tant que musicien, nous pouvons tellement nous faire attraper par le lendemain que nous perdons le fil du moment présent. Et donc en appelant l’album “Stop Time”, j’ai essayé de « Prêter attention au moment présent ». Je pense que beaucoup de chansons de cet album commémorent cette idée, ce que vous avez déjà et mieux que ce que vous pensez devoir avoir.
avec les personnes qui écoutent de la musique sur leur iPhone, sur Spotify et Apple Music, les frontières entre les styles musicaux deviennent de plus en plus floues. Les personnes écoutent ce qu’elles aiment, peu importe le style.
J’ai l’impression que vous ne vous mettez aucune barrière, vous créez et jouez comme bon vous semble. Est-ce le cas ? Pour moi, la musique commence vraiment avec une réaction physique. La façon dont je joue du piano ou j’écris une chanson vient d’une étincelle dans mes mains ou mon cœur. Mon esprit entre en scène après coup. Je suis aussi inspiré et intéressé par Martha Argerich qui joue Schumann, que je le suis pour Herbie Hancock qui joue “Round Midnight” ou Sting qui chante “Roxanne”. Les belles Comment définiriez-vous le style de mélodies, les harmonies addictives et cet album, étant donné que vous na- les rythmes contagieux viennent de tous viguez facilement entre le jazz, la pop les styles de musique. C’est pourquoi je et le rock ? préfère m’ouvrir à tout. Je pense que c’est un album pop/jazz. Les chansons sont des chansons pop Si vous deviez définir cet album en quant à leur conception, mais le “swing” deux mots ? et l’élément rythmique viennent du jazz. Humour et cœur. C’est une description Pour moi, la musique, c’est de la mu- assez précise de ma musique et de ce sique. Je pense que surtout aujourd’hui, que je suis ! 124
Où pouvons-nous vous voir sur scène dans les semaines à venir ? Vous pouvez me suivre sur www. jonregen.com pour connaître les dates de notre prochaine tournée et obtenir des informations complémentaires sur mes concerts. De nouveaux spectacles aux États-Unis et en Europe seront annoncés très
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prochainement !
Jon Regen Stop Time Motéma
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Beauté Congo? Une explosion de créativité kinoise ! La Fondation Cartier accueille jusqu’au 10 janvier 2016 une exposition mettant à l’honneur les artistes congolais ayant jalonné depuis près d’un siècle l’histoire de cette singulière République démocratique. De la peinture à la photographie en passant par la bande dessinée, près de 300 oeuvres témoignent avec éclectisme de l’extraordinaire vitalité propre à cette école africaine encore trop méconnue. PAR FLORENCE YÉRÉMIAN
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JP Mika, Kiese na kiese , 2014 Huile et acrylique sur tissu, 168,5 x 119 cm Pas-Chaudoir Collection, Belgique © JP Mika Photo © Antoine de Roux
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L’EXPO EN COURS / L’EXPO À VOIR
Une explosion de couleurs L’exposition Beauté Congo se déploie sur deux niveaux: le lumineux rez-de-chaussée de la Fondation Cartier présente essentiellement les oeuvres de Cheri Samba ou d’artistes contemporains issus des Beaux-Arts de Kinshasa. Le sous-sol, plus feutré, se consacre, quant à lui, à l’atelier du Hangar d’Elisabethville ainsi qu’aux rares peintres pionniers des années vingt. Grace aux murs de verre du bâtiment, l’ensemble des toiles
laissent rayonner leurs couleurs vives et brillantes. Qu’il s’agisse des acryliques de JP Mika, des élégants hommes oiseaux de Bodo ou des panneaux illustrés de Cheik Ledy, tous débordent alternativement de tissus rouges, de fleurs jaunes ou de boubous à motifs mis en valeur sur de grands aplats chatoyants. Au premier regard ces multiples créations séduisent l’oeil grâce à leur chromatisme et à la simplicité apparente des personnages qui les habitent. En y regardant de plus près, on comprend cepen-
Vue sur les oeuvres de Pierre Bodo - RDC de la Fondation Cartier © Luc Boegly
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Chéri Samba, La vraie carte du monde, 2011 - Acrylique et paillettes sur toile, 200 x 300 cm Collection Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris - © Chéri Samba
dant que derrière cette naïveté stylistique se dissimule souvent un art aussi revendicatif que politique.
Un véritable message politique Cheri Samba est un peu le porte parole de ces coloristes politiciens: à travers ses grands tableaux populaires, cet artiste
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égocentrique interpelle perpétuellement son public en lui demandant de réfléchir sur les libertés, la paix ou l’évolution mondiale de la société. Recouvrant ses oeuvres d’enfants soldats, de téléphones portables ou d’éminentes figures black telles que Nelson Mandela ou Barack Obama, il dénonce les dictatures, la corruption et offre une nouvelle carte du monde replaçant l’Afrique en son centre
originel. Dans son sillon contestataire, les partisans Chéri Chérin et Cheik Ledy croquent à leur tour la vie quotidienne et le folklore de Kinshasa en y portant un regard très critique: l’illettrisme, la violence, les partis « pourritiques », la domination du G8 sur l’ensemble de la planète… tout y est remis en question avec dextérité mais aussi avec un humour désarmant!
culence, ils capturent d’étranges scènes de rue, caricaturent les défauts de leurs concitoyens et mêlent intentionnellement des textes ponctués de fautes d’orthographes à leurs amusantes allégories. Il en va ainsi des « Chasseurs de moustiques » de Cheik Ledy ou du couple buveur de bières signé Moke. Le couple et l’amour sont, de toute évidence, des éléments redondants de l’art congolais:
L’humour et l’amour omniprésents Pour témoigner de leur révolte intérieure, la plupart des artistes congolais utilisent la satire picturale et l’autodérision. Avec malice et truChéri Samba, Amour & Pastèque, 1984 Huile sur toile, 79 x 89 cm Collection privée © Chéri Samba - Photo © Florian Kleinefenn
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JP Mika, La SAPE, 2014 Acrylique, huile et paillettes sur toile, 160 × 140 cm Collection privée © JP Mika Photo © André Morin
teur très important au sein de la culture kinoise: ce n’est pas pour rien que l‘extravagant courant vestimentaire de La SAPE, la « Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes », s’est si bien propagé à Kinshasa! L’on doit d’ailleurs au jeune peintre JP Mika une magnifique série de portraits de ces « sapeurs » tirés à quatre épingles: grâce à son pinceau aussi méticuleux qu’élégant, il a su capter l’exhibitionnisme criard de ces Dandys afros et leur a rendu un très bel hommage pictural.
qu’il s’agisse de voluptueuses rencontres nocturnes ou de cinglantes disputes conjugales, ces épisodes amoureux traduisent avec générosité la place éminente de la femme Un peu de poésie africaine et l’immense pouvoir de ses charmes. La séduction Dans un tout autre genre, semble, en effet, être un fac- l’exposition Beauté Congo
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nous offre aussi un voyage unique à travers les aquarelles d’Antoinette et Albert Lubaki: ancien peintre de cases, ce couple fait parti des rares artistes congolais Albert Lubaki, Sans titre, 1927 ayant présenté leurs Encres sur papier, 52 × 66 cm Collection privée, Paris oeuvres au-delà © Albert Lubaki Photo © André Morin des frontières africaines dès les anMulongoy où la sophistication nées 1930! La pureté et la poédu trait et des couleurs se mésie minimaliste qui découlent de leurs dessins sont d’une étonnante modernité. Cette inventivité se retrouve également au sein des frises stylisées de Djilatendo, un autre précurseur du siècle dernier, très inspiré par les motifs géométriques des tapisseries Kuba et des velours Kasaï. Parmi les toiles plus modernes saluons enfin l’art embryonnaire de Mode Muntu, Mode Muntu, Kusaidia, l’entraide, 1980 sur toile, 94 × 60 cm les chatoyantes compositions Huile Collection Michaël De Plaen. © Mode Muntu. Photo aquatiques de Bela ainsi que les © Michaël De Plaen peintures animalières de Pilipili
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lange avec élégance à la candeur esthétique d’un Douanier Rousseau. Beauté Congo est, à n’en pas douter, un voyage fou qui vous fera découvrir tout un foisonnement d’artistes congolais à mi-chemin entre tradition et modernité. A vous de décortiquer leurs oeuvres pour en capter la beauté singulière, l’optimisme et l’impressionnante vitalité!
Pilipili Mulongoy, Sans titre, non daté Huile sur papier, 37 × 52 cm Collection Pierre Loos, Bruxelles. © Pili
Pilipili Mulongoy, Sans titre, 1955 Gouache et huile sur papier, 46 x 53 cm Musée royal de l’Afrique centrale, Tervuren, H.O.1.744 © Pilipili Mulongoy Photo © MRAC Tervuren
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Beauté Congo -1926-2015- Congo Kitoko Commissaire Général: André Magnin Fondation Cartier pour l’art contemporain 261, boulevard Raspail - Paris 14e Métro: Raspail ou Denfert-Rochereau T: 0142185650 www.fondation.cartier.com Jusqu’au 10 janvier 2015 Le mardi de 11h à 22h - Du mercredi au dimanche de 11h à 20h Visite guidée de l’exposition, tous les jours à 18h Activités et visites ludiques pour les enfants: les mercredis et samedis —————— L’exposition a donné lieu a un catalogue très complet sur la création artistique au Congo: Beauté Congo Editions: Fondation Cartier pour l’Art Contemporain Paris 2015 - 380 pages - 47€
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