3 minute read

4 CHEMINÉES

Je suis Agnès. Je suis une des quatre cheminées. Je suis née à Martigues parce que j’avais des parents qui avaient décidé que les enfants devaient vivre au grand air. Ils ont décidé de planter une tente familiale dans les collines de Pâques jusqu’à la Toussaint. Ceux des enfants qui sont nés entre les deux, on est né là, sur place , sur le lit de camp de la mère.. Il y a un arbre et je peux dire : « moi, c’est là que je suis née, là, au pied de cet arbre là. »

Comment vous êtes-vous retrouvé à vivre entre Marseille et Agut ?

Advertisement

Notre famille vivait dans les quartiers nord, à Saint-Louis avec d’autres familles. Ces familles vivaient en communauté dans l’un des premiers squats à Marseille. L’été, tout le squat et les nombreuses familles de ces quartiers nord se déplaçaient pour camper ensemble à Sausset, dans ce qui est devenu un camping en bord de mer. Un jour, ce camping a dit qu’il en avait marre d’accueillir des familles nombreuses qui venaient, ce n’était pas rentable pour eux. Il a fallu trouver ailleurs. Mes parents, avec mes aînés, ont commencé à venir camper l’été à SaintJulien accueillis par la famille Olive. Et donc six mois par an, ils plantaient la tente. Et six mois, on vit à Saint-Louis, dans les quartiers nord de Marseille. Un jour, j’avais déjà trois ou quatre ans, il y a eu un monsieur qui est arrivé sur son cheval. «Je viens faire la connaissance de la famille qui occupe mes terres.» On se croyait chez les Olive, mais en fait, notre tente était implantée sur la limite de propriété. Donc nous étions aussi chez ce Monsieur. Ce Monsieur, on a su après qu’il s’appelait José de Demandol. Qu’il était le marquis et propriétaire du château Agut, et que le lit de camp de ma mère était de son côté. Il était ravi qu’on soit là, on entretenait bien, ça faisait une protection contre le feu. Il est souvent venu nous voir…

C’est quoi tes souvenirs d’enfance de camper ici ?

On était très souvent avec les Olive. Les Olive étaient cultivateurs de vignes, cultivateurs de blé, chasseurs. Et par le système des trois huit, ils travaillaient également dans les industries chimiques. Et donc on a fait le foin, on a fait la vigne, on a fait les olives, on a fait les vendanges, on était là. Ce sont devenus des membres de la famille. Et puis après, il y a l’été et donc l’été, c’est la baignade tout le temps, tout le temps, tout le temps.

Quel regard avais-tu à l’époque sur la pétrochimie, sur ces usines qu’on voyait au loin ?

On se sentait complètement protégé. On nous disait tout le temps « ici, on a des arbres, on est tranquille ».

Mais on entendait des propos. Par exemple Abel, fils Olive. Il était jamais dans la même boîte. Une fois, c’était la BP, une fois c’était Eternit, une fois c’était je ne sais pas... À 4 h du matin, on entendait la mobylette qui démarrait. On savait que c’était Abel qui partait. Le regard que j’avais, c’était la pitié d’un homme qui devait partir, y compris en plein hiver, à 4 h du matin, en mobylette, pour aller parfois jusqu’à Fos. « Ici, on est protégé » c’est un discours qu’on a tenu jusqu’en 1992, l’année de l’explosion de la raffinerie de la Mède. Agut est séparé de la Mède par un mamelon de colline. Et un jour à 4 h 21 du matin, ça a explosé. Il y a des vitres à Marseille qui se sont cassées. Là, on a un peu changé de discours.

Comment Agut est entré dans ta vie d’adulte ?

Il s’est passé beaucoup de choses, mais mes parents ont ensuite habité dans le château, à la demande de José qui l’avait scindé en appartements. A un moment donné, après des galères professionnelles, je suis revenue chez mes parents à 30 ans. Dans le domaine, il y avait un pigeonnier en ruine. Il ne servait à rien ni personne. Et l’idée, c’était: Et si de ce pigeonnier je faisais ma petite cabane, ma cabane au Canada, quoi, ma cabane au fond des bois ? Et j’ai vécu là près de 30 ans.

Quelle vie y as-tu mené ?

Au tout début, j’habitais simplement à Agut. José était encore viticulteur, travaillant sa vigne. Ensuite, il a été appelé ailleurs. Il nous est venu une idée. Après tout, c’était vraiment beaucoup trop grand, on a décidé de mettre des parcelles de terrain à disposition pour des activités qui auraient besoin d’espace et de nature en échange d’entretien. Ça a été jusqu’à une dizaine d’associations. Il y a eu les chevaux. C’était le rêve de José que sa propriété soit un lieu équestre, il a réussi à me brancher et je l’ai fait. J’ai tenu le centre équestre. Il fallait qu’il y ait quelqu’un qui fasse à la fois un lien humain et un lien agricole entre chacune de ces associations. Quelqu’un qui pouvait relayer la parole de José mais qui avait aussi une bonne compréhension des problématiques d’eau, de risque incendie, des plantes. Je suis devenue, une sorte de régisseur de la propriété. Et j’ai développé un attachement affectif au moindre pied d’arbre, au moindre buisson, au moindre chemin. Je disais tout le temps qu’Agut était l’enfant que je n’aurai pas.

This article is from: