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nouveleconomiste.fr Entreprises, Affaires publiques, Economie sociale 37e année - N°1555

Le journal des pouvoirs d’aujourd’hui

Jeudi 24 février 2011

FRANÇOIS TAJAN,

L’Etat est-il un bon actionnaire ? LIREP.37

“Avec Matignon, tu es poli ; avec l’Elysée, tu es servile” Jacques Chirac, cité par L’Express

coprésident d’Artcurial LIRE P. 44

Le bazar de l’hôtel de vie L’identité sociale ne s’hérite plus, elle se bricole Par Caroline Castets

La vraie fausse campagne de DSK

Il y a encore une ou deux générations,

Etre candidat sans être en campagne : le patron du FMI joue une partition délicate p.6 PAR SYLVIE PIERRE-BROSSOLETTE

Le match a commencé La proximité avec les Français contre la compétence économique p.6 PAR MICHÈLE COTTA

Les menaces qui pèsent sur la Chine Le statut de deuxième puissance économique mondiale ne fait pas tourner la tête des Chinois. Ils connaissent les difficultés qui les attendent p.12 PAR PHILIPPE BARRET

Mondialisation

PAR ALAIN BAUER

DOSSIERS AFFAIRES PUBLIQUES Intercommunalité

Pierres d’achoppement La coopération territoriale. Entre solidarité et enjeux politiques et financiers p.17

Innovation

Les bons leviers

Technopoles, l’incitation à l’innovation détient d’une subtile alchimie p.21

PATRIMOINE Assurance-vie

De beaux jours devant elle

SIPA

Allemagne: 5,4 € - Antilles/Guyane: 6 € - Cameroun/Congo/Côte d'Ivoire/Sénégal: 4200 CFA - Djibouti: 6 € - Italie: 4,8 € - Japon: 1080 JPY-Liban: 10 000 LBP - Madagascar: 5,2 € - Maroc: 40 MAD - Ile Maurice: 6,4 € - Réunion: 6 € - Tunisie: 5,3 € - Vietnam: 6,6 $

Chine

Révolutions arabes et vide de la pensée stratégique p.34

Résultat de cette mutation : des identités composites et fluctuantes et des individus inclassables, ce qui, pour la société, n’est pas sans risque.

Entre les lignes Les troubles sociaux au Sud militent pour un aggiornamento bien au-delà du G20 Par Henry Lauret On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment... C’est le moment de méditer la formule chère à Mitterrand. Une page d’Histoire est en train de s’écrire et la France, passons sur l’Europe, en est absente. L’idée d’une France dévalorisée se répand comme traînée de poudre, nourrie par des ratés, frasques et approximations qui sont le ver de toute diplomatie.Qu’en contemplant de sa fenêtre le souffle libertaire en Méditerranée, Nicolas

Courtage en ligne

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Les ingrédients de la petite phrase politique pour déstabiliser à peu de frais Par Caroline Castets On le sait, l’efficacité des boules puantes n’est plus à démontrer. Pas celles qui, il y a encore quelques décennies, vous permettaient d’évacuer la salle de cours et d’échapper ainsi à 15 minutes de maths, mais celles qui, habilement placées au détour d’une interview ou d’un meeting politique, permet, à peu de frais, de torpiller un adversaire ou de discréditer un faux allié. Lire p.12

Mieux que le PIB par habitant

FRANÇOIS D’AUBERT, magistrat à la Cour des comptes

L’indice Gini

Une confrontation lucide avec la réalité historique d'un grand homme de l’histoire de France dont l’oeuvre et la personnalité attirent légitimement l’éloge, mais aussi beaucoup de réserves Par Philippe Plassart Avec la crise, on a cru que Keynes, le génial théoricien du soutien de la croissance, tenait sa revanche. Que non ! le retour triomphal de ce dernier semble définitivement contrarié car les caisses publiques sont vides. En réalité, c’est du plus profond de l’Histoire qu’a resurgi une figure un temps éclipsée mais au fond jamais oubliée, celle de Colbert, l’illustre ministre de Louis XIV, chantre du centralisme économique. “Colbert is back !” Et pas qu’en

Le nouvel Economiste - n°1555 - Du 24 février au 2 mars 2011 - Hebdomadaire

Sous la ceinture

Débat

“De quoi Colbert est-il le nom ?”

Les ordres dynamiques, une manière d’échapper à la frénésie p.29

M 02191 - 1555 - F: 5,00 E

nistre sur le Nil, ou l’intempérance d’un Marie Louise du Quai, éphèbe ambassadeur de France de l’aprèsBen Ali qui se piquait, il y a peu sur les écrans Canal +, de l’affection de Muamar Khadafi en personne.La politique est toujours affaire de convictions. La diplomatie, de symbole. Dans le fatras des dernières semaines, il faut craindre que notre pays aura gaspillé ce zeste de lueur, cet esprit de fronde... Lire p.8

OLIVIER PASTRÉ, économiste

Les instruments de la raison

Les divorces en France 127 600 divorces prononcés en 2009 contre 30 000 en 1960

Sarkozy ait été pris de court, il n’aura pas été le seul ! Qu’il perçoive comme tant d’autres avec lui - “le tournant mais pas la route”, peut se concevoir à la vitesse où se déplace le cybermonde. Autrement plus troublante est cette impuissance à comprendre et à trouver les mots. La France sous Sarkozy n’a certes pas perdu son rang après un survol très terre à terre de MAM enTunisie, une croisière en famille du Premier mi-

les clivages identitaires étaient clairs. Hormis quelques exceptions,on naissait de droite,hétéro, catholique et avec un peu de chance, cadre sup ou profession libérale. Les appartenances s’héritaient. Aujourd’hui, elles se décrètent. L’individu s’est affranchi du collectif, ce qui lui permet de ne plus se définir en fonction des attendus du groupe - qu’il s’agisse de la famille,de la religion ou du parti – mais de choisir seul ses appartenances et ses croyances, de les mixer librement - dans une logique d’identité à la carte et non plus en kit – et de les résilier à tout moment. Résultat de cette mutation : des identités composites et fluctuantes et des individus inclassables, ce qui, pour la société, n’est pas sans risque. Non seulement parce que la disparition des grandes catégories – les ouvriers, les homos,les cathos... - rend toute forme de gouvernance plus complexe mais aussi et surtout parce que l’éclatement identitaire pourrait porter atteinte au projet collectif, condition sine qua non de toute civilisation harmonieuse et de toute société en croissance. Lire p.2

Boules puantes

Urgence diplomatique

Les menaces qui pèsent sur l’assurancevie ne remettent pas en cause son attractivité p.25

Chiffres révélateurs

“Nous sommes aussi des directeurs artistiques”

Capitalisme souverain Le pouvoir selon moi

Hebdomadaire 5

France. De quoi ce retour de Colbert - et derrière lui, du colbertisme - sont-ils le nom ? François d’Aubert et Olivier Pastré, qui lui ont consacré, le premier une biographie, le second un essai, en analysent ici le pouvoir d’attraction pour mieux en critiquer les ressorts positifs et négatifs. Car tout n’est pas bon à prendre chez ce personnage ambigu qui a œuvré sous la monarchie absolue pour le meilleur et, on va le voir... Lire p.14

Les prémices annonciateurs d’une révolution dans un indicateur statistique des inégalités

Par Julien Tarby “La peur a changé de camp”, selon l’expression consacrée. Les révoltes tunisiennes et égyptiennes ont surpris tout autant les diplomaties occidentales que les classes dirigeantes de ces pays. Et pourtant, un observateur attentif aurait peut-être pu déceler les prémices annonciateurs de la révolution dans un indicateur statistique au nom aussi mystérieux que sympathique, l’indice Gini. Celui-ci, en mesurant le degré des inégalités de quasiment tous les pays de la planète sur une échelle commune... Lire p.10

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A la une un déviant qui piétine les valeurs de l’Eglise, côté homo on me traite de ringard, preuve que l’appartenance simultanée à des communautés que l’on a pris l’habitude de considérer comme contradictoires rend le référent difficile. Or je revendique le droit d’aller à la messe et à la gay-pride !” Le droit, en somme, de s’affranchir des modèles imposés.

L’identité bricolée et provisoire A l’exception du métier où, étonnamment, le sentiment d’appartenance demeure, le mouvement n’épargne aucun des collectifs traditionnels. Famille, politique, en-

communauté ou idéologie. Dont acte. Si la perte de contrôle du collectif – qu’il s’appelle famille, parti, religion, entreprise... - sur l’individu explique ce basculement, reste à savoir pourquoi l’individu – pourtant social par nature - en est venu à s’affranchir du groupe. “Pas par insurrection en tous cas !”, assène Gilles Lipovetsky qui rappelle que, contrairement aux années 1960 où la rhétorique révolutionnaire alors omniprésente (on était anti-gaulliste, anti-capital, anti-société de consommation...) s’inscrivait dans une démarche collective, les motivations actuelles sont purement individuelles. “Cette fois, on n’est ni

“Avant, la société était structurée par de grandes catégories, bien visibles et bien délimitées. Voter à droite impliquait tel type d’habillement, de croyance, de consommation... Aujourd’hui les trajectoires sont décoordonnées.”

Gilles Lipovetsky : “Le bobo avec sa double personnalité de rebelle institutionnalisé est la manifestation parfaite de ce bricolage qui fait qu’aujourd’hui, on peut être un peu de tout à la fois.”

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n héritage, transmis à la naissance par la génération précédente ; voilà à quoi ce sera apparentée, des siècles durant, l’identité individuelle. Les appartenances sociales,religieuses, politiques, voire professionnelles coulaient de source – on naissait de droite, catho, hétéro et parfois même, notaire ou médecin. C’était simple, sans surprise, cohérent. Ce cadre aux contours bien définis a pourtant volé en éclats dès lors que l’individu a renoncé à hériter de son patrimoine identitaire pour en choisir librement les différentes composantes - idéologique, sociale, sexuelle, etc. Pour Jean Laloux, spécialiste des tendances sociétales et directeur associé d’Inférences, cabinet spécialisé en analyse du langage, le constat est flagrant : “Au cours des dernières décennies, l’individu s’est progressivement affranchi des déterminismes sociaux, ce qui lui a permis de passer de commu-

ciologue spécialiste de la post-modernité Gilles Lipovetsky, celle-ci accompagne la montée de l’individualisme en marche dans les sociétés occidentales depuis les années 70. “Cela se traduit par le recul de l’emprise du collectif sur l’individu, explique-t-il. Dans les années post-68, on avait ainsi vu des révolutionnaires revenir à la religion ce qui, à l’époque, constituait déjà une première forme de bricolage identitaire témoignant bien de la perte de contrôle du collectif sur les individus.” En découle un mouvement dit de “désunification” : chacun compose son identité selon ses seuls choix et inclinaisons, indépendamment des attendus du groupe, que celui-ci soit religieux, familial ou politique. Résultat : les concessions individuelles au collectif disparaissent. On ne sacrifie plus aucune facette de son identité au nom d’une cohérence d’ensemble. On prend, on assemble, on bricole, jusqu’à pouvoir être à la fois supporter

“L’individu s’est progressivement affranchi des déterminismes sociaux, ce qui lui a permis de passer de communautés héritées à des communautés choisies” nautés héritées à des communautés choisies.” Une prise d’indépendance d’autant plus flagrante qu’elle se sera accompagnée d’une autre forme d’émancipation, à l’égard, cette fois, des incompatibilités du passé. Car alors que, depuis toujours, l’appartenance à certaines communautés en excluait d’autres, toutes les alliances sont aujourd’hui permises. Résultat : libre à chacun de se définir comme catho, trotskiste et homo, le tout avec un nom à particule, conformément à une logique non plus de package mais de surmesure. Ou plutôt, puisque c’est bien de bricolage qu’il s’agit désormais, de do-it-yourself.

Le recul de l’emprise du collectif sur l’individu Pour permettre à l’individu de définir lui-même son identité et surtout, d’en assumer les facettes a priori contradictoires, il aura fallu, bien plus qu’un effet de mode, une véritable mutation sociétale. Pour le so-

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du PSG et abonné à La Revue des Deux Mondes, partisan de la messe en latin et militant en faveur du mariage gay, ou encore pro-Besancenot et aristocrate. “On est dans un véritable processus de fabrication”, résume le sociologue et président de Théma, Eric Fouquier. Et tant pis si certaines incompatibilités de principe ont la vie dure, comme en témoigne Henri de Portzamparc, auteur de Assis-pas-bouger ! - livre coming-out dans lequel il revendique les trois facettes homo-catho-aristo de son identité. “J’ai reçu à la naissance l’identité en kit du parfait petit aristo, élevé pour être nécessairement hétéro et catho, raconte-t-il. Pendant un temps je me suis montré conforme aux attendus, et puis j’ai fait le tri dans ce package ; j’ai gardé la dimension catho parce qu’elle faisait vraiment partie de moi et j’ai écarté le reste si bien qu’aujourd’hui, je ne rentre plus dans aucune catégorie. Je suis à la croisée des chemins, entre deux familles ennemies qui toutes deux me regardent bizarrement. Côté catho je passe pour

treprise, religion... tous sont frappés par ce que les sociologues appellent “un phénomène de dés-unification”. “Avant, la société était structurée par de grandes catégories, bien visibles et bien délimitées, décrypte Gilles Lipovetsky. Voter à droite impliquait tel type d’habillement, de croyance, de consommation... Désormais, les trajectoires sont décoordonnées. Le bobo avec sa double personnalité de rebelle institutionnalisé en est la manifestation parfaite : c’est un grand bourgeois qui cultive une allure contestataire, reflétant ainsi ce bricolage qui fait qu’aujourd’hui, on peut être un peu de tout à la fois. Cet éclatement des frontières ayant mené à une totale hybridation identitaire. Cette totale hybridation identitaire.” Une logique d’identité “à la carte” particulièrement flagrante dans le domaine religieux – la plupart des “croyants” adhérant à certains préceptes et en rejetant d’autres jugés trop contraignants ou incompatibles avec leurs autres communautés d’appartenance - mais également très visible en politique – où les adhésions “en bloc” à une doctrine ou à un parti sont de plus en plus rares –, et en consommation où être adepte de produits de luxe n’exclut plus nécessairement de fréquenter certaines enseignes de hard discount. Dans tous les domaines, l’homogénéité recule. Et avec elle, la durée du sentiment d’appar-tenance. Car ce mouvement d’émancipation face aux attendus identitaires – je suis catho, donc de droite, donc hétéro ou je suis de gauche, donc syndiqué, donc athée… s’accompagne d’une autre mutation majeure : celle qui consiste à limiter la durée de ses engagements, quels qu’ils soient. Désormais, non seulement les solidarités et les appartenances se décident librement mais toutes sont révocables. Suffit, pour s’en convaincre, de s’en

dans la révolte contre un système, ni dans l’acte militant de sécession, estime-t-il. On est juste dans l’affranchissement pour commodité personnelle ; dans le détachement pur et simple, sans aspiration conflictuelle.” Motif : le collectif, dans ses schémas traditionnels, n’est plus porteur ni d’idéologie ni de promesse. Une réalité amplifiée au cours des 15 dernières années par l’irruption d’Internet et, plus récemment, des différents réseaux sociaux type Twitter et Facebook qui, en faisant littéralement exploser le panel des communautés et, avec elles, le champ des possibles, ont eu pour effet de démultiplier les potentiels identitaires. “Ces outils se sont révélés des sources d’inspiration considérables, explique Jean Laloux. Ils ont placé l’individu dans un état d’extrême sollicitation en lui donnant et la liberté de choisir et la possibilité de le faire. Au risque de finir par le placer dans une situation de boulimie du moi – “je peux multiplier les inspirations et les affiliations, je veux être tout à la fois …” -, ce qui est à la fois euphorisant et anxiogène.” Et ce n’est là qu’une partie du prix à payer. Car force est de le reconnaître : en perdant sa puissance de contrôle, le collectif a également perdu sa capacité d’encadrement ce qui, au final, s’avère déstabilisant pour tout le monde.

Les revers de la médaille Pour l’individu, d’abord, pour qui les effets secondaires de cet éclatement des frontières ne manquent pas. “Les modèles traditionnels étaient durs dans le sens où ils pouvaient opposer une loi extérieure à des aspirations individuelles mais cela présentait l’avantage de nous fournir des béquilles, de tracer la voie, de nous faire évoluer dans un cadre, rappelle

L’irruption d’Internet, en faisant littéralement exploser le panel des communautés et le champ des possibles, a eu pour effet de démultiplier les potentiels identitaires référer au nombre de divorces, de conversions religieuses ou encore, à la masse toujours croissante de l’électorat flottant qui, tous, reflètent cette capacité à se délier ; cette aptitude à se construire qu’Eric Fouquier appelle “des identités provisoires”.

Le booster Internet On l’aura compris, aux modèles imposés et immuables du passé ont succédé des appartenances sélectives et successives à telle ou telle

Gilles Lipovetsky. Aujourd’hui le cadre a disparu et les certitudes qu’il véhiculait aussi, ce qui nous oblige à nous réinventer en permanence.” Avec, au final, toute la palette de désagréments liés à une responsabilité individuelle accrue face à des orientations à la fois plus complexes et plus incertaines : perte de repères et de référents, montée de l’incertitude, isolement… sans oublier le risque de confondre construction identitaire et customisation. “Le problème avec les personnalités autoconstruites et multifacettes est qu’elles

peuvent mener à des assemblages artificiels avec le risque de tomber dans une société de mise en scène du moi”, avance Eric Fouquier. Auteur du Renversement du monde et président d’Eurogroup, société de conseil en vision stratégique, le sociologue Hervé Juvin confirme et va plus loin. “C’est parce qu’on sait qui sont les mêmes et qui sont les autres, qui est avec soi et qui est hors de soi qu’on est capable de parler stratégie et de se définir.” Un diagnostic qui s’applique également au niveau collectif, les fondements d’une société étant nécessairement, selon lui, “dans l’identité et la frontière”. Sauf que, avec l’émergence d’identités individuelles mouvantes et hybrides, les clivages traditionnels s’estompent, les individus sont de moins en moins “catégorisables” et, au final, c’est la société dans son ensemble qui apparaît moins lisible, compliquant singulièrement la tâche à tous ceux – politiques, chefs d’entreprise, professionnels du marketing…- pour qui les “profils types” constituent, avant tout, un outil de travail.

La fin du profil type , le début de la micro-approche Des profils types qui, tout comme les grandes catégories – “les ouvriers”, “les cathos”, “les bourgeois”, “les homos”…- tendent à disparaître, laissant les décideurs face à des individus de plus en plus inclassables. “Autrefois, il y avait une culture ouvrière comme il y avait une culture bourgeoise, artiste ou paysanne, avec une cohérence visible dans chaque domaine de la vie – le lieu d’habitation, le mode de consommation, l’habillement, la croyance, les loisirs...,indique Gilles Lipovetsky. Aujourd’hui, la prise de pouvoir de l’individu sur le collectif a bouleversé tous les codes. Les gens s’identifient beaucoup plus difficilement.” D’où la nécessité pour tous les pouvoirs - managériaux, RH, marketing, religieux, politiques…- d’adapter leur approche. En développant un discours plus nuancé et comme le résume Albert Ogien, directeur du CEMS (Centre d’étude des mouvements sociaux), “en s’obligeant à penser le monde de façon plus complexe”. Faute de quoi, ils ne seront pas entendus. “Cette survalorisation du moi produit des individus hyper-matures à l’égard de toute forme de gouvernance, analyse Jean Laloux. Les gens étant responsables de leurs choix et maîtres de leurs destins et, surtout, personne n’étant plus “tout à fait” quelque chose, ils n’adhèrent plus aux messages stéréotypés et aux discours construits sur une forme de radicalité.” D’où l’obsession de la nuance développée par le politique, la gauche n’hésitant plus à parler sécurité quand le FN cherche à occuper le terrain social. Quant à la solution pour permettre aux gouvernants de tous bords de compenser cette perte de maîtrise, elle est simple : procéder par “microapproches” ; Ce qu’a très bien compris Barack Obama qui, lors de sa campagne pour les présidentielles de 2008, a personnalisé son discours en fonction des spécificités de chacune des communautés qu’il ciblait ; avec le succès que l’on sait. “Le fait que l’individu ne soit plus captif de ses adhésions - à une marque, un parti ou une entreprise - place ceux qui cherchent à exercer sur lui un contrôle en situation de plus grande humilité et les contraint nécessairement à remettre en question leurs différents modes de gouvernance puisqu’ils ne savent plus qui ils gouvernent et à qui ils s’adressent - d’où, par exemple, le malaise flagrant des RH visà-vis de la générationY.”

Le nouvel Economiste - n°1555 - Du 24 février au 2 mars 2011 - Hebdomadaire


A la une lective au sens large.“Angela Merkel et David Cameron ont récemment reconnu qu’il y avait un équilibre à trouver entre les droits de l’individu à construire son identité et les droits d’une société à définir son unité interne, indique-t-il. Et que l’on pouvait accepter les libertés individuelles tant qu’elles ne nuisaient pas à cette unité interne.” Un discours auquel Nicolas Sarkozy s’est récemment rallié à demi-mots en déclarant qu’une nation avait besoin “d’une culture propre pour exister”. Alors, trop de liberté individuelle pourraitil constituer une menace pour nos sociétés modernes?

Mais sans tension, pas de société en progression

Hervé Juvin : “Les problèmes surviennent lorsque les libertés individuelles en viennent à vider la société de son unité et à interdire tout projet collectif.”

Qu’on se rassure cependant, la nouvelle donne identitaire offre aussi de belles opportunités à ceux qui savent s’y adapter. Notamment via les réseaux numériques, véritables points d’ancrage de nouvelles communau-

Hervé Juvin, se situe au coeur des problèmes économiques et politiques du moment puisque, sans projet intégrateur à moyen ou long terme, pas de croissance ni d’unité sociétale. “Les problèmes surviennent

“La multiplication des microcommunautés mène à l’isolement individuel et parfois même, à l’affrontement des communautés” tés émergentes. “Les grandes catégories ont disparu, c’est vrai, mais le marketing s’adapte, remarque Eric Fouquier. Il travaille sur d’autres bases comme Facebook, notamment, pour identifier le groupe des amateurs de ci ou de ça, connaître leurs goûts, leurs amis....” Ce n’est plus sexe-âge-profession, il est vrai. Ce sont des catégories transitoires ; mais du point de vue marketing, elles présentent l’avantage de permettre une exploitation de la traçabilité individuelle sans pareil.

Libertés individuelles au détriment de projets collectifs Ce qui ne suffit pas à rassurer ceux, et ils ne manquent pas, qui craignent de voir cette mutation identitaire porter atteinte au collectif en produisant une société désorientée, noyée sous les injonctions et les valeurs contradictoires. Hervé Juvin est de ceux-là. Pour lui, toute civilisation suppose un certain degrés d’unité interne ; or à l’heure actuelle, on assiste à un phénomène de “décivilisation” préoccupant. Motif : l’éclatement des identités individuelles porte atteinte à l’identité collective dont toute société a besoin pour se construire et perdurer. “Il existe deux types d’identité collective, résume le sociologue. Une identité d’origine – blanche, chrétienne...que nous avons perdue et à laquelle nous ne reviendrons pas ; et une identité de projet que l’on ne parvient pas à définir en raison d’un excès de libéralisme et d’individualisme.” Ce qui nous reste? “Une société de marché uniquement composée d’individus qui poursuivent leurs objectifs personnels au jour le jour et rendent impossible toute élaboration d’un projet collectif national.” Un état de fait qui, selon

lorsque les libertés individuelles en viennent à vider la société de son unité et à interdire tout projet collectif au point de mener à une autre forme de bricolage à court terme – économique et politique, assène-t-il. Car sans projet politique exigeant, sans unité, il n’y a pas de société en harmonie, pas de société en croissance. Il y a besoin d’un socle commun, de partage, d’espaces sociaux, culturels, idéologiques communs parce que tout cela est intégrateur.” Pour lui, l’idée selon laquelle l’éclatement des identités individuelles puisse mener à une cohabitation

Albert Ogien nuance. “Certes, cela peut servir de terreau à un discours conservateur, à une tentation extrémiste, mais ce n’est pas nouveau”, remarque-t-il en rappelant que, de tous temps, les avancées des droits individuels se sont vues contrebalancées par la tentation “d’une société compartimentée et faite de canons identitaires”. Pour lui, cela ne mérite pas que l’on s’en inquiète. “Cette tension constante est le propre d’une société qui avance : à coups de conflits inévitables, poursuit-il. Sans tension, il n’y a pas de société en progression. C’est un processus démocratique classique.” Alors, circulez il n’y a rien à voir ? “Plus exactement, il n’y a rien à voir de tragique, ni de dangereux. Les sociétés sont en mutation sous le coup de la modernité et de la démocratie, c’est à la fois normal et inexorable.” De fait, difficile, pour toute forme de pouvoir, de s’opposer à cette lame de fond. Mieux vaut l’accompagner et s’en accommoder. Ce que le législateur a fort bien compris. “Il y a une montée des droits accordés aux individus, à leurs désirs, à leur choix”, poursuit Albert Ogien qui cite comme exemple de cette acceptation progressive des droits individuels par le collectif le cas de l’homosexualité, qui a d’abord cessé d’être considérée comme un crime dans les années 1980 avant que la discrimination à l’égard des homosexuels soit condamnée par la loi. Même logique et même processus aux Etats-Unis où Barack Obama a récemment fait supprimer l’article de la Constitution

Editorial

Tous perdants ?

Peut-on être désormais à la fois catholique, homosexuel et trotskiste ? Ou, comme entendu ce matin sur les ondes, syndicaliste CGT et candidat FN aux prochaines cantonales ? On ne peut qu’apprécier de pouvoir se libérer de l’identité héritée - idéologique, Car cette émancipation du collectif politique, sociale, rea un coût: l’individu se trouve démuni ligieuse, professionde repères et de référents, et la société se voit nelle -, au profit d’une identité choividée de tout projet collectif sie. Et il n’y a aucun mal à vouloir s’affranchir des codes qui vont avec, ni à mettre en adéquation ses croyances et ses convictions. Mais lorsque celle-ci n’est que le résultat d’identités bricolées, choisies au gré des tendances et résiliées en fonction des humeurs, tout le monde est perdant. Car cette émancipation du collectif a un coût : l’individu se trouve démuni de repères et de référents, les communautarismes se multiplient à l’infini, et la société se voit vidée de tout projet collectif. Henri J. Nijdam

Entreprises, Affaires publiques, Economie sociale

“Le journal des Pouvoirs d’aujourd’hui” Politique, économique, social, administratif, judiciaire, intellectuel, spirituel, médiatique. 5, passage Piver - 75011 Paris Henri J.Nijdam, Président directeur de la publication henri.nijdam@nouveleconomiste.fr Gaël Tchakaloff, Directrice déléguée gael.tchakaloff@nouveleconomiste.fr E-mail: prenom.nom@nouveleconomiste.fr Abonnements: abonnements@nouveleconomiste.fr

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“De tous temps, les avancées des droits individuels se sont vues contrebalancées par la tentation d’une société compartimentée, faite de canons identitaires” harmonieuse de toutes les singularités est une illusion. Pire, c’est l’exact opposé de la réalité. “La multiplication des micro-communautés mène à l’isolement individuel – toutes catégories sociales confondues – et parfois même, à l’affrontement des communautés : l’espace public se vide et chacun est alors renvoyé dans ses seules croyances et appartenances sélectives.” Dans une forme passive d’exclusion en somme. Une vision des faits que le succès de Meeticaffinity – version “affinitaire” du célèbre site de rencontres Meetictend à confirmer. On cherche toujours à rencontrer l’âme soeur mais à condition qu’elle appartienne à la communauté de son choix, qu’elle soit, comme nous, fan de cuisine thaï ou de randonnées en raquettes, en excluant d’emblée les profils que l’on juge non-conformes au nôtre. Anecdotique, ce réflexe de repli ? Peut-être. Reste que, rappelle Hervé Juvin, plusieurs gouvernements ont, à tour de rôle, jugé bon d’insister sur le rôle déterminant de l’unité col-

Le nouvel Economiste - n°1555 - Du 24 février au 2 mars 2011 - Hebdomadaire

interdisant aux citoyens américains homosexuels de rentrer dans l’armée. “Le fait qu’il existe un droit commun permettant l’expression des individualismes montre qu’il s’agit d’une montée logique des droits individuels dans une démocratie”, conclut Albert Ogien. Même si la question de l’homo-parentalité continue à alimenter la polémique et à embarrasser les législateurs, dans une parfaite illustration de ces “tensions” entre acceptation collective et revendication individuelle qui, selon le sociologue, constituent le propre d’une civilisation en marche. Quant aux nostalgiques des anciens “canons identitaires”, Albert Ogien leur oppose une fin de non-recevoir. “Le bon vieux temps est une utopie. Il n’existe pas d’état antécédent auquel rêver. Tout va de l’avant.” A chaque société de maîtriser le mouvement. caroline.castets@nouveleconomiste.fr

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A la une Avis croisés “Jusqu’où peut-on bricoler son identité du point de vue de la société ?” Christine Boutin,

Bernard Stiegler,

ancien ministre du Logement et de la Ville et présidente du Parti chrétien-démocrate

philosophe, président d’Ars Industrialis (Association internationale pour une politique industrielle des technologies de l’esprit) et de l’IRI (Institut de recherche et d’innovation) “Sans collectif, on aboutit à une société déshumanisée”

“Le bricolage identitaire est facteur d’exclusion” Pour moi, le fait que la montée des individualismes ait abouti à une société aux identités bricolées est le reflet non pas d’une liberté porteuse d’avenir mais d’une liberté dévoyée. Car être libre de ne pouvoir prendre en compte que ses propres choix sans considérer ceux des autres est porteur de violence, latente ou assumée. C’est pourquoi je pense qu’il relève de la

tera atteinte au collectif. Une société ne peut se passer d’espaces communs – qu’ils soient religieux, familiaux… et de valeurs partagées.Or à l’heure actuelle, toutes les valeurs qui rassemblaient se voient remises en cause. Nous vivons une époque de libéralisme économique effréné où la seule valeur partagée est celle de l’argent.A cela s’ajoute un libéralisme culturel

“Une société ne peut se passer d’espaces communs et de valeurs partagées responsabilité du politique – et que c’est même là toute la noblesse de la fonction – de prendre conscience de cette réalité et d’y mettre un terme ou du moins de la contrôler. Parce que, qu’on le veuille ou non, l’individu est par nature social. S’il coupe les liens, viendra nécessairement un moment où cela le conduira à l’isolement et por-

qui est un libéralisme libertaire. L’association des deux ne peut que conduire au conflit. Il revient donc au politique de fixer des règles visant à maintenir ou à restaurer de la cohésion sociale, du temps partagé – c’est pourquoi je souhaiterais voir s’instaurer un service national rénové obligatoire et mixte qui permettrait de rassembler

“Il revient au politique de fixer des règles visant à restaurer de la cohésion sociale.”

une génération. Pour moi la différence – qu’elle soit religieuse, sexuelle ou sociale… - contribue à la cohésion sociale et la remettre en cause en mixant les appartenances,en faisant du bricolage identitaire, est facteur d’exclusion.Au politique de ne pas laisser ce facteur se développer.

Jean-Marie Petitclerc, prêtre, éducateur et ancien chargé de mission au cabinet du ministre du Logement et de la Ville “C’est lorsque la société n’est plus porteuse de codes communs qu’elle cesse d’être en mesure d’absorber les différences” Tant qu’il reste une base commune pour permettre une cohésion d’ensemble, il m’apparaît évident que la différence est à considérer comme une source d’enrichissement et non comme une menace pour la société. C’est pourquoi je considère que la prise en compte de la singularité de chacun constitue un progrès mais,

valeurs communes doivent assurer une cohésion. Et celle qui me paraît la plus à même de cimenter la cohésion sociale, plus que des espaces “traditionnels” comme la langue, la culture sociale ou la religion, c’est le respect. J’y vois une valeur refuge, un élément de cohésion sociale. Car après tout, qu’est-ce qu’être Français aujourd’-

“Qu’est-ce qu’être Français aujourd’hui ? Ce n’est ni une appartenance ethnique ni une appartenance religieuse” pour autant, on ne peut se satisfaire de cette seule notion de “liberté de choisir”. Il faut prendre en compte l’autre et, plus largement, le reste du groupe car il est clair que trop d’individualisme peut mettre en péril l’appartenance sociale. C’est pourquoi des

hui ? Ce n’est ni une appartenance ethnique,ni une appartenance religieuse. Ce sont des valeurs communes. Tant que le respect agira comme un ciment commun, il me semble que la société sera en mesure d’absorber toutes les singularités individuelles. La question

Selon moi la question porte moins sur l’identité que sur l’identification ; car ce qui fait l’humanité de l’homme et le différencie de l’animal, c’est le fait qu’il ne cesse de se transformer. Ce qui est immuable, en revanche, c’est son besoin impératif de figures d’identification. Si l’on constate aujourd’hui un processus de reconstruction d’identités c’est parce que, les médias de masse ayant court-circuité les processus d’identification classiques, de nouveaux espaces d’identification collective ont fait leur apparition – notamment avec les espaces numériques type réseaux sociaux, etc. Ce qui, pour la société, s’avère à la fois très dangereux et très prometteur. Très dangereux parce que, ces nouveaux processus d’identification étant essentiellement artificiels, ils l’exposent à un risque d’atomisation totale ; et très prometteur

“Pour la société, ce processus de la reconstruction d’identités est à la fois très dangereux et très prometteur.”

ciété ne peut se passer d’espaces de références, que ce soit la langue commune, la religion, l’idéologie… Or même si, pour moi, ce bricolage identitaire n’est pas durable et qu’il est le signe d’une forme de misère sociale et affective - les gens ne croyant plus à l’identification collective, ils s’en inventent de nouvelles - on s’aperçoit que de

“De même qu’un individu ne peut se passer de processus d’identification, une société ne peut se passer d’espaces de référence” parce que, via ces réseaux sociaux, se reconstruisent du social, de l’unité, de la cohésion. Et une société, c’est une série de réseaux. De même qu’un individu ne peut se passer de processus d’identification, une so-

nouvelles formes de collectifs émergent via les réseaux numériques. Ce qui est rassurant car sans collectif on aboutit à une société déshumanisée.

“Trop d’individualisme peut mettre en péril l’appartenance sociale.”

sur laquelle il faut désormais se pencher est celle des codes qui permettent ou non de manifester ce respect. Pour éviter l’éclatement, il est urgent de définir des codes communs car ce sont eux qui, généralement, font défaut dans les sociétés modernes. Et c’est lorsque la société n’est plus porteuse de codes communs qu’elle cesse d’être en mesure d’absorber les différences.

Albert Ogien,directeur du CEMS (Centre d’études des mouve ments sociaux) directeur de recherche au CNRS, spécialiste de la sociologie de la deviance.

“Les individus connaissent naturellement les limites du socialement acceptable” En tant qu’individu, on est libre de bricoler son identité à l’infini.La question est jusqu’où ce bricolage peut-il être affiché publiquement et reconnu ? Jusqu’où est-il absorbable par la société ? Du point de vue sociétal, il existe des limites aux revendications individuelles,c’est indéniable ; mais pour moi,les individus connaissent naturellement

Lorsqu’il a des revendications à adresser à la société du point de vue législatif,des militants émergent et c’est alors à la société de légitimer ou non ces revendications en leur accordant une reconnaissance légale. Et sur ce plan, il n’y a pas de règle. L’acceptation dépend du degré de maturité de la société. La progression du droit

“Lorsqu’une demande individuelle émerge collectivement, c’est généralement qu’elle est mûre et légitime du point de vue démocratique” les limites du socialement acceptable. La société, c’est le regard des autres, l’acceptation du collectif plus que les lois et le choix des institutions. Et sur ce plan, je pense que chaque individu porte en lui la conscience de ce que le groupe est à même d’accepter.

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individuel avance par à-coups ; avec des avancées et parfois des régressions même si, au final, on s’aperçoit que le mouvement est inexorable. Personne ne peut prédire ce qu’une société est prête à absorber et personne ne connaît les limites des libertés indivi-

“La progression du droit individuel avance par à-coups ; mais le mouvement est inexorable”

duelles avant de les avoir testées. Mais encore une fois, lorsqu’une demande individuelle émerge collectivement, c’est généralement qu’elle est mûre et légitime du point de vue démocratique. * Co-auteur, avec Sandra Laugier, de “Pourquoi désobéir en démocratie ?” Le nouvel Economiste - n°1555 - Du 24 février au 2 mars 2011 - Hebdomadaire


Le nouvel Economiste - n°1555 - Du 24 fÊvrier au 2 mars 2011 - Hebdomadaire

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Politique (s) La vraie fausse campagne de DSK

Etre candidat sans être en campagne : le patron du FMI joue une partition délicate SYLVIE PIERRE-BROSSOLETTE Dominique Strauss-Kahn occupe le terrain. Lors de son passage à Paris en tant que patron du FMI, il a saisi l’occasion de montrer son intérêt pour les Français.Un passage au 20 heures de France 2 et une grande interview dans le Parisien devraient suffire à montrer l’attention qu’il porte à ses possibles futurs électeurs.Son absence forcée et surtout l’interdiction qu’il doit respecter de ne pas parler d’affaires internes à son pays le handicapent désormais dans la course à l’Elysée. Longtemps, l’adage “loin des yeux loin du coeur”n’a pas fonctionné dans son cas,au contraire.Mais la situation se retournant, au moins selon les sondages où l’image de DSK accuse le coup, ce dernier a dû

attaque millimétrée mais massive. On l’aura vu, on l’aura lu. Certes, il ne pouvait déclarer ses intentions pour la présidentielle. Mais en parlant du monde, on parle aussi de la France et on peut répondre à des détracteurs qui lui reprochent de ne pas être un “terrien”. L’extraterrestre a donc réatterri, montrant son visage le meilleur. Pas celui d’“affameur” des peuples mais plutôt de sauveur de la planète. Toujours pédagogue, il a évidemment pris soin de laisser entendre entre les lignes qu’il n’était pas le libéral que beaucoup l’accusent d’être.Mais son équation reste compliquée. Même lorsqu’il se sera déclaré - s’il le fait bien -, il aura un souci : soit il rassure la gauche en

Toujours pédagogue, il a pris soin de laisser entendre entre les lignes qu’il n’était pas le libéral que beaucoup l’accusent d’être. Mais son équation reste compliquée faire des efforts pour fournir des signes de sa détermination. Il y a d’abord eu la petite phrase d’Anne Sinclair dans le Point, indiquant que “pour ce qui la concerne”, elle ne souhaitait pas que son mari accomplisse un second mandat à Washington. Cela n’a pas suffi à calmer les attentes impatientes des socialistes et au-delà, qu’ils soient pour ou contre l’ancien ministre des Finances. Ses partisans bouillent de se lancer dans la bataille, ses adversaires brocardent sa stratégie de la lenteur. D’où une contre-

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adoptant un projet du PS qui fait encore la part belle aux dépenses et aux illusions, et il décevra ses supporters au centre ; soit il concocte son propre programme, plus “moderne” que celui de la rue de Solférino, et c’est sur son aile gauche que les choses se gâteront. Il aura en plus des attaques de la droite sur le thème de la désertion de poste en pleine crise, sans compter les “boules puantes”. Malgré tout cela, il semble de plus en plus enclin à se porter candidat.Réponse définitive avant le 13 juillet...

Sarkozy-DSK

Le match a commencé

La proximité avec les Français contre la compétence économique

les doigts dans le nez, en prenant garde à laisser croire qu’il n’était pas un bourreau de travail. C’est oublier qu’il s’est très jeune – aussi jeune que Nicolas Sarkozy lorsque celui-ci a rencontré le RPR et Jacques Chirac - engagé en politique, qu’il ne s’est pas contenté d’être un technicien de la chose économique, qu’il s’est immédiatement battu pour être élu, à la mairie et à l’Assemblée nationale. Oublier enfin qu’il est rapidement devenu ministre, après avoir été accepté comme conseiller surdoué par François Mitterrand ou Lionel Jospin, qui jonglaient moins bien que lui avec les données économiques. Nicolas Sarkozy, en animal politique qu’il est, sait bien que, derrière son air souvent nonchalant, Ils ont eu souvent, depuis plusieurs années, l’occasion de débattre Dominique Strauss-Kahn songe ensemble et de se mesurer réciproquement. néanmoins depuis des années, MICHÈLE COTTA sans le dire, à la présidentielle. Le L’allusion aux “terroirs et aux ter- terrain, qui connaît la France, qui premier affichait presque naïveritoires” de Christian Jacob, le pré- la parcourt depuis plusieurs an- ment y penser tous les jours en se sident du groupe parlementaire nées, qui connaît, ou affirme rasant, le second n’a jamais avoué, UMP, n’est à coup sûr pas fortuite. connaître “les préoccupations des jusqu’à présent, sa volonté d’être Eloigné depuis un peu moins de Français”, termes chers aux insti- au sommet de la pyramide poliquatre ans des sphères de la poli- tuts de sondage. A contrario, vo- tique française. Mais ils ont eu soutique intérieure française, même lant d’un coup d’avion au chevet vent, depuis plusieurs années, s’il a fait, toutes ces années-là, de des pays malades, ayant fait plu- l’occasion de débattre ensemble et fréquents passages à Paris, Domi- sieurs fois le tour du monde en de se mesurer réciproquement. nique Strauss-Kahn est d’emblée quatre ans, ayant son bureau aux Avec quelques phrases du genre : attaqué par les partisans de Nico- Etats-Unis, Strauss-Kahn est pré- “Je ne suis pas votre élève” de Sarlas Sarkozy sur ce point précis : son senté comme ayant perdu le kozy, s’attirant une réponse à deux éloignement de la réalité quoti- contact avec la population de Sar- doigts de la suffisance : “Si vous dienne française. Que la phrase de celles dont il a été élu. Etranger étiez mon élève, vous ne commettriez pas cette erreur.” Christian Jacob ne soit pas de très dans son pays en somme. bon goût, qu’elle évoque malen- Pour légèrement prématurée Chacun des deux hommes, à cette contreusement “la terre ne ment qu’elle soit, l’offensive montre à occasion, s’est révélé comme un pas”, souvenir de Vichy et de son quel point l’entrée en lice du di- puissant adversaire de l’autre. antisémitisme qu'elle soit dé- recteur général du FMI dans la Lors de l’un des duels télévisés qui nonce à ce titre par la gauche n'é- campagne présidentielle française ont opposé les deux hommes peninquiète Nicolas Sarkozy. Pour plu- dant le gouvernement Jospin, on a tonne pas. vu DSK dominer sans difficulté le Ce qui surprend davantage, c’est sieurs raisons. débat sur le terrain économique, que le combat politique s’engage mais cédant du terrain sur la sécusi tôt, alors que DSK n’est pas en- La personnalité de DSK, rité. L’un et l’autre, à l’issue de core tout à fait candidat, encore aux antipodes de celle cette confrontation, en ont déduit qu’il soit vrai que, comme le dit de Nicolas Sarkozy drôlement Laurent Fabius, il “che- Pas seulement, comme on pourrait qu’il leur fallait remédier à leurs mine” vers la candidature. le croire de prime abord, à cause faiblesses, travailler plus encore La première réaction des partisans des sondages, toujours au zénith les domaines qui n’étaient pas spontanément de Nicolas Sarkozy est assez DSK s’est aperçu qu’il fallait, pour lutter contre Sarko, les leurs. DSK s’est aperçu, lors révélatrice, plus de détermination, plus de combativité. pourtant, du de ces premières Nicolas Sarkozy a enregistré la force des arguments terrain sur leconfrontations, de DSK, et sa façon, efficace et simple, de les exposer quel le duel qu’il fallait, pour s’engagera : en lutter contre inaugurant, samedi dernier, le sa- pour DSK, et toujours ric-rac pour Sarko, plus de détermination, plus lon de l’Agriculture, qui n’est Nicolas Sarkozy. Cette différence de combativité qu’il le pensait. Nipourtant pas sa tasse de thé, le pré- entre les deux cotes de popularité colas Sarkozy a enregistré la force sident de la République, déjà en n’inquiète pas particulièrement le des arguments de DSK, et sa façon, campagne, a marqué sa volonté de président de la République : celui- efficace et simple, de les exposer. jouer la proximité avec les Fran- ci pense, pour l’avoir souvent ex- DSK n’a jamais été ni Raymond çais. Certes, il n’a pas pu se retenir, périmenté, que rien n’est plus Barre, resté à Matignon professeur à cette occasion, de se démarquer volatil que les sondages, que celui éminent d’économie, ni Edouard de son prédécesseur Jacques Chi- qui rit dimanche pleurera vend- Balladur, ne se décidant à sollicirac, vedette incontestée du salon redi, et que, tant qu’on n’en est pas ter les voix des électeurs qu’après depuis des décennies, en se disant arrivé à la dernière ligne droite, de longues années passées à vivre réticent devant le côté “folkorique” aucune élection n’est gagnée ou à côté des politiques, Georges de cette grande réunion d’hommes perdue. Pompidou puis Jacques Chirac, et d’animaux. Il a néanmoins pris Non, ce qui inquiète davantage la sans être élu. le temps d’un grand bain de foule majorité, c’est la personnalité La mère des batailles aura-t-elle - deux heures de stand en stand -, même de DSK, qui est aux antipo- lieu entre Sarkozy et Strausssuivi d’une table ronde d’une des de celle de Nicolas Sarkozy, ce Kahn ? Probable, mais pas encore heure et demie avec une dizaine qui en fait un rival d’autant plus certain. Une chose est sûre : la d’agriculteurs, dans un espace dangereux. Longtemps, on a dé- campagne, dans ce cas, ne manplus paisible que dans la grande peint DSK comme un dilettante, quera pas de tonus. en oubliant qu’il a été un étudiant foule des exposants. Le message subliminal est clair : surdiplomé, qu’il a passé son agréNicolas Sarkozy est un homme de gation de sciences économiques Le nouvel Economiste - n°1555 - Du 24 février au 2 mars 2011 - Hebdomadaire


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Economie (s) Entre les lignes

Urgence diplomatique Les troubles sociaux au Sud militent pour un aggiornamento bien au-delà du G20

SIPA

- providentiel sans une armature et une conscience politiques fortes. Dans les allées du pouvoir,le trou d’air diplomatique inquiète les caciques. Pour beaucoup, les changements historiques en cours, leur portée stratégique, les couacs tricolores : tout appelle à un sursaut urgent de la France.D’autant qu’à Bruxelles, la valise diplomatique d’Hermann Van Rompuy et Catherine Ashton sonne et continuera de sonner creux, ce qui n’est certainement pas une découverte. L’incurie duVieux Continent “milite d’autant plus en faveur d’une réhabilitation nationale pourvu qu’elle fasse sens et nous replace dans notre propre trace”. Pour l’heure, Obama est seul à donner le change. “On a raillé à l’Elysée sa politique étrangère et son célèbre discours du Caire au monde musulman. Kouchner, Alliot-Marie : Dominique Moïsi se demande brutalement si le président Cela ne durera peut-être pas mais force de la République n’aurait pas choisi ses deux chefs de notre diplomatie au vu de est de constater que la diplomatie améleurs limites plus que de leurs mérites. ricaine est aujourd’hui la seule audible d’Occident et qu’elle est fort bien incarHENRY LAURET née par Hillary Clinton”,commente un On ne sort de l’ambiguïté qu’à son dé- rupture avec l’institution et l’héritage grand diplomate. Nicolas Sarkozy triment...C’est le moment de méditer culturel. La Justice est sens dessus saura-t-il reprendre la vague et par la formule chère à Mitterrand. Une dessous. L’Education, exception faite quel bout ? Le sort de sa ministre des page d’Histoire est en train de s’écrire de l’université, reste une lézarde. L’ar- Affaires étrangères,en voyage au Bréet la France, passons sur l’Europe, en mée se tait, c’est sa nature. Dès 2007, sil quand Christine Lagarde gagneTuest absente. L’idée d’une France dé- le projet d’une diplomatie commune nis en compagnie du diplomate (?) valorisée se répand comme traînée dans le pourtour de la Méditerranée secrétaire d’Etat Frédéric Lefebvre, de poudre, nourrie par des ratés, s’inspirait d’une juste intuition prési- serait déjà scellé. Exit après les canfrasques et approximations qui sont dentielle.Avec Bouteflika,Moubarak tonales. Le Quai va changer de main, le ver de toute diplomatie. Qu’en et Ben Ali pour premiers comparses, “ce qui n’est pas suffisant”. Alain contemplant de sa fenêtre le souffle elle est mort-née. Alors que l’embra- Juppé tiendrait la corde. Et pourquoi libertaire en Méditerranée, Nicolas sement menace,Jean-Pierre Raffarin pas Dominique deVillepin, s’esclaffe un ancien du Quai ? Sarkozy ait été pris Nul régime, nulle monarchie pétrolière, En recevant l’ex-Prede court, il n’aura mier ministre pour pas été le seul ! Qu’il n’a de certitude d’échapper à l’orage. L’Iran toise. évoquer le G20 et perçoive - comme L’Histoire accélère, le G20 fait du sur-place s’assurer de sa neutant d’autres avec lui - “le tournant mais pas la route”, peut s’enorgueillit de négocier directe- tralité en vue de l’empoignade présise concevoir à la vitesse où se déplace ment avec Abelaziz Bouteflika pour dentielle, Nicolas Sarkozy aura-t-il le cybermonde.Autrement plus trou- le compte de nos industries et de le l’audace de lever le lièvre ? Il y a blante est cette impuissance à com- faire au nom du président de la Ré- risque d’embrouiller l’écheveau, désprendre et à trouver les mots. La publique française. Bouteflika est-il arçonner à droite et se voir opposer notablement plus fréquentable que un refus humiliant d’un homme qui, France sous Sarkozy n’a certes pas perdu son rang après un survol très Ben Ali ; et plus assuré de son destin lui, cherche à sortir d’une impasse de candidat possible à l’Elysée ? “Alors, terre à terre de MAM enTunisie, une que Moubarak ? soyons sérieux”. croisière en famille du Premier miReste au chef de l’Etat acculé dans les nistre sur le Nil, ou l’intempérance Le délitement sondages le grand théâtre du G20, la d’un Marie Louise du Quai, éphèbe de l’image de la France ambassadeur de France de l’après- Que reste-t-il d’un demi siècle de po- diplomatie de Forum sur fond de BenAli qui se piquait,il y a peu sur les litique arabe et de l’image de la grandes tensions économiques et moécrans Canal +, de l’affection de Mua- France au Proche-Orient et en nétaires et de tout aussi grand rapport mar Khadafi en personne. La poli- Afrique ? L’ex-ambassadeur et écri- de puissance avec le géant chinois, tique est toujours affaire de vain Jean-Christophe Ruffin ne cesse Washington et quelques acolytes reconvictions. La diplomatie, de sym- de souligner le délitement de nos po- muants. Nicolas Sarkozy y déploie bole. Dans le fatras des dernières se- sitions et de nos certitudes.Toute po- une vigueur gourmande,avec l’espoir maines, il faut craindre que notre litique extérieure tient aussi au choix que sa mission prophétique lui vaupays aura gaspillé ce zeste de lueur, des hommes (et des femmes) censés dra reconnaissance et mérite en deçà cet esprit de fronde né d’un clairon- incarner le pays au-delà des frontiè- et au-delà des Pyrénées. Nul ne nant refus de la guerre d’Irak à la tri- res. Kouchner, Alliot-Marie : Domi- contesterait l’ambition de la présibune des Nations unies. nique Moïsi se demande brutalement dence française ni la brûlante nécessi le président de la République n’au- sité de coopération internationale. rait pas choisi ses deux chefs de notre Oublié le retentissant échec du somRenverser la table A vouloir tancer le banc et l’arrière- diplomatie au vu de leurs limites plus met de Séoul, merci aux Chinois d’avoir entériné le compromis du banc de la magistrature de France,ju- que de leurs mérites. Et de relever le ges, préfets, enseignants, diplomates, “contraste saisissant avec Obama qui a thermomètre brandi par Christine haute fonction publique, sans omet- pris pour secrétaire d’Etat Hillary Clin- Lagarde.Les apparences sont sauves. tre quelques huiles en galons, le chef ton,sa rivale des primaires démocrates”. Après la chute de Ben Ali, de Moubade l’Etat voulait casser les codes, ré- Autre exemple de l’autre côté du rak, l’enchaînement synchronique en nover les esprits, bouleverser le fond Channel. La Grande-Bretagne “vieille Libye, nul régime, nulle monarchie du vieux pays qui est le nôtre. Ren- nation de longue tradition diploma- pétrolière, n’a de certitude d’échapverser la table. Louable prétention tique”,s’est régulièrement choisie des per à l’orage.L’Iran toise.L’histoire acqui s’est heurtée à une pratique dés- hommes d’envergure pour le Foreign célère, le G20 fait du sur-place. La ordonnée de dénonciation, précipi- Office, tels le travailliste David Mili- Bourse et les marchés s’agitent. La tation, de posture impulsive et band puis le conservateur William crise continue autrement. Son troicompassionnelle.Voire d’humiliation. Haig, note encore l’expert de l’Ifri. sième volet est social et politique. Et, en tout cas, à une conception très C’est indiscutable. Mais ici comme à Même ceux qui n’avaient pas vu vepersonnelle de l’hyper-présidence en Londres, il n’est d’homme - de femme nir le sable violent du désert arabe sa-

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Pouvoirs d’aujourd’hui

ECONOMIQUE, ADMINISTRATIF, POLITIQUE, SOCIAL, JUDICIAIRE, INTELLECTUEL, SPIRITUEL, MÉDIATIQUE Mieux que le PIB par habitant

L’indice Gini

D.R.

Les prémices annonciateurs d’une révolution dans un indicateur statistique des inégalités

“Si l’écart se creuse entre les riches et les pauvres, si ce fait est connu de la population et si la notoriété du dirigeant est au plus bas, les chances de basculement s’accroissent considérablement”, Frédéric Encel, professeur de relations internationales à l’ESG, maître de conférences à Sciences-Po Paris.

Vient de paraître

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paraissent comme les sociétés les plus égalitaires au monde à travers le prisme Gini. Selon les informations de développement humain de l’ONU, l’Allemagne (0,283) et la France (0,289) ne sont pas loin derrière, quand le Royaume-Uni (0,36), au système moins redistributif, est déjà plus éloigné. Les pays les plus inégalitaires au monde ont un coefficient de 0,6 (Brésil, Guatemala, Honduras), et même de 0,707 pour la Namibie. “Si l’écart se creuse entre les riches et les pauvres, si ce fait est connu de la population – les recettes pétrolières algériennes sont par exemple des preuves - et si la notoriété du dirigeant est au plus bas, les chances de basculement s’accroissent considérablement”, remarque Frédéric Encel, professeur de relations internationales à l’ESG, maître de conférences à Sciences-Po Paris.

de grands bouleversements sociologiques dans la société. Aujourd’hui les 1 % d’Américains les plus riches s’accaparent 20 % des revenus, quand les 50 % ayant les revenus les plus faibles n’en captent que 13 %. Des données qui dérangent aussi dans l’empire du Milieu, puisque la Chine se rapproche des 0,5. “Ce chiffre est stimulant intellectuellement pour les économistes qui l’utilisent pour tirer des conclusions”, remarque Frédéric Encel, coauteur d’un récent ouvrage sur le MoyenOrient (1).

Les limites du seul prisme économique

Bien évidemment une analyse fondée sur Gini stricto sensu serait erronée. Certes les données économiques comptent, l’extrême pauvreté et la faim peuvent être les étincelles. Mais il est troublant de constater que la Chine et La courbe de Lorenz L’ensemble des ménages peut donc les Etats-Unis se classent au même “La peur a changé de camp”,selon l’ex- être découpé en 10 groupes, des 10 % rang Gini que le Turkménistan ou le pression consacrée. Les révoltes tuni- les plus pauvres aux 10 % les plus ri- Ghana, alors que l’instabilité n’est pas siennes et égyptiennes ont surpris tout ches. Il suffit ensuite de relier ces grou- de mise chez ces deux super-puissanautant les diplomaties occidentales pes à la part des revenus qu’ils ces.Les classes lésées ont une tolérance que les classes dirigeantes de ces pays. reçoivent ou à la part des richesses aux inégalités plus élevée lorsque le niEt pourtant un observateur attentif au- qu’ils détiennent.Par exemple les 10 % veau de développement général est imrait peut-être pu déceler les prémices des ménages les plus pauvres portant.Mais surtout “le politique prime annonciateurs de la révolution dans un détiennent 5 % de l’ensemble de la ri- sur l’économique en matière de mouvements sociaux. Ce indicateur statisn’est pas l’inégalité tique au nom aussi “Ce n’est pas l’inégalité en elle-même en elle-même mais la mystérieux que représentation qu’en sympathique, l’inmais la représentation qu’en ont les populations ont les populations dice Gini. Celui-ci, qui déclenchera des mouvements subversifs” qui déclenchera des en mesurant le demouvements subvergré des inégalités de quasiment tous les pays de la pla- chesse. Dans un monde strictement sifs”, nuance Frédéric Encel, qui pointe nète sur une échelle commune allant égalitaire la proportion serait la même. le fait que ce coefficient était aussi de 0 à 1, donne en effet bien mieux Ces situations sont synthétisées par la élevé il y a 10 ans dans les pays arabes qu’un rapport complet des services se- courbe de Lorenz, avec en abscisse le connaissant des troubles aujourd’hui. crets, la température sociale d’une so- pourcentage cumulé de la population Ainsi la société américaine supporte ciété. Le thermomètre, avec un Gini de et en ordonnée le pourcentage cumulé plus facilement son inégalité parce que 0,398 pour la Tunisie et de 0,348 pour des richesses. Une égalité parfaite se- subsiste dans l’inconscient collectif que l’Egypte, semble montrer que la zone rait une diagonale. Plus cette courbe tout peut très vite changer pour chades 0,35 est celle des turbulences. De est incurvée pour un pays, plus la ré- cun. L’image du self-made man et de bien mauvais augure pour les pays pro- partition est inégale. Le coefficient de l’ascenseur social a encore de beaux ches géographiquement ou culturelle- Gini, développé par le statisticien ita- jours devant elle outre-Atlantique. ment, comme l’Algérie à 0,353 ou l’Iran lien Corrado Gini en 1912, encore plus C’est au contraire le sentiment de l’imà 0,43.Une telle analyse laisserait crain- pratique, est la surface entre la courbe mobilisme, de l’ordre établi immuable dre un bel “effet domino”. Le contrat de Lorenz et la diagonale de l’égalité qui a poussé la jeunesse tunisienne social grâce auquel les individus ac- parfaite divisée par la surface du tri- dans la rue. “Le calcul de probabilité ceptent de vivre ensemble pourrait angle formé par la diagonale et l’ab- qu’un homme se rebelle et parvienne à féêtre remis en cause à partir d’un certain scisse. 0 est donc l’égalité parfaite, 1 dérer autour de lui à un moment n’existe niveau d’inégalité de patrimoine ou l’inégalité totale où une personne dé- pas, parce que c’est la conjonction de facd’enrichissement entre catégories de tient toutes les richesses. Cet outil per- teurs sociaux et politiques. De nombreux la population. Car si la richesse et la met d’éviter les moyennes peu faits, de nombreuses “frictions” imprévicroissance générale des pays sont faci- représentatives de la majeure partie de sibles,au sens de Clausewitz,qui éloignent lement évoquées, les disparités entre la population, comme le revenu par ha- l’expérience de la théorie, peuvent empêceux qui en profitent et les autres sont bitant. Il n’est pas influencé par la ri- cher le basculement, comme cela a été le moins décrites dans la littérature éco- chesse ou la taille du pays et permet cas pour l’Iran”, déclare Frédéric Encel. nomique.Au Brésil et en Hongrie les ni- donc comparaisons et observations Pour le politologue, cet écart entre riveaux de PNB par habitant sont dans le temps ; un dernier point des ches et pauvres sera un indicateur de comparables, mais l’incidence de la plus“touchy”.Ainsi,à travers ce prisme tension parmi d’autres, mais il préfèpauvreté brésilienne est bien plus éle- d’analyse, les inégalités de revenus au- rera observer le degré d’exaspération. vée. Les 20 % les plus riches de la po- raient légèrement augmenté au sein “Certes il existe un substrat socio-éconopulation hongroise s’accaparent 4 fois des pays développés depuis les années mique dans le monde arabe, une consplus du revenu national que les 20 % 1980,dans les pays anglo-saxons autour cience d’appartenir à un monde culturel les plus pauvres.Une proportion qui est de 1980, dans certains pays d’Europe commun. Mais cela s’arrête là, il faut recontinentale autour de 1990, et plus ré- contextualiser géopolitiquement, selon le de 30 au Brésil ! cemment dans certains pays nordiques. pays. Les tensions tribales auYémen sont L’évolution la plus violente concerne bien éloignées des exaspérations égypLes écarts de répartitions, Cuba, qui a gommé les différences en tiennes.” potentiellement créateurs passant de 0,55 en 1953 à 0,22 en 1986. d’instabilité Le petit nombre magique revient donc Le constat est inverse aux Etats-Unis, (1)Coauteur de Regards croisés sur le en force dans les analyses des écono- où le coefficient est passé, selon le Bu- Proche-Orient, sous la direction de Mimistes pour “pointer” les écarts de ré- reau du recensement, de 0,39 en 1967 chel Derczansky, éditionsYago, 2011. partitions, potentiellement créateurs à 0,46 en 2000, puis 0,47 en 2006. Des julien.tarby@nouveleconomiste.fr d’instabilité. Sans surprise le Dane- changements de décimales qui n’ont mark (0,247), la Suède et le Japon ap- l’air de rien, mais qui sont synonymes Le nouvel Economiste - n°1555 - Du 24 février au 2 mars 2011 - Hebdomadaire


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Pouvoirs d’aujourd’hui

ECONOMIQUE, ADMINISTRATIF, POLITIQUE, SOCIAL, JUDICIAIRE, INTELLECTUEL, SPIRITUEL, MÉDIATIQUE

Les menaces qui pèsent sur la Chine

Le statut de deuxième puissance économique mondiale ne fait pas tourner la tête des Chinois. Ils connaissent les difficultés qui les attendent PHILIPPE BARRET Les dernières données statistiques du Japon confirment ce que les autorités chinoises avaient annoncé il y a déjà quelques mois : la Chine est devenue la deuxième puissance économique dans le monde. Les autorités chinoises relativisent cette hiérarchie des PIB en la rapportant à la population des deux pays. Par habitant, le PIB chinois représente

meilleure redistribution des revenus, c’est-à-dire lutter contre les inégalités sociales,en augmentant les bas salaires et en élevant le niveau de la sécurité sociale. Mais la compétitivité des entreprises chinoises pourrait s’en trouver menacée. Rééquilibrer le développement régional du pays, au bénéfice des régions occidentales,sous-développées.Mais dans ces régions, il faudra accueillir rapide-

Par habitant, le PIB chinois représente le dixième de celui du Japon (...) A Pékin, on ne cesse de le répéter : la Chine est encore un pays en voie de développement le dixième de celui du Japon : 4 283 dollars, contre 42 325 dollars par habitant japonais,sans oublier les 150 millions de pauvres. A Pékin, on ne cesse de le répéter : la Chine est encore un pays en voie de développement. Certes, les mêmes autorités chinoises sont confiantes sur les perspectives de leur croissance économique : elles misent sur une croissance de 8 à 10 % pour les dix prochaines années. Cependant, elles ne sous-estiment pas les difficultés à venir. Passer d’une économie prioritairement tournée vers l’exportation à une économie tournée vers le marché intérieur : l’objectif est plus facile à définir qu’à atteindre, car la Chine doit garder les moyens de payer ses importations toujours croissantes de matières premières.Pour cela,il faudra,entre autres moyens, faire plus de place à la consommation qu’à l’investissement.Ce chemin-là n’est pas plus aisé à emprunter que le précédent. Assurer une

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ment beaucoup d’anciens ruraux dans les villes,au risque de mécontenter d’autres ruraux, menacés d’expropriation par l’extension urbaine. Gérer assez habilement la monnaie : une monnaie assez forte pour importer à bas prix, mais assez faible aussi pour ne pas handicaper les exportations. Enfin, et cela,sans tarder : lutter contre l’inflation sans casser la croissance.L’alimentation, où l’inflation comporte les plus graves conséquences sociales,est soumise à des aléas climatiques sur lesquels le pouvoir politique est impuissant. Dans le logement, où l’inflation est la plus forte, l’action gouvernementale a plus d’effet. Mais le gouvernement a déjà augmenté les taux d’intérêt,il a diminué les quotas de prêt, il a augmenté le niveau des réserves bancaires obligatoires,et tout cela n’a pas suffi. Faire plus, c’est courir le risque de freiner la croissance. Croître mieux, c’est l’immense défi que doit relever l’économie chinoise.

Boules puantes

Sous la ceinture

Les ingrédients de la petite phrase politique pour déstabiliser à peu de frais Une distinction qui, il est vrai, faisait de DSK une proie toute désignée, puisque, entre son riad à Marakech, ses silences étudiés et sa réputation de séducteur-né, ce n’était pas les angles d'attaque qui manquaient.

La boule puante du mois C'est pourtant la petite phrase de Christian Jacob déclarant le potentiel candidat aux présidentielles 2012 peu conforme “à l'image de la France des terroirs et des territoires (…)” qui s'est vu décerner le titre de boule puante du mois en déclenchant un tollé dans les rangs de l'opposition. Motif : le recours au Paola de la Baume* : “Les boules puantes permettent d'exister médiatiquement, mot “terroir” qui, forcément chargé de se placer – en politique on est nécessairement pour ou contre quelqu'un… – et de relents Pétainistes, aura permis de désamorcer la pression” au PS de crier à l’attaque sur les origines juives de DSK. On le sait, l'efficacité des boules rence de ce type est considérée Une interprétation commode à plus puantes n'est plus à démontrer. Pas comme relevant, au pire, du do- d’un titre puisqu’elle aura permis celles qui, il y a encore quelques dé- maine du privé, au mieux, du ca- au PS non seulement de sur-jouer cennies, vous permettaient d'éva- ractère “bon vivant” de l'intéressé. la carte de l'indignation –registre cuer la salle de cours et d’échapper Rien à voir avec la scène politique toujours porteur vertueuse - mais ainsi à 15 minutes de math, mais américaine. “Cela s'explique par le aussi de convertir une petite phrase celles qui, habilement placées au fait qu'aux Etats-Unis, la politique se en boule puante. “La référence de détour d'une interview ou d'un réclame davantage de préceptes mo- Christian Jacob était la France des meeting politique, permet, à peu de raux, indique Paola de la Baume, co- agriculteurs ; rectifie Christian frais, de torpiller un adversaire ou auteur avec Emmanuel Giannesini Gambotti. On a prétendu que c'était de discréditer un faux allié. Car du “Dictionnaire impertinent du la France de Pétain afin de prétexter l’objectif de cet outil de communi- Politique” ; Chez nous, elle repose es- une volonté d'en référer aux origines cation particulièrement prisé des sentiellement sur des préceptes répu- de DSK et ainsi, de disqualifier l'aupolitique est clair: déchoir avec un blicains.” teur de la phrase.” Car ne l’oublions minimum de mots et sans nécessaipas, les boules puantes sont à marement d'arguments objectifs. Au-dessus de la ceinture nipuler avec précautions. “Lorsque Idéal, donc, dans un univers poli- Sans ces ingrédients explosifs, in- l'on cherche à assassiner quelqu'un sétique gouverné par un double im- utile d'espérer fabriquer une boule mantiquement, insiste-t-il, il faut être pératif de rapidité et d'efficacité. puante efficace. La petite phrase particulièrement prudent si l'on ne Spécialiste du langage politique et restera au stade de l'attaque poli- veut pas que l'attaque se retourne auteur de “Brèves de pouvoir ; petits tique classique. Comme c'est le cas contre soi.” meurtres sémantiques entre amis, al- avec le tir fourni essuyé par Mi- Reste que, bien utilisées, elles peuliés et adversaivent s'avérer exres”, Christian trêmement utiles. Gambotti y voit “L’objectif de cet outil de communication particulièrement Pour disqualifier l’arme oratoire prisé des politique est clair: déchoir avec un minimum de un adversaire, d’une nouvelle certes, mais pas mots et sans nécessairement d'arguments objectifs” époque. “Autreseulement rapfois, on avait en popelle Paola de la litique la culture de l'insulte ; depuis chèle Alliot-Marie sur des thèmes Baume. “Les boules puantes permetque l'on évolue dans une démocratie porteurs, certes, – le mensonge, tent d'exister médiatiquement – on apaisée, on est passé à une culture de l'exemplarité, la compétence... - sait que, avec ce genre de petite phrala vanne, du bon mot, ce qui n'exclut mais qui, restent tous au dessus de ses, on sera repris -, de se placer – en popas la violence, bien en contraire - la ceinture, ou même avec Jean-Luc litique on est nécessairement pour ou exemple : Marie-France Garaud à pro- Mélenchon lorsqu’il qualifie Domi- contre quelqu'un, elles nous positionpos de Jacques Chirac : “Je croyais nique Strauss-Khan “d'affameur des nent dans l’un des deux camps – et enqu'il était du marbre dont on fait les populations pauvres”. Motif : ab- fin, de désamorcer la pression en un statues, en réalité il est de la faïence sence d’effet de surprise et attaque minimum de temps selon une stratédont on fait les bidets”- mais qui vise portant sur la vie professionnelle gie du franc-tireur consistant à parer à déstabiliser l'adversaire tout en de l’intéressé - c’est le bilan du pré- au plus pressé avant que ne suivent mettant les rieurs de son coté.” Mode sident du FMI qui est en cause - et des propos plus construits et plus mod'emploi. non un aspect intime de sa vie - for- dérés”. Plus avantageux que les tune, origine, religion, famille...-. noms d’oiseaux du passé, donc. Là où ça fait mal, Pour Paola de la Baume, cela exl’intime ou les tabous plique que l’offensive, pourtant vio- *Co-auteur du “Dictionnaire impertinent du politique” Pour constituer une boule puante lente en apparences, n’ait connu digne de ce nom, l’attaque verbale qu’un faible retentissement: “C'est doit obéir à plusieurs impératifs. passé sans soulever de réaction particaroline.castets@nouveleconomiste.fr Parmi ceux-ci : créer un effet de sur- culière parce que c'était prévisible : le prise, être courte et simple – pour thème du FMI, de l'homme de Wasêtre compréhensible par un public hington, etc... c'est un registre clasaussi large que possible –, et ne pas sique pour le personnage ; comme hésiter à frapper là où ça fait mal en celui du bling-bling pour Sarkozy ; jouant sur l'intime – la famille, la re- cela ne peut plus produire de boules ligion, l'origine... - et sur les der- puantes.” Rien à voir avec le tir de niers sujets tabous - mortier essuyé il y a quelques anl'antisémitisme, le racisme, la ri- nées par Rachida Dati sur le passé chesse, le machisme. Le sexe, en re- carcéral de son frère.“La phrase vanche, n’entre pas dans la liste des d'attaque intervient sur des sujets ingrédients. Du moins sur la scène ponctuels, résume Paola de la politique française où toute réfé- Baume ; la boule puante sur du fond”. D.R.

La Chine s’est éveillée

Le nouvel Economiste - n°1555 - Du 24 février au 2 mars 2011 - Hebdomadaire


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Débat François d’Aubert, magistrat à la Cour des comptes et Olivier Pastré, économiste

“De quoi Colbert est-il le nom ?”

SIPA

Une confrontation lucide avec la réalité historique d'un grand homme de l'histoire de France dont l’oeuvre et la personnalité attirent légitimement l’éloge, mais aussi beaucoup de réserves

Olivier Pastré : “L’homme apparaît extraordinairement antipathique, veule, accapareur, se constituant une fortune colossale l’air de rien. Mais bien que n’ayant en tête que le souci d’accumuler, il est en même temps le personnage “anti-bling-bling” par excellence.” François d’Aubert : “Le mythe Colbert avait besoin d’une confrontation honnête avec la réalité historique et d’un examen de son édification. Ce grand modeste devant l’Histoire fut très attentif à son avenir historico-médiatique et ne perdait jamais une occasion d’œuvrer à sa propre promotion.”

Par Philippe Plassart

pouvoir d’attraction pour mieux en critiquer les ressorts positifs et négatifs. Car Avec la crise, on a cru que Keynes, le génial théoricien du soutien de la tout n’est pas bon à prendre chez ce personnage ambigu qui a œuvré sous la croissance, tenait sa revanche. Que non ! le retour triomphal de ce dernier monarchie absolue pour le meilleur et, on va le semble définitivement contrarié car les caisses voir, parfois pour… le pire. Néanmoins, pour publiques sont vides. En réalité, c’est du plus “Colbert porte haut la volonté en politique. François d’Aubert, l’essentiel est là : “Colbert profond de l’Histoire qu’a resurgi une figure un A cette aune, il est tout le contraire porte haut la volonté en politique. A cette aune, il temps éclipsée mais au fond jamais oubliée, celle d’un conservateur” est tout le contraire d’un conservateur.” Un de Colbert, l’illustre ministre de Louis XIV, activisme et un enseignement pour aujourd’hui chantre du centralisme économique. “Colbert is qu’Olivier Pastré salue aussi. back !” Et pas qu’en France. De quoi ce retour de Colbert - et derrière lui, du (*) A lire : Colbert – la vertu usurpée par François d’Aubert (éd. Perrin) et La colbertisme - sont-ils le nom ? François d’Aubert et Olivier Pastré, qui lui ont Méthode Colbert ou le patriotisme efficace par Olivier Pastré (éd. Perrin). consacré, le premier une biographie, le second un essai, en analysent ici le

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ourquoi Colbert ? La crise financière a accouché d’une nouvelle version du colbertisme, cette fois pour assurer le sauvetage des banques par les Etats. Remède miracle, il a même fait des émules aux Etats-Unis, temple du libéralisme, alors qu’il incarne, du moins chez les Anglo-Saxons, l’intervention honnie de l’Etat dans l’économie. L’exceptionnelle longévité d’une doctrine conceptualisée un siècle après la disparition de son géniteur supposé, et perpétuée depuis, méritait que l’on s’y attarde. Cette renommée est en fait indissociable de son inspirateur mais aussi ambigüe qu’elle : cela valait bien une biographie il est vrai sans complaisance d’un grand homme de l’histoire de France, dont l’œuvre attire légitimement l’éloge, mais aussi beaucoup de réserves, avec une personnalité à laquelle ont été accordées par l’historiographie trop de vertus en fait souvent usurpées. Comme tout mythe, celui de Colbert avait besoin d’une confrontation honnête avec la réalité historique et d’un examen de son édification : ce grand modeste devant l’Histoire fut très attentif son avenir historicomédiatique et ne perdait jamais une occasion d’œuvrer à sa propre promotion. A l’actif du vrai Colbert, on trouve nombre des meilleurs projets du très long règne de Louis XIV, du moins de toutes ses premières années ; son volontarisme politique impressionne, s’appliquant à des domaines aussi divers que les finances, les impôts, la marine, le commerce, les ports militaires, le canal du Midi, les manufactures ou les bâtiments royaux ; Colbert déçoit aussi parfois, alors qu’il avait pour lui la durée - vingtdeux ans ministre – faute souvent de continuité dans l’effort et à cause d’une sous-estimation des difficultés qu’il allait rencontrer. Olivier Pastré : Ce qui est fascinant chez Colbert, c’est la dimension incroyablement contemporaine du personnage qua-

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tre siècles plus tard. Chez lui, le pire côtoie le meilleur. Sur le plan personnel, l’homme apparaît extraordinairement antipathique, veule, accapareur, se constituant une fortune colossale l’air de rien. Mais bien que n’ayant en tête que le souci d’accumuler, il est en même temps le personnage “anti-blingbling” par excellence. Il était fondamentalement un homme

“Il est à mes yeux l’homme politique qui a vraiment donné naissance à l’Etat français” de l’ombre. La lumière, il la réservait totalement au roi. L’autre leçon qu’il lègue à travers le temps, c’est son incroyable ténacité. Il agit avec une constance remarquable. Il se trompe parfois, il voit juste souvent, mais toujours il va au bout de son idée. Grâce à cette ténacité, il est à mes yeux l’homme politique qui a vraiment donné naissance à l’Etat français. François d’Aubert : Son rapport quasi obsessionnel à l’argent est terrible. L’ambition se mêle chez lui de façon inextricable à la volonté de s’enrichir et au “gread” : sous la monarchie louisquatorzième, pour s’enrichir, il faut le pouvoir politique et pour avoir le pouvoir, il faut être riche. Colbert termine sa carrière avec une fortune - énorme pour l’époque - de 10 millions de livres environ, 150 millions d’euros souvent bien mal acquis ; la fortune personnelle de Colbert est un sujet tabou. Il est vrai que d’autres ministres de l’époque se sont enrichis mais jamais à ce point, sauf Mazarin. Le plus singulier est que cette dimension non vertueuse de Colbert a été complètement occultée par la suite, l’historiographie faisant de lui l’icône de l’homme d’Etat vertueux, une sorte de saint patron de la perfection administrative. Même sa vie amoureuse

a été mise à l’écart car ne cadrant pas avec cette image pieuse. O.P. Le regard sur les moeurs est changeant selon les époques. Sous le Roi-Soleil, on pouvait se montrer moyennement vertueux dans sa vie intime tout en se posant en grand défenseur de l’Etat. Je ne veux absoudre Colbert sur sa gestion patrimoniale et sa vie privée mais l’essentiel de son héritage - le fameux “colbertisme”reste ce qu’on pourrait baptiser, par anticipation historique, la politique industrielle ou de grands travaux. Cette politique industrielle va bien au-delà des manufactures. Elle englobe même le rétablissement des finances publiques. Force est de reconnaître que s’il n’a pas définitivement rétabli la vertu budgétaire dans la gestion du royaume, au moins aura-t-il réussi à redresser les finances de celui-ci pendant son “règne”. F.A. Très temporairement car huit ans après sa prise de pouvoir, et quatorze ans avant sa mort, les finances du royaume déraillaient à nouveau, il est vrai à cause de la guerre dont Colbert était le supporter. Finances rétablies au prix d’une banqueroute

“Il fut un financier hors pair, un incomparable leveur d’impôts capable de fabriquer du “cash” pour l’Etat et couvrir ses besoins de trésorerie” rampante, de l’émission de fausse monnaie et d’une connivence coupable avec les milieux financiers dont il était très proche ; au prix aussi d’une élimination crapuleuse de Fouquet, dont il fit son souffre-douleur. Il fut en réalité un financier hors pair, un incomparable leveur d’impôts capable de fabriquer du “cash” pour l’Etat et couvrir ses besoins de trésorerie. A la veille de la guerre de Hollande en 1672, les caisses du Royaume étaient à nouveau plei-

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Débat O.P. Il ne faut pas en effet lui enlever ce mérite. On peut aussi mettre à son actif la mise en place d’un véritable réseau de percepteurs d’impôts directement rattachés à la Couronne (et non pas “sous-traitants” comme disait Fouquet). C’est Colbert qui a créé l’embryon de ce qui allait être l’administration française. F.A. Cette réforme jette les bases d’un Etat moderne. Il imprime durablement sa marque en organisant un Etat défini par sa capacité à lever l’impôt. La nation française s’est constituée grâce à l’Etat mais c’est la dimension fiscale de cet Etat et le système de contraintes qui lui était associé qui l’ont façonné. En même temps, sa tentative de réforme fiscale fut un échec et le poids de la taille fut une des causes de la Révolution française. O.P. Il faut rendre à Louis XIV ce qui lui appartient, c’est-à-dire la création d’un Etat moderne. On peut mettre à l’actif de Colbert la création de cette nouvelle administration fiscale, ce qui n’est pas rien, car elle constitue le bras financier de l’Etat moderne. Il y a d’autres éléments à mettre au crédit de Colbert : l’obligation, pour les commerçants, de tenir une comptabilité, l’idée d’importer de l’étranger des technologies et de la main-d’oeuvre pour bénéficier de la qualité la meilleure. Enfin, il faut saluer son intuition sur l’éducation comme clé du développement. Il a ainsi soutenu les oratoriens et leurs collègues sans pour autant les ai-

F.A. Cette approche très novatrice pour l’époque - on sort du baroque – reste associée au nom de Colbert. Une méthode originale qui offre l’avantage considérable par rapport aux modèles d’organisation militaire pratiqués jusque-là. Mais qui souffre d’une rigidité qui confine à l’esprit de système. Il a ainsi très systématiquement et magnifiquement créé une marine de guerre mais c’est sous son ministère et celui de son fils que le système quasi totalitaire des galères connaît son apogée. Autre tache et non des moindres : la traite des Noirs érigée sans états d’âme en système d’exploitation pour pallier les difficultés économiques. O.P.Pour juger l’oeuvre de Colbert, il faut mettre son héritage en perspective. Premièrement, Colbert vient après la Fronde, une période traumatisante qui appelait l’instauration d’un pouvoir fort. Cela explique une méfiance profonde à l’encontre des pouvoirs locaux ou décentralisés. Le pouvoir central n’aura de cesse de prélever sa dîme et de limiter les pouvoirs locaux. Une conception qui a laissé des traces jusqu’à aujourd’hui et qui explique la difficulté propre à la France de jouer la carte de la décentralisa-

“Il aura été véritablement l’inventeur et le maître du “top down”de l’économie dirigée. Colbert est l’ancêtre des jacobins” tion. Il aura été véritablement l’inventeur et le maître du “top down”de l’économie dirigée. Colbert est l’ancêtre des jacobins. Deuxièmement, Louis XIV, qui était extraordinairement dépensier, voulait disposer de tout l’argent nécessaire pour conduire son armée. Il pratiquait dans sa gestion un laxisme comme l’Histoire en a rarement connu. Colbert a, comme on dit, “assuré”. Ensuite, la France faisait face à la concurrence de la Hollande. Dans ces conditions, le “protectionnisme” de Colbert aujourd’hui si décrié mérite d’être contextualisé.Tout d’abord, le libre-échange n’était l’apanage d’aucun pays à l’époque et chacun d’entre eux croyait fonder sa réussite sur le mercantilisme. La France ne faisait pas exception. F.A. Colbert était un pur mercantiliste, adepte d’une guerre économique qui devait logiquement se poursuivre par une guerre militaire. Le rôle de l’Etat devait être prépondérant à tous les niveaux, avec un arsenal qu’il ne cessera d’enrichir à coups de tarifs protectionnistes, d’initiatives économiques, de contrôles

“Colbert était un pur mercantiliste, adepte d’une guerre économique qui devait logiquement se poursuivre par une guerre militaire”

François d’Aubert : “Au fond, l’économie mixte lui convenait assez bien puisqu’elle lui permettait de garder la main sur l’économie et de s’affranchir du marché : c’est une part de son héritage.”

mer. Reste le bilan concernant la politique industrielle qui est souvent mise à son actif. Il faut avoir, je pense, sur ce thème, une appréciation mesurée. La Compagnie des Indes a été un échec mais Colbert n’a eu de cesse de créer un contexte favorable au

“Les projets n’avaient qu’un seul but : défendre les intérêts du roi. Et il a surtout bénéficié d’un atout que les gouvernements n’ont plus aujourd’hui, celui de la durée” développement économique. Les projets qu’il a initiés dans ce domaine n’avaient qu’un seul but : défendre les intérêts du roi. Et il a surtout bénéficié d’un atout que les gouvernements n’ont plus aujourd’hui, celui de la durée. F.A.Toute son habileté est là. Il travaille tout autant pour la gloire civile et militaire du roi que pour sa propre gloire et celle de l’Etat. En tant que conseiller du prince, il a mis en place les bases de ce que l’on appellerait aujourd’hui une “politique culturelle” natio-

“Il a pu déployer son génie de développeur sans frein, fort du soutien du roi et naturellement sans opposition, profitant de l’intolérance et de la tartufferie ambiante” nale grâce aux grands travaux, aux beaux-arts avec pour symbole Versailles et les Gobelins. Et il a pu déployer son génie de développeur sans frein, fort du soutien du roi et naturellement sans opposition, profitant de l’intolérance et de la tartufferie ambiante. O.P. Il avait une vraie vision de “filière industrielle” avant l’heure, allant du bois de construction au linge d’équipage en passant par la métallurgie pour fabriquer les canons... mais aussi il faut reconnaître la recherche d’une main-d’oeuvre corvéable et gratuite avec, face plus sombre, les premiers esclaves. Un esprit méthodique parfois au-delà du nécessaire...

renforcés de qualité, d’implantations de manufactures, d’importations de main-d’oeuvre qualifiée. Il croit à l’entreprise, à l’entrepreneuriat et à l’initiative. Il était conscient du poids enkylosant des corporations. Est-ce suffisant pour lui décerner un brevet de libéralisme ? Non car sa politique économique est ambiguë. D’un côté, il déplorait le manque de capitaux privés prêts à s’investir dans le commerce sur le modèle hollandais, et de l’autre il n’était pas mécontent que ses compagnies des Indes soient financées par des dotations publiques et des subventions personnelles du roi. Au fond, l’économie mixte lui convenait assez bien puisqu’elle lui permettait de garder la main sur l’économie et de s’affranchir du marché : c’est une part de son héritage. O.P. Colbert ne disposait pas en France d’un système bancaire correspondant à ses ambitions. Il n’a pas eu l’intuition du rôle que pouvait jouer la banque dans le financement de l’économie. Cela lui a manqué. Par ailleurs, la bourgeoisie française était moins entreprenante que l’anglaise ou la hollandaise. Quel dommage. Le colbertisme est souvent assimilé au pouvoir des bureaucrates. Le néologisme fut créé au début du XIXe siècle sous Napoléon.

“Colbert a contribué à unifier le pays économiquement et il s’est montré aussi visionnaire dans ses grands travaux d’infrastructure” Colbert a créé le premier corps des inspecteurs de manufacture mais celui-ci n’était pas encore très fourni. En vérité ce sont ses successeurs qui sont tombés dans ces travers tatillons et étouffants, au premier chef le contrôleur général de Louis X. Colbert a contribué à unifier le pays économiquement et il s’est montré aussi visionnaire dans ses grands travaux d’infrastructure. Pour un peu, ces investissements s’apparenteraient à nos partenariats public-privé. F.A. Le jugement que l’on porte aujourd’hui sur Colbert est très politique. Il faudrait pour être juste avec lui se débarrasser de tout préjugé idéologique. Pour les Anglo-Saxons, la France reste le pays d’un indécrottable colbertisme. Et le procès de l’étatisme et des nationalisations n’est jamais très loin. Colbert, c’est l’antiAdam Smith. Plus proche de la réalité, Colbert porte haut la volonté en politique. A cette aune, il est tout le contraire d’un conservateur. Il a certes une vision assez fortement biaisée – ainsi suit-il de très près la Hollande alors que le vrai sujet, c’est déjà l’Angleterre, la puissance montante. Il est curieux de tout et sa

Le nouvel Economiste - n°1555 - Du 24 février au 2 mars 2011 - Hebdomadaire

SIPA

nes ; après ce fut la débâcle et le recours aux expédients. A sa mort, Colbert était sans doute l’homme le plus haï du royaume à cause du poids historique des impôts.

Olivier Pastré : “Il faut saluer son intuition sur l’éducation comme clé du développement. Il a ainsi soutenu les oratoriens et leurs collègues sans pour autant les aimer.”

sensibilité l’amène à s’ouvrir au monde. Il fait lui-même des voyages, envoie des ambassadeurs très loin, il veut manifestement mettre la France dans le mouvement de cette première mondialisation mais malheureusement à retardement et avec une approche trop fermée. O.P.Colbert fait figure de précurseur. Il aide à réfléchir à au moins deux sujets fondamentaux qui sont toujours à l’ordre du jour. Premièrement, la nation. Quelle est son essence ? Comment la construit-on ? Comment la protège-t-on ? Certes ses réponses sont nécessairement datées mais les questions posées restent entières. Deuxièmement, l’Etat. Quel est son rôle ? Comment doit-il être structuré, organisé ? Comment le rendre efficace ? Intuitivement, Colbert a mis l’accent sur le rôle favorable que pouvait avoir l’environnement des entreprises (formation, infrastructures…). Une leçon pour aujourd’hui aussi. Un seul exemple : tout le monde s’échine à trouver les recettes pour favoriser le développement des PME. On multiple les aides au financement par dizaines de millions d’euros. Ne serait-il pas plus simple, comme l’aurait fait Colbert, d’imaginer une réglementation favorable et un guichet unique ? F.A.En matière d’entreprises, on pourrait dire que Colbert a pratiqué une sorte de dirigisme avec des étincelles libérales. En accordant des privilèges aux manufactures royales, au commerce colonial, il installe l’esprit de monopole et de non-concurrence dans le logiciel économique français. Une protection pour aider

“En accordant des privilèges aux manufactures royales, au commerce colonial, il installe l’esprit de monopole et de non-concurrence dans le logiciel économique français” au développement de “champions nationaux”. Cette idée, très séduisante pour les politiques, n’a pas toujours été couronnée de succès et reste emblématique du colbertisme.

Bio express

L’honneur d’une profession François d’Aubert est magistrat à la Cour des comptes et délégué général à la lutte contre les paradis fiscaux. Spécialiste de l’histoire financière française, François d’Aubert, ancien élève d’HEC et de l’ENA, social-libéral revendiqué, a été député de la Mayenne, maire de Laval, secrétaire d’Etat au Budget et ministre de la Recherche. Responsable de commissions d’enquêtes parlementaires sur la criminalité organisée et sur le Crédit Lyonnais, il a publié plusieurs ouvrages dont L’Argent sale. Olivier Pastré est professeur d’économie à l’université Paris VIII-Villetaneuse, président d’IM Bank (Tunisie) et membre du Cercle des économistes. Titulaire d’un Master of arts of economics et agrégé de droit, il contribue à alimenter le débat public, fort de son expertise économique et financière et de son goût pour la pédagogie et… l’interpellation. Après le Roman vrai de la crise financière (2009), il va publier avec Jean-Marc Sylvestre Les Vingt Mensonges qu’on raconte sur la crise (Fayard).

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Affaires publiques INTERCOMMUNALITE

- Le succès inéluctable des communautés - L’important, c’est le projet - Les bonnes et les moins bonnes raisons - Enjeux politiques et financiers - Le dilemme des compétences

Où en est-on de la coopération territoriale ?

Pierres d’achoppements Entre solidarité et enjeux politiques et financiers

Communauté urbaine (CU), Communauté d’agglomération (CA), Communauté de communes (CC), syndicats d’agglomération nouvelle. A ce jour, plus de 95% des communes appartiennent à l’un de ces quatre types de groupements à fiscalité propre. En janvier 2014, elles devront toutes avoir intégré un Etablissement public de coopération intercommunale (EPCI). Dès à présent, les chiffres révèlent que l’intercommunalité a su séduire les municipalités. Pourtant, derrière l’adhésion en masse à ce modèle de coopération territoriale, la mise en route des projets par les politiques se fait parfois dans la douleur.

Par Marie Bernard et Gaëlle Pontarotti

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ommunauté urbaine (CU), communauté d’agglomération (CA), communauté de communes (CC) ou syndicats d’agglomération nouvelle, le choix de l’un ou l’autre type d’établissement se fait sur un certain nombre de critères, en premier lieu sur celui de la population. En fonction de la forme choisie, les compétences de ces “espaces de solidarité” sont variables: aménagement de l’espace et développement économique pour les CC, auxquels il faut ajouter l’équilibre social de l’habitat et la politique de la ville pour les CA, la gestion des services d’intérêt collectif et la protection et mise en valeur de l’environnement pour les CU. Moins contraignante que la communauté urbaine en termes de transfert de compétences, et plus intégrée toutefois que la communauté de communes,la communauté d’agglomération se présente comme la solution intermédiaire privilégiée en zone urbaine. Si cette évolution “fait partie de l’ordre des choses”, comme l’analyse Philippe Laurent, maire de Sceaux et président de la commission des finances de l’Association des maires de France (AMF), certains élus locaux font de la résistance. Ils doivent résoudre l’équation suivante: garantir un service qualitatif que seule une communauté a aujourd’-

hui les moyens financiers d’assumer, tout en conservant une certaine autonomie et un bilan politique“présentable” auprès des électeurs. Les dysfonctionnements mis en exergue par le rapport de la Cour des comptes de 2009 sont-ils dus à des crispations politiques liées à un attachement au modèle communal et aux “réserves culturelles” identifiées par Jean-Pierre Moure, président de l’agglomération de Montpellier? Ou sont-ils inhérents à toute évolution institutionnelle?

Le succès inéluctable des communautés

Doucement, mais sûrement…les communes de France se regroupent en intercommunalités. Si certaines existaient déjà avant la loi

remarquer Nicolas Portier, délégué général de l’Assemblée des communautés de France (AdCF). En moyenne,les Etablissements publics de coopération intercommunale (EPCI) exercent neuf compétences,tandis que la loi ne prévoit que deux compétences obligatoires pour les communautés de communes et quatre pour les communautés d’agglomération. Comment expliquer le succès rencontré par cette formule de coopération territoriale? Refusant de verser dans la naïveté, Nicolas Portier souligne l’importance des incitations financières et l’exigence des partenaires institutionnels qui souhaitent désormais communiquer avec des territoires élargis. La volonté d’être visibles, de répondre aux exigences qualitatives des politiques nationales, ou encore

“Le succès réside dans une volonté de rationaliser les dépenses et dans l’exigence d’une répartition optimale des services publics sur le territoire” Chevènement sous forme de communauté de ville, de district ou de syndicat, d’autres ont dû apprendre à vivre en communauté. “Le coefficient d’intégration fiscale des communautés d’agglomération ne cesse de progresser et les compétences transférées sont de plus en plus nombreuses”, fait

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l’“émulation territoriale” favorisent également la constitution d’agglomérations. L’intercommunalité apparaît alors comme l’échelle du “pouvoir faire” au service des administrés. Enfin, le régime fiscal de la taxe professionnelle unique (TPU), systématique dans les communautés d’ag-

glomération, a constitué un moteur pour le développement de la culture et de l’action intercommunale. Sur le papier, tout le monde adhère!

L’important, c’est le projet

L’union fait la force, du moins en termes opérationnels! “L’intercommunalité est un accélérateur considérable de particules pour de nombreux chantiers”, constate le délégué général de l’AdCF. Elle a notamment permis de faire face à ce qu’il qualifie de “bombardement législatif” et de répondre avec plus d’efficacité aux injonctions des lois Dalo ou Grenelle, pour ne citer que ces dernières. Ainsi, les transferts de compétences relatives au développement économique, au transport urbain et à l’environnement se font généralement sans difficulté, exigences législatives et rationalisation économique obligent. Pour Nicolas Portier, ces compétences correspondent à “des services qui coûteraient trop chers s’ils devaient être assurés à l’échelle de la commune”.Selon Caroline Cayeux,présidente de la communauté d’agglomération du Beauvaisis, “le succès de l’agglomération réside dans une volonté de rationaliser les dépenses et dans l’exigence d’une répartition optimale des services publics sur le territoire”. L’argument du coût et de l’efficacité opérationnelle apparaît dès lors comme l’un

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Affaires publiques INTERCOMMUNALITE chromosomes des communautés”, insiste Nicolas Portier. Et ce, “même si les portages politiques sont parfois inégaux”. Philippe Laurent souligne quant à lui l’importance des hommes dans le succès de la politique intercommunale: “celui qui prend la présidence doit avoir le sens du consensus”. On l’aura compris, l’absence de querelles politiciennes est essentielle au bon fonctionnement de la communauté. Mais si la “dynamique agglo” est solidement engagée, les freins à au fonctionnement optimal des “interco” restent nombreux.

Les bonnes et les moins bonnes raisons

Première cause des blocages: la définition des périmètres géographiques. La communauté est avant tout un espace de solidarité. Or comme le “Les communes ne veulent pas perdre leur autonomie financière.” Caroline Cayeux, présidente de la communauté d’agglomération du Beauvaisis.

des principaux facilitateurs de l’intégration territoriale. Mariage de raison entre municipalités, l’intercommunalité crée une “dynamique vertueuse”, selon Jean-Pierre Moure. Elle répond à des besoins locaux et permet de pallier le repli de l’Etat. Pour Philippe Laurent, cela ne fait aucun doute: “la communauté est au service des territoires communaux”. La fédération des communes autour d’un projet a incontestablement su, dans certains cas, alimenter la“dynamique agglo”.A ce sujet,Caroline Cayeux estime que “l’intercommunalité ne peut fonctionner que si elle relève d’une démarche volontaire sous-tendue par un véritable projet de développement”.Avis partagé par David Lisnard, premier adjoint au maire de Cannes,et Jean-Pierre Moure. Le premier affirme que “le regroupement doit être motivé par de grandes ambitions communes”,alors que le second considère que “l’important, c’est le projet”.La loi Chevènement de 1999 insistant sur l’importance du projet territorial, la loi SRU, ainsi que la création des schémas de cohérence territoriale (SCoT) ont de toute évidence créé une culture du projet. “Celle-ci est désormais entrée dans les

“Les clivages politiques et l’absence de solidarité fiscale ont bloqué certains projets” souligne le rapport de la Cour des comptes précité, ces périmètres “sont souvent inadaptés ou trop étroits”. Il faut dire que la volonté de mettre en place un “projet de développement urbain” n’est pas toujours le moteur des rassemblements intercommunaux.Après le vote de la loi Chevènement, certaines communautés dites“défensives”se sont rapidement constituées afin d’éviter d’être absorbées par une agglomération proche. D’autres ont refusé de tendre la main aux communes voisines pour des motifs politiques ou “de bonne gouvernance”. Enfin, quelques communes se sont mariées pour protéger leurs rentes fiscales, et empêcher que leur budget ne soit grevé par des voisines pauvres. Des clubs de semblables, bien loin des “espaces de solidarité” initialement prévus par la loi de 1999! Sans compter que la répartition des compétences n’est pas toujours clarifiée. La Cour des comptes pointe à cet égard que “certaines communes continuent d’exercer en partie des compétences transférées ou ne mettent guère d’empressement à se dessaisir de leurs attributions”. Rétention ou difficultés organisationnelles? Nicolas Portier précise que les

5 Questions à David Lisnard, premier adjoint au maire de Cannes “Cannes a une identité à préserver et un modèle économique qui fonctionne” Rare commune à n’appartenir à aucune intercommunalité à fiscalité propre, Cannes devra pourtant s’y résoudre par la loi du 16décembre. Quelle est votre conception de l’intercommunalité à fiscalité propre? Un EPCI à fiscalité propre n’a de sens que s’il correspond à un projet ambitieux. Le regroupement de communes doit être sous-tendu par un véritable projet territorial et par de grandes ambitions partagées. Il doit en outre permettre de réaliser des économies d’échelle et ne doit en aucun cas constituer un prétexte pour recevoir des dotations… La logique de l’intercommunalité revient à adapter la réalité administrative et politique à la réalité économique.

Pourquoi Cannes n’a-t-elle pas encore franchi le cap de l’intégration? Cinq communes n’ont pas encore intégré d’intercommunalité à fiscalité propre dans la région: Cannes, Le Cannet, Mandelieu, Théoule-sur-Mer et Mougins. Si ces dernières présentent des caractéristiques démographiques similaires, leurs particularités fiscales diffèrent sensiblement. Elles affichent en outre une forte identité communale. Il est difficile, dans ces conditions, de partager un véritable projet territorial. Pour l’heure, la coopération syndicale fonctionne très bien.

Quelles sont les principales grandes craintes des élus dans la perspective d’une intégration? Cannes a une identité à préserver et un modèle économique qui fonctionne. Elle accueille de nombreux

“Rivalités électorales et inimitiés politiques ne sont pas de nature à favoriser les rapprochements.”

décisionnel. Sans compter les rivalités électorales et les inimitiés politiques qui ne sont pas de nature à favoriser les rapprochements…

La loi du 16 décembre 2010 prévoit l’achèvement de la carte communale, les villes n’auront donc plus le choix. Quelle est la solution privilégiée par les élus cannois? L’hypothèse la plus pertinente serait la création d’une grande communauté d’agglomération construite autour de plusieurs pôles d’excellence. Elle regrouperait les centres stratégiques de Grasse (industrie du

“Les élus ne souhaitent pas diluer la marque et refusent d’affaiblir leur pouvoir décisionnel” salons chaque année ainsi que le fameux festival de cinéma. La ville constitue une véritable marque et jouit d’une grande notoriété internationale. Elle peut par ailleurs compter avec un potentiel fiscal élevé et des processus de décisions courts. Les élus ne souhaitent pas diluer la marque et refusent d’affaiblir leur pouvoir

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doublons concernent principalement l’organisation des services d’intérêt communautaire. Il concède que les communes ont pu avoir des réticences à transférer leurs agents,poussant les communautés d’agglomération à se doter de leurs propres effectifs.Un temps d’adaptation est selon lui toujours nécessaire… Si l’Etat a initialement opté pour un transfert clair de compétences avec le principe d’exclusivité, la loi du 16 décembre 2010 prévoit, elle, la création de “services communs” et de “conventions de mises à disposition d’agents pour les compétences partagées”. Plus souples, ces options sont, selon Nicolas Portier, mieux adaptées à la réalité des situations. Pour le délégué général, “les processus de décision relatifs aux transferts de compétences sont relativement lourds”: l’intérêt communautaire est en effet

parfum), d’Antibes-Sophia Antipolis (nouvelles technologies) et de Cannes (tourisme et industrie satellitaire). Ces trois villes peuvent partager des ambitions communes, sachant qu’un rapprochement a déjà été amorcé grâce au SCoT’ouest… M.B-G.P

défini par le conseil à la majorité qualifiée des deux tiers de ses membres. Enfin, le fait que certains syndicats continuent d’assurer des compétences relevant de la communauté, ou ne se maintiennent que pour des causes honorifiques, brouille encore davantage la lisibilité de la situation.

Enjeux politiques et financiers

Au-delà des difficultés organisationnelles, les enjeux politiques et financiers viennent eux aussi freiner la dynamique intercommunale. Si les municipalités rejoignent des communautés d’agglomération en vue d’un gain économique, pas question pour autant de renoncer à leur marge de manœuvre! Selon Nicolas Portier,“les clivages politiques et l’absence de solidarité fiscale ont bloqué certains projets”. Caroline Cayeux est témoin au quotidien de cette prudence des élus en matière

“L’intercommunalité est un accélérateur de particules considérable pour de nombreux chantiers.” Nicolas Portier, délégué général de l’AdCF.

suscite du NIMBY (Not in my backyard: pas dans mon jardin). Cette compétence est donc transférée sans difficulté aux communautés. Au contraire, le transfert de la compétence d’enlèvement prive les communes de laTaxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM), ainsi que d’un “service de proximité auquel les élus municipaux sont attachés”… Le chantier émergent de l’énergie contraindra sans doute les municipalités à renforcer les synergies intercommunales. Le Grenelle impose aux communautés de plus de 50000 habitants d’élaborer un “plan climat”. S’agira-t-il de catalogues de vœux pieux ou de programmes coercitifs? Nicolas Garnier évoque le risque du “syndrome Agenda 21”. Toutefois, “la comptabilisation des émissions de carbone permettra bientôt d’évaluer l’efficacité de la politique”. Par ailleurs, les évolutions

“L’interco” pour les questions stratégiques et l’échelle communale pour les politiques de proximité de finance: “les communes ne veulent pas perdre leur autonomie financière”.Elles ne souhaitent pas non plus que leurs contributions “profitent davantage à la ville centre qu’à elles-mêmes”. La mutualisation va pourtant de pair avec quelques concessions! Autre point délicat: la gestion des équipements culturel et sportif. Certains rechignent à payer pour l’entretien d’un complexe qui ne se situe pas sur leur territoire. D’autres au contraire ne veulent pas se défaire d’un équipement qui fait briller leur bilan. La question de l’affichage politique constitue en effet une source importante de blocage. “Les élus municipaux souhaitent avoir un bon bilan communal à présenter”, rappelle Nicolas Portier. Les élections au suffrage universel direct des élus intercommunaux continueront en effet de se dérouler dans un cadre communal… Enfin, la logique de proximité pousse certains maires à s’opposer au transfert de compétences tandis que “le conservatisme des responsables” explique bien des blocages, selon Jean-Pierre Moure.

de périmètre post-2013 devront être conformes aux Schémas départementaux de la coopération intercommunale (SDCI), documents coproduits par les préfets et des Commissions départementales de la coopération intercommunale (CDCI). L’intégration des communes est inéluctable… Pourtant, la nouvelle donne fiscale laisse planer des incertitudes sur la“dynamique agglo”,qui “ne contribuent pas à encourager le changement”, d’après Jean-Pierre Moure. Les élections au suffrage universel prévues par la réforme risquent en outre de faire réapparaître les conflits politiques. Enfin, si l’existence des EPCI n’est globalement plus remise en cause, les élus se disent convaincus que la politique territoriale peut se jouer à plusieurs échelles: “l’interco” pour les questions stratégiques et l’échelle communale pour les politiques de proximité. Une répartition qui rappelle finalement la configuration “grande ville – arrondissements”…

Le dilemme des compétences

Urbanisme et environnement: telles sont probablement les compétences qui illustrent le mieux le dilemme des élus municipaux. Entre affichage politique et respect des injonctions de l’Etat, leur cœur balance. L’urbanisme est tout d’abord un sujet délicat dans la problématique intercommunale. Si certains maires refusent de se défaire de la gestion des Plans locaux d’urbanisme (PLU), la loi de 2010 les contraint désormais à conformer leurs documents d’urbanisme aux Plans locaux de l’habitat (PLH), dont la gestion revient… à la communauté! Selon Philippe Laurent, le PLU constitue pourtant “l’identité de la commune”.Pour le maire de Sceaux, la fin du PLU municipal signe “la fin de la ville”! Benoist Apparu, lui, n’a pourtant pas hésité à ouvrir le débat sur le transfert de compétence en matière de PLU. L’exemple de la gestion des déchets illustre également la complexité des critères entrant en jeu à l’heure de déléguer un service. Les objectifs ambitieux du Grenelle (75 % de recyclage des déchets d’emballages à l’horizon 2012) auront un coût difficile à supporter par les communes. “Le traitement des déchets coûte cher et n’est pas visible”, constate Nicolas Garnier, délégué général de l’associationAmorce. Et s’il est visible, c’est généralement parce qu’il

CHIFFRES REVELATEURS

L’irrésistible dynamique Au 1er janvier 2011, 95,5 % des communes ont intégré un EPCI. La Direction Générale des Collectivités Locales recense 16 communautés urbaines, 191 communautés d’agglomération, 2387 communautés de communes et 5 syndicats d’agglomération nouvelle Lire les dossiers précédents Les archives numériques nouveleconomiste.fr

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Affaires publiques INNOVATION

- Technopoles à succès - Projets en manque d’évaluation - L’effet cafétéria

Technopoles

Les bons leviers

L’incitation à l’innovation détient d’une subtile alchimie

Sophia Antipolis, Rennes Atalante, Bordeaux Technowest La réputation de certaines technopoles contraste avec les maigres chiffres de l’innovation en France. L’émulation positive de ces zones dédiées ne suffit pas à apporter un progrès économique tangible. Les compétences se rapprochent trop rarement et les idées des grandes entreprises peinent encore à rencontrer celles de la recherche publique ou des start-up. Une piste semble être la création de nouvelles conditions de travail et d’un cadre de vie davantage propice aux échanges.

Par Mathieu Neu es dernières années de ralentissement économique ont mis un nouveau coup d’arrêt à l’innovation, déjà décrite comme la parent pauvre de l’économie française. Si en 2008 la progression moyenne européenne des investissements en Recherche & Développement atteint 6,9 %, celle des industriels français n’a augmenté que de 0,7 %, révèle un rapport du cabinet PriceWaterhouseCoopers publié l’année suivante. L’Allemagne affiche une hausse de 8,9 %, le Royaume-Uni dépasse les 11 %. En 2009, la France ne pesait plus que 5,9 % des activités privées mondiales de Recherche et Développement, contre 6,7 % en 2008. Des indicateurs qui contrastent avec l’essor de certaines technopoles, véritables concentrés de valeur ajoutée technologique. Ces zones d’activité sont l’objet d’opérations mixtes regroupant des acteurs de tous horizons, susceptibles de développer des intérêts communs : grandes entreprises, start-up, instituts de recherche, universités…

L

Technopoles à succès

Les 294 entreprises de la technopole de Rennes Atalante, qui rassemblent quelque 17 000 salariés, ont créé 1 082 emplois en 2010, tandis que 569 ont été supprimés, ramenant le solde net à 513 postes supplémentaires. Même la délicate année 2009 s’est caractérisée par une progression sur ce plan, avec 39 nouvelles embauches.

lante. Même essor dans le Sud-Ouest où la technopole Bordeaux Technowest développe sa filière aéronautique à grande vitesse. Avec 1,5 million d’euros de budget, elle a fait éclore une vingtaine d’entreprises l’an passé et plus de 200 emplois. Inspirée par le développement du voisin toulousain, la zone compte devenir dans les prochaines années un autre pôle de réfé-

Les résultats seraient plus satisfaisants si les projets impliquaient davantage des professionnels de différentes natures, et si leurs objectifs communs étaient mieux définis La croissance de plus de 3 % de Rennes Atalante est principalement portée par les technologies de l’information et de la communication. Tout au long de 2010, 41 entreprises ont rejoint les espaces de la technopole. “33 sociétés sont des créations et 8 établissements des antennes de groupes dont le siège se situe en France”, précise Claude Labit, président de l’association Rennes Ata-

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rence dans le domaine aéronautique. La plus célèbre des technopoles de l’Hexagone, Sophia Antipolis, connaît toujours un grand succès. Au plus fort de la crise, malgré quelques délocalisations et plans sociaux, le parc affichait des exercices positifs, avec une hausse du nombre d’emplois et du nombre d’entreprises. Sa croissance est essentiellement endogène.

Pour soutenir et développer ces forces françaises, le gouvernement mène une politique plutôt active. Les investissements d’avenir, annoncés il y a un an dans le cadre du Grand Emprunt, devraient se concrétiser prochainement.Avec 21,9 milliards d’euros, l’enseignement supérieur et la recherche figurent parmi les gagnants de cette initiative. Les universités et laboratoires multiplient les candidatures aux appels à projets et lorgnent sur les 7,7 milliards d’euros qui doteront quelques grands campus de renommée internationale. Le soutien à la valorisation des brevets est un autre pan majeur de l’aide publique. Il se manifeste notamment au travers de France Brevet, un nouveau fonds d’investissement de 100 millions d’euros financé par la Caisse des dépôts et le Grand Emprunt. Toutes les PME ne disposent pas forcément des moyens pour valoriser un brevet en interne. Et une valorisation externe peut être très difficile car elle dépend souvent de sa combinaison avec d’autres brevets. France Brevet propose ainsi de cons-

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Affaires publiques INNOVATION programmes, dont le chantier du nouveau campus des sciences et technologies de l’information, pour un coût de 72 millions d’euros. Il accueillira près de 3 000 étudiants et chercheurs à l’horizon 2012.

Projets en manque d’évaluation

Les succès de ce type se reproduisent trop rarement. L’implication de l’Etat pour soutenir l’innovation française ne date pourtant pas d’hier. “Certaines idées lancées à la fin des années 1990, comme les incubateurs, forment des bases de tra“L’alchimie entre les différents acteurs peut être complexe à mettre en œuvre, car ils n’ont pas forcément la même culture, le même langage.” Catherine Jean, fondatrice de Planetinnov.

tituer un large portefeuille de droits de propriété intellectuelle, et d’organiser leur commercialisation sous forme de licences auprès des entreprises européennes et mondiales. Le fonds n’achète pas la propriété des brevets, mais acquiert une licence avec droit de sous-licenciement, ce qui lui permet de limiter ses investissements et de ne verser des redevances aux propriétaires qu’en fonction de la valorisation effective des brevets. “Voilà plusieurs années que les initiatives des pouvoirs publics pour favoriser l’innovation se multiplient. C’est très encourageant. Ces efforts finiront pas porter leurs fruits à grande échelle”, estime Claude Labit. La volonté de progrès affichée rend les technopoles ambitieuses. Du côté de Rennes Atalante, une kyrielle d’affaires de taille moyenne se développent, tout comme des projets de groupes internationaux tel Technicolor qui, d’ici 2012, installera les 800 chercheurs et cadres rennais de son centre de Recherche & Développement dans un nouvel ensemble immobilier. Pour mieux équilibrer les activités de la technopole, l’accent est porté sur les biotechnologies et la nutrition avec plusieurs projets en gestation, dont la création d’une plate-forme d’ingénierie culinaire autour du pôle de compétitivité Valorial, qui nécessitera 4 millions d’euros d’investissements. La construction du Biopôle, un vaste espace dédié à l’accueil de laboratoires et d’entreprises centrés sur les sciences du vivant, s’inscrit également dans ce mouvement. D’autres projets d’expansion voient le jour en périphérie de Saint-Malo où est lancé l’aménagement d’une vaste zone d’activités de 70 hectares pour les entreprises innovantes, en partenariat avec l’association Rennes Atalante. Il s’agit d’une technopole vouée aux activités de la mer, nommée Rennes Saint-Malo Atalante. Une importante pépinière d’entreprises est prévue dans cet ensemble mobilisant 33 millions d’investissement public supporté par Saint-Malo Agglomération. Sophia Antipolis se projette également dans l’avenir. Les promoteurs et investisseurs immobiliers lancent de nouveaux

20 % seulement des innovations sont un succès en raison d’une réelle nouveauté technique. 80 % le sont grâce à des critères de nature sociale, organisationnelle, commerciale, marketing, financière vail très intéressantes, tout comme les initiatives de l’ancien ministre de la Recherche Claude Allègre visant à faire sortir les chercheurs de leur laboratoire. Le concours national d’aide à la création d’entreprises de technologies innovantes, qui en est désormais à sa 13e édition, constitue un autre point clé du système français d’innovation et de création de start-up”, souligne Patrick Haouat, directeur associé de Erdyn, cabinet spécialisé dans le conseil en innovation. Depuis 2004-2005, “d’autres mesures comme les initiatives autour de la fiscalité de l’innovation, la création des pôles de compétitivité, constituent des avancées notables”, ajoute Denis Bortzmeyer, président du pôle de compétitivité Axelera, situé dans la région lyonnaise. “Le problème principal n’est pas tant l’innovation en tant que résultat d’une recherche scientifique, que sa transposition sur le marché. On assiste à de nombreuses créations de start-up, et pas uniquement dans le domaine technologique. En matière de conception de produits ou solutions chimiques, de techniques environnementales, de nouveaux projets naissent sans cesse. Mais les éléments in-

dispensables pour en faire une richesse concrète, commercialisée, sont souvent absents”, poursuitil. Un groupe de travail conjoint du CAE (Conseil d’analyse économique) et de la Datar (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité territoriale), s’est récemment vu confier une mission d’identification des freins à l’innovation. Dans les conclusions qu’il a rendues en 2010, il estime que l’innovation ne se stimule pas grâce aux seules incitations portant sur les travaux de recherche. Il faut commencer par innover en arrêtant de vouloir trop centrer les efforts sur la technologie et les sciences. Selon les résultats de l’enquête, 20 % seulement des innovations du

Les centres d’innovation et les parc scientifiques notamment en terme d’aménagement et de design, même si ces dernières sont parfois faiblement liées aux activités de haute technologie. Les parcs d’affaires et commerciaux sont davantage caractérisés par un environnement en réponse plus directe aux exigences d’entreprises commerciales ayant des activités hautement spécialisées. Ils regroupent des manufactures, commerces et services professionnels. Enfin, les parcs scientifiques

Les technopoles ne forment qu’un type de regroupement de compétences parmi tant d’autres type en matière de nouvelles technologies de la communication. Les CEEI (Centres européens d’entreprise et d’innovation), issus de la Commission européenne, et existant désormais dans une trentaine de pays européens, fédèrent et accompagnent également l’innovation privée. Autre type de structures : les parcs scientifiques, nés dans les pays anglo-saxons et qui s’inspirent de plus en plus de technopoles françaises. Aménagés à l’initiative des universités, leur développement est lié aux firmes possédant un département de R & D en croissance ou déjà renommé. Ils influencent beaucoup les zones industrielles supérieures,

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Jean, fondatrice de Planetinnov, une plateforme d’échanges destinée à répondre aux problématiques rencontrées par les entreprises en matière d’innovation. Cette culture des réseaux et des collaborations multisectorielles, parfois appelée “effet réseau”, explique en partie le succès des pôles de compétitivité et technopoles de la région PACA au cours des dernières années. Entre 2005 et 2009, le territoire s’est ainsi élevé au troisième rang national pour la richesse par habitant. On compte désormais 20 créations d’entreprises pour 1 000 actifs, et le taux de chômage a fléchi de près de 3 %. Les analystes de la Banque de France estiment que les interactions industrielles dans cette région n’ont jamais été aussi bénéfiques à la croissance et à l’emploi. A cela s’ajoute un manque de lisibilité dans l’offre publique en raison de laquelle certaines opérations peinent à porter leurs fruits. “Il y a peut-être trop d’initiatives en faveur de l’innovation. On finit par s’y perdre. Lorsqu’on crée un nouveau dispositif, l’ancien n’est pas supprimé. Changer de recette tous les 3 ans est particulièrement contre-productif dans un domaine comme

“On ne se pose pas assez la question de la valorisation. Quels brevets découlent d’une innovation ? Quelle création de valeur, d’emplois est imputable au projet ?”

Regroupement de compétences Bien qu’ils soient au cœur des initiatives territoriales visant à promouvoir les échanges favorables à l’innovation, les technopoles ne forment qu’un type de regroupement de compétences parmi tant d’autres. Les centres d’innovation, à l’intérieur de campus universitaires, jouent également un rôle majeur. Ils recèlent de petites unités de recherche ou d’expertises pour les entreprises. L’université de technologie de Compiègne fournit des appuis de ce

marché sont un succès en raison d’une réelle nouveauté technique. 80 % d’entre elles sont une réussite grâce à des critères de nature sociale, organisationnelle, commerciale, marketing ou financière. L’enquête précise également que les résultats seraient plus satisfaisants si les projets impliquaient davantage de professionnels de différentes natures et si leurs objectifs communs étaient mieux définis. “L’alchimie entre les différents acteurs peut être complexe à mettre en œuvre, car ils n’ont pas forcément la même culture, le même langage”, confirme Catherine

verts constituent un nouveau type de regroupement territorial pour favoriser l’innovation. Il s’agit d’une approche en cours de conception, consistant à concevoir des zones autosuffisantes en matière de consommation énergétique, grâce à de multiples technologies vertes. Cette nouvelle génération de parcs s’implante actuellement dans l’Oregon aux Etats-Unis, à Izmir en Turquie et à Abu Dhabi. Si les appellations et les concepts divergent, la logique reste partout la même, celle d’un regroupement des compétences en vue d’une productivité plus importante. M.N.

l’innovation où les politiques publiques mettent en moyenne 10 ans à porter leurs fruits”, poursuit Patrick Haouat. Il estime par ailleurs qu’une évaluation plus précise des projets permettrait sans doute de moins se disperser et de mieux mettre l’accent sur les manquements et lacunes : “On ne se pose pas assez la question de la valorisation. Quels brevets découlent d’une innovation ? Quelle création de valeur, d’emplois est imputable au projet ? Ces questions doivent trouver des réponses plus systématiquement.”

L’effet cafétéria

L’innovation semble d’autant mieux porter ses fruits lorsque les acteurs qui se rapprochent sont variés. “C’est ensemble, avec leurs outils et atouts respectifs, que les laboratoires, hautes écoles et PME innovantes favorisent l’émergence de potentiels en gestation”, confie Denis Bortzmeyer. C’est d’ailleurs l’une des caractéristiques qui a fait de Sophia Antipolis la technopole brillante d’aujourd’hui. “Un ensemble composé uniquement de laboratoires de recherche de sciences dures et de centres de Recherche & Développement d’entreprises serait trop pauvre. Au contraire, implanter ces structures à côté d’écoles d’ingénieurs, d’écoles supérieures de commerce donne davantage de poids. Il faut garder à l’esprit que la technopole est d’abord un outil de développement économique”, souligne Patrick Haouat. De nombreux spécialistes préconisent également d’installer les agences de financement et d’accompagnement au sein même des technopoles, pour favoriser l’émulation et accélérer les mises en œuvre. “Il est intéressant d’y déployer des agents de l’Oseo, des agences régionales de l’innovation, de l’Ademe, voire des chambres de commerce. Ce n’est pas toujours le cas. Les technopoles se trouvent rarement en centreville, alors que ces acteurs ont tendance à rester au sein de leur site historique, loin des zones d’activités”, poursuit le directeur. Les rencontres de professionnels susceptibles d’avoir des intérêts communs au cours d’événements dédiés au sein des technopoles jouent aussi un rôle essentiel. Sophia Antipolis a ainsi mis sur pied le portail www.sophiaantipolis.careers.com, souvent désigné comme un “meetic de la compétence”. Le but est de permettre à des

sociétés high-tech, en quête de collaborateurs, et situées sur la technopole, de trouver chaussure à leur pied pour des projets. La technopole de Troyes, dans l’Aube, organise chaque année l’opération Plug & Start. Durant trois jours, une quinzaine de porteurs de projets sélectionnés sur dossier rencontrent un réseau de 200 experts en marketing, financement, propriété industrielle, et bénéficient de conseils de chefs d’entreprise pour accélérer leur démarche. “Au-delà des rendez-vous de ce type, il convient de miser sur “l’effet cafétéria”. Les différents acteurs doivent pouvoir se rencontrer de manière informelle, car c’est souvent dans ces situations que se crée l’envie de collaborer. La nature des infrastructures est particulièrement importante, pour créer ce maillage social”, reprend Patrick Haouat. Un argument qui fait de l’aménagement des sites un élément central pour favoriser l’innovation. Le rapport du Conseil d’analyse économique et de la Datar explique que “la créativité fructifie d’autant plus dans des bassins d’emplois attractifs où règne la qualité de vie”. La technopole du Parc Saint-Christophe, à Cergy Pontoise, se distingue sur ce plan. Avec 50 % de la superficie réservée à la végétation, elle représente un cadre économique, technologique et esthétique favorable au développe-

“C’est ensemble, avec leurs outils et atouts respectifs, que les laboratoires, hautes écoles et PME innovantes favorisent l’émergence de potentiels en gestation.” Denis Bortzmeyer, président du pôle de compétitivité Axelera.

ment des entreprises. D’autres éléments comme l’existence de bâtiments de haute qualité environnementale et un haut degré de disponibilité des réseaux informatiques forment des garanties de qualité, de bonne image, et attirent plus facilement des PME ou laboratoires extérieurs à la technopole. Patrick Haouat précise que “ce qui est important n’est pas forcément cher. Les pouvoirs publics peuvent faire jouer différents leviers pour favoriser les échanges. Il ne s’agit pas nécessairement d’investissements coûteux. Parfois, un simple travail d’animation apporte d’excellents résultats”. L’attractivité dépend bien sûr de l’activité économique. Le Parc Saint-Christophe propose au personnel du site des terrains de tennis, salons de coiffure, agences de voyages, agences bancaires… Pour le directeur, “l’offre immobilière, l’animation aux alentours et l’existence de structures comme des crèches d’entreprise pèsent fortement sur les décisions”. Autant de paramètres qu’il est urgent de prendre en compte…

CHIFFRES REVELATEURS

Des technopoles en expansion D’ici 2012, Technicolor installera 800 chercheurs et cadres à la technopole de Rennes Atalante. Une zone d’activités de 70 hectares pour les activités de la mer est conçue actuellement à Saint-Malo, en partenariat avec Rennes Atalante. Le projet mobilise 33 M €. Sophia Antipolis lance un nouveau campus dédié aux sciences et technologies de l’information, pour un coût total de 72 M €. Lire les dossiers précédents Les archives numériques nouveleconomiste.fr

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Patrimoine ASSURANCE-VIE

- Confiant devant la réforme attendue de la fiscalité - Attentif au risque de krach obligatoire - Peu inquiet d’un risque de rachat en masse - Lucide sur le déclin des contrats en euros

Le placement préféré des français

De beaux jours devant elle

Les menaces qui pèsent sur l’assurance-vie ne remettent pas en cause son attractivité

Fonds euros, contrats en unités de compte, Solvabilité II, krach obligataire, papy-boom. L’engouement pour l’assurance-vie ne se dément pas. Souplesse, garantie, adaptabilité, libre choix des héritiers… Les arguments ne manquent pas. Pourtant, à l’heure des réformes fiscales, de l’érosion des fonds euros, des risques de krach obligataire et de la baisse des taux, certains s’interrogent. Des inquiétudes écartées par les frofessionnels dans la mesure où aucun produit équivalent n’est proposé aux investisseurs.

Par Valérie Auribault

C

’est le produit d’épargne préféré des Français. L’engouement que suscite l’assurance-vie ne se dément pas depuis vingt ans et concerne 30 millions de personnes. Des hommes et des femmes en proportion égale souscrivent une assurance-vie. La plupart sont issus des professions libérales, sont cadres et cadres supérieurs. “L’assurancevie demeure le produit d’épargne le plus souple, dans lequel l’on peut investir sur tout type de secteur d’investissement: Bourse, immobilier, taux garantis…”, explique Laurent Grimm, co-gérant du cabinet de conseil en gestion de patrimoine indépendant Direcfi, qui a enregistré une augmentation de son chiffre d’affaires de plus de 35 % en 2010. En effet, aucune offre sur le marché ne semble pouvoir rivaliser en disponibilité et adaptabilité au contexte patrimonial de l’investisseur, de l’épargne gérée ou de l’utilisation de ces produits dans le service de revenus complémentaires en situation de retraite ou de dépendance. Laurent Grimm rappelle que “la fiscalité des contrats d’assurance-vie reste très favorable quant à la détention et à l’utilisation par le biais de rachats partiels, et à la transmission de capitaux et intérêts en grande partie exonérés”. En 2010, la collecte de l’assurance-vie a enregistré une progression de 3,8 % et a atteint 144 milliards d’euros, selon les chiffres fournis

par la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA). “L’assurance-vie a été peu affectée par la crise économique du fait d’une forte demande pour ce type de placements”, précise Jérôme Cornu, directeur des études statistiques de la FFSA. Et ce même si les couches populaires ont moins investi dans l’épargne. L’assurance-vie, la capitalisation et la prévoyance représentent ainsi entre 50 % et 80 % des contrats signés dans les cabinets ou agences d’assurance. Pourtant, certaines menaces semblent peser ces derniers temps sur la rentabilité du secteur. Baisse des taux d’intérêt, réforme de la fiscalité du patrimoine, nouvelles règles prudentielles Solvabilité II, risque de krach obligataire, ra-

être remis en question? “La baisse des taux des fonds euros en assurance-vie et livrets peut amener l’investisseur à comprendre enfin que l’investissement à long terme en euros, à taux garantis plus ou moins élevés, est une hérésie”, assure Laurent Grimm, selon qui “le rendement réel de ce type de gestion, après ajustement de toute fiscalité et inflation, ne permet pas de conserver plus que son pouvoir d’achat”. Pour les experts du secteur, l’assurance-vie reste un produit d’exception malgré les évolutions et changements fiscaux. “Il faut relativiser ce type de menaces sans pour autant les ignorer”, souligne Fabrice Gilbert, responsable branche vie chez Maaf Assurance. “Certes, l’érosion se poursuit concernant les taux en euros qui avoisinent aujourd’hui 4,40 %, mais l’inflation

Aucune offre ne semble pouvoir rivaliser en disponibilité et adaptabilité au contexte patrimonial de l’investisseur chats de contrats en masse avec le phénomène du papy-boom… les inquiétudes ne manquent pas, et viennent s’ajouter aux contrats en euros déclinants qui, bien que privilégiés par les investisseurs au détriment des contrats en unité de compte, ne sont pas toujours la meilleure option. L’engouement pour l’assurance-vie peut-il

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reste bonne et le gain de pouvoir d’achat significatif.” Les taux oscillent actuellement entre 3,2 et 3,4 % et n’inquiètent guère l’observateur du marché qu’est la FFSA. “La baisse des taux est réelle, même si elle ne constitue pas une menace majeure pour l’assurance-vie”, remarque Jérôme Cornu.

Confiant devant la réforme attendue de la fiscalité

La réforme fiscale voulue par Nicolas Sarkozy, et qui pourrait se traduire par la suppression du bouclier fiscal et l’aménagement de l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF), est un autre sujet de questionnement. “Toute réforme en matière de fiscalité du patrimoine impose une utilisation plus pertinente encore des produits financiers, dont l’assurance-vie”, poursuit Laurent Grimm. En attendant la présentation définitive de la réforme au Parlement avant l’été, les experts du secteur demeurent dans l’expectative. Mais bon nombre d’entre eux restent cependant confiants. “L’assurance-vie coûte très peu à l’Etat”, rappelle Jérôme Cornu. “Un milliard d’euros pour 1300milliards d’euros d’encours, soit un coût équivalent à celui des livrets défiscalisés pour un encours de 320 milliards d’euros. De plus, ces investissements permettent de financer les entreprises. Nous ne comprendrions pas que le gouvernement bouleverse ce secteur. Cette décision serait une erreur pour l’économie qui est déjà mise à mal”. Un point de vue partagé par bon nombre de ses confrères. “Il n’est pas question de tout remettre en cause, remarque Fabrice Gilbert. L’intérêt n’est pas de bousculer les stocks constitués. La réforme ne devrait donc pas être révolutionnaire ni trop importante”.

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Patrimoine ASSURANCE-VIE

“Toute réforme fiscale impose une utilisation plus pertinente des produits financiers, dont l’assurance-vie.” Laurent Grimm, co-gérant de Direcfi.

La directive Solvabilité II, votée par le Parlement européen en avril 2009, est un volet qui a introduit certaines modifications par rapport aux règles prudentielles traditionnelles en matière d’assurance, en mettant la gestion des risques au centre du système. Une réforme qui vise à responsabiliser les assureurs en leur donnant une liberté de choix accrue, ainsi qu’à harmoniser les pratiques prudentielles en Europe. Pour certaines entreprises du monde de la finance, cette directive représente une transformation profonde de leurs modèles d’organisation, de leurs systèmes d’information et de leurs stratégies, ainsi que du contrôle du risque et de la solvabilité. “Une concertation des acteurs est à prévoir, observe Laurent Grimm. Soit une diminution du nombre des intervenants habituels. Le risque pour l’investisseur après 2013 est de trouver une offre produit identique sous différentes marques sans concurrence ni valeur ajoutée.” Une directive qui concerne les assureurs eux-mêmes bien plus que les épargnants.

Attentif au risque de krach obligatoire

Avec les inquiétudes actuelles sur les dettes souveraines, en cas de forte hausse des taux à long terme, la valeur des obligations risque de forte-

ment chuter et ainsi provoquer un krach obligataire. Une crainte constante qui ne semble cependant pas particulièrement plus prégnante aujourd’hui qu’hier, à en croire les professionnels. “Il y a un risque sur la dette européenne”, explique Guy Roos, gérant du cabinet de conseil ICF. “Le risque est plus politique qu’économique. C’est une question de gouvernance de la zone euro”. Jean-Michel Bardou, fondateur et gérant du cabinet JCB conseil, souligne que “la question des dettes souveraines n’est pas derrière nous. Quel que soit le placement, il y a un risque, y compris sur les fonds euros, même s’il existe une garantie”. Le risque existe “sur le papier”, confirme Fabrice Gilbert. “Pour autant, rien ne laisse présager un tel événement actuellement”. Un krach obligataire est “comme toutes les respirations des marchés financiers”, conclut Laurent Grimm,

“difficile à vivre pendant, et comme toujours, une formidable opportunité pour réinvestir dans bon nombre de secteurs obligataires et actions à long

“La question des dettes souveraines n’est pas derrière nous. Quel que soit le placement, il y a un risque, y compris sur les fonds euros.” Jean-Michel Bardou de JCB Conseil.

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“L’intérêt de l’assurance-vie, c’est de la conserver et non de la vider d’un coup”, rappelle Jean-Michel Bardou. La plupart des retraités accèdent à leur épargne petit à petit et laissent le complément de leur assurance-vie travailler et croître pour le transmettre à leurs héritiers. Mais un rachat de contrats en masse par les nouveau-nés de l’après-guerre reste une éventualité absurde qui

n’effraie pas les experts, lesquels demeurent catégoriques sur le sujet. “Nous ne croyons pas à un rachat en masse des contrats d’assurance-vie du fait de quoi que ce soit”, insiste Laurent Grimm. “Le besoin de revenus complémentaires peut augmenter pour les futurs retraités afin de remédier aux régimes de retraite obligatoires déficients, ainsi qu’au marché de la dépendance par désengagement de l’Etat. En revanche, les capitaux qui génèrent ces revenus seront toujours investis dans l’enveloppe la plus favorable dans son mode de détention et d’utilisation.” Une fois de plus, les assureurs et spécialistes partagent l’analyse. “Je ne crois pas du tout à l’éventualité d’un rachat en masse”, assure Guy Roos. “L’assurance-vie permet de placer des fonds quand on le veut, de laisser ses fonds prospérer ou de les retirer partiellement pour les transmettre à ses enfants. L’assurance-vie a de beaux jours devant elle, à condition de ne pas casser sa fiscalité”. Pour autant, Fabrice Gilbert reconnaît que “le portefeuille vieillit. Mais cela reste différent d’une entreprise à l’autre et tout dépend de la stratégie déployée. C’est un fait qu’il faut observer. Progressivement, les clients entament leur assurance-vie pour compléter leur retraite. D’autres pour des bénéficiaires. Nul besoin de s’alarmer,

“Tout dépend de son projet d’épargne pour les études des enfants dans 15 ans? Pour la retraite dans 30 ans? Les décisions seront alors différentes.”Ghislaine Colella d’AXA France.

lier ou en Bourse.” Toutes ces inquiétudes ne semblent pas bouleverser le monde de l’assurance-vie, qui demeure l’option la plus pertinente encore aujourd’hui. “L’engouement pour l’assurance-vie reste justifié, assure Laurent Grimm. Seule la rentabilité des fonds gérés en euros à taux minimum garanti est en baisse régulièrement depuis plus de dix ans. A court terme, cette rentabilité ne devrait pas dépasser le livret A ou les taux des sicav monétaires.” Un investisseur informé investira son épargne sur un bon contrat d’assurance-vie ou capitalisation multi-supports, multi-gestionnaires, lui donnant ainsi accès à tout autre support d’investissement que le fonds euro. D’autres alternatives existent, comme l’immobilier diversifié en bureaux et murs de commerce, en sociétés civiles de placements immobiliers ou en Sicav et FCP (Fonds communs de placements), les actions et les obligations internationales, toujours en Sicav ou FCP, les obligations structurées à coupons garantis élevés. Pour investir, il est primordial d’avoir une bonne compréhension de son profil d’investisseur, d’observer son projet et le temps dont on dispose pour investir, et à quel rythme, pour avoir une bonne définition de son objectif à terme. “Historiquement, seules les gestions diversifiées dépas-

“Seules les gestions diversifiées dépassent la rentabilité moyenne des fonds euros sur une détention à long terme” mais la crise économique que personne n’avait vue venir nous a démontré qu’il faut être vigilant”.

Lucide sur le déclin des contrats en euros

“Internet est devenu le mode d’achat des nouvelles générations, mais aussi des seniors.” Nelly Brossard d’Amaguiz.

Vittorio, fondateur et directeur général du site comparateur Assurland. Pour autant, même si l’assurance en ligne commence à faire des heureux, la France enregistre 3 % de contrats souscrits en ligne quand la Grande-Bretagne en compte 50 %. “Certains pays

Une assurance souscrite en ligne permet de dégager bien plus d’économies qu’un contrat souscrit en agence nos prévisions de départ”, se réjouit Nelly Brossard. Les contrats d’assurance-automobile sont davantage privilégiés sur le Net. Direct Assurance enregistre 95 % de son chiffre d’affaires avec des contrats auto: 600000 contrats pour 100000 contrats d’assurance habitation. “L’assurance-automobile demeure la demande la plus forte, car elle représente un coût certain dans un budget familial”, explique Yves Masson, président-directeur général de Direct Assurance. Une assurance souscrite en ligne permet de dégager bien plus d’économies qu’un contrat souscrit en agence. Les consomacteurs comparent les prix sur les sites spécialisés comme Assurland. “Les souscripteurs sont principalement les 25-45 ans, qui représentent les utilisateurs habituels d’Internet”, remarque Stanislas di

Peu inquiet d’un risque de rachat en masse

Un krach obligataire est “comme toutes les respirations des marchés financiers difficile à vivre pendant, et comme toujours, une formidable opportunité pour réinvestir dans bon nombre de secteurs obligataires et actions à long terme”

Assurance en ligne Le succès d’internet durant la dernière période des soldes montre l’avance prise par les courses en ligne sur les achats en magasin. Les internautes ont pris l’habitude ces dernières années d’acheter sans se déplacer et ce à n’importe quel moment de la journée ou de la nuit. Les grands groupes d’assurance se sont adaptés et ont ouvert des filiales pour répondre aux besoins de ses nouveaux consommateurs et élargir leur clientèle. Groupama a développé Amaguiz, AXA a créé Direct Assurance. “70 % des Français ont accès à Internet et achètent en ligne, explique Nelly Brossard, directrice générale adjointe chez Amaguiz. Les usages évoluent vite.” Le secteur de l’assurance devait s’adapter. “Internet est devenu le mode d’achat des nouvelles générations, mais aussi des seniors”, poursuit Nelly Brossard. “Souscrire une assurance en ligne évite de gaspiller son temps et facilite la vie”. Plus de rendez-vous en journée, fini les files d’attente et les frais d’agence, l’internaute peut souscrire et obtenir toutes les réponses qu’il souhaite sur son contrat sur le site de son assureur 24h/24. Et surtout, la diminution du nombre d’interlocuteurs permet à l’entreprise de dégager des économies et de les répercuter sur les contrats proposés. Signature électronique et impression du contrat immédiates, une façon de faire de l’assurance qui a permis à Amaguiz d’établir 100000 contrats en deux ans et demi. “C’est davantage que

terme.” Un krach obligataire fait partie des risques et du jeu, et la crainte reste constante, d’où l’intérêt de se tourner vers les actions. Les experts du secteur se montrent donc optimistes face à de telles éventualités, comme devant d’hypothétiques menaces de rachats de contrats en masse dus au papy-boom.

sont plus conservateurs que d’autres”, constate Pablo Ordas, responsable produits chez ING Direct. Les experts du secteur restent pourtant confiants. “Les chiffres ne peuvent qu’augmenter, explique Yves Masson. Le secteur de l’assurance en ligne ainsi que les comparateurs doivent travailler la clarté et la transparence.” Une communication appuyée a permis à certains acteurs de se faire connaître davantage. Les assureurs en ligne ont encore moins de visibilité que les agences qui ont pignon sur rue et sont visibles de tous. A terme cependant, la fluidité des process, les prix attractifs, les divers services développés et la grande facilité de souscription devraient faire de nouveaux adeptes. V.A.

Autre sujet qui oblige les détenteurs d’une assurance-vie à s’interroger: la lente érosion des fonds euros qui constituent pourtant la majorité des contrats des investisseurs, au détriment des contrats en unité de compte. “Tout dépend de son projet d’épargne”, explique Ghislaine Colella, directrice de l’épargne chez Axa France. “L’épargne est-elle constituée pour les études des enfants dans 15 ans? Pour la retraite dans 30 ans? Les décisions seront alors différentes.”AXA France a mis en place une offre “Bonus euro plus” pour ses clients les plus fidèles afin de pallier la baisse des fonds euros. Plus un client est actif, et plus le seuil euro est bonifié. Pour autant, les investisseurs semblent avoir mesuré le pour et le contre. “Nous constatons de la part de nos clients une appétence à diversifier leurs actifs. Le rôle du conseiller s’avère alors fondamental et l’accompagnement et le suivi décisifs.” Un contrat engagé sur un terme plus ou moins long n’aura donc pas les mêmes effets. “Les contrats investis à 100 % en euros n’ont jamais été la meilleure option depuis au moins 1972, rappelle Laurent Grimm. Sauf en cas de besoin à court terme de tout ou partie de son argent. Mais dans ce cas, l’assurance-vie n’est pas l’enveloppe fiscale la plus adaptée.” Certains experts soulignent pourtant que rien ne remplace les fonds euro. Rien ne semble pouvoir garantir autant, aussi longtemps et avec aussi peu de risques à court terme, que ce type de gestion bientôt révolue. “L’investisseur devra comprendre et admettre les risques qu’il peut et doit prendre, sur quelle durée, et avec quelle partie de son épargne pour obtenir une performance suffisante en assurance-vie, sur un investissement immobi-

sent la rentabilité moyenne des fonds euros sur une détention à long terme, ce qui est toujours le mode de détention des contrats d’assurance-vie”, souligne Laurent Grimm. Mais l’assurance-vie n’est pas le seul placement à réaliser dans une vie d’épargnant. L’immobilier locatif et les marchés financiers doivent toujours être utilisés dans une stratégie d’investissement à long terme. “Investir en Bourse sur des supports actions s’avère généralement payant si l’on est attentif aux marchés”, observe Fabrice Gilbert. L’or et les œuvres d’art sont une autre possibilité. Même si les experts assurent qu’en 2011 se dessine une appétence nouvelle pour l’assurance-vie. Se jouant des menaces, le placement préféré des Français a de beaux jours devant lui.

CHIFFRES REVELATEURS

Collecte toujours en hausse L’ensemble de l’année 2010 marque une hausse de la collecte de l’assurance-vie. Cette dernière atteint 144,1 Mds € et réalise une progression de 4 %. Cependant, la croissance de la collecte affiche un ralentissement important par rapport à l’année 2009 qui affichait + 13% Sources: FFSA et Gema Lire les dossiers précédents Les archives numériques nouveleconomiste.fr

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Patrimoine COURTAGE EN LIGNE

- Complexes, mais pas compliqués - Des ordres techniques contre les réactions instinctives - A la portée du grand public en quête de recul - Peu prisés des traders hyperactifs

Ordres dynamiques

Les instruments de la raison Une manière d’échapper à la frénésie

Ordre suiveur, duo et trio d’ordres, concours d’ordres, ordre séquentiel, ordre préparé, seuil de déclenchement, retournement de marché. Dynamiques, complexes, tactiques ou intelligents, la plupart des courtiers en ligne proposent désormais aux particuliers des ordres qui ont été à la base développés pour les traders. Contraction de plusieurs ordres simples, ils permettent souvent à l’investisseur de limiter ses pertes et de sécuriser ses profits. Le particulier devra cependant avoir bien compris les mécanismes de la bourse et des ordres simples avant de s’en saisir. Il devra alors adopter une stratégie, et accepter de prendre du recul et de perdre une part relative du contrôle qu’il exerce sur son portefeuille. Les ordres dynamiques seront alors pour lui un allié à la fois utile et sécurisant.

Par Fabien Humbert

L

es ordres dynamiques, ou complexes, sont des ordres multiples qui se déclenchent automatiquement en fonction d’un événement prédéfini. S’ils peuvent être passés sur toutes les bourses gérées par Euronext, ce ne sont pas des ordres réglementés à l’image des ordres de marché (ordres à la meilleure limite, ordre simple, ordre à cours limité…). Les “pattes” des ordres simples composant les ordres complexes sont stockées en interne par un intermédiaire financier qui est lui-même abonné aux flux de bourse. Lorsque les conditions contenues par l’ordre sont remplies, il est automatiquement transmis au marché. Pour Florent Dimitriou, chargé de clientèle senior chez Binck.fr, jeune site de courtage en ligne,“contrairement à ce que peut laisser penser leur appellation, les ordres complexes sont assez simples à développer. Cependant, un intermédiaire financier se doit d’avoir au moins trois ans d’expérience sur un marché pour les proposer à ses clients. C’est pourquoi nous les mettrons en place d’ici un an.” La plupart des acteurs bénéficiant d’une certaine antériorité sur le marché français les proposent déjà à leurs clients, que ce soient Boursorama, Fortuneo ou Cortal Consorts par exemple.

Complexes, mais pas compliqués

Les ordres à modalités complexes permettent aux investisseurs d’assortir leurs interventions de conditions visant à saisir des opportunités ou à protéger leurs performances.Avec un CAC 40 qui peine à dépasser les 4000 points alors qu’il était à plus de 7000 trois ans auparavant, on comprend tout de suite l’intérêt d’une telle possibilité. L’ordre intelligent le plus populaire, mais aussi le plus sûr, est l’ordre dit protégé, ou suiveur. Le don-

fait d’un ordre stop, mais qui se réajuste en permanence. Le tout étant de bien choisir le pourcentage. Chez Boursorama, nous préconisons en général 5%.” Et si au contraire le cours baisse dès l’ouverture du marché, vous ne perdrez que 5 % sur vos 10 € initiaux. Il s’agit là d’un ordre extrêmement rassurant pour le particulier, car il permet de sécuriser les gains et de limiter les pertes au pourcentage fixé. Le duo d’ordres permet lui de programmer deux ordres en même temps, la clô-

Les ordres dynamiques, ou complexes, sont des ordres multiples qui se déclenchent automatiquement en fonction d’un événement prédéfini neur d’ordre fixe un pourcentage, à la hausse et à la baisse au-delà duquel il désire vendre ou acheter ses actions. “Lorsque vous êtes en position sur un titre Alcatel qui vaut 10 euros, vous fixez un pourcentage de baisse au-delà duquel vous voulez vendre. Par exemple 5%”,explique Benoît Grisoni, directeur France de Boursorama Banque. “Si l’ordre s’ajuste à la hausse, vous en bénéficiez, mais si le cours baisse de 5 % par rapport au plus haut atteint par l’action, vous vendez automatiquement. Il s’agit en

Le nouvel Economiste - n°1555 - Du 24 février au 2 mars 2011 - Hebdomadaire

ture d’une position gagnante (ordre à cours limité) et une protection (ordre à seuil de déclenchement) en cas de retournement de marché. Le programme surveille les cours et en fonction de leur évolution, il transmet au marché l’ordre à cours limité (gain) ou l’ordre à seuil de déclenchement (protection). “Seul sera exécuté le premier qui réunira les conditions nécessaires à son exécution, explique Philippe Dubois, directeur adjoint agence centrale de Paris chez Fortuneo. Ce type d’ordres

est particulièrement recommandé pour les détenteurs d’un PEA. Il évite d’avoir à choisir entre un ordre de vente stop et un ordre limité.”Cette même logique s’applique à l’ordre triple (ou trio), qui fonctionne comme le duo, mais permet de rajouter un ordre supplémentaire. Le concours d’ordre permet quand à lui de mettre en concurrence plusieurs valeurs. Imaginons qu’un investisseur ait 10000 euros à placer et qu’il hésite entre quatre valeurs: Peugeot à 100euros, Renault à 95euros, Alcatel à 50 euros et Air Liquide 90 euros par exemple. Dès qu’un cours s’approche suffisamment de sa limite (seuil de transmission), son ordre est automatiquement transmis sur le marché. Les trois autres ordres ne seront plus transmis, sauf si le premier n’est pas exécuté dans la journée (limite non atteinte). “Nous utilisons beaucoup ce type d’ordre sur des PEA,révèle Philippe Dubois. Nous le conseillons particulièrement pour les clients qui ont peu de liquidités.” Encore plus subtil, l’ordre séquentiel correspond à deux ordres de sens opposé qui sont passés.Le second ordre est envoyé sur le marché lorsque le premier ordre a été totalement exécuté.Un investisseur anticipe la baisse du cours d’une action, il saisit un ordre de vente à seuil de déclenchement à 38 euros par exemple.

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Patrimoine COURTAGE EN LIGNE

“Un intermédiaire financier se doit d’avoir au moins trois ans d’expérience sur un marché pour proposer des ordes complexes à ses clients.” Florent Dimitriou, chargé de clientèle senior chez Binck.fr.

Lorsque la totalité de la vente est exécutée, un achat à 34 euros est automatiquement présenté sur le marché. Deux ordres en sens opposé vont être enregistrés. Viennent enfin les ordres préparés qui sont avant tout utiles pour les traders qui doivent passer des dizaines d’ordres sur la même valeur. Cet ordre permet de tous les regrouper en un seul en amont et de les envoyer simultanément sur le marché.

Des ordres techniques contre les réactions instinctives

Le principal intérêt des ordres dynamiques réside dans le fait que le client peut définir à l’avance une stratégie, rentrer ses ordres dans le serveur de son intermédiaire, puis vaquer à ses occupations. Les ordres seront passés si les conditions requises sont réunies; sinon, ils resteront stockés et ne seront jamais envoyés. La plupart des ordres dynamiques ont une durée de validité d’un an, ce qui laisse largement le temps de voir venir. Ils sont en général limités à un seuil de déclenchement,

mais peuvent aussi être passés à tout prix. “Cela permet à l’investisseur de ne pas regarder son compte tous les jours. Ce qui est très pratique lorsqu’il est dans les transports ou lorsqu’il part en vacances”,explique Philippe Dubois. Le fait de pouvoir définir sa stratégie en amont et de passer plusieurs ordres en même temps permet aussi de lutter contre les défauts caractéristiques des investisseurs en bourse. Le particulier peu averti a tendance à acheter au moment où une valeur est au plus haut et va chuter à brève échéance.Après quoi il s’accroche à sa valeur alors qu’elle plonge dans les abysses et finit par la vendre lorsqu’elle est au plus bas et qu’elle est sur le point de remonter. “Les ordres dynamiques permettent de lutter contre les travers de la nature humaine”, révèle Benoît Grisoni. “Les particuliers perdent beaucoup d’argent non pas parce qu’ils ont plus souvent tort que raison, mais parce

ordres complexes. Ce qui n’est pas une mince affaire lorsque l’univers de la bourse vous est totalement étranger. La directive européenne MiFID – Markets in Financial Instruments Directive – stipule en effet que les opérateurs ont pour obligation de s’assurer que leurs clients comprennent bien les produits qu’ils leur proposent. “En tant qu’intermédiaires, nous ne pouvons conseiller à nos clients d’acheter telle ou telle valeur, explique Philippe Dubois, mais nous sommes tenus de leur fournir des explications techniques sur la façon dont fonctionnent nos produits.”C’est pourquoi les particuliers trouveront des modules d’explications (graphiques,vidéos…) sur les sites des principaux courtiers en ligne, que ce soit Boursorama, Fortuneo ou leurs concurrents. “Les modalités de saisie sont les mêmes que pour un ordre classique, ajoute

“Les ordres dynamiques permettent de lutter contre les travers de la nature humaine” qu’en termes de positions, ils ne prendront pas forcément les bonnes décisions.Ils coupent trop tôt les hausses et attendent trop quand le cours baisse.” Les ordres dynamiques permettent de tordre le cou à la croyance qui veut que tant qu’on n’a pas vendu le titre,on n’a pas perdu d’argent.Dans le contexte boursier actuel, mieux vaut en effet rentrer une limite de prix en dessous de laquelle vendre automatiquement les titres et limiter les pertes, plutôt que de compter sur une hypothétique remontée.

A la portée du grand public en quête de recul

Longtemps considérés comme des produits réservés aux professionnels, les ordres dynamiques sont désormais à la disposition des particuliers.

Philippe Dubois.Donc il n’y a aucune difficulté technique supplémentaire”. Ces ordres sont même assez indiqués pour les particuliers, car ils permettent au donneur d’ordre de ne pas être en permanence derrière son ordinateur à scruter l’évolution des cours de bourse. Ce qui s’adapte assez bien au style de vie d’une personne très occupée comme un cadre, qui ne pourra pas forcément consulter son compte pendant une réunion ou un déplacement. Mais aussi d’un investisseur prudent qui souhaite mettre en place une stratégie à moyen terme et qui n’a pas vocation à passer sa vie devant son écran. “Les particuliers ne sont pourtant pas toujours demandeurs de ce type d’ordres”, révèle Loïc Javoise, manager des produits bourse chez Binck.fr. “Spécialement les néophytes. Quand ils arrivent sur le marché, ils ont

“Pour un particulier, les ordres complexes permettent d’être plus indépendant par rapport à la bourse, mais de prendre des décisions structurellement intelligentes.” Benoît Grisoni, directeur France de Boursorama Banque.

rait peut-être finalement acheté s’il avait été devant le cours de bourse, mais qui ne sera pas pris en compte s’il ne choisit pas le bon ordre complexe. “Il est possible de changer son ordre ou de l’annuler à tout moment, assure cependant Benoît Grisoni. Si un client pense qu’il risque de louper une opportunité, il lui suffit de modifier son ordre. Le système est très flexible et s’adapte à ses besoins.”Autre limite de ces ordres: ils ne fonctionnent pour le moment que sur Euronext, ce qui raye de l’équation le Nasdaq ou le marché des matières premières. “De plus, les ordres complexes ont perdu une partie de leur attrait avec la multiplication des moyens de communication, analyse Loïc Javoise Avec la radio, la télévision, Internet via les ordinateurs portables et les smartphones, les investisseurs peuvent désormais être en contact constant avec les cours de bourse.” Les ordres dynamiques, comme les ordres simples d’ailleurs,doivent enfin être utilisés avec précaution sur des sous-jacents peu liquides. La raison est que l’ordre déclenché automatiquement peut se voir exécuté à des

La principale limite de ces ordres serait finalement qu’ils sont mal connus, et donc peu utilisés

“Nous utilisons beaucoup ce type d’ordre sur des PEA. Nous le conseillons particulièrement pour les clients qui ont peu de liquidités.” Philippe Dubois, directeur adjoint de l’agence centrale de Paris chez Fortuneo.

Les courtiers en ligne n’hésitent pas en effet à les proposer à leurs clients. Parfois même dès l’ouverture d’un compte.“Globalement,nous proposons les ordres complexes beaucoup plus tôt à nos clients, note Benoît Grisoni. Ce produit est en effet adapté au grand public, une fois le mécanisme compris.”Car pour tirer toute la substantifique moelle de ces ordres complexes, un particulier devra auparavant s’assurer de parfaitement maîtriser les ordres simples. Il devra en effet étudier le fonctionnement de ces derniers (comme les ordres à cours limité, les ordres à la meilleure limite, les ordres au marché), avant de se lancer dans la manipulation des

Investissement boursier La fin des illusions

Selon une étude TNS Sofres, il n’y aurait plus que 5,2 millions de petits porteurs contre 6,4 millions fin 2008. Selon Benoît Grisoni, directeur France de Boursorama, “la Bourse et les placements financiers afférents souffrent structurellement d’une mauvaise image en France”. Il semble donc que la crise et le dégonflement de la bulle des subprimes aient achevé d’éloigner nombre de particuliers de la Bourse, “cette désaffection a pris racine lors la crise de 1999-2000” confirme Jean-Claude Delarue, porte-parole de SOS Petits Porteurs. “L’épisode des subprimes n’a fait qu’enfoncer le clou.” “Notre base de clients fidèles et réguliers n’a pas bougé, note pour sa part Benoît

qui peuvent se permettre de perdre. “Le tout est d’avoir un portefeuille de placement diversifié. L’investissement en bourse doit venir compléter une assurance-vie, un placement dans l’immobilier et/ou un livret A.” explique Benoît Grisoni. “Nous ne conseillons pas de ne pas investir en bourse, explique JeanClaude Delarue. Seulement il n’existe aucun moyen de savoir avec certitude si on va gagner ou perdre. Un peu comme au casino. Il faut en être conscient.” Les placements en bourse sont donc utiles pour les investisseurs actifs, bénéficiant d’un pouvoir d’achat assez élevé, que le faible rendement d’un Livret A (2 %) rebute. “Il faut bien faire attention aux placements

L’investissement boursier doit venir compléter une assurance-vie, un placement dans l’immobilier et/ou un livret A Grisoni, il ne s’agit donc pas d’une désaffection généralisée.” Cette méfiance des petits porteurs s’appuie pourtant sur des faits rationnels. Alors qu’il culminait à 7000 points en 2008, le CAC 40 peine aujourd’hui à dépasser les 4000 points. Pour Jean-Claude Delarue, “la méfiance est en train de rentrer dans l’inconscient collectif. Ca fait 30 ans qu’il y a un krach tous les 10 ans en moyenne. Tout le monde connaît quelqu’un qui a perdu gros en bourse.” Cependant, tempère Benoît Grisoni, même s’il n’y a pas récemment eu de grosses introductions en bourse ou de privatisations, il y a toujours énormément d’opportunités à saisir sur les marchés. Le porte-parole de SOS Petits Porteurs et le directeur de Boursorama France tombent d’accord pour ne conseiller le placement en bourse qu’à ceux

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réputés sans risques, conseille Jean-Claude Delarue. Beaucoup de gens ont placé leurs économies en vue de s’assurer une meilleure retraite dans des produits non garantis. Je conseille aux particuliers de demander à leur conseiller financier de consigner ses assurances par écrit et de ne pas oublier de vérifier les frais d’entrée et de gestion.” L’erreur commise par certains dans les années 2000 a été de dire que tout le monde pouvait investir en bourse et qu’on gagnait à chaque fois. Les petits porteurs, leurs défenseurs et les professionnels semblent être revenus de ce mirage. Et les placements financiers en bourse ont retrouvé leur juste place, en complément de l’épargne et de l’immobilier. F.H.

souvent envie de gérer eux-mêmes leur portefeuille, de tenter des coups, quitte à se tromper parfois.”C’est donc aux courtiers de persuader leurs clients que les ordres dynamiques sont faits pour les aider à prendre la bonne décision en permanence sur le marché. Qu’ils surveillent ou non les cours de bourse. Pour Benoît Grisoni, “un trader très actif est autonome, les décisions lui appartiennent. Pour un particulier, les ordres complexes permettent d’être plus indépendant par rapport à la bourse, mais de prendre des décisions structurellement intelligentes. Les clients savent bien qu’ils ne peuvent pas avoir raison tout le temps.”Les ordres complexes sont donc à la portée des particuliers, même si les néophytes devront attendre d’avoir maîtrisé les ordres simples pour s’en saisir. Les particuliers et les traders ne sont cependant pas égaux devant la Bourse. Les professionnels ont en effet à leur disposition d’avantage d’ordres complexes. “Les traders peuvent par exemple utiliser les ordres iceberg qui permettent d’avancer masqué lorsqu’on veut acheter des actions en grosse quantité” révèle Florent Dimitriou.“Les particuliers n’ont pas accès à tous les ordres qui sont développés en salle de marché.”

Peu prisés des traders hyperactifs

Selon Philippe Dubois et Benoît Grisoni, la principale limite de ces ordres serait finalement qu’ils sont mal connus, et donc peu utilisés. “90% des ordres passés sur le réseau Euronext sont des ordres simples”, confirme Loïc Javoise. Cette relative désaffection s’explique notamment par le fait que les clients rechignent souvent à prendre du recul et à s’astreindre à ne pas consulter les cours de bourse dès qu’ils en ont l’occasion.Avec les ordres dynamiques,ils peuvent avoir l’impression de perdre la mainmise sur leur portefeuille. Car beaucoup d’investisseurs sont hyperactifs et désireux d’agir directement sur leur portefeuille. Ils achètent et vendent rapidement. Et pour ce type d’investisseurs, les ordres simples restent les plus attractifs.Les ordres dynamiques sont sécurisants, mais ils peuvent toutefois faire rater des opportunités lorsque le marché suit une tendance très marquée. Par exemple si un ordre de vente est à 15 euros sur une action et qu’elle monte finalement jusqu’à 18, les gains ne seront pas aussi importants qu’ils auraient pu l’être. Autre exemple avec une limite d’achat à 12 euros. L’action parvient à 12,10euros. Seuil auquel l’investisseur au-

“Les ordres complexes ont perdu une partie de leur attrait avec la multiplication des moyens de communication.” Loïc Javoise, manager des produits bourse chez Binck.fr.

conditions déplorables. Pour les ordres à seuil de déclenchement par exemple, une fois la limite dépassée, l’ordre risque de devenir “à tout prix”. Si la limite à la vente est fixée à 9euros et que le marché est peu liquide, il sera peut-être impossible de vendre au prix escompté, ou du moins seule une partie de ce que l’on souhaitait vendre pourra partir dans les conditions souhaitées. Mais l’ordre continue de courir, alors que le prix de l’action peut très bien descendre à 7euros.Tout ou partie des actions détenues sera alors vendu à 7 au lieu de 9, en dépit ou à cause de l’ordre dynamique qui s’est maintenu dans le temps. C’est pourquoi il faut bien se renseigner sur les conditions de déclenchement d’un ordre dynamique et vérifier s’il est “limité” tout du long ou s’il se transforme en “à tout prix”. Ces quelques mises en garde à l’esprit, les ordres complexes, utilisés en renfort des ordres simples, peuvent prendre toute leur valeur. Et permettre à l’investisseur de s’extraire de la frénésie que peut générer la gestion simple, de réfléchir à plus long terme.

CHIFFRES REVELATEURS

Encore en minorité 90 % des ordres passés sur Euronext sont des ordres simples et réglementés. 10 % sont des ordres dynamiques. Les 6 ordres dynamiques existants représentent 95 % des besoins des clients. A plus de 7000 points il y a 3 ans, le CAC 40 flirte toujours avec les 4000 points. L’indice parisien a perdu 1 million de petits porteurs depuis fin 2008. Lire les dossiers précédents Les archives numériques nouveleconomiste.fr

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Morceaux choisis AU GRÉ DE LA PRESSE ÉTRANGÈRE

Source : TMS International 32

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Opinions La face noire de la mondialisation

Révolutions arabes et vide de la pensée stratégique ALAIN BAUER, professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers

Il est temps que les diplomaties occidentales retrouvent le chemin de l’analyse qui permettra d’éviter dans trente ans de se lamenter sur les effets soi-disant “imprévisibles” des mouvements en cours

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Il est naturel et sain qu’on s’enthousiasme pour les révolutions en cours dans le monde arabe. La “France des Lumières” a naturellement vocation à soutenir des peuples interdits de liberté partout. C’est sa tradition et son honneur. Cette position de principe a-t-elle pour autant vocation à ignorer les réalités des enjeux réels des événements en cours ? Peut-on, trente ans après la révolution iranienne, continuer à ne réagir qu’à l’événement quotidien sans le mettre en perspective ? La dichotomie, voire la schizophrénie du monde médiatique, les errements des diplomaties occidentales, marquées par des années de soutien aveugle aux dictatures locales, pariant sur une pseudo-stabilité de nos “alliés” du monde arabe, ne peut satisfaire celles et ceux qui ont vocation à regarder devant. Déjà, quelques journalistes, parallèlement à l’enthousiasme ambiant, analysent plus précisément les conditions des révolutions de palais qui ont marqué les épisodes tunisiens et égyptiens. Elimination de la “régente de Carthage” qui se voulait devenir une nouvelle Evita Peron, marraine d’un clan mafieux qui rackettait un pays tout entier. Elimination du fils Moubarak qui voulait devenir un pharaon héréditaire. Dans les deux cas, l’armée et les restes du parti majoritaire ont sauvé le régime tout en évitant un véritable changement de système. Ils ont surfé sur une véritable révolte populaire en préservant l’essentiel. Et permettant à l’Occident de respirer. L’absence d’opposition structurée en Tunisie et la puissance des Frères musulmans en Egypte donneront des résultats contrastés pour ce qui est de la capacité de ces deux pays à réussir une démocratisation. La nouvelle poussée de fuite de jeunes Tunisiens vers l’Europe ces derniers jours, et la dégradation du climat d’insécurité local ne peuvent manquer de susciter des inquiétudes qui ne sont pas parfumées au jasmin.

Le Yémen, la Lybie, la Syrie connaissent des soubresauts de même nature, mettant en cause les systèmes bâtis autour d’un modèle “baasiste” de partis autoritaires non-confessionnels (et qui sont fort loin d’être laïques). En Algérie, la tension existante ne peut faire oublier l’épisode sanglant de la guerre civile (près de 100 000 morts) qui suivit l’interruption du processus électoral qui avait vu la victoire massive du Front islamique du salut. L’armée algérienne est là aussi maîtresse du jeu. La situation est différente au Maroc ou en Jorda-

Liban lui-même vient de “tomber” démocratiquement dans l’escarcelle iranienne dans une remarquable indifférence occidentale... Curieusement, si l’analyse restrospective des événements occupe l’essentiel des médias, les options de sortie de crise sont rarement explorées. Seules quelques lettres confidentielles ou blogs spécialisés semblent analyser véritablement les enjeux. Il y a trente ans, l’ayatollah Khomeini était présenté comme un libérateur. Un gouvernement libéral dirigé par Mehdi Bazargan tenait six mois

Curieusement, si l’analyse restrospective des événements occupe l’essentiel des médias, les options de sortie de crise sont rarement explorées nie, dont le roi est également le commandeur des croyants, et dont les relations avec les oppositions locales se structurent dans une logique traditionnelle et tribale. Dans le premier cas, en cherchant un équilibre complexe avec les oppositions politiques et religieuses, dans le second, en résolvant en parallèle les conflits avec certaines tribus choquées par le style excessif de la famille royale, et celui avec la masse des réfugiés palestiniens maltraités. Au Bahrein, l’enjeu est tout autre. L’Iran considère ce territoire, comme le Sud irakien, comme une “province perdue”, majoritairement chiite, qu’il convient de reconquérir dans une logique impériale. Le traitement de la minorité chiite à Bahrein est bien évidemment critiquable, malgré une semi-démocratisation tentée dans la douleur depuis 2002. Les enjeux stratégiques sont pour autant d’une nature différente que dans les autres pays concernés. La frontière avec les zones majoritairement chiites du Royaume saoudien (qui sont aussi celles où se concentrent l’essentiel de la production pétrolière du royaume) et la forte implantation de la Ve flotte américaine donnent à ce petit Etat dont les réserves pétrolières sont épuisées, et qui s’est transformé en Liban (de la meilleure époque) du Golfe, une importance toute particulière. Ce d’autant plus que le

avant de tomber après l’occupation de l’ambassade des Etats-Unis. Il y a vingt-cinq ans, la volonté de déstabilisation du Fatah par Israël et les Occidentaux avait vu l’émergence du Hamas ou du Djihad islamique dans les territoires palestiniens. Créant un nouveau Golem, ils payent aujourd’hui le prix de cet aveuglement à Gaza et bientôt en Cisjordanie. Créer un ennemi plus puissant et plus déterminé pour se débarrasser de celui qui existe, éliminer les acteurs de la paix, se termine toujours mal. Mais qui se soucie encore d’apprendre l’histoire ? Il est donc largement temps que les diplomaties occidentales, spectatrices souvent déconnectées, bousculées par une réalité qu’il n’était pas impossible de prévoir, retrouvent le chemin de l’analyse, dans ce cocktail mêlant realpolitik et défense des valeurs, qui permettra d’éviter dans trente ans de se lamenter sur les effets soi-disant “imprévisibles” des mouvements en cours.

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