Siza et le rapport au site

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Siza et le rapport au Site

École d’Architecture de Nancy Mémoire de licence - Camille RODRIGUEZ - juin 2010



Introduction

Présentation d’Alvaro Siza

SOMMAIRE

1. Le rapport au site

• Le contexte portugais • L’inventaire des typologies de l’Architecture populaire de Tavora • L’influence d’Alvar Aalto • Alvaro Siza et le site : une méthode pour concevoir > Le quartier de Malagueira, à Evora > L’abbaye du Thoronet, en France 2. Dialectique géométrie/géographie chez Siza • Un rapport étroit avec le site > Le restaurant Boa Nova, à Leça da Palmeira > Piscine publique, à Leça da Palmeira > Casa Tolo, Lugar das Carvalhinhas • Le calage au site ou comment donner à lire l’inscription du bateau dans son site > analogie avec un bateau en cale-sèche > Centre galicéen d’art contemporain de St Jacques-de-Compostelle, Espagne (1988-1993) > Casa Beires, Povoa do Varzim > Piscine de Leça • Vers une abstraction du site ? > Le mouvement hollandais De Stijl > Piscine de Leça > Casa Beires > Restaurant Boa Nova Conclusion Bibliographie



Introduction «J’aimerais construire dans le désert du Sahara. Probablement qu’en creusant les fondations, quelque chose apparaitrait : des débris, une pièce d’or, le turban d’un nomade, des dessins indéchiffrable gravés sur le rocher. Alors l’occasion que je croyais enfin arrivée de pouvoir faire référence à rien, d’agir en toute liberté, serait remise à une autre fois. Il n’y a pas de désert et même s’il y en avait.» Alvaro Siza. Des mots de rien du tout. p.103 L’oeuvre d’Alvaro Siza, architecte portugais, porte une attention particulière au site dans lequel il intervient, presque comme un travail d’archéologue. C’est sur cette relation entre l’architecture et le site que nous allons nous interroger dans ce mémoire, et plus particulièrement sur les oeuvres de Siza et leur rapport au site : comment les oeuvres de Siza arrivent à établir un rapport intime avec les éléments du site et du paysage, tout en créant des oeuvres dont se dégage une grande force et une certaine poésie ? Dans un premier temps, nous nous interrogerons sur la question du rapport au site, et la façon dont Siza s’en sert dans son travail, presque comme une méthode (bien qu’il revendique de ne pas faire une architecture avec un langage pré-établi) mais aussi pourquoi et comment l’histoire du Portugal l’a amené à avoir cette position vis-à-vis du site. Ensuite, nous essayerons d’analyser plus spécifiquement quelques uns des projets de Siza qui touchent à cette question du site, questions qui reviennent sans cesse dans son travail, même si cela ne peut être une illustration de l’immense éventail de ses projets ou de la complexité de son oeuvre.

Alvara Siza architecte urbaniste, Alvaro Siza Vieira est né en 1933 à Matosinhos, près de Porto, au Portugal. Adolescent, il s’intéressait à la peinture et à la sculpture, mais décida finalement de poursuivre des études d’architecture après avoir observé les oeuvres de Gaudi lors d’un voyage en famille à Barcelone. Il étudie donc à la Faculté d’Architecture de l’Université de Porto et obtient son diplôme en 1955. Il rejoint de 1955 à 1958, l’atelier de son professeur et ami Fernando Tavora, après quoi il fonde son propre atelier. Il réalise son premier projet, le restaurant Boa Nova en 1954. De 1966 à 1969, puis en 1976, il enseigne à l’école d’architecture de Porto. Il est aussi professeur invité à Lausanne, à l’université de Pennsylvanie, à Bogota, à Harvard. Dans les premiers temps, Alvaro Siza construit peu et signe ses premières oeuvres au Nord du Portugal en raison du confinement dans lequel le régime fasciste de Salazar tient les architectes progressistes jusqu’en 1974. La révolution d’Avril leur offre la perspective de mettre à profit leur recherches en rapport avec les tendances européennes. De nombreux prix et marques de reconnaissances jalonnent son parcours, comme le prix Pritzker qu’il reçoit en 1992 et le Lion d’Or de Venise en 2002. Alvaro Siza et travaille à Porto, dans le nord du Portugal. C’est quelqu’un qui dessine beaucoup

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1. Le rapport au site Le rapport au site est le fait pour un édifice d’intéragir avec le lieu dans lequel il se trouve pour tendre vers une harmonie entre les hommes et leur environnement, entre le naturel et le construit. Sans intégration au site, on pourrait avoir peur que l’architecture deviennent étrangère au site, comme un élément autonome qui se suffit à lui-même et qui s’affiche comme la proprieté du seul concepteur et non pas de la communauté. L’insertion est donc le fait de créer des relations entre les volumes, les formes, les matières, les usages, les échelles, quelque chose qui accorderait ce qui était là avant à ce qui est projeté, comme si le fait d’être «ancré» dans le site, et non posé comme un objet, sans liens avec le territoire, nous donnait alors l’impression d’ «habiter» le lieu, nous donnait un sentiment d’appartenance au site, à la région. Le rapport au site est donc en relation avec la notion d’identité, de racines, d’histoire. Nous allons maintenant nous pencher sur le contexte portugais pour comprendre comment l’histoire du Portugal a influé sur la position de Siza vis-àvis du site, que nous détaillerons ensuite plus précisément à travers quelques projets..

•Le contexte portugais De 1926 à 1974, le Portugal était sous l’emprise de la dictature fasciste de l’Estado Novo («l’État Nouveau»), instauré par Antonio Oliveira Salazar, régime à parti unique, nationaliste, proche de l’idéologie du parti fasciste italien. Sous la dictature de l’Estado Novo de Salazar, il était imposé une gamme de modèles de référence néo-classique pour construire n’importe quel type de bâtiment : il en résulte une homogénéisation stylistique artificielle, ignorant la tradition vernaculaire portugaise, son savoir-faire dans le domaine de la construction, qui avait pourtant une identité très forte dans le pays. Paulo Gomez Varela, dans son article «Quatre bataille en faveur d’UNE architecture portugaise» dit que l’État portugais a en quelque sorte «pris le langage en otage.» Dans ce pays de petite taille, l’économie n’a pris son essor qu’après 1975, avec la fin de la dictature de Salazar, amenant 1,5 millions de portugais à aller travailler en dehors du pays pour fuir la misère et les guerres coloniales. À partir de ce moment-là, une vague de changement et de progrès effacèrent les traces du passé, synonyme de pauvreté. L’ignorance et l’absence de valeur patrimoniales, toutes deux cultivées par le salazarisme donnèrent libre cours à la depersonalisation et à la destruction d’un espace qui s’était longuement édifié, sédimenté dans le temps par les societés. Cela se traduisit en architecture par une tendance à l’éclectisme : on construisit des maisons individuelles et des bâtiments dans des styles importés d’un peu partout par des citoyens portugais travaillant à l’étranger. Cet éclectisme contraste avec l’homogénéité des villes et des campagnes. De plus, elles étaient conçues pour des milieux urbains, technologiques, sociales et matériels totalement différent du Portugal. Il en résulte une certaine déconnection du bâti avec le site, qui menace la tradition vernaculaire dans les milieux ruraux. Cette vague de progrès vient de l’influence croissante des villes dans le monde, au détriment des villages qui sont synonymes de pauvreté, d’immobilisme, d’ignorance. Aujourd’hui, on peut ainsi dire sans exagérer, que les lisbonnins sont plus proches de New-York que de Mirando do Douro, qu’ils comprennent mieux les réactions typiques des cow-boys du Texas que celles des ruraux de Montemuro. Ce rapprochement s’est fait durant cette vague de progrès au sortir de la dictature de Salazar, avec les facilités de communication ( radio, presse, cinéma ..) et de transport. En réduisant les distances, on brouille les relations entre les distances. Le déracinement de ces supports de la vie de province a ainsi eu des répercutions sur l’aspect des constructions. C’est dans ce contexte portugais, après la dictature de Salazar et avec la pression urbaine qui menace le patrimoine vernaculaire, que les architectes du pays ressentent le besoin de faire un inventaire de l’Architecture populaire régional du Portugal, avant qu’il ne disparaisse.

Le Portugal n’a pas vraiment d’unité architecturale : il n’existe pas une «Architecture portugaise» ni une «maison portugaise.» Il existe des différences bien plus profondes entre un village du Minho et un «monte» (hameau) de l’Alentejo. : La partie Sud, après le village de Nazaré, est typiquement méditerrannéenne, avec des constructions blanches, même si elle est tournée vers l’Atlantique. Le nord quant à lui, diffère par le climat, le relief général, les cultures, l’économie, ... et présente un caractère plus rude, avec des constructions en granit sombre.

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• L’inventaire des typologies de l’Architecture populaire de Tavora Fernando Tavora, professeur et ami de Siza, participa à cette «Enquête» et à la publication d’un recueil synthétisant toute la masse d’information récoltée, analysant les différentes formes ou typologies relevées en lien avec la géographie, le climat, l’économie, l’organisation sociale ... En fait, ces architectes étaient fascinés par l’Architecture populaire, par sa simplicité, par son charme rude, son utilitarisme, son rapport étroit avec le territoire .. Pour eux, la connaissance de cette architecture est beaucoup plus riche en enseignement que l’architecture savante plus urbaine et toujours en quête de renouvellement et de perfectionnement technique. Tavora et son équipe voulait étudier ce pan oublié de l’architecture parce que trop ordinaire. Pour eux, «les constructions anciennes de leur pays peuvent et doivent servir d’inspiration aux architectes d’aujourd’hui.» «De l’étude de l’Architecture portugaise, on peut et on doit extraire des leçons de cohérence, de sérieux, d’économie, d’ingéniosité, de fonctionnement, de beauté ... qui peuvent dans une très large mesure contribuer à la formation d’un architecte de nos jours.» Ils ont cette position très engagée vis-à-vis de l’Architecture populaire car pour eux, «s’il existe certains facteurs constants, ils ne concernent pas une unité de types, de formes ou d’éléments architecturaux, mais plutôt quelque chose du caractère de nos gens, qui se révèle dans les bâtiments qu’ils construisent, quelque chose de difficile à définir avec rigueur mais qui n’en a pas moins eu assez de pouvoir pour «apprivoiser» les délires plastiques du Baroque et les rendre, chez eux, humbles dans leur éxubérance.» C’est en s’inspirant d’éléments et d’aspects, considérés comme les plus typiques de leur pays, qu’ils représenteront le mieux le Portugal. Ainsi, les architectes sont en quelque sorte les ambassadeurs de leur pays et ils se doivent de le connaître et de se servir de ses richesses. Cela paraît évident et pourtant. Siza a ainsi été fortemnt influencé par tous ces travaux et ces recherches sur l’Architecture populaire portugaise, Tavora ayant été son professeur. Ainsi, l’Architecture est le reflet de la relation entre le travail (bâtir, cultiver ..., toute action de transformation du monde par l’homme) et de la vie. C’est parce que cette architecture est non-explicite, quasi-intuitive, inconsciente, qu’elle est celle qui peut le mieux nous enseigner sur la societé portugaise. Les bâtiments vernaculaires sont des outils pour voir le travail de l’homme car ils portent en eux la logique qui les a créés. Le relief marqué du pays a induit la nécessité pour les bâtiments de se mettre en conformité avec le paysage. Ainsi, les bâtiments se sont laissés façonner par les contours du terrain : l’édifice conserve la lisibilité du monde antécédent dans lequel il a été construit. La langue vernaculaire a donc un rapport avec l’archéologie, l’histoire du lieu étant inscrite dans sa forme.

Tableau des différentes typologies relevés par Tavora dans la zone I, au Nord (voir carte ci-après)

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Zone I relevée par Tavora «Architecture qui n’est pas possible de classer par types d’édifices, toute aussi naturelle que riche en nuances. (voir tableau) Zone richement boisée, d’un haut degré de pluviosité, avec de nombreuses rivières, avec des montagnes qui s’élèvent de plus en plus que l’on s’avance vers l’intérieur. Au nord comme au sud Du douro prédomine une croûte granitique, coupée par une bande schisteuse dans le sens sud-est/ nord-est. (...) Pour emmagasiner le maïs, on n’utilise pas le séchoir mais l’ «espigueiro» (silo à épis) ou «canastro» (nom plus employé au sud du Douro), élevé sur des supports pour rester à l’abri de l’attaque des rats.

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• L’influence d’Alvar Aalto ( 1898-1976) Cet élan patriotique, cette volonté de représenter son pays peut s’expliquer par l’histoire du Portugal et la dictature de Salazar qui a certainement dû brider quelque peu la création des architectes mais cette quête d’identité nationale ne concerne pas seulement le Portugal. Alvar Aalto, finlandais, dont Siza revendique une grande influence, a commencé sa carrière professionnelle dans un moment historique particulier. D’abord dominée par la Suède, pendant 6 siècles, la finlande devient grand duché rattaché à l’Empire russe en 1809. La quête d’identité de cette nation s’incarne dès 1835 dans la littérature : rédigé à partir d’une large collecte de chants populaires, le Kalevala est une vaste épopée héroïque dans laquelle les finlandais se découvrent différents des suédois comme des russes. Le début du XXe siècle est marqué par des revendications d’autonomie politique et culturelle d’autant plus explicites que la russification se radicalise alors. L’architecture participe à cette quête d’identité. Il faut s’affranchir de formes et de matériaux vernaculaires qui n’ont rien de spécifiquement finalndais, mais le style «Empire», néoclassicisme des colonisateurs russes du XIXe siècle n’est guère plus acceptable. On explore l’Art Nouveau en s’inspirant du Moyen-Age (romantisme nationalisme) mais cela ne dure qu’un temps. Les architectes sont toujours en quête d’identité et explorent d’autres voies stylistiques. En 1918, la russie bolchévique se substituant à l’Empire russe, la Finlande gagne son indépendance. C’est aussi la même année qu’Alvar Aalto part étudier l’Architecture à Helsinki. Symbole ou non, Aalto marquera l’Architecture de son pays. Tant par la conception d’immeubles que pour les plans d’urbanisme, il eut toujours pour objectif l’harmonie artistique grâce à des méthodes synergiques unissant les êtres et leur environnement. Ses prinipales sources d’inspiration sont les paysages et les traditions de la Finlande, l’habitat domestique italien, l’urbanisme de la Grèce Antique et l’oeuvre d’architectes tels que Gunnar Asplund et Le Corbusier. «Cette première photographie est une image caractéristique de mon pays qui vous situe l’environnement des maisons dont je vous parlerai Le pays est fait d’eau et de forêt, il renferme plus de 80 000 lacs et dans un tels pays les hommes peuvent toujours rester en contact avec la nature. (...) L’omniprésence de l’eau rend les rivages si nombreux que tout un chacun pourrait sans difficulté habiter au bord de l’eau et jouir de ses bienfaits comme ceux de la forêt de pins.» C’est ainsi qu’Alvar Aalto décrit la Finlande à des architectes viennois à qui il présente ses travaux en 1955. Si l’image bougeait, on verrait que ce mélange de lacs et d’îles rend les limites toujours indéterminées et les contournement jamais terminés. On glisse dans un paysage mouvant et indécis. La lumière rend également l’espace particulier : jamais franche comme dans les pays méditerranéens, la lumière nordique est plus rare et plus basse qu’ailleurs et pénètre avec douceur et persévérance. Elle varie en fonction des lieux. En général, le ciel nordique se divise en zones qualitativement différentes. Il y a donc une fragmentation du sol (côte morcelée) et du ciel. La nature permanente et reconnue comme une valeur immuable est donc très présente dans la vie des finlandais. Ils sont sans cesse en contact avec la nature et, bien que la finlande, encore toute jeune se cherche une identité politique et culturelle, c’est tout naturellement cette relation forte entre les finlandais et leur environnement qu’ils vont explorer, tout comme les portugais se tournent vers les savoir-faire et les constructions vernaculaires pour mieux comprendre la relation qui lie les habitants et leur territoire.

Lac finlandais

Maison expérimentale Koetalo, située au bord d’u lac, dans une forêt de pins.

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• Alvaro Siza et le site : une méthode pour concevoir.

Comme on l’a dit précédemment, Siza a été influencé par les travaux de Tavora sur l’Architecture populaire au Portugal. Nous allons miantenant voir comment cela influence sa façon de travailler. Alvaro Siza est tout autant topographe, géomètre qu’architecte. Sa conception traditionnelle artisanale du métier fait de lui un architecte de terrain et donne à ses projets la marque d’une appartenance à une situation précise, à un environnement, à un pays (le Portugal). Artisan du lieu, il est aussi paysagiste «méticuleux», il pratique sur le terrain, il dessine pour «voir», prend ça et là les éléments du site. Il projette avec des esquisses et des perspectives sur le terrain. Il s’attache particulièrement à la spécificité du lieu qui devient ensuite méthode, histoire et matière du projet. L’oeuvre créée devient ainsi miroir de l’existant, donnant à relire tout l’ensemble environnant. «Dans mes premiers travaux, je commençai par observer le lieu pour faire ensuite des classifications, ça c’est bon, je peux m’appuyer sur ça, ça c’est mauvais. Aujourd’hui, je prends tout en compte, car ce qui m’intéresse, c’est la réalité. Il n’y a pas de bonne ou mauvaise architecture, et on ne peut rien exclure de cette réalité... À l’intérieur du projet, les rapports deviennent complètement écclectiques, hybrides, car toutes les réalités extérieures à l’oeuvre doivent pénétrer et contaminer le projet. C’est un problème essentiel que de pouvoir relier des choses dissemblables, car la ville aujourd’hui est en réalité un ensemble de fragments très divers.» Ainsi, le déjà-là, mémoire du lieu, devient la matière protagoniste du projet. Alvaro Siza s’imisce obliquement, donne à relire le contexte. Il continue ce qui existe, donne une suite en absorbant les agressions de l’extérieur. Alvaro Siza est près des choses, par les détails il s’approprie la consistance, ce qui lui pemet d’être dans l’espace et le temps présent du projet. Des détails plutôt qu’un tout créant une Architecture riche, un récit.

> Le Quartier de Malagueira, dans la ville d’Evora (Portugal) (1977-)

Il s’agit d’un des premiers projet dans la carrière de Siza, pour la construction de 1200 logements sociaux, à Evora, pour aider à résoudre la crise du logements chez les ouvriers après la Révolution des oeillets de 1974. Le terrain se situe en périphérie de la ville d’Evora, plus ou moins vide : un grand espace plus ou moins agricole avec une rue qui résulte plus de l’alignement de quelques maisons que d’une réelle urbanité. Le plus dur pour l’architecte fut de se retrouver libre, sans réelles contraintes auxquelles se raccrocher. Son premier travail fut donc d’essayer de comprendre ce site, d’essayer de trouver des traces d’un certain usage, des traces de vie, d’urbanité, dans ce vaste espace agricole totalement ouvert, avec rien ou presque pour arrêter la perspective : «Lorsque rien n’arrête notre regard, notre regard porte au loin, mais il ne rencontre rien, il ne voit que ce qu’il rencontre. L’espace, c’est ce sur quoi la vue butte : l’obstacle, des briques, un angle, quand ça s’arrête, quand il faut tourner pour que ça reparte. Ca a des bords, ça ne part pas dans tous les sens, ça fait tout ce qu’il faut pour que les rails de chemins de fer ne se rencontrent pas à l’infini.» George Perec, Espèces d’espaces Cette citation de Perec illustre de façon assez poétique le besoin de Siza de se raccrocher au déjà-là, à l’existant, pour concevoir des espaces. Avant même de commencer le projet, Siza relève donc tout ce qu’il peut sur le terrain et commence à tout intérioriser sans hiérarchie et simultanément : la présence d’un chêneliège avec à ses pieds, un réservoir d’eau naturel, un petit cours d’eau (quasi sec l’été, à peine plus gros l’hiver) signalé par la présence d’une groose pierre posée avec soin comme un gué pour franchir le cours d’eau. Il y avait aussi un sentier que le passage répété des gens avait fini par tracer, sorte de raccourci informel, ainsi qu’un autre chemin, à l’opposé, pour rejoindre l’école. Il se rappela une anecdote à propos d’Alvar Aalto, qui attendait l’hiver pour voir dans la neige l’empreinte des déplacements. C’est ensuite qu’il commençait à fixer sur le sol ce qu’il tenait des traces, des pas dans la neige.

chemin existant - maisons à patios en bande, la forme cubique de base permet d’obtenir une diversité de volumes.

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Et enfin, il y avait 2 anciens moulins abandonnés au loin ainsi qu’un long et beau mur d’une «quinta», une ancienne propriété agricole, sur «quoi la vue butte». Ainsi, il cherche les limites du site, proches ou lointaines, les bords. Il avait aussi en tête cette vision magistrale des aqueducs romains dont les vestiges en bien des endroits traversent la région de l’Alentejo et rentrent dans la ville d’Evora pour se confondre avec elle. «Il n’y a pas de désert et même s’il y en avait. Et si j’étais amené à construire à construire sur l’eau, probablement serais-je condamné, tout comme dans le désert, à construire une barque chargée de mémoires, proches ou lointaines. Engloutie, elle demeurait en compagnie d’amphores, de squelettes, d’ancres marines méconnaissables sous la rouille. Je ferais un tri de tout cela et m’y perdrais au point de ne plus distinguer très bien la part de ce que je trouve sur place et de celle que j’invente tout aussi enfouie.» Des mots de rien du tout, d’A. Siza` Par tout ce travail méticuleux de connaissance du site, Siza a commencé à voir que le site apparemment abandonné, était urbanisé, humanisé. Parce que tout ce qu’il avait vu signifiait que la vie (encore improbable) avait commencé à tracer une organisation, une urbanisation balbutiante. Tout ce qu’il récolte comme information commence à se mélanger avec ses propres souvenirs et commence alors le projet. Il entreprit alors de lier ces choses entre elles pour les développer après, se servant des di rections des différents chemins existants pour oganiser le bâti, ainsi que des sortes d’aqueducs contemporains, superstructures en parpaings où passent les réseaux et qui arrêtent la vue, cadre le paysage.

éléments existants : chêne et réservoir d’eau naturel

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Le projet se structure en 2 axes perpendiculaires est-ouest et nord-sud. Le premier, prolongeant l’une des artères principales de la vieille ville, est formé de 2 voies (l’une couverte, destinée aux piétons, l’autre aux automobilistes) et toutes les infrastructures (eau, gaz, électricité, téléphone et antennes collectives). C’est le «canal des infrastructures» sur lequel viennent se brancher les habitations. Le second axe reprend le tracé d’une voie existante mais non pavée, qui sera rendue aux piétons. Perpendiculairement au premier axe, Siza a prévu des habitations en bande sur un ou deux niveaux. Il a défini une parcelle de 8m x12 m sur lesquelles les coopératives doivent construire des maisons à patio qui, dans un premier temps et pour des raisons économiques, doivent être de 2 types. Siza pense en effet que la complexité et la varieté des espaces urbains ne résultent pas de la diversité des constructions mais de la multiplication d’un petit nombre de types et de leurs implantations relatives par rapport à la topographie légèrement en pente, aux espaces verts, aux équipements, c’est-à-dire à l’articulaion générale des espaces ouverts et des volumes construits irrégulièrement disposés. Bien avant le projet lui-même et peut-être même comme moteur, comme matière à concevoir, le site, son usage, et les traces du déjà-là peuvent servir de méthodologie de projet. Cette méthode est influencée par les travaux de Tavora, pour qui les cours d’eau et les traces en général donnaient lieu à de véritables leçons d’architecture. Relever les lieux pour en comprendre le fonctionnement.

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> L’abbaye du Thoronet : Relever/Révéler Une autre intervention de Siza, beaucoup plus récente (2006) concerne l’abbaye du Thoronet. Il réalise une intervention concrète et perceptible voire radicable sans toucher ou à peine les éléments. Seuls un poteau, une flèche, et un câble tendu sont la part visible de son intervention, qui est en fait le résultat de toute sa reflexion sur le fonctionnement de l’abbaye et son parcours : parce que le parcours permet de rendre compte de la logique du lieu. «Surtout dans le cas et l’époque dans laquelle nous plonge le Thoronet où beaucoup d’attention et de maîtrise étaient apportées à l’implantation des bâtiments. La nature, la topographie et la vocation du territoire étaient des élém ents que l’on prenait en compte. Concernant les bâtiments anciens surtout, il y a un rapport évident, quasi exact entre le choix de l’implantation et les voies d’accès. (...) On pourrait presque parler de vocation du site, lui-même rattaché à une région plus vaste. Il y a un rapport réciproque entre le bâtiment et le territoire.» Propos d’A.Siza au cours d’un entretien avec l’écrivain Domiique Machabert, ami de l’architecte, qui l’a suivi tout au long de sa visite à l’abbaye. Après avoir visité l’abbaye de long en large pour en comprendre l’organisation, après avoir vu le parking et après avoir constaté que l’entrée avait changé par rapport à la situation d’origine et que cela pertubait dans le parcours de visite pour comprendre la logique du lieu, Siza proposa alors un parcours pour l’abbaye, un itinéraire retraçant celui qu’empruntaient les moines du XIIe siècle. L’abbaye du Thoronet, fondée en 1146 se situe au coeur de la forêt méditerranéenne. Monument majeur de l’Architecture romane, elle témoigne de ce qu’était la retraite des moines dans le désert, au Moyen-Age. Son architecture, faite selon les Règle de l’ordre cistercien ainsi que selon la géographie, anticipe 1000 ans auparavant ou presque, les fondements de la modernité en Architecture. Voilà ce qui peut expliquer l’attrait de Siza pour ce monument, que Le Corbusier lui-même (dont le travail a considérablemnt influencé Siza) a visité avant de construire son couvent de La Tourette située à quelques km de Lyon. L’abbaye du Thoronet était un exemple pour de nombreuses générations d’architectes modernes et contemporains orientés par la simplicité et/ou le minimalisme : Le Corbusier, Fernand Pouillon, John Pawson ... L’intervention nous intéresse ici parce qu’avec seulement un poteau, une flèche et un câble tendu, Siza nous offre une véritable lecture du lieu. Il y a un côté didactique dans sa proposition dont les 3 éléments (marbre, bois, fer) sont les points d’ancrage du parcours qui révèlent le lieu autrement.

«Juste un poteau, une flèche et un fil tendu» - la flèche indique la brèche dans le mur de pierre

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Conclusion Pour essayer de comprendre le rapport qu’entretient Siza avec le site, il faut donc savoir que la dictature de Salazar -dans les années 50- bridait en quelque sorte les architectes portuguais an leur imposant des modèles de références néo-classique sans vraiment s’intéresser au contexte et niant presque tout le savoir-faire de l’architecture vernaculaire qui avait pourtant une identité très forte. Au sortir de la dictature en 1974, le Portugal s’est ouvert au monde extérieur et à ses influences. Dans une frénésie de progrès et de changement, on a continué de construire en déconnexion avec le site mais avec un certain écclectisme. Avec le brouillement des distances entre les villes (dont l’influence dépasse les frontières) et les milieux ruraux, certains architectes portugais, dont Fernando Tavora, professeur et ami de Siza, ont constitué un certain déracinement des supports de la vie de province, au détriment du patrimoine vernaculaire qui menaçait de disparaître. Fascinés par l’architecture populaire de leur pays, Tavora et ses collaborateurs étaient convaincus que ces constructions étaient de véritables leçons d’architecture pour les futurs architectes : cohérence, économie, ingéniosité, fonctionnement, beauté., rapport étroit avec le territoire... À la manière d’un archéologue, ils ont inventorié et analysé les différentes typologies de chaque région de leur pays pour en comprendre la logique qui les a crées et lire l’histoire des lieux qu’ils contenaient. Les architectes portuguais avaient le devoir de représenter leur pays et de construire en adéquation avec le territoire, la géographie ainsi que le savoir-faire. Ce rapport très fort entre un pays et son architecture n’est pas un cas particulier au Portugal et se retrouve aussi entre Alvar Aalto et la Finlande en quête d’identité au début du siècle entre Snozzi et le Tessin. L’architecture, entre tradition et modernité,,véhicule une identité régionale. Toute cette attention particulière à l’inscription des constructions dans leur territoire a considérablement influencé Alvaro Siza dans son travail et dans sa démarche même. Le quartier de Malagueira, au début de sa carrière et même plus récemment son intervention à l’abbaye du Thoronet, montre comment, par tout un travail méticuleux de relever du site, en répertoriant, analysant son fonctionnement et son usage, en se servant du déjà-là, Siza fabrique ses projets. Ainsi, le dessin a une place importante dans tout le travail de Siza: il dessine sans arrêt, tout ce qu’il voit avec seulement quelques traits, il emmagasine des informations, un certain regard sur le monde : il dessine pour voir. «Le dessin comme mémoire. Le dessin est le langage, et la mémoire, le moyen de dire à soi-même et à d’autres quelque chose à propos du bâtiment» Des mots de rien du tout , d’A. Siza Tout comme son architecture relève d’une certaine simplicité, utilisant et reprenant les lignes de face paysage ses dessins ont une grande force de suggestion. Par quelques traits, ils suggèrent plus qu’ils ne disent ; par des points de vue qui sont presque suspendus au dessus de la scène, il suggère se présence comme un regard en coulisse, les choses vues sont un peu déformées, le spectateur est à la frontière même de l’espace représenté, il n’est pas dedans mais au bord, sentant le point de passage à travers le cadrage. Maintenant, nous allons nous pencher plus spécifiquement sur quelques uns des projets de Siza qui sont en rapport avec le site.

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2. Dialectique géométrie/ géographie Comme nous l’avons vu dans la première partie, Siza porte une attention particulière aux lieux dans lesquels il intervient, essayant de prendre en compte la topographie, la géographie du site dans ses projets. Ainsi, il crée des tensions fortes, un dialogue entre la géométrie du site dans ses projets. Ainsi, il crée des tensions fortes, un dialogue entre la géométrie de ses bâtiments et la géographie du lieu. Je vais d’abord présenter des oeuvres qui ont un rapport très étroit avec leur site (restaurant Boa Nova, piscine de Leça, Casa Tolo) puis j’essayerais d’analyser la notion de calage du site avec l’analogie des bateaux cale-sèche (piscine de Leça, centre galicéen, Casa Beires). Et enfin j’’essayerais d’expliquer comment, tout en étant proche du site, certains de ses projets tendent vers une abstraction du site par analogie avec le mouvement hollandais De Stijl (pas dans la forme mais dans la syntaxe, dans le vocabulaire).

•Un rapport étroit avec le site

> Le restaurant Boa Nova à Leça de Palmeira, Matosinhos (Portugal) (1958-63). Il s’agit de l’un des premiers projets de Siza que lui avait confié Tavora alors qu’il allait entreprendre un voyage autour du monde. Le restaurant se trouve sur une côte rocheuse au bord de l’Océan Atlantique, tournant le dos à la rue et regardant vers les rochers impraticables, autant dire dans un site impressionnant. La dimension géographique du projet va servir de révélateur à la géographie de la nature elle-même. Ainsi le projet consiste « à faire une horizontale, proche de la surface, presque posée sur les accidents des rochers.» Le mot «presque» utilisé par Siza pour parler de la façon dont la toiture prend appui sur le sol montre toute la force du projet : la forme organique de l’édifice ne semble qu’effleurer la mer des rochers sur laquelle elle repose. Le bâtiment est construit sur son socle en forme de terrasse mais ce socle ne paraît pas lui-même servir de point d’appui. En effet, les points porteurs sont difficilement identifiables et le toit n’est pas superposé à la géométrie de base qui semble déborder et se replier pour porter le toit. Ce n’est pas un édifice mais une simple couverture suspendue au ras des rochers. Le bâtiment n’a ni face, ni entrée. En effet, ce projet de restaurant a également à voir avec la notion de parcours, notion chère à Siza comme on a pu le voir à l’abbaye du Thoronet : même 50 ans après le restaurant Boa Nova, la question du parcours est toujours un sujet de réfléxion dans son architecture qui est non sans rapport avec le sol, la proximité tactile, l’adhérence. Le parcours, la promenade architecturale, induit par le déplacement un dialogue entre le visiteur, l’architecture et le lieu. En effet, la proposition d’un parcours par un architecte est une façon implicite de faire voir le lieu au visiteur qui est en attente d’une expérience. La promenade architecturale a également à voir avec le paysage : ainsi, la jouissance essentiel d’un paysage résulte de l’expérience en constante évolution, c’est à dire grâce à la succession de sensations différentes et non à la contemplation depuis un seul point de vue statique. Ainsi, la séquence d’entrée du restaurant Boa Nova est travaillé comme une mise en scène du paysage.

Restaurant Boa Nova : une horizontale, proche de la surface, presque posée sur les accidents des rochers

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Po ur accèder au bâtiment, il y avait déjà un chemin naturel sur le bord d’une petite colline plantée avec un parking. Siza a alors décidé d’intégrer cet accès en calant des murs de béton pour soutenir la petite colline et essayer d’ordonner ce qui était un peu brouillon et où l’on ne distinguait pas très bien l’accès à la plage, aux voitures. Ces murs, canalisant l’accès au restaurant, forment comme une spirale où d’étape en étape, on franchit progressivement la pente jusqu’à son niveau supérieur. Le fait que le parcours se fasse en une suite de ligne brisées, de contours et non en ligne droite, installe une distance dans le court chemin entre la route et la porte du restaurant retardant ainsi le moment d’entrer. En effet, plus on s’approche et plus le bâtiment semble reculer, formant une profondeur artificielle. Ensuite, ce parcours d’entrée est aussi une façon de nous faire «voir» un paysage que l’on connaît déjà. En effet, ce parcours en spirale nous oblige à tourner le dos au paysage et à ne voir que les rochers et les murs de béton. Des emmarchements vers une première plate-forme surrelevée viennent ensuite cacher le paysage maritime au loin pour nous le réveler progressivement. La véritable découverte du paysage se fait en gravissant ces degrés: les rochers apparaissent petit à petit, le paysage se dévoile au fur et à mesure de la montée. Le visiteur est alors en capacité de «voir» le paysage, comme pour la première fois, créant ainsi un moment de contemplation où le temps devient palpable. L’entrée du restaurant, ce n’est pas la porte mais le parcours lui-même: la scénographie fait du paysage tout entier, le seuil du bâtiment. Ainsi, avec la géométrie toute entière du bâtiment joue avec les élements géographiques du site et du paysage maritime pour le mettre en scène et réveler au spectateur: l’horizontale de la toiture, en suspension, joue de sa fragilité pour contraster avec les rochers impraticables, ancrés dans le sol, stables et monolithiques. De même, les lignes brisées des murs de béton accompagnent le chemin naturel d’accès tout en mettant en scène le paysage.

Séquence d’entrée : mise en scène du paysage

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> Piscine publique à Leça da Palmeira, Matosinhos (1961-1966) : contraste C’est dans le même site escarpé le long de la longue promenade du bord de mer que se situe ce deuxième projet. Il s’agit d’une piscine publique au bord de la plage. Des murs en béton soigneusement calés entre les rochers retiennent artificiellement l’eau des bassins. Le niveau de l’eau de la piscine joue avec l’horizontalité du niveau de la mer pour s’y confondre. Il y a une confrontation entre le côté artificiel de la piscine (le béton fait de sable et de liant, comme s’il était de la roche reconstituées, la couleur bleue turquoise de l’eau traitée...) et le paysage naturel du bord de plage (l’horizon entre ciel et mer qui se confondent, immateriel, les rochers escarpés qui expriment la matérialité du lieu). L’architecture de cette piscine est intimement calibrée par son site: les bassins retiennent l’eau seulement grâce à la collaboration des formations de roches existantes et de la distribution des nouveaux murs de béton. On a le sentiment que le projet émerge de la masse des rochers et de l’océan.

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Une série de murs parallèles couverts par des plans horizontaux de toitures en léger débord sert de vestiaires et de café pour les usagers de la piscine et fait la transition entre la rue et les bassins : on n’est plus tout à fait en ville et pas encore dans la nature sauvage de l’océan, ambiance caractéristique des promenades balnéaires. La transition entre les vestiaires et les piscines a également été pensée pour former un contraste puissant. Avant de pénétrer dans les vestiaires, on bute sur la masse d’un mur de souténement haut qui nous convit à entrer par une échancrure. Un effet de pression sur le corps se fait sentir : le corps est enveloppé. Des écrans bloquent frontalement la vue tandis qu’à la périphérie du champ de vision, de longues perspectives latérales glissent sur les parois et pointent tantôt vers l’ombre, tantôt vers la lumière. A l’intérieur, les espaces semblent avoir été construits pour frôler notre corps, pour que chaque mouvement puisse être induit et accompagné par l’architecture, comme dans un labyrinthe. Après l’intimité de cet intérieur aux détails soignés ; on est invité à sortir par un mur biais, en pleine lumière. Le contraste est puissant, on se retrouve désemparé, cerné par de longs murs de béton, avec la sensation d’être déployé dans un lieu entièrement empli par le ciel. Les formes aux bords tranchants, aiguisés des différents plans horizontaux et verticaux de béton contrastent avec la roche et les autres murs de béton plutôt organique qui retiennent l’eau de la piscine. Ainsi, les volumes soient équarris en bloc massif à partir des formes naturelles du site, soit étirés et aiguisés jusqu’à n’être plus qu’une série de longues lames arrêtés net, tranche visible. Mais la tension qu’il existe entre l’artificiel géométrisé et le naturel organique a quelque chose d’étrange sur cette plage. L’artificiel et le naturel ne se confondent pas mais sont-ils sans cesse en confrontation? La piscine serait alors une construction graphique, abstraite et soigneusement inserée dans le site?

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>Casa Tolo, Lugar das Carvalhinhas-Alvite, Freguisa de Cerva (Portugual) La maison de Tolo est un projet récent de Siza (2005) qui met en scène la pente forteme nt inclinée dans laquelle la maison s’implante. Il s’agit d’une maison de vacances de 180 m2 comprenant 4 chambres, un salon, une salle à manger, une cuisine et une petite piscine extérieure. Etant donné la topographie ainsi que l’étroitesse de la parcelle qui s’étend toute en longueur, la maison se fragmente en une succession de petits volumes interconnectés s’inscrivant dans la longueur et exposés plein Sud. A chaque volume est associé une fonction particulière à la hauteur correspondante. L’entrée se fait par le Nord, à l’extrémité haute de la parcelle. Le toit sert de soutien aux jardins et la plupart des arbres existants ont pu être conservés en faisant subir une légère notation à certains volumes de la maison. Un paysage extérieur relie le haut et le bas de la maison, mais comme le dit Siza «cette maison est avant tout un cheminement». Pour des raisons de protection thermique, de sécurité et de budget, une partie a été enterrée. «Le choix du béton apparent, précise l’architecte évoque d’une certaine façon des blocs de pierre massifs présents sur le site. Ainsi l’expressivité vient-elle de cette structure continue en béton armé, forme la plus efficace pour un terrain présentant ces caractéristiques et pour tirer un parti maximum du modeste budget alloué.». Une toile en PVC a permis d’étanchéifier les fondations, une necessité du fait de la proximité de la nappe phréatique.

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Après avoir présenté trois projets choisis dans l’oeuvre de Siza pour leur façon de mettre en scène un rapport étroit avec le paysage, nous allons parler de la notion de calage au site.

•Le calage au site ou comment donner à lire l’inscription du bâtiment dans son lieu

>analogie avec un bateau en cale-sèche Caler un bâtiment dans son site consiste à choisir une implantation en rapport avec les éléments du terrain (la rue, l’orientation, un arbre, un cours d’eau...) de sorte que si on déplace le projet, alors ce dernier perd tout son sens. Caler signifie s’arrêter, être bloqué, être immobilisé, mettre d’aplomb avec une cale, appuyer, stabiliser, arrimer, ancre. Ces deux derniers verbes ont un rapport avec le vocabulaire navale. En effet, pour essayer d’expliquer la notion de calage au site, on peut faire une analogie avec l’image d’un bateau en cale-sèche. Sur l’eau, un bateau flotte et peut aller à sa guise dans n’importe quelle direction. Par contre, lorsqu’il faut l’en sortir, pour l’entretien par exemple, la forme de sa coque pose un problème pour le poser sur le sol : pour le caler. Il a fallu trouver des moyens pour que hors de l’eau, dans le vide, il soit quand même ancré/ calé avec le sol, en cale-sèche, grâce à une structure qui le soutient, qui l’immobilise et le rend stable.

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>Centre galicéen d’art contemporain (CGAC), à St Jacques de Compostelle (Espagne) (1988-1993) Ce musée d’art contemporain se situe sur le site de l’ancien couvent de l’église St dominique de Bonaval. La place occupée par l’ensemble de réseau hydraulique dans les jardins jouxtant l’église fut un élément déterminant dans la formation du musée. En effet, pour Tavora, les cours d’eau et les traces en général étaient des leçons d’architecture comme au couvent de Ponte Lima en effet «l’eau à a voir avec la topographie. Dans un couvent comme celui de Ponte Lima et d’autres, le rapport avec l’utilisation de l’eau: un réseau, des fontaines, des jardins comme l’ Alhambra- on assiste à la grande liaison entre les voies d’eau, les cheminements et leur utilisation dans tout le bâtiment. Au thoronet comme à Alco baça, une des architectures cisterciennes au Portugal, et à Ponte de Lima, l’eau qui vient pour alimenter les terrains est partiellement deviée pour rentrer dans les cuisines. C’est sûrement une aide très précise pour trouver la juste implantation. A St Jacques, ça a été determinant car l’eau partie d’en haut fait des zigzags pour alimenter progressivement les fontaines et irriguer les terrasses. Celui que ça interesse peut toujours observer que les rampes du musée et les parcours reprennent la forme en lacets dans la continuité de la logique et de l’utilisation de l’eau sur le terrain.». Propos d’A. Siza à Dominique Machabert dans Le parcours et l’oeuvre.

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Le réseau hydraulique alimentant les terrasses a donc donné sa forme générale au musée. Ainsi, le nouveau projet de Siza, synonyme de modernité, vient s’ajouter aux autres édifices plus anciens dans la continuité de la logique de l’ensemble Bonaval. Toujours pour suivre le mouvement sinuelux «naturel» mais accompagné par la marque de l’Homme (pierre plate, cours d’eau...), les jardins-potagers en terrasses des moines dominicains ont été reconverti par Siza en une succession de terrasses dont le toit-terrasse du musée en est l’aboutissement et d’où l’on peut avoir une vue sur la ville et sur l’ensemble du site de Bonaval. Il est encore question de parcours, de promenade dans ce musée où la géométrie du musée, celle de l’église St Dominique, l’orthogonalité du cimetière avec ses vides... dialogue avec la nature aux mouvements sinueux des cours d’eau. Les deux forment un tout, un ensemble, une composition, qui ne peuvent être dissociés.

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>Casa Beires, à Povoa do Varzim (1973-76) Il s’agit d’un projet de maison pour un couple, situé dans un petit lotissement. La maison est un cube plus ou moins comme les autres, sur deux niveaux, dont on aurait explosé un des angles pour pouvoir faire entrer la végétation dans la maison, grâce à un insolite pan de verre à l’expressive configuration géométrique qui lacère la continuité du rectangle. Le patio inseré dans l’angle manquant du cube forme un vide provisoire qui sera finalement occupé, colonisé par la végétation, recomposant le volume de la maison. C’est comme si la nature expressive et organique et complexe était venue «croquer» un des angles de la maison dont la forme cubique incarne la régularité et la rationalité de la géométrie- la nature avait alors donné son caractère au pan de verre insolite. Le système vitre/rideaux/stores forme un élément structurel complexe qui est un écran à la fois transparent et opaque, modulant l’entrée de lumière et l’ombre dans la maison ainsi que la continuité/rupture entre l’intérieur et l’extérieur. C’est cette dialectique géométrie/ nature assez particulière qui nous interesse ici. En réalité, cette disposition de la maison est en fait le résultat d’une réflexion sur le contexte dans lequel se situe la maison Beires. Ainsi, cette maison est un manifeste exprimant la pauvreté du lotissement: son manque de caractère et l’echec architectural et social des mouvements modernes. Reprenant le parallélépipède des rationalistes, il en brise un coin pour développer autour d’un insolite pan de verre, une longue dialectique entre contenant/contenu, réel/suggeré, calme/tension, ombres/lumières. Les plans expriment autant les volumes, les oppositions: géométries partiellement ou totalement régulières des pièces du RDC, jeux de murs en parallèle ou non du premiers niveau, un tracé régulateur classique pour les façades sud et est, murs brisés et jeux de plans verticaux pour les autres.

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La quatrième arrête du volume cubique de base (le coin absent) est exprimée par un élément de maçonnerie qui vient opportunément rappeler que l’espace architectural n’est pas obligatoirement construit mais qu’il peut être suggeré. C’est en quelque sorte la façon de montrer que cette maison, à l’apparente complexité est en fait issu d’un simple cube, permettant ainsi la lecture du calage, de la génèse de cette maison, de la même manière dont les cales, les étais métalliques viennent reconstituer la forme en négatif de la coque d’un bateau pour qu’il puisse être calé sur le sol -ici, ce fragment restant de l’angle manquant serait là pour reconstituer le cube. Cet sorte de petit abstract serait ainsi là pour donner à lire l’inscription du bâtiment dans son contexte. On retrouve cela aussi dans le projet de piscine de Leça da Palmeira pour suggérer la façon dont les murs de béton soigneusement insérés entre les rochers retiennent l’eau des bassin: on peut ainsi remarquer un petit morceau de béton entre deux rochers qui n’est là que pour montrer, donner à lire le principe de formation de la piscine. De même au musée d’art contemporain de St Jacques (CGAC) où une sculpture en pierre en forme de ligne brisée rappelant le zigzag du réseau hydraulique alimentent les jardins du site qui est à l’origine de l’implantation et de la forme du musée dans le site de Bonaval. Cette maison Beires est aussi intéressante pour sa forme abregée, fragmentée qui crée une maison spatialement poreuse. Cette manière de produire de l’espace se rencontre aussi dans d’autres projets de Siza, ainsi que dans certains dont nous avons déjà parlés et qui tend vers une certaine abstraction comme nous allons le voir à présent.

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•Vers une abstraction du site ? Ainsi, certains projets de Siza ont un caractère assez graphique. Cela produit alors des espaces qui tendent vers une certaine abstraction, qui rappelle le mouvement De Stijl, comme on va essayer del’expliquer dans cette dernière partie.

> Le mouvement hollandais De Stijl.

Ce mouvement appelait, dans son premier manifeste de 1918, à un nouvel équilibre entre l’individuel et l’universel, cherchant une culture qui transcenderait la tragédie de l’Homme en portant l’accè sur les lois universelles. Cette tendance à l’universel et à l’utopie est résumée dans cette aphorisme : «Le but de la vie est l’Homme, le but de l’Homme est le style.» La maison Schröder à Utrecht, conçue par l’architecte Rietveld, concrétise les principes de Van Doesburg, publiés en 1924 («16 points d’une architecture plastique»), qui est un des personnages majeurs du mouvement hollandais. En effet, cette maison, construite au bout d’une rangée de maisons du XIXe siècle était : «élémentaire, économique, et fonctionnelle, non monumentale et dynamique, anti-cubique dans sa forme et anti-décorative dans sa couleur..» Le niveau principal d’habitation à l’étage, illustre, par son «plan transformable» et malgré la,construction traditionnelle en brique sur une ossature bois, le postulat d’une architecture dynamique libérée de l’encombrement des murs porteurs et des contraintes des baies dans les murs. Le onzième point de Van Doesburg ressemble à une description idéalisée de la maison : «La nouvelle architecture est anti-cubique, c’est-à-dire qu’elle n’essaie pas de figer les diverses cellules spatiales fonctionnelles en un cube fermé. Elle projette plutôt vers l’extérieur les cellules spatiales fonctionnelles (ainsi que les plans en surplomb, les volumes des balcons,etc) du centre du cube. Et, grâce à ce moyen, la hauteur, la largeur, la profondeur et le temps (c’est-à-dire une entité imaginaire à quatre dimensions) sont presque une expression plastique totalement nouvelle des espaces ouverts. L’architecture acquiert ainsi un aspect plus ou moins flottant qui, d’une certaine manière travaille contre les forces de gravité de la nature.» Ainsi, la façon dont les plans horizontaux et verticaux de la piscine de Leça se

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> Piscine de Leça En effet, comme on l’a vu précédemment, la piscine de Leça da Palmeira joue avec les contrastes entre artificiel et naturel, entre géométrie et géographie, entre ombres et lumières. ce qui nous intéresse ici, ce sont les plans horizontaux et verticaux des murs et toitures des vestiaires le long du boulevard. c’est la partie la plus géométrique, orthogonale du projet : ces plans semblent glisser les uns par rapport aux autres, créant des percées, des ouvertures visuelles dans le labyrinthe des vestiaires, créant une porosité spatiale. Ces plans, qui suivent la linéarité du boulevard et de la promenade balnéaire suggère la possibilité d’une extension, au delà du cadre, un espace continu avec lequel on eput faire un rapprochement avec le mouvement hollandais De Stijl, pas dans la forme mais dans la syntaxe, le vocabulaire. Ainsi, la façon dont les plans horizontaux et verticaux de la piscine de Leça semblent glisser les uns par rapport aux autres, est une façon de se projetter vers l’extérieur, s’ouvrant et créant des espaces qui tendent à une certaine universalité, c’est-à-dire homogène, continu, infini.... Cette volonté d’adopter un langae universel aura ses limites mais cela a produit des espaces nouveaux qui ont eu un apport certain dans l’histoire de l’architecture.

> Casa Beires La maison Beires, sorte de cube inachevé, peut aussi être analyset à travers la syntaxe du mouvement De Stijl. Le onzième point de Théo Van Doesburg décrit la nouvelle architecture comme anticubique, qui doit se projetter vers l’extérieur, à la recherche d’ouverture, d’une continuité intérieure/extérieure. Cette maison, comme un cube incomplet, fragmenté, est une figure ouverte, poreuse, où la végétation tend à pénétrer à travers cette brèche. C’est cela qui rend la maison Beires anti-cubique, et qui fait d’elle une critique des lotissements par lesquels elle est entourée, malgré son apparente conventionalité.

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>Le restaurant Boa Nova On peut aussi remarquer que la toiture en suspens au ras des rochers du restaurant Boa nova pourrait parfaitement illustrer la dernière phrase de 11ème point de Theo Van Doesburg. Le côté universel du mouvement De stijl qui transparait dans les projets de Siza pourrait nous amener à voir cela comme une prise d’autonomie vis-à-vis du site, come une sorte de tracé ininterrompu au dessus de lui, partout autonome et à la fois partout infiltrée dans le site. On aurait à la fois le sentiment d’être intimement lié au site et étranger au site. En fait, comme le précise la dernière phrase du 11ème point, il s’agit de travailler d’une certaine façon contre les forces de gravité de la nature.» Même si le langage semble nier le site, en fait , l’abstraction de la géométrie permet de jouer avec les forces de la nature, de la faire s’exprimer en s’y opposant. En effet, on pourrait imaginer que travailler pour tendre vers une harmonie entre la Nature et le bâti, serait de travailler par analogie des formes de la nature, voire par mimétisme. Mais il est difficile d’arriver à faire dialoguer 2 objets identiques. Le véritable dialogue ne peut s’établir qu’entre 2 objets qui existent tels quels et qui en s’opposant, joue des contrastes et fait s’exprimer les caractères, les forces de chacun.

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Conclusion Essayer d’appréhender l’oeuvre riche et comlexe d’Alvaro Siza par rapport à la question du site, permet d’avoir un aperçu des questions qu’abordent ses oeuvres. Elles ne peuvent être saisies sans conaître une peu l’histoire de son pays, le Portugal et son architecture vernaculaire, riche d’enseignement sur le caractère des gens et leur ingéniosité à constuire avec le site. Ce rapport entre un pays et son architecture est typique d’une région en quête d’identité, qui cherche à s’affirmer, à s’exprimer et qui explore différentes voies artistiques. Chez Siza, le site permet d’embrayer le projet, face à la frustation de la page blanche que l’on peut ressentir quand on est libre d’agir sans contraintes. Relever les éléments déjà-là pour pouvoir révéler le lieu autrement, tout en respectant sa logique. Certaines oeuvres de Siza s’inscrivent vraiment dans une dialectique géométrie/géographie. Le restaurant Boa Nova, la piscine de Leça et la casa Tolo peuvent être vus comme des mises en scène du paysage : de la falaise au bord de l’océan, de la apente fortement inclinée... La façon dont Siza s’implante, se cale dans un site et dans un contexte a aussi un caractère didactique : il y a toujours un petit élément qui vient suggérer, qui vient donner à lire la façon dont s’est générer le projet sur le site. Les oeuvres de Siza ont égalemnt une grand force qui vient de sa capacité d’abstraction, venant révéler les proprietés topographiques du terrain.

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BIBLIOGRAPHIE

•Des mots de rien du tout, (Palavras sem importância) , d’ Alvaro Siza (texte réunis et traduits par Dominique Machabert), publication de l’université de St Étienne (2002), collection école d’architecture de St Étienne •http://alvarosiza.com/category/siza-philosophy/siza-and-his-style.html •Arquitectura popular im Portugal, éd auteurs année •Alvar Aalto, de Rainié Hoddé, éd Hazan •Siza au Thoronet, Le Parcours et l’oeuvre, sous la direction de Dominique Machabert, éd Parenthèses (2007) •Espèces d’espaces, de George Perec, éd Galilée •revue L’Architecture d’Aujourd’hui - n°211- (1980) •revue Werk n°7-8 •L’Architecture moderne : une histoire critique, de Kenneth Frampton, éd Thames et Hudson

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