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Peut-on y interdire les locations de type Airbnb?
DROIT IMMOBILIER
PAR ME PATRICK BLASER, ASSOCIÉ DE L’ÉTUDE BOREL & BARBEY, GENÈVE
LOGEMENTS EN PPE Peut-on y interdire les locations de type Airbnb?
La problématique liée aux locations de type Airbnb ne touche pas seulement les logements qui sont loués, mais également ceux qui sont acquis en propriété par étage (PPE). En clair un propriétaire d’un logement acquis en PPE peut-il imposer aux autres propriétaires son droit à effectuer des locations de type Airbnb? A l’inverse, les autres propriétaires peuvent-ils valablement s’opposer à de telles locations?
Dans ce cadre, le Tribunal fédéral a récemment été amené à juger deux affaires, dont l’une concerne expressément des locations de type Airbnb et l’autre la location d’appartements médicalisés pour personnes âgées.
Que dit la loi?
En général, l’acte de fondation ou le règlement de la PPE indiquent quelles doivent être la destination, l’affectation et l’utilisation des logements PPE. Le changement de destination d’un logement PPE nécessite une modification du règlement PPE qui ne peut intervenir que suite à une décision prise par la majorité qualifiée des propriétaires (soit à la double majorité des propriétaires et de leurs quotes-parts). Si le changement d’utilisation d’une part PPE affecte la destination de l’ensemble de l’immeuble, il requiert l’accord de l’ensemble des propriétaires. Dans ce contexte, le Tribunal a déjà jugé que tel était le cas s’agissant d’un appartement destiné à de l’habitation et qui devait faire l’objet de location de chambres sous la forme d’une pension, ou encore lorsqu’il était transformé en crèche. Ces modifications ont été qualifiées de changement de destination de l’immeuble nécessitant l’adhésion unanime des propriétaires.
Location de logements médicalisés
La première affaire (ATF 5A_521/2017 du 27 novembre 2017) a pour objet quatre maisons d’habitation contiguës, situées dans le canton de Zurich, constituées en propriété par étage (PPE). L’un des propriétaires avait conclu un contrat de bail avec une société qui entendait exploiter deux logements assistés pour personnes âgées. Les autres propriétaires, à la majorité qualifiée, se sont opposés à cette nouvelle utilisation des deux logements. Saisis d’un recours contre cette décision, les juges cantonaux et fédéraux ont avalisé cette opposition. Les juges ont d’abord rappelé que le règlement de la PPE prévoyait que les appartements devaient être utilisés exclusivement en tant qu’habitation ou commerce sans nuisance, c’est-à-dire, notamment, sans va-et-vient de clientèle. Or, en l’espèce, les juges ont relevé que le fait d’exploiter de façon professionnelle des chambres partiellement médicalisées ne correspondait pas au cadre d’habitation défini dans le règlement PPE. Certes, la mise à disposition de chambres pour personnes âgées comprend des éléments de bail. En revanche, les prestations de soins et d’assistance sont prédominantes, ce qui constitue quasiment un changement d’affectation des logements. Le Tribunal fédéral a profité de cet arrêt pour, par un obiter dictum, évoquer la problématique de l’utilisation d’un logement PPE en tant que logement loué par le biais de platesformes, telle Airbnb. Dans ce cadre, le Tribunal fédéral a considéré qu’une telle utilisation ne constituait pas en soi un changement d’utilisation du logement concerné, ni de destination de l’immeuble. Mais il a fait dépendre son appréciation au cas par cas de
Le changement de destination d’un logement PPE nécessite une modification du règlement PPE.
l’examen de l’ensemble des circonstances de chaque cas d’espèce, notamment des conditions d’occupation du logement par l’intermédiaire des plates-formes d’hébergement, par exemple Airbnb.
Location de type Airbnb dans un immeuble de standing
La seconde affaire (ATF 5A_436/2018 du 4 avril 2019) a pour cadre un immeuble comportant 26 logements, tous constitués en propriété par étage situés dans le canton de Nidwald. La caractéristique de cette propriété par étage? Il s’agit d’une propriété luxueuse de haut standing, qui comprend, pour l’usage commun de l’ensemble des copropriétaires, une piscine, un sauna, un fitness et une terrasse. Le tout situé dans un cadre que l’on imagine idyllique.
Le problème de cette PPE?
Il s’est avéré que l’un des copropriétaires de deux appartements a succombé au chant des sirènes d’Airbnb en proposant l’un de ses appartements sur la plate-forme. Vu la qualité de l’appartement et des prestations qui lui étaient liées (piscine, sauna, fitness) le succès de cette location Airbnb ne s’est pas fait attendre. Et cela au grand dam des autres propriétaires, qui ont vu débarquer dans leur copropriété, et surtout dans leurs infrastructures communes, un nombre important de personnes de passage, constituant un va-et-vient constant et dérangeant. En bref, les propriétaires ne se sentaient plus chez eux, mais plutôt dans un hôtel! Qu’à cela ne tienne; pour éviter la transformation de leur copropriété en hôtel, les propriétaires pour lesquels la location Airbnb n’offrait que des inconvénients ont décidé d’interdire à l’ensemble des propriétaires de la PPE toute location de courte durée (de type Airbnb) et de modifier le règlement PPE en y insérant cette clause d’interdiction. Une assemblée extraordinaire des propriétaires s’est par conséquent tenue à cet effet. A cette occasion, le règlement PPE a été modifié par l’adoption d’une clause interdisant toute location de courte durée des appartements. Le copropriétaire stoppé net dans ses velléités de poursuivre ses locations de type Airbnb, mais teigneux, n’a pas entendu se soumettre à cette décision et a recouru contre celle-ci auprès des tribunaux. •
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Le phénomène des locations de type Airbnb va continuer à défrayer la chronique juridique!
D’abord auprès du Tribunal cantonal de Nidwald, qui l’a débouté, ensuite auprès de la Cour suprême de ce canton, qui en a fait de même, et enfin au Tribunal fédéral.
Interdiction des locations Airbnb: quelle majorité des propriétaires réunir?
En substance, le recourant contestait la modification du règlement, en soutenant qu’une telle modification nécessitait une décision unanime des propriétaires (ce qui n’était pas le cas puisque ce propriétaire de deux appartements s’y opposait), au motif que l’interdiction de pratiquer des locations Airbnb entraînait un changement de la destination des logements PPE. Les juges ne se sont pas montrés très sensibles à cette argumentation. En effet, ils ont relevé que le règlement PPE, dans sa version initiale, prévoyait déjà que les parts PPE devaient être utilisées comme logement. Certes, ce même règlement tolérait l’affectation d’un logement comme bureau. Mais cela à la seule condition de ne pas entraîner de nuisances pour les autres propriétaires. Dès lors, les juges ont estimé que l’interdiction de procéder à des locations de courte durée introduite dans le règlement s’inscrivait dans cet esprit et ne constituait en fait qu’une précision ne modifiant pas la destination des parts de PPE, au contraire de ce que soutenait le recourant. Mais l’affaire n’était pas perdue d’avance. En effet, les juges ont dû faire du sur-mesure pour le cas d’espèce. D’abord ils ont posé le principe, peu clair jusqu’à présent sur le plan juridique, selon lequel lorsqu’un appartement était proposé à la location sur des plates-formes d’hébergement, telle celle d’Airbnb, il ne s’agissait pas d’une location ordinaire, mais plutôt d’un hébergement dans le domaine de la para-hôtellerie. Dans ce cadre, ce sont les circonstances concrètes du cas particulier qui sont décisives pour déterminer si une communauté de propriétaires d’étages peut exclure qu’un appartement individuel puisse faire l’objet d’hébergements para-hôteliers. En l’espèce, tel est bien le cas. En effet, les juges ont mis en exergue que l’appartement concerné par la location de type Airbnb se trouvait: • dans une habitation de luxe; • avec des infrastructures communes de haut standing (piscine, sauna, fitness, terrasse); • occupée par des propriétaires à titre de résidence principale et non de résidence secondaire; • et qu’elle n’était pas destinée à des séjours de vacances. Les juges ont déduit de ce constat que l’habitation était vouée à un cadre purement privatif et répondait à un besoin de tranquillité de ses propriétaires. Or cette situation est manifestement incompatible avec de l’hébergement para-hôtelier, compte tenu des nuisances que cela peut entraîner pour les propriétaires. Il en découle que le fait de proposer de manière durable et professionnelle un appartement à la location journalière sur des plates-formes d’hébergement va à l’encontre de l’objectif d’habitation prévu dans le règlement et n’est pas non plus conforme à la garantie d’une activité calme, qui y est également stipulée. Le règlement PPE peut par conséquent valablement prévoir l’interdiction de tout hébergement para-hôtelier, notamment de type Airbnb, sans vider de son sens le droit exclusif du copropriétaire PPE sur ses parts d’étage. Par conséquent, la modification du règlement PPE contestée pouvait valablement être prise par l’assemblée des propriétaires, à la majorité et non à l’unanimité. Comme on peut s’en rendre compte à la lecture des arrêts du Tribunal fédéral, le phénomène des locations de type Airbnb ne va pas manquer de continuer de défrayer la chronique juridique! n
Patrick Blaser Avocat associé de l’Etude Borel & Barbey, Genève Juge au Tribunal administratif de première instance patrick.blaser@borel-barbey.ch