CAROLINE
RENAUD
VILLES ET INDUSTRIES DU CINÉMA Des évolutions complémentaires
Master «Architecture entre usages et paysages urbains»
VILLES ET INDUSTRIES DU CINÉMA Des évolutions complémentaires
Directeur de mémoire : Frédéric Guillaud 2015 E.N.S.A.G.
SOMMAIRE
INTRODUCTION
p.6
1 L’INDUSTRIE DU CINÉMA ET LA (RÉ)GÉNÉRATION URBAINE 1.1 Ciné-cités : morceaux de ville 1.2 L’industrie du cinéma dans la restructuration urbaine
p.10 p.18
2 Impacts urbains de l’espace de diffusion 2.1 Salles de cinéma dans la ville : des espaces emboîtés
p.24
2.2 Une affaire d’état
p.33
3.1 Le cinéma comme moteur touristique
p.38
3.2 Décors et «archéologie fictive»
p.41
CONCLUSION
p.46
BIBLIOGRAPHIE
p.48
3 L’APRÈS FILM
INTRODUCTION
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Le cinéma est un reflet que la ville peut montrer d’elle : il révèle un mode de vie, une organisation de nos espaces. D’une certaine manière, il artialise notre existence. La ville filmée montre généralement des standards, et des types de lieux (la maison, le train, le jardin…). qui font partie d’un imaginaire commun. Le cinéma renvoie au spectateur l’image de son environnement. Dès l’invention du cinéma par les frères Lumière, les scènes filmées étaient celles du quotidien : la sortie des ouvriers de leurs usines, ce qui a fait du cinéma un loisir de masse et populaire, (contrairement au théâtre et à l’opéra destinées à une population bourgeoise). Le cinéma est maintenant devenu un loisir interclassiste (ayant des auditoires considérables), un divertissement de la vie quotidienne. Le cinéma de voisinage a longtemps fonctionné comme un prolongement extérieur de l’habitation, expression de la forme de la vie collective du quartier. On remarque à la sortie du cinéma, les spectateurs se racontant leur vision du film précédemment regardé : il y a le temps du visionnage, et en second temps, c’est le plaisir de réseauter qui fait vivre le film. Selon Jean-Luc Godard, le cinéma est le dernier «transport en commun». Le visionnage d’un film se fait au présent, mais son impact déborde et se prolonge au cours d’une digestion d’images de lieux. Le cinéma participe à la constitution de souvenirs de lieux, qu’on y soit effectivement allé ou pas. Dans ce cas, il participe à forger une mémoire que l’on pourrait qualifier de fictive . A l’écran, la ville prend un caractère d’idéal type aux allures mythiques. Elle s’apparente à une reconstruction, en studio ou dans un espace réel : un artefact. La visite d’un lieu amène le spectateur au cœur de l’atmosphère du film, faisant découvrir une nouvelle dimension de ce qu’il a vu à l’écran. Une fois qu’un endroit apparaît dans un film, il peut potentiellement devenir un « business local », si tant est que les acteurs locaux s’impliquent. Les politiques publiques, internationalement, ont bien compris l’impact que peut avoir un film sur l’image de leurs villes. Ainsi, elles investissent dans les aides financières pour la production des films, ou bien mettent en place des crédits d’impôts favorables. Dans un premier temps, la présence des équipes de tournage participe à l’économie locale, et dans un second temps, l’impact du film participe à créer l’image de la ville, de la faire rayonner à une échelle plus ou moins grande, et ainsi attirer un tourisme lié à cette image. Le cinéma, bien qu’il soit un art, est aussi une industrie, au même titre que d’autres industries, elle comporte des contraintes de fabrication et se faisant, relève d’une réelle économie, impactant les lieux dans lesquels elle s’implante. Certaines villes sont spécialisées dans la production de films ; on pense naturellement à Hollywood, à Los Angeles. Le cinéma, en tant qu’industrie est géré de manière très rationnelle. Les studios contrôlent toutes les étapes de création du film, regroupant tous types de professionnels, en faisant une vraie machine de création.
Ce mémoire proposera de voir comment l’industrie du cinéma et la ville se façonnent réciproquement, s’appuyant l’un sur l’autre pour se renouveler. Le cinéma, entité fédératrice et universelle, rend accessible à n’importe qui les villes du monde entier, par le biais de la salle de projection. Et les villes ellesmême sont des bases de développement d’imaginaires pour les réalisateurs ou les scénaristes. Nous nous attacherons donc à voir comment le cinéma et la ville se nourrissent l’un de l’autre, en allers-retours constants, à travers un corpus varié: villes, bâtiments, situations, films, ou simple décor de cinéma.
7 INTRODUCTION
Photogramme de L’Homme à la caméra, Dziga Vertov.
1. L’INDUSTRIE DU CINÉMA ET LA (RÉ)GÉNÉRATION URBAINE «Je fabrique des mondes et je regarde si ils fonctionnent». David Lynch
1.1 CINÉ-CITÉ : MORCEAUX DE VILLE
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CLUSTERS CINÉMATOGRAPHIQUES / Avec le succès que rencontrait le cinéma, des morceaux de villes entiers se sont vus dédiés à la production de celui-ci. Ainsi, au même titre que d’autres industries, des professionnels de cet art, aux compétences variées et complémentaires, se sont regroupés afin de rationaliser le système de fabrication des films. On aura en tête cinecittà à Rome, fondée sous Mussolini dans les années 1930( à l’origine pour promouvoir le cinéma fasciste), qui a voulu concurrencer le cinéma hollywoodien en créant soixante hectares de studios. Le fait de regrouper les spécialisations et les compétences, a mené à la création de clusters créatifs au sein des villes et a permis de faire rayonner leurs activités artistique à une échelle plus grande. Los Angeles, et plus particulièrement Hollywood est révélatrice du poids culturel et économique que peut avoir la concentration d’activités spécialisées dans le cinéma, puisque Hollywood est devenue une métonymie du cinéma américain. Les Big Sixth, les six plus grandes sociétés de production américaines se sont regroupées là, formant ainsi des pôles de production quasi sans faille, concurrençant les autres villes de États Unis. Los Angeles, capitale du cinéma / Hollywood, est une ville créée de toute pièce . Le couple Wilcox, dans les années 1880 a acheté un terrain de 0,6 km2. Peu à peu, ils ont construit la ville, en créant des rues, des hôtels etc... A l’origine, la majorité des films était tournée à New York, puisque c’est là où il y avait les plus grands et plus innovants immeubles, là où se trouvaient les scènes de vies quotidiennes intéressant ceux qui filment. Une nouvelle génération de réalisateurs/producteurs ( Samuel Goldwyn, Louis B. Mayer, William Fox) dans les années 1910, qui, poussée par l’apparition de nouveaux brevets, décide de s’installer sur la côte Ouest dans les faubourgs de Los Angeles, de manière à s’émanciper des contraintes spatiales de New York. Ainsi, ils ont pu bâtir des studios à bas prix pour développer leurs affaires. Au départ, un système mixte se met en place : les scènes d’extérieurs sont filmées à New York et celles intérieures à Los Angeles. Ce n’est pas la cinégénie ni son architecture qui attirent les producteurs : Hollywood n’était alors qu’un support de décors. La ville n’était donc pas filmée pour ses qualités propres. Pendant la Grande dépression, il devint trop difficile de tourner dans les rues de New York, où le bruit était omniprésent, la foule ralentissait les tournages, et les autorisations étaient de plus en plus difficiles à obtenir. Dans les années 1920, les producteurs de cinéma développent une logique capitaliste, au même titre que d’autres industries, telles que les usines Ford. Les stars sont sous contrat et les différentes sociétés se les louent pour les besoins de certains films. Les principes de production sont fondées sur la standardisation et le taylorisme (Chaque unité a une fonction unique). Cette efficacité a
donc bloqué les producteurs indépendants. Les États Unis, dans les années 1930, veulent mettre fin aux pratiques monopolistiques et met en pratique les lois antitrust. Ce processus est long et n’aboutit qu’en 1948, quand la Cour Suprême parvient à dissocier le secteur de diffusion et celui de production. Les studios mis en place par les Big Sixth s’apparentent maintenant à des petites villes, où des morceaux de grandes métropoles y sont reconstitués, dans lesquelles on se déplace en voiturette de golf. Ce qui finalement donne lieu à des espaces très paradoxaux. Certains studios les transforment également en parcs d’attractions, où l’on peut venir voir les décors de films célèbres. La ville quasi toute entière est vouée au cinéma, et «pendant longtemps, les films ayant la ville comme toile de fond mettent en scène l’industrie au cinéma, seule réalité tangible de ce lieu sans histoire.»1 La formation de cette ville est donc complètement liée à l’implantation des studios de cinéma.
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Dreamworks
Bluesky
Paramount pictures Foxlight Motion pictures
MGM
Streamline Raleigh studios Castlerock
Twentieth century fox
Lionsgate Sony pictures Motion pictures
Screen Gem
Studios de cinéma principaux de Los Angeles actuellement
1. Higuinen Erwan, Joyard Olivier, «Los Angeles», in JOUSSE T., PAQUOT T. (dir.) La ville au cinéma. Paris : Les cahiers du cinéma, 2005, p. 450
L’INDUSTRIE DU CINÉMA DANS LA (RÉ)GÉNÉRATION URBAINE
Warner bros Universal city
Rue d’Universal Studios Source : Footage Framepool
Carte du parc Universal studios Source:http://www.oliver-lt.com
«Au fond, Los Angeles est une ville anonyme, qui emprunte son histoire à toutes les autres, et n’a pour elle que sa géographie.»2 Mulholland Drive, un film de David Lynch sorti en 2001 relate l’«histoire d’une fille perdue dans une ville perdue»3, et révèle par son scénario et sa mise en scène une ville tournée vers le cinéma. Mulholland drive est en réalité une longue route partant des sommets de la ville et descendant vers l’océan. La ville y est réduite à quelques kilomètres carrés, alors qu’en réalité elle s’étend immodérément. Cette ville est difficilement appréciable dans son ensemble par le biais d’un film. Les road movies urbains permettent d’en décrire une plus vaste partie, notamment avec Drive de Nicolas Winding Refn, 2011, ou Collatéral de Michael Mann, 2004, en montrant une ville étendue où la voiture y est indispensable, dans un univers sombre : une ville aux multiples visages. C’est l’accumulation de ces films, prenant la ville comme support d’histoires, qui permet d’en comprendre sa géographie, son ambiance. C’est par le biais de ces films que l’on peut se construire une image mentale de ce que peut être Los Angeles.
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Un succès envié : un rêve américain/
Depuis une vingtaine d’années, différentes villes américaines ont réduit les taxes liées au tournage des films. Cela fait quelques années que la ville de Détroit a fait de même. Détroit était à l’origine la ville de l’industrie automobile et de la musique. Les «Big three», Chrysler, General motors et Ford, y prenaient place et en 1950, étaient à leur apogée. Pendant près de trente ans ensuite, la population quitte le centre de la ville pour les banlieues, et peu à peu, les industries automobiles se délocalisent pour réduire les coûts de production, ce qui a fatalement entraîné une augmentation du chômage. Le fait d’avoir mis tous ses oeufs dans le même panier a conduit, après le crise du pétrole dans les années 1970, à la baisse des revenus publics, et en 2009, à faillite des Big Three. En 2013, la ville était officiellement en faillite. Ainsi, les friches industrielles, se révélaient être des potentielles opportunités pour les investisseurs. Le fait de réunir cent millions de dollars en avantages et en dégrèvements d’impôts pour faciliter les tournages à Détroit relève de la réinvention de la politique urbaine. Il s’agit d’inventer d’autres outils pour faire la ville. Boris Grésillon, dans le cas des villes rétrécissantes allemandes s’interroge sur le fait de miser sur l’économie culturelle et sur le rayonnement artistique d’une agglomération là où l’économie classique, fondée sur l’industrie , a échoué à assurer la croissance des villes. 4 On peut faire ce parallèle en ce qui concerne Détroit et le cinéma. Le fait de tourner dans la ville a différents degrés d’impact pour l’économie et l’image de la ville. Dans un premier temps, c’est la simple localisation du tournage qui 2. Higuinen Erwan, Joyard Olivier, Ibid., p.450 3. Higuinen Erwan, Joyard Olivier, Ibid., p.456 4. Grésillon Boris «La culture comme alternative au déclin : mythe ou réalité ? Le cas des villes allemandes rétrécissantes» http://geocarrefour.revues.org/8305?lang=en consulté le 16 février 2015
supporte une économie locale. Robert Ficano, cadre exécutif pour la comté de Wayne ( dans le Sud Est du Michigan) dit «quand les productions arrivent, de nombreuses petites entreprises en profitent. Il y a les traiteurs, ingénieurs et les accessoiristes. Cela représente des centaines de travail, et la quantité augmente chaque année.»(«When the productions come in, there are a number of small businesses that really benefit, there are caterers, engineers and props. It’s probably thousands of jobs and it’s grown every year.») 5 Gran torino, réalisé par Clint Eastwood en 2008 a été l’un des premiers a bénéficier de l’allégement des taxes. Depuis lui, plus d’une centaine de réalisateurs ont tourné dans la ville.
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Au final, la réduction des taxes de tournage a réuni six cent quarante huit millions de dollars, dépensés dans l’état par les tournages de films, séries ou téléfilms. L’industrie du cinéma à Détroit a également permis aux habitants de s’investir dans les tournages en créant des opportunités d’emplois, et ainsi de pouvoir gagner un revenu financier supplémentaire. Michael England, 41 ans et licencié de General Motors en 2009 s’est exprimé dans un article de Le Monde: «J’ai suivi des cours pour devenir accessoiriste et fait des apparitions dans certains films.»6 Un ancien webdesigner chez General motors à ainsi créer un studio de production et une agence de casting : Filmingindetroit.com. Sur ce site, chacun peut s’inscrire pour louer sa maison ou ses services à l’occasion de tournages de film, et également de voir toutes les offres d’emplois liées au cinéma dans leur ville. L’industrie du cinéma s’apparente dans ce cas à un service de proximité où chacun peut faire valoir ses capacités. D’autre part, 5. GLINTON Sonari, «As Detroit Woos Hollywood, Opposition Mounts» Article en ligne consulté le 16 février 2015 6. Brafman Nathalie «Détroit prend le virage du cinéma» Le monde Amériques. Consulté en ligne le 14 mars 2015. http://www.lemonde.fr/acces-restreint/ameriques/article/2011/02/14/6a69699f6b666fc5946e63 6365996d_1479817_3222.html
L’INDUSTRIE DU CINÉMA DANS LA (RÉ)GÉNÉRATION URBAINE
Capture d’écran du Gran Torino
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Jim Burnstein, scénariste pour Hollywood et vivant à Détroit, professeur dans l’université Ann Harbor et ayant participé à la mise au point du système d’allégement des taxes, dit «Au fil des années, tous nos étudiants ont quitté Détroit. Aujourd’hui, pour la première fois, ils restent et certains reviennent.»7 Évidemment, les tournages intermittents des films ne suffisent pas à relancer toute l’économie de la ville. Mais cela peut donner de l’espoir aux gens qui y vivent. Des infrastructures de studios de tournage ( Michigan Motion Picture Studios), ont été développées, dans les anciennes usines de la General Motors à Pontiac, pour qu’émerge des emplois et pouvoir faire naître une industrie compétente. Cet arrangement pour faciliter les tournages de film n’est pas du goût de tout le monde, certains se demandant, si dans le contexte national, le coût dépensé pour attirer les blockbusters, en vaut le coup.8 Dans un second temps, c’est aussi l’image de la ville qui se trouve modifiée par l’impact des retombées culturelles. En effet, un film, réalisé par Clint Eastwood, grand réalisateur a beaucoup de chances d’être vu dans le monde entier et ainsi, les spectateurs de ce film ont pu avoir la chance de se faire une autre image de la ville. Robert Ficano dit « Ce n’est pas seulement un impact économique , mais un impact pour l’image de l’état»(«It not only
Photo du tournage Lost River. Source : ryangoslingfrance.com
has an economic impact, it also has an image impact»)8. Le tournage des films est l’opportunité de montrer autre chose que les violences, les incendies, les ruines, qui sont les images habituelles que l’on voit dans le journal télévisé. L’occasion de tourner avec un coût réduit entraîne aussi des opportunités pour les réalisateurs. De cette manière, ces derniers d’abord attirés par des conditions financières intéressantes, s’appuient sur les qualités de la ville pour développer leurs scénarii et la mise en scène de leur film. Récemment, Ryan Gosling y a réalisé Lost River (2015), il raconte que la volonté de tourner dans cette ville est apparue à l’occasion d’un autre tournage de film dans lequel 7. Brafman Nathalie, Ibid. 8. GLINTON Sonari, Op.cit.
il jouait. C’est à cette occasion qu’il a découvert cette ville. Il avait auparavant le désir de réaliser un film, et c’est cette ville qui a participé à l’élaboration du scénario. Ryan Gosling en témoigne :«La ville de Détroit est utilisée comme toile de fond pour la ville imaginaire de Lost River, et elle joue un rôle majeur dans le film.»9 C’est le mélange d’atmosphères, d’un quartier à l’autre, avec des quartiers de maison victoriennes, des ruines de bâtiment de Louis Kahn, de petites maisons, ou encore le quartier des affaires composé de grattes ciel, qui lui confèrent un patrimoine architectural très riche. Selon ses défenseurs, Détroit pourrait également ressembler aussi bien à l’Alaska qu’à la Nouvelle Angleterre.
17 L’INDUSTRIE DU CINÉMA DANS LA (RÉ)GÉNÉRATION URBAINE
9. Communiqué de presse pour la sortie du film.The jokers films. Consulté en ligne le 16 mars 2015 http://www.thejokersfilms.com/film/lost-river
1.2 L’industrie du cinéma dans la restructuration urbaine
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Production française/ La production cinématographique américaine est un modèle envié également en France, et notamment par Luc Besson, réalisateur et directeur de l’entreprise de production Europacorp. Sous son impulsion naît la Cité du Cinéma à Saint Denis (93), en 2012, sa volonté étant d’en faire un «Hollywood-sur-Seine». De la même manière que les Big Sixth, Luc Besson, a regroupé dans ces locaux les professionnels impliqués dans la chaîne de fabrication d’une oeuvre cinématographique, ainsi que les locaux nécessaires : bureaux, loges, plateaux de tournages, ateliers de peinture, de menuiserie, d’impression et de découpes numériques, jusqu’aux salles de projection. En plus de proposer un support spatial de création cinématographiques, Luc Besson intègre dans ses locaux différentes écoles. Celle de la Cité du Cinéma, qui forme les auteurs/scénaristes et les réalisateurs, l’école Louis Lumière formant aux métiers de l’image et du son, l’école Make up forever, proposant des cours de maquillage pour le cinéma, et la nouvelle école de formation des acteurs. Luc Besson a créé un réel cluster des industries audiovisuelles et du cinéma, rendant potentiellement possible la compétitivité de ce domaine en France. Ce modèle de production serait plus à même de recevoir des tournages étrangers, habitués à ce genre de production. La cité du cinéma/ Le choix de l’implantation d’une telle structure s’est porté sur Saint Denis, ville limitrophe de Paris. Cette commune historique, où se trouve la basilique Saint Denis (où sont enterrés les rois de France), a subi après la Seconde Guerre Mondiale un fort développement industriel et économique, comme le reste de la France. Entre 1948 et 1970 s’opère également un développement démographique s’appuyant sur la construction de logements sociaux (10000 dans ce laps de temps). Puis, dans les années 1970-1980, la ville est touchée par la crise économique. A ce moment, la plus grande zone industrielle d’Europe est devenue la plus grande friche industrielle du continent. De cette manière, l’ancienne centrale électrique de Saint Denis, construite en 1933 a pu devenir l’espace recevant la Cité du cinéma (Luc Besson y avait tourné des scènes de Léon (1994)et Nikita (1990)), sous la maîtrise d’oeuvre des architectes Reichen et Robert associés. Le montage financier de cette entreprise est un partenariat public/privé, entre Europacorp, Vinci et la Caisse des dépôts. Depuis son installation, la cité du cinéma a pu accueillir différentes expositions, comme Star Wars Identities, celle d’Harry Potter, ou encore des événements comme the Tribes festival, la bourse aux scénarios etc. Ainsi, au delà de la production de films, la cité du cinéma propose des événements connexes au septième art, et fait rayonner son activité nationalement. Outre l’impact de
Nef centrale de la Cité du cinéma Source : Grand Paris Développement Magazine
Plateau de cinéma Source : RFI.fr
visibilité et de valorisation pour le territoire, ce projet aurait des retombées économiques, puisque 30% du budget d’un film serait dépensé localement. 10 D’autre part, la ville de Saint Denis menait des négociations pour favoriser les recrutements des professionnels et des emplois de service localement. Patrick Braouzec, Président de la Plaine Commune « Pour moi, la banlieue fait partie des centres de la métropole parisienne. Il faut sans doute sortir de cette vision monocentrique de cette métropole parisienne. Il y a plusieurs pôles de centralité. Nous revendiquons d’être un des pôles de centralité de la métropole. Oui, la banlieue devient un des centres, pas le centre, mais un des centres. »
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Opportunité des lieux/ A La Courneuve, dans la Plaine commune se situe la friche industrielle de Babcock et Wilcox. Créée en 1867, l’entreprise de chaudières industrielles s’étend jusqu’à atteindre 30000 m2 après la Seconde guerre mondiale. En 1996, l’usine ferma ses portes à la suite de différentes crises économiques et pétrolières. De la même manière que pour la centrale électrique de Saint Denis, les différents locaux ont été abandonnés. La Banque de France prévoit de racheter et de réhabiliter la partie Nord du bâtiment, courant 2017. Depuis sa fermeture et en attendant d’être destiné à un autre usage, la friche a accueilli divers tournages cinématographiques ( Deuxième souffle d‘Alain Corneau, Taxi 3 de Gérard Krawczyk, Polisse de Maïwenn...), télévisuels ( Engrenages, Braquo, Masterchef...), de clips ou encore de défilés de mode. Sans que ce soit un projet architectural, comme la Cité du cinéma, ce sont les murs anciens qui servent de décors au film. L’industrie du cinéma a donc su saisir l’opportunité qu’offre ce lieu, l’occupant pendant un temps de transition, et accompagnant la mutation d’un site du patrimoine. Certains se sont appropriés ces sites «atypiques» en les proposant à la location pour les films, à l’instar d’Espace Tournage, société répertoriant en Île de France des lieux laissés vacants afin d’en faire profiter les professionnels du cinéma. L’industrie du cinéma associée aux jeux d’acteurs locaux permet de faire vivre des morceaux de villes en transition. La ville devient un terrain de jeux, de chasse aux espaces, en révélant à l’écran des lieux insoupçonnés. D’autre part, on pourra resituer, plus tard dans le mémoire, cette entreprise dans la perspective du Grand Paris, et de la mutations des villes périphériques à la capitale.
10. Ville-Saint-Denis.fr
Locaux administratifs Babcock et Wilcox Source : Espacetournage.com
ExtĂŠrieur Babcock et Wilcox Source : Espacetournage.com
Document personnel.
2. Impacts urbains de l’espace de diffusion
«La ville est la fille du commerce, mais aussi de la culture et de l’éducation. Le septième art et la cité ont naturellement fait bon ménage.» Jérôme Grange. Le cinéma dans la cité.
2.1 Salles de cinéma dans la ville : des espaces emboîtés
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Bref historique de la salle de cinéma/ La production du cinéma n’aurait aucun impact si il n’était accompagné par la diffusion de celui-ci. Depuis ses débuts, le cinéma en tant qu’espace de loisir a beaucoup évolué. Il y a un décalage de dix ans entre l’invention du cinéma et celui des salles de cinéma en tant que loisir propre. Le premier film des frères Lumière était diffusé pour la première fois dans le sous sol d’un café, au boulevard des Capucine, en 1895, pour un public assis et payant. Cette salle était louée, et cet usage n’était pas sa principale destination. Le cinéma était simplement une qualité supplémentaire quand on venait boire un verre. Le cinéma, est ensuite devenu une industrie foraine. Avant 1914, la France était sillonnées par beaucoup de foires. Elles restaient environ cinq à six semaines en périphéries des villes. En 1906, la première salle en dur, dédiée à ce loisir a été construite. Elle était conçue comme un super-théâtre, aux décors chargés. À partir de ce moment, il y eut une floraison de cinémas citadins. Avec l’avènement du cinéma parlant, le développement du parc cinématographique français a continué. 11 Cinéma, profondeur de la ville/ Le cinéma, par son fort pouvoir d’attraction, permet de faire vivre la ville dans différentes temporalités. Le cinéma est aussi un commerce et de ce fait, ses façades illuminées, ses affiches de film, en quelque sorte sa vitrine, permet de tenir la ville éveillée dans la soirée. Ainsi, le cinéma est un lieu important dans une ville : l’activité de ce lieu s’étend à la rue et à ses environs, la foule se déversant selon les séances de projections dans les salles. Le dimanche ou les jours fériés, c’est parfois le seul commerce ouvert et donc la seule source d’animation de la rue. Le lieu cinéma donne une identité à la ville et participe à sa définition géographique. Des lieux dans la ville sont parfois définis par le cinéma d’en bas, le cinéma de la rue X : «ces unités spatiales sont définies par le cinéma qu’elles accueillent»12 Le cinéma participe à l’expérience de la ville, et est comme une ramification de l’espace public, se prolongeant dans l’obscurité de la salle. «Avec le café d’en face, le restaurant d’à côté, la bouche du métro, les vitrines de boutiques, le cinéma est partie prenante dans l’établissement de ces aires qui creusent et festonnent les bords de la rue pour l’animer et l’agrémenter de haltes indispensables à l’activité des lieux. A elles toutes, elles forment un complexe de circulation et de station où les ressources se potentialisent, où l’espace 11. in CLADEL Gérard, FEIGELSON Kristian, GEVAUDAN Jean Michel, LANDAIS Christian, SAUVAGET Daniel (dir.), Le cinéma dans la cité, Éditions du Felin, 2001.p.39 12. BÉGUIN François, «Comment le cinéma a su habiter la ville» in CLADEL Gérard, FEIGELSON Kristian, GEVAUDAN Jean Michel, LANDAIS Christian, SAUVAGET Daniel (dir.), Le cinéma dans la cité, , Éditions du Felin, 2001. p.43
Fête communale, à Walincourt un dimanche Source :cinemasdunord.blogspot.fr
Façade Grand Rex. Paris Source :Voyages.insolites
Dimanche 1er mars 2015. 6 Rex Grenoble Source :Photo personnelle.
Avant film. Cinéma plein air de La Villette http://instantanesdeparis.com/wp-content/uploads/2014/08/cinema-villette.jpg 13. BÉGUIN François, Ibid. p.49 14. LANDAIS Christian, «Le cinéma comme objet d’architecture» in CLADEL Gérard, FEIGELSON Kristian, GEVAUDAN Jean Michel, LANDAIS Christian, SAUVAGET Daniel (dir.), Le cinéma dans la cité, , Éditions du Felin, 2001. p.126. 15. Bedeau Johanna et Zenine Rafik Réenchanter le destin (4/4) : «Cinéma itinérant : La valse des bobines». France Culture, 5 juillet 2012. 17h
27 IMPACTS URBAINS DE L’ESPACE DE DIFFUSION
collectif se dilate et se complique, où les grandes dimensions de la ville se réduisent à des formats et des enclaves qui permettent leur appropriation.»13 La salle de cinéma fait donc partie prenante de la vie de la ville. Cependant, elles est aussi une boîte noire détachée de la réalité extérieure, d’où on échappe par les films projetés : «Entrer dans une salle de cinéma, c’est en quelque sorte sortir de la ville par un espace qu’elle contient, c’est s’en échapper par l’intérieur.»14 Cinéma dans la ville / Mais le cinéma peut aussi être un lieu éphémère qui apparaît dans les villes ponctuellement. Certaines associations se sont organisées pour mettre en place des cinémas itinérants, permettant d’irriguer culturellement les milieux ruraux isolés. On en trouve dans beaucoup de régions françaises, en Dordogne avec Cinépassion Périgord, dans le région Rhône Alpes etc. Ces manifestations prennent place dans les lieux disponibles dans les villages : salles polyvalentes, salle de garderie, châteaux... Certaines salles ont été aménagées pour accueillir du public, et servent maintenant à accueillir le cinéma, mais également les lotos, les fêtes du village etc. Julien Robilllard, programmateur et projectionniste à Cinépassion Périgord, dit que le fait de s’installer dans les salles de la ville permet aux habitants de s’y sentir chez soi. Ce sont des salles qu’ils connaissent, et le fait d’y installer un écran, des enceintes, un guichet, suffit dans l’imaginaire commun, à créer un cinéma. Il dit également que l’association n’anime pas ce lieu, ce sont les habitants, par leur connaissance de l’endroit, qui le transforme , ils savent où sont les chaises, et s’installent eux même dans ces lieux, se l’approprient. 15 Pendant les périodes estivales, ces cinémas prennent place en extérieur dans les villages, devant les mairies, les salles des fêtes etc. Cette transformation ponctuelle changent pour un temps la configuration des lieux et les usages dans les villages. Certaines grandes villes, chaque été mettent en place des festivals de cinéma en plein air, qui investissent les parcs ou les places publiques, on
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pourra parler notamment de Paris, et du parc de la Villette. Les entrées sont gratuites, seuls les transats sont à louer (7€), ce qui permet à tous de pouvoir aller au cinéma. Aller au cinéma dans un parc est radicalement différent que d’aller voir un film en salle de cinéma. Effectivement, les usagers viennent généralement bien avant le début de la séance, les places étant limitées, et pendant l’attente, les gens pique-niquent, se rencontrent, ce qui en fait un espace de convivialité, contrairement à la salle de cinéma, où dans l’espace noir, on se retrouve finalement seul face au film. Aux États Unis, les Drive-in ont été inventés dans les années 1930. La popularité de ces installations vient du fait que son usage est plus souple que dans une salle de cinéma traditionnelle. Effectivement, les familles pouvaient emmener leurs enfants en bas âge avec eux, les petits dormant à l’arrière de la voiture pendant que les parents regardaient le film, ce qui évitaient de faire appel à un baby-sitter. Ces espaces permettaient également aux adolescents de pouvoir se retrouver sans les parents, et de pouvoir y amener leurs conquêtes amoureuses. Ce fait fit d’ailleurs polémique, puisque dans les années 1950, au pic de leur popularité, les drive-in étaient surnommés «passion pits» (Fosses à passion) dans les médias, qui les considéraient immoraux. Ce système de consommation liée à la voiture s’est étendu ensuite dans d’autres domaines que le cinéma, notamment, dans la restauration. On a tenté de transposer le dispositif du drive-in en Europe, mais le phénomène a moins pris qu’aux États Unis, où les vastes étendues nécessitent de se déplacer en voiture. On pourrait tout de même envisager ce dispositif en milieux périurbains où l’on sait la voiture indispensable. Certains se sont appropriés ce dispositif en France, en proposant au Grand Palais des séances de cinéma (Juin 2013) où l’on pouvait visionner le film dans une Fiat 500 décapotable (installées dans le Grand Palais), pour 70 euros la place. Cela tient donc moins du cinéma pour le cinéma, qu’à un événement marketing pour une marque de voiture. Du cinéma de quartier au quartier de cinéma/ Dans les années 1960, avec l’apparition de la télévision en couleurs et d’une mutation des pratiques sociales et des loisirs, arrive la raréfaction des cinémas de quartiers. Les aménagements de la salle de cinéma se simplifie, avec la suppression de la scène et l’augmentation du nombre de places assises. Dans les années 1970, un nouveau concept apparaît : celui des multisalles, entraînant avec lui la disparition des cinémas spécialisés tels que ceux d’actualités, de seconde exclusivité etc. La conception de ces nouveaux cinémas est banalisée, on recherche le fonctionnalisme de ces espaces, pour avoir un rendement maximum. Avec les multiplexes, dans les années 1990, se met en place un processus de restructuration du parc des salles de cinémas à l’échelle territoriale. L’implantation de ces salles bouleverse l’équilibre de l’exploitation cinématographique française. Effectivement, elles sont souvent localisées dans les zones commerciales de périphéries de villes. Ces nouveaux équipements intériorisent leurs activités et ne tissent ainsi plus de lien avec l’environnement dans lesquels ils s’implantent, laissant alors autour des parkings et des espaces de circulation peu agréables, sans aménité. Cependant, par son statut d’équipement commercial, culturel et de loisir, une grande diversité de public s’y côtoie et peut participer à la requalification de la
ville, ou être un outil pour construire la ville.
Parc de la Villette
Le Centquatre
Zénith Philarmonie de Paris
MK2 Quai de Seine
MK2 Quai de Loire Implantation des lieux culturels Source : Document personnel. 16. Entretien avec Michel Gomez, délégué de la Mission cinéma – Paris film, 31 mai 2012, réalisé par Marine Carpentier Daubresse. Dans «MK2, à la conquête de l’Est Parisien».13. Site Archizoom de l’École polytechnique fédérale de Lausanne. http://archizoom.epfl.ch/op/edit/ page-69517.html 17. Entretien avec Géraud Laveissière, directeur du cabinet du maire du 19°, réalisé par Marine Carpentier Daubresse le 1er juin 2012. 18. Idem
29 IMPACTS URBAINS DE L’ESPACE DE DIFFUSION
Région parisienne/ Dans les années 1990, Marin Kramitz, président de la filiale MK2 a choisi d’implanter un cinéma dans des quartiers parisiens peu ouverts à la culture, alors en renouvellement , éloignés des lieux accueillant traditionnellement les cinémas (Montparnasse, Quartier Latin...), dans le 19° arrondissement. Ce secteur semblait peu propice à l’accueil de l’exploitation cinématographique, puisque touché par le trafic de drogues et désertés le soir venu. Le président des cinémas a choisi un système de fonctionnement particulier : films en VO, événements, débats, librairies, bars etc, mode de fonctionnement nouveau à cette époque. Les deux cinémas, Quai de Loire et Quai de Seine, respectivement conçus Véronique Kirchner et Frédéric Nemur, prennent place le long du Bassin de la Villette, dans des anciens entrepôts réalisés par Gustave Eiffel pour l’exposition universelle de 1878. Les retombées dynamiques sont difficiles à évaluer. Cependant, Michel Gomez, délégué de la Mission du Cinéma dit «MK2 est un grand acteur de la reconfiguration du paysage. Il faut dire que la ville y croyait aussi. On les a accompagné la dessus, sans quoi ils n’auraient pas pu construire»16. Marin Kramitz revendique le rôle de ses cinémas dans la transformation de l’environnement dans lequel ils s’implantent. En 2011, lors d’une conférence à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, il dit : «Combattre la barbarie produite dans les villes (...) en mettant en place des lieux de vie, où, à travers le cinéma (...), on puisse faire en sorte que les quartiers abandonnés à la peur, abandonnés aux désordres, à la drogue, puissent se transformer.»17
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MK2 Quai de Loire Source :www.salles-cinéma.com
MK2 Quai de Seine Source :www.salles-cinéma.com
Cinéma 2.0 / Depuis 2001, Auch, dans la région Midi-Pyrénées a entamé un processus de requalification de la ville, dont fait partie une ancienne zone militaire, la Caserne d’Espagne. Leur objectif est d’équilibrer les relations entretenues avec la ville de Toulouse. Dans ce secteur, la première phase de requalification a commencé avec la création du Centre d’Innovation et de recherche Circassien (CIRC). S’en est suivi la construction du «Ciné 32», composé de cinq salles. La volonté du collectif ENCORE HEUREUX, maîtres d’oeuvre du projet, était de «donner l’image d’une collection de petits cinémas de quartier côte à côte», plutôt que de réaliser un hangar quelconque que l’on peut associer généralement aux multiplexes. Le programme ne s’arrête pas à des salles de projection, on y trouve aussi un atelier jeune public, des espaces d’exposition, un bar, «comme un contrepoint aux salles obscures». L’expérience du cinéma perdure au delà du temps du film, et de ce fait, son activité ne se dissipe pas directement a la sortie de la salle. Ce projet a été impulsé par l’association Ciné 32, qui a mis en place un dispositif interassociations, permettant la gestion des salles, la coordination sur la diffusion et le programme, au niveau départemental. De cette manière, en plus de proposer des salles de projection, une politique d’accueil de tournage a été mise en place avec les régies de Gascogne, ou encore le festival Indépendance(s). Ces deux actions permettent de faire valoir le département du Gers, voire la région Midi-Pyrénées, en leur donnant de la visibilité par le biais du septième art, de faire fonctionner une industrie et de créer de l’emploi pour la population locale (figurants, techniciens...). Autour de ces équipements se construisent maintenant un ensemble de logements, des commerces, recréant alors toute une vie de quartier, requalifiant alors un morceaux de ville. 18. Ibid.
31 IMPACTS URBAINS DE L’ESPACE DE DIFFUSION
Il faut quand même souligner que c’est le président de le filiale qui commente ses actions. Selon Géraud Laveissière, directeur du cabinet du maire du 19°, les cinémas et les quais réhabilités n’attireraient pas les classes populaires du quartier. Il était un moment question d’une extension du MK2 Quai de Seine, et à cette occasion, il déclarait espérer une meilleure insertion de l’établissement dans le quartier. 18 Dans un premier temps, le MK2 Quai de Seine réalisé en 1996, n’a pas produit une dynamique extensible au quartier : le cinéma était la seule activité économique du quartier, et n’a pas fait d’émules alentours. C’est avec l’ouverture du MK2 Quai de Loire, réalisé en 2005, que des initiatives locales ont émergé et ont contribué à changer durablement l’image du quartier, en stimulant l’activité économique, culturelle et sociale. Ainsi, différents projets sont nés autour des MK2: le Point éphémère (centre culturel), le Cent Quatre (Fabrique artistique et culturelle), la réhabilitation et la reconversion des magasins généraux au pont de Crimée, bars, la péniche zéro de conduite, permettant de traverser le bassin de la Villette gratuitement. L’animation suscitée par ces cinémas a entraîné une mutation des usages, avec des gens qui se promènent sur les quais, qui pique-niquent, se retrouvent en terrasse...
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Axonométrie Ciné 32 Source :www.encoreheureux.org
Vue extérieure Ciné 32 Source :www.encoreheureux.org
2.2 Une affaire d’état
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Légitimation de la salle de cinéma/ La salle de cinéma, d’abord perçue comme une simple activité commerciale a connu une sorte d’anoblissement, et a été promue au rang d’équipement de la vie locale. Dans les années 1980, un slogan «Pour un service public de cinéma» a donné naissance à une association de cinémas municipaux dont l’activité n’a pas été sans effet. En associant une démarche culturelle à la politique de la ville, des dizaines de salles sont nées en banlieues et dans les petites villes qui avaient perdu leur cinéma traditionnel. L’État, le ministère de la culture et le CNC (Centre National Cinématographique) subventionnent les initiatives afin de lutter contre des déséquilibres territoriaux, en développant des mécanismes (comme la création de l’Agence pour le développement régional du cinéma) et en associant les salles de cinémas à d’autres stratégies, notamment éducatives. Les cinémas, en un certain sens servent de leviers de projet urbain, et plus particulièrement lorsqu’ils sont associés à d’autres programmes. Ils jouent un rôle important de polarisation urbaine, son implantation étant l’objet de politique de planification, en ce qui concerne plus particulièrement des objectifs de renouvellement urbain. Face à des projets normalement menés par des groupes importants de diffusions cinématographiques, les élus locaux préoccupés par l’animation des centres urbains, ont su imposer leur vision. Gérard de Senneville, inspecteur général de l’Équipement, ancien directeur de la mission des villes du Massif Central, président de la première Commission d’aide sélective aux salles de cinéma (1983) et ancien directeur de l’Établissement public d’Aménagement de la Défense (1987-1990) explique dans Le cinéma dans la cité, que la ville et le cinéma n’ont pas toujours étaient liés. Dans les années 80, lorsqu’il était à la Mission des villes du Massif central, il gérait une équipe de vingt urbanistes, qui fut la première à utiliser la salle de cinéma comme outil de développement de petites villes et de mise en valeur de leurs centres villes souvent historiques, telles que Aubusson, Thiers et autres. Il existait alors des salles de cinéma, mais leur état plutôt détérioré et la programmation peu alléchante n’attiraient pas les spectateurs. Le financement par des crédits publics et la rénovation des salles existantes a ainsi pu redynamiser ces villes, de plus en plus fuient par la population jeune. Cette idée au départ n’a pas séduit le cabinet du Ministre de la culture de l’époque, qui trouvait que mettre des films actuels (projetés au même moment que leur sortie à Paris), ne relevait pas d’une politique culturelle. Mais un des cinémas repensé fit autant d’entrée en un mois qu’il en avait fait en un an. Face à la réussite de cette entreprise, trois ans plus tard (1983), Jack Lang alors ministre de la culture généralisa cette méthode dans la France entière. Les municipalités ont alors compris l’enjeu de du cinéma dans leurs villes.
Cinéma et grand Paris/ Lors d’une journée d’études sur les imaginaires de la métropole créative menée en 2013, dans le cadre de la réflexion sur le Grand Paris, ont été discuté l’organisation, le soutien des politiques culturelles et les développement territorialisé de l’audiovisuel. La géographie du cinéma, depuis son début, se recompose au gré des lieux, des temps et paraît être le témoignage d’un cinéma productif et symbolique, mais aussi économique et coopératif fondé sur de nouvelles logiques territoriales. En plus de proposer un parc de salles cinémas classiques, dans la Capitale, l’objectif du grand Paris et d’avoir une vision plus globale de leur action : ne plus voir le périphérique comme une limite d’action. Par une organisation territoriale des festivals de cinémas, ils œuvrent pour une métropolisation des villes limitrophes. Ce réseau s’est densifié au fil des années en créant un tissage culturel commun. Le cinéma contribue donc à l’écriture des territoires en devenir, par un maillage d’acteurs diversifiés amenés à collaborer pour redéployer et reconfigurer des lieux appartenant à une métropole en mutation.
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Rh么ne Alpes Films
3. L’APRÈS FILM «Je relève mon strapontin J’ai une envie de bailler C’était la dernière séquence C’était la dernière séance Et le rideau sur l’écran est tombé» Paroles la dernière séance. Eddy Mitchell
3.1 Le cinéma comme moteur touristique
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Images de métropoles/ Différents acteurs sont impliqués dans le tourisme cinématographique : la production, les municipalités qui mettent en place un support financier et stratégique pour attirer les producteurs et la commission du cinéma. Effectivement, penser le développement des villes, c’est aussi envisager les politiques d’accueil de tournages afin de valoriser leurs images et leurs patrimoines. Attirer des tournages de film à diffusion nationale voire internationale est devenu une stratégie politique. L’AFCI (Association of Film Commission International) comptait en 2005 205 commissions à travers le monde, et en compte maintenant plus de 800. Cela témoigne de l’intérêt que portent les agences gouvernementales et des collectivités publiques pour l’industrie du cinéma. Certains parlent même de «placements de territoires», en comptant sur la cinégénie des villes. On peut alors voir nos villes comme des ressources brutes à transformer, au même titre qu’un matériau. Les villes au cinéma sédimentent les regards posés sur elle par les réalisateurs. La variété de films réalisés par différentes visions de cinéastes interrogent différentes dimensions de la ville, tant spectaculaire qu’ordinaire, définissant des pratiques spatiales et des modes de vie propres à chaque ville, voire chaque quartier. Dominique Pagès, Responsable du Master Cultures, Tourismes et Communication à la Sorbonne dit « Le cinéma restitue une géographie émotionnelle et sensible de métropoles, y dessine des itinéraires, tente d’en saisir les transformations physiques et mentales. Il participe à questionner nos spatialités en nous invitant à une diversité de points de vue et d’esthétiques. Évoquons du côté étasunien les regards sur Los Angeles, métropole de l’étendue que proposent es films comme Short cuts, Magnolia ou encore Collision. Et du côté Grand Paris les excentricités des films Paris de Cédric Klapish, les Herbes folles de Resnay ou encore Donoma de Djinn Carrénard... Tous trois offrant des traversées filmiques métropolitaines douces et amères, fantasques et stridentes , très contrastées».19 Décloisonner les espaces urbains par la médiation du cinéma et des pratiques cinématographiques, participe à les intégrer dans une stratégie métropolitaine globale et les faire connaître à l’international non seulement pour attirer de nouveaux tournages mais également pour renouveler la vision et la connaissance de la métropole. En s’ouvrant à la visite, ces lieux (de tournages, de production etc...) s’inscrivent dans une dynamique de cinétourisme, qui intègre le cinéma dans une stratégie de communication touristique d’un territoire et relie univers narratifs et espace topographique. Ces lieux médiatisés deviennent alors des «pèlerinages» dédiés au cinéma. De nouvelles applications, dont Cinemacity, soutenue par Arte et la Mairie de Paris, ont d’ailleurs mis à disposition des cartes animées de Paris, répertoriant les multiples lieux de tournages dans la capitale, en les classant par quartier ou 19. PAGES Dominique, Cinéma et métropole des écritures aux médiations, in MANSAT Pierre (dir.), Les Cahiers de la métropole, Hors série, Les imaginaires de la métropole créative, Celsa Paris Sorbonne. Mars 2014. p.90
par réalisateurs. De cette manière, on peut repérer tous les lieux de tournage d’un film, où alors se créer des balades aléatoires à travers la capitale, et ainsi, redécouvrir la ville par le biais du cinéma.
Capture d’écran cinemacity
Nouvelle Zélande/ Tournés en 1999 et 2000, la trilogie du Seigneur des anneaux a eu un réel impact sur le tourisme en Nouvelle Zélande. Effectivement, d’après USA Today, le nombre de touristes est passé de 1,7millions en 2000 à 2,4 millions en 2006 participant à dynamiser l’économie du pays. D’autre part, le pays s’est battu pour accueillir l’avant première mondiale du troisième volet de la saga, «Le retour du roi», à Wellington en Décembre 2003, sachant que sa diffusion serait un événement international. De ce fait, l’attention des médias aurait généré l’équivalent de 25 millions de dollars en publicité gratuite. Ayant compris les impacts que pouvait avoir les films de la saga sur l’économie locale, le pays a, de la même manière que Détroit aux Etats Unis, réduit les taxes de 25 millions de dollars, en contrepartie que les producteurs garantissent que le tournage du «Hobbit», suite du Seigneur des anneaux, se tourne en Nouvelle Zélande.20 D’autre part, cette production a engendré une énorme industrie malgré le fait que très peu de décors soient restés après le tournage des films. Ainsi, la production cinématographique locale s’est améliorée, conduisant à la constitution d’une petite filière cinématographique d’excellence, qui attire divers productions 20. ROESCH Stefan, The experiences of film location tourists, Bristol, Channel view publications, 2009. p.10
L’APRÈS FILM
Le cinéma va alors influencer le voyageur dans des expériences spatiales et culturelles. La concurrence des destinations touristiques passe de plus en plus par ces stratégies qui privilégient le placement de destination (comme une image de marque). Différents types de cinétourisme existent : on peut tomber au hasard sur un lieu vu à l’écran, aller voir un endroit bien particulier de tournage dans une ville, ou on peut se rendre dans un pays exclusivement pour visiter les lieux de tournage, ce qui est souvent les cas pour les blockbusters qui réunissent des fans inconditionnels à travers le monde. On pensera naturellement à Star Wars ou au Seigneur des Anneaux.
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étrangères. John Voigt, responsable de la promotion de la filière à Invest New Zeland dit «La trilogie du Seigneur des Anneaux a été un succès critique et public sans précédent. Ces films ont fait l’histoire du cinéma. Le fait qu’ils aient été fait en Nouvelle Zélande a établit notre réputation de leader de l’innovation à l’avant garde de la production cinématographique mondiale». Les studios Weta créés par Peter Jackson (réalisateur de la saga) accueillent maintenant diverses grosses productions, notamment Avatar, Le Monde de Narnia, King Kong, Les aventures de Tintin etc. Pour préserver l’environnement naturel de la Nouvelle Zélande, beaucoup de décors ont été enlevés. Seul le village des Hobbit a été conservé après le tournage de la saga du Hobbit ( il a été enlevé après le Seigneur des anneaux, et reconstruit pour la seconde saga de l’histoire de Tolkien), dans la région de Waikato. Ce lieu de tournage a été transformé en ville musée, où l’entrée est payante. Le visiteur ne peut alors que marcher dans les «rues», sans pouvoir rentrer dans les «maisons». La ville des Hobbits se situe au milieu de la campagne, comme une tâche construite au milieu des collines. La fiction prend alors place dans notre réalité, où les deux univers se mêlent, sans vraiment savoir où l’un commence et l’autre s’arrête.
Hobbiton Source : http://www.waitomofarmholiday.co.nz/img/slider/slide-Hobbiton-movie-set.jpg
Localisation Hobbiton Capture d’écran Google maps
3.2 Décors et «archéologie fictive»
(With only my Google map as a guide, I struggled at first to find anything. Then I met a driver who knew the desert well and offered to take me to the sites... like many people, I saw Star Wars when I was young, so it felt very nostalgic... The sand was brown- red and the speckles of salt sparkled in the sun. These are not real ruins, of course. They are just rubbish that has been left by a richer country in a poor country. But at the same time, they have a monumentality about them because they resonate with our childhood memories. Star Wars looks futuristic to us, yet this is the biological decay of past imaginations) Après la diffusion et les expositions des photographies prises par
Rä Di Martino, un groupe de fans, atterré par l’état de la «maison de Luke Skywalker», a décidé de restaurer les édifices détériorés. Ainsi, l’édifice a été transformé en genre «d’igloo blanc», état dans lequel il n’a jamais été. Depuis, des tours où l’ont peu visiter les ruines existent, et un festival annuel a été créé, Les Dunes électroniques. On peut donc s’interroger sur le réemploi des décors de cinéma et quel statut ils acquièrent dans nos usages et nos territoires, selon l’intérêt qu’on leur porte.
Les Dunes électroniques Source : http://www.sweetlife.fr/wp-content/uploads/2014/12/Les-Dunes-Électroniques-2014Nefta-©Youssef-Belkhir.jpg 21. BERTOLA Chiara, Chasing reality through the remains of imagination, in BUSTO Andrea(ed.), Rä di Martino 2011-2001, Fregi e Majuscole trans., Carlo Cambi Editore: Poggibonsi, 2012: 14-20, dans BARIKIN Amelia, No more stars (Star Wars) : Rä Di Martino, Adelaïde, Contemporary visual art+culture, broadsheet 43.1. 2014. p.33
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Décors et transformations/Rä Di Martino, une artiste contemporaine italienne, a mené un travail sur certains décors du film Star Wars abandonnés dans le désert tunisien. Dans le film, les scènes tournées en Tunisie, s’apparentent à la planète Tatooine où Luke Skywalker vit. En 2010, l’artiste a passé un mois dans le désert à la recherche des décors de la saga, encore relativement inconnus du grand public. Dans une interview, Rä Di Martino dit «Avec seulement ma google map pour guide, je me suis démenée au début pour trouver quelque chose. Ensuite, j’ai trouvé un monsieur en voiture qui connaissait bien le désert et m’a proposé de me montrer les lieux du tournage. Comme beaucoup de monde, j’ai vu Star Wars quand j’étais jeune, alors ça m’a rendu très nostalgique...Le sable était ocre rouge, et les grains de sel brillaient dans le soleil. Ce ne sont pas de vraies ruines, évidemment. Ce sont juste des restes laissés par un pays riche dans un plus pauvre. Mais en même temps, ils ont quelque chose de monumental, parce que leur vision résonne dans nôtre mémoire d’enfant. Star Wars semble futuriste pour nous, pourtant, ce n’est qu’une décrépitude biologique des imaginations passées.»21
33°59’39N 7°50’34 E Source : radimartino.com
33°59’39N 7°50’34 E Source : radimartino.com
33°50’34 N 7°46’44 E Source : radimartino.com
33°59’42 N 7°51’00 E Source : radimartino.com
Ruines fictives/ Rä Di Martino, avec son travail, questionne le statut d’une ruine : «Qu’est-ce qu’une vraie ruine?» Quand la maison de Luke Skywalker a été conçue pour les besoins des films, elle était déjà pensée décrépie. Georges Lucas a été le premier a pensé l’environnement bâti futur déjà vieux. Néanmoins, il n’a pas était le premier a imaginer le futur à travers les ruines du passé. Dans les années 1700, l’amour pour la ruine existait dans tous les arts sculpture, peinture, etc. Cela poussait par la redécouverte des ruines de Pompéi. «Pourtant, si No More stars (Star Wars) peut apparaître au départ comme une mise à jour contemporaine de la «Ruinlust» ( Une esthétique qu’elle aurait glaner pendant qu’elle vivait à Rome), sa profondeur repose de manière égale sur les visions anthropiques de Robert Smithson, les terrains vagues imaginés par Jane et Louise Wilson, ou les futurs dégradés de J.G. Ballard. («However, if di
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Martino’s No More Stars (Star Wars) might initially appear as a contemporary update of ‘Ruinenlust’ (an aesthetic she would also have gleaned from her time living in Rome), its debts lie equally with the entropic visions of Robert Smithson, the wastelands imaged by Jane and Louise Wilson, or the degraded futures of J.G. Ballard’s science fictions».)22 Les ruines encouragent un genre de voyage
dans le temps conceptuel. Ces décors offrent une vision de futurs potentiels, et en même temps, on se pose la question de savoir ce qui a pu arriver ici. Ces restes de décors, tout comme les ruines offrent une perméabilité temporelle, ce qui leur confère leurs qualités fictionnelles. L’intérêt que porte Rä di Martino pour les lieux de tournage de Star Wars vient de la fascination qu’elle a de la navigation , de ce qu’elle appelle la «loop»(boucle), entre fiction et réalité, décrite par l’artiste comme une sorte d’«état continu du ping pong» (“continuous ping-pong”), où la «réalité change l’imaginaire et l’imaginaire change la réalité»(reality changes the imaginary, and the imaginary changes reality).23 Dans le cas de No more Stars (Star wars), la «boucle», est d’autant plus vraie, au vu des interventions des fans après l’exposition, et la création du festival de musique, dans les ruines du décor. Rä Di Martino, en redécouvrant les ruines des décors, prend en quelque sorte la place d’archéologue du présent, qui met en lumière des éléments oubliés de notre génération. En photographiant ces éléments, elle laisse une trace tangible de la mémoire cinématographique.
22. BARIKIN Amelia, No more stars (Star Wars) : Rä Di Martino, Adelaïde, Contemporary visual art+culture, broadsheet 43.1. 2014. p.33 23. Bertola Chiara, ‘Dov’è la realtà?’, Flash Art 294, June 2011; http://www.flashartonline. it/interno.php?pagina=articolo_det&id_ art=742&det=ok&articolo=R%C3%84-DI-MARTINO dans BARIKIN Amelia, No more stars (Star Wars) : Rä Di Martino, Adelaïde, Contemporary visual art+culture, broadsheet 43.1. 2014. p.35
33°59’39N 7°50’34 E Capture d’écran Google maps
33°50’34 N 7°46’44 E Capture d’écran Google maps
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CONCLUSION
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Le cinéma, désigne à la fois l’art, la salle de projection, l’industrie qui le produit, et d’autre part, la multitude d’enjeux, économiques, sociaux, politiques, urbanistiques, architecturaux qu’il soulève montre bien la complexité des actions qui sous-tendent son existence. Ainsi, le cinéma, en général, est assez riche pour devenir un levier d’action pour faire la ville . Effectivement, à l’heure où la population a de plus en plus de temps libre, le cinéma, comme source de loisir est un lieu demandé. La salle de cinéma participe à l’expérience de la ville. Par sa vocation de pôle d’attraction, elle peut participer à la requalification de nos centres villes, mais également de nos périphéries, de nos milieux ruraux, en prenant des formes différentes, et en y associant des programmes additionnels répondant aux exigences des environnements dans lesquelles elles s’implantent. La «salle» de cinéma n’est plus nécessairement une salle, noire, close, mais peut évoluer dans sa forme, et dans ses influences sur la ville. De cette manière, l’impact de ce lieu de loisir, de culture et de divertissement, peut se propager et rayonner à plus ou moins grande échelle. Le lieu de diffusion du cinéma peut être un lieu de convivialité fédérateur. Son implantation sur un territoire, la répartition des salles entre elles relèvent de choix d’acteurs très variés. L’implication des politiques montre bien que le cinéma est un facteur crucial dans le fonctionnement des villes. Puisque plus qu’un divertissement, le cinéma est aussi un moyen de faire connaître un pays, une région, une ville... Par ailleurs, le caractère populaire du cinéma le fait rayonner mondialement, et en fait un langage partagé par tous types de cultures, de populations. Grâce à lui, on peut véhiculer des idées, et il est un moyen d’expression universel. Son impact peut être tel que divers pays censurent les films abordant des sujets qui les dérangent, ce qui d’une certaine manière confirme sa force d’influence et sa capacité à poser des questions sur nos fonctionnements et nos modes de vies à travers le monde. «La culture cinématographique n’est donc pas simplement un stock, c’est aussi un flux, une source d’échanges, quelque chose de potentiel, qui circule»24, qui permet donc de mettre en commun des visions portées sur nos villes. Plus largement, le cinéma peut être un prisme par lequel on regarde la ville, et en tant qu’architecte, il est bon de prendre un autre point de vue sur ce qui nous entoure, afin de comprendre notre environnement et ses préoccupations. L’industrie du cinéma n’est pas une réponse à tous les problèmes, mais elle permet de renouveler une stratégie de développement de nos villes, et d’y porter un nouveau regard, où se croisent des visions transversales, 24. Guy Jean Michel, Pluralité des publics, singularité du cinéma, in CLADEL Gérard, FEIGELSON Kristian, GEVAUDAN Jean Michel, LANDAIS Christian, SAUVAGET Daniel (dir.), Le cinéma dans la cité, , Éditions du Felin, 2001. p.84
portées par un jeu d’acteurs nouveaux et très variés, qui constituent une ressource d’actions possibles pour les architectes. La chaîne de production et de diffusion du cinéma a beaucoup de maillons, qui sont autant de possibilités d’actions pour l’architecte afin de rendre l’accès à la culture plus facile et de construire la ville. La filière de production du cinéma est une industrie, qui peut prendre différentes formes. L’enjeu pour l’architecte est de rendre flexible cette production afin de l’adapter à différentes situations et intégrer son fonctionnement à la vie citadine. Le cinéma est donc un levier programmatique : l’architecte peut alors renouveler l’usage de ces lieux, et d’explorer toutes ses potentialités. La ville créative et du loisir est devenue un domaine à repenser pour l’architecte pour redonner de l’attractivité à nos milieux de vie. L’enjeu est d’hybrider ces lieux de loisirs et de culture afin de créer des espaces ouverts sur la ville, où les usages connexes qu’ils proposent se dilatent dans le temps et dans l’espace. Au gré d’associations inédites et de rencontres fortuites entre programmes, de nouveaux lieux dans la ville vont pouvoir naître et stimuler l’attractivité de nos lieux de vie.
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BIBLIOGRAPHIE BARIKIN Amelia, No more stars (Star Wars) : Rä Di Martino, Adelaïde, Contemporary visual art+culture, broadsheet 43.1. 2014 Carpentier-Daubresse, Marine, Les Cinémas MK2 et le renouvellement des territoires de l’est parisien : la ZAC du Bassin de la Villette (19e) et la ZAC Paris Rive Gauche (13e), mémoire de Master 1 « Urbanisme et aménagement », Paris : Institut d’urbanisme de Paris. 2012. CLADEL Gérard, FEIGELSON Kristian, GEVAUDAN Jean Michel, LANDAIS Christian, SAUVAGET Daniel (dir.), Le cinéma dans la cité, Éditions du Felin, 2001.
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Jousse Thierry, Paquot Thierry (dir.), La ville au cinéma, Paris : Editions Cahiers du cinéma, 2005. MANSAT Pierre (Directeur de publication), Les Cahiers de la métropole, Hors série, Les imaginaires de la métropole créative, Celsa Paris Sorbonne. Mars 2014. Moschetti Julien Dessiner l’après-Babcock REGARDS Le journal de La Courneuve, N°383 du jeudi 23 mai au mercredi 5 juin 2013 ROESCH Stefan, The experiences of film location tourists, Bristol, Channel view publications, 2009
FILMOGRAPHIE EASTWOOD Clint, Gran Torino, 2008 GOSLING Ryan, Lost River, 2014 LYNCH David, Mulholland drive, 2001 Saga Star Wars (LUCAS George, KERSHNER Irvin MARQUAND Richard), de 1977 à 2005 MANN Michael, Collateral, 2004 Mitchell David Robert, It Follows, 2014 Refn Nicolas Winding, Drive, 2011 TILLON Florent, Détroit ville sauvage, 2010
Source 2.0 Brafman Nathalie, «Détroit prend le virage du cinéma» Le monde Amériques. Consulté en ligne le 14 mars 2015. http://www.lemonde.fr/acces-restreint/ameriques/article/2011/02/14/6a6969 9f6b666fc5946e636365996d_1479817_3222.html Carpentier-Daubresse Marine, «MK2, à la conquête de l’Est Parisien». Article consulté le 10 mai 2015. http://www.metropolitiques.eu/MK2-a-la-conquete-de-l-est.html GLINTON Sonari, «As Detroit Woos Hollywood, Opposition Mounts» Consulté en ligne le 16 février 2015 http://www.npr.org/2011/01/20/133086633/as-detroit-woos-hollywood-opposition-mounts Grésillon Boris «La culture comme alternative au déclin : mythe ou réalité ? Le cas des villes allemandes rétrécissantes». Consulté en lignele 16 février 2015 http://geocarrefour.revues.org/8305?lang=en MINGUANT Nolwenn «Les majors d’Hollywood : des gardes-barrières centenaires». Consulté en ligne le 4 mai 2015 http://www.inaglobal.fr/cinema/article/les-majors-dhollywood-des-gardesbarrieres-centenaires SANCHEZ Cecilia, SCHREIBER Yann, «Tout comprendre à la crise de Détroit.» Consulté le 5 mai 2015 https://ijsbergmagazine.com/hebdo/crise-a-detroit/article/13518-comprendre-crise-detroit/
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REMERCIEMENTS Je tiens à remercier mon directeur de mémoire Fredéric Guillaud d’avoir guider mon travail et d’avoir consacré du temps à mon mémoire. Je remercie également les enseignants qui ont participé à l’élaboration de son écriture, Stéphanie David, Florian Golay er Cécile Léonardi. Je remercie particulièrement mes parents qui me soutiennent dans mes études et savent me conseiller. Merci également à l’ensemble des étudiants de la promotion d’avoir fait que cette année soit bonne.
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LA VILLE RESSOURCE, mémoires 2014.2015 «L’effet Bilbao, une réalité sur un piédestal.» Camille Aze «L’interstice en milieu urbain dense, un potentiel de régénération sociale et culturelle.» Jordan Barnaud «Le périurbain, un territoire d’action: l’architecte face au patrimoine périurbain.» Antoine Baudy «Mutation des quartiers-gares, d’un lieu de passage à un lieu de vie.» Walid Belamri «Transmettre l’architecture en milieu scolaire, une démarche transversale.» Mélody Burté «Les stratégies ferroviaires dans la requalification urbaine.» Mathieu Cardinal «Le déjà-là, une trace du passé et un support physique pour les projets d’avenir.» Marystelle Coq «Postures d’architectes et démarche participative.» Pauline Dutraive «La reconversion et la redynamisation des friches industrielles à des fins culturelles : un enjeu de régénération urbaine.» Lola Duval «Des architectes aux parcours riches et variés: se réinventer à travers l’expérience du «collectif».» Siham El Kanaoui «Field-recording et migrations architecturales.» Jérémie Faivre «Le jardin domestique: De l’espace individuel fantasmé aux «Do-Tank» contemporains.» Quentin Guillaud «La crise, une opportunité de réinventer le métier d’architecte ?». Justine Guyard «L’urbanité du temps libre. L’influence des nouveaux rythmes de vies sur la construction du milieu urbain.» Kevin Mallejac «Territoires d’adultes, territoires d’enfants.» Alice Meybeck «Vie étudiante et implantation universitaire : la culture étudiante dépend-elle d’une certaine forme d’enclavement urbain ?» Colin Mickey «La mixité programmatique entre usages et paysages urbains.» Thi Thuy Quynh Nguyen «Les nouveaux eldorados urbains A la conquête des espaces alternatifs..» Valentin Poirson «Villes et industries du cinéma, des évolutions complémentaires.» Caroline Renaud «Cœur de village, cœur de vie. Le rôle de l’équipement multi-programmatique en milieu périurbain.» Hellen Elaine Sanchez Perales «Décors d’agriculture, Des corps d’agriculture.» Danil Vadsaria
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Le cinéma et la ville entretiennent des rapports à la fois étroits et complexes. Des villes studios aux ciné villes en passant par les espaces de diffusion du septième art, on pourra voir la singularité des dynamiques qui façonnent leurs évolutions communes. Ces deux entités se sont mutuellement nourries au fil de l’histoire. Le cinéma offre une fenêtre sur le monde par le biais de la salle de cinéma, et la ville supporte des histoires dont s’emparent les cinéastes. Au delà d’être un art, le cinéma est également une industrie créative qui participe à l’activité économique, culturelle et politique de la ville. Ainsi, on explorera les leviers d’actions liés au cinéma dont les architectes peuvent s’emparer pour penser la ville, en associations avec un panel d’acteurs variés.
CAROLINE RENAUD
Juin 2015 . Ecole Nationnale Supérieure d’Architecture de Grenoble Photo de couverture par Moloney Christopher. Planes, trains and automobiles.