Rapport d'étude 3ème année - ENSA Marseille - Célia Cadene

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Projet architectural et auto-construction La place de l’architecte au sein des projets auto-construits Rapport d’étude de licence

Célia

CADENE

Mémoire dirigé par Isabelle FASSE-CALVET



Les personnes qui construisent elles-mêmes leur maison ont tendance à être très courageuses. Ces gens sont curieux de la vie. Ils pensent à ce que cela signifie de vivre dans une maison, plutôt que d’acheter un produit et le faire fonctionner. Tom KUNDIG



Remerciements Je souhaite tout d’abord remercier Madame Isabelle Fasse-Calvet qui m’a accompagnée tout au long de ce travail. Ses sources et ses conseils m’ont permis d’élargir mes perspectives de recherches, afin de pousser toujours plus loin mes réflexions. Attentive à mon travail et impliquée, elle a su m’aider et m’aiguiller tout en respectant mes envies et mes orientations de recherches qui ont évolué au fil des semaines. Un grand merci va ensuite à ma famille proche, mes parents et mes sœurs, qui me soutiennent tous les jours dans mes études. Notre éducation, basée sur les valeurs du travail, l’effort et la récompense, cumulée à un sujet passionnant m’a donné envie de m’investir pleinement dans ce travail d’investigation, de recherche et d’écriture. Ils ont témoigné leur intérêt pour mon sujet en s’impliquant eux-mêmes (en m’accompagnant par exemple lors de quelques rencontres avec des auto-constructeurs ou en évoquant mon travail à des personnes susceptibles de m’aider grâce leurs connaissances ou leur profession.) Leurs remarques ont enrichi mon travail et m’ont poussée à approfondir des notions et des idées manquant parfois de précision. Je tiens également à remercier chaleureusement les huit auto-constructeurs qui m’ont accueillie chez eux et ont patiemment répondu à toutes mes questions à savoir Mme Carmeline Pires et Mr Vincent Macaine, Mr Gilles Savignac, Mr Guilhem Libourel, Mr Philippe Rames, Mr Stéphane Fournier et Mr et Mme Manolito. Leur intérêt m’a beaucoup touchée et leurs témoignages ont contribué très largement à enrichir ce mémoire d’exemples concrets, me permettant ainsi de vérifier certaines hypothèses et d’approfondir des notions auxquelles je n’avais pas pensé. Enfin un merci particulier aux professionnels et aux membres associatifs qui ont accepté de répondre à mes questions. Je pense notamment à un employé de l’association des Castors de Niort, à Annaïg Madec, très active au sein de l’association Botmobil ou encore à Claire Guyet, architecte et auteure du livre Quelle place pour l’architecte dans l’auto-construction ? Leurs engagements et de leurs motivations qui les poussent à côtoyer et aider des auto-constructeurs dans leur projet sont remarquables. Les entretiens téléphoniques ou les échanges par e-mail que j’ai pu effectuer avec eux m’ont permis de diversifier les témoignages des acteurs gravitant autour des projets auto-construits. Merci à tous pour votre implication et votre soutien.



Table des matières Citation............................................................................................................................................................3 Remerciements.............................................................................................................................................5 Tables des matières.......................................................................................................... ..........................7 Introduction......................................................................................................................... .......................11 Partie 1 : Etat des lieux général.................................................................................... .......................15 A. Crise du logement et habitat individuel : situation en France aujourd’hui..................................................................................................................................................................15 1. Crise du logement en France.............................................................................................................................................15

a. 21ème rapport sur l’état du mal-logement en France 2016...................................................................15 b. Raisons et explications...........................................................................................................................................17 2. Habitat individuel ou pavillonnaire, mode d’habiter préféré des français.......................................................19

a. Les avantages de l’habitat individuel................................................................................................................19 b. Les inconvénients de ce mode d’habiter....................................................................... .................................20 c. La place de l’architecte sur le marché du logement individuel............................. .................................20

B. Relations entre architectes et auto-constructeurs : ce qui existe déjà.............................21

1. Les Castors : pionniers de l’auto-construction.............................................................................. .............................21 a. Une alternative solidaire pour compléter les actions de l’Etat pendant la reconstruction.............................................................................................................................................................................22 b. Adhérents engagés, association ambitieuse..................................................................................23 c. L’architecte, trop peu présent...............................................................................................................23 2. Analyse de Claire Guyet : la place de l’architecte dans le domaine de l’autoconstruction depuis le début du 20ème siècle................................................................................................................24

a. Cinq postures possibles pour l’architecte.......................................................................................................25 b. Des degrés d’engagement différents de la part de l’architecte.............................................................28 c. Intérêts variés pour l’auto-constructeur...........................................................................................................29 3. L’écologie : la science susceptible de rapprocher auto-constructeurs et architectes..................................30

a. L’écologie comme touche personnelle ? Oui mais pas toujours !.........................................................30 b. L’écologie comme idéologie, porteuse de projet........................................................................................31 c. L’écologie comme outil de rentabilité énergétique et d’économie d’énergie...................................33 C. Une situation malgré tout favorable.............................................................................................34 1. Conjoncture économique...................................................................................................................34


2. Société de l’information : partage et diffusion des savoirs facilités...................................35 3. Débuts de la mobilisation nationale et réaction de l’Ordre des architectes......................................................................................................................................................................................36

Partie 2 : Concevoir et bâtir ensemble, une nécessité................................................................39 A. Les auto-constructeurs : des acteurs non-professionnels au cœur des réflexions et ouverts aux innovations...............................................................................................................39 1. Auto-constructeurs : qui sont-ils ?...................................................................................................................................39 a. Catégories socio-professionnelles très variées.............................................................................40 b. Professionnels engagés et bénévoles............................................................. .................................43 2. Entraide et union entre les auto-constructeurs eux-mêmes.................................................................................44

a. S’associer pour diminuer les coûts....................................................................................................................44

b. S’unir pour avoir plus de poids et de droits législativement et

administrativement...........................................................................................................................................................................................45

3. Conseils et perspectives.......................................................................................................................................................46

a. Quelques recommandations avant de s’engager....................................................... .................................46 b. Ce que pensent les auto-constructeurs quant à leur avenir : visions mitigées .................................47 B. Les artisans et entreprises : les détenteurs de savoirs techniques susceptibles d’aiguiller les auto-constructeurs.............................................................................................48 1. Industrialisation aujourd’hui synonyme de déqualification...................................................................................48

a. Perte des savoirs : spécialisation........................................................................................................................48 b. Déqualification sociale...........................................................................................................................................48 2. Artisanat français et industrie : une opportunité de partage des savoirs avec les autoconstructeurs................................................................................................................................................... .............................49

a. Valorisation des savoir-faire.................................................................................................................................49 b. Conseil et accompagnement sur le chantier.................................................................................................49 C. Les architectes : des professionnels de la conception et du suivi de chantier capables d’accompagner les auto-constructeurs sans altérer leurs convictions et objectifs...........................................................................................................................................50 1. L’architecte : un intermédiaire nécessaire......................................................................................................................51

a. Une place sans cesse remise en question.......................................................................................................51 b. Une responsabilité complexe : le rôle du médiateur..................................................................................51 2. Acteur du progrès : l’échange au cœur de nouvelles perspectives....................................................................52

a. Progrès techniques et expérimentations....................................................................... .................................52 b. Progrès législatifs.....................................................................................................................................................53


Partie 3 : L’architecte, un acteur possible de l’élaboration de solutions..............................55

A. Des solutions communes … complétées par des conseils individuels.............................55

1. Le système 3.55 de l’architecte Paul Quintrand..........................................................................................................55

a. Rationalisation et préfabrication au cœur du processus architectural et

constructif.............................................................................................................................................................................................................55

b. Participation des futurs habitants......................................................................................................................57

2. L’auto-constructeur libre mais accompagné................................................................................................................58

a. Une base commune.................................................................................................................................................58 b. Une liberté de conception et de construction conservée.........................................................................59

B. Des outils concrets pour mieux communiquer..........................................................................60

1. Des supports physiques.......................................................................................................................................................60

a. Des maquettes conceptuelles et représentatives de la réalité.............................. .................................60 b. L’imprimante 3D au service de la communication et de l’innovation.................................................61 2. Des supports virtuels ancrés dans la réalité.................................................................................................................63

a. Les technologies du numérique : des outils contemporains accessibles et de

plus en plus utilisés...........................................................................................................................................................................................63

b. La réalité augmentée : une plus-value.............................................................................................................64

C. Le temps du chantier...........................................................................................................................66

1. Pierre Bernard, un architecte attentif à la phase de réalisation............................................................................66 2. Auto-constructeurs et architectes : une collaboration sans faille de la conception à la livraison...........................................................................................................................................................................................67

a. Le chantier : une réappropriation de la technique......................................................................................67 b. Un contact direct et continu entre l’architecte et l’auto-constructeur.................................................67

Conclusion........................................................................................................................... ........................69 Notice bibliographique raisonnée......................................................................................................71 Iconographie...............................................................................................................................................75 Annexes.........................................................................................................................................................77



Introduction Avec des cartons, des draps tendus, des branchages, je construisais des cabanes étant petite. Elles représentaient l’expression matérielle d’un rêve : construire sa propre maison. Je l’imaginais en Lego, en Kapla, sur des feuilles. L’imagination débordante, cette maison de « quand je serai grande » ne cessait d’évoluer. Chaque nouveau dessin était l’occasion d’imaginer de nouveaux concepts : « ce serait une maison avec plein de couloirs, comme un labyrinthe… ou avec des escaliers et des toboggans pour relier les chambres … » Mais une fois que « nous sommes grands » ce plaisir enfantin nous quitte peu à peu. Lorsque vient le moment de s’engager dans l’aventure de la rénovation ou de la construction d’une maison pour accueillir sa famille, nous nous laissons plus ou moins porter et prendre en charge. Les évolutions de notre société contemporaine nous ont amenés à nous éloigner progressivement des réflexions et des tâches conceptuelles et constructives concernant notre futur habitat. L’acte est des plus anodins, un simple achat. Et pourtant, fabriquer de l’architecture n’est en aucun cas un acte innocent. C’est pourquoi certains ont choisi de prendre en main la conception et la construction de leur propre maison. Ils portent le nom d’auto-constructeurs. L’auto-construction est la réalisation totale ou partielle de la construction d’un bâtiment par des dilettantes.1 Plusieurs raisons peuvent être à l’origine d’un tel défi : la situation économique, une prise de conscience environnementale, la recherche d’un mode d’habiter plus personnalisé ou encore la crise du logement. Ce dernier argument n’est pas négligeable car en France les difficultés à se loger décemment ne cessent d’augmenter. Cela est dû à un déséquilibre entre l’offre et la demande régissant le marché du logement. Les ménages sont donc de plus en plus nombreux à opter pour cette solution qui, malgré des délais généralement plus longs, permet d’accéder à la propriété en réduisant considérablement les coûts. En 1943, le psychologue Abraham Maslow expose pour la première fois sa théorie sur la pyramide des besoins, parue dans l’article A Theory of Human Motivation2. Comme son nom l’indique, elle représente une classification hiérarchique des besoins humains, qu’il distingue en cinq catégories principales. L’architecture, de par ses spécificités, (insertion harmonieuse dans son environnement, respect des paysages naturels ou urbains, qualité des constructions, création architecturale, patrimoine préservé)3 est reconnue comme étant d’intérêt public et a pour fondement l’idée de répondre aux besoins de l’homme. En ce sens, l’architecture est à même de proposer sa propre interprétation de la pyramide de Maslow. La distinction des cinq étages des besoins humains de la pyramide est la suivante : - Les besoins physiologiques : boire, manger, dormir, se reproduire, respirer, se réchauffer etc. Ils doivent être satisfaits et l’architecture le permet en mettant dès son origine le feu au centre de l’aménagement. - Les besoins de sécurité : l’objectif premier de l’architecture est d’abriter les hommes des aléas climatiques, des prédateurs. Elle répond à ce besoin de sécurité physiquement, socialement et familialement. - Les besoins de reconnaissance sociale, d’intégration, d’appartenance : les spécificités 1 Définition tirée du livre de Claire Guyet, Quelle place pour l’architecte dans l’auto-construction ?, éditions Cosmografia, 2014 2 Abraham Maslow, « A Theory of Human Motivation », Psychological Review, no 50 - 1943 3 http://www.architectes.org/les-textes-r%C3%A9gissant-la-profession

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architecturales de chaque région, l’utilisation de tel ou tel matériau, sa mise en œuvre, les choix conceptuels etc sont autant d’éléments physiques et visibles qui vous confèrent un certain statut ou qui peuvent vous permettre de vous sentir plus ou moins proche de cultures, de traditions. - Les besoins d’estime, de prestige, de considération : l’architecture est un moyen, pour tout maître d’ouvrage d’attirer les regards et de s’assumer comme le propriétaire de tel bâtiment. - Les besoins d’accomplissement, de réalisation personnelle, de créativité : l’architecture est une expression de la culture et le reflet des personnalités. Cette lecture de la pyramide confirme que l’auto-construction répond en tout point aux besoins principaux de l’homme. Chaque argument est renforcé par l’idée de « faire soi-même», qui accentue et révèle naturellement les avantages psychologiques et physiques de l’autoconstruction. Mes études d’architecture m’ont amenée, et encore aujourd’hui, à me questionner sur la place de l’architecte dans notre société. Quel rôle avons-nous à jouer ? En m’interrogeant sur l’avenir de la profession, mon avenir, j’ai décidé de m’intéresser à la place de l’architecte au sein des projets auto-construits. Certains opposent l’idée de l’auto-construction à celle de l’intervention de l’architecte. Cette idée est fondée sur la confusion entre l’architecture vernaculaire et l’auto-construction. La première a été bâtie pendant des millénaires, sans professionnels. Elle représente un savoir culturel et des expériences partagées au fil des générations et découle d’une adaptation au climat et à des ressources naturelles. L’architecture auto-construite prend sa place quant à elle au sein des sociétés où l’on observe une industrialisation du domaine de la construction. L’intervention des professionnels n’est pas exclue et la participation des futurs usagers est plus ou moins importante. Ces usagers n’ont pour la plupart pas de formation professionnelles dans le domaine du bâtiment. Je me suis alors demandé comment les architectes et les entreprises pouvaient les accompagner dans leur projet sans altérer leurs deux principales motivations : les économies réalisées et la liberté de conception et de réalisation. Je tenterai à travers ce mémoire de répondre à la problématique suivante : La crise du logement en France étant l’une des préoccupations majeures des programmes politiques et sociaux depuis de nombreuses années, quelle place l’architecte peut-il prendre au sein des groupes d’acteurs dans le domaine de l’auto-construction, solution alternative trouvée pour accéder plus facilement à la propriété ? Quels sont les outils et les solutions qu’il peut amener aux auto-constructeurs, notamment en matière d’innovations technologiques et conceptuelles, afin de les accompagner de la phase de conception à la phase de réalisation de leur logement ? Pour répondre à cette problématique nous suivrons un déroulement en trois parties. Il s’agira tout d’abord d’établir un état des lieux de la situation actuelle de la France concernant la crise du logement et le mode d’habiter préféré des français représenté par le pavillon. Dans cette même partie, nous étudierons des exemples de collaboration passées entre les architectes et les auto-constructeurs ainsi que les raisons et les temps forts qui ont alimenté ce travail commun. Cette partie s’inspirera beaucoup des exemples évoqués par Claire Guyet, architecte s’intéressant à l’auto-construction. Nous nous attarderons ensuite sur le contexte économique global actuel à la fois favorable à l’auto-construction et paradoxalement difficile. Par la suite, nous détaillerons les avantages et les inconvénients que chaque acteur - 12 -


(comprendre les auto-constructeurs, les entreprises et artisans et les architectes) a à s’aventurer ou non dans des projets auto-construits tout en essayant de trouver des formes de collaboration entre eux. Enfin, la dernière partie clôturera ce développement en abordant les solutions et les outils de communication à la portée de l’architecte permettant d’accompagner et d’aider les auto-constructeurs dans leur projet. Pour cela, nous appuierons nos hypothèses sur le système 3.55 élaboré antérieurement par l’architecte Paul Quintrand. Puis nous nous attarderons sur quelques exemples d’innovation en matière de conception architecturale et de communication qui pourraient permettre à l’architecte de retrouver sa place de conseiller de conception auprès des auto-constructeurs. Enfin, nous essaierons de donner plus de valeur au temps du chantier en nous appuyant sur les dires de Pierre Bernard afin de mettre en valeur la richesse des collaborations et des innovations qu’il engendre. Pour finir je conclurai en assemblant tous les facteurs qui permettraient à l’architecte de s’engager auprès d’auto-constructeurs et ce, en étant bénéfique aux deux acteurs à la fois.

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Partie 1 : Etat des lieux général

A. Crise du logement et habitat individuel : situation en France aujourd’hui.

1. Crise du logement en France L’expression « crise du logement » apparaît lorsque le déséquilibre entre l’offre et la demande en matière de quantité de logements disponible sur le marché est important et engendre de réelles difficultés à se loger décemment pour les ménages et les familles. En France depuis trente ans, elle ne cesse de croître et elle représente un thème majeur des préoccupations politiques et sociales. Il ne s’agit pas ici de faire un rapport détaillé et complet de la situation française actuelle mais seulement d’en faire un résumé et d’en évoquer les raisons.

a. 21ème rapport sur l’état du mal-logement en France 2016

La Fondation Abbé-Pierre présentait le 28 Janvier 2016 son 21ème rapport sur l’état du mal-logement en France. Voici quelques chiffres qui nous renseignent sur la situation actuelle en France : - Personnes dites fragilisées4 :

4 http://www.fondation-abbe-pierre.fr/ : 21ème rapport sur le mal-logement en France 2016. (9) ENL 2013, calculs FAP. Il ne s’agit ici que des copropriétaires déclarant habiter dans une copropriété rencontrant des difficultés (impayés nombreux et fréquents, copropriété décrite comme fonctionnant très mal, absence de travaux d’entretien), et non des locataires. Cette définition n’est pas comparable à celle de l’édition précédente. (10) ENL 2013, calculs FAP. (11) ENL 2013. Calculs FAP. Personnes appartenant à des ménages des trois premiers déciles de niveau de vie auxquels manque une pièce par rapport à la norme de peuplement, à l’exclusion des ménages d’une personne. (12) ENL 2013, calculs FAP. En attendant qu’un décompte complet actualisé des personnes en précarité énergé- tique soit possible, il ne s’agit ici que des personnes appartenant aux trois premiers déciles de niveau de vie et déclarant avoir eu froid au cours de l’année pour des raisons liées à la précarité (privations financières, logement mal isolé ou mal chauffé). (13) ENL 2013, calculs FAP. Personnes subissant un taux d’effort net supérieur à 35 %, leur laissant un reste-à- vivre inférieur à 650 euros par mois et par UC.

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- Personnes mal logées5 :

Ces 3 798 000 personnes mal logées (privées de logement personnel ou vivant dans des conditions de logement très précaires) ainsi que celles « dites fragilisées » qui ont des difficultés financières à accéder à des logements décents pour eux et leur famille sont autant de personnes que l’auto-construction peut potentiellement intéresser. La France, 6ème puissance mondiale, ne peut se résoudre à annoncer incessamment comme objectif la construction de nouveaux logements, plus que nécessaires sans ne jamais l’atteindre. En France, la pauvreté et les inégalités se sont accrues fortement entre 2008 et 2014. En effet, en 2014, le nombre de pauvres a augmenté de 800 000 personnes, touchant ainsi 8.6 millions d’habitants, soit 14.2% de la population française (contre 13% en 2008).

5 http://www.fondation-abbe-pierre.fr/ : 21ème rapport sur le mal-logement en France 2016. SOURCES (1) Enquête Sans-domicile, Insee. Les sans-domiciles, au sens de cette enquête, peuvent être sans abri, en habitation de fortune, en hébergement collectif, à l’hôtel, en CADA ou hébergés dans un logement associatif. (2) ENL 2013, calculs FAP. (3) Recensement de la population 2006. Certaines personnes en habitations de fortune sont également comptées parmi les sansdomiciles. (4) ENL 2013, calculs FAP. Ce groupe comprend un noyau dur (personnes de 17 à 59 ans hébergées par des personnes sans lien de parenté direct, qui n’ont pas les moyens de décohabiter) ainsi que les plus de 25 ans contraints, après une période de logement autonome, de revenir habiter chez leurs parents ou grands-parents faute de logement autonome, et les personnes de plus de 60 ans hébergées chez un tiers sans lien de parenté direct. À ce périmètre, semblable à celui des éditions précédentes défini par l’Insee, sont ajoutés les enfants non-étudiants de plus de 25 ans chez leurs parents qui n’ont encore jamais décohabité, souhaiteraient le faire mais n’en ont pas les moyens. (5) ENL 2013, calculs FAP. Comprend les logements remplissant au moins un de ces critères : pas d’eau courante, douche, WC intérieur, coin cuisine, ou moyen de chauffage ou façade très dégradée. Notre définition de la privation de confort a évolué et n’est pas comparable à celle de l’édition précédente. (6) ENL 2013. Ménages auxquels manquent deux pièces par rapport à la norme de peuplement. La norme de peuplement est la suivante : - une pièce de séjour pour le ménage ; - une pièce pour chaque couple ; - une pièce pour les célibataires de 19 ans et plus ; - et, pour les célibataires de moins de 19 ans : une pièce pour deux enfants s’ils sont de même sexe ou s’ils ont moins de sept ans ; sinon, une pièce par enfant. (7) Ministère du Logement, calculs FAP. Ce chiffre correspond au nombre de places d’aires d’accueil manquant fin 2013 par rapport aux objectifs des schémas départementaux (12 908), en comptant en moyenne 4 personnes par famille. (8) Cilpi. Résidents déclarés des foyers de travailleurs migrants en attente de traitement.

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Le taux d’effort6 permet de mesurer l’importance de l’extrême-pauvreté. Cet indicateur permet de mesurer l’importance de la dépense liée à l’occupation du logement sur le budget des ménages et le pouvoir « solvabilisateur » des aides.7 En France, le taux d’effort moyen est de 27% soit environ 445 euros par mois et par unité de consommation.8 Ainsi, 2.3 millions de personnes en 2012 étaient considérées comme en extrême-pauvreté, c’est-à-dire qu’elles avaient un taux d’effort de 35% et jusqu’à 40% (soit 660 euros par mois et par unité de consommation). Elles ont alors contribué à l’augmentation sans précédent de 69% des personnes dans cette situation immodérée sur les dix dernières années.9

L’effort financier des ménages en 2013 selon l’Insee :

b. Raisons et explications

Plusieurs facteurs sont à l’origine de cette situation. En premier lieu, on retrouve l’augmentation des prix des logements. Se loger représente désormais le premier poste de dépense des ménages, accaparant plus de 20% de leurs revenus (et plus de 35% pour les ménages les plus pauvres comme dit précédemment). De plus, selon la Fondation Concorde 10 qui s’appuie sur les recherches de l’économiste Jacques Friggit, les loyers auraient doublé par rapport aux revenus des locataires depuis 1970. En outre, les demandes de logements sociaux sont de plus en plus nombreuses et donc l’attente de plus en plus longue. A Paris, le temps moyen pour bénéficier d’un logement social est estimé entre 8 et 10 ans. En 2006 ils étaient 1.2 millions à réclamer cette aide, contre plus de 1.7 million en 2012. Néanmoins, il faut préciser que les logements sont en moyenne plus grands et mieux équipés aujourd’hui.

6 Il est égal au rapport entre la dépense en logement d’un ménage et son revenu. Le taux d’effort est dit « net » si l’aide au logement perçue par le ménage est déduite de la dépense de logement et « brut » dans le cas contraire. Le revenu inclut les revenus d’activité professionnelle salariée ou non salariée, les revenus de remplacements (indemnités maladie et chômage), les retraites et pré-retraites, les prestations sociales et familiales, et les revenus du patrimoine financier. 7 Définition de l’insee : http://www.insee.fr/

8 Système de pondération attribuant un coefficient à chaque membre du ménage et permettant de comparer les niveaux de vie de ménages de tailles ou de compositions différentes. Avec cette pondération, le nombre de personnes est ramené à un nombre d’unités de consommation (UC). Source : http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/unite-consommation.htm 9 http://www.fondation-abbe-pierre.fr/ : 21ème rapport sur le mal-logement en France 2016.

10 La Fondation Concorde est un think-tank indépendant et ouvert, ou groupe de réflexion, dont la particularité est de faire travailler ensemble universitaires, experts, hommes et femmes d’entreprise. Des spécialistes de différents domaines s’y rencontrent et participent au débat en élaborant des propositions qui sont transmises aux décideurs politiques. Avec plus de 2500 membres, la Fondation Concorde joue un rôle de stimulation sur le plan des idées. Elle est indépendante de tout parti politique et est financée par des dons et cotisations de personnes physiques et morales.

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Cette hausse des demandes s’explique par des facteurs multiples : - Les facteurs financiers d’abord, et notamment les taux d’intérêt très bas ou bien l’allongement de la durée des prêts. La crise économique a gelé les dépenses et la consommation des ménages. - Les facteurs démographiques ensuite. La taille des ménages a diminué : en effet, de plus en plus de personnes vivent seules, surtout en début et fin de vie, les familles sont réduites au simple noyau nucléaire11 durant le cycle de la vie familiale, le poids des familles monoparentales augmente et les ménages collectifs sont aussi en augmentation. Ainsi, en France six ménages sur dix sont composés de une à deux personnes (entre 1980 et 2000 le nombre de personnes par ménage est passé en moyenne de 2.8 à 2.6).12 Le vieillissement démographique et la sousestimation des flux migratoires contribuent également à l’accroissement de la demande de logements. En second lieu, on peut s’intéresser à la pénurie de logements et à la quantité insuffisante de logements construits en France chaque année. En effet, faute d’anticipation et de pilotage, la construction n’arrive pas à rattraper son retard de façon à pallier à ce manque croissant et inquiétant d’habitats décents. Or pour réussir à construire plus, il faudrait commencer par savoir où construire. Pour cela, l’Etat français doit évaluer les besoins pour chaque département voire pour chaque commune en matière de logement et non se contenter d’une estimation globale sur l’ensemble du territoire français. Pour combler ce déficit, 150 000 logements sociaux étaient attendus en 2015 mais seuls 109 000 ont été financés et à peine plus de 700 logements très sociaux (les « PLAI adaptés » ou Prêts locatifs aidés d’intégration) ont été construits alors que 3 000 étaient promis. L’Ile-de-France est la zone la plus touchée par la pénurie de logements. Paradoxalement, les ventes de logements sont peu nombreuses ce qui s’explique par les prix élevés (augmentation des charges foncières et des coûts de construction), par la crise économique qui a affecté la solvabilité des ménages, l’aptitude des banques à autoriser les prêts et la capacité de l’Etat à soutenir le marché.13 Nous pouvons également citer la crise énergétique qui touche l’ensemble de la planète. En effet, depuis plusieurs années maintenant, une prise de conscience renverse les façons de penser : les préoccupations environnementales et écologiques sont au cœur des discussions politiques. Les ressources en énergies fossiles et en gaz ne sont pas inépuisables et l’âge des centrales nucléaires françaises affolent les spécialistes qui redoutent des catastrophes semblables à celles de Fukushima ou de Tchernobyl. Faute d’entretien et de remplacement de ces centrales, les accidents sont susceptibles d’être plus fréquents. Ainsi, à l’échelle de la population, cela entraîne une augmentation du prix des énergies et certains ménages sont contraints de fortement diminuer leur consommation pour des raisons économiques. Cette précarité énergétique peut être dangereuse pour les personnes fragiles (enfants et personnes âgées notamment) et elle est malheureusement très fréquente en France (cf tableau résumé de la Fondation Abbé-Pierre, détail n°12, page 15)

11 Guillaume Le Play détermine en 1871 trois grands types de famille : la famille nucléaire (parents et enfants avec partage successoral égalitaire), la famille souche (trois générations dans le foyer, partage inégal, fils ainé prioritaire) et la famille communautaire (tout le monde sous le même toit, partage successoral égalitaire)

12 Muriel Girard, professeur de sociologie à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille. Cours « Famille et logement ». 13 Rapport « Répondre à la crise du logement » de la Fondation Concorde

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Pour toutes ces raisons, la crise du logement renforce les inégalités sociales et engendre de nombreuses fractures territoriales, sociales et générationnelles. La ségrégation14 est renforcée et la gentrification15 devient un phénomène courant dans les centre-villes. C’est pourquoi, certaines personnes ont décidé de se tourner vers l’auto-construction de façon à offrir à leur famille et à elles-mêmes un logement décent et même agréable. Ce genre d’initiative est essentiellement engagé en zone rurale et pour un projet de maison individuelle, même si certains architectes, comme Marion Serre travaille et expérimente un modèle de yourte en zone urbaine délaissée.

2. Habitat individuel ou pavillonnaire, mode d’habiter préféré des français Pour Marion Segaud, sociologue française spécialisée dans les domaines de l’espace et de l’urbain, « habiter c’est, dans un espace et un temps donnés, tracer un rapport au territoire en lui attribuant des qualités qui permettent à chacun de s’y identifier ». Cette définition est complétée par celle de Jacques Fijalkow, psychologue : pour lui, « habiter est l’action qui regroupe l’ensemble des liens noués autour du logement tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du logis ». Le chez-soi a des caractéristiques symboliques et identitaires : il affirme une position sociale, un rôle à tenir, un statut. C’est ensuite par l’appropriation que les habitants adaptent leur espace à leur façon de voir et de faire les choses. L’habitat individuel apparaît comme le mode le plus adapté à une appropriation totale. Nous allons donc voir en détails les avantages et inconvénients liés à ce mode d’habiter.16

a. Les avantages de l’habitat individuel

Adopté d’abord par les classes aisées, ce mode d’habiter s’étend à toutes les classes sociales au 20ème siècle. Il porte un projet éducatif : faire grandir les enfants « à l’air pur » et fuir ainsi les banlieues. Il représente l’image de l’habitat rêvé car c’est une forme d’aboutissement personnel en France. Accéder à la propriété sous la forme d’un habitat individuel, pavillonnaire ou non est un des facteurs de réussite sociale. Depuis les années 1960, décennie de la reconstruction, l’attrait pour le pavillon est sans précédent. De plus, il matérialise grâce à sa transcription spatiale le modèle culturel basé sur la famille. Il permet de mettre en œuvre cet archétype culturel, s’avérant moins contraignant que l’habitat collectif. Cette conception architecturale permet une maîtrise du chez-soi et de l’intime aux habitants. Elle est aimée par toutes les générations et à toutes les époques, car elle donne la possibilité d’aménager librement l’espace. La maison individuelle répond par sa taille et sa plasticité aux nouvelles attentes suscitées par les changements de la vie domestique. De plus, elle procure à ses habitants un sentiment de sécurité, car dans la majeure partie des cas, le terrain est clôturé.

14 Définition de la sociologue de l’urbain Maïté Clavel : « Concentration spatiale durable, imposée par des décisions politiques ou par des mécanismes économiques, d’une population homogène, le plus souvent modeste ou pauvre, ce qui contribue à sa désignation et souvent à sa stigmatisation. (…) La ségrégation concerne des groupes mis à l’écart en tant que groupe et la séparation est acceptée ou voulue par le groupe majoritaire. » 15 Définition de la géographe Ruth Glass : « Processus à travers lequel des ménages issus de classes moyennes et aisées s’installent dans les vieux quartiers populaires du centre-ville, les réhabilitent et remplacent les anciens habitants moins aisés progressivement.»

16 Partie qui s’appuie largement sur le cours « Pavillonnaires et modes d’habiter périurbains » de Muriel Girard, professeur de sociologie à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille

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Enfin, le jardin est un des éléments les plus importants, car c’est un lieu de liberté extérieur appropriable que l’on ne retrouve pas dans le collectif. Au sein de l’agence Elemental, l’architecte Alejandro Aravena, prix Pritzker 2016, prouve à travers son dispositif de construction « ouvert » qu’il est possible de construire à bas prix, pour des centaines de personnes des logements individuels et personnalisés. Le concept est simple : une partie de la maison est réalisée et les habitants sont ensuite libre de la compléter au fur et à mesure du temps et des moyens dont ils disposent. Ainsi, le bien est amené à gagner de la valeur. Ce concept permet donc la stimulation de la construction sociale et l’élévation du niveau de vie au Chili. Concernant les pratiques des périurbains, elles s’avèrent être différentes même au sein d’une même famille. En termes de mobilité, les itinéraires résidentiels sont variés et on observe également une certaine mixité sociale.

b. Les inconvénients de ce mode d’habiter

Bien qu’ayant de nombreux points forts quant à la manière d’habiter qu’il induit, l’habitat individuel reste très critiqué par les architectes et les urbanistes car il n’engendre pas, à première vue, de rapport avec la société et semble être la matérialisation d’un repli sur soi. En outre, ce mode d’habiter s’avère être en décalage avec les enjeux actuels sur bien des points. Il engendre par exemple une forte dépendance à l’automobile, un désordre des zones construites dans les périurbains méridionaux et une utilisation excessive des sols, appelée aussi étalement urbain. Une densité faible entraîne donc l’isolation géographique des habitants ainsi qu’un fort développement des réseaux qui provoquent une consommation d’énergie très importante, à l’heure où celle-ci doit être gérée avec la plus grande attention. Finalement, ce sont autant de facteurs induits qui semblent inadaptés au contexte actuel qui prône le développement durable dans tous les domaines de l’industrie et du bâtiment. L’Etat, quant à lui, joue un rôle important : il ne s’y oppose pas mais il veut en contrôler le développement. Il a par exemple essayé de mettre en place des modèles basée sur l’idée de village, avec des maisons accolées les unes aux autres et avec des espaces communs mais en s’imposant aux habitants, cela a été un relatif échec. Ils ne rêvaient pas de ça, ils voulaient être libres de transformer ou de clôturer leur environnement à leur guise. En revanche, depuis les années 60, l’Etat a mis en place les « aides à la pierre », qui permettent par exemple d’avoir droit à des investissements à taux zéro, afin de faciliter l’accès à la propriété. Mais cela a causé l’endettement de certains ménages.

c. La place de l’architecte sur le marché du logement individuel

« En 2005, comme en 2004, l’activité des architectes a été portée par le logement avec 17% d’accroissement du montant des travaux contrôlés par les architectes (FFB : +9,7%). Dans la construction non résidentielle, la croissance est +8,4% (FFB : +3,9%). Le taux de pénétration des architectes dans ce secteur d’activité atteint 51,2%, niveau inégalé depuis 1991. La part relative du marché de la maison individuelle revenant aux architectes reste toutefois très faible. »17

17 http://www.architectes.org/la-profession-en-chiffres-0

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Cette part faible s’explique surtout par le fait que le recours à un architecte pour concevoir une maison individuelle n’est pas forcément obligatoire. Deux cas se distinguent pour lesquels il est indispensable de faire appel aux services d’un architecte concernant une maison individuelle : Pour une construction de plus de 170m² (95% des maisons individuelles en France n’ont pas été conçues par des architectes) Pour une construction située dans un site classé ou si cela concerne une rénovation d’un bâtiment historique. Beaucoup de personnes pensent y gagner en économisant le coût de la conception et du suivi de chantier. Certes d’un point de vue financier, c’est le cas. En revanche, faire l’économie de l’architecte signifie se priver de conseils individualisés et de savoirs professionnels en matière de conception architecturale.

La principale motivation pour l’auto-constructeur est l’aspect financier. Il fait donc en principe partie des classes sociales modestes (bien qu’il en existe un certain nombre pour qui l’auto-construction est une évidence et un choix éthique plus qu’un choix contraint forcément par le manque d’argent). S’installer en milieu rural ou périurbain afin de construire sa maison lui permet donc d’économiser sur le prix du terrain en fuyant la pression foncière exercée sur les centres urbains et sur la main d’œuvre. De plus, le mode d’habiter individuel correspond à la pratique de l’auto-construction car il est difficile de mener un projet collectif avec comme base cette façon de construire. L’habitat participatif est un exemple de collaboration entre habitants autour d’un projet commun, au centre duquel l’architecte est non seulement le concepteur mais aussi le médiateur. Cette solution alternative est intéressante mais elle semble difficile à mener en auto-construction.

B. Relations entre architectes et auto-constructeurs : ce qui existe déjà.

Maintenant que nous avons étudié les raisons qui poussent à l’auto-construction, nous allons voir sous quelles formes les auto-constructeurs et les architectes ont travaillé ensemble et collaboré par le passé.

1. Les Castors : pionniers de l’auto-construction « Le Castor est un mal logé qui opte pour la seule formule de construction qui lui permet de loger les siens et n’a que son travail à offrir pour remplacer l’apport initial financier qui est demandé dans n’importe quel organisme faisant de l’accession à la propriété »18

18 Ecomusée de Fresnes, Dossier d’exposition, La Peupleraie, une cité dans la ville, 1995, cite par GAUDIN, Pierre, en collaboration avec CARDOSO, Isabel, La maison que Pierre a bâtie, Cinq autoconstructeurs, Creaphis, 2004, Grane (26)

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a. Une alternative solidaire pour compléter les actions de l’Etat pendant la reconstruction

Bien que la France fasse partie des vainqueurs de la Seconde Guerre Mondiale, le bilan de ses pertes humaines et matérielles est sans précédent. L’Etat lance alors un vaste programme de reconstruction d’abord puis de construction ensuite de logements, d’infrastructures de transport et de production. Des milliers de personnes sont à la rue ou mal logées et traumatisées, il est nécessaire d’agir rapidement pour avancer vers le futur, avec un esprit nouveau et positif. Mais cette politique de l’Etat n’est pas suffisante, c’est pourquoi de nombreuses solutions alternatives voient le jour dans les années 1950 : parmi elles, la plus connue et la plus représentative par son ampleur est le mouvement Castors. C’est une association sous la loi du 1er juillet 1901 dont l’objet est de mettre en commun de façon permanente des compétences et des moyens au service d’un projet dans un but non lucratif. Le premier chantier conséquent commence en 1948 à Pessac dans la Gironde, mais il faut attendre 1950 pour que l’Union Nationale des Castors (UNC) soit fondée en Bretagne. Sa création permet de conseiller dans différents domaines (administratif, juridique, financier, technique) les différentes associations de Castors. Les initiateurs de ce projet sont d’origines diverses : associations de mal logés, comités d’entreprise, territorialités locales etc. De nos jours ce sont « Les Castors de l’Ouest » qui sont les plus nombreux et les plus actifs. Le système est simple et fonctionne selon le principe de l’apport-travail comme garantie d’emprunt immobilier. Ce principe est reconnu officiellement suite à une rencontre en mars 1951 entre le MRU (Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme) et l’UNC. C’est Eugène Claudius-Petit en personne qui autorise l’emploi de la formulation « Castor » dans la législation HLM. Etienne Damoran, prêtre ouvrier initiateur du mouvement, s’exprime sur cette reconnaissance officielle plusieurs années plus tard, lors de l’homélie du 40ème anniversaire de la cité des Castors de Pessac. Ses mots sont les suivants : « Ce qui me paraît la révolution principale, essentielle … C’est que, pour la première fois, dans une société où l’argent est roi, et où l’on ne prête qu’aux riches … Pour la première fois, l’Etat français a accepté qu’un emprunt soit garanti, non pas par des biens matériels, ou par des capitaux, mais par du travail ! C’est la victoire la plus importante de notre mouvement ! La reconnaissance de la priorité du travail. » En juin 1954 est créée la Confédération Française des Unions de Castors (CFUC). C’est la preuve d’une réelle ambition de la part du mouvement mais ce dernier diminue lorsque l’Etat lance le programme des grands ensembles ; la CFUC est dissoute en mai 1955. Suite à cela, l’association s’oriente beaucoup plus vers la construction d’habitats individuels.

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b. Des adhérents engagés, une association ambitieuse

A leurs débuts, les différentes associations de Castors demandent à chacun des adhérents de s’engager auprès de l’association : « Je donnerai au moins 2 000 heures de mon temps de repos et de loisirs à l’association pour contribuer à la construction d’habitations familiales groupées sur un terrain que nous octroie l’administration dans le cadre des aides à la reconstruction. En contrepartie, je deviendrai pleinement propriétaire d’une des maisons que nous aurons construites, et elle sera choisie par la main innocente de l’un de nos enfants par tirage au sort lors du très grand repas de fête qui couronnera nos efforts de bâtisseurs et inaugurera notre nouvelle vie confortable dans notre citée Castors ».19 Le fonctionnement repose donc sur l’entraide dans un principe immuable d’autoconstruction. En s’engageant ainsi, le Castor se distingue de l’auto-constructeur spontané qui travaille seul. Il est dans l’obligation de tenir ses engagements en accord avec les conditions d’adhérence de l’association. (Souscrire à une assurance, fournir un nombre d’heures déterminé à l’avance etc) De nos jours, les auto-constructeurs doivent payer un droit d’entrée (environ 50 euros + 53 euros la première année) pour prétendre à recevoir leur carte d’adhérent. Les bénévoles et employés des Castors de l’Ouest ont largement diversifié leurs services : - ils permettent à leurs adhérents d’avoir des prix réduits et de négocier les tarifs auprès des fournisseurs de matériaux - ils mettent en relation adhérents et artisans - ils permettent de louer du matériel à des prix associatifs - les « Castors magazines » sont à la disposition des souscripteurs et les équipes Castors sont là pour donner des conseils lors des achats - une assurance auto-construction Castors a été négociée pour les adhérents - les Castors comme les futurs auto-constructeurs sont conviés chaque année au salon des Castors, durant lequel conseils, astuces, bons plans et contacts sont échangés.20 Grâce à cet accompagnement personnel, les adhérents sont de plus en plus nombreux. Aujourd’hui ils sont plus de 25 000 à avoir recours à leurs services dans les 22 agences.

c. L’architecte, trop peu présent

Comme il est dit souvent « l’union fait la force » et les associations Castors le prouvent chaque année, grâce à leur soutien et leurs bons plans, en permettant à des dizaines de familles de réduire considérablement les coûts de leur construction et en accédant ainsi à la propriété, leur rêve à tous. En revanche, après avoir discuté avec un employé de l’agence de Niort, ce dernier m’a expliqué que le recours aux services d’un architecte n’est quasiment jamais plébiscité. Les

19 http://www.castorsouest.eu/joomla-fr/jce/qui-sommes-nous/depuis-1950-une-histoire-formidable 20 http://www.castorsouest.eu/joomla-fr/jce/qui-sommes-nous/les-services-castors

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Castors proposent un accompagnement technique, s’apparentant aux missions de la maîtrise d’œuvre : avant-projet donc conception des plans et dépôt du permis de construire, projet soit devis et métrés de tous les corps d’état et chantier regroupant le suivi, la consultation des artisans, la préparation des réunions etc. Toutes les agences ne proposent pas autant de services en matière de conception et de suivi de chantier. Cette absence de l’architecte au sein de tels projets s’explique par différentes raisons. La première est le temps : en effet, très peu d’architectes s’engagent bénévolement dans des associations d’auto-constructeurs car cela exige beaucoup de temps consacré aux membres. De plus, aucun intérêt financier justifie tout ce temps passé car il est impossible pour les architectes de faire de la conception, de coordonner ou de contrôler la bonne exécution des travaux bénévolement ou sans contrat. La principale mission de l’architecte en tant que bénévole est donc le conseil. Il ne porte alors aucune responsabilité juridique et de cette façon, il n’entre pas en concurrence avec ses propres intérêts ou avec ses confrères. En retour, devenir membre des Castors permet de rencontrer des architectes bénévoles, même si comme dit précédemment, ils sont peu nombreux. L’association est donc un outil de promotion pour ces professionnels. Par contre, si les auto-constructeurs choisissent d’engager un architecte, ce qui suit ne dépend plus de l’association. Actuellement en France, c’est par le biais des associations que les auto-constructeurs trouvent le plus de soutien. L’idée est de se regrouper autour d’intérêts communs pour s’entraider, se conseiller et échanger. Les différentes associations de Castors se sont associées afin d’avoir un impact national plus important.

Ce qui apparaît donc c’est que l’architecte a une place à prendre aux côtés des autoconstructeurs. Il est libre de choisir son degré d’engagement et les causes qu’il souhaite défendre. Le conseil est bien sûr déjà une aide précieuse pour ces personnes qui n’appartiennent pas forcément professionnellement au monde du bâtiment et qui se lancent dans le défi de leur vie. Mais si l’architecte est si peu présent aux côtés des auto-constructeurs c’est que ces derniers ne considèrent pas sa participation indispensable. Ce qu’ils voient en premier lieu est l’économie d’argent qu’ils font en se passant de ses services. Cela nous amène donc à nous pencher sur les exemples variés de projets auto-construits, auxquels les architectes ont participé. Pour cela, nous allons nous intéresser aux exemples étudiés par Claire Guyet, architecte. Celle-ci classe en cinq catégories différentes les architectes s’intéressant et s’impliquant dans des projets autoconstruits en fonction de leurs degrés d’engagement.

2. Analyse de Claire Guyet : la place de l’architecte dans le domaine de l’autoconstruction depuis le début du 20ème siècle Claire Guyet, architecte diplômée d’état depuis 2010 a participé à différents chantiers d’auto-construction. Elle s’interroge sans cesse sur les fondements d’une architecture engagée, durable et sociale ainsi que sur le rôle que peut avoir l’architecte dans des projets de conception architecturale et de pratiques constructives peu communes dont l’engouement est croissant auprès du grand public. En phase avec le contexte actuel elle a pris conscience de l’importance de développer des solutions alternatives à la production de masse. - 24 -


a. Cinq postures possibles pour l’architecte

Dans son tout premier livre21, dans lequel elle interroge la place de l’architecte dans les processus d’auto-construction, elle dresse une liste de cinq démarches dans lesquelles les professionnels (comprendre les architectes) ont la possibilité de rencontrer les amateurs (ou les auto-constructeurs) en architecture22 : - Lorsqu’ils observent et analysent les pratiques auto-constructives : les théoriciens Parmi eux, Claire Guyet nomme notamment Lloyd Kahn, journaliste et éditeur américain qui a publié plusieurs ouvrages dont Shelter (1973) ou Homework (2004) dans lesquels sont proposées des formes de constructions alternatives et qui ont été établies à partir de témoignages d’auto-constructeurs. L’auteur cite également Pierre-Gilles Bellin, entrepreneur français et auteur de plusieurs ouvrages dont L’auto-écoconstruction, qui présentent des astuces pour construire soi-même en s’appuyant sur des exemples concrets. Leur travail est une base de réflexion et fait office de référence. Chaque théoricien s’adresse à un public plus ou moins professionnel mais tous ont la volonté d’être compréhensibles et accessibles. La question de la diffusion est primordiale pour avoir accès autant aux savoirs en tant que professionnel qu’en tant qu’amateur. - Quand ils vendent de simples plans : les vendeurs de plan En 1960 la Yurt Foundation, une communauté éducative, est créée par William Coperthwaite, constructeur et designer américain. Celle-ci vit de la vente des plans de yourtes sédentaires que Mr Coperthwaite a imaginées pour une auto-construction rapide et adaptable. Plusieurs modèles existent avec des surfaces plus ou moins grandes. Les prix pratiqués sont très bas, de 25 dollars pour les plus basiques (3m, 3.6m ou 5.1m de diamètre) à 75 dollars pour la yourte familiale (16.20m de diamètre).

Fig 1 : Coperthwaite William. 2007 “Dickinson’s Reach, Buck’s Harbor, Maine in a Handmade life”, Photographie. En ligne In Yurt foundation : http://www.yurtinfo.orgthe-yurt-foundation

21 Claire Guyet, Quelle place pour l’architecte dans l’auto-construction ?, éditions Cosmografia, 2014 22 Introduction du livre de Claire Guyet cité en note numéro 21

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Dans la même idée peut être nommé le réseau international Tiny House (cf annexes 1) qui regroupe les amateurs d’auto-construction, aussi bien les bricoleurs que les architectes ou les techniciens, curieux de l’habitat minimum et de sa mise en œuvre. Il donne la possibilité d’acheter des plans et des notices et les actions sont diverses (rencontres, chantiers participatifs, stages etc) pour toujours apprendre sur les techniques professionnelles de domaines différents d’artisanat. Ils mettent à disposition des auto-constructeurs une base sûre et solide et l’aspect technique est traité de façon à transmettre un dessin précis à réaliser. L’échelle de détail du dessin permet de laisser plus ou moins de place à l’imagination. En revanche, pour les deux exemples, une simple « notice » est vendue, le concepteur n’est pas responsable du chantier et aucune expertise n’est présentée pour sécuriser la vente des plans. De plus, l’acheteur doit être conscient que ces plans sont une simple base qu’il faut adapter au contexte afin qu’il puisse estimer ses besoins et surtout ses compétences.

Fig 2 : Représentation schématique d’une Tiny House. En ligne In Tiny House France : http://tinyhousefrance.org/ plan-detaille-1/

- S’ils travaillent à la création d’architectures préfabriquées qui facilitent l’autoconstruction : les concepteurs de kit Le kit de construction est un ensemble de pièces détachées vendues avec un plan de montage que le client assemble lui-même. Les exemples qui font référence ici sont deux entreprises : Modulex et Domespace (annexe 2). Elles conçoivent des modèles adaptables à chaque projet d’auto-construction et elles laissent le client choisir son investissement sur le chantier. De plus elles proposent les services d’un architecte pour adapter le bâtiment au terrain et organiser l’aménagement intérieur en fonction des souhaits du client. - 26 -


Fig 3 : Patrick Frydman, 2014. « Une maison Domespace de 116m² habitables ». Photographie. En ligne In Domespace : http://www.domespace.com/gal_domespace/decouvrez_domespace/index

Fig 4 : Patrick Frydman, « Plans de rez-de-chaussée et de l’étage d’une maison Domespace ». Documents graphiques. En ligne In Maisons Domespace – Réalisation, site personnel de Patrick Frydman : http://www.patrick-frydman.com/ Domespace_Plans/8303.html

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- En rejoignant une association d’aide aux auto-constructeurs : les membres associatifs Nous nous sommes déjà intéressés précédemment aux Castors, intéressons-nous maintenant à l’association Botmobil.23 Créée en avril 2006, elle accompagne et aide les autoconstructeurs à apprendre la mise en œuvre de la construction en paille et en terre. Pour cela, elle organise des chantiers participatifs encadrés par des professionnels, où l’échange, les rencontres et la coopération sont les moteurs de l’expérience. Des associations de cette sorte sont de plus en plus nombreuses en France, allant de pair avec la demande, toujours plus importante. - S’ils s’investissent dans des actions humanitaires qui veillent à la participation des futurs usagers : les humanitaires. S’engager auprès des plus démunis pour leur apporter connaissances et savoir-faire : quel acte admirable ! Les deux associations Architectes Sans Frontières et Architectes de l’urgence sont nées afin d’aider, à l’échelle internationale, les populations victimes de très grande pauvreté, de catastrophes naturelles ou de guerre. Le but est un échange de connaissances temporaires qui doit conduire à l’indépendance de la population aidée, et ce avec des moyens très réduits. L’auto-construction apparaît donc comme le mode opératoire indubitable. La population doit être consultée et impliquée de façon à ce que l’appropriation et l’acceptation de son nouvel habitat soit optimale.

b. Des degrés d’engagement différents de la part de l’architecte

L’architecte peut choisir de se « contenter » de transmettre des savoirs et de promouvoir telle ou telle architecture ou façons de concevoir et de réaliser, ce qui est déjà une action louable. Les théoriciens sont de véritables chercheurs mais ils laissent l’expérimentation aux autres. Néanmoins, l’architecte a le potentiel et les compétences pour fournir un « pack » contenant les documents nécessaires à la réalisation de la maison des auto-constructeurs. Il est le concepteur dont le travail accompagne le client et le suit tout au long du chantier. L’architecte peut choisir ou non de rester disponible et joignable pour conseiller et aider à la compréhension des documents techniques et d’assurer la direction et le suivi de chantier. Le domaine du kit, quant à lui donne la possibilité de travailler ou non avec l’architecte. Ce dernier est à l’origine de la création des modèles mais ensuite il n’est qu’un maillon dont l’autoconstructeur décide de se servir ou pas. En principe, les auto-constructeurs les plus bricoleurs préfèrent s’en passer et ainsi réaliser des économies. L’indépendance est donc laissée mais l’accompagnement est également possible. Au sein des associations qui aident les auto-constructeurs, l’architecte est un membre actif, un conseiller, qui choisit son degré d’engagement. Les architectes engagés au sein d’associations humanitaires sont quant à eux nécessairement pleinement impliqués, le conseil n’est pas suffisant, l’action doit être rapide et efficace. La première intervention consiste à mettre en place des camps et des logements de fortune avant de répertorier les dégâts sur une carte pour évaluer les besoins et déterminer les priorités. Ensuite, il est important de

23 http://www.botmobil.org/presentation-de-botmobil

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prendre en compte les données culturelles et sociales pour partir sur des bases solides pour la reconstruction, l’objectif étant de construire plus résistant qu’auparavant avec des plans types et en utilisant les matériaux locaux. Enfin, les échelles d’intervention sont très variées : de la maison au quartier, à l’opération nationale, l’architecte peut intervenir.

c. Intérêts variés pour l’auto-constructeur

Les outils et l’aide que l’architecte peut apporter à l’auto-constructeur permettent à ce dernier d’y trouver autant des intérêts humains que techniques. En effet, alors que le travail des théoriciens offre la possibilité aux auto-constructeurs de puiser dans des savoirs très riches pouvant ainsi les documenter voire même les faire changer de voie, les concepteurs de kit fournissent une solution qui par son caractère modulaire est rendue personnalisable et dont les assemblages sont simplifiés. De plus, en principe, la construction sur le chantier est sèche et les durées et les coûts sont minimisés. Le bon fonctionnement de l’ensemble est garanti. De leur côté, les vendeurs de plans présentent des bases de conception dont l’auto-constructeur a la liberté de modifier mais qui assurent des qualités spatiales et souvent structurelles. Les associations, par leur présence physique et grâce au web, donnent accès à des savoirs et à la maîtrise technique de divers moyens et façons de monter une structure, d’isoler, couvrir etc. C’est grâce aux conseils des bénévoles professionnels qui peuvent souvent organiser des formations ou bien devenir même membres actifs du chantier contre rémunération que les savoirs sont perpétués et transmis. Enfin, d’après moi, ce sont les architectes bénévoles humanitaires qui apportent le plus à des auto-constructeurs malgré eux, car victimes et souvent désespérés. Pour eux, ce mode opératoire les implique localement. Ils font partager leurs connaissances aux architectes et autres acteurs humanitaires afin que ces derniers imaginent le plus possibles de solutions recourant à l’utilisation de matériaux et de main d’œuvre locale. Etre à leur écoute permet de mieux répondre à leurs besoins et la dignité de la population locale est préservée car elle est actrice de la reconstruction de ses logements. Les coûts sont forcément diminués et la notion de développement durable est intégrée. La solution finale doit s’inscrire dans la durée et permettre aux victimes d’être ensuite autonomes.

Fig 5 : Architectes Sans Frontières, 25 Avril 2015, Népal « Rencontres et échanges entre les architectes et les bénévoles de l’association et les sinistrés. », Photographies. En ligne In Architectes Sans Frontières : http://www.asfint.org/ASFNews/ASF-Nepal-Building-Back-Better-after-Gorkha-Earthquake

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Suite à l’étude rapide de ces différents exemples de rencontres entre l’architecte et l’autoconstructeur, nous pouvons constater que les initiatives dans ce domaine ne manquent pas. En revanche, même si l’architecte aime s’engager auprès des bricoleurs, cela ne représente pas une source de revenus stables. La plupart préfèrent se passer de son aide et de ses connaissances. Par contre, si l’architecte est associé à des entreprises telles que celles qui conçoivent des kits appropriables, alors son rôle auprès du client peut varier de la simple remise du plan du kit aux modifications conceptuelles afin de personnaliser le projet et jusqu’au suivi et à l’accompagnement sur le chantier.

3. L’écologie : la science susceptible de rapprocher auto-constructeurs et architectes. Les exemples cités précédemment ainsi que les interviews des différents autoconstructeurs que j’ai pu réaliser m’a permis de me rendre compte que l’écologie était souvent à la base de la réflexion auto-constructive ou du moins qu’elle prenait place régulièrement dans les projets. Alors une question s’est posée : les auto-constructeurs sont-ils nécessairement des défenseurs de l’environnement ?

a. L’écologie comme touche personnelle ? Oui mais pas toujours !

Sur six auto-constructeurs interrogés,24 la moitié ont choisi de construire leur maison suivant des techniques habituelles et répandues : la maçonnerie (parpaings ou pierres) avec de la ouate de cellulose ou de la laine de verre comme isolation ou l’ossature bois classique avec contreventement dft (qui fait aussi pare-pluie) et isolation laine de verre également. Le choix des deux premiers s’est porté naturellement sur la maçonnerie car ils connaissaient bien la mise en œuvre et qu’ils ne défendent pas particulièrement une cause écologique. Cependant, le troisième s’est dirigé vers une ossature bois car pour lui ce matériau est propre et durable et sa mise en œuvre ainsi que son utilisation génèrent un bilan carbone faible.25 De plus, il a mis un système en place pour récupérer les eaux pluviales dans une cuve, pour la filtrer et diminuer son taux de calcaire afin de l’utiliser pour les toilettes, la machine à laver et les douches. En outre, il lui semble important que les architectes apportent leurs connaissances et proposent des solutions aux auto-constructeurs de façon à se libérer des énergies fossiles et à éviter la dépendance à l’électricité. Ces solutions peuvent être les dispositifs de contrôle de l’ensoleillement, l’orientation ou encore la ventilation naturelle. Pour Modulex ou Domespaces, entreprises citées plus haut, l’écologie n’est pas à la base de leur concept mais ils essaient au mieux d’éviter les transports longs et ils ont développé dans plusieurs régions et pays des modèles adaptables préfabriqués avec les matériaux locaux. L’écologie n’est donc pas forcément le combat et le chemin à suivre idéal de tous les auto-constructeurs. En revanche j’ai quand même remarqué qu’elle était au cœur de nombreuses

24 Cf Annexes 5 et partie 2, I les auto-constructeurs, pour les détails des interviews

25 Les fiches FDES élaborées pour chaque matériau par l’INIES (la base de données publique et nationale de référence des caractéristiques environnementales et sanitaires des produits de construction) renseignent sur les performances énergétiques des matériaux.

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initiatives d’auto-construction, le but étant de « se rapprocher de la terre et des éléments naturels » (l’auto-construction est surtout pratiquée dans les milieux ruraux qui plus est), de construire en harmonie avec l’environnement en le respectant mais également par leurs travaux, d’assurer la transmissions de savoir-faire ancestraux utilisant les techniques et les matériaux locaux, comme le pisée, la bauge ou bien la fabrication d’enduits colorés naturellement.

b. L’écologie comme idéologie, porteuse de projet

Si elle n’est pas une priorité pour certains, elle représente cependant une évidence pour d’autres. Je citerai ci-après quelques exemples qui méritent d’être évoqués. Je vais parler tout d’abord dans ce paragraphe du magasin Ecolodève26 basé à Lodève dans l’Hérault. Il distribue des matériaux écologiques pour l’habitat mais propose aussi des ateliers et des stages payants pilotés par des artisans connus de l’entreprise et spécialisés dans la mise en œuvre de matériaux ou de techniques écologiques. Les produits proposés sont tous issus d’une filière soit durable soit totalement écologique que ce soit en matière d’isolation (métisse, chanvre, liège, ouate de cellulose, fibres de bois etc), d’enduits (chaux, terre, ciment naturel etc), de remplissage associé à une structure bois (brique de terre ou blocs de chanvre) ou encore de peinture (à l’argile ou autres produits recommandés car écologiques). C’est une entreprise qui fournit beaucoup d’auto-constructeurs : ceux-ci trouvent dans leurs services, en plus de la vente de matériaux, un réel soutien et de bons conseils de la part des employés qui sont tous motivés par cette façon de construire. L’entreprise est également un médiateur entre l’auto-constructeur et le professionnel : elle conseille les services de tel ou tel artisans en fonction des besoins du client. Elle fonctionne donc exclusivement sur une base d’échange et reste fidèle aux convictions et idées qu’elle défend. Citée précédemment, l’association Botmobil27 représente une aide et un soutien précieux pour les auto-constructeurs qui veulent réaliser leur maison en paille ou en terre en complément de l’ossature bois. L’existence d’associations comme Botmobil (nous connaissons également l’association Les Compaillons par exemple) permet aux auto-constructeurs de ne pas hésiter à se lancer dans ce défi de construction écologique qui leur est cher, car ils savent qu’ils seront soutenus et accompagnés voire même formés au préalable. Mais d’autres vont encore plus loin quand il s’agit d’écologie et d’indépendance énergétique. Michael Reynolds, architecte hippi-utopiste du Nouveau-Mexique a imaginé et créé dans les années 1970 le « earthship28 » ou « vaisseau de terre » en français afin de répondre aux problèmes écologiques de notre époque (annexe 3). Ces maisons passives sont construites à partir de matériaux écologiques et/ou recyclés et elles sont entièrement autonomes énergétiquement grâce à des solutions comme la géothermie, les panneaux solaires ou les éoliennes. De plus elles récupèrent les eaux de pluies et réutilisent les eaux usagées. Enfin elles possèdent une serre intérieure pour assurer la production de nourriture toute l’année. Des techniques comme le torchis ou le pisé sont utilisées. Ces modèles ont donné lieu à de nombreuses constructions à travers le monde et une nouvelle façon de concevoir et de penser le projet est née, car rien n’est laissé au hasard, tout doit être en cohérence avec la nature et

26 http://www.ecolodeve.fr/

27 http://www.botmobil.org/96

28 http://earthship.com/ et https://decroissons.wordpress.com/habitat/maisons-autrement/les-earthships/

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l’idée de réutilisation. Ils restent tout de même à l’écart des normes urbaines et sociales.

Fig 6 : Michael Reynolds, « Plan de base possible pour la construction d’une earthship », Document graphique, plan. En ligne In Earthship Biotecture : http://earthship.com/blogs/earthship-designs/global-model-earthship/

Fig 7 : « Une earthship à Brighton en Angleterre vue de l’extérieur », Photographie. En ligne In AgoraVox : http:// www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/earthship-le-vaisseau-de-la-terre-172890

Enfin, j’ai rencontré trois professionnels du bâtiment, un maître d’œuvre-concepteur, un bâtisseur de maison à ossature bois et un enduiseur. Tous trois sont auto-constructeurs et prône l’écologie dans les constructions et leur métier leur permet de participer à ce combat. Ils travaillent avec et pour des auto-constructeurs sur beaucoup de chantiers. Ces derniers, issus de toutes les catégories sociales, font d’ailleurs appel à eux à chaque fois pour leur - 32 -


démarche professionnelle et leur spécialisation dans la maison écologique. C’est pour eux une véritable base de recherche, autant dans le domaine de la conception que de la réalisation. Des contraintes ainsi rajoutées enrichissent leurs projets et en font des projets remarquables, qu’on défend ou non, mais qui en tout cas respectent leur concept en tout point de la construction. A travers ces différents exemples, nous comprenons que l’écologie, le recyclage et le désir d’indépendance énergétique sont des principes qui poussent à l’innovation et au travail collectif, à l’échange. En plus de répondre à des problématiques environnementales actuelles, elle procure du travail à des professionnels issus de divers secteurs du bâtiment, de la conception à la réalisation.

c. L’écologie comme outil de rentabilité énergétique et d’économie d’énergie.

Comme évoqué dans la partie précédente, l’écologie peut être à la base d’une économie d’énergie voire même d’une totale indépendance. C’est aussi une des raisons qui motive les auto-constructeurs à mettre en place des matériaux respectueux de ce concept. Alors que Ecolodève prône pour l’isolation naturelle, saine pour la santé et l’environnement et qui offre une bonne capacité de régulation hygrométrique grâce à la respiration des matériaux, les earthships ont pour objectif premier l’indépendance totale et l’économie. Grâce au réemploi de l’eau de pluie par exemple (3 à 4 utilisations différentes avant d’être « rendue » au cycle naturel de l’eau : après filtrage, eau potable puis utile pour arroser les plantes, prendre la douche et pour les toilettes.) le earthship ne gaspille jamais des ressources naturelles, contrairement à de nombreux habitats dépendants de réseaux communs. Et même mieux, plutôt que de tout mettre en œuvre pour s’en protéger, le earthship utilise les conditions climatiques pour développer des astuces avantageuses plutôt que contraignantes. Ainsi les économies réalisées sont conséquentes. Les professionnels auto-constructeurs ont quant à eux réalisé leur maison personnelle en ossature bois avec un remplissage paille. Les finitions intérieures sont en enduits terre. D’après eux, le béton ou l’acier ne sont pas des matériaux durables et leur avènement a fait oublier au gens les matériaux locaux, qui pourtant regroupent de nombreux avantages. Les performances énergétiques et thermiques dépassent toutes leurs espérances. Chacun des trois n’utilise que quatre stères de bois par an (contre entre 10 et 15 en moyenne pour une maison classique) pour chauffer l’eau et la température ambiante de la maison avec une superficie de 100 à 130m². Lors de la visite d’une de ces maisons, le poêle à bois n’était pas allumé, en plein mois de février en Aveyron, et pourtant la température intérieure ressentie était tout à fait agréable (20/21°C).

L’écologie est donc une science qui a la capacité de réunir les différents acteurs intervenant dans des projets d’auto-construction. Le client a souvent une envie forte et il est déterminé à réaliser de ses propres mains un toit pour sa famille respectueux de l’environnement et sain. L’architecte a la possibilité de l’aider si bien sûr il accepte et soutient les ambitions du client. Ce dernier a forcément besoin d’être conseillé et cela peut être à la base d’une source intarissable d’idées de projet. L’écologie n’est pas juste une utopie. Elle est souvent vue comme une préoccupation réservée à des gens qui ont les moyens de se soucier de l’environnement tout en construisant. Mais cela est, comme bien souvent, une idée reçue. La preuve grâce aux témoignages : l’écologie est aussi génératrice d’économies au sens financier. - 33 -


C. Une situation malgré tout favorable

Dans cette partie, nous allons essentiellement nous intéresser au développement de l’idée qu’un contexte global encourageant, malgré la situation actuelle difficile, peut favoriser et inciter les démarches auto-constructives. Vous pourrez trouver en annexes (4) une explication plus détaillée concernant la relation professionnelle difficilement viable entre l’architecte et l’auto-constructeur qui s’oppose sans cesse, dans les esprits et en pratique, à cette situation positive. Depuis toujours l’humanité a su construire des abris afin de se protéger des aléas climatiques. Mais depuis que la production de biens est devenue industrielle et que peu à peu l’artisanat s’est spécialisé, l’homme a délégué la conception et surtout la construction de sa maison à des personnes qualifiées engendrant ainsi la production de masse monétaire et d’emplois. Cependant depuis quelques année, nous assistons à un regain d’intérêt pour la « maison faite soi-même ». Plusieurs explications sont possibles.

1. Conjoncture économique Comme dit antérieurement, la situation économique de l’ensemble des pays développés induit une recrudescence du nombre d’habitats auto-construits individuels et plus rarement collectifs. Beaucoup de ménages et de familles n’ont plus les moyens d’accéder à la propriété et pourtant cela reste un des objectifs d’accomplissement personnel les plus convoités. Deux solutions majeures s’offrent alors aux futurs propriétaires : - Ils se tournent vers les constructeurs de maison standards qui proposent des plans types et un accompagnement total, du diagnostic (étude de faisabilité, propositions de terrains etc) à la fin de la construction en passant par les questions financières (assurances, obtention de prêts etc). C’est ce qui est appelé plus communément la « maison clés en main ». La société la plus connue est celle qui commercialise la fameuse « Maison Phénix ». Le concept est simple : une maison économique et déjà préassemblée en usine puis livrée et montée sur place pour accélérer les temps de construction. Le concept est né en 1946 : « Une révolution à l’époque où la France d’après-guerre recherchait des logements économiques et rapides à construire, révolution rendue possible par la technique de construction basée sur l’acier.29 » Mikit est la seconde entreprise spécialisée dans la maison pré-conçue. Elle base son image sur le fait qu’elle permet l’accès à la propriété : « La solution innovante de maison prête à finir ainsi que notre accompagnement permanent vous permettent de devenir propriétaire d’une maison individuelle qui fera votre fierté et le bonheur de votre famille tout en économisant jusqu’à 30%* sur la construction.30 » Ces deux entreprises (et il en existe beaucoup d’autres) ont misé sur le catalogue de biens disponibles offrant des délais et des coûts réduits, idée astucieuse et alléchante pour les ménages. Néanmoins, c’est aux yeux de nombreux professionnels du bâtiment et notamment des architectes, une solution certes efficace en matière de production rapide de logement mais qui constitue l’apogée de l’industrialisation et surtout de

29 http://www.maisons-phenix.com/notre-concept/qui-sommes-nous/id/21554 30 http://www.mikit.fr/le-concept-du-pret-finir/le-principe-du-pret-finir.html

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l’impersonnalité de la maison individuelle. La maison devient un bien comme un autre et n’est plus le reflet d’un mode de vie personnel mais plutôt celui d’une façon de vivre généralisée, standardisée et même bornée. - Ils se lancent dans l’auto-construction, défi on ne peut moins banal, contraignant, largement moins assisté et accompagné, et surtout aux garanties fortement limitées et incertaines. L’auto-construction, c’est un choix mûrement réfléchi car elle nécessite une prise de conscience par rapport à ce que cela engage d’un point de vue personnel (situation de famille notamment), financier (emprunts et assurances difficiles à obtenir), temporel etc. Mais elle est l’image d’un combat admirable et souvent d’une lutte pour la sauvegarde de matériaux et de mises en œuvre locaux. Ainsi à cause, ou paradoxalement plutôt grâce à la crise économique, l’auto-construction a trouvé un nouveau souffle depuis ces dernières décennies et chaque catégorie d’acteurs (auto-constructeurs, architectes, ingénieurs etc) commence à prendre conscience des intérêts de cette solution alternative.

2. Société de l’information : partage et diffusion des savoirs facilités Le premier échange de données entre deux calculateurs électroniques s’est effectué le 2 septembre 1969 : c’était les prémices du web tel qu’on le connaît aujourd’hui. En France, l’utilisation d’Internet par le grand public a commencé en 1994 mais c’est qu’à partir du début du 21ème siècle que son accès s’est démocratisé.31 Cet accès popularisé aux savoirs offre aussi la possibilité d’échanger des données et même de commercialiser biens et services. C’est rapide, simple et d’un clic l’utilisateur accède à tout ce dont il a besoin : conseils, contacts, possibilités d’achats etc. Internet est donc un outil quasiment indispensable aux auto-constructeurs même si bien sûr les livres et les conseils de professionnels sont nécessaires pour vérifier et compléter les informations pas toujours très exactes ou pertinentes. Cette technologie permet d’ouvrir les champs des possibilités, d’envisager des solutions méconnues jusqu’à présent, de s’entourer des bonnes personnes, d’avoir accès à des bons plans commerciaux etc. L’association Toit par toi assiste les auto-constructeurs dans leur projet afin de donner la possibilité d’accéder à la propriété aux personnes dont les revenus sont faibles. L’aide est autant financière que matérielle et sociale. Les actions sont développées pour un ensemble d’auto-constructeurs, réunis pour s’entraider, un peu à l’image des Castors. Elle explique la possibilité de faire de l’auto-construction aujourd’hui par différents facteurs. Elle met en avant surtout l’accès facilité aux savoirs, même pour les « bricoleurs » :

« L’élévation du niveau d’éducation (par rapport aux années 50/70, ère des Castors) offre plus facilement l’accès aux techniques réservées aux spécialistes. L’accès à l’information par le biais d’internet, permet d’ouvrir des fenêtres sur l’information spécialisée, autrefois réservée aux professionnels. Le développement des technologies : suite à l’inflation des coûts de la main d’œuvre, les industriels ont rapidement compris que la

31 http://www.lefigaro.fr/web/2009/09/02/01022-20090902ARTFIG00263-il-y-a-40-ans-naissait-presque-internet-.php

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compétitivité des artisans passait par des produits faciles à mettre en œuvre. La majorité des produits du bâtiment mis sur le marché actuellement répondent à ce critère. Ils sont donc accessibles aux auto-constructeurs néophytes. »32 Plusieurs entreprises ou agences ont eu l’idée d’inventer des outils permettant à tout un chacun d’imaginer sa propre maison. C’est le cas par exemple de l’agence Facit33 qui a l’ambition de croiser les domaines de l’architecture, du design et de l’informatique. Selon le procédé BIM (Building Information Model), l’idée est de faire des assemblages comme le client le souhaite et d’y intégrer ensuite l’électricité, la plomberie ou encore l’isolation. Le logiciel introduit aussi le budget : il est calculé en même temps que l’on dessine afin de connaître directement l’incidence de chaque choix pris virtuellement. L’agence TED a également créé et mis en ligne le logiciel Wikihouse. L’accès à la machine de découpe (semblable à une grosse imprimante 3D) associée au logiciel de conception est libre pour tout le monde et les retours d’expériences se font en ligne, formant ainsi une banque de projets et d’expérimentations. Ces deux agences ont pour but la démocratisation de l’accès aux savoirs (à faibles coûts) afin de faciliter l’indépendance des auto-constructeurs, et ce à travers la généralisation du procédé BIM et des avancées technologiques.

3. Débuts de la mobilisation nationale et réaction de l’Ordre des architectes Même si les réflexions théoriques et les nombreuses expérimentations d’autoconstructions sont depuis longtemps d’actualité, elles restent en retrait et semblent absentes des considérations des services responsables au niveau de l’état. Néanmoins, une mobilisation nationale semble se former sur l’ensemble du territoire français et les débats commencent, alimentés par des retours d’expériences de plus en plus nombreux. Les associations se mobilisent dans des actions nationales et législatives. Et cela commence à payer : le 26 octobre 2013, la loi ALUR (pour l’accès à un logement et un urbanisme rénové) a été votée au Sénat. Elle ne concerne pas directement l’auto-construction mais plutôt l’habitat participatif. Cependant c’est déjà une avancée encourageante vers le soutien législatif à l’auto-construction. Définissant l’habitat participatif, le texte est le suivant : « une démarche citoyenne qui permet à des personnes physiques de s’associer, le cas échéant avec des personnes morales, afin de participer à la définition et à la conception de leurs logements et des espaces destinés à un usage commun, de construire ou d’acquérir un ou plusieurs immeubles destinés à leur habitation et, le cas échant, d’assurer la gestion ultérieure des immeubles construits ou acquis. » Les engagements des associations et les réactions législatives éventuelles à venir sont encourageants pour prétendre développer le partenariat auto-constructeurs/architectes. L’Ordre des architectes a d’ailleurs réagi à cette loi en proposant une note sur l’habitat participatif. Il propose de mettre en place les cinq objectifs suivants : - De nouvelles formations pour les architectes - La création d’une mission spécifique à l’aide à l’auto-promotion - La constitution d’un réseau national d’assistance à la maîtrise d’ouvrage de l’habitat participatif

32 http://toitpartoi.free.fr/

33 http://facit-homes.com/

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- La production d’une culture du projet architectural de cette manière d’habiter - Le lancement de projets participatifs à l’initiative publique. Cette réaction est bien la preuve d’un désir croissant d’investissement de la part des architectes dans les projets où l’auto-construction est susceptible de trouver sa place. Les architectes ont les outils pour devenir acteur des ambitions auto-constructives ; pour cela il faut que ces propositions soient mises en place et qu’une volonté d’auto-construction des habitants se manifeste. La contribution des auto-constructeurs à l’amélioration de leur qualité de vie ainsi qu’aux bienfaits sociaux et environnementaux doit être reconnue, auquel cas « la sphère publique continuera de décourager leurs initiatives par des lois et des règlements qui leur sont défavorables.34 » La situation actuelle, bien que parfois un peu décourageante, renforce les actions collectives et les ambitions des auto-constructeurs toujours plus nombreuses. Nous pouvons constater que la demande et les démarches sont bien réelles de la part des auto-constructeurs mais qu’il n’existe pas encore de relation viable économiquement entre les architectes et les auto-constructeurs. Tout reste à mettre en place ; c’est un défi de taille. Mais en avançant doucement, chaque partie peut s’y retrouver à la fois socialement et financièrement.

Nous allons à présent nous intéresser à ce besoin inéluctable pour les différents acteurs de travailler ensemble. Si chacun d’eux prend conscience de ses intérêts à communiquer son savoir et à accepter celui des autres alors une réelle collaboration durable et stable est envisageable.

34 Claire Guyet, Quelle place pour l’architecte dans l’auto-construction ?, éditions Cosmografia, 2014 – Conclusion -

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Partie 2 : Concevoir et bâtir ensemble, une nécessité Réinterroger le rôle de chaque partie susceptible d’intervenir dans le processus d’autoconstruction permettrait d’envisager de nouvelles perspectives. La conjoncture actuelle ne contribue pas aux rapprochements des acteurs et cette manière de construire a du mal à se développer car elle est, nous le verrons, trop contenue et limitée par les politiques et les lois en place. Travailler ensemble sur cette alternative à l’écart des modèles admis et formatés par un modèle économique dominant qui ne laisse pas de temps, permettrait de pallier à un manque de reconnaissance, à une image folklorique, à une incertitude vis-à-vis des résultats et à une très faible présence de médiatisation. Favoriser une entente et un travail commun entre les entreprises et artisans, les architectes et les auto-constructeurs contribuerait à une meilleure compréhension des acteurs entre eux afin d’envisager l’apparition de nouvelles typologies. Dans cette deuxième partie, mes observations et mes investigations seront détaillées ce qui me permettra d’énoncer des conclusions et des propositions envisageables relatives aux échanges entre les acteurs professionnels (architectes et artisans) et les auto-constructeurs.

A. Les auto-constructeurs : des acteurs non-professionnels au cœur des réflexions et ouverts aux innovations

Les dires de cette partie s’appuient essentiellement sur les réponses des interviews d’auto-constructeurs réalisés. Je les ai rencontrés en février 2016. Chacun de leur projet était à des stades d’avancement différents. La richesse de leurs propos et de leurs réponses m’a permis de distinguer plusieurs catégories d’auto-constructeurs, avec des façons de penser et des buts différents. Leurs engagements et leurs façons de construire ont déjà été un peu mis en avant dans la partie traitant de l’écologie dans l’auto-construction. (annexe 5 : photographies des maisons et résumé de l’ensemble des interviews)

1. Auto-constructeurs : qui sont-ils ?

Ils sont pour la plupart des bricoleurs : « Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées : mais, à la différence de l’ingénieur, il ne subordonne pas chacune d’elles à l’obtention de matières premières et d’outils conçus et procurés à la mesure de son projet : son univers instrumental est clos, et la règle de son jeu est de toujours s’arranger avec les moyens du bord. »35

35 Claude-Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Plon, 1962.

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a. Catégories socio-professionnelles très variées

J’ai rencontré en tout huit personnes dont deux couples qui sont36 :

- Carmeline Pires et Vincent Macaine : couple d’auto-constructeurs qui a rénové une vieille grange afin de la réhabiliter en maison personnelle. C’est une famille recomposée avec quatre enfants. Lui est opérateur-régleur en système d’usinage et elle exerce une fonction d’aide-soignante. Leurs revenus modestes et leur entourage (dont notamment le père de Carmeline Pires qui est maçon à la retraite) les ont convaincus de réaliser leurs travaux seuls.

Fig 8 : Février 2016, Photographies personnelles de l’extérieur et de l’intérieur de la maison

- Guilhem Libourel : auto-constructeur et de formation initiale d’électricien il est actuellement bâtisseur de maisons à ossature bois grâce à une formation professionnelle MBOC (maison bois outil concept) de dix jours chez les compagnons du devoir, et à sa personnalité d’autodidacte. Il est spécialisé dans la maison à ossature bois et isolation paille.

36 Cf annexe 5 pour plus de photographies et de plans des projets des personnes rencontrées

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- Gilles Savignac : auto-constructeur d’une maison personnelle et d’une maison secondaire destinée à la location, sa formation initiale n’a aucun rapport avec le milieu de la construction. Il possède un CAP mécanicien et une formation de diéséliste mais il est salarié et exerce les fonctions d’ouvrier, manutentionnaire et magasinier au sein du site de l’entreprise Bosch à Rodez en Aveyron. Très bricoleur, l’auto-construction était une évidence pour lui avec pour but premier d’économiser le coût de la main d’œuvre.

Fig 9 : Février 2016, Photographies personnelles de l’extérieur de la maison

Fig 10 : Février 2016, Photographies personnelles de l’extérieur de la maison en location

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- Mr et Mme Manolito : couple d’auto-constructeurs de leur maison ; lui est actuellement enduiseur mais il a été mécanicien aéronautique et il a assuré également pendant un moment la maintenance de systèmes automatiques pour une entreprise. Il a aussi été cuisinier et ses nombreux voyages lui ont beaucoup appris et ont changé sa façon de voir les choses. C’est pourquoi il s’est lancé en tant qu’autoentrepreneur afin de partager son savoir et son expérience.

Fig 11 : Février 2016, Photographies personnelles de l’extérieur de la maison et des enduits terre de l’intérieur

- Stéphane Fournier : auto-constructeur d’une maison individuelle, il est ingénieur en bureau d’études en architecture. En ce moment, il assure la maintenance pour les HLM de la ville de Rodez.

Fig 12 : Février 2016, Photographies personnelles de l’extérieur de la maison et du futur espace de vie intérieur en double hauteur

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- Philippe Rames : auto-constructeur de deux maisons et maître d’œuvre il est pourvu d’un CAP de dessinateur ameublement-ébéniste. Son apprentissage de la maîtrise d’œuvre s’est déroulé sur des chantiers avec des architectes de l’atelier de Cantercel37 qui travaillent sur un site expérimental d’architecture dans l’Hérault. Il complète sans cesse ses connaissances car c’est lui aussi un grand autodidacte.

Fig 13 : Février 2016, Photographies personnelles de l’extérieur de la maison et de l’espace de vie intérieur

Des personnes de formations très variées se lancent dans l’auto-construction, ces personnes interrogées en sont la preuve. Ce n’est donc pas réservé aux personnes professionnelles du bâtiment, tout un chacun peut s’y intéresser et acquérir les connaissances nécessaires pour se lancer dans l’auto-construction. Les auto-constructeurs interrogés conseillent tout de même d’être « bricoleurs » avant de se lancer dans un tel défi.

b. Professionnels engagés et bénévoles

Philippe Rames et Guilhem Libourel sont donc à la fois auto-constructeurs et professionnels du milieu du bâtiment : conception pour l’un, réalisation et artisanat pour l’autre. Ils travaillent tous les deux beaucoup avec ou pour des auto-constructeurs, et ce à petite échelle en principe, celle de l’habitat individuel. Philippe Rames les assiste essentiellement dans la phase de conception, car même s’ils sont très motivés et volontaires, il leur est difficile d’imaginer et de concevoir une maison qui leur est adaptée. C’est pourquoi il les aide pour faire des choix de matériaux cohérents par exemple : pourquoi utiliser de la chaux ? De la paille ? Ou bien du bois ou du liège ? Pour les accompagner correctement, il faut les décrypter : Quels sont les savoir-faire qu’ils maîtrisent ? Quelles sont leurs envies ? Pour cela, le maître d’œuvre observe leurs habitudes quotidiennes et interrogent tous les membres de la famille afin de cerner au mieux leur façon de vivre. De plus, Philippe Rames n’a jamais imaginé faire ses maisons autrement que sous la forme de l’auto-construction donc il comprend ses clients et leurs ambitions. Pour lui, la relation bâtiment/habitant est totalement différente en fonction de si l’on a ou non participé à la conception et à la construction. Voici ses mots :

37 http://www.cantercel.com/

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« Participer c’est y mettre une autre énergie et même c’est donner une âme à la maison. L’architecture c’est notre troisième peau (après notre esprit et notre corps). Rentrer dans une maison, c’est rentrer à l’intérieur des gens. » Guilhem Libourel, quant à lui, soutient les auto-constructeurs grâce à son expérience issue de ses formations et les aide en étant une main d’œuvre professionnelle et efficace pour eux. Pour mettre en œuvre l’ossature bois, ils sont en principe deux (lui et le client ou lui et un partenaire) car à plus, c’est difficile. Par contre pour la mise en place de la paille, la mise en œuvre est facile et les explications sont rapides donc c’est plus pratique d’être plus nombreux pour avancer plus vite. Pour lui, collaborer avec des auto-constructeurs c’est partager une aventure humaine commune où discussions et échanges sont les mots clés pour réussir. Chaque parti y gagne et ainsi le savoir se transmet et se perpétue grâce à ces personnes. Sa micro entreprise marche très bien et il a choisi de ne pas évoluer professionnellement au-delà de l’échelle de la maison individuelle. En revanche, il a participé bénévolement à certains chantiers en autoconstruction à plus grande échelle, comme la construction d’un bâtiment agricole par exemple. Ces deux professionnels ont vraiment insisté lors de l’entretien sur la nécessité d’assumer ses convictions et ses prises de position quant à l’écologie et à la volonté de travailler avec des matériaux naturels lorsqu’un professionnel s’engage auprès des auto-constructeurs. Ce dernier doit également croire aux projets des auto-constructeurs et s’y investir pleinement, car s’engager auprès d’eux c’est toute une manière de penser et une façon de voir les choses et de communiquer qui est mise en avant. Leurs savoirs et le partage de leur façon de faire de l’architecture et de construire un lieu de vie est accessible à toutes les personnes qui s’y intéressent. Leur but étant toujours de construire en harmonie avec l’environnement et en respectant ce dernier, ils permettent par leurs action la transmissions de savoirs ancestraux et la minimisation des coûts de construction.

Nous allons évoquer maintenant les raisons qui poussent les auto-constructeurs à se regrouper en associations.

2. Entraide et union entre les auto-constructeurs eux-mêmes

a. S’associer pour diminuer les coûts

Deux manières de s’entraider et de s’allier sont possibles pour les auto-constructeurs : - La première consiste à s’engager dans un projet commun qui permet à plusieurs autoconstructeurs de s’associer afin d’être garanti d’avoir toujours une main d’œuvre disponible. C’est ce que permettait l’association des Castors dans les années 1950/1955. De nos, jours, l’association « Toit par toi » propose ce genre d’organisation : la première étape consiste en la création d’une association d’auto-constructeurs. Chaque dépôt de permis de construire et demande de prêt est individuel mais ensuite, c’est ensemble qu’ils avancent : Toit par toi assure la gestion et l’organisation du chantier en accord avec l’association. Un contrat de maîtrise d’ouvrage lie les deux parties. Plusieurs maisons sont donc concernées avec pour objectif d’avancer au même rythme. A l’issu des travaux, chaque participant se verra attribuer une maison de 100m² habitable avec un garage pour un total de 50000 euros hors foncier. Chaque plan est identique et les maisons sont construites sur un même lotissement. Ainsi, cette alliance permet - 44 -


d’économiser sur le prix du suivi des travaux, chaque maison étant la même que celle d’à côté, les problèmes et interrogations sont récurrentes et ont toujours la même solution. De plus, étant toutes en ossature bois, le prix d’achat de l’ossature est diminué ainsi que celui de tous les matériaux nécessaire à la réalisation des autres lots (isolation, couverture etc). L’investissement dans l’outillage est également divisé par le nombre de participants. Cette méthode assure donc l’avancement régulier de ses travaux (à condition de remplir son engagement auprès des associés) avec l’aide d’une main d’œuvre dévouée et motivée. - La deuxième possibilité, beaucoup plus individuelle, permet d’être libre quant aux choix conceptuels tout en partageant et bénéficiant de prix intéressants sur l’achat de matériaux et l’achat ou la location de matériel notamment. L’association des Castors par exemple est une communauté à part entière, chaque adhérent est impliqué dans la vie de l’association mais chacun a un projet de construction différent et est indépendant des autres. Personne n’est engagé auprès d’un autre auto-constructeur. En revanche, les commandes groupées de matériaux profitent à chacun et tous les adhérents sont au courant des dernières liquidations ou réductions.

b. S’ unir pour avoir plus de poids et de droits législativement et administrativement

Les règlementations et les lois diverses freinent beaucoup l’engagement des autoconstructeurs. Cette pratique peut entraîner des risques juridiques pour le propriétaire autoconstructeur et pour les acquéreurs successifs, en cas de vente de la maison. En effet, la garantie décennale38 n’existe pas en auto-construction. Selon l’article 1792 du Code Civil39, la maîtrise d’œuvre doit être assurée soit par un entrepreneur, soit par un architecte soit par un technicien opérant en qualité de maître d’œuvre. Ainsi, nous comprenons que l’auto-constructeur est privé de la garantie décennale qui prend normalement effet pendant dix ans à partir de la date de réception de l’ouvrage. Ne bénéficiant pas de la garantie décennale, la maison autoconstruite n’est donc pas assurable en assurance dommage-ouvrage40 puisque les deux vont de pair. Il peut-être alors plus difficile pour un auto-constructeur de revendre sa maison car l’acquéreur sera sûrement réticent à l’idée de ne pas bénéficier de cette assurance. Il est évident que l’auto-construction n’est qu’une alternative et n’est que très rarement une solution à grande échelle, c’est pourquoi les politiques et les institutions ne s’intéressent guère à cette possibilité de construction et ne l’encouragent donc pas. Pourtant cela permettrait à des citoyens d’être libres de choisir de sortir du système économique où les règles sont dictées par les lois du marché et de la concurrence, sans pour autant compromettre cette

38 Définition de la garantie décennale : L’assurance responsabilité professionnelle également appelée garantie décennale garantit la réparation des dommages qui se produisent après la réception des travaux durant dix ans (fin officielle du chantier), sans attendre une décision de justice. Tout constructeur (entrepreneur, promoteur immobilier, lotisseur, maître d’œuvre, architecte, technicien, bureau d’étude, ingénieur-conseil) impliqué dans la construction d’un ouvrage neuf ou existant, ou tout prestataire lié au maître d’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage, est soumis à un régime de responsabilité décennale. Le professionnel engage sa responsabilité pendant 10 ans, en cas de dommage, à l’égard du futur propriétaire (le maître d’ouvrage), mais aussi à l’égard des acquéreurs successifs en cas de revente de l’ouvrage. Source : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F2034 39 http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/DGALN_La_responsabilite_civile_decennale.pdf

40 Définition assurance dommage-ouvrage : Toute personne qui fait construire ou réaliser des travaux par une entreprise doit souscrire une assurance construction dommages-ouvrage. L’assurance dommages-ouvrage permet en cas de sinistre de procéder aux remboursements ou à l’exécution de toutes les réparations faisant l’objet de la garantie décennale, sans attendre qu’intervienne une décision de justice. L’assureur se charge ensuite de faire un recours contre le ou les constructeurs responsables. Source : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F2032

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économie nécessaire au pays. L’auto-construction est une économie parallèle à notre système capitaliste qui met en avant le temps personnel, remplaçant ainsi un achat de services. Or, le temps est un facteur non négligeable lorsque nous évaluons son impact sur le calcul du PIB. Guy Roustang, membre du PADES41 écrit dans son article Plaidoyer pour l’autoproduction paru dans le Politis hors-série de octobre-novembre 2007 : « Le progrès social continue d’être associé à l’augmentation du revenu monétaire au niveau individuel et à l’augmentation du PIB au niveau collectif. Il faudrait changer de perspective et s’interroger sur la question de savoir quel est le meilleur équilibre entre économie monétaire et non monétaire, entre les activités rémunérées et celles qui ne le sont pas. Il faudrait reconnaître qu’à revenu monétaire égal, celui qui peut améliorer lui-même son logement fait des économies très importantes. (…) Dans le calcul économique, le travail est considéré comme une désutilité compensée par une rémunération, qui permet la consommation. » Cela amène Claire Guyet à se poser la question suivante : « Mais si les pouvoirs en place en saisissaient le potentiel (de la pratique de l’auto-construction), la crise pourrait-elle amener la profession (d’architecte) à chercher des actions alternatives à ses cadres traditionnels, et à mieux comprendre les enjeux de l’économie non monétaire ? » C’est pourquoi il est important pour les auto-constructeurs de se faire entendre des politiciens et des acteurs importants dans les prises de décisions concernant l’acte de bâtir. Cela leur permettrait de se lancer dans leur projet avec plus d’assurances et en réduisant les démarches administratives et justificatives. . En s’épaulant et en se regroupant autour d’intérêts communs, les résultats économiques atteignent des objectifs au-delà des espérances des auto-constructeurs. Même s’il est compréhensible que chacun ne souhaite pas forcément s’engager auprès d’associations pour son propre intérêt, en s’unissant, les auto-constructeurs se donnent les moyens de réduire encore plus les coûts et de devenir plus forts afin d’obtenir d’avantages d’aides et de réduire les règlementations limitant et freinant leurs projets.

Après avoir détaillés les intérêts qu’ont les auto-constructeurs à se regrouper, exposons les conseils à suivre recommandés par les personnes interrogées ainsi que leur point de vue quant à la vision qu’ils ont de l’avenir des auto-constructeurs.

3. Conseils et perspectives

a. Quelques recommandations avant de s’engager

Les huit personnes interrogées ont toutes plus ou moins répondu de la même manière lorsque je leur ai posé la question suivante : « Que conseilleriez-vous aux futurs autoconstructeurs ? » Leurs réponses sont les suivantes :

41 Programme Autoproduction et Développement social : http://www.padesautoproduction.net/

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- Il est nécessaire d’être un minimum bricoleur à la base et ne pas s’engager si on n’y connaît rien car le client EST maître d’œuvre. - Il faut savoir mesurer ses capacités afin de ne pas se lancer dans des projets ou des mises en œuvre trop ambitieuses. - Il est fondamental d’avoir du temps pour le chantier, car ce facteur est trop souvent sous-estimé et minimisé. - De plus, il convient d’éviter d’établir un planning précis car ce dernier ne sera jamais respecté, et c’est alors que le moral en pâti… et si le moral et la motivation n’y sont plus, l’autoconstruction est encore plus difficile à mener à terme. - Il ne faut pas avoir peur d’y arriver et surtout il est conseillé de rester très soudés lorsque l’auto-construction concerne le projet d’une famille ou d’un couple car c’est un investissement physique et psychique important. - De surcroît, il est important d’être curieux de tout, de lire et de se renseigner le plus possible sur la mise en œuvre des matériaux ou sur les mélanges à faire pour les enduits par exemple. Mais attention à internet, qui est une source de conseils inépuisable, mais ces derniers ne sont parfois pas vérifiés. - S’entourer et s’appuyer sur des personnes de confiance est aussi un facteur important car la qualité de la construction en dépend, on ne peut pas tout faire tout seul. - Bien s’outiller est également préconisé : économiser sur la main d’œuvre oui, mais pas sur les outils car ce sont eux qui accompagnent et rendent efficace le travail. - Enfin, petit conseil pour les futurs utilisateurs de la paille : son efficacité est à son maximum lorsque sa mise en œuvre se fait au sec …

b. Ce que pensent les auto-constructeurs quant à leur avenir : visions mitigées

La plupart des auto-constructeurs est convaincue que l’auto-construction est encore trop complexe car pour le moment, les règlementations sont trop nombreuses et contraignantes et les aides financières quasi-absentes. Les bricoleurs n’ont aucune garantie et l’auto-construction est contingentée par notre société actuelle : emprunts et assurances sont difficiles à obtenir. De plus, les huit personnes interrogées soutiennent l’idée que l’auto-construction est une discipline « réservée » aux gens qui ont l’envie d’entreprendre et d’apprendre. L’architecture de bois, terre et paille a vite été oubliée avec l’avènement du béton mais depuis tous temps elle existe et elle peut être l’objet d’un nouvel engouement pour l’architecture de l’amateur-bricoleur. De plus, malgré la tendance très individualiste, l’entraide est toujours présente donc il y espoir qu’un jour, l’auto-construction soit facilitée et encouragée (comme ça avait été le cas après la Seconde Guerre Mondiale avec la création officielle, reconnue et soutenue de l’association des Castors) législativement, financièrement et administrativement car elle a beaucoup d’avantage, surtout dans le contexte actuel de crise du logement. Le maître d’œuvre Philippe Rames voit quant à lui l’avenir de cette classe de constructeurs amateurs « en grand vu les besoins de notre société. » Le prix des matériaux augmente sans cesse depuis le passage à l’euro. C’est pourquoi les matériaux locaux vont, d’après lui, prendre de la valeur car leur mise en œuvre est simple et leur coût réduit. De plus, privilégier l’emploi de matériaux locaux contribue à diminuer l’empreinte carbone et donc l’impact écologique.

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Après nous être intéressés aux premiers concernés, les auto-constructeurs, intéressonsnous maintenant au deuxième acteur : les entreprises.

B. Les artisans et entreprises : des détenteurs de savoirs techniques susceptibles d’aiguiller les auto-constructeurs

Acteur incontournable, le professionnel, artisan ou entrepreneur représente le savoirfaire constructif. Il reste cependant très absent des projets auto-construits sauf si son activité est justement basée sur des concepts servant à l’auto-construction, comme par exemple le kit et la préfabrication. Détaillons un peu l’état de l’industrie aujourd’hui et quels pourraient être les avantages pour le professionnel d’épauler la communauté d’auto-constructeurs.

1. Industrialisation aujourd’hui synonyme de déqualification

a. Perte des savoirs : spécialisation

Dans le domaine industriel de notre société contemporaine, la mise en œuvre mécanique des matériaux est privilégiée au préjudice des matériaux manipulés et transformés par l’ouvrier. Cela permet aux entreprises de faire des économies sur la main d’œuvre, qui représente une part importante de leurs charges fixes. De plus, la machine peut œuvrer 24h/24, 7j/7 contrairement à l’homme. Cette orientation est à la fois un choix politique et un choix économique. Ainsi, de nombreuses entreprises se spécialisent et choisissent de présenter un catalogue de produits à mettre en œuvre issus de l’industrie et nécessitant donc peu de savoir. Cela engendre des salaires peu importants. La spécialisation permet aux entreprises d’être davantage compétitives mais cela entraine une déqualification des ouvriers. Et pourtant, cette absence de savoir n’empêche pas les industries de décerner des qualifications sur leurs produits qui sont ubiquistes sur tous les chantiers et donnent de nouvelles idées aux concepteurs et entrepreneurs. Cette spécialisation toujours plus poussée provoque la disparition de savoirs ancestraux au service de la production de masse d’objets standardisés conçus par des robots. A terme, et on l’observe de plus en plus aujourd’hui, cela conduit à une architecture globalisée à caractère universel, dépourvue de toute spécificité.

b. Déqualification sociale

C’est lors de la phase de chantier qu’on assiste le plus au renfermement social, induit par un échange quasi-absent entre les ouvriers et les concepteurs. Ce manque de communication entre les personnes qui conçoivent et celles qui exécutent s’explique par de nombreuses barrières comme celles de la culture ou du langage par exemple. L’industrie a été amenée à dissocier totalement main d’œuvre et savoir-faire. La formation des ouvriers est simplement assurée par l’intégration d’une information afin d’exécuter des tâches toujours plus ou moins les mêmes. Et les conséquences dans le temps ne sont pas sans importance : l’employé perd toute spécificité dans son travail, et appauvrit alors son rapport au - 48 -


monde. Il n’est donc plus un ouvrier capable de s’adapter à de nouvelles façons de produire et qui vend son savoir-faire mais un prolétaire qui vend sa force de travail.

Nous venons de montrer les inconvénients de l’industrie, qui touchent à la fois les savoir-faire et les ouvriers. Intéressons-nous à présent aux outils et plus-values que pourraient apporter les entreprises aux auto-constructeurs.

2. Artisanat français et industrie : une opportunité de partage des savoirs avec

a. Valorisation des savoir-faire

Depuis l’apparition de l’industrie dans des secteurs d’activités très variés (agriculture, bâtiment, textile etc), cette dernière ne cesse de développer des techniques et des outils toujours plus perfectionnés, répondant essentiellement à un seul objectif : gagner du temps. Le temps, est le facteur déterminant dans les choix d’orientations des entreprises vers ou non, cette industrialisation. Gain de temps grâce à la machine signifie augmentation de la production, diminution des charges salariales et donc bénéfices plus importants. Mais à l’heure où la prise de conscience écologique est de plus en plus présente dans les réflexions et alors que la crise financière touche beaucoup d’entreprises basées sur la déqualification des employés et facilement remplaçables, l’artisanat et les savoirs faire locaux assistent à un regain d’intérêt pour leur cause de la part des PME et des clients. L’industrie a mis à l’écart pendant de nombreuses années les mises en œuvre trop longues et contraignantes. Pourtant, monsieur Libourel est la preuve que le retour à des solutions alternatives est viable et possible techniquement pour les entreprises et que ces solutions sont de plus en plus choisies et appréciées par les clients dont beaucoup d’auto-constructeurs. Ces derniers ont un panel de possibilités très diversifié de choix de stages ou de chantiers participatifs sur le net, et il y en a pour tout le monde en termes d’ambitions, de goûts, de budget etc. Ce serait intéressant que ces formations courtes sur chantier ou en ateliers soient dispensées un peu plus par des entreprises plutôt que par des associations de bénévoles. Cela permettrait de créer de la richesse tout en léguant savoir-faire et techniques anciennes.

b. Conseil et accompagnement sur le chantier

L’idée reposerait sur le partage de savoirs dont disposent les entreprises avec des auto-constructeurs à la fois en amont et pendant le chantier, voire même après concernant les questions d’entretien sur la longue durée. Certains pourraient penser que les entreprises dévoileraient ainsi leurs techniques de mise en œuvre et de réalisation et leurs « astuces ». Certes ce serait le cas. Mais en aucun cas cette aide basée sur l’apprentissage rapide et sur la communication produirait une quelconque concurrence pour les entreprises elles-mêmes. L’objectif ne serait évidemment pas de former des artisans mais d’apprendre rapidement aux auto-constructeurs une technique mise en place directement sur le chantier et de les conseiller dans leurs différents choix. Les services et travaux rendus aux auto-constructeurs seraient naturellement rémunérés et apporteraient un atout à l’entreprise engagée en créant de la - 49 -


richesse supplémentaire. Par sa spécificité elle pourrait renforcer sa notoriété. De plus, le recourt à une ou plusieurs entreprises, que ce soit pour du conseil ou pour de l’apprentissage ne priverait pas l’auto-constructeur des économies réalisées sur la main d’œuvre étant donné qu’il reste sa propre main d’œuvre sur l’ensemble de la réalisation. Ces économies ont permis à chaque auto-constructeur interrogé de réduire entre 40 et 50% le budget total de leur maison. En outre, les lots « plomberie » et « électricité » sont régis par des règles qu’il faut respecter afin d’être aux normes. Les artisans de ces deux corps de métier pourraient briefer les auto-constructeurs et les renseigner sur les DTU (document technique unifié) à se procurer afin de réaliser correctement l’installation. Une fois les travaux terminés, l’auto-constructeur a l’obligation de faire appel au « Consuel » qui est le seul organisme habilité à autoriser le fournisseur d’énergie à vous raccorder au réseau définitivement selon la norme NF C15-100. L’installation de la plomberie doit quant à elle respecter le règlement sanitaire du département auquel appartient le terrain à construire.42 Cet échange collaboratif serait particulièrement gratifiant, à la fois pour celui qui donne que pour celui qui reçoit. L’artisan et son savoir-faire serait la source d’un soutien physique mais aussi moral pour l’auto-constructeur. Il y a espoir que cette nouvelle forme d’accompagnement des auto-constructeurs de la part des entreprises se développe car il semblerait qu’il y ait essentiellement des avantages : financiers tout d’abord mais aussi humains et professionnels. Ce sont des acteurs dont l’autoconstructeur en tant que novice a besoin. Il me semble qu’une part de marché est à saisir pour les entreprises.

Parlons enfin du troisième acteur, les architectes.

C. Les architectes : des professionnels de la conception et du suivi de chantier capables d’accompagner les auto-constructeurs sans altérer leurs convictions et objectifs

« On attend de l’architecte qu’il trouve toujours une solution : une manière de réparer un paysage, d’isoler du monde, de reconstruire des liens, d’ouvrir le ciel. On attend beaucoup de lui : qu’il interprète les désirs, qu’il sache tout faire, qu’il fasse tout avec rien… D’autre part, l’architecte aime que l’on attende tout ça de lui. Parce que cela l’oblige à vivre à fleur de peau avec l’état du monde, à n’être jamais indifférent, à naviguer dans un pouvoir qui n’est pas toujours le sien, à être en production continue de solutions … sous forme de jeu, ce film-projet est une incursion métaphorique dans l’imprudence à laquelle l’architecte est condamné par ce qu’on attend de lui, d’une part, et par le plaisir qu’il y trouve, d’autre part … »43

42 https://construction-maison.ooreka.fr/astuce/voir/190324/auto-construction-quelle-reglementation 43 Interview Luca Merlini, architecte réalisé par Florence Sarano, 2007

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1. L’architecte : un intermédiaire nécessaire

a. Une place sans cesse remise en question

Le métier et donc le rôle de l’architecte ne sont régulièrement pas compris. La preuve, les auto-constructeurs que j’ai interrogés n’ont pas jugé sa participation à leur projet indispensable ni même utile. L’image que les non-professionnels voire même que les professionnels se font de l’architecte est généralement assez confuse. Il souffre de préjugés, justifiés ou non : l’architecte a pour seul but de construire de belles choses, il est hautain, il explose les budgets (c’est l’argent du contribuable !) etc. Et pourtant, c’est l’acteur qui possède le plus de responsabilités dans le milieu du bâtiment. L’architecture est notre quotidien, « notre troisième peau ». La loi 77-2 de 1977 sur l’architecture reconnaît la difficulté de l’exercice : Article 1er : L’architecture est une expression de la culture. La création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine sont d’intérêt public. Les autorités habilitées à délivrer le permis de construire ainsi que les autorisations de lotir s’assurent, au cours de l’instruction des demandes, du respect de cet intérêt.44 Il ne faut cependant pas oublier que les décisions architecturales sont quasiment toujours liées à des décisions politiques qui laissent plus ou moins de place à la créativité et à l’inventivité. Cela explique sûrement l’important manque de communication entre les architectes et les habitants. Notre société industrielle fortement voulue et encouragée par les politiciens s’oppose à des projets « sur-mesure » et encore plus à des projets « faits soi-même». C’est pourquoi il est nécessaire d’éclaircir les enjeux de la profession afin de permettre aux architectes de mieux se positionner.

b. Une responsabilité complexe : le rôle du médiateur

Nous l’avons dit, notre société actuelle s’oriente depuis déjà plusieurs décennies vers la spécialisation des tâches, notamment dans le secteur de l’industrie, très lié à celui du bâtiment. En revanche, la place de l’architecte est quant à elle sans cesse remise en question car sa position au sein des processus de conception puis de réalisation est centrale. C’est comme un généraliste dont les connaissances diverses sur les modes de construction et de conception variés lui permettent d’assurer un rôle d’intermédiaire. Les auto-constructeurs interrogés ont fourni des réponses assez paradoxales par rapport à leur propre cas à la question suivante: « Pensez-vous que les architectes pourraient apporter leurs connaissances aux autoconstructeurs ? Si oui comment ? Si non pourquoi ? » En effet il ont essentiellement répondu « bien sûr ! » et pourtant ils s’en sont eux-mêmes passé, preuve d’incompréhension entre les deux acteurs et d’inadaptation de la part de l’architecte. Ils pensent que l’architecte pourrait s’investir dans les projets auto-construits en matière de conseils (sur les choix des matériaux ou de l’isolation par exemple). De plus, il pourrait aussi avoir un rôle plus important auprès

44 http://www.architectes.org/les-textes-r%C3%A9gissant-la-profession

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des auto-constructeurs lors de la phase la plus complexe : la conception. Il pourrait intervenir en amont du dépôt du permis de construire afin de renseigner les auto-constructeurs sur le PLU (plan local d’urbanisme) notamment, propre à chaque commune ou sur le POS (plan d’occupation des sols). L’obtention du permis serait alors facilitée, grâce à la connaissance élargie des règles imposées de l’auto-constructeur. Naturellement, l’idée étant toujours de faire des économies et les tâches effectuées par l’architecte étant réduites par rapport à un projet conventionnel, les coûts de conception seraient diminués. Les deux acteurs seraient gagnants de cette collaboration : l’architecte serait payé en fonction des services rendus et des heures passées sur le chantier et durant l’accompagnement de la phase de conception, et l’autoconstructeur bénéficierait de conseils et de discussions ciblées sans pour autant consacrer un budget très important à ce service-là. Le point fort de cette proposition réside dans l’idée d’interventions ponctuées, efficaces et productives de l’architecte tout au long du projet. Elles seraient sûrement plus nombreuses lors de la phase de conception puis progressivement leur nombre diminueraient au fil de l’avancement du chantier, laissant ensuite éventuellement la place de conseiller aux entreprises. En servant d’intermédiaire et en faisant connaître son propre réseau d’artisans, afin d’avoir des conseils variés et nombreux, l’architecte pourrait conserver sa place centrale tout en s’investissant personnellement dans le projet sans pour autant être responsable du chantier, vu que ce n’est pas lui le maître d’œuvre mais l’auto-constructeur. L’échange et la discussion restent forcément au cœur de la relation.

Nous venons de voir que dans la plupart des projets de construction le rôle de l’architecte est de concevoir puis de mener à terme la réalisation et ce en servant d’intermédiaire entre les acteurs. C’est valable aussi pour les projets d’auto-construction. Dans la prochaine partie, nous mettrons en avant l’idée que l’architecte a les connaissances et la possibilité d’être au cœur des innovations et des expérimentations autant conceptuelles que techniques.

2. Acteur du progrès : l’échange au cœur de nouvelles perspectives

a. Progrès techniques et expérimentations

Au sein des associations d’auto-constructeurs l’architecte est un acteur qui, au même titre que les autres bénévoles, s’engage par conviction, par humanisme et par curiosité constructive aussi. Il ne se rapproche jamais des auto-constructeurs pour l’argent car les gains sont minimes et les responsabilités et les risques juridiques encourus plus grands. C’est un choix pleinement assumé qui permet de s’engager pour quelque chose, dans un but commun afin de s’investir pour la réalisation de bâtiments qui véhiculent des valeurs plus sociales et écologiques. Ces projets-là sont difficiles, c’est pourquoi l’échange et la solidarité sont recherchés. L’association est donc un outil de promotion pour ces professionnels. Par contre, si les auto-constructeurs choisissent d’engager un architecte, ce qui suit ne dépend plus de l’association. C’est alors qu’il devient intéressant professionnellement pour l’architecte de travailler avec des auto-constructeurs, et ce pour différentes raisons : - Rendre la construction abordable : c’est un combat important et légitime au regard de la situation économique et énergétique actuelle. De plus, travailler au service de telles - 52 -


ambitions peut être stimulant. - Prendre part à la vie du chantier : l’accomplissement de l’architecte peut résider dans le plaisir de concevoir un projet au fur et à mesure des trouvailles du client sur le chantier. Tout n’est pas figé, au contraire la conception prend part tout au long de la construction. - Participer aux innovations architecturales : les auto-constructeurs sont sûrement les clients qui peuvent permettre aux architectes de pousser la recherche sur l’aspect durable ou non des projets. En effet, dans beaucoup d’associations, les architectes sont des initiateurs de projets en matière d’architecture soutenable car ils sont soutenus par des équipes. Par exemple les membres de l’association Les Compaillons, accompagnés par des architectes font des tests et des recherches sur l’optimisation de la paille. Il serait aussi intéressant que l’architecte soit un assistant à la maîtrise d’ouvrage, ce qui lui permettrait de monter des projets soutenus par un ensemble de « clients motivés », à l’image de l’association française Villages et Quartiers Solidaires, dissoute maintenant. Cela lui permettrait de se replacer dans une échelle plus large, celle de la ville voire même celle du territoire. Ne l’oublions pas, l’architecte doit toujours avoir une vision globale et élargie. Ainsi comme le dit Claire Guyet dans son livre Quelle place pour l’architecte dans l’autoconstruction ? : « Lorsque les usagers décident de ne plus être de simples consommateurs, mais de devenir acteurs de la construction, les architectes ont l’opportunité d’innover. »

b. Progrès législatifs

L’auto-construction pose naturellement ces deux questions : En quoi l’architecte a-t-il sa place dans un projet qui pourrait être réalisé sans lui ? Comment et jusqu’à quel point est-il envisageable de contourner le système établi et un certain nombre d’intermédiaires rendus inutiles par le projet auto-constructif ? C’est peut-être la réponse à ces questions qui légitimerait la place de l’architecte et son utilité vis-à-vis des auto-constructeurs. L’auto-construction est une pratique marginale, qui, nous l’avons vu plus haut n’est pas très encouragée par notre législation actuelle. C’est pourquoi l’architecte pourrait, grâce à son statut professionnel, intégrer la pratique auto-constructive à l’ordre établi afin de répondre à une certaine conformité. Cela favoriserait la banalisation de cette solution parallèle et pourrait permettre de promouvoir davantage l’auto-construction. Associer un statut officiel à cette pratique peu commune encouragerait peut-être les politiciens à reconsidérer législativement la mise en place de tels projets. Ainsi les banques et les assurances seraient moins réticentes à accompagner les autoconstructeurs. Pour que ces changements soient possibles, l’architecte a besoin de s’affranchir des directions imposées soit par des normes sociales soit par des décisions politiques. Il doit accepter de ne pas tout maîtriser et en se demandant pour qui et pour quoi il veut construire, il se réintègre dans un contexte humain. L’architecte doit sens cesse redéfinir sa place en fonction des évolutions du monde de l’auto-construction. S’adapter à la petite échelle de ces projets peut être un réel enjeu pour lui tout comme innover grâce aux idées et au soutien de personnes intéressées et motivées.

Nous allons maintenant parler des solutions et des outils susceptibles d’être apportés par l’architecte aux auto-constructeurs, dans le but de faciliter la réalisation de leurs projets. - 53 -



Partie 3 : L’architecte, un acteur possible de l’élaboration de solutions

A. Des solutions communes … complétées par des conseils individuels

1. Le système 3.55 de l’architecte Paul Quintrand Paul Quintrand, né en 1929 est un architecte DPLG depuis 1958. Le 25 novembre 2014 il est élu président de l’Académie d’architecture. En 1969, il fonde le laboratoire GAMSAU45, confirmant ainsi sa place de pionnier dans le domaine de l’application de l’informatique aux pratiques de conception architecturale. C’est entre 1967 et 1974 que l’architecte imagine un procédé architectural et constructif nommé « 3.55 » ou « maison Meccano » ayant pour but premier de « produire pour le plus grand nombre ».46

a. Rationalisation et préfabrication au cœur du processus architectural et constructif

Le 3.55 est un système architectural qui s’inspire des travaux d’Auguste Perret et qui fait l’objet d’un dépôt de brevet pour « une construction industrialisée évolutive ». Les recherches de Paul Quintrand s’orientent vers une forme d’industrialisation de la maison individuelle, possible grâce à une dimension modulaire, une trame et donc grâce à une rationalisation des espaces architecturaux. Le 3.55 doit son nom à un carré de 3.55m de côté définissant une unité spatiale habitable convenable avec en détails : 2.40m pour les espaces de vie et 0.90m pour les circulations complétés par une épaisseur technique. La trame se lit également en façade et à l’intérieur il est possible de multiplier ou de rediviser les modules en fonction des besoins des habitants. La richesse de ce système repose également sur les éléments supplémentaires protégeant la maison du soleil (brise-soleil, pergolas), sur la présence de mobilier dessiné par l’architecte ou par Roche Bobois et Prisunic présent dans la maison témoin construite à Ventabren et sur le fait qu’il soit déclinable dans différents matériaux (bois, acier, béton et assemblages acier). Cela permet alors aux habitants de choisir leur matériau. L’aspect modulaire de ce système permet de réduire les coûts et de faciliter le montage grâce à la préfabrication sérielle industrielle. De plus, cette orientation constructive permet aussi de réduire le nombre d’éléments de construction. Un grand nombre de combinaisons sont possibles grâce à l’assemblage libre des éléments, répondant ainsi à des souhaits programmatiques. Cependant, Paul Quintrand souhaite produire des composants de bonne qualité en s’opposant aux principes de préfabrication lourde et en réfléchissant à des modes d’industrialisation ouverts.

45 GAMSAU : Groupe d’Etude pour l’Application des Méthodes Scientifiques à l’Architecture, unité de recherche habilitée par la Direction de l’architecture et associée au CNRS URA 1247. Source : http://www.map.cnrs.fr/?page_id=381

46 Cette partie s’appuie essentiellement sur les propos du hors-série n°1 « Paul Quintrand architecte, une expérimentation entre recherche et projet » du périodique Colonnes, de décembre 2014.

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Fig 14 : Quintrand Paul, « Système 3.55 : Proposition pour une ville T4 » Plan disponible dans une banque de données des archives privées de l’architecte. In Colonnes, décembre 2014, hors-série n°1 « Paul Quintrand architecte, une expérimentation entre recherche et projet »

Fig 15 : Quintrand Paul, « Système 3.55 : Maison évolutive Ventabren 1967 ». Photographies. Archives privées de l’architecte. In Colonnes, décembre 2014, hors-série n°1 « Paul Quintrand architecte, une expérimentation entre recherche et projet »

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b. Participation des futurs habitants

On pourrait croire que l’orientation voulue de Paul Quintrand vers l’industrialisation et la préfabrication induise une standardisation architecturale ; c’est justement tout le contraire qui était souhaité par l’architecte. Il désirait faire participer les futurs usagers à l’élaboration conceptuelle de leur maison, reflet de leur propre identité. Pour cela, il a élaboré un « jeu de construction » qui permettait de faciliter la communication avec les clients et de les aider à combiner les unités spatiales en fonction de leurs attentes. La réflexion se faisait en plusieurs temps : d’abord, un questionnaire était proposé aux habitants afin de définir leurs besoins et leurs souhaits. Leurs réponses amenaient au choix de plusieurs plans types puis les échanges avec l’architecte et la manipulation du jeu de construction permettaient de concevoir un plan adapté aux clients. Ainsi ils participaient à la conception de leur habitat grâce à un procédé dont les multiples combinaisons (environ 800) permettaient de s’adapter à la fois aux besoins et aux désirs des habitants et aux contraintes du milieu. Cette diversité permettait alors de conserver une certaine qualité architecturale. L’intérêt du jeu de construction était également de pouvoir déterminer le prix de la future habitation à partir des prix établis pour chaque élément. Les clients n’ayant pas l’habitude de se représenter l’espace, il est difficile pour eux de s’imaginer actif dans tel ou tel volume. La manipulation des pièces du jeu leur permettait donc de visualiser l’espace et de s’y projeter. Le système offrait également la possibilité aux habitants de faire évoluer eux-mêmes leur maison dans le temps en intervenant sur les éléments modulaires relativement légers. Le client s’émancipait alors des services de l’architecte et s’affranchissait de toute contrainte conceptuelle. Cela confirmait l’intention de Paul Quintrand de s’effacer progressivement du projet en s’opposant à une « architecture d’auteur ». La Villa Ragain à Eguilles est la preuve de cet effacement de la part de l’architecte car ce dernier n’a en effet jamais vu la maison qui a été conçue par son habitant grâce au système 3.55. Il l’a pensée, définie et créée. Mais les objectifs de Paul Quintrand étaient encore plus ambitieux : il souhaitait élaborer une base de données stockée sur un ordinateur et alimentée par les modèles créés par les habitants en lien avec leur questionnaire. Il avait déjà compris que l’outil informatique permettrait de communiquer avec un nombre de clients potentiels infini et faciliterait les échanges entre les architectes et les futurs habitants. Ses recherches se sont également dirigées vers l’usage de la 3D qu’il souhaitait démocratiser afin de mieux faire comprendre les projets architecturaux aux personnes non avisées. De nos jours, les idées initiées par Paul Quintrand sont réinterrogées et les progrès informatiques facilitent la communication, la conception ainsi que la réalisation des projets architecturaux.

En s’appuyant sur le système de Paul Quintrand à l’instant développé, nous allons à présent essayer d’élaborer une solution de collaboration entre l’architecte et l’auto-constructeur basée sur des réflexions communes puis individualisées

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Fig 16 : Paul Quintrand, « Système 3.55 : éclaté ».

Fig 17 : Paul Quintrand « Jeu de construction ».

Schéma. Archives départementales des Bouches-du-

Photographie. Archives départementales des Bouches-

Rhône In Colonnes, décembre 2014, hors-série n°1 «

du-Rhône. In Prado, décembre 1973, n°9

Paul Quintrand architecte, une expérimentation entre recherche et projet »

2. L’auto-constructeur libre mais accompagné

a. Une base commune

Pour optimiser les résultats de la collaboration entre architectes et auto-constructeurs, l’idée serait de combiner à la fois les intentions héritées de Paul Quintrand à celles des exemples de projets participatifs, ainsi qu’aux actions menées par l’association Toit par toi citée précédemment. Contrairement à l’association qui part de plans identiques pour tout le monde, l’objectif serait d’élaborer une base commune de conception grâce à un échange entre les auto-constructeurs et l’architecte mais en aucun cas de proposer à chaque ménage d’avoir la même maison que son voisin. Cela permettrait de partager les coûts de conception, assurée par l’architecte, tout en y participant. Une base de concept pourrait s’appuyer sur un système modulaire à l’image de celui de Paul Quintrand. L’architecte et les clients sont libres d’imaginer des solutions variées : utiliser des conteneurs, des éléments préfabriqués issus de l’industrie ou encore se baser sur les dimensions d’une botte de paille pour mettre en place une trame constructive etc, toutes les idées sont bonnes pour rationaliser le projet sans pour autant éliminer les processus créatifs. Mettre en commun des idées n’est pas forcément synonyme de simplicité et d’aspect impersonnel. En revanche, nous pouvons voir en cette solution une mise à l’écart de l’artisan, pourtant acteur important comme nous l’avons déjà vu. Ce n’est pas forcément le cas, car si en effet la mise en œuvre d’éléments préfabriqués ne nécessite pas obligatoirement l’intervention des entreprises, une main d’œuvre qualifiée quant à la mise en place d’enduits, d’une isolation paille ou d’une structure bois ou métallique peut être nécessaire voire même indispensable à l’auto-constructeur dans les premiers temps. Une fois que la base conceptuelle est mise au point (et ce après avoir pris en compte le(s) matériau(x) que les auto-constructeurs souhaitent utiliser ainsi que leurs idées générales concernant la structure et les grandes lignes de portées et d’ouvertures), l’architecte peut passer à la phase plus individuelle durant laquelle il aidera chaque ménage et famille à personnaliser son habitat. - 58 -


b. Une liberté de conception et de construction conservée

Les auto-constructeurs choisissent cette voie pour la construction de leur maison pour deux raisons principales : les économies et la liberté que cela permet. Si ces deux facteurs ne sont pas pris en compte par l’architecte qui s’engage auprès d’eux alors il n’y a plus d’intérêt à l’auto-construction. Il est très important de travailler en accord avec leurs principes, leurs choix et leurs souhaits. Leurs envies d’indépendance et de liberté peuvent en effet représenter des freins au bon déroulement des processus conceptuel et constructif mais c’est en cela que réside toute la richesse des projets auto-construits en comparaison aux projets plus conventionnels. L’architecte pourrait être à l’origine de plans adaptables et personnalisables basés sur le même concept induisant ainsi des projets semblables mais pas similaires, adaptés à chaque ménage. Claire Guyet décrit le rôle possible de l’architecte ainsi : « il pourrait être consulté comme un médecin, seulement pour le temps de la programmation et d’une première esquisse particulièrement adaptée au contexte et à l’auto-construction.47 » Je rajouterais à cette proposition le fait que l’architecte soit toujours présent aux côtés du client durant la période de chantier, afin de prolonger son rôle de conseiller et de « contrôleur » car il est apte à déceler plus facilement les problèmes qui pourraient advenir lors des travaux. L’idée d’une base simple à adapter me semble intéressante mais l’acheteur doit être conscient de l’implication que cela suggère afin d’estimer ses besoins et ses compétences. Le travail de l’architecte consiste donc dans cette deuxième phase à conseiller et orienter personnellement chaque client afin de préserver sa liberté d’action et de choix. Il semble être indispensable de connaître le client, ses envies et ses capacités ainsi que sa façon de vivre. Il semblerait qu’une collaboration entre architectes et auto-constructeurs soit professionnellement envisageable. La solution décrite à l’instant peut paraître quelque peu utopiste et pourtant chaque partie pourrait y trouver son compte. Les coûts de conception financés par les auto-constructeurs seraient diminués et ils bénéficieraient de conseils individualisés afin de conserver leur liberté. Quant aux architectes, ils auraient la possibilité d’innover, de participer à la lutte contre la crise du logement et leur statut passerait de bénévole à professionnel rémunéré par les auto-constructeurs.

Nous avons vu que la collaboration architectes/auto-constructeurs est professionnellement viable et intéressante. Nous allons maintenant voir quelles pourraient être les solutions apportées par l’architecte lui permettant de mieux communiquer avec ses clients.

47 Claire Guyet, Quelle place pour l’architecte dans l’auto-construction ?, éditions Cosmografia, 2014

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B. Des outils concrets pour mieux communiquer

Les auto-constructeurs sont souvent des personnes qui n’ont pas de connaissance très développée dans le milieu de la construction. Ils ne sont pas professionnels et même s’ils sont bricoleurs, il leur est difficile de comprendre le langage utilisé par les artisans ou par les architectes. Apprendre une technique, comprendre le fonctionnement de tel ou tel outil leur est accessible à condition d’échanger avec leurs propres mots. Or, ce n’est souvent pas le cas : beaucoup de clients ne comprennent pas les propos des artisans et des architectes d’où les difficultés à communiquer. C’est encore plus marqué et pénalisant dans le domaine de l’auto-construction. Les personnes que j’ai interrogées ont affirmé leur difficulté à visualiser les espaces représentés en plan et en coupe et à comprendre les détails structurels. L’architecte pourrait établir les plans avec les auto-constructeurs et leur fournir ensuite des documents 3D et des maquettes pour qu’ils comprennent comment s’organise leur maison et comment elle tient ; sa formation et ses connaissances lui permettent d’apporter ces compléments précieux.

1. Des supports physiques

a. Des maquettes conceptuelles et représentatives de la réalité

Rien n’est plus compréhensible qu’une maquette physique que l’on peut manipuler. Il en existe deux types aux buts différents : - La maquette conceptuelle : elle permet de comprendre les idées principales du projet et les partis pris directeurs de la conception. Elle répond rapidement à ces questions : une forme monolithique ou déstructurée ? une maison de plain-pied et donc une emprise au sol importante ou bien deux niveaux ? où sont positionnées les circulations ? l’agencement des pièces répond-t-il à une idée d’espace très ouvert ou renvoie-t-il au principe d’espaces servants/ espaces servis ? etc. Elle est très intéressante et indispensable dans tout processus conceptuel architectural mais elle ne semble pas très appropriée pour un travail de collaboration entre un architecte et un auto-constructeur car ce dernier n’a pas été exercé à percevoir et à comprendre les intérêts de cette méthode. - La maquette qui représente la réalité : elle permet grâce à sa ressemblance à un « vrai futur projet » de comprendre les proportions des mesures qui définissent un espace et de visualiser l’échelle du projet ainsi que son implantation. Elle peut aussi renseigner sur l’apport lumineux ou bien n’être que partielle afin de s’intéresser à des détails structurels par exemple. L’auto-constructeur peut se projeter et s’imaginer dans cette maison et ainsi participer davantage à l’exercice de conception mené en collaboration avec l’architecte. Si des systèmes de construction sont mis en place par l’architecte, la maquette peut, au même titre que le « jeu de construction » de Paul Quintrand servir de base de réflexion. Elle peut permettre de trouver une solution architecturale pour chaque auto-constructeur qui aura manipulé les différentes pièces afin de créer une maison qui convient à ses besoins et qui lui plaît esthétiquement et volumétriquement. La maquette physique et manipulable paraît adaptée pour servir de moyen de - 60 -


communication entre l’architecte et l’auto-constructeur. C’est un outil compréhensible par tous contrairement aux éléments graphiques techniques utilisés par les professionnels (plans, coupes, élévations etc).

b. L’imprimante 3D au service de la communication et de l’innovation

L’imprimante 3D, utilisée dans de plus en plus de secteurs comme dans la recherche médicale ou l’industrie par exemple, pourrait être un outil très utile à l’auto-constructeur. Une petite imprimante 3D serait à même de réaliser des maquettes physiques très rapidement, que ce soit des modèles réduits des maisons, des pièces d’assemblages ou des exemples à petite échelle de détails structurels. Nous pourrions imaginer qu’en se procurant une ou plusieurs de ces imprimantes, les associations d’auto-constructeurs ou bien celles qui les aident (comme les Castors par exemple) leur donneraient la possibilité de mieux comprendre l’agencement des volumes de leurs maisons ou bien la complexité de telle ou telle mise en œuvre, et ce à prix réduit. Posséder cet outil serait également une réelle plus-value pour les architectes qui diversifieraient ainsi leurs moyens de communication et pourraient mieux accompagner les auto-constructeurs dans leur projet en facilitant la communication. L’imprimante 3D pourrait permettre aux deux acteurs de mieux se comprendre. Certains ont même imaginé utiliser cet outil à échelle 1, c’est-à-dire afin d’élaborer des constructions à l’échelle de l’homme. Coûts réduits, délais très écourtés, sécurité sur le chantier sont autant d’atouts que les entreprises innovantes dans ce domaine mettent en avant. Mais ce n’est pas tout, leur but premier est plus ambitieux encore : pallier au mal-logement en offrant la possibilité aux plus modestes d’accéder à la propriété à coûts très réduits. De plus, ces technologies seraient de même à apporter une aide précieuse aux équipes déployées sur le terrain lors de catastrophes naturelles par exemple, en construisant très rapidement des habitats d’urgence, solution efficace préalable à la reconstruction de bâtiments pérennes. Un prototype a été imaginé, conçu et testé dans une université de Californie du Sud par le professeur Behrokh Khoshnevis et ses équipes48. Cette imprimante 3D géante, nommée Contour Crafting (fig 18), se compose de deux rails le long desquels se déplace une grue-portique qui déverserait du béton par couche afin de construire des murs49. Elle pourrait être utilisée pour réaliser des maisons entières en vingt-quatre heures. Le projet social et collaboratif Construction-3D50 (fig 19) a également réfléchi à un système de bras articulé qui, situé au centre de la future construction, diminuerait les déplacements lors de la superposition des couches de béton. Concernant les auto-constructeurs, l’utilisation d’une imprimante 3D géante leur permettrait de concevoir une maison totalement sur-mesure, à l’image de leurs modes de vie et elle les accompagnerait dans la phase de chantier la plus longue et la plus délicate, celle du gros œuvre.

48 http://www.construction21.org/france/articles/fr/insolite-limprimante-3d-qui-peut-construire-une-maison-en-24-heures.html 49 http://www.journaldunet.com/economie/immobilier/contour-crafting.shtml 50 http://www.constructions-3d.com/home

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Fig 18 : Modèle 3D schématique. En ligne in Construction 21 France : http://www.construction21.org/france/articles/ fr/insolite-limprimante-3d-qui-peut-construire-une-maison-en-24-heures.html

Fig 19 : « L’imprimante béton en action ». Représentation schématique. En ligne In Construction-3D : http://www. constructions-3d.com/

Maintenant, nous allons nous pencher plus en détails sur les outils technologiques qui apporteraient, au même titre que les maquettes des informations complémentaires aux clients ainsi qu’une aide précieuse dans les processus de conception et de réalisation de projets autoconstruits.

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2. Des supports virtuels ancrés dans la réalité

a. Les technologies du numérique : des outils contemporains accessibles et de plus en plus utilisés

Notre société actuelle est connectée sans cesse, les informations s’échangent avec une facilité incroyable. Les technologies de l’information font évoluer nos sensations et nos représentations du monde, à l’égal de notre manière de regarder changée par la photographie. Le monde des choses est constamment mêlé au monde des informations. Cette ambiguïté est le témoin de l’âge du numérique et cette recherche technique résulte forcément d’une transformation sociétale et culturelle. D’après Antoine Picon, architecte et professeur d’histoire de l’architecture et des technologies « c’est le numérique qui va nous permettre de répondre aux impératifs environnementaux que nous ne pouvons ignorer.51» Il veut dire ainsi que le numérique est un outil indispensable pour gérer intelligemment la consommation et le traitement de ressources qui se raréfient (eau, énergie notamment) de même que les contraintes comme les déchets par exemple. D’un point de vue architectural et urbanistique, « la fiction permet d’embrayer sur ce qui n’existe pas encore et d’appréhender des phénomènes mal identifiés.52» Les professionnels de la conception architecturale et des aménagements urbains sont attentifs aux espaces existants comme aux espaces hypothétiques ou utopiques. Faire un projet c’est se raconter une histoire. Toutes les innovations comportent une part de fiction, même si celle-ci est structurée par des usages futurs, à un moment donné. Le but de l’intrusion du numérique dans ces domaines professionnels est d’enrichir le regard de ceux qui pensent les villes et de leur donner un cadre élargi pour la réflexion. « L’association, fréquente entre « numérique » et « virtuel » est discutable, voire dangereuse, en tout cas dépassée.53» Rien n’est plus concret que le numériques : smartphones et serveurs internet occupent une place très importante dans nos vies. Les autoconstructeurs disposent de ces technologies mais n’utilisent pas ces supports de médiation à leur avantage durant la conception et sur le chantier. Ils utilisent, on l’a vu, leur smartphone ou leur ordinateur pour se renseigner et élargir leurs connaissances théoriques mais l’architecte pourrait en plus leur donner la possibilité de mieux visualiser l’ensemble des espaces de leur maison. L’objectif est d’améliorer la collaboration entre les architectes et les auto-constructeurs. Pour cela, les architectes possèdent les outils technologiques et la formation pour enrichir les connaissances des auto-constructeurs et la vision qu’ils ont de leur future habitation. Ainsi le travail de conception serait valorisé et peut-être même plus adapté à chacun, et la réalisation serait facilitée. Des documents virtuels élaborés par l’architecte, comme par exemple des modèles 3D du projet, des insertions photographiques, des visites virtuelles de la maison ou encore des petits films de simulation d’ensoleillement pourraient aider les auto-constructeurs à faire des choix conceptuels. Cela leur permettrait d’accorder plus d’importance à la phase de réflexion et d’éviter de prendre pour modèle les plans d’une maison lambda pour préférer des plans sur-mesure, adaptés à leur mode de vie. L’auto-construction est le paroxysme de la personnalisation et de la liberté constructive et les architectes peuvent en être pleinement

51 Qu’est-ce que la ville intelligente ? Texte imprimé. D’A D’architecture 2013 octobre n°221 – 1989 - Picon Antoine – Propos recueillis par Guillemette Morel Journel 52 Même référence qu’en note 51. 53 Idem

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acteur en facilitant l’accès à ces outils générateurs d’idées nouvelles.

Nous allons à présent nous pencher plus en détails sur un outil de plus en plus démocratisé et dont l’utilisation pourrait encourager et faciliter les projets d’auto-construction: la réalité augmentée.

b. La réalité augmentée : une plus-value

La réalité54 est dite « augmentée » lorsqu’elle permet, via la caméra d’un smartphone, d’une tablette ou d’un ordinateur, d’accroître et d’enrichir notre environnement d’informations virtuelles, non perceptibles à l’œil nu et ce, en temps réel. C’est une solution de valorisation, une plus-value qui permet d’appuyer les propos et de varier les moyens de communication. La réalité augmentée interagit en permanence avec l’espace et le temps. Cinq outils sont indispensables à la mise en place de la réalité augmentée, qui sont : - Une composante réelle - Une composante virtuelle - Une technologie : support de médiation - Une technique : méthode utilisée pour recaler deux mondes (le virtuel et le réel) dans le même repère - Un scénario interactif Ainsi, trois règles sont à respecter lorsque l’on parle de réalité augmentée : - Combiner réel et virtuel - Etre interactif en temps réel - Utiliser l’environnement 3D Alors que la réalité augmentée est l’ajout d’éléments virtuels au monde réel en temps réel, la réalité virtuelle elle, n’intègre aucune présence du réel. Elle reproduit, modélise des actions du réel passé et/ou présent et l’utilisateur est immergé dans un monde complètement virtuel tout en ayant une impression de réalité. Cette solution numérique a les capacités de modifier, d’enrichir la façon de concevoir des projets d’architecture et même la façon de construire et de mettre en œuvre les matériaux. En effet elle peut (ou pourrait) permettre de : - Comprendre davantage l’histoire d’une ville et son urbanisation : les variations du bâti, des voies et de la morphologie des bâtiments de la ville sont compréhensibles sur des plans superposés mais elles sont enrichies grâce à la réalité augmentée. - Valoriser et redécouvrir différemment notre patrimoine bâti, urbain et paysager. Les conservateurs de l’Abbaye de Cluny ont fait le choix d’utiliser la réalité augmentée afin de donner une nouvelle vie à l’édifice : grâce à des grandes tablettes, le visiteur peut voir et comprendre comment était l’abbaye à différentes époques de son existence. - Diversifier et simplifier la présentation des projets aux clients et donc optimiser ses chances de marquer les esprits : les clients peuvent se projeter facilement dans leur futur

54 Partie s’appuyant largement sur les cours de Tommy MESSAOUDI, intervenant à l’ENSA Marseille dans le cours d’option Réalité Augmentée.

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logement à travers une brochure (marqueur) ou même à taille réelle sur le terrain. Par exemple, le plan de la maison peut servir de marqueur et l’application de réalité augmentée fera apparaître le modèle 3D lorsque la caméra détectera le marqueur. Ainsi les clients pourront faire une visite virtuelle de leur future habitation. - Montrer sa maison à ses proches à travers une tablette, projetée directement sur le futur terrain à bâtir : les échanges et la compréhension du projet sont facilités. - Simplifier la mise en œuvre en accompagnant les artisans pas à pas dans leurs actions et donc éviter les erreurs et les accidents. - Se rendre compte des évolutions des esquisses du projet plus concrètement que sur de simples plans. - Représenter les détails structurels : la difficulté de compréhension qu’ils représentent ne sera plus un réel obstacle. Des applications comme Urbasee55 ou Augment56 sont proposées d’ores et déjà aux architectes et aux agents immobiliers afin de faciliter la compréhension des projets aux clients qui n’ont pas forcément les connaissances permettant de comprendre les outils représentatifs de l’architecte. Il suffit de posséder une modélisation 3D de la future construction et le logiciel fait le reste, grâce aux marqueurs enregistrés qui permettent de restituer le document virtuel en le détectant. Grâce à cette interface entre réel et virtuel, l’architecte pourrait accompagner l’autoconstructeur dans les processus autant conceptuels que constructifs. Cet outil est à mon avis un facteur qui va pouvoir très prochainement rapprocher les auto-constructeurs avec les architectes et même avec les artisans.

Fig 20 : Photographie. En ligne In Urbasee : https://

Fig 21 : Photographie. En ligne In Augment : http://www.

urbasee.com/tutoriel/

augment.com/fr/

Nous venons d’analyser l’intérêt de varier les moyens de communication que l’architecte peut utiliser afin de travailler avec l’auto-constructeur. Les maquettes ou les éléments virtuels peuvent être utilisés durant l’ensemble du processus de création du projet, de la phase de conception à la phase de réalisation. Nous allons à présent nous intéresser aux relations architectes/auto-constructeurs lors du chantier.

55 https://urbasee.com/

56 http://www.augment.com/fr/

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C. Le temps du chantier

1. Pierre Bernard, un architecte attentif à la phase de réalisation Pierre Bernard, né le 24 septembre 1956 est un architecte DPLG depuis 1983. Il crée l’atelier d’architecture et d’urbanisme Pierre Bernard en 1985. Il porte une attention particulière à ce qu’il appelle « le temps du chantier » qui est d’après lui « une richesse et une ressource conceptuelle à part entière pour le projet 57». C’est pourquoi il ne délègue jamais le suivi et l’accompagnement du chantier à un tiers. Sa façon de penser est héritée des travaux et réflexions de Jean Prouvé, architecte et expérimentateur de l’architecture industrielle à partir des années 1930. Ce dernier avait une expression simple pour définir l’action de l’architecte sur la phase de chantier : la pensée constructive ou pensée agissante. Pierre Bernard reprend son idée en disant : « Les architectes veulent produire des bâtiments expressifs. A partir de là, cela semble aller de soi d’investir le chantier, puisqu’il est le temps et le lieu où l’action épuise le potentiel de l’idée, la transforme en état de présence tangible, la réalise au sens plein du terme.58 » Cette « pensée constructive » questionne le projet quelle que soit son échelle et remet en question le rôle de l’architecte lors de la phase de réalisation. Avec l’impact grandissant des règlementations, l’influence de la loi MOP relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée de 1985 (concernant la décomposition des missions de la maîtrise d’œuvre) et des profondes mutations technologiques, l’architecte n’est plus qu’un acteur parmi d’autres sur le terrain. Il doit composer avec les ingénieurs des bureaux d’études, le bureau de contrôle et les coordonnateurs SPS (sécurité et protection de la santé) et SSI (système de sécurité incendie). Il a encore une certaine importance dans la phase de conception mais parfois il subit presque le processus de réalisation plutôt que d’en être l’animateur. L’architecte doit reprendre en main le chantier sans pour autant être le seul acteur de l’autorité. Celle-ci doit être étendue à tous les partenaires de la maîtrise d’œuvre afin d’échanger dans le but de pousser la conception à ne jamais s’arrêter, et surtout pas au moment de commencer le chantier. Pour Pierre Bernard, il est important sur le chantier de s’aventurer dans des savoir-faire ou des techniques que l’on ne connaît pas car cela permet d’innover et surtout de ne pas « prendre les divers degrés de déqualification comme des faits indépassables. » Ainsi, il est conscient que cet engagement particulier engendre un certain degré d’improvisation qui d’après ses mots « nous fait jouer et rejouer le projet, jusqu’au moment rare où quelque chose bascule dans un état de présence réelle. Sans aucun malentendu : il faut connaître sa partition par cœur et faire ses gammes tous les jours. » La richesse d’un chantier réside dans l’hétérogénéité des façons de construire, des archaïsmes aux formes très techniques, « ce qui en fait un lieu d’exploration continue ».

57 http://www.pierrebernard-architectes.com/vignette/atelier/vignette_atelier.html

58 Pierre Bernard - Le temps du chantier - AMC 2002 n°129 p69-71. Article de revue.

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En m’appuyant sur les réflexions de Pierre Bernard, je vais à présent essayer d’établir des conditions que l’architecte doit respecter s’il fait le choix de travailler avec des autoconstructeurs. Ces derniers ont besoin d’être épaulés durant tout le processus de projet, des premières esquisses à la construction.

2. Auto-constructeurs et architectes : une collaboration sans faille de la conception à la livraison

a. Le chantier : une réappropriation de la technique

L’auto-construction c’est évidemment une démarche économique, éventuellement écologique, c’est un plaisir, un défi, une façon de maîtriser le projet et d’être libre de ses choix. Mais c’est aussi une façon de retrouver la compétence d’édifier et de savoir ainsi « comment c’est fait ». Le corps façonne la matière et réaliser les choses soi-même permet d’expérimenter et de reconsidérer les corps de métier des domaines du bâtiment. L’auto-constructeur comprend mieux son habitat en l’ayant construit. Son élaboration n’a plus de mystère et il s’émancipe ainsi des techniques généralisées. Le chantier met en scène trois facteurs indissociables : l’activité, la temporalité et le lieu. Il s’inscrit dans l’histoire en se fondant dans les tissus existants. L’auto-constructeur devient alors acteur de sa propre histoire en gérant le processus de projet sur une durée prolongée et en s’implantant dans un lieu, créant ainsi une version personnelle de l’histoire de ce lieu. La phase de réalisation d’un projet auto-construit est l’occasion de renouer avec les techniques de construction, autrefois accessibles à tous. Les circonstances du chantier amènent les artisans et ouvriers à collaborer avec les auto-constructeurs, dans le but de partager des savoir-faire afin de garantir une certaine liberté d’exécution pour les auto-constructeurs. L’architecte, une fois engagé auprès de l’auto-constructeur se doit de l’accompagner dans ses choix de mises en œuvre et sa mission de conseil est primordiale. L’architecte détient la théorie des mises en œuvre et l’artisan la pratique : il serait donc intéressant pour ces deux acteurs de se regrouper et d’échanger leurs savoirs afin d’enrichir et de faciliter l’expérience de l’auto-constructeur.

b. Un contact direct et continu entre l’architecte et l’auto-constructeur

La relation établie entre l’architecte et l’auto-constructeur doit être basée sur la confiance et l’échange. La maîtrise d’œuvre étant partagée entre ces deux acteurs, la relation entre eux est tenue d’être directe et sans retenue. Le rôle de l’architecte et ses capacités sont alors mieux connus par le maître d’ouvrage habitant. Une fois engagé auprès de l’auto-constructeur, l’architecte ne peut pas déléguer son travail et ses missions de conseil à d’autres personnes car il est impliqué pleinement dans ce projet, encore plus que pour un projet de construction dit « classique ». Il est le seul à connaître la démarche du client, ses envies et ses objectifs. L’autoconstructeur, très peu entouré par les professionnels du bâtiment, a souvent besoin d’une sorte de mentor qui saura le conseiller en temps voulu. L’architecte peut jouer ce rôle. C’est pourquoi, l’investissement en temps sur le chantier doit être conséquent de la part de l’architecte. La fréquence de visite nécessite d’être soutenue car le client est ici en situation de remise en question constante. Ses interrogations sont intarissables, ce qui paraît légitime au vu de son - 67 -


non-professionnalisme et de son ignorance en matière de techniques de construction. Ce n’est bien sûr pas le cas de tous, mais rappelons-le, l’auto-construction est pratiquée par beaucoup de non-initiés aux pratiques constructives. Cet investissement de la part de l’architecte est la preuve de son engagement, aux responsabilités assumées. Les différentes phases d’un chantier auto-construit sont assurées par un seul et même ouvrier : l’auto-constructeur lui-même. La multitude de tâches effectuées en principe par différents ouvriers est ici exécutée par le client qui, contrairement à 85% des ouvriers travaillant sur un chantier,59 verra le résultat final du bâtiment. L’auto-constructeur maîtrise la finalité des différentes étapes à long et moyen terme. L’architecte, trop souvent focalisé sur la phase de conception se doit d’être présent durant tout le processus de projet auto-construit, de la première esquisse aux finitions du chantier. Détenteur du savoir, il a la possibilité d’accompagner techniquement, avec l’aide des entreprises, les auto-constructeurs. Son investissement personnel est encore plus important lors du suivi de chantier que pour un projet plus classique car il ne peut pas s’appuyer sur d’autres professionnels de maîtrise d’œuvre.

Pour conclure sur cette dernière partie, nous pouvons affirmer que l’architecte détient tous les outils et toutes les compétences pour accompagner l’auto-constructeur dans son projet. Il est capable de faciliter les recherches conceptuelles grâce à des moyens de communication plus adaptés au dialogue entre professionnel et bricoleur amateur. Ces moyens ont tout intérêt à être étendus et développés lors de la phase de réalisation qui représente le passage souvent chaotique de la théorie à la pratique.

59 http://www.pierrebernard-architectes.com/images/projet/publication/pdf/criticat_2.pdf

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Conclusion Le sujet de ce mémoire traitant de la place que peut prendre l’architecte au sein de projets auto-construits, l’objectif était d’essayer de répondre à la problématique suivante : La crise du logement en France étant l’une des préoccupations majeures des programmes politiques et sociaux depuis de nombreuses années, quelle place l’architecte peut-il prendre au sein des groupes d’acteurs dans le domaine de l’auto-construction, solution alternative trouvée pour accéder plus facilement à la propriété ? Quels sont les outils et les solutions qu’il peut amener aux auto-constructeurs, notamment en matière d’innovations technologiques et conceptuelles, afin de les accompagner de la phase de conception à la phase de réalisation de leur logement ? Pour mener à bien mon travail d’investigation, j’ai tout d’abord effectué un état des lieux général sur l’ensemble des domaines que je voulais développer et mettre en relation. Cette vision globale m’a permis de confirmer la difficulté qu’ont les ménages français à accéder à la propriété et même à simplement se loger. Cela m’a également permis de démontrer que la solution alternative de l’auto-construction est envisageable car elle n’est pas inconnue. Plusieurs exemples d’expérimentation à caractère commun, écologiste ou non ont vu le jour dans le passé et la demande est de plus en plus importante aujourd’hui. Malgré un contexte politique, social et législatif réticent, la situation économique actuelle, les préoccupations environnementales ainsi que le désir de revenir à une façon de construire plus personnelle et moins industrielle favorise le développement de ce mode de construction qui suscite une curiosité et un intérêt croissants. Par ailleurs, nous l’avons vu, une collaboration étroite mais voulue et assumée entre les différents acteurs, architectes, auto-constructeurs et entreprises, permettrait aux auto-constructeurs de mener plus facilement à bien leur projet en bénéficiant de conseils professionnels et d’une assistance ponctuelle mais durable durant les phases de conception et de réalisation. Grâce à l’intervention de l’architecte, évidemment moins importante que pour un projet conventionnel, des qualités spatiales et des ambiances particulières pourraient être davantage réfléchies lors de la conception. Ces échanges entre acteurs, couplés à des ambitions professionnelles et à un engagement de la part de l’architecte permettraient d’innover en matière de communication, au service à la fois de la conception et de la phase de chantier, dans le domaine de l’auto-construction, sans pour autant altérer la liberté revendiquée par les auto-constructeurs. Les entretiens que j’ai pu réaliser m’ont permis de confirmer le potentiel important d’intervention de la part de l’architecte dans des projets auto-construits car il est un acteur utile à l’élaboration de tels défis et pourtant paradoxalement mis à l’écart car incompris (à l’égal des auto-constructeurs qui se sentent aussi incompris des architectes). Il possède les compétences et les outils pour épauler les auto-constructeurs mais cela doit être un choix de sa part et non une obligation. Ce mémoire a été pour moi l’occasion de rencontrer une communauté aux ambitions et aux actions remarquables. Je vais forcément être amenée à voir évoluer l’ensemble des préoccupations et des initiatives ayant attrait à ce sujet, plus que jamais ancré dans notre contexte actuel. L’auto-construction engagée au sein d’une politique industrielle écrasante n’en est qu’à ses débuts. C’est pourquoi, les auto-constructeurs interrogés et moi-même espérons - 69 -


voir naître d’ici peu des projets auto-construits à plus grande échelle que la maison individuelle. Ce travail d’investigation et d’écriture m’a permis de développer un intérêt toujours plus important au fur et à mesure de son avancement. Ce rapport représente dorénavant le point de départ d’une recherche et d’un engouement personnel pour les solutions architecturales et les innovations permettant de loger toujours plus de personnes et de réaliser le rêve de l’accession à la propriété de beaucoup de ménages. C’est pourquoi, l’ensemble des réflexions menées m’a conduite à me poser les questions suivantes : est-ce une utopie de croire en l’auto-construction à grande échelle ? Pouvons-nous envisager une future élaboration de projets communs basés sur l’auto-construction et donc l’entraide et le partage des savoirs ? Naturellement, ces ambitions se heurtent à des difficultés d’entente sociale et d’investissement personnel important ainsi qu’à une France quelquefois trop individualiste. Pourtant, des projets semblables à cette idée existent déjà dans les grandes agglomérations. Financièrement regroupés et défendant l’enjeu humain, l’éco-hameau ou l’éco-quartier en sont de bons exemples. La mise en place d’une pensée collective permettrait ainsi de regrouper les intérêts et de voir éventuellement apparaître des concepts innovants basés sur le respect de l’environnement et de l’Homme (comme par exemple une seule source d’énergie pour plusieurs maisons). Mais à cela, il faut rajouter la part d’auto-construction, dont la gestion n’est pas une mince affaire. L’auto-construction me semble avoir un avenir certain. Ce mémoire m’a permis de m’ouvrir sur un sujet, qui, je l’espère ne cessera d’évoluer.

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Notice bibliographique raisonnée -

Ouvrage / 1 auteur

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Ouvrage / 2 à 3 auteurs

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Contribution / périodique

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Internet / site

• GUYET Claire, Quelle place pour l’architecte dans l’auto-construction ?, Nantes : éditions Cosmografia, 2014, 132 pages. • LEVI-STRAUSS Claude, La pensée sauvage, Paris : éditions Plon, 1962, 347 pages • GAUDIN, Pierre, CARDOSO, Isabel, La maison que Pierre a bâtie, Cinq autoconstructeurs, Grane : éditions Creaphis, 2004, 112 pages

• BONILLO Jean-Lucien, MARANTZ Eléonore. Paul Quintrand, architecte : Une expérimentation entre recherche et projet. In Colonnes, décembre 2014, hors-série n°1 « Paul Quintrand architecte, une expérimentation entre recherche et projet » • MORANDI Christian. Paul Quintrand, l’informatique et la recherche architecturale. In Colonnes, décembre 2014, hors-série n°1 « Paul Quintrand architecte, une expérimentation entre recherche et projet » • DALBERA Didier, ZOLLER Jacques. L’œuvre de Paul Quintrand architecte au filtre de la modélisation. In Colonnes, décembre 2014, hors-série n°1 « Paul Quintrand architecte, une expérimentation entre recherche et projet » • ¨PALANT-FRAPIER Christel. Le 3.55 : un système architectural et constructif au service de l’usager. In Colonnes, décembre 2014, hors-série n°1 « Paul Quintrand architecte, une expérimentation entre recherche et projet »

• Fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés, Paris. Disponible sur : http:// www.fondation-abbe-pierre.fr/21e-rapport-etat-mal-logement-2016 • Institut national de la statistique et des études économiques, Paris. Disponible sur : http://www.insee.fr/ • Ordre des architectes, Paris. Disponible sur : http://www.architectes.org/la-professionen-chiffres-0 • Castors de l’Ouest, Saint-Nazaire. Disponible sur : http://www.castorsouest.eu/joomlafr/jce/qui-sommes-nous/depuis-1950-une-histoire-formidable • Botmobil, réseau français de la construction paille, Lesponne. Disponible sur : http:// www.botmobil.org/presentation-de-botmobil • Ecolodève, Lodève. Disponible sur : http://www.ecolodeve.fr/ • Earthship, Taos. Disponible sur : http://earthship.com/ • Alternative et autonomieDisponible sur : https://decroissons.wordpress.com/habitat/ maisons-autrement/les-earthships/ • Maisons Phénix, Rueil-Malmaison. Disponible sur : http://www.maisons-phenix.com/ notre-concept/qui-sommes-nous/id/21554 • Mikit, Versailles. Disponible sur : http://www.mikit.fr/le-concept-du-pret-finir/leprincipe-du-pret-finir.html • Toit par toi, Poitier. Disponible sur : http://toitpartoi.free.fr/ - 71 -


• Facit Homes, Londres. Disponible sur : http://facit-homes.com/ • Cantercel, site expérimental d’architecture, La Vacquerie Saint Martin. Disponible sur : http://www.cantercel.com/ • Administration française, Paris. Disponible sur : https://www.service-public.fr/ particuliers/vosdroits/F2034 • Ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer, Paris. Disponible sur : http:// www.developpement-durable.gouv.fr • Programme Autoproduction et Développement Social, Pantin. Disponible sur : http:// www.padesautoproduction.net/ • Ooreka, POUPINEL Christophe, Paris. Disponible sur : https://construction-maison. ooreka.fr/astuce/voir/190324/auto-construction-quelle-reglementation • Ministère de la Culture et de la communication / Centre National de Recherche Scientifique, unité mixte de recherche, Modèles et simulations pour l’Architecture et le Patrimoine, Marseille. Disponible sur : http://www.map.cnrs.fr/?page_id=381 • Construction 21 France. Disponible sur : http://www.construction21.org/france/articles/ fr/insolite-limprimante-3d-qui-peut-construire-une-maison-en-24-heures.html • Benchmark Group, Paris. Disponible sur : http://www.journaldunet.com/economie/ immobilier/contour-crafting.shtml • Construction 3D projet à impact social. Disponible sur : http://www.constructions-3d. com/home • Société Artefacto, Betton, France. Disponible sur : https://urbasee.com/ • Société Augment, Paris. Disponible sur : http://www.augment.com/fr/ • Pierre Bernard, Atelier d’architecture et d’urbanisme, Amiens. Disponible sur : http:// www.pierrebernard-architectes.com/vignette/atelier/vignette_atelier.html

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Internet / publication ou article d’un site

• Etude de la Commission Logement de la Fondation Concorde. Directeur publication : Mr ROUSSEAU Rapporteur : Alexis NORMAND, « REPONDRE A LA CRISE DU LOGEMENT : POUR UNE POLITIQUE AU SERVICE DE LA CROISSANCE, DE L’EMPLOI ET DE L’EQUITE » Fondation Concorde, Septembre 2013 [en ligne], Disponible sur http://www.fondationconcorde.com/ publications-fiche.php?id=120 • LAURENT Samuel, « Il y a 40 ans naissait (presque) Internet » Le Figaro, 15 Septembre 2009 [en ligne], Disponible sur : http://www.lefigaro.fr/web/2009/09/02/0102220090902ARTFIG00263-il-y-a-40-ans-naissait-presque-internet-.php

- Film

• SARANO Florence, Luca Merlini, architecte, Film réalisé à l’occasion de l’exposition d’architecture 2007 Villa Noailles, [Enregistrement vidéo DVD], Paris : Archibooks Sauterau, 2008 (46 min 16 sec)

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Revue / complète

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Revue / article

• Colonnes, décembre 2014, hors-série n°1 « Paul Quintrand architecte, une expérimentation entre recherche et projet »

• MASLOW Abraham, « A Theory of Human Motivation », in Psychological Review, no 50 - 1943 - 72 -


• PICON Antoine « Qu’est-ce que la ville intelligente ? » in D’A D’architecture, n°221 – 1989. Pages 42-46, octobre 2013 • BERNARD Pierre, « Le temps du chantier » in AMC n°129. Pages 69-71. 2002

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Cours de professeur universitaire

• GIRARD Muriel, professeur de sociologie à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille. Cours : « Famille et logement » et « Pavillonnaires et modes d’habiter périurbains» • MESSAOUDI Tommy, intervenant à l’ENSA Marseille. Cours : option Réalité Augmentée.

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Iconographie - Fig 1 : Coperthwaite William. 2007 “Dickinson’s Reach, Buck’s Harbor, Maine in a Handmade life”, Photographie. En ligne In Yurt foundation : http://www.yurtinfo.orgthe-yurt-foundation. Page 25 - Fig 2 : Représentation schématique d’une Tiny House. En ligne In Tiny House France : http://tinyhousefrance.org/ plan-detaille-1/. Page 26 - Fig 3 : Patrick Frydman, 2014. « Une maison Domespace de 116m² habitables ». Photographie. En ligne In Domespace : http://www.domespace.com/gal_domespace/decouvrez_domespace/index. Page 27 - Fig 4 : Patrick Frydman, « Plans de rez-de-chaussée et de l’étage d’une maison Domespace ». Documents graphiques. En ligne In Maisons Domespace – Réalisation, site personnel de Patrick Frydman : http://www.patrickfrydman.com/Domespace_Plans/8303.html. Page 27 - Fig 5 : Architectes Sans Frontières, 25 Avril 2015, Népal « Rencontres et échanges entre les architectes et les bénévoles de l’association et les sinistrés. », Photographies. En ligne In Architectes Sans Frontières : http://www. asfint.org/ASF-News/ASF-Nepal-Building-Back-Better-after-Gorkha-Earthquake. Page 28 - Fig 6 : Michael Reynolds, « Plan de base possible pour la construction d’une earthship », Document graphique, plan. En ligne In Earthship Biotecture : http://earthship.com/blogs/earthship-designs/global-model-earthship/. Page 32

- Fig 7 : « Une earthship à Brighton en Angleterre vue de l’extérieur », Photographie. En ligne In AgoraVox : http:// www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/earthship-le-vaisseau-de-la-terre-172890. Page 32 - Fig 8 : Février 2016, Photographies personnelles de l’extérieur et de l’intérieur de la maison. Page 40 - Fig 9 : Février 2016, Photographies personnelles de l’extérieur de la maison. Page 41 - Fig 10 : Février 2016, Photographies personnelles de l’extérieur de la maison en location. Page 41 - Fig 11 : Février 2016, Photographies personnelles de l’extérieur de la maison et des enduits terre de l’intérieur. Page 42 - Fig 12 : Février 2016, Photographies personnelles de l’extérieur de la maison et du futur espace de vie intérieur en double hauteur. Page 42

- Fig 13 : Février 2016, Photographies personnelles de l’extérieur de la maison et de l’espace de vie intérieur. Page 43 - Fig 14 : Quintrand Paul, « Système 3.55 : Proposition pour une ville T4 » Plan disponible dans une banque de données des archives privées de l’architecte. In Colonnes, décembre 2014, hors-série n°1 « Paul Quintrand architecte, une expérimentation entre recherche et projet ». Page 56

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- Fig 15 : Quintrand Paul, « Système 3.55 : Maison évolutive Ventabren 1967 ». Photographies. Archives privées de l’architecte. In Colonnes, décembre 2014, hors-série n°1 « Paul Quintrand architecte, une expérimentation entre recherche et projet ». Page 56

- Fig 16 : Paul Quintrand, « Système 3.55 : éclaté ». Schéma. Archives départementales des Bouches-du-Rhône In Colonnes, décembre 2014, hors-série n°1 « Paul Quintrand architecte, une expérimentation entre recherche et projet». Page 58 - Fig 17 : Paul Quintrand « Jeu de construction ». Photographie. Archives départementales des Bouches-du-Rhône. In Prado, décembre 1973, n°9. Page 58 - Fig 18 : Modèle 3D schématique. En ligne in Construction 21 France : http://www.construction21.org/france/ articles/fr/insolite-limprimante-3d-qui-peut-construire-une-maison-en-24-heures.html. Page 62

- Fig 19 : « L’imprimante béton en action ». Représentation schématique. En ligne In Construction-3D : http://www. constructions-3d.com/. Page 62 - Fig 20 : Photographie. En ligne In Urbasee : https://urbasee.com/tutoriel/. Page 65 - Fig 21 : Photographie. En ligne In Augment : http://www.augment.com/fr/. Page 65

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Annexes Annexe 1 : Plans, notices et photographie d’un exemple de maison « Tiny » mis en ligne par le réseau international Tiny House permettant d’accompagner les auto-constructeurs dans leur réalisation............................................................................................................II Annexes 2 : Documents graphiques et photographie permettant de comprendre le fonctionnement d’une maison Domespace...............................................................................................VI Annexe 3 : Photographies de chantier et schémas explicatifs du fonctionnement d’une earthship..........................................................................................................................................................VII Annexe 4 : Explication plus détaillée concernant la relation professionnelle difficilement viable entre l’architecte et l’auto-constructeur qui s’oppose sans cesse, dans les esprits et en pratique, à une situation positive, détaillée dans la Partie 1 – C...............................................................................................................................................................XI Annexe 5 : Photographies, documents complémentaires et résumé de l’ensemble des interviews concernant les maisons visitées des auto-constructeurs interrogés...................................................................................................................................................................XIII

- Carmeline Pires et Vincent Macaine : éléments graphiques complémentaires (plan

- Gilles Savignac : Photographies de la grange avant d’être restaurée et photographie

- Mr et Mme Manolito...............................................................................................................................................................XVI

- Philippe Rames.........................................................................................................................................................................XVII

- Conclusion et résumé de l’ensemble des interviews...............................................................................................XVIII

masse, plans rez-de-chaussée, coupe transversale, façades)..........................................................................................................XIII

de la maison de location en construction.................................................................................................................................................XV

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Annexe 1 : Documents graphiques, notices et photographie d’un exemple de maison « Tiny » mis en ligne par le réseau international Tiny House permettant d’accompagner les autoconstructeurs dans leur réalisation.

Vue de l’extérieur

Elévations et perspectives

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Plan de l’installation électrique

Plans et coupes côtés

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Plan de structure

Perspectives structurelles

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Détails d’assemblages

Détails structurels

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Annexes 2 : Documents graphiques et photographie permettant de comprendre le fonctionnement d’une maison Domespace.

Coupe-perse structurelle

SchĂŠma explicatif

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Mise en oeuvre de la structure

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Annexe 3 : Photographies de chantier et schémas explicatifs du fonctionnement d’une earthship.

Perspective schématique : répartition des différentes strates de la maison

Schéma explicatif : dispositifs de production d’énergie et de recyclage des eaux usées

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Murs de pneus armaturĂŠs

EntrĂŠe donnant sur la serre

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Vue intĂŠrieure de la serre

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Annexe 4 : Explication plus détaillée concernant la relation professionnelle difficilement viable entre l’architecte et l’auto-constructeur qui s’oppose sans cesse, dans les esprits et en pratique, à une situation positive, détaillée dans la partie 1 – C.

Relation et échange professionnel entre l’architecte et l’auto-constructeur difficilement viable Nous avons d’un côté l’auto-constructeur qui ne voit en la participation d’un architecte à son projet qu’une façon d’augmenter ses coûts ; et d’un autre côté, l’architecte qui connaît encore trop peu l’expérience de l’auto-construction et qui considère cet engagement trop contraignant voire même dangereux pour lui-même. Pourquoi de telles appréhensions et réticences de la part des deux acteurs à engager une collaboration ?

- Réticence de la part de l’auto-constructeur à faire appel aux services de l’architecte

Rappelons-le, l’objectif premier qui motive les auto-constructeurs à se lancer seuls dans la réalisation des travaux de leur maison est l’économie financière que cela permet. Se passer des services d’un architecte représente pour eux une économie comme une autre. Ils se privent d’architecte comme ils se privent de main d’œuvre pour la l’élaboration du gros œuvre, de la couverture ou bien de l’électricité par exemple. Pourquoi avoir recours à un architecte alors que c’est si simple de trouver sur internet ou dans des agences de constructeurs, des plans tout faits de maison « qui fonctionnent » ? Trois auto-constructeurs interrogés sur six n’ont fait appel à un architecte que pour améliorer rapidement les plans qu’ils avaient conçus eux-mêmes afin d’obtenir le permis de construire sans trop de difficulté. L’ensemble du dossier avait été fait par chacun d’eux et aucun suivi de chantier n’a ensuite été effectué. Un quatrième est lui-même concepteur/maître d’œuvre donc il a naturellement élaboré ses propres plans. Le cinquième a discuté rapidement avec le précédent afin de lui préciser les grandes lignes de portées et la structure simple qu’il voulait mettre en place pour qu’il réalise pour lui la conception. Le dernier, quant à lui, a rencontré, avec sa femme, deux architectes. Mais ces derniers ne comprenaient pas bien leurs souhaits et leurs envies (travailler avec la paille notamment) et leurs prix étaient beaucoup trop chers (entre 11000 et 15000 euros). Ils ont donc fait appel eux aussi au même maître d’œuvre et auto-constructeur que le cinquième qui a dessiné les plans pour faire accepter le permis de construire. Il a répondu à leurs attentes en dessinant une maison de 130m² avec une cuisine avec une place centrale dans la maison, des demi-niveaux et en intégrant les matériaux écologiques qu’ils souhaitaient mettre en œuvre. Il a été à leur écoute et il a mené une véritable enquête personnelle sur le mode de vie de leur famille. En effet il a posé de nombreuses questions aux enfants et aux parents et il a visité leur ancienne maison pour observer leurs habitudes. Ils ont payé 1500 euros. Ils ont ensuite fait appel à des concepteurs allemands (conseillés par des amis) pour bien établir le plan de structure (la nature des liaisons, les dimensions des poteaux et des poutres etc). Pour 4000 euros ils leur ont fourni un logiciel leur permettant de les mener pas à pas des fondations aux finitions. Autre preuve que l’architecte est un peu exclu du processus de conception et de suivi de chantier des auto-constructeurs est l’absence de recommandation d’un architecte de la part des bénévoles des associations à leurs adhérents. En effet, à moins que l’architecte lui-même soit bénévole pour assurer une liaison professionnelle en matière de conseil entre le client et - XI -


les artisans, ses services ne sont pas conseillés aux auto-constructeurs. Des dessinateurs sont davantage sollicités pour mettre au propre des plans esquissés par les auto-constructeurs euxmêmes.

- Architecte : trop peu à y gagner à première vue

Aujourd’hui, l’auto-construction est perçue comme un secteur d’activité offrant peu de perspectives économiques. Elle représente en principe l’économie de matière ou plutôt la nécessité de se débrouiller avec les moyens du bord et d’être astucieux pour dégoter les bonnes affaires. Les professionnels n’y voient donc pas ou peu d’intérêts économiques. Sans vraiment connaître le secteur de l’auto-construction et les besoins des exerçants, les professionnels ne s’y intéressent pas, certains de ne pas louper grand-chose. De plus, les architectes qui travaillent avec des auto-constructeurs s’engagent dans des projets difficiles à contrôler. Les responsabilités sont plus importantes et le suivi est compliqué car l’avancement des travaux ne dépend pas d’eux. Alors que la bonne succession de la réalisation des différents lots sur un chantier dit classique dépend du suivi attentif et des différentes interventions des artisans, coordonnées par l’architecte, le suivi de chantier de l’auto-constructeur est plus délicat. En effet, l’avancée des travaux est directement liée au temps disponible et aux ressources financières de l’auto-constructeur. Il est donc difficile pour l’architecte de prévoir des échéances et les délais nécessaires, ce qui engendre une difficulté de vivre de cette collaboration. Enfin, pour beaucoup d’architectes, la collaboration avec des auto-constructeurs entraîne de nombreuses heures de conseil qui ne sont pas forcément comptabilisées mais nécessaires car l’auto-constructeur n’est, dans de nombreux cas, pas issu d’une formation du milieu professionnel du bâtiment. Ce suivi demande donc plus de temps pour moins d’argent gagné ; il est complexe de chiffrer financièrement ce que valent les heures consacrées au simple conseil.

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Annexe 5 : Photographies, documents complémentaire et résumé de l’ensemble des interviews concernant les maisons visitées des auto-constructeurs interrogés.

- Carmeline Pires et Vincent Macaine : éléments graphiques complémentaires (plan masse, plans rez-de-chaussée, coupe transversale, façades)

Plan masse

Plan rdc

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Elévations

Elévations

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- Gilles Savignac : Photographies de la grange avant d’être restaurée et photographie de la maison de location en construction

Maison de location : entrée vue de l’extérieur

Grange avant sa rénovation : façade sud

Grange avant sa rénovation : façade nord

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- Mr et Mme Manolito

Vue extérieure depuis la terrasse

Paille utilisée pour l’isolation

Enduits terre à l’intérieur de la maison et élément de contreventement en bois

Cuisine et espaces de vie sur plusieurs demi-niveaux

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- Philippe Rames

Espaces de vie (cuisine, salle à manger et salon régis par les demi-niveaux

Vue le salon, l’entrée et le bureau depuis l’escalier menant à une chambre

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- Conclusion et résumé de l’ensemble des interviews

• •

Quelle est votre ou vos formation(s) ? Quel est votre métier ?

- Opérateur régleur en système d’usinage et fonction d’aide-soignante, - CAP mécanicien et formation diéséliste (Salarié à la Bosh, ouvrier, manutentionnaire, magasinier), - Maintenance système automatique et mécanicien aéronautique puis cuisinier et a beaucoup voyagé (autoentrepreneur), - Electricien de formation puis formation professionnelle MBOC (maison bois outil concept : ossature bois) de 10 jours chez les compagnons du devoir, - CAP dessinateur ameublement / ébéniste. Apprentissage de la maîtrise d’œuvre sur des chantiers avec des architectes (de l’atelier d’architecture Cantercel (site expérimental dans l’Hérault) notamment) et autodidacte. Des personnes de formations très variées se lancent dans l’auto-construction. Ce n’est donc pas réservé aux personnes professionnelles du bâtiment, tout un chacun peut s’y intéresser et acquérir les connaissances nécessaires pour se lancer dans l’auto-construction, même si les auto-constructeurs interrogés conseillent d’être « bricoleurs » avant de se lancer dans un tel défi.

Avez-vous vous-même construit votre maison ? oui

• Si oui : - Qu’avez-vous construit vous-même ? Les 5 auto-constructeurs ont tout construit dans leur maison respective, que la structure soit une ossature bois avec isolation paille ou maçonnerie (parpaing ou pierre) avec isolation ouate de cellulose ou laine de verre. Les deux lots qui posent le plus de problèmes à chaque fois sont le lot électricité et le lot plomberie. - Pourquoi choisir de faire tous ces travaux seul ? Qu’est-ce qui vous a convaincu de relever ce défi ? La première motivation qui pousse les gens à construire eux-mêmes leur maison est l’argent. Financièrement, il leur est impossible de tout faire faire par des artisans. Ils souhaitent tous de la qualité pour les matériaux, ils font donc l’économie de la main d’œuvre. Ensuite, s’ils se lancent dans un tel projet, c’est qu’en principe ils sont un minimum « bricoleurs » comme on dit et que le travail manuel leur plaît. Rare sont ceux qui ne partent de rien (mais ils existent !), beaucoup se sentent capables de le faire. Ensuite c’est la liberté qui les motive et le souhait de concevoir et de construire une maison qui leur ressemble et qui correspond à leur manière de vivre. Construire soi-même, c’est participer à la construction de son propre environnement. De plus, se lancer dans l’auto-construction c’est se lancer à soi mais aussi à son entourage un véritable défi qui engendre remises en question et émotions fortes. Enfin, pour beaucoup, auto-construction rime avec écologie : leur défi se veut respectueux de leur environnement proche (personnel et familial) ou lointain (à l’échelle de la région et de sa nature) - XVIII -


- Quels choix de matériaux avez-vous faits ? (ossature, isolation, remplissage, finition) Pourquoi ? A ce niveau-là, les choix varient. Pour deux d’entre eux, le choix s’est porté sur la maçonnerie, classique de nos jours, (parpaing ou pierre) car ils connaissaient la mise en œuvre et qu’ils ne défendent pas particulièrement une cause écologique. Les trois autres ont choisi d’utiliser une ossature bois remplissage paille et enduits terre car pour eux le béton ou l’acier ne sont pas des matériaux durables. De plus, les performances énergétiques et thermiques dépassent toutes leurs espérances. Enfin, ils valorisent ainsi un matériau dont on ignore souvent les performances tout en perpétuant un savoir local quasi-oublié. - A quels professionnels du bâtiment avez-vous fait appel ? Pourquoi ? Ces cinq familles d’A-C ont demandé conseil à des professionnels de façon à pouvoir se débrouiller seuls tout en assurant une mise en œuvre propre. Nombreux sont ceux qui regardent des tutoriels sur internet ou qui lisent des livres spécifiques. Les opérations les plus délicates ont pour certains, nécessité une aide physique (étalement de la chape liquide ou mise en place du terrassement et de la couverture). Comme dit précédemment, la plomberie et l’électricité sont souvent mises en œuvre avec l’aide de professionnels pour que l’installation soit assurée. En règle générale, les A-C sont des personnes autodidactes qui observent et s’inspirent de travaux déjà faits et attrapent des petites astuces partout (forums, tutoriels, livres, rencontres, etc) - leur aide ?

Des personnes non professionnelles (amis, famille etc) vous ont-elles apporté

Pour tous, famille et amis ont contribué à la construction de leur maison. Pour Philippe Rames, il existe deux sortes de chantier participatif : celui dit « biceps » qui se déroule essentiellement le week-end et sans professionnel (les amis sont la main d’œuvre) et le chantier « échange des savoirs » qui regroupe surtout des professionnels. - Quelle a été votre relation avec le(s) architectes pendant le temps de la conception et celui des travaux ? (suivi de chantier etc) Pour deux d’entre eux, l’architecte n’est intervenu que pour améliorer rapidement des plans qu’ils avaient déjà établis eux-mêmes afin d’obtenir sans trop de difficulté le permis de construire. Aucun suivi de chantier n’a ensuite été effectué. Deux autres n’ont pas fait appel à un architecte : Mr Rames et lui-même concepteur donc c’était inutile et Mr Libourel a discuté avec Mr Rames afin de lui préciser les grandes lignes de portées et la structure simple qu’il voulait mettre en place. Le dernier, quant à lui, a rencontré, avec sa femme, deux architectes. Mais ces derniers ne comprenaient pas bien leurs souhaits et leurs envies (travailler avec la paille notamment) et leurs prix étaient beaucoup trop chers (entre 11000 et 15000 euros). Donc ils ont fait appel à Philippe Rames, maître d’œuvre et auto-constructeur. Il a dessiné les plans pour faire accepter le permis de construire. Il a répondu à leurs attentes en dessinant une maison de 130m² avec une cuisine centrale, des demi-niveaux et en intégrant les matériaux écologiques qu’ils souhaitaient mettre en œuvre. Il a été à leur écoute et il a mené une véritable - XIX -


enquête personnelle sur le mode de vie de leur famille (nombreuses questions posées aux enfants et aux parents + visite de leur ancienne maison et observation de leurs habitudes). Ils ont payé 1500 euros. Mais Monsieur Rames n’est pas un concepteur, donc ils ont fait appel à des concepteurs allemands pour bien établir le plan de structure (les liaisons, les dimensions des poteaux et des poutres etc). Pour 4000 euros ils leur ont fourni un logiciel leur permettant de les mener pas à pas des fondations aux finitions. - Avez-vous déjà entendu parler de l’association des Castors ? ou d’une autre association qui aide les auto-constructeurs ? - Avez-vous eu recours aux conseils de bénévoles d’associations spécialisées pour les auto-constructeurs ou d’auto-constructeurs eux-mêmes ? Deux ne connaissent pas du tout l’association des Castors. Les trois autres connaissent cette association mais aucun n’a fait appel à leurs conseils ou services car les Castors sont surtout actifs dans l’ouest de la France, ils n’existent pas du tout dans le sud. En revanche, les trois constructeurs ossature bois et isolation paille ont échangé sur les matériaux, leur mise en œuvre et leurs performances ainsi que sur les nouveautés avec les employés de l’entreprise Ecolodève, (spécialisée dans la revente de matériaux écologiques et organisatrice de stages de chantier pour les A-C), et avec d’autres auto-constructeurs. Ils suivent également certains chantiers menés par le Réseau Français de la Construction Paille (RFCP). - Pensez-vous que les architectes pourraient apporter leurs connaissances aux auto-constructeurs ? si oui comment ? si non pourquoi ? Bien sûr ! En matière de conseils notamment sur les matériaux ou l’isolation par exemple. Les architectes pourraient aussi avoir un rôle plus important auprès des A-C lors de la phase la plus complexe : la conception. La maîtrise d’ouvrage est aussi difficile à mener, l’architecte pourrait accompagner davantage les A-C à ce niveau-là en servant d’intermédiaire et en faisant surtout connaître son propre réseau d’artisans (pour avoir des conseils variés et nombreux). Le principal étant toujours de se baser sur les besoins principaux des A-C et en étant sensible à leur bien-être. L’architecte pourrait même s’investir personnellement sur le chantier. L’échange et la discussion restent forcément au cœur de la relation. - La durée de vos travaux ? Entre 7 mois et 6 ans pour la plus longue. La durée des travaux varie beaucoup en fonction des connaissances des A-C mais surtout du temps dont ils disposent. - Est-ce que ça vous aurez intéressé d’avoir des maquettes numériques ou des représentations 3D ? Suite à cette question, quatre A-C sur cinq ont répondu que la 3D leur permet (ou leur aurait permis) de mieux visualiser l’espace et de mieux comprendre les détails structurels. Pour le cinquième, plans et coupes suffisaient à la compréhension du projet (normal, lui-même en était le concepteur). Deux n’ont pas du tout eu accès à ce genre d’outils de représentation et les deux autres ont fait eux-mêmes leurs propres maquettes matérielles et virtuelles de façon - XX -


à bien comprendre l’agencement des espaces et les détails de structure. L’architecte pourrait établir les plans avec les A-C et leur fournir ensuite des documents 3D pour qu’ils comprennent comment s’organise leur maison et comment elle tient ; sa formation et ses connaissances lui permettent d’apporter ces compléments précieux.

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Règlementations : comment les avez-vous gérées ?

Les deux maisons en maçonneries sont récentes mais ont été construites avant la mise en place de la RT2012. Pour les trois autres maisons, la RT2012 est forcément respectée au vu des performances thermiques des maisons (triple vitrage, isolation paille très performante etc). Ils n’utilisent que 4 stères de bois pas an chacun pour chauffer l’eau et la température ambiante de la maison. - maison ?

Combien pensez-vous avoir économisé sur l’ensemble des travaux de votre

Chaque A-C interrogé pense avoir économisé entre 40 et 50% sur le budget total de la maison si elle avait été construite par des professionnels du bâtiment (c’est-à-dire pour la plupart que le prix de la main d’œuvre des artisans a été économisé). - Si c’était à refaire ? Tous le referaient « bien sûr ». Cela leur semble évident : ils ont gagné sur tous les points (économique, social etc) à construire leur maison à la force de leur bras. En revanche, certains le referaient mais plus simplement (surfaces réduites, moins d’escaliers, cloisons simplifiées, joints de placo délégué à un professionnel car beaucoup de temps passé pour pas grand-chose etc) • Que conseilleriez-vous aux futurs A-C ? D’après eux, il est nécessaire d’être un minimum bricoleur à la base et ne pas s’engager s’y on n’y connaît rien car le client EST maître d’œuvre. Il faut savoir mesurer ses capacités et surtout il faut avoir du temps pour le chantier, car ce facteur est trop souvent sous-estimé et minimisé. De plus, il faut, d’après eux, éviter d’établir un planning précis car ce dernier ne sera jamais respecté, et c’est alors que le moral en pâti… et si le moral et la motivation n’y sont plus, l’auto-construction est encore plus difficile à mener à terme. Il ne faut pas avoir peur d’y arriver et surtout rester très soudés lorsque l’A-C concerne le projet d’une famille ou d’un couple car c’est un investissement physique important. De plus, il est important d’être curieux de tout, de lire et de se renseigner le plus possible sur la mise en œuvre des matériaux, sur les mélanges à faire pour les enduits par exemple. S’entourer et s’appuyer sur des personnes de confiance est aussi un facteur important car la qualité de la construction en dépend, on ne peut pas tout faire tout seul. Enfin, petit conseil pour les futurs utilisateurs de la paille : son efficacité est à son maximum lorsque sa mise en œuvre se fait au sec …

Comment voyez-vous l’avenir des auto-constructeurs ?

Les réponses à cette question sont soit négatives soit positives : la plupart pensent que - XXI -


l’A-C est encore trop complexe car pour le moment, les règlementations sont trop nombreuses et contraignantes, les aides financières quasi-absentes et les emprunts difficiles. Les A-C n’ont aucune garantie et l’A-C est contingentée par notre société actuelle : emprunts et assurances difficiles à obtenir. En revanche, l’architecture de bois, terre et paille a vite été oubliée avec l’avènement du béton mais depuis tous temps, on s’entraide donc il y espoir qu’un jour, l’A-C soit facilitée et encouragée (comme ça avait été le cas après la Seconde Guerre Mondiale avec la création officielle, reconnue et soutenue de l’association des Castors) législativement, financièrement et administrativement car elle a beaucoup d’avantage surtout dans le contexte actuel de crise du logement. Le maître d’œuvre Philippe Rames voit quant à lui l’avenir des A-C « en grand vu les besoins de notre société. » Le prix des matériaux augmentent sans cesse depuis le passage à l’euro alors que la main d’œuvre n’augmente pas plus que ça étant donné que les salaires sont les mêmes. Les matériaux locaux vont, d’après lui, prendre de la valeur car leur mise en œuvre est simple et leur coût réduit. • Pensez-vous que l’on arrive un jour à une relation et un échange professionnel viable entre les auto-constructeurs et les architectes ? Si non pourquoi ? Si oui pourquoi ? Oui mais il faut que ce soit un choix de l’architecte de travailler avec des A-C et non une obligation. Il pourrait intervenir sur des points différents en fonction des projets et des besoins de chacun. L’architecte est entouré en principe d’un solide réseau : il doit s’adapter au client et discuter avec lui, notamment sur les choix d’artisans qui interviennent éventuellement. Cette relation peut donc être un espoir réalisable pour l’avenir mais cela dépendra surtout de la vision de l’architecte et de son engagement. • D’après vous, est-ce une utopie de croire en l’auto-construction à grande échelle ? • Pensez-vous que si l’auto-construction était pratiquée à plus grande échelle (quartiers ou rues par exemple) avec des solutions communes complétées de conseils individuels, cela fonctionnerait ? Nombreux sont ceux qui pensent que l’A-C à grande échelle est compliquée et dangereuse car l’investissement personnel doit être complet et sans faille et il faut déjà trouver des personnes qui ont la même vision et la rencontre est obligatoire. De plus, la France leur semble trop individualiste pour lancer des projets d’A-C à grande échelle. Pourtant, des projets semblables à cette idée existent déjà dans les grandes agglomérations. Financièrement regroupés et défendant l’enjeu humain, l’éco-hameau ou l’éco-quartier en sont de bons exemples. Avoir une pensée collective leur semble être une bonne idée, ce qui permettrait ainsi d’avoir des parties communes dans le projet (réseaux, parkings, une seule source d’énergie pour plusieurs maisons par exemple). Ce genre d’opérations d’A-C pourrait être très riche en contact et expérience humaine et même en solution architecturales mais l’interaction entre les acteurs est compliquée et la notion de transmission du savoir s’est peu à peu perdue. C’est pourquoi les A-C cherchent à la retrouver ce qui s’avère être difficile. D’après Mr Rames, « l’auto-construction et l’écologie sont des moyens, pas des solutions. Ce sont les hommes et la nature la solution. Si les gens souhaitent mieux vivre et comprendre leur habitat en le construisant et en s’investissant eux-mêmes physiquement, alors l’A-C s’adaptera - XXII -


aux nouvelles échelles de construction. Tout est question de motivation, d’organisation et d’implication totale. », ce qui confirme ce qui a été dit plus tôt : l’architecte ne trouvera sa place au sein de la communauté des A-C qu’à condition qu’il s’implique pleinement dans les projets. Au jour d’aujourd’hui, pour les A-C, l’utilité de l’architecte leur semble être seulement pratique et nécessaire pour obtenir le permis de construire et l’architecte ne s’engage pas auprès d’eux car il pense avoir trop à y perdre (temps, argent notamment) et surtout pas assez à y gagner financièrement. Mais ces différents entretiens ont confirmé ce que je pensais : une place est à prendre pour les architectes dans le monde de l’A-C. Leurs savoirs doivent être communiqués simplement et le suivi peut-être assurer sans altérer la liberté de prise de décision tant voulue des A-C.

Questions qui concernant seulement les auto-constructeurs et professionnels dans le domaine du bâtiment (Mr Libourel et Mr Rames)

Quels services offre votre entreprise ? Que fait-elle réellement ?

Mêmes missions qu’un architecte pour des bâtiments dont la surface est inférieure à 170m² : esquisse, permis, suivis etc (Mr Rames) Aide les A-C pour mettre en œuvre l’ossature bois de leur maison. Travaille parfois avec des concepteurs bois pour certaines études mais sinon il taille, assemble et monte seul les ossatures. (Mr Libourel)

Avez-vous des employés ?

Pas d’employés mais des partenariats (avec des architectes, des ingénieurs bois ou structure)

• Faites-vous seulement des maisons individuelles ou de l’habitat ? Si oui, pourquoi ? Si non, pourquoi ? Non, mais essentiellement. Il signe parfois des contrats avec des architectes pour des surfaces supérieures à 170m² ; Lui et les architectes dessinent les plans mais le permis est signé par les architectes. (Rames) Oui, car c’est une micro entreprise qui marche bien, c’est un choix de rester à cette échelle mais il a participé à certains chantiers en A-C de plus grande échelle (bâtiment agricole en paille par exemple). (Libourel) • Avec quelle(s) catégorie(s) sociale(s) de personnes travaillez-vous ? Font-ils appel à vous car ils trouvent votre démarche professionnelle remarquable ? ou bien est-ce une question de coûts ? de choix de matériaux ? d’outils ou de bases de conception ? Ils font appel à lui pour son originalité et sa spécialisation dans la maison écologique. Toutes les catégories sociales s’intéressent à son travail et à sa façon d’aborder la conception. Il y a un véritable intérêt de la part des gens lorsqu’ils font appel à lui. Il donne des conseils et des explications et certains adhèrent à la démarche sans s’y être intéressé au début. (Rames) - XXIII -


Ils font appel à lui pour sa démarche professionnelle, pour les matériaux qu’il met en œuvre (le bois et la paille), pour le côté écologique qu’il revendique et pour les performances thermiques des matériaux. C’est une méthode alternative connue de plus en plus (internet, bouche à oreille) qui permet d’économiser sur la main d’œuvre. (Libourel) • Pourquoi faire ce choix de se tourner vers une filière, une mise en œuvre et des matériaux respectueux de l’environnement ? Il s’inspire énormément de l’œuvre de Frank Lloyd Wright et du monde sensible que celui-ci s’efforce de mettre en avant dans ses bâtiments (et surtout dans ses maisons individuelles). Il a rencontré à Cantercel, Hervé Balet, grand connaisseur de l’œuvre de Wright et ancien élève de l’école spéciale. Il lui a beaucoup enseigné de choses et surtout que l’espace et la nature doivent former un ensemble cohérent, se rencontrer. C’est une façon de voir qui n’est pas propre à tous les architectes. Depuis toujours il s’intéresse à l’écologie et Hervé Balet lui a appris à mettre en œuvre des outils et des concepts permettant de l’intégrer à ses projets. (Rames) Il a toujours été préoccupé par le respect de l’environnement et donc son métier lui permet de participer à ce combat. De plus, il a été convaincu très rapidement des performances thermiques des matériaux, donc pour lui la maison ossature bois isolation paille rempli toutes les fonctions qu’il plébiscite. (Chez lui, 4 stères de bois pour 100m² par hiver) (Libourel) • Par quels moyens et quels savoirs aidez-vous les auto-constructeurs ? L’auto-conception est très complexe pour les A-C, il est difficile d’imaginer sa maison. C’est pourquoi il les aide pour faire des choix cohérents de matériaux notamment. Pourquoi utiliser de la chaux, de la paille, du bois, du liège ? Il faut décrypter, en les accompagnant dans cette démarche, les savoirs faire et les envies des A-C. (Rames) Grâce à son expérience, à sa formation et donc à sa main d’œuvre. Pour l’ossature bois, ils sont en principe deux (lui et le client ou lui et un partenaire) car à plus, c’est difficile. Par contre pour la mise en place de la paille, la mise en œuvre est facile et les explications sont rapides donc c’est plus pratique d’être plus nombreux pour avancer plus vite. (Libourel) • Que gagnez-vous en travaillant et en aidant des auto-constructeurs (et ce sur tous les points : humains, financier, professionnel etc) ? Lui c’est déjà un A-C dans l’âme, il n’a jamais imaginé faire ses maisons autrement que comme ça. « Participer c’est y mettre une autre énergie et même c’est donner une âme à la maison. » La relation bâtiment / personne est totalement différente en fonction de si l’on a ou non participé à sa conception et à sa construction. « L’architecture c’est notre troisième peau (après notre esprit et notre corps). Rentrer dans une maison c’est rentrer à l’intérieur des gens. » (Rames) Il travaille au devis, rarement à la journée. C’est le partage d’une aventure humaine commune ou discussions et échanges sont les mots clés pour réussir. Chaque parti y gagne, le savoir se transmet et se perpétue grâce aux A-C. (Libourel) ==> Ces deux professionnels ont vraiment insisté lors de l’entretien sur la nécessité d’assumer ses convictions et ses prises de position quant à l’écologie et à la volonté de travailler - XXIV-


avec des matériaux naturels lorsqu’un professionnel s’engage auprès des A-C. Ce dernier doit également croire aux projets des A-C et s’y investir pleinement, car s’engager auprès d’eux c’est toute une manière de penser et une façon de voir les choses et de communiquer qui est mise en avant, corps et âme. Leurs savoirs et le partage de leur façon de faire de l’architecture et de construire un lieu de vie est accessible à toutes les personnes qui s’y intéressent. Leur but étant toujours de construire en harmonie avec l’environnement et en respectant ce dernier, ils permettent par leurs action la transmissions de savoirs ancestraux et la minimisation des coûts de construction, motivation première des A-C, ne l’oublions pas.

Ces deux professionnels accompagnent les A-C à petit échelle en principe.

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Ecole Nationale Supérieure

d’Architecture de Marseille

Promotion

2016

Ce rapport est à la fois un état des lieux général sur les différentes manières d’auto-construire et un support de réflexion qui permet de s’interroger sur la place de l’architecte dans notre société en tant qu’acteur professionnel mais avant tout humain. La collaboration entre l’auto-constructeur et l’architecte est amenée à se développer et nous ne connaissons pas encore toutes les idées et les nouveaux concepts pouvant résulter de la rencontre entre ces deux acteurs.

Ce travail tente de proposer des solutions favorisant cette association et il réinterroge le sujet afin d’ouvrir la réflexion sur de nouvelles idées.


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