LA FRANGE ATTRACTIVE
Vivre en lisière, entre ville et grand paysage
Célia CADENE Directeur d’étude : José MORALÈS Enseignants : R.MARCIANO, M.SERRE, A.CHUBURU, A.LE HENAFF
DE2 Architecture, partage & processus Architecture et mutation. Nouveaux usages. Nouvelles économies. PFE 2019
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« Construire, c'est collaborer avec la terre : c'est mettre une marque humaine sur un paysage qui en sera modifié à jamais ; c’est contribuer aussi à ce lent changement qui est la vie des villes. »
Mémoires d’Hadrien Marguerite Yourcenar
1977
Je tiens tout d’abord à remercier l’ENSA Marseille et tous ses acteurs. Cette école m’a apporté bien plus que des compétences lors d’une formation théorique. Elle m’a permis de me forger une vraie identité professionnelle, d’acquérir une culture conséquente aux horizons variés et surtout de croire en l’avenir de la discipline. Je remercie particulièrement José Moralès, mon directeur d’étude qui a su m’orienter dans mes décisions et mes réflexions tout au long de ce semestre ainsi que les enseignants et accompagnants Rémy Marciano, Marion Serre, Anna Chuburu, Audrey Le Henaff, Muriel Girard et Christophe Migozzi. Je tiens à vous remercier vous également, membres du jury qui lisez cette notice et dont vos avis et remarques me permettront d’avoir un regard neuf sur mon travail. Enfin je souhaite aussi remercier mes amies d’école sans qui je n’aurai pu tenir lors des charrettes et avec qui je partage cette aventure depuis le début, mes parents et mes sœurs qui ont toujours cru en moi et qui m’ont soutenue, encouragée et aidée et enfin Rudy, pour sa présence, son soutien et son aide précieuse dans les bons comme les mauvais moments.
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REMERCIEMENTS
SOMMAIRE 7 9 10 13
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111 114
Remerciements Sommaire Préambule Introduction
I Une métropole décousue
Archipel urbain et paysage naturel comme toile de fond
II L’infrastructure de transport À la fois lien et limite
III Au cœur de la frange
Comment vivons-nous ? Comment pourrions-nous vivre ?
IV Une frange attractive
Moteur dynamique d’entre-deux
Conclusion Bibliographie
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PRÉAMBULE
J’ai eu la chance de vivre mon enfance à la campagne. Celle-ci fût paisible, sécuritaire et baignée de nature. J’étais curieuse de savoir ce que signifie, à l’inverse, grandir « à la ville ». Deux amies ont partagé leur expérience avec moi. Après les journées d’école, elles allaient à la Maison Pour Tous du quartier, chez leurs grands-parents ou chez leur nounou qui les accompagnait au parc, à cinq minutes de l’école et de chez elles. Elles y retrouvaient leurs copains. C’était un moyen de prendre l’air et un véritable vecteur de sociabilité, pour les petits comme pour les grands. Elles jouaient à cachecache ou à chat perché en attendant 19h30 que leurs parents viennent les chercher. Le parc ou le jardin de ville des copines étaient des lieux de liberté et de respiration au milieu de l’agitation ; un échappatoire aux petits appartements du centre-ville. Mais ils étaient fermés et sécurisés. Pendant ce temps, de mon côté, mes sœurs et moi prenions le ramassage scolaire et parcourions la commune sur des routes bien étroites avant d’arriver chez nous. Les grands veillaient sur les petits. Une fois à la maison, nous débordions d’imagination pour nous divertir : nous allions pêcher des têtards dans l’abreuvoir des vaches, nous faisions de la mousse au chocolat avec de la terre et de l’eau et nous jouions aux gendarmes et aux voleurs sur nos vélos, au milieu de la route. Oui ces deux mondes sont bien différents. Puis nous avons grandi. Au collège, j’ai eu la chance d’avoir un scooter... LA solution pour avoir un minimum de sociabilité. Celui-ci m’a permis de sortir de mon hameau d’une vingtaine d’habitants afin d’aller voir mes amis à la « ville » d’à peine 1900 habitants à cinq kilomètres de là et de travailler dès l’âge de 16 ans. Nous nous retrouvions au parc pour jouer et discuter. De leur côté, à Marseille, mes amies prenaient tram, métro et bus pour se retrouver en ville et « traîner » au parc Longchamps généralement. Le parc était pour elles comme pour moi, une sorte de QG, à tel point qu’elles en séchaient même les cours pour s’y rendre ! Il ne faut pas sous estimer les pouvoirs de la nature. Mais de leur côté d’autres activités bien plus variées se greffaient à cet endroit de nature pour occuper leur temps libre : cinéma, shopping et sports en tout genre.
Ce n’est qu’au lycée que j’ai pu pleinement profiter de ces loisirs, en étant interne toute la semaine, à 30km de chez mes parents. J’étais enfin libre d’aller au cinéma le mercredi après-midi, de passer à la galerie d’art et au musée et enfin à la boulangerie pour m’acheter un goûter avant de rentrer en étude. J’ai vécu cette proximité comme une vraie liberté. Et c’est en écrivant ces mots, que je me rends réellement compte que durant toutes les années qui composent ma courte vie, j’ai été libre de m’épanouir en vivant des expériences variées à des périodes clés, à la campagne d’abord puis en ville. J’ai ainsi eu le privilège dans ma vie de connaître et de comprendre ce que signifie vivre « à la campagne » et vivre « à la ville ». Pour l’un comme pour l’autre, les avantages et les inconvénients sont multiples. J’ai ensuite rencontré l’architecture et avec elle une autre manière de voir la ville. Mon regard d’usager s’est enrichi de celui d’acteur, engagé et professionnellement concerné. Durant toutes mes années d’étude, l’objet architectural était au cœur des réflexions. Nous l’inscrivions dans un contexte urbain existant et faisions des hypothèses pour une adaptation à un contexte probable futur. Ainsi, le but de chaque exercice était l’obtention d’une cohérence d’ensemble, pour répondre aux enjeux d’aujourd’hui et de demain d’un site donné. La réponse architecturale et le discours associé devaient s’inscrire dans une logique et une nécessité d’usage, afin d’offrir des lieux de vie de qualité aux potentiels usagers. Pour le PFE, j’ai eu envie de voir plus large et j’ai alors décidé de me confronter à l’échelle du territoire. Je me suis intéressée plus particulièrement aux lisières, c’est-à-dire aux différentes manières dont la ville « se termine » en périphérie, précisément là où ville et campagne se rencontrent. Le périurbain, comme il se définit, apparaît comme un mode de vie hybride qui essaie justement de tirer parti de ces deux environnements distincts, non sans quelques inconvénients et aberrations. Et ainsi, nous pouvons dire qu’il forme à lui seul, un nouvel environnement avec ses caractéristiques propres, dont la principale est l’étalement urbain qu’il génère.
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Ce sujet apparaît pour moi comme une priorité dans la pensée de la ville de demain. A travers ce projet de fin d’étude, il s’agit de s’engager et de proposer de nouvelles manières de voir le territoire et ses paysages afin de proposer des alternatives pour mettre fin à leur consommation excessive, rapide et bien souvent non-planifiée. J’ai véritablement commencé à m’intéresser aux franges de la Métropole Aix-Marseille durant le semestre 9 pour le séminaire intitulé Carnet Curieux. Cette liberté d’expression personnelle offerte aux étudiants m’a permis de m’ouvrir à de nouveaux champs d’exploration et de sortir des périmètres proposés habituellement à l’étude du projet. J’ai donc arpenté cette immense métropole afin de mieux la connaître et d’identifier les territoires sur lesquels la rencontre entre ville et nature expose les problématiques les plus fortes telles que celles de l’étalement urbain, de la sectorisation ou encore de la fracture paysagère. Ces problématiques font directement écho aux enjeux majeurs actuels du développement de nos villes (économiques, territoriaux, urbanistiques, architecturaux, écologiques, consuméristes entre autres). Cette rencontre entre ville et campagne, entre naturel et artificiel, entre plein et vide, Bertrand Folléa la définit ainsi : « La lisière urbaine est l’espace d’interface entre ville et nature en charge de gérer la relation entre les deux. Elle constitue la transition entre l’espace urbanisé ou à urbaniser et l’espace agricole ou naturel. Elle concrétise la limite d’urbanisation par son épaisseur. »1 Et Michel Hoessler, paysagiste biologiste, résume efficacement : « Entre-deux, facteur de tension et porteur de sens. »2 En fonction de sa typologie, l’interface ville-nature peut se décliner sous différentes formes : limite, seuil, frange, frontière, transition, entre-deux, bande, extrémité, périphérie, bordure, démarcation, orée, imbrication...
1 FOLLEA Bertrand « Le paysage comme relation » in Les Carnets du paysages, n°21 – Septembre 2011. 2 HOESSLER Michel, entretien «Les limites comme territoires de projets» [en ligne], propos recueillis par Camille PETIT. Disponible sur la plateforme Echanges et récits d’expériences du site internet : www.espritdavant.com
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INTRODUCTION
Après avoir analysé différentes villes moyennes de la métropole j’ai choisi de développer le cas de Châteauneuf-les-Martigues qui illustre très bien cette thématique. En effet, le périurbain y occupe une place majeure et ne cesse de grignoter les parcelles agricoles de la plaine. Dans cette perspective, comment peut-on mettre fin à la consommation des territoires en agissant directement sur les franges épaisses qui se situent à la limite de la ville ? Le périurbain et ses manières d’habiter, de consommer, de se déplacer ont engendré des paysages urbains décousus qui se superposent sans réelle cohérence ni pensée commune dans leur planification. Pour éviter cet étalement urbain et donc le mitage des terres agricoles, il apparaît indispensable de se ressaisir de la question des lisières en les densifiant et en les rendant poreuses et attractives. Pour cela, les espaces vacants et les délaissés de ces lisières doivent être optimisés. Pour répondre à cette problématique, je commencerai par évoquer les différentes typologies de lisières que nous pouvons trouver au sein de la Métropole Aix-Marseille et comment mon choix s’est porté sur Châteauneufles-Martigues. Dans une seconde partie, j’exposerai l’importance des infrastructures de transport, qui peuvent représenter d’importantes limites et paradoxalement générer du lien. Leur transformation sera au coeur de la réflexion du projet territorial. Dans un troisième temps, nous analyserons une frange épaisse en particulier, sur laquelle viendront s’implanter les différents éléments du projet. Une quatrième et dernière partie détaillera les différentes possibilités pour habiter et vivre au sein de cette frange en cohérence avec l’objectif principal qui est limiter l’étalement urbain.
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I Une métropole décousue Archipel urbain et paysage naturel comme toile de fond
UNE MÉTROPOLE SINGULIÈRE La Métropole Aix-Marseille-Provence a été créée le 1er janvier 2016 en fusionnant les six intercommunalités existantes, à savoir : la Communauté urbaine Marseille Provence Métropole, les Communautés d’agglomération du Pays d’Aix, du Pays d’Aubagne et de l’Étoile, du Pays de Martigues, de Salon-Étang de Berre-Durance et enfin le Syndicat d’agglomération nouvelle d’Ouest Provence. En regroupant 92 communes, elle est la plus grande métropole française. Sa superficie est de 3148 km². 1 869 000 habitants peuplaient la métropole en 2018 dont 54% étaient concentrés dans les deux grands pôles urbains principaux, Marseille et Aix-en-Provence. Cependant, certaines villes assistent à une augmentation importante de leur population chaque année comme c’est le cas de Châteauneuf-lesMartigues, deuxième ville ayant la plus forte croissance démographique après Marseille. La métropole représente 40% du PIB régional et 75% des projets d’implantations internationales sur la région. Elle possède le premier port de France ce qui lui permet de se situer au premier rang des zones exportatrices vers la Méditerranée. De plus, son aéroport MarseilleProvence à Marignane la relie à plus de 30 pays pour une centaine de villes.3 Elle apparaît donc comme une métropole dynamique et attractive. La majorité des grandes métropoles françaises s’est développée de manière radio-concentrique comme le Grand Paris, le Grand Lyon, le Grand Toulouse, Montpellier Agglomération ou encore la Communauté urbaine de Bordeaux. Ce rayonnement des voies à partir d’un centre, reliées entre elles par des artères concentriques est la structure représentative des villes européennes. En revanche, la Métropole Aix-Marseille-Provence possède un système structurel polycentrique. Marseille a une position dominante et elle est au cœur de cette organisation spatiale, mais autour d’elle gravitent de nombreux autres noyaux de tailles plus ou moins conséquente comme Aix-en-Provence, Aubagne, Marignane, Pertuis, Salon-de-Provence, Martigues ou La Ciotat par exemple. Cette organisation éclatée en fait sa particularité, et représente souvent un atout mais parfois aussi un inconvénient. Cet immense territoire impose une importante mobilité à ses habitants et cela n’est pas sans conséquence. Les distances entre les zones résidentielles et les lieux de travail, de loisir et de consommation sont très importantes et l’utilisation de la voiture prévaut sur les autres moyens de transport.
3 Données disponibles sur le site internet de la Métropole : https://www.ampmetropole.fr/metropole-aix-marseilleprovence-contexte
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Evolution annuelle du nombre d’habitants entre 2009 et 2014, témoin ou non de l’attractivité Source : AMP Métropole
Ce territoire est composé d’espaces urbains et naturels. Il m’apparaît important de préciser ce qu’incluent ces catégories, car la «ville» et la «nature» sont deux notions vastes qui peuvent englober différents cas. Ainsi, j’ai distingué : - la catégorie «ville-artificiel-plein» qui inclut : •les zones d’habitat qui comprennent trois typologies : l’habitat individuel libre qui s’apparente à de la construction individuelle ne faisant pas partie d’un groupe reconnu comme unité foncière ou non comme par exemple une résidence ou un lotissement, l’habitat individuel groupé qui est un ensemble de maisons individuelles (lotissement ou résidence) et l’habitat collectif • les zones industrielles et/ou commerciales • les centralités qui se définissent comme des zones urbaines denses au centre des échanges et qui s’opposent aux zones périurbaines dont le développement est moins dense et tentaculaire. - la catégorie «campagne-naturel-vide» qui comprend : • la nature dite sauvage qui n’est pas domestiquée par l’homme • la nature domestiquée par l’homme qui se traduit par des zones de cultures ou de pâturages • les délaissés urbains qui sont des vides générés par des opérations d’aménagement ; ils peuvent être entretenus par l’homme ou bien nous pouvons observer que la nature y reprend ses droits Cette seconde catégorie occupe une place tout à fait exceptionnelle au sein de la métropole. En effet, les espaces agricoles et les massifs ainsi que la proximité directe de l’Étang de Berre et de la Mer Méditerranée en font un territoire de vie et de loisirs de plein air incroyable. Baptiste Lanaspèze et Geoffroy Mathieu expriment très bien dans leur essai Marseille, Ville Sauvage : essai d’écologie urbaine4 ce qui fait l’identité de cette métropole et plus particulièrement dans cette citation, de Marseille. Mais cette vision est extensible à l’ensemble du territoire et notamment à celui de Châteauneuf-les-Martigues et Marignane. «Dans une ville littorale comme Marseille, on est dehors chez soi, et l’on est chaque jour ailleurs sans avoir besoin de quitter la ville. [...] La limite se brouille entre le dehors et le dedans, entre le privé et le public, entre la ville et la nature - entre le corps et le monde. [...] A Marseille, on pêche, on chasse, on se baigne, on pique-nique sur la plage [...] Et tout cela altère forcément un peu le sens qu’on donne au mot «citadin», ainsi que
4 LANASPEZE Baptiste, MATHIEU Geoffroy, Marseille, Ville Sauvage : essai d’écologie urbaine, Arles : éditions Actes Sud, 2012, 202 pages
Le grand paysage est omniprésent et morcelle le territoire. Les zones urbanisées s’adaptent à ces limites naturelles en s’immisçant dans les interstices. Mais l’étalement urbain incontrôlé transforme cette rencontre entre ville et nature en véritables limites. Ces espaces d’entre-deux, de lisières, semblent tourner le dos à la nature sauvage ou anthropisée qui les borde et nous assistons ainsi à un mitage accablant des terres arables et à une rupture franche entre les deux milieux. Et pourtant, Alberto Magnaghi, architecte et urbaniste, soutient l’idée de considérer le paysage comme un patrimoine collectif qu’il faut préserver. En effet, celui-ci peut jouer sur l’attractivité des villes et sur le bien-être des habitants. Il apparaît donc nécessaire de sensibiliser la population à la richesse que peut apporter la nature en ville ou encore le fait de ne pas forcément sacraliser la nature mais au contraire la comprendre pour mieux penser les interfaces entre espace urbain et espace rural.
Reliefs et espaces naturels de la Métropole Aix-Marseille-Provence Source : AMP Métropole
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l’horizon qu’on lui propose. [...] La nature, ici, ne saurait être donc comme quelque chose d’extérieur : elle règne partout, dans les rues comme dans les âmes.»
Archipel urbain et grand paysage
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DIFFÉRENTES TYPOLOGIES DE LISIÈRE AU SEIN DE LA MÉTROPOLE J’ai arpenté la métropole en me confrontant à l’échelle du territoire afin de faire un inventaire des différentes lisières existantes. En voici quelques exemples. - Lotissement pavillonnaire de La Batarelle (13013 Marseille) Il tourne complètement le dos au Massif de l’Étoile (situé au Nord, certes) et les hauts murs particuliers forment un limite franche quasi infranchissable.
- Quartier de Montredon (13009 Marseille) Nous assistons ici à une «ascension» du bâti vers les collines, rapidement stoppée par une fracture du relief. A l’échelle du quartier, la limite est franche car administrative (périmètre Parc National des Calanques) et elle se traduit surtout par de hauts murs de clôture. Au contraire, à l’échelle de la ville, et en regardant le tissu urbain dans son ensemble, la limite semble diffuse car l’empreinte de la zone bâtie diminue progressivement au fur et à mesure que cette dernière se dirige vers les massifs escarpés.
SOL SEMI-ARTIFICIEL
SOL NATUREL
FRACTURE DU RELIEF : LIMITE FRANCHE
SOL ARTIFICIEL
SOL NATUREL
SOL NATUREL ANTHROPISE (AGRICULTURE, FRICHES ETC)
LIMITE DIFFUSE ET EPAISSE : URBAIN -> PERIURBAIN -> ESPACES AGRICOLES
- Zone industrielle des Paluds et plaine agricole d’Aubagne En vue aérienne, cette zone industrielle apparaît comme une tâche dans le paysage. En effet, bordée au sud par une nature sauvage escarpée et au nord par un chemin très étroit bordé de deux fossés profonds, la zone toute en longueur d’environ 200 hectares possède des limites clairement identifiables et difficilement extensibles. La démarcation est nette et aucun échange ne se fait entre ce territoire austère et son environnement, d’un côté comme de l’autre.
SOL ARTIFICIEL
SOL NATUREL ANTHROPISE (AGRICULTURE, FRICHES ETC)
LIMITE : PETIT CHEMIN BORDE DE DEUX FOSSES
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- Gémenos et son étalement urbain sur la plaine agricole La densité diminue peu à peu à mesure que l’on s’éloigne du centre ville. Il en est de même pour la taille des constructions ; la présence de la maison individuelle domine lorsque nous nous approchons des zones agricoles. La limite est diffuse et les lisières n’ont pas un avenir défini. Certaines parcelles sont en attentes de construction et donc dans un état transitif, d’autres sont exploitées et cultivées et d’autres encore sont construites.
LE CHOIX DU SITE En plus du travail de repérage sur le terrain et des connaissances théoriques acquises en S9, je me suis aidée de nombreuses vues aériennes pour sélectionner quatre entités territoriales fortes concernant la question de la lisière : Berre l’Étang et la relation que la ville et le pôle pétrochimique entretiennent avec les salins, la plaine agricole et l’Étang de Berre ; la Pennesur-Huveaune, ville diffuse qui se développe sur un seul axe est-ouest entre Aubagne et Marseille, symbole fort du grignotage des parcelles agricoles ; l’étendue agricole entre Gémenos et la Zone Industrielle des Paluds, entre limite diffuse et limite franche ; et enfin la relation qu’entretiennent les villes de Marignane et de Châteauneuf-les-Martigues avec la grande plaine agricole, l’Étang de Bolmon et le Canal du Rove.
Berre l’Étang : renouer avec les écosystèmes et l’agriculture locale
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La Penne-sur-Huveaune : revenir à la ville passante, sans limite franche ni sectorisation
Gémenos et Zone des Paluds : rendre poreuse une fracture territoriale
Marigane et Châteauneuf-les-Martigues : valoriser le paysage et contrer l’étalement urbain
5 Insee. Statistiques taux de chômage. Disponible sur https://www.insee.fr/fr/statistiques/3648425
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Ensuite, en m’appuyant sur des données statistiques basées sur des études concernant l’emploi et le logement, j’ai pu faire une comparaison détaillée de l’ensemble des villes (cf doc graphique p30-31). Et ainsi, si nous considérons Marignane et Châteauneuf-les-Martigues comme faisant partie d’une même entité, nous observons que celle-ci a un fort taux de chômage (13.9% alors que la moyenne nationale était à 8.8% en janvier 2019)5 et qu’elle ne remplit pas ses obligations en terme de logements sociaux (14.8% alors que le taux légal applicable est de 25%) notamment. Ces données seront détaillées, enrichies et davantage analysées par la suite. Elles m’ont permis de conforter mon choix plus sensible et intuitif que j’avais fait en amont et qui s’était porté sur Châteauneuf-Les-Martigues et Marignane. C’est pourquoi j’ai retenu cette option. Ce territoire est absolument incroyable d’un point de vu géographique, cerné au nord par l’Étang de Bolmon et ses marécages, en lien avec la bande du Jaï et le Canal du Rove, et au sud par l’autoroute A55 et le Massif de la Nerthe. Les paysages sont fascinants : nous passons d’un endroit de nature calme et sauvage bordé de hauts roseaux à des lotissements, puis à des champs de vignes avant d’arriver sur le parking d’une immense grande surface. Comment est-ce possible ? C’est précisément là tout le pouvoir du périurbain. Que ce soit de manière positive ou négative pour le milieu dans lequel il s’implante, son développement se joue de juxtapositions incongrues d’espaces construits et naturels. Mais malgré les fondements sur lesquels il s’appuie, qui prônent essentiellement une cohésion et une interconnexion entre la nature et les zones urbaines habitées, c’est malheureusement souvent l’inverse qui se produit. Et nous assistons alors à une sectorisation urbaine qui tourne le dos au paysage naturel. C’est exactement ce dont il est question au nord de Châteauneuf-LesMartigues : une bande de 5km de long et de 50 à 350m de large s’est urbanisée de manière intense, en artificialisant la majorité des sols. C’est donc sur cette frange que j’ai décidé de travailler afin de la requalifier, et ce à différentes échelles d’intervention, de celle du territoire à celle de l’élément architectural voire même à celle du mobilier urbain.
Données statistiques sur le niveau de vie des habitants des six villes étudiées
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Données statistiques sur l’état du logement des six villes étudiées
LE CAS DE CHÂTEAUNEUF-LES-MARTIGUES / MARIGNANE Entre Marignane et Châteauneuf-les-Martigues s’étend une vaste plaine agricole. Le Canal du Rove la sépare de l’Étang de Bolmon au nord qui lui-même est séparé de l’Étang de Berre par la fine bande du Jaï. L’eau est omniprésente et irrigue grâce aux nombreux petits canaux l’ensemble de la plaine agricole. Cette dernière est un véritable labyrinthe : d’innombrables petits chemins bordés de hauts roseaux la parcourent et nous donnent accès aux bords du canal, en pleine nature sauvage. Plus au nord, les marécages de l’Étang de Bolmon côtoient la longue plage du Jaï. À l’horizon, les grandes cheminées du pôle pétrochimique se détachent sur les reliefs. Ce territoire hybride entre Camargue et Provence est absolument incroyable. Un grand paysage époustouflant qui est pourtant sous-exploité et à qui on tourne inlassablement le dos. Mais certaines initiatives permettent progressivement de redonner accès à ce paysage tout en le préservant et valorisant.
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OMNIPRÉSENCE DE L’EAU « A la fois sauvage et d’accès facile, la nature, autour de Marseille, offre au plus modeste marcheur des secrets étincelants. » Simone de Beauvoir
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VALORISER LE PAYSAGE « Dans la périphérie, d’autres échelles prévalent, où le corps n’est plus référent principal, mais la nature, l’agriculture, la vacance, la friche,... » Michel Corajoud
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USAGES DIVERS ET VARIÉS « Dans la ville territoire, l’agriculture est devenue le monument de la ville. Par ailleurs, cet espace naturel joue un rôle fondamental comme corridor écologique ; toute artificialisation de ces milieux pose des problèmes à la nature et à l’homme. » Michel Corajoud
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Au sein d’une si grande métropole, se déplacer est primordial. C’est pourquoi ces dernières années, les infrastructures routières et ferroviaires se sont multipliées. De nombreux projets ont eu comme objectif et aboutissant de mieux relier et connecter les villes entre elles, afin de gagner du temps et de faire face aux flux toujours plus importants. Mais paradoxalement, ils sont aussi générateurs de sectorisation et d’éloignement géographique. Redonner à voir le paysage et permettre sa meilleure compréhension afin de le préserver ont été les lignes de réflexion directrices de ce travail. Le but est de favoriser et de préserver la diversité des territoires, dans tout ce qui les définit (rapports sociaux, connexions et modes de déplacements, manières d’habiter, de travailler, de se nourrir et de se divertir etc). Nous allons donc aborder ce thème dans la seconde partie, en nous intéressant davantage au cas de Châteauneuf-les-Martigues.
II L’infrastructure de transport À la fois lien et limite
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L’INFRASTRUCTURE : LIMITE POUR LES UNS, LIEN POUR LES AUTRES Dès les années 1960, les agglomérations françaises se sont métamorphosées avec la généralisation de la voiture. Des infrastructures routières conséquentes étaient nécessaires pour faire face à ce nouveau phénomène de masse. Ce nouveau mode de déplacement, rapide et pratique, à l’échelle individuelle, a entraîné l’émergence d’un nouvel urbanisme dit commercial. Les loisirs et le pouvoir d’achat ont progressivement pris de l’importance dans la vie des gens et l’aménagement de nos territoires s’est adapté. De grandes enseignes commerciales et industrielles ont commencé à créer d’immenses zones construites en se regroupant autour des nœuds routiers. L’accès facile et rapide aux infrastructures routières et la façade publicitaire que celles-ci représentaient pour les entreprises ont transformé les périphéries des villes. Logiquement, s’en est suivi à partir des années 1970 un étalement résidentiel qui s’est appuyé sur la proximité de ces zones de services concentrés pour se développer. C’est précisément en partant de ces trois constats principaux que David Mangin, architecte et urbaniste français Grand Prix de l’Urbanisme en 2008, a écrit le livre La ville franchisée - Formes et structure de la ville contemporaine. Dans ce dernier, il théorise ce qu’il appelle l’urbanisme par secteur. Les infrastructures routières à grande échelle permettent une mobilité importante des véhicules mais en contrepartie elles engendrent le dessin de «secteurs» dans lesquels les usages et les typologies bâties sont clairement séparés : lotissements, zones commerciales, zones industrielles, opérations de grands ensembles etc. Les relations entre ces secteurs sont difficiles et l’usage de la voiture indispensable. Cet urbanisme, caractérisé d’«ordinaire» par David Mangin représente «90% de ce qui se construit, pour l’essentiel à la périphérie de nos villes.» C’est pourquoi il dénonce «l’urbanisme de produits qui s’est substitué à un urbanisme de projets : le développement des enseignes franchisées conduit, une fois qu’un prototype architectural et urbanistique a été arrêté, à le reproduire indéfiniment sur l’ensemble du territoire. Ce formatage concerne les centres commerciaux, l’hôtellerie, la restauration, mais aussi bien d’autres domaines».6 Face à cet étalement urbain incessant et toujours plus violent, Eric Charmes, chercheur en sciences sociales appliquées à l’urbain, parle quant à lui d’«émiettement paysager» qu’il associe à l’idée nouvelle de
6 MANGIN David, Pour une ville passante et métisse. Compte rendu rédigé par Elisabeth Bourguinat suite à la séance du 19 mai 2005 lors du Séminaire Vies Collectives organisé par les parrains de l’École de Paris. [en ligne] Disponible sur : http://www.ecole.org
«clubbisation» des communes qu’il qualifie donc de «clubs résidentiels où les habitants ne se comportent pas en citoyens mais en consommateurs: ils vivent dans une municipalité non pas en tant que membres d’une communauté politique, mais en tant que membres d’un club fondé sur la jouissance partagée d’un ensemble de biens et de services.» Paola Vigano, Grand Prix d’urbanisme en 2013, nous alerte quant à elle sur la distinction qu’il faut faire entre périubrain et ville diffuse7 qui est définie par son collaborateur Bernardo Secchi comme une «ville marquée par l’absence d’ordre, d’homogénéité, d’infrastructure, de projet [...] dans les territoires de dispersions, c’est principalement à sa propre absence que l’urbaniste se voit confronté». Même si ces espaces construits ne nous interpellent plus tant ils sont nombreux sur nos territoires, Michel Corajoud, paysagiste et grand prix de l’urbanisme en 2003, a mis en garde quant à cette imperméabilisation des sols toujours plus gourmande en superficie : «Dans la ville territoire, l’agriculture est devenue le monument de la ville. Par ailleurs, cet espace naturel joue un rôle fondamental comme corridor écologique ; toute artificialisation de ces milieux pose des problèmes à la nature et à l’homme.»8 Châteauneuf-les-Martigues n’a pas été épargné par cet urbanisme non planifié. Cette commune de 15 000 habitants, idéalement située entre La Mède et la raffinerie de Total, et Marignane et ses nombreux emplois dans l’aéronautique, accueille de plus de en plus de jeunes ménages. Créée en 1935, la raffinerie a fait construire une voie ferrée privée, traversant la grande plaine agricole au sud de l’Étang de Bolmon afin de se relier au réseau ferré national. La départementale D568 traverse cette zone agricole également afin de relier Martigues et Marignane. Progressivement, l’urbanisation s’est étalée jusqu’à la voie ferrée, qui a constitué une barrière physique pendant un temps avant d’être franchie. L’étalement urbain s’est alors répandu dans la frange étroite entre les deux infrastructures de transport, englobant ou remplaçant les constructions existantes des agriculteurs de la plaine.
7 Paola Vigano sous la direction de Ariella Masboungi, Métamorphoses de l’ordinaire, Marseille : Editions Parenthèses. Janvier 2014, 128 pages 8 Cité par Bernard POIRIER, maire de Mordelles et vice-président de Rennes Métropole dans le livre de MASBOUNGI Ariella et MANGIN David dans Agir sur les grand territoires, Antony : éditions Le Moniteur, 2009, 155 pages
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Temps 1 : Châteauneuf-lesMartigues en contrebas du Massif de la Nerthe 1935 : pôle pétrochimique de la Mède et voie ferrée
Temps 2 : développement en périphérie de la ville, sur la plaine agricole 1972 : tronçon autoroute A55
Temps 3 : une ville diffuse chaotique aux abords immédiats de l’autoroute A55 et de la départementale D568 Années 90/2000
Temps 4 : la ville diffuse franchit la départementale, dernière limite physique avant le reste de la plaine Années 2000/2010
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Dézoom sur l’ensemble du territoire de Châteauneuf-les-Martigues
Zoom sur la frange située au nord de la ville
Mitage progressif des terres agricoles de la plaine de Châteauneuf-les-Martigues 1960 - 2017 Source : IGN, Remonter Le Temps
FRACTURES ET LIMITES TERRITORIALES « La réflexion manque sur les formes urbaines du grand territoire : comment l’infrastructure va créer du lien et de l’identité, comment travailler les paysages à ces échelles. » Ariella Masboungi
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MITAGE ET URBANISME PAR SECTEUR « La ville est une ressource renouvelable. » Paola Vigano
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« Il regarde la ville, cette superposition de mouvements. Ce territoire infini d’intersections, où l’on ne se rencontre pas. »
Les heures souterraines Delphine de Vigan
2011
Coupées l’une de l’autre par la D568, la ville et la plaine agricole forment deux milieux qui n’interagissent plus. Cette 2 x 1 voie sans passage piéton est dangereuse. Cinq ronds-points permettent d’entrer dans la ville en traversant la frange vers le sud mais ceux-ci ont été pensés pour l’utilisation exclusive de la voiture et non comme des espaces communs également piétonnisés et adaptés aux vélos. Les hauts roseaux et bambous bordant cette départementale disparaissent régulièrement, de façon à la transformer en véritable vitrine publicitaire aux abords des ronds-points, là où se développent les activités industrielles et commerciales. La ligne de chemin de fer actuelle, qui fracture ce territoire est quant à elle utilisée par un seul train fonctionnant au gasoil, à raison de quatre passage par jour, du mardi au vendredi, de 6h30 à 15h30. Cette infrastructure a engendré la mise en place de hauts grillages pour en interdire l’accès ainsi que l’existence de nombreux délaissés tout au long de la ligne, afin d’installer une certaine distance de sécurité entre la voie et les premiers bâtiments. C’est pourquoi aujourd’hui, cette voie ferrée apparaît comme une réelle contrainte dans les déplacements quotidiens et limite l’accès aux services de certaines personnes. Par conséquent, certains habitants ont coupé les grillages de part et d’autre des voies de façon à traverser à pied plus facilement pour aller faire les courses ou accompagner les enfants à l’école. L’urbanisme de secteur a ainsi entraîné de fortes discontinuités de la ville et les périphéries en sont les premières touchées. Les habitants périurbains dépendent de la voiture autant pour leur travail que pour leurs loisirs. De plus, cet urbanisme ordinaire, orchestré principalement par des urbanistes commerciaux, des spécialistes de marketing et des géomètres, entraîne une incompréhension entre la ville et la nature dans laquelle elle s’inscrit. Les lisières urbaines sont trop franches et l’étalement du bâti toujours plus important. Il faut envisager de nouveaux entrelacements pour que ces deux mondes soient à nouveau en cohérence, que l’un serve à l’autre et lui apporte une plus-value et inversement. Pour réparer nos périphéries, David Mangin préconise donc de s’appuyer sur l’introduction de transports en commun comme le tramway qui permettrait de limiter les enclavements dus à la dépendance directe à la voiture. De plus, toujours selon ses dires, «on pourrait aussi essayer de retrouver une géographie à l’intérieur des villes, et notamment dans les périphéries, avec les notions d’agriculture périurbaine, de requalification des voies rapides pour en faire des infrastructures civilisées, qui à leur tour modifieront le système des secteurs et permettront de retrouver des continuités, etc. Il faut aussi accepter le principe d’une densification des villes».
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CHANGER DE VITESSE POUR REDÉCOUVRIR LE PAYSAGE
En résumé, l’idée serait de revenir à une «ville passante et métisse», c’est-à-dire «une ville où on cesse de juxtaposer des environnements fermés, sécurisés, mais très dépendants de l’automobile, et qui doivent continuellement être contournés pour se rendre d’un lieu à l’autre, et où on limite la vitesse des voies rapides pour les rendre traversables et permettre un accès plus facile à l’école, à la supérette, à l’arrêt de transport en commun.»9 La revalorisation du projet urbain en (re)créant de la continuité (qui ne veut pas forcément dire continuité du bâti) est indispensable de façon à : «Privilégier l’urbanisme de tracé plutôt que l’urbanisme de secteur, la ville passante plutôt que la juxtaposition d’environnements sécurisés, la ville métisse plutôt que la ville homogène. Autrement dit, il s’agit de penser les tracés à l’échelle territoriale, les densités en termes de densification, et l’hétérogénéité en terme d’hétérogénèse»10 Marc Dumont précise ces propos : «Le tracé consisterait à changer d’échelle en passant du projet urbain au projet territorial pour des raisons d’accessibilité aux réseaux de la mobilité, et d’intégration des dispositifs écologiques (enjeux environnementaux qui dépassent le cadre d’un lotissement). [...] Enfin, en offrant une alternative aux projets d’extension des villes visant à créer de l’unité et de la continuité entre les fragments désordonnés résultant de l’étalement urbain. Réfléchir au tracé ce serait également explorer la dimension de la ville passante en développant des voies urbaines (voies paysagères), en répondant aux questions de l’insécurité urbaine par la création de continuité territoriale et non de rupture, en réintroduisant des présences humaines face à l’automatisation. Densifier consisterait ensuite à engager une pratique d’urbanisme de proximité qui ne se confonde pas avec un urbanisme communautariste et passant par deux étapes: une moindre dépendance à l’automobile (équipements de proximité), puis une densification progressive au fil du temps.»11
9 MANGIN David, Pour une ville passante et métisse. Compte rendu rédigé par Elisabeth Bourguinat suite à la séance du 19 mai 2005 lors du Séminaire Vies Collectives organisé par les parrains de l’École de Paris. [en ligne] Disponible sur : http://www.ecole.org 10 MANGIN David, La ville franchisée - Formes et structure de la ville contemporaine. Paris, Editions de la Villette. Juin 2004, 480 pages 11 DUMONT Marc «Quel urbanisme pour la ville générique ?», EspacesTemps.net site internet, 2004. [en ligne] Disponible sur : https://www.espacestemps.net/articles/quel-urbanisme-pour-la-ville-generique/
Aujourd’hui à Châteauneuf-les-Martigues, il est indispensable de rendre la frange existante attrayante en reliant ce véritable entre-deux au paysage environnant, proche et lointain. L’idée est donc de transformer cette limite que représente la voie ferrée en une infrastructure civilisée afin de retrouver des continuités spatiales et temporelles en articulant différents usages. L’installation actuelle est tout à fait compatible avec un tram-train qui relierait La Mède à la gare Pas Des Lanciers en passant par Châteauneuf-les-Martigues et Marignane. Ainsi, les habitants de ces trois communes seraient davantage reliés au territoire. Les échanges et les connexions seraient facilités et ce moyen de transport redonnerait à voir le grand paysage. Les habitants de Châteauneuf-lesMartigues et d’ailleurs (re)découvriraient leur territoire en jouissant de percées visuelles et de points de vue qu’ils n’avaient pas lors de l’utilisation de leur voiture. De plus, située à dix minutes à pied du centreville de Châteauneuf-les-Martigues, ce tramway permettrait une certaine autonomie pour les trajets du quotidien. Ce serait une bonne alternative à l’utilisation quasi indispensable de la voiture dans ces communes. Par ailleurs, à l’échelle urbaine, ce nouveau transport en commun permettrait de rétablir une connexion entre les espaces urbanisés du sud et du nord à travers la piétonnisation des abords et ce sur les cinq kilomètres correspondant à la longueur de la frange. Ainsi ces espaces délaissés qui aujourd’hui n’ont aucun usage et paraissent dans certains cas servir de zone tampon (pour garder une certaine distance entre l’infrastructure et des zones résidentielles par exemple), seraient valorisés et pourraient accueillir de nouveaux usages (places publiques, jardins partagés, parcs linéaires etc). Gilles Clément, jardinier et paysagiste fait entrer les délaissés dans une catégorie plus globale qu’il nomme «tiers-paysage» et qu’il définit ainsi :
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Ces pistes théoriques représentent une base de réflexion pour les architectes, les urbanistes mais aussi pour les communes et les habitants afin qu’ensemble ils se réemparent de la question des lisières de la métropole d’Aix-Marseille. Ces franges entre ville et nature représentent les enjeux d’aménagement de demain. Elles doivent tenir un rôle important pour soutenir l’attractivité des territoires dans lesquels elles s’inscrivent tout en suivant un schéma directeur d’évolution cohérent avec les enjeux actuels, qu’ils soient sociaux, politiques, environnementaux, d’attractivité etc.
« Le tiers-paysage concerne les délaissés urbains ou ruraux, les espaces de transition, les friches, marais, landes, tourbières, mais aussi les bords de route, rives, talus de voies ferrées, etc. A l’ensemble des délaissés viennent s’ajouter les territoires en réserve. Réserves de fait : lieux inaccessibles, sommets de montagne, lieux incultes, déserts, réserves institutionnelles : parc nationaux, parc régionaux, réserves naturelles ».12 Baptiste Lanaspèze et Geoffroy Mathieu complète cette définition : «Le tiers-paysage, c’est avant tout ces blancs de la carte : ces espaces qui, sur une carte IGN au 1/25000e, ne sont ni du bâti, ni des champs, ni des voies de communication, ni des zones d’activité. Ce que nous enseigne le tiers-paysage, c’est que la nature n’a pas besoin d’être pure, ancienne, éloignée, pour être naturelle.»13 Dans ce projet, la valorisation de ces espaces délaissés et leur transformation en espaces publics piétons sont un véritable atout pour faire de cette limite de la frange un vecteur de lien plutôt que de coupure. Quatre arrêts de tram sont positionnés stratégiquement tout au long de la frange et leurs abords sont aménagés. (cf document graphique p60-61)
12 Définition de CLEMENT Gilles. [en ligne] Disponible sur : http://www.gillesclement.com/cat-tierspaysage-tit-le-TiersPaysage 13 LANASPEZE Baptiste, MATHIEU Geoffroy, Marseille, Ville Sauvage : essai d’écologie urbaine, Arles : éditions Actes Sud, 2012, 202 pages
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Donner Ă voir le grand paysage - Changer de vitesse - Contempler Photomontage conceptuel
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Diversité des milieux traversés, de la plaine agricole à la grande surface, de l’industrie à la maison individuelle Photomontages conceptuels
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Tram-train et espaces publics Coupes schĂŠmatiques intention de projet
Ces espaces publics peuvent également servir à rétablir un dialogue entre la plaine agricole et la ville. Ces deux milieux n’interagissent plus, coupés l’un de l’autre par la D568. L’objectif est ici de créer des « agrafes » en intégrant le piéton et le cycliste (changement de vitesse) pour permettre de franchir cette voie rapide qui nous isole de la plaine agricole. Ces agrafes prendraient la forme de places publiques qui viendraient ponctuer la D568 et une promenade paysagère ainsi qu’une piste cyclable séparées de la circulation par une voie plantée seraient rajoutées. Cette voie plantée conserverait les hautes haies de bambou déjà présentent. De plus, les voies de traverse perpendiculaires présentent aux cinq ronds-points sont elles aussi peu adaptées aux piétons. Certaines permettent de franchir la voie ferrée en voiture, parfois à pied. D’autres en revanche ont été privatisées ou condamnées pour des intérêts personnels (parfois accès pompiers réservé). Ces voies de traverse pourraient être une porte d’entrée du végétal en mettant le piéton au cœur de leur requalification afin d’assurer le lien de manière autant est-ouest que nord-sud. Permettre le déplacement au sein de cette frange poreuse peut apporter de la transparence et ainsi contrer le côté décousu du site pour éviter la sectorisation qui fait que rien ne communique. Coloniser par le végétal pour prolonger l’action de la plaine sur la frange urbanisée peut s’avérer être un outil puissant de revalorisation. Ces options de requalification des voies permettraient de mieux relier la frange à son territoire tout en changeant de vitesse de déplacement au sein même de celle-ci (grâce à l’importance accordée au piéton) pour apporter de la fluidité et permettre la désectorisation. Nous allons maintenant nous intéresser à la composition de cette frange et à la manière dont on y vit. Les intentions de projet architectural seront approfondies dans cette troisième partie.
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III Au cœur de la frange
Comment vivons-nous ? Comment pourrions-nous vivre ?
Comment pourrions-ous vivre ?
UN PATCHWORK D’ESPACES HÉTÉROGÈNES En 2001, Thomas Sieverts propose un essai sur le Zwischenstadt, dont la traduction française d’«entre-ville» semble ne pas faire ressortir toute la richesse conceptuelle englobée par le terme original. Cette publication laisse de côté la ville historique mainte fois étudiée et porte ainsi toute son attention sur les notions de «périurbain» et de «ville diffuse». Dix ans après, il est revenu sur cette réalité urbaine tout juste émergente à l’époque, lors d’un entretien accordé à Métropolitiques, en la définissant et en l’expliquant ainsi: «L’émergence de cette forme urbaine non-planifiée et universelle est le résultat d’innombrables décisions prises de façon non-concertée. En choisissant un lieu d’implantation, de nombreuses familles et petites entreprises cherchent, chacune conformément à son budget, à concilier trois objectifs en conflit entre eux : la proximité avec la nature, la faible distance avec les services répondant à leurs besoins quotidiens (commerces, écoles, médecins, etc.) et le raccordement au réseau régional de communications desservant les aires d’emploi et d’activités de la région. La structure fractale caractéristique des Zwischenstädte est le produit de ces décisions complexes.»14 La plupart des familles dont il parle sont donc usagères d’une ville territoire qu’elles ne semblent pas voir à cause de leur dépendance aux parcours essentiellement viaires et à grande vitesse. Comme le stipule Frédéric Bonnet dans son rapport Aménager les territoires ruraux et périurbains15, l’usage de la voiture individuelle est quasi exclusif dans les campagnes périurbaines car elle apporte une certaine fluidité dans les déplacements. Néanmoins, pour ces habitants, l’impact de cette utilisation quotidienne n’est pas sans conséquence sur leur budget et sur leur rythme de vie soumis au temps important passé dans les déplacements. Et on ne parle pas ici de l’impact écologique que cette dépendance génère.
14 Stéphane Bonzani & Stéphane Füzesséry & Thomas Sieverts, Entretien « Entre ville et campagne, l’avenir de nos métropoles », Métropolitiques, 2 mars 2011. [en ligne] Disponible sur : https://www.metropolitiques.eu/Entre-ville-etcampagne-l-avenir.html 15 BONNET Frédéric, architecte Grand prix de l’Urbanisme, «Aménager les territoires ruraux et périurbains», remis à Sylvia Pinel, ministre du Logement, de l’Egalité des territoires et de la Ruralité - 7 janvier 2016 - [en ligne] Disponible en téléchargement sur : http://www.cohesion-territoires.gouv.fr/amenagement-des-territoires-ruraux-et-periurbains-remisedu-rapport-de-frederic-bonnet-a-sylvia-pinel
Ce constat est valable pour une grande majorité des villes et Châteauneufles-Martigues en fait partie. Elle a connu et subit encore un important développement urbain marqué par une consommation excessive des territoires. Sous prétexte de développement économique, de création d’emplois et de logements nécessaires répondant à une demande certaine, l’urbanisation des terres agricoles s’est faite de manière invasive et non concertée, générant des hectares de sol imperméable. Néanmoins, nous savons par expérience que le développement d’une ville peut tout à fait être en adéquation avec une densité urbaine et des orientations de construction socialement et écologiquement responsables. Le but premier étant de limiter ce mitage, il me semble indispensable d’agir sur les lisières, ces espaces d’entre-deux, situés entre ville et campagne. Sur environ cinq kilomètres, nous assistons à une véritable mosaïque d’espaces hétérogènes. Cette frange est un ensemble de magasins ou de services franchisés (McDonalds, Carrefour, Picard, Autosur, Marie Blachère, Lidl etc) accessibles seulement en voiture et situés aux abords des ronds-points pour une meilleure visibilité et une desserte facilitée. Nous y trouvons aussi d’immenses entrepôts de logistique et de stockage, tout proche de résidences et de lotissements de maisons individuelles ou de logements collectifs sur 3 ou 4 niveaux. Les parkings, immenses étendues de sol artificiel, semblent faire partie des caractéristiques indispensables. Mais cette frange est aussi composée de centaines d’habitants, de champs d’oliviers et de vignes, de serres de maraîchage, d’un petit camping rural qui survit à l’abri des roseaux bordant la D568. Cette superposition d’usages et d’espaces décousus est le témoin d’un grignotage progressif de parcelles vides fait sans planification, sans concertation commune entre les différents acteurs de la ville.
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Magasins franchisés
Camping rural
La plaine des sports
Grande surface
Champ d
Maisons individuelles en bande
Bâtiment services municipaux
Logements individuels
Loisirs
Logements collectifs
Commerces, services franchisés
Au sein de la frange, une multitude d’usages, entre tradition agricole et développement urbain chaotique
Discoth
Logements collectifs
Vignes
d’oliviers
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69 EHPAD
Logements collectifs avec jardins partagés
Serres Maraîchage
Stockage Logistique
hèque
Industries, stockage, logistique
Services publics
Établissements de santé
Agriculture
QUELLES TYPOLOGIES D’INTERFACES ? Les lotissements pavillonnaires souvent sécurisés et fermés se multiplient. En 2004 le CREDOC (Centre de Recherche pour l’Etude et l’Observation des Conditions de vie) déclarait que la maison individuelle représentait «le logement idéal pour 82 % des Français et qu’être propriétaire de sa maison constitue la combinaison parfaite pour 77 % d’entre eux. Seulement 12 % préfèrent la propriété d’un appartement et 11 %, la location de la résidence principale.»16 Toujours d’après le centre de recherche, c’est en 2008 cette fois qu’il était annoncé que «83% des locataires qui désiraient accéder à la propriété opteraient pour l’habitat individuel.»17 Initialement, la typologie pavillonnaire doit son existence à la bourgeoisie qui était à la «recherche de prestige et de salubrité.»18 En revanche, bien qu’elle soit plébiscitée par une majorité, cette forme d’habitat centrée sur le cocon familial peut entraîner un éloignement prononcé vis à vis du monde extérieur. A Châteauneuf-les-Martigues, la population est de plus en plus rajeunissante car de nombreux jeunes ménages viennent s’y installer pour fonder une famille et ce grâce aux prix de l’immobilier et des terrains constructibles accessibles. La typologie pavillonnaire est la grande gagnante du marché du logement dans les villes moyennes situées à proximité directe des grandes villes en voiture (Aix-en-Provence, Marseille, Marignane). Voici les principales caractéristiques de ces habitants qui souhaitent combiner l’accession facilitée à la propriété dans une ville moyenne à proximité de loisirs d’extérieurs pour les week-ends et une distance raisonnable entre leur lieu de travail et leur habitat :
16 DJEFAL Sabrina et EUGENE Sonia pour le CREDOC Septembre 2004. [en ligne] Disponible sur : https://www.credoc. fr/publications/etre-proprietaire-de-sa-maison-un-reve-largement-partage-quelques-risques-ressentis 17 HATCHUEL Georges, DUFLOS Catherine et CROUTTE Patricia, enquête barométrique «Conditions de vie et Aspirations des Français, quelques opinions et aspirations en matière de logement». Document réalisé à la demande du Ministère du Logement et de la Ville. Juillet 2008. [en ligne] Disponible sur : https://www.credoc.fr/publications/enquete-conditionsde-vie-et-aspirations-des-francais-quelques-opinions-et-aspirations-en-matiere-de-logement 18 RAYMOND Henri, DEZES Marie-Geneviève, HAUMONT Nicole, HAUMONT Antoine, L’Habitat Pavillonnaire, éditions L’Harmattan, 2001, 114 pages
Population rajeunissante
87% des actifs vont au travail en voiture
65% des habitants ne travaillent pas à Châteauneuf-les-Martigues
↓ Ville-dortoir
Paradoxe : les ménages veulent se rapprocher de la nature mais lui tourne finalement le dos en habitant dans des lotissements sécurisés et cloisonnés
+ Agriculture délaissée au profit de foncier constructible et viabilisé, plus rentable. → Implantation massive de services et de lotissements pavillonnaires
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Tourner le dos à la nature et au grand paysage Dans la sphère privée, les murs s’érigent pour préserver l’intimité
Naïma, habitante de Châteauneuf-les-Martigues et usagère de la frange.
Dans la sphère publique, les barrières tombent pour faciliter les déplacements
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«On emprunte à pied le passage ouvert par les habitants dans les grillages qui ferment d’un côté et de l’autre la voie ferrée pour aller à l’école avec les enfants ou faire les courses de l’autre côté.»
Les interfaces de la frange sont donc très exclusives. Elles se basent sur la préservation de la sphère intime dans l’habitat individuel grâce à de hauts murs maçonnés et sur de hauts grillages de sécurité pour le contour des parcelles industrielles ou commerciales. La façade principale de ces bâtiments est tournée vers la départementale et non vers le grand paysage, au nord vers l’étang de Berre ou au sud vers le Massif de la Nerthe. C’est pourquoi, à l’image des schémas suivants, il faut penser la ville par ses bords et recréer un dialogue ville-nature.
« Le zoning ville/ nature est à requestionner. Au lieu de séparer, voire d’opposer ville et nature, il serait intéressant d’envisager des liens, des superpositions, des entrelacements. » Philippe Simon, architecte enseignant chercheur les lisières urbaines ADEUS
Schémas «La limite est un lien» de Pierre l’Excellent
Agence d’architecture TER « 55 000 hectares pour la nature », Communauté urbaine de Bordeaux, 2013
Ainsi, nous nous retrouvons aujourd’hui face à un problème auquel les politiques précédentes, faisant l’apologie de l’accession à la propriété en milieu périurbain et de la société de consommation, n’avaient pas pensé : l’incohérence et le caractère inadapté des espaces d’entre-deux créés par cette ville dévorante de parcelles vides. Et parlons un peu de ce vide dont le dessin, en milieu périurbain, prend tout son sens. Dessiner les vides entre les bâtiments de manière consciente permet de leur donner l’importance particulière nécessaire à la révélation d’opportunités de projet. Dans leur livre Agir sur les grands territoires, Ariella Masboungi et David Mangin préconisent d’accorder «une importance particulière au vide entre les bâtiments pour offrir des opportunités de qualité urbaine. Dessiner les vides de manière consciente» et de réparer les dégâts de cette ville «du hasard» en suivant six orientations majeures : - Restructurer les fragments résidentiels, industriels et commerciaux déjà là. - Tisser des liens entre les fragments. - Restructurer les infrastructures qui les lient. - Recréer des micros centralités nécessaires. - Redonner goût à la marche à pied au moins au niveau de la proximité. - Rendre acceptables les développements périphériques en les anticipant et en leur donnant forme, sens et structure. Pour engager de telles réflexions, cela requiert en amont de considérer ces territoires comme des territoires à projet. Il faut savoir faire des allersretours entre la stratégie, qui donne des idées de projet, et les projets concrets qui donnent forme progressivement à une stratégie. Pour palier aux difficultés que peut rencontrer la pratique et la fabrique des territoires périurbains, il est nécessaire de «[Prendre] en compte des mobilités à la bonne échelle de référence, en associant les objectifs de la transition énergétique à ceux des équilibres sociaux»19
19 BONNET Frédéric, «Aménager les territoires ruraux et périurbains», - 7 janvier 2016 - [en ligne] Disponible en téléchargement sur : http://www.cohesion-territoires.gouv.fr/amenagement-des-territoires-ruraux-et-periurbains-remisedu-rapport-de-frederic-bonnet-a-sylvia-pinel
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DESSINER LES VIDES, OPPORTUNITÉS DE PROJET
Espaces au sol imperméable : Parkings ou zones de stockage /manœuvre pour les entreprises
Bâtiments
Parcelles construites abandonnées
Toitures plates inexploitées
Au sein de la frange, des typologies de vides différentes
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Espaces au sol perméable mais non végétalisé :
Espaces au sol végétalisé :
Délaissés aux abords de la voie ferrée
Parcelles végétalisées
Friches ou extérieurs privés
Agriculture
Lorsque la réflexion se porte sur des franges existantes, les espaces bâtis doivent renouer avec les espaces naturels (anthropisés ou non) qui les ont accueillis, dans le but d’aboutir à une réelle «rénovation urbaine» adaptée aux enjeux actuels. Les nouveaux projets territoriaux et urbanistiques doivent quant à eux, intégrer cette notion dès les premières réflexions afin de ne pas répéter les erreurs du passé qui ont engendré l’urbanisme que l’on connaît aujourd’hui (représenté essentiellement par l’urbanisme par secteur qui ne cesse de se développer). Pour cela, plusieurs concepts et fondements me semblent essentiels : - Dans un premier temps, il faut redonner une place à l’agriculture car les urbains, dans l’ensemble, ne sont plus connectés à leur territoire. En effet, la mondialisation a généré un allongement des chaînes alimentaires et une spécialisation des territoires, autant pour l’élevage que pour les cultures. Nous avons perdu l’échelle humaine dans le secteur agricole ce qui a engendré une forte diminution des échanges de proximité entre consommateurs et acteurs agricoles (éleveurs, cultivateurs, producteurs, maraîchers, apiculteurs etc). De plus, la provenance des produits ainsi que leur qualité ne sont pas toujours garanties. La pollution et l’utilisation abusive des sols que provoque cette forme d’agriculture intensive et détachée sont irréversibles. C’est pourquoi «la conforter [l’agriculture] devient un enjeu essentiel, pour trois raisons en partie contradictoires : afin qu’elle reste une composante essentielle de l’économie, qu’elle soit une barrière à l’urbanisation, mais aussi qu’elle soit un espace de récréation pour les urbains et un lieu d’identité.»20 Ainsi, nous pouvons encourager les initiatives déjà existantes et développer cette agriculture urbaine et périurbaine sur des terrains en friche, des délaissés, des dents creuses, des toits, des façades etc ; les possibilités sont nombreuses. Mais derrière des opérations ponctuelles et souvent à petites échelles (associations, écoles, groupes de voisins), l’enjeu est de réinventer la conception urbaine de ces franges de territoires situées entre nature et espace bâti. Ainsi, c’est à l’étalement urbain qu’on s’attaque à travers une nouvelle relation basée sur les échanges de proximité entre les territoires urbains et les territoires agricoles. Ces initiatives ont aussi des fonctions sociales, environnementale, pédagogique, parfois économiques mais surtout nourricières.
20 MASBOUNGI Ariella, MANGIN David, Agir sur les grand territoires, Antony : éditions Le Moniteur, 2009, 155 pages
La perméabilité entre l’urbain et les espaces naturels et agricoles est l’objectif principal. L’enjeu est de coloniser la ville par la nature afin de l’enrichir, dans une idée d’interdépendance entre les deux milieux. Pour cela : «Il faut avoir toute la structure globale en tête pour dessiner le local, comprendre l’ossature pour y articuler des projets, dans une relation constante entre le micro et le macro.»23 Nuno Portas et Álvaro Domingues Pour empêcher l’urbanisation de s’étendre au-delà de cette voie routière, il est indispensable de rendre cette frange épaisse attractive. Pour cela, je préconise de redéfinir la limite comme un espace hybride entre ville et nature. Celle-ci doit donner envie d’y rester ou de s’y installer sans aller chercher ailleurs la nature comme lieu de vie. Il faut provoquer une réelle prise de conscience quant à la nécessité de préserver cette nature au-delà de la route dans le but d’en profiter comme d’un loisir ou d’une ressource nourricière, de manière appropriée et responsable. La limite n’est plus linéaire matérialisée par une voie de circulation à grande vitesse mais devient une frange poreuse et épaisse, adaptée au piéton. Pour cela, je propose un plan complet de requalification de l’existant, comme processus global d’intervention, à différentes échelles, dans une logique dynamique commune.
21 PONS Anne, BLAISON Sylvie, COMESSIE Fabienne, Les notes de l’ADEUS (L’Agence de Développement et d’Urbanisme de l’Agglomération Strasbourgeoise) n°111, Lisières Urbaines, «Exploration pour construire le dialogue ville-nature.» Novembre 2013. [en ligne] Disponible en téléchargement sur : http://www.adeus.org/productions/lisieres-urbaines 22 MASBOUNGI Ariella, MANGIN David, Agir sur les grand territoires, Antony : éditions Le Moniteur, 2009, 155 pages 23 Cité dans Agir sur les grand territoires par Ariella MASBOUNGI et David MANGIN
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- Ensuite poser la question de la limite et de son épaisseur pour contrer l’étalement urbain est primordial. «Définir des limites, c’est se donner les moyens d’endiguer la pression urbaine et de gérer de façon économe l’espace non bâti»21. La limite comme projet, c’est le concept défendu par Ariella Masboungi et David Mangin qui nous expliquent : «On construit d’abord la limite afin de créer la tension entre ville et paysage. En «inversant le regard», le document tente de renverser les représentations et d’appréhender le développement urbain non plus du centre vers la périphérie, mais depuis les espaces ouverts, qu’ils soient agricoles ou naturels. En distinguant les «limites déterminées» et les «limites à conforter», le schéma révèle les lisières stables et les lisières qui feront l’objet de projets.»22
L’implantation du tram-train a permis une requalification des espaces délaissés de ses abords en intégrant le piéton à ces nouveaux espaces publics. Ainsi, ce qui représentait une limite physique franche s’est transformé en une infrastructure poreuse de transport doux : l’échange entre la frange est la ville est alors facilité. Mais d’autres vides peuvent être valorisés permettant l’implantation de nouveaux usages et le retour de la nature en ville, sur des espaces jusqu’ici très imperméables. C’est notamment le cas pour les surfaces de stationnement. Les franchises, sont très gourmandes en foncier et il est fréquent d’observer qu’il y a autant de surface consacrée à la vente en intérieur que de surface de stationnement. Mais bien souvent ces surfaces sont calculées par rapport à des taux d’affluence maximale, rarement atteints ; et ce sont finalement des mètres carrés entièrement artificialisés qui ne sont jamais utilisés. C’est pourquoi nous devons penser ces espaces de parkings comme des espaces publics réversibles qui accueilleraient des loisirs et des événements les jours ou les horaires de fermeture. Ainsi, les weekends, les immenses parkings de Carrefour ou de Lidl se transformeraient en lieux de loisirs, avec des festivals, des expositions, des compétitions sportives de skateboard ou de BMX par exemple. De plus, nous pourrions végétaliser ces espaces de stationnement afin de permettre la restauration des fonctions naturelles des sols qui sont : - la non imperméabilisation et l’infiltration naturelle des eaux pluviales - la régulation thermique (lutte contre les îlots de chaleur) - la régulation hydrique (réapprovisionnement des nappes phréatiques) - la préservation de la biodiversité en milieu urbain - le retour du vert en ville et l’amélioration du cadre de vie24 Cela contribuerait à assurer une certaine continuité végétale en ville. Les bénéfices seraient autant environnementaux que sociétaux. Par ailleurs, bien que souvent envahis par des éléments techniques (conduits d’aérations et gaînes techniques), les toitures plates des bâtiments industriels et commerciaux représentent d’immenses surfaces inutiles qui pourraient être optimisées en produisant de l’énergie (panneaux solaires ou photovoltaïques).
24 Informations sur le stationnement végétalisé. Disponibles sur : https://www.o2d-environnement.com/application/ stationnement-vegetalise-parking-gazon/
Il accueille un bar, une salle de restauration, une salle de jeux et une piste de danse par exemple durant la semaine et certains week-ends en agissant comme un lieu de rencontre du quotidien. Mais ponctuellement, en tant que lieu mutable, il peut se transformer en salle de meeting, en salle de concert, en scène de théâtre pour le grand spectacle des écoles, en podium de défilé de mode ou encore en espace de congrès, d’exposition ou de marché pour le marché de Noël ou de producteurs chaque mardi matin. Les possibilités sont nombreuses et la grande ouverture vitrée et repliable au nord permet d’avoir le grand paysage toujours en toile de fond. Cette partie du projet n’a été développée qu’en intention, grâce à des documents conceptuels.
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De plus, la ville de Châteauneuf-les-Martigues est bien équipée (Pôle culturel Jean-Claude Izzo, Cinéma Marcel Pagnol, Plaine des Sports, Maison des Associations et de nombreux autres locaux associatifs) et offre à ses habitants des loisirs diverses et variés. Les activités de plein air et de valorisation des paysages naturels (planche à voile, chemins de randonnées etc) sont elles aussi bien représentées et la requalification de la D568 devrait permettre de rendre plus poreuse cette limite routière afin d’accéder plus aisément à ces loisirs. En revanche, la commune ne possède que peu de lieux conviviaux festifs tels que des cafés, des restaurants ou des discothèques. C’est pourquoi, un lieu regroupant ces diverses activités viendrait s’implanter sur le secteur de la Palunette, à l’ouest de la Plaine des Sports. Le territoire sur lequel s’inscrit le projet global est fabuleux. Cet endroit offre une vue imprenable sur les étangs et sur la bande du Jaï, un endroit idyllique pour se retrouver entre amis, pour boire un verre avant d’entamer une balade sur le tracé du GR2013 ou après une baignade sur la plage du lido du Jaï. Ce lieu a pour objectif de correspondre à tous, petits et grands, en offrant des services et des ambiances différentes en fonction des moments de la journée et de la semaine. Toujours vivant, c’est le lieu d’animation de prédilection des habitants, où chacun se sent bien. Un lieu de repos mais aussi de fête, pour tous les âges. En lien direct avec le grand parking du Carrefour, j’imagine ce lieu comme une salle polyvalente mutable, qui pourrait s’adapter à tous types d’événements.
Bien que surplombant les étangs, cet ensemble de magasins leur tourne le dos délibérément
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Superficie immense et impermĂŠable de stationnement
Plan de situation
Coupes conceptuelles des intentions de projet
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Usage quotidien : bar, restaurant, salle de jeux, discothèque
Concert
Conférence
Pièce de théâtre avec le paysage comme toile de fond
Défilé
Plans conceptuels des différentes configurations possibles
Hall d’exposition, marché
Espaces de nature existants
Axonométrie de l’existant
GSPublisherVersion 0.30.100.100
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Salle polyvalente
Panneaux photovoltaïques
Parc
Axonométrie des intentions de projet
Parkings enherbés
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Ainsi, de nombreux espaces vides et délaissés aujourd’hui pourraient devenir des lieux optimisés aux usages mutables demain. L’urbanisme par secteurs engendre cette multiplication de vides qui n’ont pas d’identité ni d’utilité revendiquées, bien qu’ils servent de lieux de respiration pour le citadin. C’est pourquoi, j’ai décidé d’utiliser certaines de ces parcelles en friche pour y développer différentes manières d’habiter la frange en fonction de leur implantation géographique. De cette manière, l’augmentation du nombre de logements au sein de cet intervalle permet de répondre à la forte demande actuelle tout en ne participant pas au mitage des terres agricoles de la plaine qu’il me semble absolument nécessaire de préserver dans son intégrité. La quatrième et dernière partie traite précisément de ces choix de typologies de logements qui s’adaptent au site sur lequel ils s’implantent, assurant ainsi une diversité des offres.
IV Une frange attractive
Moteur dynamique d’entre-deux
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Coupe conceptuelle regroupant les 3 typologies d’habiter
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Lors d’une de mes visites sur site, je me suis rendue compte qu’un tronçon de la frange en particulier regroupait un nombre important de ces parcelles délaissées. Ce fragment de la frange occupe une place stratégique car il se situe entre deux rond-points menant tous deux à la fois directement au centre de Châteauneuf-les-Martigues au sud et au plus près du Canal du Rove et de l’Étang de Bolmon au nord. Une fois toutes les parcelles recensées, j’ai pu distinguer deux catégories : celles en friche situées au bord de la voie ferrée et d’autres situées en bordure de la départementale. Une troisième catégorie s’est rajoutée rassemblant de grandes parcelles construites abandonnées. La particularité de ces dernières réside dans le fait qu’elles appartiennent à des poches d’urbanité situées au-delà de la départementale. Néanmoins, à la base consacrée à de l’activité commerciale ou bien à du stockage de véhicules particuliers (bateaux, yachts, camping-car etc) sous surveillance privée, ces parcelles appartenant à des entreprises ayant fait faillite se retrouvent vacantes et inoccupées. C’est pourquoi il est judicieux de réinvestir ces parcelles de façon à optimiser ces poches de sol perméable et d’y réinjecter de l’agriculture pour limiter leur impact sur l’environnement et recréer une continuité végétale. Les familles arrivant en grand nombre chaque année et la commune étant en déficit de logements sociaux, il m’a paru évident de baser le projet sur le logement. Ainsi, en fonction des catégories de parcelles disponibles, j’ai décidé de développer trois manières d’habiter différentes : habiter le grand paysage en bordure de voie ferrée, habiter l’entre-deux (entre tissu urbain et espaces naturels) et habiter au cœur de l’agriculture. A ces typologies d’habiter vient se greffer une halle de marché située sur une parcelle bordée par la D568 et la voie ferrée. De plus, un des objectifs est de créer un réseau de services de proximité et de commerces pour dynamiser ces zones consacrées seulement au logement. Cela est générateur d’emplois et donc de dynamisme dans le but de faire de cette frange un vecteur de lien plutôt que de coupure. Travailler au sein de la frange, est synonyme d’ouverture et de diversité. Plus attractive et plus complète dans son offre, l’activité économique de la frange participe à la lutte contre l’étalement urbain et contre la sectorisation dans une logique de densification et de réversibilité des usages.
Salle polyvalente potentielle
Parcelles de projet Parcelles potentielles de projet
Fragment de la frange stratÊgique pour l’implantation des diffÊrentes typologies Plan de situation
Zone naturelle protégée Chemins de randonnée
Habiter au cœur de l’agriculture
Habiter l’entre-deux
Habiter le grand paysage
Parc public et halles de marché
Centre-ville de Châteauneuf-les-Martigues
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Étang de Bolmon
Plan de l’existant
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Plan de rez-de-chaussĂŠe
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LA HALLE DE MARCHÉ ET SON PARC Un lieu de flânerie pour tous
Malgré leur diminution, encore de nombreux agriculteurs (maraîchers, éleveurs, producteurs) vivent de leur métier dans la plaine agricole de Châteauneuf-les-Martigues. De même, il existe encore quelques pêcheurs professionnels sur l’Étang de Berre. Certains font de la vente directe mais la création d’une halle de marché au sein de cette frange hybride permettrait aux agriculteurs et aux habitants de se rencontrer. Les exploitants agricoles auraient ainsi plus de visibilité et les habitants bénéficieraient de produits locaux. Les bénéfices seraient multiples (sociaux, économiques, écologiques notamment) et la production locale serait encouragée. Un frein de plus à l’étalement urbain. A hauteur d’un arrêt de tram, sur l’actuelle parcelle de la discothèque Happy Days, vient s’implanter ce lieu simple et efficace, au sein d’un parc arboré où les joueurs de pétanque se mèlent aux enfants qui courent. Un symbole fort d’une activité économique prospère et locale, sincère. Le Happy Days, ouvert seulement le mardi, vendredi et dimanche après-midi et le vendredi et samedi soir trône actuellement au centre d’une grande parcelle, entouré d’environ 200 places de stationnement. Il est détruit afin d’y implanter les halles de marché, à proximité directe des serres et des champs de culture. Cette activité de loisir est déplacée à l’extrémité ouest de la frange (intention de projet pour la salle polyvalente). L’objectif est de requalifier l’ensemble de la parcelle et de ses abords immédiats, en relation avec la départementale et la voie ferrée. Cet équipement agirait comme un tremplin dans la valorisation des métiers locaux artisanaux. Lorsque les exposants ne déballent pas leurs stands, les toitures servent d’ombrières aux flâneurs. Terrain de jeux pour les enfants, lieu de respiration pour le citadin, espace végétalisé de proximité pour promener son chien, ce parc fait simplement et dignement le lien végétal entre la ville et la plaine.
Coupes conceptuelles
Avec l’arrivée du tram-train à Châteauneuf-les-Martigues, les délaissés de bord de voie sont réappropriés et ces espaces autrefois frontière deviennent aujourd’hui connexion. Situés tout à fait en bord de voie, ces logements ont pour objectifs de jouir à la fois de la proximité directe du tram-train pour des déplacements rapides et de la vue sur le grand paysage en s’élevant. L’arrêt de tram se situant juste devant les rez-de-chaussées, ces derniers sont consacrés à des petits commerces de proximités, à des services à la personne ou bien à des professions libérales, usages totalement absents dans ce quartier dédié exclusivement au logement. Les rez-de-chaussées peuvent communiquer entre eux grâce à des cloisons coulissantes afin que les usagers puissent adapter leur local en fonction de leurs nécessités, sans être bloqués par la trame régissant les logements en étage. Ces derniers s’élèvent en R+3 ou en R+4 de façon à donner à voir les paysages incroyables des alentours proches et lointains : de la grande plaine agricole, au Massif de la Nerthe en passant par les étangs et les grande cheminées des différents pôles pétrochimiques. Habiter ces logements signifie pouvoir avoir accès rapidement aux services et s’évader de l’agitation quotidienne la minute suivante. Et c’est à ce souhait fort des jeunes familles que ces logements répondent : être connecté rapidement aux milieux urbains tout en préservant une sphère intime ; un équilibre entre la ville et la nature.
Coupes conceptuelles
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HABITER LE GRAND PAYSAGE Logements mirador en bord de voie ferrée
HABITER L’ENTRE-DEUX Logements collectifs et équipements, vecteurs d’une expérience communautaire Cette typologie de logements possède une forte dimension collective. Et pour cause, son fonctionnement se base sur une cohabitation des différentes générations. Jeunes couples, familles, retraités, étudiants/ apprentis/stagiaires, célibataires, tous sont favorables au fait de s’engager socialement auprès d’usagers qui partagent leurs envies d’entraide et de vivre ensemble. Les relations se basent sur l’échange utile de services et de savoirs (garde d’enfants par les retraités, jardins communs, présence et aide auprès des plus vulnérables, accompagnement numérique des personnes en difficulté etc) et pourraient représenter une solution durable face à la dépendance progressive des personnes âgées, afin d’éviter l’isolement social et le placement trop prématuré en maison de retraite. Situés tout proche de la D568, l’emplacement de ces logements est idéal. La piste cyclable est accessible de l’autre côté de la route et l’arrêt de tram-train le plus proche est à 2min à pied. Ni totalement en ville ni complètement en milieu agricole, ces six bâtiments s’implantent dans une zone constituée exclusivement de logements. De plus, une parcelle en friche de l’autre côté de la départementale sert de parking enherbé de façon à ne pas avoir de voiture au sein de la parcelle. La situation stratégique de ces plots me paraît donc adaptée à l’implantation de services et de lieux de travail en rez-de-chaussée qui nécessitent de l’espace. C’est pourquoi, au rez-de-chaussée des quatre bâtiments en bordure de l’axe de circulation piéton principal, nous retrouvons une crèche, une cantine solidaire, des ateliers d’artisanat ainsi qu’un lieu de coworking. Comme nous l’avons dit précédemment, environ 65% des actifs (chiffre encore plus élevés chez les 25-39 ans) de Châteauneuf-les-Martigues ne travaillent pas à Châteauneufles-Martigues et 87% de l’ensemble des actifs vont au travail en voiture. C’est pourquoi elle apparaît comme une ville-dortoir. En implantant un lieu de coworking au sein de la frange, cela permet à des autoentrepreneurs, à des start-up ou à des antennes de grandes entreprises de s’installer dans la commune. Cela limite les déplacements quotidiens vers Marseille ou ailleurs et favorise l’échange, au cœur des réseaux relationnels. L’offre de services est variée afin de correspondre à un plus grand nombre : bureaux privatisés, open space, cabines isolées (pour entretiens téléphoniques/ skype), salle de réunion et/ou de formation, événements, espace de libre appropriation (exposition, vitrine/magasin pour la phase de test de produit), ateliers photo, petits ateliers de bricolage et espaces communs de «récréation» afin de créer des liens autrement que par le travail. Ces espaces sont pensés réversibles de manière à servir à d’autres usagers les week-ends et en fin de journée : à des associations pour des ateliers, à des professionnels ou des bénévoles pour des formations extérieures ou
à des artistes pour des expositions par exemple. De plus, la cantine peut être utilisée comme un lieu pouvant accueillir des repas entre voisins ou des fêtes de quartier et l’atelier d’artisanat peut servir d’atelier de bricolage pour les particuliers. En retrait de la parcelle, nous retrouvons d’un côté une salle de sport et de l’autre une piscine couverte donnant sur une pelouse, un verger et des jardins potagers. Ces deux espaces communs peuvent eux aussi croiser leurs usagers en accueillant travailleurs et habitants en même temps. En résumé, le midi à la cantine nous croisons les auxiliaires de crèche, les éducateurs de jeunes enfants, les autoentrepreneurs, les employés du coworking, les artisans et les habitants eux-mêmes, de tous les âges. Et quoi de plus agréable entre-midi et deux que d’aller faire quelques longueurs dans la piscine avant de reprendre le travail ? Dans les étages de logements des chambres équipées de salle de bain peuvent jouer le rôle de pièce en plus lorsque cela est nécessaire, en fonction de l’évolution des ménages et de leurs besoins (départ ou arrivée d’un enfant ou d’une personne âgée dépendante, changement de profession, possibilité de louer une pièce pour un complément de revenus, etc). Elle peuvent accueillir un couple d’amis pour le week-end, des petitsenfants en visite chez leurs grands-parents dont le T2 est trop petit, ou bien un jeune travailleur vivant encore chez ses parents.
Coupes conceptuelles
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GSPublisherVersion 0.31.100.100
Plan rez-de-chaussĂŠe
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HABITER AU CŒUR DE L’AGRICULTURE Logements serre écoresponsables
Ces logements sont situés dans la plus grande poche urbanisée située au-delà de la D568. Ils s’inspirent de l’architecture vernaculaire du milieu agricole à savoir notamment l’archétype de la serre. A proximité directe de la départementale, cette parcelle est facilement accessible en voiture mais également en tram-train car elle est située à 5min à pied de l’arrêt le plus proche. La promenade paysagère composée de la piste cyclable et de la large voie piétonne se divise pour venir créer un tronçon le long de la grande parcelle en desservant ainsi les chemins piétons intérieurs. En bout de parcelle, elle s’interrompt par manque de largeur nécessaire et laisse place au Chemin de Patafloux qui mène directement au bord du Canal du Rove, au cœur des marécages et des hauts roseaux. L’objectif principal et de permettre à l’agriculture de recoloniser cette immense surface d’environ 33 800 m² en faisant partie intégrante du plan masse, tout en implantant 83 logements, 3 piscines communes, 8 serres d’hiver et 9 pièces communes pouvant servir de salles de sports ou d’ateliers de bricolage et de jardinage par exemple. Différentes surfaces de sol perméable accueillent donc des parkings communs enherbés situés à proximité des voies de desserte et au nombre de trois, des vergers, des potagers, des pelouses, des petits parcs ombragés, de larges et hautes haies ainsi qu’une esplanade stabilisée pouvant servir de terrain de pétanque, de terrain de foot ou autre. Cachées derrière de hauts roseaux, une trentaine de ruches sont implantées, favorisant ainsi la pollinisation tout en offrant du miel aux habitants. Les tracés des espaces de nature ainsi que l’implantation des bâtiments reprennent les lignes directrices propres aux parcelles agricoles composant l’ensemble de la plaine. Les modules d’habitations sont quant à eux orientés est-ouest. Pour chaque typologie (du T2 au T5), deux trames composent le volume : une première pour le séjour qui est une grande pièce tout en longueur et traversante et
une seconde pour l’espace nuit et les salles de bain. Hormis pour le T5, les ouvertures se trouvent toujours sur les façades est et ouest de façon à pouvoir juxtaposer les volumes et ainsi créer des groupes de logements. Pour les modules accueillant deux logements, un patio vient scinder le volume en deux pour apporter de la lumière et une pièce en plus. Il peut être couvert l’hiver et faire office d’extension du salon ou bien de jardin d’hiver, et ouvert l’été pour permettre la ventilation et éviter la surchauffe thermique. A l’extérieur, situés entre 30 et 50m des logements, des puits canadiens permettent à l’air extérieur de se réchauffer successivement grâce à la chaleur géothermique puis grâce aux petits patios intérieurs et ainsi de chauffer les logements l’hiver. Sur les toitures, des panneaux solaires et photovoltaïques approvisionnent les logements en eau chaude et en électricité. Les espaces communs ponctuels permettent aux habitants de profiter d’usages supplémentaires. Les toitures des piscines communes ainsi que des serres d’hiver en polycarbonate peuvent s’ouvrir complètement grâce à des panneaux coulissants ce qui permet de jouir de ces espaces été comme hiver.
Coupe conceptuelle
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Plan de toiture
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Ce projet puise sa genèse dans le souhait et la nécessité d’établir un nouveau récit pour le périurbain et la ville diffuse. Il se veut porteur d’idées et de concepts novateurs pour inventer de nouveaux usages et de nouvelles économies dans un monde en mutation. Il est résolument ancré dans des problématiques territoriales et urbaines et ses intentions se sont basées sur des connaissances théoriques précises et sur un réel repérage du terrain. La proposition de projet se positionne fortement contre le mitage abusif et non concerté des terres agricoles et les architectures proposées se veulent en cohérence avec les sites sur lesquels elles s’implantent. L’ambition est de répondre à la nécessité immédiate d’accueillir les nombreux nouveaux arrivants et de participer à la diminution du déficit en logements sociaux de la commune. Tout en accueillant de nouveaux ménages, la ville de Châteauneuf-les-Martigues doit faire évoluer son statut de ville-dortoir pour passer à celui de ville dynamique et équipée. Pour cela, le projet met à disposition des alternatives à l’utilisation et au besoin quotidien de la voiture basées sur des modes de déplacement doux comme le tram-train ou le vélo. Et par conséquent, il redonne à voir ce grand paysage que l’on vient initialement chercher mais que l’on perd paradoxalement avec l’urbanisme par secteurs. C’est ainsi que cette nouvelle fluidité permet la désectorisation. De plus, il m’est apparu indispensable de densifier tout en offrant des typologies d’habiter variées et adaptées à tous les profils (jeunes couples travailleurs, familles plus ou moins grandes, célibataires, personnes âgées etc) et à toutes les envies. Ces nouvelles manières de vivre (ou plutôt ces façons d’habiter retrouvées) se doivent d’assumer leur rôle d’éléments attractifs permettant d’endiguer le fléau des lotissements fermés et sécurisés, en proposant de nouveaux arguments tout aussi attrayants pour un ménage désirant accéder à la propriété. Cet objectif s’appuie essentiellement sur l’envie de défendre des dynamiques collectives voire même parfois communautaires afin de replacer les relations sociales et les échanges au cœur des réflexions, pour penser des espaces mutables et évolutifs.
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CONCLUSION
De nouveaux services et commerces sont injectés avec pour fondement premier de revenir à des modes de consommation moins invasifs et plus responsables afin d’éviter à tout prix le mitage des terres arables. Tout au long du processus, le projet s’appuie sur un dialogue évident entre les espaces construits et urbanisés et les espaces naturels de respiration (agriculture, parc, etc). Il se fonde sur l’idée principale de coloniser la ville par la nature. Ainsi, les citadins/usagers/habitants ont la possibilité de laisser libre cours à leur imagination quant à l’appropriation de ces lieux de respiration. C’est une prise de conscience quant à la possibilité d’agir en tant qu’acteur responsable pour une ville de demain dans un monde plus écologique. En revanche, je suis consciente que pour qu’un tel plan engagé contre l’étalement urbain fonctionne, il faut que les politiques locales et les habitants eux-mêmes en comprennent les enjeux et décident ensemble de lutter contre cet urbanisme chaotique. Les conditions d’attribution des permis de construire doivent être plus exigeantes et résolument tournées vers des aspirations écologiques et durables. De plus j’ai conscience que densifier dans cette zone n’est pas anodin vis-à-vis de la pollution présente à Châteauneuf-les-Martigues. Mais je pars du principe que les industries vont évoluer et que le projet peut insuffler de nouvelles dynamiques. Aujourd’hui, le désir d’accession à la propriété semble supérieur aux risques de pollution de l’air que représentent ces industries. La typologie pavillonnaire représente l’archétype parfait traduisant ce désir. Et pourtant les trois typologies d’habiter que je propose sont susceptibles de se heurter à ce modèle idéologique. Ses alternatives seront-elles convaincre ?
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BIBLIOGRAPHIE
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Ouvrage / 2 à 4 auteurs - LANASPEZE Baptiste, MATHIEU Geoffroy, Marseille, Ville Sauvage : essai d’écologie urbaine, Arles : éditions Actes Sud, 2012, 202 pages - MASBOUNGI Ariella et MANGIN David dans Agir sur les grand territoires, Antony : éditions Le Moniteur, 2009, 155 pages - RAYMOND Henri, DEZES Marie-Geneviève, HAUMONT Nicole, HAUMONT Antoine, L’Habitat Pavillonnaire, éditions L’Harmattan, 2001, 114 pages
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Internet / publication ou article d’un site - HOESSLER Michel, entretien «Les limites comme territoires de projets» [en ligne], propos recueillis par Camille PETIT. Disponible sur la plateforme Echanges et récits d’expériences du site internet : www.espritdavant.com - MANGIN David, «Pour une ville passante et métisse». Compte rendu rédigé par Elisabeth Bourguinat suite à la séance du 19 mai 2005 lors du Séminaire Vies Collectives organisé par les parrains de l’École de Paris. [en ligne] Disponible sur : http://www.ecole.org - DUMONT Marc «Quel urbanisme pour la ville générique ?», EspacesTemps.net site internet, 2004. [en ligne] Disponible sur : https://www.espacestemps.net/articles/quelurbanisme-pour-la-ville-generique/ - BONZANI Stéphane & FÜZESSÉRY Stéphane & SIEVERTS Thomas, Entretien « Entre ville et campagne, l’avenir de nos métropoles », Métropolitiques, 2 mars 2011. [en ligne] Disponible sur : https://www.metropolitiques.eu/Entre-ville-et-campagne-l-avenir.html - BONNET Frédéric, architecte Grand prix de l’Urbanisme, «Aménager les territoires ruraux et périurbains», remis à Sylvia Pinel, ministre du Logement, de l’Egalité des territoires et de la Ruralité - 7 janvier 2016 - [en ligne] Disponible en téléchargement sur : http://www. cohesion-territoires.gouv.fr/amenagement-des-territoires-ruraux-et-periurbains-remisedu-rapport-de-frederic-bonnet-a-sylvia-pinel - HATCHUEL Georges, DUFLOS Catherine et CROUTTE Patricia, enquête barométrique «Conditions de vie et Aspirations des Français, quelques opinions et aspirations en matière de logement». Document réalisé à la demande du Ministère du Logement et de la Ville. Juillet 2008. [en ligne] Disponible sur : https://www.credoc.fr/publications/enqueteconditions-de-vie-et-aspirations-des-francais-quelques-opinions-et-aspirations-enmatiere-de-logement - PONS Anne, BLAISON Sylvie, COMESSIE Fabienne, Les notes de l’ADEUS (L’Agence de Développement et d’Urbanisme de l’Agglomération Strasbourgeoise) n°111, Lisières Urbaines, «Exploration pour construire le dialogue ville-nature.» Novembre 2013. [en ligne] Disponible en téléchargement sur : http://www.adeus.org/productions/lisieres-urbaines
Revue / article - FOLLEA Bertrand « Le paysage comme relation » in Les Carnets du paysages, n°21 – Septembre 2011.
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