6 Vivre en Gironde société 5 Chronique du tribunal... n La Légion d’honneur « pour « Et Coulibaly, vous lui la CGT et les copains » auriez mis combien ? »
15 janvier 2016
Récit d’une audience devant le Tribunal correctionnel de Bordeaux.
La salle dévolue d’hab i t u d e a u x c om p a r u tions immédiates est sous haute-surveillance. Deux hommes du raid, encagoulés et lourdement armés, squattent l’entrée. Dans le box, deux autres policiers d’élite encadrent les prévenus, Alain Braun, 51 ans, et William Isselet, 31 ans, exfiltrés de prison pour cette audience devant le tribunal correctionnel. En septembre dernier, la Cour d’assises de la Gironde les a condamnés à 12 et 10 ans de prison pour le braquage commis le 20 avril 2013 à la bijouterie Orlac, à Mérignac. Ce jour-là, trois policiers ont procédé à l’arrestation d’Alain Braun, lequel est aujourd’hui jugé pour violences à leur encontre avec menace et usage d’une arme. Comme lors de son premier procès, William Isselet a toujours nié sa présence sur les lieux du crime et réitère sa position. « Je ne sais pas ce que je fais ici, s’emporte Alain Braun. J’ai fait deux ans et demi de préventive, j’ai pris 12 ans dont les deux-tiers en sûreté. Je ne vais pas quand même être jugé deux fois pour les mêmes faits ! » La juge tente l’apaisement, en vain : « Vous n’avez pas été jugé pour les violences à l ’encontre des policiers. Il n’y a pas de doublon. » Alain Braun explose : « Les policiers sont venus aux assises, je me suis excusé, je n’ai rien à ajouter. » Ces derniers viennent expliquer à la barre que le braqueur a pointé son revolver sur eux avant d’essayer de fuir. L’accusé se lève et hurle à en faire trembler la vitre du box : « J’ai tiré deux coups de feu en direction du plafond, faut arrêter de dramatiser. J’ai passé trois jours et une nuit aux assises, pourquoi on me rejuge ? » Le procureur s’en mêle : « Pourquoi aviez-vous une arme chargée ?- Cette question m’a déjà été posée aux assises. J’ai souligné le sang-froid des policiers lors de l’arrestation, j’aurais pu prendre des coups et ça s’est passé correctement. À un moment donné, c’est vrai,
on s’est tenu en respect, mais j’ai tiré en l’air. Il n’y a jamais eu de mise en danger de leurs vies. » L’avocat de la partie civile chiffre le préjudice subi par ses clients à 3.500 euros. Le procureur entame ses réquisitions et s’écoute parler. Dans le box, William Isselet fixe ses chaussures, Alain Braun bout sur place. Le proc se plaint de la faiblesse du dossier, déjà relevée par les avocats de la défense : « J’aurais aimé une expertise balistique, des documents photographiques. Je ne vais pas demander une condamnation pour des faits qui ne sont pas juridiquement constitués, il faut être loyal, il nous faut des preuves. » Puis virage à 180 degrés : « En revanche, tirer en l’air s’apparente à une sommation et ça, c’est juridiquement condamnable. » Alain Braun n’en peut plus : « Et Coulibaly, vous lui auriez mis combien ? » La coupe est pleine lorsque le proc cite l’affaire du préfet Érignac pour justifier ses réquisitions à l’encontre de William Isselet. « Vous faites quoi comme métier ? Vous n’avez pas d’autres personnes à juger ? Et patin, et couffin… J’en ai mal à la tête, vous êtes un guignol, j’en ai marre d’entendre des conneries pareilles, je préf ère attendre dans ma cellule. » Le prévenu quitte le box. Il n’entendra pas le proc demander 3 ans ferme pour lui, 2 ans pour son comparse, et son avocat railler la procédure : « C’est quoi la suite ? Un nouveau passage de mon client pour port d ’arme prohibé ? Pour outrage ? Pour dégradations volontaires consécutives à un braquage ? » À peine le temps de faire revenir le principal accusé, la juge livre déjà son délibéré : relaxe pour Isselet, trois ans ferme pour Braun, « sans confusion des peines pour l’instant en attendant que la première peine soit déf initive », et 2.500 euros à chacun des policiers. Derniers cris : « C’est pas la justice ça, ce sont des arrangements ! » Guillaume PANTAIGNAN
Figure du syndicalisme en Gironde et en Aquitaine, Alain Delmas a été nommé chevalier de la Légion d’honneur dans le cadre de la promotion du 1er janvier 2016. Rencontre.
Alain Delmas, presque 40 ans de militantisme au sein de la CGT.
I
l a appris qu’il était fait chevalier de la Légion d’honneur en lisant le journal. Il savait bien que Jean-Paul Delevoye, ex-président du Conseil économique social et environnemental (Cese), où il a siégé douze ans durant, avait proposé son nom. Il en a parlé avec « les copains », s’est fait un peu chambrer et a finalement accepté la distinction, telle « la reconnaissance d ’une histoire collective » et d’une démarche syndicale engagée depuis près de quarante ans au sein de la CGT. Son camarade Jo Durou, à moins que ce soit son pote Bernard Lubat, lui remettra l’insigne, rien n’est encore décidé. Une chose est sûre : la cérémonie aura lieu ici à Bordeaux, vraisemblablement à la Bourse du Travail, siège de la CGT. En compagnie des « copains », bien sûr, pour l’un de ces moments de partage qu’il apprécie tant. Alain Delmas est resté fidèle à cet esprit de camaraderie depuis le jour où sa route a croisé celle d’un « mec de la CGT avec qui ça a accroché ». Au mitan des années 70, le jeune homme vient de commencer sa carrière de préposé aux PTT, dans le XIVe arrondissement de Paris. « J’avais envie de batailler, rembobine-t-il. À l’époque, il y avait 25.000 raisons pour s’engager : la lutte contre les injustices, la défense des salaires, le besoin de se faire respecter et de ne pas se laisser bouffer. C’était aussi une
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question de dignité. » Au gré de mutations entre la capitale et la Gironde, le facteur passe des examens, devient agent de traitement et intègre France Télécom. En parallèle, il prend goût à l’aventure syndicale, crée des sections dans les services où il travaille et se concentre sur les questions liées à la jeunesse, en matière de logement et de formation notamment. « Mon quotidien, c’était par exemple de militer pour une cantine sur place ou des cours d’anglais. Sans oublier bien sûr les mots d ’ordre sur les conditions de travail et les salaires. » Le syndicaliste est aux avant-postes pour mesurer l’évolution du monde salarial, « la précarité qui s’amplifie, une certaine propension à tirer l’ensemble des acquis vers le bas » et les ratés de ce qu’il nomme la transmission sociale : « Les manuels scolaires font volontiers l’impasse sur l’histoire des luttes dans le pays, or les avancées sociales n’auraient pu se faire sans elles. » Alain Delmas est secrétaire CGT de l’Union départementale de la Gironde au moment des grè ves monstres de 1995, dont il retient la « vraie bataille idéologique » doublée d’un « mouvement populaire » pour mettre en échec le plan Juppé. À propos du maire de Bordeaux, favori des primaires en vue des présidentielles de 2017, son jugement est lapidaire : « C’est un homme de droite qui, s’il est élu, fera une politique de
droite. » Dont acte… La poussée du Front national ?« Je peux comprendre l’exaspération qui mène à ce vote et notre mission est d’expliquer les dangers d’un parti xénophobe, relèvet-il. Mais tant que les politiques ne respecteront pas leurs engagements et que la gauche ne fera pas une politique de gauche… » La politique, Alain Delmas l’a pratiquée au plus haut sommet de l’État, au Cese, où il a occupé le poste de vice-président. Ne comptez pas sur lui pour dénigrer cette assemblée créée en 1958, souvent moquée pour son inutilité et le supposé pantouflage de ses membres. « L’originalité de cette troisième assemblée de la République est que la société civile peut s’y exprimer. C’est peut-être d ’ailleurs cela qui gêne les politiques… » Il tient à préciser que son indemnité (3.200 euros par mois) a été reversée en intégralité à son organisation syndicale et loue la qualité des travaux, à l’image d’un rapport détaillé sur la stratégie Europe 2020 dont il a supervisé la rédaction, « un document sans concession sur les ratés de l ’Union européenne face à la pauvreté et dans la lutte contre le chômage ». Cette fonction aura aussi contribué à nourrir son action syndicale, notamment dans la prise en compte des enjeux environnementaux. Des problématiques qu’il met en musique avec le Ceresa (Centre d’études et de recherches économiques et
sociales en Aquitaine) dont il est actuellement le président. La structure avait été créée par la CGT dans les années 1980 comme un outil d’éducation populaire. Alain Delmas, « à la demande des copains », l’a relancée après une longue période d’inactivité et l’a orientée vers un travail sur les filières professionnelles, avec l’ambition de « dépasser le cadre purement syndical ». Illustration avec la filière bois-forêt : après des États généraux en 2014, un observatoire social a vu le jour en septembre dernier, « pour une approche plus fine des réalités économiques et sociales du secteur ». Des propositions ont émergé, sur la place des femmes, les conditions de travail (la filière est l’une des plus accidentogènes), la formation. Comme responsable de l’association Gemme la Forêt d’Aquitaine, le syndicaliste accompagne aussi des expérimentations pour la relance de la collecte de la résine, « une niche à forte valeur ajoutée ». Fort de ces multiples casquettes, Alain Delmas, 58 ans, ne pense pas vraiment à la retraite. Heureux de voir le partenariat noué entre le festival d’Uzeste et la CGT se perpétuer depuis bientôt 30 ans, il confie qu’il sera « toujours là pour donner un coup de main aux copains ». Histoire de prolonger cette « chance inouïe » de vivre le militantisme comme une « école de la découverte ». Guillaume PANTAIGNAN
Courrier de Gironde