Atypeek Mag N°1

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K I B L I N D AAA R G   ! SURL S I È C L E D I G I TA L silence and sound C I T I Z E N J A Z Z F R E A KS O U N D STA R WAX L A S P I RA L E UNION indiepoprock W- F E N EC —

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Oct. Nov. Dec. 2016

MUSIQUE

Te s t D e p t . M i s m e r i ze r L a u re n t P e r n i ce Egopusher Schlaasss D o o ko o m Peaches N oya d e s —

NOUVEAU L’actualité culturelle : le condensé t rimestriel des meilleurs médias compilés

C I N éma

f. h enenlotter A Touc h O f Z en — MODE

FILLE DE JOIE — ST R E E T C U LT U R E

L A I SS E Z LES MURS PROPRES M onsieur G U M —

ATYPEEK MAG TRIMESTRIEL COLLABORATIF D’ACTUALITÉS GÉNÉRALES

Une sélection des meilleurs reportages et interviews Découvrez nos chroniques d’albums, clips, livres, DVD, accessoires design et mode… La scène indépendante en images

BD

F R E D D R UA RT M I KA P U SS E

PRIX LIBRE


PEACHES ©XL Recordings

Peaches Devenue icône branchée, elle sort deux albums supplémentaires Fatherfucker en 2003 et Impeach My Bush en juillet 2006. En 2012, elle écrit, réalise, et joue dans le film Peaches Does Herself, un opéra électro-rock qui s’inspire de l’histoire de sa vie. Une belle leçon de vie ! Vous retrouverez dans ce magazine ces 2 dernières productions chroniquées.

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Atypeek Magazine

est une publication transversale et hétéroclite, quelque part entre l’information et la création, entre le coup de gueule et le journalisme, parfois les deux ou des fois à côté. Son iden-

ÉDITORIA


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Rejoignez-nous sur notre facebook.com/AtypeekMusic/

OURS Rédaction : Atypeek - 21 Rue Prof Weill 69006 Lyon Rédacteur : Christophe Féray (cf@atypeekmusic.com)

tité est sa pluralité, ses auteurs ou collaborateurs provenant d’horizons très différents animent le magazine et lui donnent âme avec leur regard, leur curiosité et leur créativité. De nombreux médias participent à sa

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diversité et à son langage singulier. Espace de libre expression authentique axée à la base sur nos différents projets qui de fait lui attribue un flou artistique et éditorial mouvant et évolutif. Bon voyage ! Christophe Féray Atypeek Mag

Graphisme : Atypeek Design Distribution : Digital Publishing Platform for Magazines N° ISBN : 9782955693612 Commission Paritaire : ISSN 2497-8035 Contributeurs : Léa Vince - Juan Marcos Aubert Jonathan Allirand - Roland Torres Maxime Lachaud - Hazam - Fisto (Olivier Cheravola) - Oli - Roxxi Wallace John Maldoror - CF - Sagittarius - Aisyk P.L. - Philippe Méziat - Willou Ted Hervé - Alexandre Lézy - Leoluce Mickaël Mottet - François Becquart Cactus - Jean-Philippe Haas Jérôme Orsoni - Julien Soullière Fred - Antoine Gary - Pierrick Starsky Valentin Blanchot - Arnaud Verchère Philippe Deschemin - Laurent Coureau, Soizic Sanson - Flore Cherry Mika Pusse - Jérôme Tranchant Françoise Millet - Alain R. - Jihane Mriouah Zoom : Steve Albini - Fred Druart - M. Gum Frank Henenlotter - Gareth Branwyn Stephen Witt - Virginie Despentes Publicité : cf@atypeekmusic.com Atypeek Mag est une publication d’Atypeek™.


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ATYPEE VINYLES INSOLITES :

COLORS, SHAPES & PICTURES-DISCS Article de Star Wax Juan Marcos Aubert, Journaliste

TEST DEPT.

Art prolétaire Interview Maxime Lachaud, Journaliste

Mais Qui ES-TU MISMERIZER ?

Egopusher :

Interview Roxxi Wallace, Journaliste

Minimalisme XXL Interview Jonathan Allirand, Journaliste

12-19

20-24

26-27

Facebook, du réseau social au média

La révolution numérique

GARETH BRANWYN

Article Freaksound Propos de Steve Albini Philippe Deschemin, Journaliste

« BORG LIKE ME » Interview La Spirale, propos de Laurent Coureau et de Soizic Sanson

CHRONIQUES ALBUMS & Singles Chroniques

30-55

©BigStock

8-11

Dans la cuisine DE FRED DRUART

©Fred Ambroisine / L’étrange Festival 2016

Interview AAARG ! Pierrick Starsky, Journaliste

82-87

Article Siècle Digital Arnaud Verchère, Journaliste

90-95

96-99

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SOMmAIR


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NOUVEAU L’actualité culturelle : le condensé trimestriel des meilleurs médias compilés

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EK MAG instantanés

des copains/ Copines

GALERIE

VIDéoclipS

PANTONE

Chronique Léa Vince, Journaliste

Article

58-61

64-65

Kiblind Magazine

Chronique Union Flore Cherry, Journaliste

114-115

Mode Le Village des Créateurs

66-67

56-57

COMmE UNE COUILLE DANS LE POTAGE

50 NUANCES DE GRIS

SCHLAASSS Transformation BD de Mika Pusse www.schlaasss.fr

116-119

DANS LES SALLES Rubrique Cinéma et DVD Jérôme Tranchant, Journaliste

122-125

E #01

FILLE DE JOIE Article Le Village des Créateurs

68-69

LAISSEZ LES Murs propres Article Quincaillerie Moderne

72-75

La mémoire vivante du cinéma d’exploitation :

LE LIVRE DU MOIS

VERNON SUBUTEX

STEPHEN WITT : à l’assaut de l’entreprise du disque

Frank Henenlotter Interview Maxime Lachaud, Journaliste

138-141

CHRONIQUE VIRGINIE DESPENTES Par Françoise Millet. Avec l’aimable autorisation de Prendre son temps pst

142-143

L’AVENTUREUX MONSIEUR GUM™ LA GALERIE

76-81

La scène indépendante en images Galerie Photos Hazam, Journaliste / Photographe

144-149

126-137

Magazine trimestriel collaboratif réalisé à l’initiative d’Atypeek Music


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Musiques en sous-Sol


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Jonathan Allirand - Journaliste

LE CAHIER DES CURIOSITÉS VINYLES INSOLITES :

COLORS, SHAPES & PICTURES-DISCS

Article I Star Wax

Juan Marcos Aubert, Journaliste

TEST DEPT. Art prolétaire

Interview

Egopusher : Minimalisme XXL

Interview

Jonathan Allirand, Journaliste CHRONIQUES

ALBUMS & Singles instantanés

Maxime Lachaud, Journaliste

des copains/Copines

Mais Qui ES-TU

VIDéoclipS

Interview

Léa Vince, Journaliste

MISMERIZER ?

Chronique

Roxxi Wallace, Journaliste

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VINYLES INSOLITES :

COLORS, SHAPES & PICTURES-DISCS

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Extrait de Star Wax n°39

POUR LA PLUPART D’ENTRE NOUS UN VINYLE EST DE FORME RONDE, DE PETITE TAILLE (17,5 cm) OU EN GRAND FORMAT (30 cm) ET DE COULEUR NOIRE. OUTRE QU’IL EXISTE UN FORMAT INTERMÉDIAIRE, IL EST AUSSI POSSIBLE DE FAIRE DES DISQUES DE COULEUR, D’AUTRES AVEC DES IMAGES SUR TOUTE LA SURFACE DU VINYLE ET MÊME DES SUPPORTS À LA FORME UNIQUE, SORTIS TOUT DROIT DE L’IMAGINAIRE DE CRÉATIFS. NATHALIE RABIER FAIT PARTIE DES FANS DE VINYLES INSOLITES DES ANNÉES 70-80. ELLE LE FAIT SAVOIR VIA SON BLOG LES COPAINS D’ABORD. SUITE À NOS ÉCHANGES, NOUS AVONS DÉCIDÉ D’APPROFONDIR LE SUJET ET DE VOUS FAIRE PARTAGER CETTE PASSION COMMUNE.

Pas besoin d’être Dj pour être fasciné par les vinyles translucides colorés. Nathalie Rabier fait partie de ces individus « éblouis » par ces disques qui interpellent de par leur esthétique. Elle raconte sur son blog qu’elle n’avait pas eu de vinyles à la grande époque mais elle a débuté sa passion en trouvant le premier en 2008, complètement par hasard, dans un vide-grenier. « C’était un 45 tours de Gérard Lenorman, « Vive Les Vacances », en photo ci-dessus. Je n’aime pas Lenorman mais je trouvais ce disque bleu tellement joli que je l’ai acheté ! ». Puis l’idée d’écrire un sujet lui est venue suite à la découverte d’une page, dans un numéro de Télé Junior de 1979, intitulée « Les Disques En Couleur. Comment Sont-Ils Fabriqués ? ». C’était dans la rubrique de Claude Pierrard qui s’appelait « Réponse À Tout ». Un papier riche en informations où il était expliqué notamment la différence de qualité sonore entre un disque noir et un disque couleur. Pour connaître l’histoire de la naissance des premiers vinyles, nous vous invitons à télécharger sur starwaxmag.com le n° 29 (hiver 2013-2014) et de lire le papier « Les 70 Ans Du Vinyle ». Ou encore l’article « Du Gramophone Au 33 Tours » dans le Star Wax n° 9 (hiver 2008-2009). Maintenant attardons-nous sur ces fameux disques de couleur.

Vinyle de couleur Au départ, la matière utilisée pour la fabrication des disques, le polychlorure de vinyle ou PVC (produit plastique dérivé du pétrole), est incolore et il faut lui ajouter beaucoup de colorant pour

PARTENARIAT : www.starwaxmag.com / Star Wax N°39

©DR / Star Wax

AvANt-propos

obtenir une pâte noire. Malgré un traitement complémentaire donc un coût supplémentaire, nous ne saurons pas pourquoi les disques noir coûtent moins cher à fabriquer que ceux translucides, avec du PVC brut. Et pourquoi les premiers vinyles colorés sont apparus au début des années 70, plus de trente ans après les premiers disques à base de vinylite. Pour les disques rouges, bleus, vert, il faut moins de colorants. Ce qui est surprenant c’est qu’en théorie la qualité sonore des vinyles de couleur est meilleure que ceux édités en noir. Mais le noir est resté majoritaire pour la production, il permet de mieux repérer les plages musicales à la surface du disque. En général les disques de couleur sont précédés par un pressage standard en vinyle noir. Ce qui est nettement moins le cas de nos jours. À la fin des années 70, le vinyle coloré était également un outil marketing. Par exemple Coca-Cola faisait gagner six 7 inch de couleurs, de pochettes et de thèmes différents. Nathalie a aussi trouvé un 7 inch blanc de 1983 avec la musique de la pub pour les déodorants Sintony. (Ça doit sentir bon !). Tout aussi surprenant ce sont les artistes ou labels qui éditaient le même album en plusieurs pressages de couleurs différents. Exemple « Animals » de Pink Floyd. Aujourd’hui, notamment à cause de la dématérialisation, les artistes souhaitent encore plus créer des objets insolites en produisant un disque. Donc il est plus fréquent de tomber sur des vinyles de couleur.

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Le picture-disc Même s’il n’existe pas réellement de nom en français, il y a différentes appellations : picture-disque, pic-disc, disque-image, photo-disque. Ils sont certainement plus rares à cause de leur coût plus élevé et d’un souffle qui n’est pas vraiment dérangeant mais qui altère la qualité sonore à cause de deux feuilles fixées de chaque côté du vinylite. Cependant il faut savoir que Resinoplast, à Reims, en corrélation avec des presseurs, tente de mettre au point un procédé qui permettra de produire des disques illustrés conservant une qualité sonore optimale. De plus l’entreprise souhaite prendre de l’avance en créant un vinyle dit « vert » dont les composants en calcium-zinc n’ont pas la nocivité du plomb ou de l’étain, des métaux encore utilisés par certains industriels. Le procédé de fabrication est simple. Cependant il faut une presse spéciale dédiée uniquement au picture-disc. (Ci-contre une presse « abandonnée » dans les locaux de Phonopress, malheureusement elle est trop vieille et ne correspond plus aux normes exigées, du moins en Italie). Le procédé de fabrication est le suivant : de chaque côté de la presse une feuille, puis une seconde avec l’illustration sur un papier au format du vinyle sont superposées et ensuite compactées avec le vinylite au centre. Et vous avez un magnifique picture-disc. Ensuite il est, en général, commercialisé dans une pochette plastique transparente. Il existe aussi des pochettes en carton avec une grande ouverture ronde d’un côté, ce qui est assez rare mais ça existe encore. Au début, pendant les années 70 et 80, c’étaient souvent les grosses vedettes qui apposaient leurs photos sur l’ensemble du vinyle, souvent en édition limitée, destinée aux collectionneurs et aux fans. De nombreuses bandes originales de film ont également été pressées en picture-disc. Depuis deux décennies Il est de moins en moins rare de voir des picture-discs avec des dessins. Le design a pris le dessus sur certaines sorties mais ce n’est pas toujours de très bon goût visuel. C’est même votre magazine préféré qui a lancé, avec la marque Posca, le premier concours au monde vous permettant de voir votre œuvre sur tout le disque. Même de nos jours il est assez peu commun de trouver des 7 ou 10 inch en picture- discs. Autre exemple insolite, à l’occasion du Disquaire Day en 2014 et des 30 ans du film « Ghostbusters », la maison de disque concernée a réédité un vinyle phosphorescent avec un dessin, à 5 000 exemplaires tout de même. Afin d’illustrer ces propos nous avons fait une sélection de ceux que nous avons diggés ou qui sont simplement très beaux.

Les disques aux formes insolites Appelé simplement en anglais « shape vinyle » qui signifie « vinyle de forme », ce type de vinyle est encore plus coûteux à dupliquer et donc encore plus rare. Également apparus lors des années 70, ces vinyles ont une forme particulière, autre que circulaire. Évidemment comme une partie du vinyle est découpée selon la forme, l’espace pour graver les sillons est plus ou moins court. Il existe donc des disques colorés ou picture-discs aux formes toutes aussi inattendues.

©DR / Star Wax

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Toujours dans la rareté, des labels ont sorti des disques, comme cet album de Cypress Hill où la dernière face du second vinyle est sans sillon et accueille un visuel gravé au laser. Cependant, avec certains réglages, la gravure au laser peut être réalisée également sur le sillon du disque, sans affecter les rainures. Nous aurions aussi pu nous attarder sur les pochettes avec des découpes particulières, ou encore sur les disques pressés dans d’autres matériaux, en chocolat, en bois, en glace, en verre… sur lesquels des sillons ont également été gravés. Ce sont autant d’objets magnifiques prouvant, si besoin est, que le vinyle est le support indétrônable pour enregistrer la musique. Il n’existe pas d’argus officiel pour ces disques particuliers. La cote pouvant rapidement varier. Mais le site discogs.com reste la référence pour repérer nombres de revendeurs de vinyles. Si vous souhaitez vous en mettre encore plein les mirettes, visitez www. coloredvinylrecords.com un blog participatif en anglais qui répertorie plus de 1 500 vinyles colorés, picture-discs et autres disques insolites. par Juan Marcos Aubert pour STAR WAX


Extrait de Star Wax n°39

PARTENARIAT : www.starwaxmag.com / Star Wax N°39

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INTERVIEWARTISTE

Art prolétaire

TEST DEPT.

Test Dept. fut sûrement un des groupes industriels anglais les plus influents à avoir émergé dans le sillage de Throbbing Gristle ou Cabaret Voltaire. À l’instar de Z’EV et Einstürzende Neubauten, leur son se caractérisait par une dimension percussive à base d’instruments inventés ou de matériaux récupérés dans des décharges qu’ils mêlaient à des samplers et des instruments acoustiques. Le terme de « groupe » semble d’ailleurs trop réducteur car ils s’apparentent plus à un collectif multimédia qui, au fil des années 1980, est devenu de plus en plus ambitieux.


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©Fred Ambroisine / L’étrange Festival 2016

une rage héritée du punk Originaires de New Cross dans la banlieue de Londres, ils se caractérisaient aussi par une rage héritée du punk et un engagement contre la politique thatchérienne. Ils ont pu soutenir la grève des mineurs en 1984 par exemple. Leurs performances dans des sites inhabituels et leur attachement aux racines païennes et celtiques ont également marqué durablement toute une frange de la musique postindustrielle. S’étant un petit peu perdu dans la culture rave dans les années 1990, le projet s’est séparé en 1997 pour revenir il y a quelques années, essentiellement pour se produire dans des spectacles qui retrouvent l’énergie de leurs débuts. Invités par l’Étrange Festival, les membres originels, Paul Jamrozy et Graham Cunnington, sont venus présenter à la fois une rétrospective en films de leur travail et ont assuré un concert sous le dénominatif Test Dept Redux, absolument prometteur quant au disque à venir.

©Fred Ambroisine / L’étrange Festival 2016

©Fred Ambroisine / L’étrange Festival 2016

À SAVOIR

Votre background était punk. Aviez-vous des liens avec la scène anarchopunk du style Crass ou vous étiez plus dans Throbbing Gristle et toute la première vague industrielle ? Paul Jamrozy : Avant Test Dept., nous étions dans d’autres groupes, pas vraiment sérieux, et nous nous sommes retrouvés à vivre un an à Amsterdam. C’était l’époque où il y avait des squats partout dans la ville. À l’époque, Crass faisait pas mal de choses en Hollande avec Poison Girls et The Ex. On les a souvent vus en concerts à cette époque. Ils apportaient une nouvelle énergie à l’attitude punk originelle, qui était très politique, comme avec les Clash et les Sex Pistols. Après, tout le monde a voulu ressembler à Sid Vicious et avoir cette attitude nihiliste stupide face à tout, sans jamais penser par eux-mêmes. L’individualité qui était à la base du punk avait créé une armée de zombies et ils ont été récupérés par l’industrie du disque pour être vendus comme de simples marchandises. Quand Crass est arrivé, le groupe a donné un aperçu de ce en quoi le punk aurait pu se développer. Nous apprécions beaucoup ce qu’il a apporté à l’époque.

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Le premier album de Test Dept est généralement considéré comme étant Beating the Retreat, bien que des enregistrements live étaient parus avant. F.M. Einheit (Einstürzende Neubauten) et Genesis P. Orridge (Throbbing Gristle) ont participé à ce disque qui est sorti sur le label Some Bizarre en 1984.

“Quand Crass EST arrivé, LE GROUPE A donné un aperçu de ce en quoi le punk aurait pu se développer. Nous apprécions beaucoup ce qu’il A apporté à l’époque.” INTERVIEW DE Maxime Lachaud


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©Fred Ambroisine / L’étrange Festival 2016

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À SAVOIR En 2015 est paru aux éditions PC Press un gros livre, Total State Machine, retraçant l’histoire de Test Dept. Très illustré, ce pavé comprend des textes de Stephen Mallinder (Cabaret Voltaire), Laibach ou Robin Rimbaud (Scanner).

MINISTRY OF POWER, ou l’état multimédia Cette idée dès le départ d’un groupe qui était plus qu’un groupe - vous parliez même d’un État -, du moins qui s’apparentait à un projet multimédia, d’où c’est venu ? Paul Jamrozy : Quand nous avons commencé, nous vivions à New Cross. Il y avait les industries qui déclinaient mais il y avait aussi le Goldsmiths College qui était une grande université à New Cross. Angus Farquhar, un autre des membres originels de Test Dept., y a été. D’autres personnes que nous connaissions y ont été aussi. À cette époque, nous y allions souvent. L’établissement nous prêtait de l’équipement, des projecteurs, des studios dans lesquels travailler, on allait au département de musique pour répéter les percussions, et personne ne nous a jamais demandés si nous étions étudiants. Il n’y avait aucune sécurité. Donc on a dû passer trois ans avec les étudiants de diverses disciplines et c’était à côté du Laban Dance Center. Du coup on a rencontré beaucoup de gens du milieu de la danse. On a rencontré des cinéastes, des artistes visuels. Ils étaient tous nos amis. Donc tout cela s’est fait naturellement. Cela a été un processus naturel, et à un moment nous avons voulu rendre cela officiel, c’est là que nous avons créé le Ministry 14

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of Power. En tant qu’organisation, il était plus simple d’obtenir des financements pour faire de plus gros spectacles. On nous a passé des commandes par la suite, on a fait The Unacceptable Face of Freedom pour la fin du GLC, le Greater London Council. Livingstone était à la tête, il était très à gauche en tant qu’homme politique. Thatcher a aboli cette organisation. Avant d’en finir, ils ont décidé de donner leur argent à l’art, cet argent nous a permis de faire un gros spectacle. Après ça, on a fait Demonomania en Espagne et ainsi de suite. C’était une plateforme pour faire de plus grosses performances et au final on a fait Second Coming à Glasgow. À la fin c’était devenu tellement gros, nous nous sentions comme des rouages de la machine. À un moment, nous avons voulu en revenir à faire de la musique et redevenir une petite entité.

Vous avez même collaboré avec Diamanda Galàs à l’époque mais que pour le live. Graham Cunnington : Il y a des enregistrements ! Un pirate circule avec une très mauvaise qualité. Mais nous l’avons enregistré en 24 pistes. Et nous avons toujours les bandes.


©Fred Ambroisine / L’étrange Festival 2016 ©Fred Ambroisine

“Test Dept. était au centre de la performance mais le Ministry of Power nous avait permis d’élargir cela, et les nuits étaient faites de collaborations.”

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« C’était comme la dernière résistance de cette culture face à une puissance plus grande. Ils périrent mais en se battant. C’était la défaite héroïque. » INTERVIEW DE Maxime Lachaud

©Fred Ambroisine / L’étrange Festival 2016

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Paul Jamrozy : Nous lui avons parlé, elle est a priori d’accord pour que l’on en fasse quelque chose. Graham Cunnington : Mais elle n’est pas simple pour les négociations. C’est aussi parce que pendant des années nous ne l’avons pas sorti. Pendant la performance, il y a eu la première moitié qui a bien fonctionné, puis le micro s’est cassé et nous avons continué, mais elle ne pouvait pas faire certaines choses qu’elle avait prévues. Au final c’était comme un concert punk de taré qu’on a fait. C’était de l’improvisation et c’était très mental et furieux car elle était plutôt énervée à cause de ça. Pour cette raison, elle n’a pas voulu que cela paraisse mais on l’a recontactée il y a quelques années, et elle était partante pour refaire d’autres enregistrements à Los Angeles pour terminer le projet. Cela se fera à un moment car nous avons toutes les pistes et c’est un son vraiment intéressant à travailler. Paul Jamrozy : Nous étions prêts à le faire mais nous avons commencé le projet Redux donc c’est devenu secondaire. Mais ça se fera.

Pour rester sur l’aspect historique, après que vous ayez participé au soutien des mineurs en grève dans les années 1984/1985, vous êtes revenus sur votre propre histoire, l’histoire du pays, pour montrer que ces luttes des minorités avaient toujours été là, et vous avez utilisé beaucoup d’instruments traditionnels. c’est à ce moment-là que vous avez publié Materia Prima, Gododdin, Terra Firma et introduit la musique celtique dans l’univers de Test Dept. Quelle a été la transition de ce travail avec les chorales de mineurs jusqu’à cette période plus païenne et folk ? Graham Cunnington : Après la tournée avec les mineurs, nous avons formé le Ministry of Power pour faire des événements plus ambitieux. Le premier était à Paddington, Londres. Le Ministry of Power était comme une plateforme pour introduire des artistes venant de tous les champs artistiques, des figures politiques et des orateurs jusqu’à des écrivains, des danseurs, des acteurs, des cinéastes, des sculpteurs. Test Dept. était au centre de la performance mais le Ministry of Power nous avait permis d’élargir cela, et les nuits étaient faites de collaborations. Puis nous sommes partis à


“Apportez du whisky, du bois à brûler et des chansons” Vancouver pour un spectacle similaire qui se nommait Our Finest Hour, puis à Valladolid en Espagne où nous avons fait une performance Demonomania, que l’on trouve dans l’album A Good Night Out. Quelques uns des morceaux en étaient le soundtrack. De ces performances à grande échelle, les collaborations se sont développées. Déjà sur l’album avec les mineurs, nous avons collaboré avec Alan Sutcliffe qui faisait aussi partie du Ministry of Power. Il était venu à Paddington et Vancouver avec nous. Puis nous avons fait une tournée avec des danseurs et c’était la tournée Materia Prima/Terra Firma. Ce que nous avions fait en Espagne avait introduit des éléments de musique folk. Paul Jamrozy : On peut regarder les choses sous différents angles. D’abord, quand nous avions fait la tournée des mineurs, nous avions invité des gens de la communauté à se joindre à nous, à collaborer. Déjà il y avait les joueurs de cornemuse. Nous avions fait un concert à Bedford et un gars est venu vers nous, il voulait jouer avec nous, il était joueur de cornemuse. Il s’appelait Alistair Adams et par la suite il a rejoint le groupe. Ce fut la première introduction des éléments celtiques. Aussi Angus Farquhar avait sa compagnie en Ecosse NVA et il avait toujours été intéressé par cet angle écossais, celtique. Tout ce qui s’est passé dans ce domaine vient en grande partie de son influence. À Edinburgh, Angus a initié cet ancien rituel celtique le Beltane Fire. C’était un festival païen à l’origine. L’église l’a fait stopper à cause des connotations. Nous avons commencé ce festival et le flyer disait : “Apportez du whisky, du bois à brûler et des chansons”. Nous avons commencé avec trente personnes sur le flanc des collines et aujourd’hui c’est un des événements les plus importants du calendrier touristique d’Edinburgh. Nous n’avons plus rien à voir avec ce rendez-vous annuel. Après qu’on l’ait fait pendant dix ans, les personnes

impliquées ont créé la Beltane Society et en ont assuré le management et aujourd’hui c’est devenu énorme. À l’époque c’était dangereux, sauvage. Aujourd’hui il y a des barrières de sécurité, une centaine de policiers, etc. Mais ça reste très spectaculaire avec des centaines de performeurs.

Paul Jamrozy : C’était comme la dernière résistance de cette culture face à une puissance plus grande. Ils périrent mais en se battant. C’était la défaite héroïque.

Graham Cunnington : Il y a des figures iconiques comme l’Homme Vert ou l’Homme Rouge, comme le Printemps du Feu. On boit du vin rouge dans de grandes cornes, de grandes gourdes. Il y a ces danses sexuelles assez obscènes et crues. À présent il y a des centaines d’Hommes Rouges, et des Hommes Bleus ou Verts. La May Queen est une figure centrale également. Les visages sont peints en blanc et noir, les vêtements aussi. Au premier festival on devait être 200, à présent ils sont 10 000 chaque année.

Vous parliez d’un “art prolétaire” pour votre musique. Qu’est-ce qu’il en reste aujourd’hui ? Êtes-vous les seuls à faire perdurer cette tradition, ce qui explique que vous soyez toujours là ?

Paul Jamrozy : C’était le début des rituels celtiques. À partir de là d’autres personnes ont été intéressées comme Brith Gof. On les intéressait sur le plan politique mais aussi les connexions celtiques collaient à la façon dont ils voyaient le projet. Graham Cunnington : Le sujet de Gododdin nous a été présenté par Brith Gof. C’était pertinent car il était question de la mentalité de l’empire britannique et la retourner sur elle-même. Dans l’album avec les mineurs, l’ennemi venait de l’intérieur alors qu’avant il était extérieur. Gododdin a été fait au Pays de Galles, en Écosse, pas en Angleterre. Paul Jamrozy : Nous devions le faire en Bretagne. Graham Cunnington : Nous l’avons fait à Frisland en Hollande, une minorité au sein des Pays Bas. Ils ont leur propre langue. On l’a fait aussi en Italie. La métaphore tournait autour de la marginalisation des cultures minoritaires au sein de la Grande Bretagne. Paul Jamrozy : C’était le plus vieux poème britannique qui est écrit en gallois. Graham Cunnington : Le gallois est le plus proche du vieil anglais.

Graham Cunnington : Il n’y a pas beaucoup de gens qui font de la musique - du moins au Royaume Uni - qui soient riches. Les jeunes qui y arrivent sont les seuls avec les ressources. À Londres il est très difficile d’avoir un espace car l’immobilier coûte si cher. À notre époque, on pouvait aller dans un bâtiment vide et répéter. Aujourd’hui il y a très peu de lieux et personne n’a le temps, car tout le monde doit cumuler deux ou trois emplois. Il semble que les groupes qui percent aujourd’hui viennent de portions plus riches de la société, celles qui peuvent avoir le temps et l’espace. Je parle de groupes plus grand public. Mais dans l’underground il doit toujours rester ce côté prolétaire. Sleaford Mods est vraiment différent du reste en ce sens. C’est une période étrange car la moindre chose coûte si cher maintenant. ATYPEEK MAG #01

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“Nous sommes partis à Amsterdam. Là bas au Stedelijk Museum il y avait la croix rouge sur le cercle noir de Malevich. Cette image est devenue notre premier symbole.” Pour vous y a-t-il un événement, un album, une rencontre, qui ont vraiment marqué l’histoire de Test Dept. Graham Cunnington : Avec Test Dept., c’est compliqué car nous avons fait tellement de choses différentes. Mais pour moi The Unacceptable Face of Freedom et Gododdin ont été deux tournants importants, deux points culminants, que ce soit le spectacle et l’album. Le disque avec les mineurs a aussi été très important quant à notre travail mais si je devais en choisir deux, ce serait ces deux-là.

Et un événement qui a été important dans votre vie artistique en dehors de la production de Test Dept. ? Paul Jamrozy : En dehors de Test Dept., il y a eu des concerts punk que nous avons vus. Je faisais un fanzine à l’épque qui se nominait Geek, un fanzine postpunk. Ce devait être au début des années 80, peut-être même à la toute fin des années 70. Nous avons grandi avec les fanzines punk comme Sniffin’ Glue. Nous étions inspirés par Mark Perry et Alternative TV, et son travail m’a donné envie de faire un fanzine. Un des premiers événements sur lesquels j’ai écrit était à la YMCA de Londres. Dans le même weekend on avait Joy Division, Cabaret Voltaire, Clock DVA, Throbbing Gristle, Rema Rema. À l’époque ils n’étaient pas si connus qu’ils allaient le devenir. C’est à ce moment-là que le punk avait trouvé une nouvelle énergie en s’aventurant dans des domaines inexplorés jusqu’alors. Chaque groupe avait un son très spécifique. The Pop Group ne jouaient pas à cet événement mais ils furent aussi très importants, mais dans un autre

domaine, avec leur intérêt pour le jazz, l’improvisation et le dub. Cela restait très politique, mais sans être didactique comme ils pourront le devenir plus tard, et c’est pourquoi leur premier album, Y, a été très important. Leurs débuts vieillissent mieux, et c’est peutêtre pareil pour nous. Nos vieux titres sont peut-être ceux qui sont le plus connectés avec ce qu’il se passe aujourd’hui. Ces événements ont été très importants, car ils ont montré le potentiel du punk à aller vers des directions différentes. Nous faisions déjà de la musique à l’époque, mais ce n’était pas très bon, nous explorions des choses, essayant de développer des idées et une esthétique.

Comment avez vous découvert le constructivisme et le futurisme et qu’est-ce qui vous a attirés dans cette esthétique ? Graham Cunnington : Avant que nous créions Test Dept., nous étions désillusionnés par Londres, l’ambiance était un peu dépressive. Nous sommes partis à Amsterdam. Là bas au Stedelijk Museum il y avait la croix rouge sur le cercle noir de Malevich. Cette image est devenue notre premier symbole. Nous l’avions sur nos bannières. Paul Jamrozy : Notre premier et unique tatouage. Graham Cunnington : C’était le démarrage, nous aimions l’esthétique. L’énergie de l’art soviétique des débuts, les dix premières années avant que ce soit soumis au réalisme social, un art contrôlé par l’Etat. Il y avait une révolution dans la société et dans l’art. De la décoration d’intérieur au cinéma, cette énergie créative touchait à tout. C’était inspirant mais c’était aussi

la simple image et le symbole qui trouvait une résonance en nous. Nous ne voulions pas de symboles comme Throbbing Gristle ou Psychic TV ont pu en utiliser qui ont mené l’industriel vers des domaines plus sombres qui ont exploré le passé nazi. Nous voulions nous détacher de ça. Plus tard, Laibach ont aussi utilisé les croix noires de Malevich mais les ont utilisées dans un tout autre contexte et d’autres perspectives politiques. On s’entend très bien avec Laibach mais nos angles d’approche sont très différents. Paul Jamrozy : Si on en s’attarde sur Dziga Vertov et le travail qu’il a fait avec son frère, Mikhail Kaufman, notamment sur L’homme à la caméra, ils n’ont fait que documenter en utilisant ce qui se trouve devant leurs yeux. Cette idée de rendre compte d’une communauté, travailler avec les ressources autour de nous, faire des collages avec cela pour le rendre plus abstrait et intéressant, c’est ce qui nous a beaucoup inspiré dans ces films. Cela collait bien avec ce que nous faisions. Plus tard, nous avons sculpté tous ces éléments pour atteindre des significations plus profondes.


DU SYMBOLE à LA MAGIE Votre travail sur les symboles est intéressant aussi. J’ai toujours trouvé qu’il y avait quelque chose de l’ordre du rituel et de la magie dans votre musique, qui se confirme quand on écoute Terra Firma/Materia Prima par exemple. Graham Cunnington : Le Beltane Fire l’a mieux capté que les disques ou les performances de Materia Prima. Il en reste des images mais les premiers événements n’ont pas été filmés. Il y avait quelque chose de très réel, même personnel, dans ces rites païens, après une période fortement politique. Tout le monde s’est senti brutalisé par Thatcher et ce qui s’est passé à cette période. Après cela, nous avons senti le besoin d’explorer de nouveaux territoires d’une façon plus intime, puis dans les années 90 il y a eu la période plus digitale et dansante. Pour chaque artiste, il y a différentes périodes de leur histoire où ils font de bonnes ou de mauvaises choses. Tu prends même David Bowie, il a fait de la merde aussi. Et il y a eu des périodes où il n’était pas aussi populaire. À présent il est immortalisé. Bien sûr que certaines des choses que nous avons faites auraient pu être mieux, mais ce qui compte ce sont les travaux en cours, essayer des nouvelles choses. La seule des constantes chez nous c’est le changement.

©Fred Ambroisine / L’étrange Festival 2016

Paul Jamrozy : Ce n’était pas un accident si le Test Dept. originel est devenu ce qu’il est devenu. Sans rentrer dans les histoires personnelles, nous avions tous une colère en nous qui a fait ce qu’est devenu le projet. Quelque chose de puissant, de brutal et d’honnête. Certains des individus se sont complètement écartés du droit chemin, mais nous avons essayé de canaliser cette énergie pour ceux d’entre nous qui restent, garder la violence dans l’œuvre de façon positive. Il y a des gens que ça a affecté plus que d’autres et ils ont retourné cette violence envers eux mêmes. C’est la dure réalité de la vie dans la civilisation occidentale de nos jours.

Quant à votre projet actuel Test Dept Redux, à des moments j’avais l’impression d’écouter des vieux morceaux comme “Gdansk” mais cela s’est transformé en autre chose. On retrouve l’esprit des débuts mais en même temps ce sont de nouveaux morceaux.

Vous avez dit qu’il y avait cette colère en vous et en même temps Test Dept. est un collectif. Vous seriez des artistes solo, ce serait normal de parler de l’exploration de soi. Mais dans le cadre de Test Dept., y avait-il de l’espace pour les émotions individuelles. Laibach disait qu’il n’y avait pas d’individu, ils étaient juste un Nous collectif.

Graham Cunnington : Cela vient des archives que l’on a remixées, un travail que l’on a fait pour le film DS30 projeté aussi dans le cadre de l’Étrange Festival. Les chansons ont alors été retravaillées de façons totalement différentes. Nous n’avions pas les cassettes originales. Nous ne pouvions aller aux sons individuels d’origine. Nous avons pris les archives en tant que tout mais on ne peut pas se baser sur toutes ces pistes pour ensuite ajouter l’écriture et les amener vers autre chose.

Graham Cunnington : C’est vrai que nous étions un collectif avec nos noms jamais mentionnés sur les disques ou en interviews. Le collectif était tout, et nous avons tous apporté des choses et des questionnements dfts dans Test Dept.

Paul Jamrozy : Nous enregistrons actuellement un nouvel album en utilisant beaucoup de ces choses. Mais là encore ça évolue. Même s’il reste le fantôme du passé, ce sera quelque chose de nouveau. C’est une façon de travailler assez intéressante, d’inclure le passé dans

le présent. Nous ne sommes pas comme beaucoup de groupes qui se reforment pour jouer leurs morceaux les plus connus. Nous ne sommes pas nostalgiques. Nous construisons plus des choses aujourd’hui mais avec des éléments du passé.

L’album sera prêt pour l’année prochaine ? Graham Cunnington : On va essayer de le finir pour le printemps. Voyant le temps qu’on a mis sur le gros livre rétrospective du groupe, on pourrait travailler sur l’album pendant encore dix ans. Mais nous voulons sortir quelque chose pour libérer l’espace à de nouvelles idées. C’est comme une toile vide. Nous avons des idées mais pour l’instant il n’y a rien dessus. Nous pouvons jeter de la peinture à la Jackson Pollock sur la toile avec tout ce que nous avons, ou nous pouvons faire le contraire, laisser un espace blanc et ouvert comme l’artiste qui fait des peintures toutes blanches ou toutes noires, Rothko. Ce peut être les deux à la fois d’ailleurs ! ATYPEEK MAG #01

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RECETTEBIO

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ZOOM Mismerizer, c’est n’importe quoi avec beaucoup de talent, de sang, de monstres, d’OVNI tout ça tellement bien fait que ça reste unique. Un univers 100% série Z, une esthétique à faire palir Tim Burton. Bienvenue dans la 4e dimension !

©DR

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« Tremblez… Tout droit sortie des enfers, exorcisant ses démons sur un fond de musique électronique dérangée, MISMERIZER vous sert un son « Creep-hop » à vous donner la chair de poule ! »


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Mais Qui ES-TU MISMERIZER ? JOURNALISTE : Roxxi Wallace INFOS WEB : www.mismerizer.fr

QUEL EST LE POINT COMmUN ENTRE CREEP LO, DRESDEN DOLL, ATARI TEENAGE RIOT ET INFECTICIDE ? Après une collaboration de deux ans sur un projet électro-burlesque avec le compositeur Christophe Benoin (Y Front), des débuts sur scène en première partie de Nina Hagen (accompagnée par Emmanuel Hublot - LTNO) et une tournée au Japon… Adeline Loiseau lance son projet solo « MISMERIZER » en 2008. Le premier album expérimental « Eggs » sort en 2009 (Musicast). Elle est accompagnée sur scène de Thomas Suire, Jacques de Candé (Infecticide) et d’Emilie Bera (Performeuse fétiche des Dresden Dolls). En 2011, sort le premier Ep digital Glitch-hop « The Ghost Train » (Tacuara records) produit par Antoine Marroncles (DaFake Panda). Il inclut un featuring avec la chanteuse Hanin Elias (Atari Teenage Riot). En 2013, c’est sur l’album « Get it Back » de cette dernière que l’on retrouve Mismerizer pour un titre electro enragé

« Dead Eyes ». Elle rejoint ensuite le groupe d’Hanin pour des concerts en Allemagne avec le groupe « Fantôme ». MISMERIZER s’expatrie en 2014 dans les Caraïbes et élargie le spectre de ses collaborations à l’international. Le 2e Ep digital « Herself » auto-produit et accompagné à la guitare de Polak (Treponem Pal) sort cette même année. Pour Halloween 2015, le premier chapitre d’une trilogie de Mixtapes horrifiques, influencées Dirty South / Horrorcore, voit le jour. En duo avec le rappeur américain Creep-Lo, MismeriZer livre avec « 6 Tales of Terror » un son Creep-Hop cauchemardesque à vous donner la chair de poule ! Elle rejoint Atypeek Music en 2016 et prévoit la sortie de « 6 TALES OF TERROR, CHAPTER 1 » en version digital remasterisée pour Halloween.

« J’aimais bien l’idée que deux artistes aux univers a priori opposés se rencontrent et créent quelque chose ensemble »

©DR

©DR

Creep Lo est le Big Boss de «Drop it off Entertainment » basé dans le Midwest (Cedar Rapids, Iowa). Implanté dans le milieu du Rap Underground depuis plus de 20 ans, Creep Lo est à la fois Producteur/Ingénieur/Artiste et label manager. Au fils des ans, il a établi la réputation de son label en produisant 7 albums sous le nom de Creep-Lo ainsi que d’innombrables autres projets. Sa créativité, son ingéniosité, son phrasé lui donne un son unique !»


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INTERVIEWARTISTE

MISMERIZER

C’est crade, ça pue la sueur et le sang mais c’est essentiel !


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À SAVOIR Mismerizer est également Directrice artistique, elle se fait un malin plaisir à réaliser elle même, ses maquillages et décors.

PLUS D’INFOS

www.mismerizer.fr

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DU GRIME CREEP AU CREEP HOP Comment décririez-vous Mismerizer pour le profane? « Electro-horrifique… ? J’aime qualifier ma musique de cauchemardesque, je trouve que ça lui va bien. J’expérimente et je mélange différents styles mais ça reste de la musique électronique au fond… de la musique électronique bizarre. »

©DR

L’année dernière, vous avez sorti en cassette « 6 TALES OF TERROR » que vous ressortez cette année en version digital, un concept et une musique nettement plus hip-hop que d’habitude… Qu’est ce qui vous a donné envie d’aller dans cette direction et de collaborer avec le rappeur Creep-Lo ? « J’aime explorer et piocher ici et là au gré de mes humeurs. J’ai écouté beaucoup de hip-hop ces derniers temps, Horrorcore, Dirty south etc…

Et autant j’apprécie la musique, autant les paroles la plupart du temps… Ça m’a donné envie de faire du hip-hop à la sauce MISMERIZER, du « Creep-hop ». J’ai découvert Creep-Lo en surfant sur Youtube un soir et je l’ai contacté, la magie d’internet… le courant est bien passé et on a décidé de travailler sur « 6 Tales of Terror » ensemble. C’est lui qui a produit le Ep, il rap aussi sur le titre « VIVIVI ». J’aimais bien l’idée que deux artistes aux univers a priori opposés se rencontrent et créent quelque chose ensemble. »

Vous semblez être revenu à vos origines plus sombres et plus surréalistes avec la vidéo de « Telekinesis » que vous avez co-réalisée avec Volga Wagner, notez-vous des changements dans votre humeur et votre vie personnelle selon que vous travailliez sur tel ou tel genre musical ? « 6 Tales of Terror » était un side project, j’ai travaillé dessus de façon relativement détendue et le tournage du clip VIVIVI était aussi très amusant. En revanche, quand je travaille sur des titres un peu plus péchus et que je produis moi-même, c’est une

« Mon tout premier souvenir du genre HORREUR c’est « Thriller » de Michael Jackson, j’avais 3 ans je crois. » INTERVIEW DE Roxxi Wallace

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Vous faites de la musique depuis longtemps, vous avez quelques albums à votre actif, mais comment cela a-t-il commencé ? Comment en êtes-vous venu à faire de la musique ? « Tout a commencé par une nuit d’orage il y a plus de 10 ans… La jeune Mismerizer ressent le besoin de crier, de casser tout ce qui lui tombe sous la main et d’enregistrer tout ça. Alors je me suis acheté un MAC, un micro, j’ai téléchargé un logiciel de Mao et c’était parti. »

Maintenant, des années plus tard, vous rejoignez Atypeek Records, comment les choses se passent-elles et avez-vous le projet de sortir un nouvel opus ? « Les choses se passent très bien, je suis ravie d’avoir rejoint Atypeek Music et je travaille en ce moment sur plusieurs projets. La sortie de « 6 Tales of Terror » pour Halloween donc, en version Digital remasterisée, de nouveaux titres électro-morbides pour un futur Ep, de nouvelles vidéos et enfin peut-être une Bd… »

En tant qu’artiste féminine, et plus particulièrement dans la scène dark indépendante, quels sont les problèmes que vous rencontrez pour diffuser votre musique ? Pensez-vous que les gens comprennent ce que vous faites ou que beaucoup trouvent ça étrange ? ©DR

des débuts sur scène en première partie de Nina Hagen (accompagnée par Emmanuel Hublot (LTNO) et une tournée au Japon…

« Je pense qu’il y a certainement moins de gens qui ont envie d’entendre une fille chanter en mode possédée qu’en mode ultra-sexy ou pleurnicharde mais que ça ne m’empêchera pas de continuer à faire ce que je fais. Il y a heureusement un publique aussi pour ce genre de divertissement… Des gens qui sûrement comme moi aiment les films étranges et la musique étrange. »

autre histoire… Je travaille en général la nuit, de façon plus obsessionnelle, buvant beaucoup trop de café et fumant beaucoup trop de cigarettes. »

Sur votre site internet, dans vos clips et dans votre musique elle-même, il y a beaucoup de références aux films d’horreurs et à ce genre en général, diriez-vous que cela vous a influencé et quels sont vos films cultes ? « Bien sûr, c’est sûrement l’une de mes influences principales. Mon tout premier souvenir du genre c’est « Thriller » de Michael Jackson, j’avais 3 ans je crois. J’ai grandi en regardant des films d’épouvante, mes parents avaient des Vidéo-clubs et je rentrai le week-end les bras chargés de VHS à la maison. Parmi les premiers films que j’ai vu et qui m’ont marqué je peux citer Démons de Lamberto Bava, mais il y en a tellement… et je les apprécie tous à des degrés différents. L’une de mes influences majeures reste néanmoins la série « La Quatrième Dimension », je suis une grande fan de Rod Serling. » ©DR



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LIVEREPORT

Egopusher : Minimalisme XXL

Du jazz trip hop qui accorde « bang » et « boom » dans un délirium déchirant, délicat et nerveux. Ce sont des choses qui arrivent, apparemment, quand un violon se trouvent d’autres fréquentations que le clavecin ou le piano. Un violon amplifié, qui plus est, donnant son bras de gentleman à une batterie en robe trouée dont la traîne effilochée se tisse de nappes de synthé et d’une gestion FX retentissante. Elle ferme et signe la marche grandiose du couple, suivant son chemin dérapant et se pliant à la direction donnée par le panneau « partir en vrille ».


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lancé par Preisig s’il décide que son violon est aussi une guitare, une mandoline ou un ukulélé.

©DR

une love story euphorique et tragique Classe mais cocasse, l’histoire de la batterie d’Alessandro Giannelli qui éveille la flamme du violon de Tobias Preisig. Instrument à cordes sorti tout droit de sa scène classique pour faire une cour haute en couleur aux tomes généreux de sa bien-aimée percussive. Une cour aux variations vibrantes embrassant les contours et formes d’une love story euphorique et tragique. De pics en pleurs, d’éloges passionnés en lamentations troublantes, les atomes crochus et accrocheurs du duo échangent leurs électrons d’électro ambiancée, projetant leur champ magnétique tel un lasso d’émotions majestueuses et sauvages : le morceau « Patrol » se caractérise notamment par cette respiration saccadée, presque à mi-souffle, cet élan impétueux qui enserre, enflamme et élève. Tobias Preisig, comme dans son expérience précédente de quartet, est en phase avec l’héritage classique de son instrument. Mais grâce à l’amplification, toute sa puissance dramatique et la sensibilité exacerbée de sa texture si touchante se retrouvent démultiplier. À l’inverse, elles peuvent également s’immiscer en échos discrets, ténus, timides comme sur « Purple air » et « William », à la limite du Chill-out de Savages et de Sound Defects. Minimalisme capricieux, elles se réduisent parfois à un arpège de musiques du monde

Deux personnes, quatre sources de sons différentes. Pas d’erreur ni de piège : au moment où les moulinets de baguettes entament une tyrolienne désarmante, Preisig, à coups d’archers solennels, vient juste de dépeigner la chevelure métallique de son gentleman à trois cordes. Il lancera, à la Daft Punk, une boucle de quelques notes mélodiques de synthé programmées en récurrence avant de reprendre sa coupe là où il l’avait laissé. Entre deux frappes de colosse, Giannelli fera glisser une baguette sur son pad et libérera l’autre de sa frénésie rythmique afin qu’elle puisse déclencher le mystérieux bouton d’une console codée pour une ambiance profonde et introspective. Egopusher, qui avec deux sonne quatre, fait de « Ego » (« moi » en latin) un « moi » collectif à explorer, sonder. D’abord par circonvolution légère, puis par cible lorsque la trajectoire de l’ellipse se précise jusqu’à atteindre son point d’intensité le plus élevé. Sur « Dirt », « Ego Eins » et « Duster », la longue nuée transparente soufflée par le violon orientalisant s’illumine au pétillement des cymbales. Très vite, le papillon diaphane se densifie dans le giron de leur rayonnement, comme une seconde chrysalide troquant progressivement les ailes translucides pour des surfaces d’argent chromé. Se conserve la finesse mais s’invitent vitesse, puissance et hargne. Les trémolos tonitruants du violon rappellent alors les tressaillements indomptables de la guitare de Marc Ribot, ouvrant à l’auditeur une tranchée directe vers une veine d’air ascensionnelle. Duo original ou quartet fantôme qui invente les deux autres membres de son équipe, Egopusher est un spectacle d’antithèses harmonieuses : Giannelli, le géant massif, stylé rock, Preisig le fin dandy stylé salon. Récemment en concert durant l’édition 2016 de Jazz à Vienne, l’un et l’autre ne manquaient ni d’allure ni de panache, s’escrimant à délivrer leur électro-trip hop jazzy aux pieds d’un cadre seyant si bien à leur prestance : la grandeur du théâtre antique. En espérant un jour que leur présence raisonnante aura l’occasion de s’épanouir à l’intérieur de l’enceinte, il faudra se représenter ce show à partir de leur mini-album éponyme sorti fin 2015 et de leur magnifique clip « Purple Pit ».

Plus d’informations sur Egopusher : www.egopusher.com

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“De pics en pleurs, d’éloges passionnés en lamentations troublantes, les atomes crochus et accrocheurs du duo échangent leurs électrons d’électro ambiancée” ARTICLE de Jonathan Allirand

À SAVOIR

Egopusher en live

13/10/2016 au MaMa Festival, (Paris) FR 27/10/16 ISC /W Leech, (Bern) CH 11/11/16 - Stall 6/w Dave Eleanor, (Zurich) CH 12/11/16 Ferme Asile, (Sion) CH


https://tropare.bandcamp.com/



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CHRONIQUES ALBUMS & Singles

NOTRE COUP

DE Coeur

“6 TALES OF HORROR” MISMERIZER le grand retour

Au début des années 90, alors que Miami était fasciné par le cul, le rap de Memphis se tournait plutôt vers les cercles les plus sombres de l’enfer. Une marque de fabrique qui fit sa renommée et qui enfanta, au hasard, la légendaire Three-6-Mafia. Depuis, le horror rap se fait un peu plus discret - même si çà et là des résurgences se font jour, type Suicidesboy$. C’est pourtant sur ce chemin tortueux que vient se balader le groupe Mismerizer redonnant le coup de fouet à ce genre qui n’a pas tout donné. Sa sauce à lui s’appelle le Creep-hop et voici, pour Halloween, leur nouveau single en avant-première avec le grand connaisseur Creep-Lo. Gueugneau Maxime - KIBLIND Pour lire un QR Code, il suffit de télécharger une application de lecture de QR Codes. D’ouvrir l’application et viser le QR Code avec l’appareil photo de son téléphone mobile et l’application lance l’écoute de l’album.


ALBUMS

Date de sortie : 31/10/2016 Durée : 17 min Nationalité : US/FR Styles : CREEP HOP ELECTRO RAP

MISMERIZER FEAT CREEP-LO

TERMINAL CHEESECAKE

6 TALES OF HORROR - PART. 1 (Atypeek Music)

Dandelion Sauce Of The Ancients

Vous l’aurez compris, Mismerizer viens ici brouiller encore les pistes. Et pour Halloween, en s’associant avec le talentueux Creep-Lo, cet EP de 6 titres vient tapiner là ou on n’aurait pas imaginé Mismerizer. Ce rapprochement est encourageant, puisqu’ils ont su déployé le talent nécessaire pour donner à leur musique un spectre plus vaste et pas uniquement un revival du rap du « American Heartland » et d’hommage à La nuit des masques. Ici il y clairement une capacité à explorer des nouvelles sonorités et toucher un public plus large, et les deux cousins semblent avoir déjà trouvé la bonne formule pour s’émanciper. Pour faire court, l’EP s’ouvre en fanfare avec « The Number of the Bitch » histoire de placer le cadre. Pour l’occasion, Mismerizer installe la dualité d’une esthétique graphique et d’une musique toute personnelle à l’image d’artistes comme M.I.A., Peaches ou Christeene. ici on est dans le versant le plus moite et groovy du southern rap : la version funky, divertissante et décalée des Geto Boys et Girls. L’EP nous dépeint une vie de loose totale (à la Dope D.O.D.), de déprime soignée aux fêtes satanistes bien colorées et aux errances urbaines… Derrière ses provocs satanistes, « A Tale of Horror Part 1 » est définitivement de ces EP rap qui se complaisent d’avoir les pieds dans le caniveau, le discours vénère, toutes griffes dehors, dont les productions semblent parfois avoir la capacité de lacérer et de compacter le temps. « Werewolf on Heels » en est une bonne illustration et cerise sur le gâteau, le premier extrait lâché en exclusivité avec la vidéo « VIVIVI » est une petite bombe. Mismerizer se transforme en bombasse cocasse, assortie d’une bande de Bad Girls, sortie de Faster Pussycat version Lolita restauré en technicolor. En achevant son couplet comme souvent, Mismerizer hurle ou chuchotte comme une damnée, posant des couplets violents et secs comme une batte en pleine nuque. VIVIVI est donc incontestablement le tube de l’EP et laisse à imaginer une suite très attendue pour le prochain Halloween avec la partie 2, l’apocalypse est proche, tout se passe comme prévu.

(Box Records)

✎ John Maldoror

Date de sortie : 22/10/2016 Durée : 45 min Nationalité : FR Styles : Rock Acid / Fuzz / Noise / Psychedelic Punk Stoner

Date de sortie : 11/11/2016 Durée : 39 min Nationalité : UK Styles : experimental doom folk / kraut / no wave / psych

NOYADES

Quand on laisse derrière soi quatre albums aussi majeurs que Angels In Pigtails (1990), Pearlesque Kings Of The Jewmost (1992), Gateau D’Espace (1993) et King Of All Spaceheads (1994), et que l’on a signé les albums majeurs de la noise anglaise des 90’s, les Terminal Cheesecake auraient pu vaquer tranquille vers d’autres horizons. Mais Russ Smith, John Jobaggy et Gordon Watson en décidèrent autrement et, après 22 ans de silence radio, en 2015, après avoir recruté un casting judicieux avec leur potes Dave Cochrane (Head Of David, God, Techno Animal, The Bug, Greymachine…) et Neil Francis (Gnod), les Terminal Cheesecake se lance corps et âme dans une tournée DIY Européenne mémorable, le groupe enregistrera à l’Embobineuse le live “Cheese Brain Fondue : Live In Marseille”. Histoire de marquer le coup. Un an plus tard, “Dandelion Sauce Of The Ancients” prouve que la saga Terminal Cheesecake est loin d’être finie. Toujours encadré par les guitaristes Russ Smith, Gordon Watson et le batteur John Jobaggy, Neil Francis déroule sa voix tout au long de ce septième album studio qui surprend comme toujours, car aucun de leurs albums ne se ressemblent. Cette fois-ci le rouleau compresseur se met au service d’une noise psychédélique étrange et identifiable en moins de deux mesures. Cette alliance est unique entre guitares saturées et carnassières et refrains pop. On sent même ici les Terminal Cheesecake un brin nostalgiques de leur début, certaines chansons lorgnant même ouvertement vers leur âge d’or de l’aube des 90’s allant jusqu’à faire un détour en 1967 du côté des expériences du jeune Jimi. En 7 coups fatals les Terminal Cheesecake reprennent leur place sur l’échiquier des groupes de noise majeurs aux côtés des Sonic Youth, Butthole Surfers, Swans, Lighnting Bolt, Dälek, Einstürzende Neubauten, Sunn O))) et ils n’ont plus qu’à conquérir la jeune génération, l’ancienne leur restera fidèle.

GO FAST (SK RECORDS / Atypeek Music) Non mais attendez une toute petite seconde : on est en 2016, non ? Je me pose une nouvelle fois la question parce qu’à l’âge qu’ont les trois membres de Noyades – 25 ans printemps maximum, et encore je n’en suis même pas vraiment sûr pour le guitariste – j’aurais littéralement craché dans la soupe d’un air profondément outragé. Quoi ? De la musique instrumentale qui n’a pas peur de bisouiller du côté des seventies dans ce qu’elles ont eu de plus rance ? Sur Go Fast, le tout premier album de Noyades, ce qui impressionne largement ici c’est avant tout la domination sans partage de la fée électrique, la seule et l’unique. C’est peu dire que ce disque déboîte/déchire/nique sa race comme disent les jeunes (encore) mais oui, voilà bien l’un des albums de cette année 2016, toutes catégories confondues. Nous avons donc affaire à trois musiciens chevelus ou barbus – voire les deux en même temps – qui remettent au goût du jour le power trio dans ce qu’il a de plus essentiel. Une guitare intergalactique qui tue, une basse (une Rickenbacker !) avec un gros son tout bien monstrueux comme il faut et un batteur tellement impressionnant que je lui pardonnerais presque de jouer dans Sunder. La musique est instrumentale mais d’une telle intensité que c’est le genre de détail qui ne peut froisser que les rockers intransigeants et fatigués car le propos est à la fois généreux et complètement sauvage et, malgré les effets de manche, on reste avant tout scotché par cette vision punk et débridée de faire de la musique labyrinthique – repensez un peu à tous ces groupes japonais qui les premiers ont compris que les années 70 n’étaient pas totalement à jeter à la poubelle : Acid Mothers Temple, Mainliner, High Rise, Musica Transonic, etc. En plus le son de l’enregistrement est tout bonnement incroyable, chaque instrument et chaque note restent en tête, et en même temps Go Fast est une boule de feu crépitante, aux ramifications jamais totalement entièrement explorées, une sorte de déambulation enivrante au cœur d’une tempête de sons, au milieu d’un vortex de couleurs insoumises – la violence et la beauté à la fois. Un grand bravo également à Synckop qui a réalisé l’artwork du disque).

✎ CF

✎ Hazam ATYPEEK MAG #01

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ALBUMS

Date de sortie : 21/04/2016 Durée : 44 min Nationalité : FR Styles : POST-ROCK Avant Jazz

APRIL FISCHES

Date de sortie : 30/09/2016 Durée : 48 min Nationalité : FR Styles : electronic / french electro fun indus / new-wave

Date de sortie : 30/09/2016 Durée : 1h 16 mn Nationalité : FR Styles : DROnE ELECTRONIC

LAURENT PERNICE

INFECTICIDE

Carpe d’Or (GROLEKTIF / Atypeek Music)

Humus/Musiques Immobiles 5-15 (Atypeek Music)

Poil de cœur (Da ! Heard It / Atypeek Music)

C’est avec un certain retard que je chronique ici Carpe D’Or, le premier enregistrement d’April Fishes. Un quartet aux allures un peu savantes mais regroupant en fait une poignée de musiciens tous issus de cette scène « néo jazz », « jazz alternatif » – je ne sais pas moi, ça m’emmerde un peu beaucoup les étiquettes – à savoir : Manuel Adnot (guitares et compositions), Adrien Dennefeld (violoncelle et compositions), Sylvain Darrifourcq (batterie et dispositifs électroniques) ainsi que Romain Dugelay (saxophone baryton et dispositifs électroniques également). Comme l’amateur curieux de musique(s) n’a certainement pas attendu le xxie siècle et les geeks amateurs de dystopies et shootés aux moteurs de recherche internet pour mettre en pratique le principe de sérendipité cher aux scientifiques de tout poil, c’est grâce à ce dernier – Romain Dugelay est actif au sein de Kouma, Polymorphie, Pixvae et CT4C – que j’en suis tout naturellement arrivé à April Fishes. Le projet, initié par Manuel Adnot et dont l’autre tête pensante est Adrien Dennefeld, est aussi poétique que son nom peut le laisser croire ; par poétique j’entends qu’April Fishes joue une musique délicate, toute en finesse, certes très composée mais exempte de toute rigidité, mélange probant et furtif d’explorations jazz, de déploiements rock et de trouvailles électro. Les ambiances sont parfois ténues mais évolutives, pouvant s’écouler non sans lyrisme voire une certaine fulgurance, comme sur La Fosse des Mariannes / Pays De Neige. Le groupe préfère lui employer les termes d’ « étendue » et de « maritime » et cite la très belle reprise d’Eureka de Jim O’Rourke par Otomo Yoshihide comme déclencheur initial de ses propres envies – il n’empêche qu’avec ces poissons-là on n’a pas fini d’explorer les eaux encore inconnues d’une musique toujours en mouvement et toujours en devenir.

Publié en 2004 par le label russe Monochrome Visions, cet album explore le concept des Musiques Immobiles, imaginé par Laurent Pernice quelques années auparavant, dans le domaine des sons électroniques. Drones, saturations et hasard sont au centre de cette œuvre sombre et abstraite.

Pour la 29e sortie du label Da ! Heard It Records, Infecticide revient chahuter la chanson française avec éclat et ferveur psychoactive : “Poil de Cœur” arrive avec la nouvelle année, comme une carte de vœux musicale sous un sapin mort. À l’intérieur, une virée en eau profonde entre friandises wave neuroleptiques, sueur punk, et poésie des soirées qui finissent à 15 heures du matin… Les plaisirs dominicaux proposés par Michel Drucker n’auront plus jamais la même saveur. Artistes complets, les trois affreux investissent tous les moyens qui passent entre leurs mains sales pour faire de leur bébé une arme nocturne à caractère sadique, et le public se retrouve à genoux devant tant de maîtrise dans l’art du foutage de gueule. C’est que nous avons à faire à un trouple précieux, dans les pittoresques paysages de France. Même si le trio parisien nous martèle à coups de tarte dans la gueule, comme sur “Fais-le moi-le”, que le plat pays qui n’est pas le sien lui sied à merveille, le réduire à l’élégante EBM assurerait une pluie de tomates pourries. En témoigne l’abrasive “Pistache” qui aurait pu recevoir l’adoubement d’une block party à l’époque du Boogie Down, ou encore “Ton Tanga”, entre puissance électronique et exaltation des dessous intimes. On retrouve avec “Prehistronic” ou “Petit Tricheur” ce qui a fait la marque de fabrique de l’escadron sur le premier album, un mélange rock de musiques synthétiques, ou, au choix, une synthèse de rock en synesthésies. Il faut également souligner le panache derrière les lyrics d’Infecticide, comme dans “Le monopole du cœur”, vision fantasmagorique des grands dictateurs de notre histoire, ou dans “Une petite motte de peur” dont les accents slomo dub de l’enfer nous rappellent amicalement notre condition d’être humain : “un chimpanzé en pull, un babouin maléfique”. Les réjouissantes illustrations de Junie Briffaz mettent la touche finale à ces 13 brûlots. L’objet physique au toucher avec les doigts de la main offre 1 badge, 2 cartes postales, les paroles et un sticker.

✎ Hazam 32

ATYPEEK MAG #01

OCT./NOV./DEC. 2016

✎ P. L.

Date de sortie : 31/05/2015 Durée : 1h 13 mn Nationalité : FR Styles : Abstract Musiques improvisées

JACQUES BARBERI / LAURENT PERNICE L’Apocalypse des oiseaux (Le Cluricaun / Atypeek) Album concept autour des derniers jours du peintre de la Renaissance Paolo Uccello. Larguant les amarres d’un électro-jazz normalisé, Laurent Pernice et Jacques Barbéri naviguent ici dans les hautes sphères abstraites des musiques improvisées et de la folie. Mais est-ce bien de la folie ? Publié en CD par le label Le Cluricaun et en version numérique par Atypeek Music en 2015.

JACQUES BARBERI /LAURENT PERNICE ©DR

✎ P. L.

I

✎ Aisyk http://musique-libre.org


Date de sortie : 16/09/2016 Durée : 54 min Nationalité : ZA Styles : Electro/ Hip-hop/Rap / GRIME

Die Antwoord

Die Antwoord ©Marisa Rose Ficara

ALBUMS

Date de sortie : 04/03/2016 Durée : 59 min Nationalité : ZA Styles : hip-hop/rap grime / hardcore / noise / punk trap

DOOKOOM

Mount Ninji and da Nice Time Kid (Zef Rec.)

NO ! (Atypeek Music/I.O.T. Records)

Barbie trashy rencontre un anti-Ken pour célébrer une nouvelle fois, autour d’un quatrième album, leur amour du hip hop zef. Elle arbore une coiffure de punkette platine électrisée, lui un attirail de thug rapper à dents chromés. Partisans de la sobriété et du goût commun ? Non, non. Champions de l’autodérision jouissive, de l’agitation enfiévrée et du délire créatif ? Un grand OUI qui les maintient toujours dans la ligne du zef, ce mouvement qui exacerbe le « freak » comme le « rétro » pour en faire une fierté et une source d’inspiration. Le duo Visser-Ninja et leurs débits vocaux mêlés est devenu un classique repoussant les limites de la respiration saccadée. Des athlètes du mic, programme nage libre dans un bain d’acid house et de ragga. On connaissait le sexy Rich Bitch, l’explosif Fatty Boom Boom et le hargneux I fink u freeky. Les clips mis bout à bout constituent une splendide fresque d’excès chromatiques à interpréter avec toute l’ironie que porte audacieusement chaque chanson. Party time is not over : à prendre au 30 000e degré et à écouter à un nombre équivalent de Watts, le premier single Banana Brain, tiré du nouvel album Mount Ninji and da Nice Time Kid, annonce un opus canon armé d’une sono de rave party tabasseuse d’esgourdes. On est bien tenté de pousser encore le volume pour voir jusqu’où va la baston. Elle continue sur Fat Faded Fuck Face, dans un genre plus retenu qui n’enlève rien à l’âpreté du chant. Sur We Have Candy, le duo volubile nous surprend de nouveau par son placement de voix évoluant dans un cadre fantastique burtonien. Les collaborateurs comme God et The Black Goat réalisent donc un travail immense d’instrus regorgeant de beats inventifs, variés et surboostés. Canaliser toutes ces dynamiques requiert également une orchestration minutieuse, défi relevé une fois de plus par Die Antwoord. On pousse encore le volume, seule frustration, le bouton est déjà au max car la voix faussement doucereuse de Yolandi Visser éclaboussant les flows de Ninja est un plat qui se mange fort.

DOOKOOM est le groupe par qui le scandale arrive en Afrique du Sud, de la ville du Cap pour être précis. Et pour cause, leur musique est à l’image des ghettos d’où ils débarquent : d’une violence rare. À côté, les banlieues de NYC et L.A., c’est le pays de Candy. Alors lorsque sonne l’heure de la rébellion après de multiples EP, elle scande haut et fort NO ! Pas de préavis, pas de négociation, encore moins de concession, les DOOKOOM sont là pour dire ce qu’ils ont à dire, sans discuter, et ça peut très vite partir en vrille. Leur méthode pour faire entrer leur discours dans nos crânes est rudement agressive, ça ferait même moins mal avec un coup de batte de baseball cloutée. Pour du hip-hop, c’est plus que du rap hardcore. Ce quatuor a mis au point un mélange hautement inflammable d’afro-punk et de grime importé d’Angleterre. Parler de fournaise semble un euphémisme. Pas d’uptempo dopé mais des rythmiques énervées sous de rugueuses notes électroniques (« Chop Me Down », « The Devil Made Me Do It »). Il y a beaucoup d’électricité dans l’air. Dans cette tension permanente doublée d’une atmosphère horrifique qui pourrait faire frissonner des Dope D.O.D. (la référence dans le genre), les deux rappeurs de DOOKOOM sont revenus à l’état sauvage avec des lyrics carnivores et révolutionnaires. Tenez, rien que le titre « Bitch, I Poop » (« pét****e, je suis en train de ch*er », NdT) témoigne de cet esprit primaire. La chanteuse Lilith que l’on découvre sur « Marrafuka » dans un style moyen-oriental n’a rien d’un ange non plus. Avoir le CD entre les mains est aussi dangereux qu’avoir un bâton de dynamite à mèche courte. Les DOOKOOM font sensation au point de générer des rushs d’adrénaline. Est-ce que NO ! inflige une gifle à rompre la nuque ? Réponse catégorique : OUI ! Que vous le vouliez ou non.

✎ Jonathan Allirand

✎ Sagittarius http://www.nowplaying-mag.com

I

ATYPEEK MAG #01

OCT./NOV./DEC. 2016

33


Date de sortie : 22/03/2016 Durée : 35min Nationalité : FR Styles : FREE JAZZ EXPERIMENTAL / IMPROVISATION

Date de sortie : 22/04/2016 Durée : 38 min Nationalité : US Styles : Hip-Hop/Rap Underground Rap Noise

Date de sortie : 15/04/2016 Durée : 33 mn Nationalité : FR/IS Styles : Electroclash EXPERIMENTAL

10Pute

In Love With

DALËK

Poupée Russe (Atypeek Music)

Asphalt For Eden (Profound Lore)

Axel Erotic (BeCoq / Atypeek Music)

10PUTE écrit sur ce qu’elle vit, ce qu’elle sent, les gens qu’elle rencontre, sur les murs, sur sa peau. Performeuse et chorégraphe, elle raconte avec la danse, le tatouage et la musique.

Noise rap, voilà derrière quelle étiquette unanimement attribuée se cache la discographie du collectif Dälek. L’effet de surprise de ce nouvel hybride musical avait définitivement pris fin avec la perle “Gutter Tactics” déjà très noir, faisant office de frère siamois hip-hop de l’œuvre des Sonic Youth. Sept ans plus tard (quelques collaborations ayant jalonné cette période), le collectif New-Yorkais nous revient avec la dure tâche de succéder à un album qui a tout du culte. Dur de se mettre au diapason de la créativité, de la profusion sonore (une ébullition métallique constante), en voici notre verdict. Un élément frappe dès que l’on place “Asphalt For Eden” en perspective de son illustre prédécesseur : exit la rudesse et les multiples dissonances erratiques. De fait, c’est presque le contraire auquel on a droit, une sorte d’ambient, sans rupture. L’atmosphère est toujours sombre mais pas spécialement dérangeante, plus classique. Ainsi, un Masked Laughter (Nothing’s Left) évoque bien plus un Mogwaï synthétique qu’un Thurston Moore maléfique. Aussi, que dire de l’interminable 6dB, un titre qui ressemblerait presque à une intro qui ne trouverait pas de suite. “Asphalt For Eden” c’est cela, une sorte de pendant urbain et obscur du new age. Alors oui, le chant est là pour apporter sa rythmique mais encore une fois tout est plus dans le liant que dans l’uppercut. Un flow fuyant, qui glisse entre les doigts au même titre que l’accompagnement musical, là où “Gutter Tactics” semblait trop dangereux et douloureux pour tenter de s’en saisir. Dälek a donc décidé de passer par d’autres vecteurs musicaux plutôt que réchauffer les recettes du monumental “Gutter Tactics”. En ce qui nous concerne, on ne peut que louer la démarche originale, mais le nombre de références à ce dernier dans cet article résume assez bien l’effet principal de “Asphalt For Eden”, qui aura ramené à notre bon souvenir son prédécesseur. S’il ne devait en rester qu’un titre : Guaranteed Struggle. ✎ Willou www.indiepoprock.fr

Les signes de l’amour (sous toutes ses formes, des plus crues aux plus sublimées) sont récurrents dans la sphère du Tricollectif et entours, et ce depuis « Q » (avec déjà Sylvain Darrifourcq) jusqu’au présent Axel Erotic [1] en passant par la désormais célèbre Loving Suite For Birdy So et, bien sûr, le Tribute To Lucienne Boyer et son « Parlez-moi d’amour ». On attendait avec impatience ce disque, car on en avait eu un avant-goût délicieux dans la compilation du « Tricot ». Et « Bien peigné en toute occasion » est devenu le titre inaugural du présent CD. Dès cette entame, en forme de course à l’abîme, on sait qu’on sera retenu jusqu’au bout. Car il y a de la musique tout le temps, et on se dit même parfois que ce n’est pas si compliqué que ça au fond : un rythme, des harmonies qui s’enchaînent, une mélodie qui surgit et disparaît. Et puis un autre rythme, ou plusieurs, des couleurs qui changent, des histoires qui se succèdent. Où ça jouit bien sûr, puisque nous sommes bien In Love With (nom du groupe qu’on pourrait dire de Sylvain Darrifourcq puisque c’est lui qui signe toutes les compositions), sous le titre Axel Erotic. Et si ça jouit, ça risque aussi d’exister, ce qui ne va pas de soi quand il serait si simple de seulement vivre. C’est-à-dire dormir. Écoutez par exemple « À saveur de très beurre », qui succède au premier titre, avec sa pulsation quasi organique constante, et les multiples agacements qui viennent en ponctuer la répétition. Elle s’enchaîne directement avec « Asil Guide » qui joue sur de petits motifs bondissants comme des fusées d’artifice. Et le lien se fait encore directement avec « Sexy Champagne », une courte pièce en forme de pendule ironique. Et quand la pendule déraille, arrivent bien sûr « Les flics de la police », qui enflent jusqu’à une inexorable marche à l’échafaud. Imaginez la suite, et laissez vous porter jusqu’aux emportements crescendo du final. Est-il nécessaire de dire que Théo Ceccaldi et son frère Valentin, sont pour beaucoup dans cette lumière musicale qui nous arrive, et avec l’amour s’il vous plaît. Il nous plaît.

10PUTE vous invite à un récital de 8 titres empreint d’une posture quotidienne engagée dans sa vie d’artiste nomade, féministe queer pro sex. Ce premier album produit par Mika Pusse et mastérisé par Patrick Müller, ce disque ne pouvait qu’être marqué d’une singularité et d’une qualité remarquable à l’image cette rencontre. Une sorte de blues électronique contemporain vient vous susurrer à l’oreille les espaces de liberté qu’il reste à découvrir. Cette performance, parce que c’est bien de cela qui s’agit tisse des liens entre des histoires au travers de ces chansons pour aborder les problématiques qui la transforment et qui façonnent le monde. Poupée Russe propose une poétique intimiste entre sons, voix, et états de corps. Laissez-vous embarquer pour ce voyage initiatique, il en vaut largement le détour. 10PUTE ©DR

✎ CF

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ATYPEEK MAG #01

OCT./NOV./DEC. 2016

I

✎ Philippe Méziat www.citizenjazz.com

IN LOVE WITH ©photographies, graphisme Jean-Pascal Retel

ALBUMS



ALBUMS

Date de sortie : 02/10/2015 Nationalité : CH Styles : hip-hop / rap

LA GALE

Nina Hagen

Que ceux qui s’émerveillent devant la féminisation du rap hardcore se jettent directement sur Salem city rockers de La Gale. Représenté par l’actrice suis-so-libanaise et ancienne punk-rockeuse Karine Guillard, en tant qu’MC, et produit par le beatmaker Al’Tarba - que l’on ne vous présente plus - avec son acolyte de Sick Digger Recordz I.N.C.H., ce deuxième album est marqué par la révolte et le désenchantement. Le ton hargneux et les textes fielleux abordant des sujets d’actualité assez communs au rap (l’establishment, l’immigration…), font inévitablement penser aux travaux de La Rumeur (avec qui la rappeuse est amie depuis la série TV « De l’encre »), Keny Arkana ou Casey. Sans pour autant être une redite, La Gale sait admirablement faire l’union entre des sonorités modernes et un hip-hop loin des modes actuelles, plutôt inspiré d’ailleurs par celui des 90’s. Pas vraiment étonnant lorsque l’on sait qui gère la prod’ derrière. Salem city rockers est la confluence de plusieurs artistes (l’album compte pas mal de featurings) parlant le même langage, celui de l’indépendance d’une part, et de l’ouverture (musicale ou non) d’autre part. Un projet super abouti, jusqu’à la réalisation de l’artwork par Ammo, dont le thème est la sorcellerie. Bref, un gros doigt aux rigoristes de tous bords qui ferait bien de choper La Gale, soit dit en passant. ✎ Ted www.w-fenec.org LA GALE ©DR

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ATYPEEK MAG #01

OCT./NOV./DEC. 2016

Fange

Nina Die Beste ! Kompilieren Fur 60 Jahre Jubilaum (2015) (Unofficial)

Salem city rockers (Vitesse Records)

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Date de sortie : 02/09/2016 Nationalité : FR Styles : death metal / harsh noise / crust metallic hardcore

Date de sortie : 2015 Nationalité : DE Styles : pop / punk métal

PurgE (Throatruiner & Lost Pilgrims Records)

Avec ses couettes brunes ou multicolores encadrant son visage aux traits outrés, Nina Hagen semblait déjà inventer le personnage d’Harley Quinn une vingtaine d’années avant sa création. Diva psyché à la voix caméléon qui sut s’étirer aussi bien sur une tessiture immense que sur une gamine de genres mêlant rock (psychédélique, indé), pop, punk, métal et chant lyrique. De l’opéra allemand en pleine déflagration rock, voila, entre autres, ce qui s’échappait de la bouche déformée par les ondulations vocales de la Germanique surexcitée. Impératrice du braillement stylisé, elle devait hurler sa langue natale ou balader son accent sur ces titres en anglais pendant trente ans, ayant réussi à s’adapter à tous les soubresauts de la musique, des années 70 jusqu’aux années 2010. Une compilation rassemblant les grands succès de sa carrière a donc de quoi ressembler à un bestiaire extraordinaire bondé d’anomalies curieuses de la génétique animale : de Du Hast Den Farbfilm Vergessen (1974) en passant par sa collaboration avec Apocalyptica (2003) jusqu’à Am Dunklen Fluss (2014). Et bien sûr, African Reggae (1979), Smack Jack (1982), New York, New York (1983) ou encore Russischer Reggae (1985). Enfin, également, sa reprise inoubliable de My Way (1980). Actrice aux yeux exorbités par ses vociférations majestueuses, elle pousse ses rôles jusqu’à la caricature grotesque et fascine par son sens affirmé du grandiloquent, de l’excentrique, extravagance démultipliée par ses shows survoltés. Une énergie qui explique la longévité de son charisme sidérant puisqu’il s’agit d’un grand écart sur trois décennies. Mais qu’estce qu’un grand écart de cette envergure pour une femme qui a alimenté ses prestations scéniques de pirouettes et de gestes désarticulés en tout genre ? ! Une gymnastique horrifique aussi célèbre que ses déguisements chamarrés, ses grimaces démesurées et son maquillage sombre hérissant son visage de pointes noires. Tout comme sa voix qui n’a eu de cesse de gagner en éraillement bluesy, son masque de scène n’aura jamais vieilli.

En v’la du gras, en v’la. À l’origine simple sideprojet du guitariste de Huata, Fange avait créé la sensation en 2014 avec Poisse, premier album particulièrement visqueux et lourd, en un mot comme en cent (en sang) : violent. Une réussite due à un je-ne-sais-quoi de bricoler (et donc de spontanément crade) et à ce mélange détonnant de guitares saturées et grésillantes et de bidouilles bruitistes ; soit la rencontre entre un hardcore lent et gluant et quelques tentatives de harshnoise manuel. Il fallait juste y penser, mais le mariage, même du bout de la langue, entre Merzbow et Buzzov-en semblait enfin consommé, pour le meilleur évidemment. Quelques changements de line-up plus tard – à savoir l’arrivée d’un nouveau batteur et celle de Matthias Jungbluth, grand timonier du label Throatruiner, titularisé au poste de chanteur – Fange est enfin de retour avec un deuxième album, le bien nommé Purge. L’idée est toujours la même à savoir balancer des riffs d’une crasse et d’une épaisseur infinies sur fond de rythmes martelés avec sadisme et de saloperies harsh et autres. Ce qui change, c’est le son et la production générale du disque : fini les approximations pleines de charme vénéneux de Poisse, place à un plus gros son, un son plus maîtrisé et, fatalement plus calibré. Mais que l’on se rassure… à une époque ou les groupes de hardcore et affiliés ont tendance à tous sonner de la même façon (Kurt Ballou motherfucker), Fange tire largement son épingle du jeu – un autre exemple en la matière, bien que complètement différent musicalement, serait les Lyonnais de Plèvre. Alors, si Purge fait un peu moins peur que Poisse, il fait quand même beaucoup plus mal, surtout avec les titres Roy-Vermine, Étouffoir et De Guerre Lasse, trilogie infernale et noyau dur d’un album particulièrement poisseux et malsain. Laissez-vous donc malmener…

✎ Jonathan Allirand

✎ Hazam


POUR UNE JUSTE RÉMUNÉRATION DES CRÉATEURS SUR INTERNET 

Les contenus culturels génèrent d’importants revenus pour les plateformes en ligne. Mais une part infime de ces revenus revient aux créateurs de ces contenus. C’EST CE QU’ON APPELLE :

LE TRANSFERT DE VALEUR.

QUEL EST LE PROBLÈME ? 

Il existe 2 types de fournisseurs de contenus culturels qui, tous deux, devraient suivre les mêmes règles concernant le droit d’auteur. Et pourtant, ils ne le font pas ; créant ainsi une distorsion de concurrence. Les fournisseurs de services numériques donnent accès à des contenus sous licences.

Les plateformes de services donnent accès à des contenus agrégés ou téléchargés par leurs utilisateurs.

Utilisateurs actifs

Utilisateurs actifs en Europe : 600 millions par mois.

 Ces plateformes dominent le marché et se revendiquent faussement comme de simples intermédiaires techniques. Leur statut d’hébergeur, prévu par le droit européen, ne les obligent pas à rémunérer les créateurs.

Europe :  en 60 millions par mois.

Les fournisseurs rémunèrent les créateurs pour l’utilisation de leurs œuvres et se trouvent en concurrence directe avec certaines plateformes qui n’ont pas les mêmes obligations.

QUE FAIRE ? RÉSULTAT 

Une part équitable des revenus pour les créateurs

Des conditions de concurrence équitable sur le marché.

Plus d’innovation et une offre plus large pour tous. WWW.AUTHORSOCIETIES.EU

graphic design ~ nikisiou

Réviser le droit d’auteur européen pour clarifier le statut de ces plateformes qui rendent ces contenus culturels accessibles au public. Elles ne pourront ainsi pas échapper à leurs obligations de rémunération des créateurs.


ALBUMS

Date de sortie : 19/08/2016 Durée : 33 min Nationalité : CA Styles : new rave electro Experimental

Crystal Castles

Date de sortie : 29/01/2016 Durée : 17 min Nationalité : FR Styles : punk psychedelic

Date de sortie : 20/10/2016 Durée : 48 min Nationalité : CH Styles : RIO MATH ROCK

Pinku Saido

apollonius abraham schwarz

Amnesty (I) (Casablanca / Fiction)

Démo 2016 (AUTOPRODUIT)

apollonius abraham schwarz (Atypeek Music)

Quand il y a deux ans Alice a annoncé avec perte et fracas la fin de sa collaboration avec son comparse, on en avait logiquement déduit que Crystal castles n’existait plus. Et puis, Ethan Kath a lancé un nouveau titre, annoncé la suite de l’aventure et, dans le même temps, affirmé que la contribution d’Alice à la musique de Crystal castles était de toute façon mineure. Car le long de leurs trois albums ensemble, Ethan Kath et Alice Glass ont évolué, les climats épais et introspectifs de “(III)” n’ayant pas grand chose à voir avec l’ambiance incendiaire et foutraque de leur premier opus. Et en aucun cas on ne croira que cette évolution n’ait pas été le résultat d’une émulation entre deux personnalités mais le seul fait d’Ethan Kath. Depuis, Edith Frances a pris la place d’Alice Glass au chant et, sur Frail, le premier titre sur lequel elle est apparue et qu’on retrouve sur “Amnesty (I)”, la première réflexion qui nous est venue est que sa voix fait étrangement penser au timbre de celle qui l’a précédée… À bien y écouter pourtant, Edith Frances n’a pas le grain de folie et le magnétisme d’Alice Glass, aspect particulièrement criant quand Edith se lance dans ce qui ressemble presque à de la singerie (Enth). En revanche, elle se montre plutôt à son avantage dans les passages plus nuancés où elle peut installer un chant plus “classique”, sur Char par exemple, ou sur Sadist. Musicalement, “Amnesty (I)” est sans ambiguïté possible un album de Crystal castles, le côté brut et binaire de Fleece, la mélodie catchy de Char en dépit de sonorités basiques, les rythmes endiablés et les moments faussement apaisés, l’identité et la marque de fabrique sont là. Cependant, “Amnesty (I)” est un disque sur lequel Ethan Kath recycle, souvent avec pertinence. En d’autres termes, si on se montre clément, c’est avant tout parce qu’il faut aborder l’album comme un redémarrage. Reste à savoir maintenant à quoi ressemblera la suite. L’opération survie est accomplie, l’étape réinvention s’annonce beaucoup plus ardue. ✎ Hervé www.indiepoprock.fr

Pinku Saido est un groupe basé à Lyon avec quelques têtes connues dedans (je crois bien avoir déjà avoir croisé le guitariste quelques fois) et dont voici la toute première démo, enregistrée à la maison, au local de répète quoi, publiée uniquement en cassette et écoutable à vie sur le bandcamp du groupe. Pour un machin enregistré avec les moyens du bord et mixé au fond des chiottes, le résultat est plus que convaincant. D’abord parce que le punk-rock de Pinku Saido est enrichi d’une bonne dose de mélodies psyché qui donne un attrait certain à cette démo qui contient ainsi quelques titres qui ne seraient pas loin de devenir des tubes avec une bonne prod. Et puis il y a le chant féminin et en japonais qui, en dépit d’une prise de son un peu aléatoire, attire inévitablement l’oreille. Oui, c’est beau le japonais. Et ça colle parfaitement à cette musique de jeunesse éternelle. Aux dernières nouvelles Pinku Saido aurait enregistré un vrai disque, dans de bonnes conditions, en studio donc, un disque prévu pour le courant de l’année 2017. On en reparlera en temps voulu, et en attendant laissez-moi terminer mon pain-frites tranquillement.

Véritable coup de cœur sur scène, ce trio de Lausanne en Suisse, au nom intrigant et à la configuration originale, risque bien d’en surprendre un grand nombre avec ce premier album éponyme abrasif à contre-courant. Mené par le guitariste compositeur David Doyon, gourou exalté au jeu inimitable et survolté, Ap0llonius AbRaham ScHwartz est l’incarnation du groupe qui fait réfléchir son public tout en lui faisant remuer la tête et taper du pied ! Jusqu’à un certain point, il est vrai, étant donné la richesse rythmique affichée. Complexe et abordable à la fois, le trio s’alimente de sons de guitares tantôt doux tantôt grinçants mais aussi et pour le coup, d’une originalité déconcertante avec la présence du saxophone baryton de Laurent Waeber. Remplaçant d’une basse en quelque sorte, il réussit à administrer une touche de mélodie profonde que d’autres instruments ne permettraient pas d’obtenir. Autre élément indispensable et d’une flamboyance toute particulière, la batterie de Dominic Frey, magicien des fûts, cymbales et autre wok. Il amène une dynamique élégante et ravageuse, même dans les signatures rythmiques les plus asymétriques. Certains morceaux dominent par leurs phrases accrocheuses, pertinentes et démonstratives comme dans « Scum », « Le Baron vampire » ou « Lamellirostre », ceux plus courts servant de sas de décompression et d’expérimentations comme « Odessa » ou « Le miel de Dersim ». Tout est idéalement agencé pour produire l’effet de rebondissements et à la fois d’homogénéité. Il y a toujours de l’intention pour le meilleur des effets. Ap0llonius AbRaham ScHwartz signe ici une perle à la fois de RIO mais aussi de mathrock, le véritable, celui qui sait compter, empiler, décaler, déconstruire. L’écriture soignée démontre que l’expérimentation n’est pas le fruit du hasard ou d’une improvisation approximative ou fortuite mais bien d’une réflexion profonde, ancrée dans les divers recoins du rock et du jazz dont les sonorités se mélangent ici à foison. Brillant ! ✎ Alexandre Lézy www.chromatique.net

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ATYPEEK MAG #01

OCT./NOV./DEC. 2016

Pinku Saido ©DR

✎ Hazam

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ZËRO ©DR

Date de sortie : 26/02/2015 Durée : 35 min Nationalité : FR Styles : INDIE / NOISE

Zëro

Date de sortie : 30/09/2016 Durée : 48 min Nationalité : GE Styles : ELECRONIC EXPéRIMENTAL

Felix Kubin & Das Mineralorchester

San Francisco (Ici d’ailleurs)

II : Music For Film and Theatre ((Dekorder))

Une fois de plus concis, San Francisco montre un Zëro prototypique dans ses envies d’exploration et d’ouverture. De Places Where We Go In Dreams, Zëro n’a gardé que le monochrome, la dichotomie et la concision. Cette fois-ci, la pochette est rouge mais renferme toujours des morceaux tiraillés entre élans cinématographiques et fulgurances noise, tour à tour oniriques et tendus et l’ensemble est plutôt ramassé dans le temps. Ça n’a d’ailleurs pas dû être une mince affaire de distribuer des morceaux aussi disparates que Lac Baïkal, plutôt posé et synthétique, Cheap Dream Elevator, très pop (voire virevoltant) et Cracking par exemple, plus prototypique de Zëro et donc plus incisif, sans rompre le paradigme. Triturant en permanence la matière sonore, ce cinquième album est tout à la fois indivisible et éclaté. Pourtant, Zëro n’arrondit aucunement ses angles, la tension reste intacte et bien présente mais elle peut désormais naître d’une ataraxie qui lui sied joliment. Le dernier morceau éponyme est d’ailleurs très représentatif de cette langueur nouvelle. Porté par une batterie à peine effleurée et un motif de guitare hypnotique, il nous emmène dans une forme d’errance qui perdure longtemps après que la dernière note se soit tue. Et puis il y a aussi Ich… Ein Groupie, planqué en deuxième position, qui expose au grand jour des racines pop plutôt bien cachées jusqu’ici (mais pas absentes), comme si le trio avait voulu ouvrir les fenêtres en grand pour pousser les murs et changer de focale. Quelque chose comme un grand-angle encore plus grand. Ce qui fait sans doute de San Francisco l’album le plus varié de Zëro, le plus libre aussi. Alors bien sûr, il fait partie des murs - c’est bien ce que montre la pochette - mais en s’autorisant tout sans jamais faire n’importe quoi, Zëro continue à surprendre, de plus en plus libre, de plus en plus serein. Et toujours pertinent. ✎ Leoluce www.indierockmag.com

Artiste inclassable et fondateur du label Gagarin Records, Felix Kubin joue depuis plus d’un quart de siècle à contourner les genres et les faire exploser au contact de ses désirs, mélangeant une certaine dose d’humour et de dadaïsme, de collages improbables et de musique concrète complètement décervelée, de punk attitude et de noise avec son groupe Klangkrieg avec Tim Buhre, de pop déviante à l’image des albums sortis aux cotés de Pia Burnette. Felix Kubin a aussi beaucoup composé pour le théâtre, la radio et le cinéma. Avec cette compilation II : Music For Film and Theatre, il regroupe des titres réalisés pour la pièce de théâtre Makbet Remix du polonais Robert Florczak ainsi que la B.O. du film d’animation Somnambule de Hanke Feuchtenberger, entre autres., où l’on peut apprécier toute la diversité de l’artiste allemand, alternant les registres et les ambiances, capable de jouer avec les collages ou les compositions orchestrales, de faire exploser les rythmes en vol avant de nous rattraper à coups de cordes ou d’expérimentations enivrantes. Felix Kubin est doté d’une solide capacité à élaborer des titres, qui même sortis de leur contexte continuent de créer leur lot d’images et d’écrire leurs propres histoires de par leur puissance évocatrice, énorme chaudron magique où le trip hop peut se muer en électro inquiétante, où l’expérimental peut virer au jeu d’enfant doté d’un humour couperet aux airs d’innocence pernicieuse. Une partie seulement du talent de Félix Kubin est concentré à travers cette compilation, parfaite introduction au monde d’un producteur au talent hors-norme. Jouissif. ✎ Roland Torres www.silenceandsound.me Felix Kubin ©Martha Colburn

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ATYPEEK MAG #01

OCT./NOV./DEC. 2016

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GABRIEL HIBERT ©HAZAM

ALBUMS

Date de sortie : 15/10/2016 Durée : 28 min Nationalité : FR Styles : DRONE / EXPERIMENTAL

GABRIEL HIBERT ABDUCTé (Atypeek Music/Tandori Records/Permafrost/ Who’s brain Records/Econore/Cheap Satanism Records/ KdB Records)

Gabriel Hibert est un artiste visuel et sonore de Toulouse. Il joue avec ses tomes de batterie comme un vidéaste explore les mouvements ou comme un peintre s’aventure dans la palette colorimétrique. Accélération, ralentis. Étalages, rétentions. Entre amas et glissements, sa musique joue des tensions et des ambiances, parfois onirique, parfois plus rentre-dedans. Après deux albums autoproduits, Peindre et ne rien foutre (2014) et Désenvoûtement (2015), son rock expérimental laisse avec ce nouvel album une place plus grande aux samples, créant un univers cotonneux perturbé par la puissance des percussions. Celles-ci, souvent très brutes et peu retraitées, entrent alors en communication/conflit avec des habillages sonores fantomatiques, feutrés, mouvants, mais qui peuvent aussi se faire assez décalés, inconfortables, lorgnant carrément du côté de l’industriel et de la noise (“Pianoté”). Saturations, dissonances, l’univers est riche, physique, bouillonnant. On pense au Bästard de la grande époque, mais en plus sale et torturé. La musique pioche dans des sources éparses (prog, soundtracks, musique contemporaine, math rock, bruitisme…) afin de créer son propre maelstrom ultra-personnel, évoquant poésie chaude et orageuse (le caniculaire “Inertie”), élévations épiques (“Nimbus”), grouillances visqueuses (“Acariens”), symphonies apocalyptiques (“Matière”) et autres courses-poursuites hallucinées dans des espaces vastes et sauvages (“Guirlandes”). Un album-trip brillant, qui évoque plein d’images, parfois déstabilisantes, mais dont on a du mal à se défaire. GABRIEL HIBERT ©HAZAM

✎ M.L.

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ATYPEEK MAG #01

OCT./NOV./DEC. 2016


ALBUMS

Date de sortie : 14/10/2016 Durée : 36 min Nationalité : CA Styles : punk rock electro

Date de sortie : 29/02/2016 Durée : 53 min Nationalité : CH Styles : Avant Garde

SPOOK

Duchess Says

Date de sortie : 08 /10/16 Durée : 27 min Nationalité : JP Styles : Ambient Drone

Teruyuki Nobuchika

Sciences Nouvelles (Bonsound)

Blurred heads and scrambled eggs

Still Air (OKTAF)

Crachant ce que le post-rock doit au garage rock des années 70, tambourinant ce que les années 80 peuvent avoir de grungy et de dance, Duchess Says ne fait pas de jaloux et pioche dans tout ce qui peut étancher sa soif de raffut. Alors que la noble montréalaise essuie ses lèvres encore humides d’eau et de sueur, l’electro coule de nouveau à flot dans son dernier album Sciences Nouvelles. La version inquiétante d’une ambiance dancefloor eighties convient complètement aux titres Travailler et I Repeat Myself. De la même façon, le souffle chaud d’un riff agressif et menaçant sied à merveille à Negative Thoughts et à Pink Coffin qui virent dans le punk hardcore tendance métal industriel. Dans les deux cas, s’invitent les sinuosités glacées propres à la Cold Wave. La chanteuse-claviériste A-Claude conserve toujours un cri de guerre planqué derrière son apparente nonchalance. À l’occasion, les touches du clavier massacré se transforment en tomes improvisés victimes de sa soudaine crise de fureur. L’instabilité de ses lignes vocales, à la limite de l’onomatopée robotique, lui confère une spontanéité et une fraîcheur surprenante. Tiraillée entre Joan Jett et Catherine Ringer, elle tient le crachoir en anglais comme en français tout en venant grossir généreusement le club des gueulardes désinhibées du rock and roll. Décomplexée de la décibel, A-Claude aime à rugir de toute sa voix haut perchée qui joue l’harmonie pour mieux s’en détacher et lui préférer un fracas provocant digne des guitares tronçonnées de Wendy O. Williams. Sur l’échelle du tapage jubilatoire, le jeu guitare-batterie d’Ismaël et de Phil C n’est d’ailleurs pas si éloigné du heavy metal des Plasmatics. Il s’en écarte sur les parties dansantes où leurs atmosphères à la Siouxsie and The Banshees se heurtent aux orchestrations vintage de Madness. Le batteur Simon Says ne manque donc pas de sollicitations, lui qui doit naviguer à coups fermes de baguettes entre les rives inondées de saturations sombres et celles submergées par un kitsch désarmant et dézingué.

(Atypeek Music / Pied de Biche)

La musique de Teruyuki Nobuchika prend ses aises dès les premières secondes, apprivoisant l’espace avec parcimonie, déployant ses ailes de poussière et de métal avec délicatesse, enveloppant chaque milli-seconde de grâce suspendue.

✎ Jonathan Allirand

Vous vous souvenez sans doute de cette scène des “Tontons flingueurs”, film culte du cinéma populaire français, où l’on voit le jeune Antoine De La Foy, incarné par Claude Rich, se livrer dans son appartement à des expériences sonores à partir de robinets qui fuient et de balles de ping-pong jetées sur des cymbales, à la recherche de l’anti-accord absolu et de la musique des sphères. Eh bien, je peux vous annoncer que l’anti-accord absolu a été découvert et que le secret de la musique des sphères a été percé par Spook, un trio suisse dont les musiciens très éduqués et très sérieux se livrent à des facéties bruitistes en provenance directe d’une autre dimension. Spook se forme en 2015 avec la rencontre de trois musiciens aux pedigrees divers. Ensemble, les trois membres de Spook croisent tout un bagage d’expériences variées et réalisent sur leur premier album “Blurred heads and scrambled eggs” un assemblage on ne peut plus audacieux dans l’avant-garde expérimentale bruitiste. Ceux qui aiment les travailleurs de l’amer, les vices dans la vallée, les bateaux ivres et autres défenseurs de musiques ubuesques, pourront se plonger dans des couloirs resserrés d’où dégringolent des crissements de guitare, des rafales de baffes électroniques, des clapotis de vibrations condensées, des rythmiques déglinguées, des borborygmes poisseux et de longues promenades chahutées sur des sables mouvants. Bref tout ceci est aussi passionnant pour l’amateur éclairé d’avant-garde underground inclassable qu’il est insupportable à celui qui aime les compositions bien structurées, avec des paroles polies et des partitions instrumentales parfaitement identifiables. En tant que promoteur amusé de l’insoluble, je préconise un passage dans ce genre d’expériences, ne serait-ce que pour découvrir que les plafonds de verre qui séparent la logique de l’illogique peuvent être brisés.

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✎ François Becquart www.musicinbelgium.net

Auteur d’albums sur des labels comme sur Schole et Nature Bliss, c’est aujourd’hui sur OKTAF, fondé par Marsen Jules, qu’il sort son nouvel opus, aux allures de mini-album de par sa durée de 28 minutes, qui ne laisse pas de place à la longueur, ce qui est plutôt rare dans les musiques dites ambient qui aiment en général s’étirer, pour laisser parler et déployer leurs compositions. Still Air porte bien son nom, tant il ondule entre chaque mesure, chaque collage, des bribes de cordes emprisonnées oscillant entre les flottements de mélodies échappées de contes lacustres aux lettres aquatiques. Teruyuki Nobuchika compose un ambient secoué de spasmes vertigineux, desquels s’échappe le temps, perdant ses bases pour se fondre dans un magma de forces électro-acoustiques à la modularité intrinsèque. Tout en intériorité et en chocs moelleux, Still Air déverse une pluie de pianos sur des compositions perméables à la beauté qui passe, laissant ses rides faire leur travail sur des surfaces de field recording à la virginité immaculée, bousculé par des rythmes cachés sous des orchestrations minimales à la splendeur élégante. Tout en abstraction électro-acoustique et en bruissements subtiles, Teruyuki Nobuchika déploie un arsenal de miniatures précieuses, construites autour de souffles caressants et de vagues chancelantes, de bruissements légers et d’énergie rampante libérant un déferlement de vertus apaisantes canalisées sous des couches de frémissements éthérés.

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✎ Roland Torres www.silenceandsound.me ATYPEEK MAG #01

OCT./NOV./DEC. 2016

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ALBUMS

Date de sortie : 04/11/2016 Durée : 60 min Nationalité : FR Styles : post-jazz post-rock rock in opposition

CHROMB !

Date de sortie : 19/09/2016 Durée : 31 min Nationalité : US Styles : Experimental/ Electronic

Date de sortie : 15/06/2015 Durée : 29 min Nationalité : FR Styles : MATH-ROCK

ÇA

D/P/I

1000 (ATYPEEK MUSIC/DUR ET DOUX)

24615 (Vox Project / ATYPEEK Music)

Compose (Shelter Press)

Troisième album de CHROMB ! – ouais ben désolé si ça fait un peu mal aux yeux mais le groupe insiste pour que l’on orthographie son nom en MAJUSCULES et avec un point d’exclamation –, 1000 est le premier sur lequel figure le batteur Léo Dumont (Kouma, Polymorphie, etc) alors autant dire que j’attendais ça avec une impatience certaine. Après deux disques réussis mais se ressemblant peut-être un peu trop, disons que le deuxième était trop une redite du premier, il était temps pour CHROMB ! de faire ses nouvelles preuves, de dégager encore un peu plus ses horizons. Avec cette faculté d’inventivité constante que possèdent ces quatre musiciens aguerris mais pas sclérosés par leur technique, on pouvait certes garder bon espoir… et le résultat est bluffant dès les premières écoutes, CHROMB ! est toujours ce gentil troll déambulant dans des cavernes fleuries déguisé en lutin facétieux et expert en mélodies aussi improbables que coupablement délicieuses. Mais ce qui frappe avant tout, derrière l’apparente folie et les pitreries qui volent dans tous les sens (Des Francis en Quinconce ou Il En Fallait), c’est la douceur de cette musique. Oui, vous avez bien lu : je parle de douceur, je pourrais aussi parler de tendresse, et sans doute cette tonalité est-elle le résultat d’un enregistrement pour lequel le groupe a pris davantage son temps. Ce qui me fait dire cela, c’est – entre autres – un travail enrichi sur les voix (Bobby) et cette impression, quasi permanente, d’une mélancolie toujours pas très loin (malgré la loufoquerie de certains textes). 1000 regorge bien évidemment de moult bizarreries, de grosses poilades et d’invitations à zooker ferme (Bonjoure et son sens ascensionnel du pogo) mais globalement CHROMB ! est un groupe de velours qui fait rire pour tenter de faire diversion – sans compter, mais il me semble aussi avoir déjà écrit cela quelque part à propos de CHROMB !, qu’il faut savoir faire preuve d’une intelligence et d’une sensibilité certaines pour avoir l’air aussi magnifiquement stupide, un constat plus que jamais d’actualité avec 1000.

Quand je dis qu’en France, on a une super scène dite « math-rock » (comprendre rock complexe et technique), j’arrive à percevoir dans le regard de mes interlocuteurs comme un doute s’installer. Alors, soit personne ne bouge son cul au concert en mode découverte (qui ne coûte jamais grandchose), soit les gens ne lisent pas les bons papiers ou webzines, soit ils sont réfractaires à la nouveauté et considèrent que les anglos ont déjà tout réalisé en la matière. Là, je vous ai dégoté un petit groupe de Saint-Étienne qui s’appelle Ça (pas de blagues, merci) et qui fait partie d’un obscur collectif se nommant Vox Project. Pourtant dans ce trio, la voix n’est que peu présente, ou alors juste pour des onomatopées que je ne décrirai pas ici. Sa musique sent bon l’odeur des jam-sessions interminables, un bordel organisé dans lequel ressort un son cru provenant des scènes free-rock et jazz-funk. C’est technique, le tout s’emboîte bien, les guitares passent leur temps à crier ou à pleurer, font du yo-yo émotionnel avec une section rythmique très solide et syncopée derrière. Un peu comme si Ni rencontrait 31Knots. D’autres combinaisons sont possibles, mais ne comptez pas sur moi pour vous mâcher le travail. Commencer par vous jeter sur ce disque… et sur le dernier EP plus récent (oui, le W-Fenec est toujours à la page...). ✎ Ted www.w-fenec.org

Multi-instrumentiste (saxophone, guitare, batterie), DJ et membre de formations aussi diverses que Duos & Quartets, Sun Araw Trios, évoluant sous le pseudo de Deep Magic, l’américain Alex Gray dévoile sous l’alias de D/P/I (Dj Purple Image) une autre facette de son pouvoir créatif. Axé sur les rythmes dans leur globalité et leur puissance de feu, Composer n’aborde aucun genre dans son absolu tout en ébauchant de nouvelles pistes, celui du hasard et du pouvoir d’arrangements savamment agencés dans un semblant de chaos, où tout peut être source de rythmiques à la précision chirurgicale ou à l’habileté accidentelle, surgie de l’organique ou l’électronique. Œuvre conceptuelle s’il en est, il n’y a qu’à jeter un œil sur l’explication derrière Composer, disponible sur le site du label Shelter Press, pour comprendre que cet assemblage de sonorités disparates et hétéroclites n’est pas le fruit d’un artiste tapotant maladivement sur son clavier pour tenter de brouiller les pistes disponibles. D/P/I joue avec une virtualité omniprésente, gorgée de résonances internet et de jeux pour consoles vidéos, qui soulèvent la question fondamentale de la création dans son ensemble, où collages, glitches en tous genres et abstraction sonore forment un ensemble dense et bondissant, de prime abord foutraque pour le quidam, mais passionnant pour celui saura s’y plonger avec recul, nous entraînant avec lui dans des sphères qui ont fait leur entrée depuis quelques années dans les dancefloors expérimentaux via des structures comme PC Music entre autres, tout en sachant préserver sa spécificité et sa singularité. Si Composer peut sembler un album glacial, débordant d’enchevêtrements mécaniques et de pulsations robotiques, de cafouillis cataclysmique et de fatras organise, il n’en reste pas moins une œuvre captivante et abrasive, surgie du cerveau d’un artiste repoussant les questions obsolètes pour en soulever d’autres plus philosophiques. ✎ Roland Torres www.silenceandsound.me

✎ Hazam

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ATYPEEK MAG #01

OCT./NOV./DEC. 2016

ça ©Christophe Féray

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Date de sortie : 15/02/2015 Durée : 41 min Nationalité : US Styles : POST-ROCK EXPéRIMENTAL

Enablers

ENABLERS ©Christophe Féray

ALBUMS

Date de sortie : 15/09/2016 Durée : 30 min Nationalité : US Styles : experimental post-punk

ATTIC TED

The rightful pivot (Exile on Mainstream / Atypeek)

Parade Dust Mischief (Pecan Crazy)

Quasi 4 ans après Blown realms and stalled explosions, Enablers revient avec un album intitulé The rightful pivot. La pochette est classe, le contenu va s’avérer l’être aussi mais comment en douter avec un groupe de cette trempe. Un disque d’Enablers, ça commence souvent par un titre dantesque (remember “Patton”) puis la musique à tendance à se faire oublier pour rechoper périodiquement l’attention grâce à la prose vindicative de leur frontman et des instrumentations toujours méticuleuses. Et titre d’ouverture génial il y a avec “Went right” et ses “what the fuck white boy” animés par le toujours aussi sur-habité Pete Simonelli et des motifs musicaux en mode montagne-russe, assez agressif mais pas trop quand même. Sur cette première piste, le Enablers qui allait chercher l’auditeur par la peau du dos semble être toujours présent. Le deuxième titre, “She calls after you”, est aussi une belle réussite, une mise en (haute) tension qui n’éclate finalement jamais. En allant plus loin dans les écoutes, on s’aperçoit bien vite que The rightful pivot est un excellent cru, dans la lignée qualitative du précédent et même quelques crans au dessus. La maîtrise des musiciens a déjà été largement prouvé, les 6 pistes suivantes ne vont qu’enfoncer le clou. Comment en effet ne pas céder aux 9 minutes de “Look” qui cumule bien des atouts : cette voix charismatique, la guitare cristalline et éthérée, les arrangements parcimonieux de cordes, ces chœurs très surprenants à la David Bowie ... Si en plus, le groupe se renouvelle dans le propos, il y a de quoi être subjugué... Le dernier morceau “Enopolis” étonne et détonne positivement : cela commence comme du Enablers tout craché puis Sam Ospovat, le batteur, s’illustre par un jeu free désarticulé, l’onirisme qui se dégage des arrangements tandis que Pete vient jouer les troubles fêtes au sein d’un titre atypique et foutrement beau... Bref, une fort belle manière de clouer le bec aux sceptiques. Il y en a ? ✎ Cactus www.w-fenec.org

Célébrité texane, Attic Ted parcourt les États-Unis et l’Europe depuis bientôt quinze ans avec son cirque itinérant country-post-punk déjanté et ses personnages masqués “Old Man Ted” et la cantatrice décomplexée “Virginia Black”. Une dizaine de disques sont parus sur le label de San Marcos, Pecan Crazy, inclus les albums Attic Ted (2003), Bastardized Country Carnival (2004), Hemogoblin (2005), Land Suite (2006) et Marginalized (2012). Avec ce nouvel opus, sous format vinyle multi-couleurs, le projet, héritier de l’esprit délirant des Butthole Surfers et Residents, se révèle toujours aussi allumé : vieux sons d’orgues, guitares country, rythmiques punk speedées, clarinette déglinguée, harmonica, violon, bidouillages électroniques sur cassettes et chant schizophrène. Enregistré de façon analogique par Paul D. Millar, Parade Dust Mischief garde le grain incroyable et enraciné des précédents opus, mais avec une densité de sons très riche due au fait qu’un bon nombre d’invités se sont rejoints autour du maître à penser Grady Roper : Coby Cardosa, Sam Sayre VanDelinder, James Roo, Wade Driver, Karl Kummerle… C’est donc un Attic Ted version big band auquel nous avons droit, et pour qui a déjà vu le bonhomme sur scène, la sélection reprend huit morceaux qui sont devenus des must lors des performances de ces dernières années. Parmi ceux-ci, on trouve deux reprises, “Take me back to Tulsa” de Bob Wills and the Texas Playboys et un air traditionnel datant de la première guerre mondiale, “How you gonna keep ‘em down on the Farm”, histoire de bien implanter la musique dans le Sud rural et un univers bien typé redneck. Entre un hommage aux super-héros (“Batman”) et une valse sur les mésaventures sexuelles (“Unprotected Sex”), les morceaux, aussi fous qu’ils soient, racontent chacun des petites histoires et prouvent un vrai talent de songwriting. Une plongée dans une fête éthylique, énergique jusqu’à l’hystérie, à la fois drôle et cauchemardesque et qui donne surtout envie de sauter partout (“Next Time”, “So It Goes”).

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✎ Maxime Lachaud ATYPEEK MAG #01

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- DH221-015

Heliogabale

Yolk + To Pee

Me ur sa ul t

Les Disques du Hangar 221

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- DH221-015

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Les Disques du Hangar 221

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discographie disponible sur : www.cd1d.com

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The Fourth is Bearded

Heliogabale

Yolk + To Pee


ALBUMS

Date de sortie : 2016 Durée : 21min Nationalité : US Styles : classical electronic / queer r’n’b

Date de sortie : 18/04/2015 Durée : 35 min Nationalité : FR Styles : Noise

MEMBRANE Reflect Your Pain

Serpentwithfeet

(Basement Apes Industries / Atypeek Music)

Blisters (Tri Angle)

Du split avec Sofy Major, on a failli passer au split tout court mais après un court passage dans les limbes, Membrane a refait surface.

Chez Josiah Wise alias Serpentwithfeet, la beauté a trouvé son chantre. De celle qui renverse les sens avec douceur et singularité. Avec son premier EP Blisters, il rentre directement par la porte des grands. Après s’être cherché pendant quelques années avant de sortir Blisters, Serpentwithfeet a étudié les techniques vocales, histoire d’exploiter au maximum ses propres ressources et donner toute son ampleur à sa voix exceptionnelle, qui puise merveilleusement dans le passé, mélangeant instrumentation classique auréolée de soul, de gospel et de r’n’b pour un univers qui ne donne aucune emprise sur les référents. Appuyé par la production de The Haxan Cloak (Björk, The Body…), l’univers de Josiah Wise est aux croisées de mondes qui se touchent et se regardent, s’assemblent et communient, pour donner naissance à des titres à la sensibilité à fleur de peau. Souvent comparé à Frank Ocean, par sa façon d’aborder la musique de manière décalée, L’américain s’en détache de par sa force de proposition, qui n’est pas sans évoquer les grandes chanteuses de Jazz et la musique classique, le tout sous couvert de contemporanéité retournante, pour un r’n’b gorgé de viscéralité et de délicatesse à l’élégance bouleversante. VITAL. ✎ Roland Torres www.silenceandsound.me

Inspiré par les tréfonds des remaniements de personnel, le trio a joué aux chaises musicales, Nico prenant le chant en plus de la guitare et trouvant en Max (batteur de Run of Lava et Feet in the Air) puis Alban (bassiste mais aussi chanteur), les pièces manquantes à la survie du projet. Pour autant l’âme tourmentée de Membrane est toujours là : les riffs noisy tombent comme des grêles, la saturation est lugubre, la rythmique étouffante, les chants de Nico et Alban fidèles à la tradition noise/presque claire ou filtrée juste ce qu’il faut pour hérisser les poils. Dans cet océan de noirceur les gars ont pensé à, de temps à autres, calmer le jeu histoire d’appesantir encore davantage le propos jusqu’à l’étouffement mais aussi à convier Floriane qui oeuvre pour le label Impure muzik (et a joué avec Joss (de Gantz et Hiro au sein de You Witches) sur deux titres (“Breath” et “Lonesome”) où sa voix limpide éclaire un ensemble que le trio rend encore plus sombre pour la mettre en valeur.

L’aventure aurait pu se terminer mais il en est tout autrement, le changement c’est maintenant et comme c’est dans la continuité, c’est réussi.

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✎ Oli www.w-fenec.org

Jacques Thollot Quand Le Son Devient Aigu, Jeter La Girafe À La Mer. (FUTURA MARGE /Atypeek Music)

Serpentwithfeet ©DR

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Gaika ©DR

Avec Yann Marchadour, Membrane n’a enregistré que 6 titres mais on sent à travers cette grosse demie-heure qu’ils étaient pressés de revenir aux affaires, non pas que les morceaux soient bâclés (bien au contraire, si tu as compris le travail réalisé sur l’artwork, tu sais qu’ils ne laissent rien au hasard) mais les idées semblent simples, directes, le combo a cherché l’efficacité dans des schémas qui ont fait son identité et sa marque de fabrique.

Date de sortie : 1971 Durée : 44 min Nationalité : FR Styles : AVANT GARDE Free Jazz Modern Classical Contemporary Jazz

Énorme album que ce “Quand le Son Devient Aigu, Jeter la Girafe à la Mer”. Énorme par le titre, l’approche surréaliste, et l’excellence de son propos. Fort prisé pour sa rareté (comme beaucoup de disques parus sur le label Futura), il voit enfin le jour en réédition cd pour le plus grand bonheur de quelques nostalgiques et surtout, je l’espère, de bon nombre de curieux, toujours prêts à s’envoyer en travers des oreilles des pièces musicales sur lesquelles le temps n’a pas de prise. Fruit du travail du seul Jacques Thollot, batteur de son état, qui revêt ici toutes les casquettes, l’album a des allures de rêves hallucinogènes saupoudrés de connotations jazz largement inspirées du free. Ce qui ne l’empêche pas de nous surprendre, dans un premier temps, pour mieux nous happer, dans un second temps, avec ses mélodies boiteuses, trafiquées, réarrangées par bandes magnétiques triturées, recomposées, accélérées et/ ou décélérées (“Enlevez les Boutons, le Croiseur se Désagrège”). Avec une économie de moyen propre à la technologie d’époque, Thollot dessine là peut-être sans le savoir ce que deux décennies plus tard les chantres de l’abstraction électronique s’évertueront à créer en appuyant seulement sur la touche Enter de leur ordinateur (le magnifique “Cécile”). On frôle la musique de chambre sur “Quiet Days in Prison” et son violon plaintif derrière un piano toujours aussi solennel, quand il ne se montre pas fiévreux et fourbe dans des attaques percussives à la Cecil Taylor (“Aussi Large que Long”). Une pointe d’approche progressive dans ces constructions alambiquées (les très courts “N.G.A.” ou “A Suivre”, ou encore la plage titre, relativement Zappaesque). Dans la plupart des cas, une grande partie des titres présentés ici demeurent une opportunité unique pour le batteur de démontrer tout son savoir-faire derrière fûts et cymbales, armés de balais ou de baguettes. Un disque proprement inclassable, qui doit autant au jazz qu’à la musique contemporaine, à la musique progressive qu’aux prémices de la musique électronique. ✎ www.gutsofdarkness.com

ATYPEEK MAG #01

OCT./NOV./DEC. 2016

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Date de sortie : 2/09/2016 Durée : 65 min Nationalité : US Styles : Hip-Hop Rap

ISAIAH RASHAD THE SUN’S TIRADE (Jihane Mriouah) Avec son premier LP, le rappeur de Chattanooga laisse sa poker-face au placard et joue cartes sur table dans un album où il expose sans fausse pudeur ses combats intérieurs. Dans un spleen moderne, Isaiah Rashad parle de dépression et d’addiction avec une honnêteté rafraîchissante dans un rap game où l’image du gangster se propage comme la gangrène, pour reprendre les mots d’IAM. À l’écoute attentive de « The Sun’s Tirade », on comprend qu’il a fallu trois ans à Isaiah Rashad pour changer la donne suite à « Civilia Demo ». En abattant correctement les cartes dont il disposait, le rappeur a également réussi, en parallèle, à sortir vainqueur du face-à-face qui l’opposait à Top Dawg Entertainment dans une partie qui était pourtant mal engagée pour lui. « The Sun’s Tirade » participe à un changement de paradigme dans la culture noire auquel contribuent les sorties de TDE depuis « To Pimp A Butterfly » de Kendrick Lamar. Ce dernier est un exposé quasi académique de la condition noire : c’est à coups d’éléments historiques, de symboles habilement manipulés et de réflexions appelant directement à l’introspection que Kendrick introduit les bases d’un changement dans les mentalités. En rappelant les stigmates de l’esclavage. C’est dans ce contexte qu’Isaiah Rashad délivre son album. Dès l’intro, avec un morceau intitulé “4r Da Squaw” verni d’un gloss du sud, le rappeur adresse la question et ouvre un nouveau chapitre au cycle décrit précédemment. Il suffit de quelques phases pour qu’on se rende compte à quel point le rimeur du Tennessee au flow d’une aisance jubilatoire nous avait manqué. Pourtant, le prodige va droit au but et introduit les concepts fondamentaux d’un album exutoire : argent, addictions, dépression, famille. À contre-pied du rapport à l’argent véhiculé par la tendance trap qui prédomine depuis maintenant trois ans, Zay parle de son angoisse de père de famille qui cherche à joindre les deux bouts. “If I can pay my bills I’m good.” Dans un paysage rap où siroter du Hennessy toute la journée est signe de virilité, il décrit son rapport destructeur avec l’alcool, avec le désir constant d’apaiser des souffrances : It was heaven at the bottom and peace from throwin’ up.Enfin, alors que l’image du cowboy solitaire domine dans l’imaginaire hip-hop, Isaiah Rashad place sa famille au centre de ses préoccupations, en particulier son fils Yari et sa mère : “Hey

mama, mama. I got some dollars for your bills yo » L’album est un remède contre la monotonie, varie les rythmes, les couleurs, les textures. Les tracks en deux chapitres avec des changements de beats (“Rope / Rosegold”, “Stuck in The Mud”) parlent de transformation même dans leur structure. Les lignes de basse sont réconfortantes. Et dans cette sombreur ambiante, certains morceaux sont d’une légèreté rafraîchissante (“Titty and Dollar”, “Dressed Like Rappers” “Find a Topic”). Vocalement, le rappeur joue également avec les sonorités de l’argot du Sud des États-Unis et varie le débit avec aisance. Du haut de ses 25 ans, le rappeur est passé par bien des combats. Parler de dépression, en reconnaître ses symptômes, retracer les racines de son mal-être : c’est le boulot de toute une vie pour certains d’entre nous. Dans les trois années qui se sont écoulées depuis « Civilia Demo », le jeune rappeur est passé par ces phases et en a fait une œuvre lucide, qui ne s’embourbe jamais dans l’autoflagellation et offre un ton positif, avec des flows enlevés et des productions aux sons apaisés et apaisants. Un spleen de 2016.

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✎ Jihane Mriouah www.surlmag.fr DANNY BROWN ©DR

ISAIAH RASHAD ©DR

ALBUMS


ALBUMS

Date de sortie : 27/09/2016 Durée : 49 min Nationalité : US Styles : Hip-Hop / Rap Gangsta / Abstract

DANNY BROWN ATROCITY EXHIBITION (Warp Records) On a toujours eu une affection particulière pour les rappeurs barjos, ces psychopathes du micro, doux dingues ou fous furieux, personnages incontrôlables dès lors qu’ils s’échappent de leur camisole, capables de susciter malaise et fascination. Un des premiers, proche de chez nous, que les plus anciens ont pu connaître était Benny B. Et oui. De l’autre côté de l’Atlantique, on pourrait citer Ol’ Dirty Bastard (paix à son âme), Eminem, Cage ou bien même Lil Jon ; qui ne les a pas écoutés franchir les limites avec un certain plaisir ? C’est d’ailleurs en partie la situation dénoncée par Vince Staples dans son clip pour “Senorita” : celle d’un rapspectacle écouté bien au chaud et à l’abri, nourri par la souffrance et le mal-être souvent non feint de ses interprètes. Le genre de personnages fascinants campés par des acteurs incontournables comme Danny Brown. Qui joue à fond de ce caractère, il faut l’admettre. “They don’t do it like this no more.” Que l’attente fut longue avant d’entendre le successeur de Old. Cet opus nous avait permis de diagnostiquer trois ans plus tôt à quel point Danny pouvait paraître bipolaire et tordu, que ce soit dans ses textes ou ses choix d’instrumentaux, allant jusqu’à diviser son album en deux parties. Le rappeur de Detroit n’a jamais eu peur des excès, tant qu’ils lui permettent de rester en vie pour rapper des trucs de ouf. Cette fois avec Atrocity Exhibition, qui sort chez Warp et non plus Fool’s Gold, Brown pousse le bouchon un peu plus loin. Connaissant les tendances dépressives du bonhomme, le voir jouer avec sa santé mentale et ses addictions tel un funambule maladroit mais chanceux nous fait retenir notre souffle, particulièrement quand il commence à partir en vrille. Ou plutôt dans un toboggan. Celui de “Downward Spiral”, sur lequel on glisse lentement mais sûrement dans les tréfonds de sa folie qu’il expose au son d’un sample mystérieux. Dans cette version contemporaine du terrier d’Alice, on tombe dans un obscur monde parallèle dans lequel les ghettos mal famés de Motor City sont un vaste asile psy transformé en fête foraine de l’instabilité mentale. Avec pilules, poudres et acides en libre service et stripclubs glauques à volonté. Danny Brown condense tout ce que Detroit, ville au riche passé musical, a de plus fascinant : cette décrépitude un peu glauque qui laisse place à un élan créatif en roue libre. Sa voix de

clown maléfique se marie parfaitement avec la samba infernale de “Dance in the Water” et la funk démoniaque de “Ain’t It Funny”. Quand il retrouve une voix plus posée sur “From The Ground” - avec un refrain un brin pop de Kelela qui apporte un peu de lumière - et “Tell Me What I Don’t Know”, on a l’impression qu’il change de personnalité d’une seconde à l’autre. Dans ce train fantôme en vagabondage dans son esprit l’accompagne à la prod un étrange gus, un anglais répondant au nom de Paul White. Collaborateur de longue date de Brown, on a également pu l’apercevoir sur des projets Stones Throw ou Mello Music Group. Il est ici le Dr Frankenstein, jouant à fusionner et manipuler des samples tout à fait originaux, minimalistes et déments. Par exemple pour le single “When It Rain” dont l’ambiance ressemble à la B.O. d’un film d’horreur des seventies. Pas étonnant puisque Paul White y sample une instru datant de 1968 de la compositrice Delia Derbyshire, la grand-mère de l’électro… Danny continue de faire occurrence de “chatte” et “seins” tout le temps. Mais le réduire à cela serait passer à côté de ses lyrics d’excentrique fumeur de dope, au point de qualifier son style de “Pneumonia”, avec les ad-libs de SchoolBoy Q se substituant à la quinte de toux. Danny Brown est allé chercher cette fois-ci dans un univers d’ordinaire peu familier des amateurs de rap pour densifier la substance de son album : le rock et le punk. Désormais chez Warp, un des seuls labels capables de trouver un créneau commercial pour des ovnis comme Gonjasufi, le MC de Detroit a certainement bénéficié de la liberté de ton à laquelle aspire tout artiste. Il a puisé chez Joy Division le titre de son LP. Puis il s’est offert une cure de jouvence en se baignant tout entier dans une essence de contre-culture punk. “Imma die like a rockstar”, disait-il déjà sur XXX. Plus que le son, c’est de nouveau l’attitude qui parle : souvent destroy, parfois hardcore, toujours là où on ne l’attend pas. Sexe, drogues et rock’n’roll. D’ailleurs, aucune piste de l’album ne sonne comme une redite. Voilà un cas à rendre curieux n’importe quel psychiatre. Atrocity Exhibition est l’album de Danny Brown qui sonde le mieux les recoins les plus sombres de son esprit sévèrement rongé par les substances acides. Son univers ‘holo-horrifique’ - dans le sens où l’on perçoit les projections de son imagination macabre - se dévoile à nous et permet de comprendre comme jamais les pensées qui l’habitent, et parfois le hantent. Cet album ne serait pas si démonstratif et (par)anormal sans l’étroite collaboration de Paul White, qui joue un rôle significatif derrière la caméra. Bon nombre d’auditeurs finiront en PLS sur un plancher grinçant, obsédés par des flashs de débauche et de souvenirs refoulés. Mais en usager averti qu’il est, Danny Brown nous administre avec Atrocity Exhibition la juste dose de cette musique qui se révèle être terriblement addictive et forte, très forte.

ALBUMS Top 5 DU MOMENT

By SURL, Bigger than hip-hop COMmENT LIRE UN QR CODE ? Pour lire un QR Code, il suffit de télécharger une application de lecture de QR Codes. D’ouvrir l’application et viser le QR Code avec l’appareil photo de son téléphone mobile et l’application lance l’écoute de la playlist.

SCHOOLBOY Q Blankface LP

Avançant visage masqué, réfugié derrière une théâtralisation millimétrée, l’ex-dealer de Long Beach fourgue toujours sa dose habituelle avec ce petit quelque chose de neuf. Ou comment, en 2016, le gangsta rap peut encore accoucher d’une œuvre excitante et pertinente.

MICK JENKINS

THE HEALING COMPONENT En invoquant aussi bien la spiritualité, le besoin de self esteem, que l’addiction et le manque, en comparant l’amour à une drogue douce, Mick Jenkins réussit une œuvre totale. Raison de plus pour écouter ce qu’il a à nous dire et appliquer son message, surtout par temps obscurs.

DAVE EAST KAIRI CHANNEL

Dave East, dont on vous parle depuis pas mal de temps et qui fait désormais partie des freshmen sélectionnés par le magazine XXL en 2016, vient de sortir un projet. Doué d’un indéniable sens de la rime, le emcee de East Harlem vient donc de balancer Kairi Channel qui mérite que vous y jetiez une oreille.

21 savage & METRO BOOMIN Savage mode

Réalisé par le prodige Metro Boomin, cet abum permet au rappeur transi de raconter avec impassibilité une existence marquée par la trap life d’ATL. Entre fusillades, parties de cartes et après-midi au cimetière. Glacial.

ISH DARR

Broken heart & Bankrolls IshDARR a jeté tellement d’huile sur le feu avec Old Soul, Young Spirit début 2015, qu’il a laissé tout le monde crépitant pour un deuxième projet. Le virage dark qu’il prend avec ce 2e album lui va très bien. Mais il nous avait prévenus : âme de vieux, esprit juvénile. À nous d’embrasser sa contradiction.

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✎ Sagitarius www.surlmag.fr

http://www.surlmag.fr


Date de sortie : 27/09/2016 Durée : 41 min Nationalité : JP Styles : downtempo electronic expérimental

Date de sortie : 25/09/2015 Durée : 41 min Nationalité : CA Styles : ElectroClash

IOKOI

PEACHES

Liquefy (-ous / Kudos Records)

RUB (I U She Music)

Pris dans un monde de science-fiction, notre société fait de moins en moins la différence en cyberréalité et quotidien envahi par la technologie. Avec son premier album, Liquefy, la suisso-italienne IOKOI construit un univers synthétique sur lequel plane la chaleur de sa voix, lien avec nos êtres de chair et de sang et de machines martiales.

Grande habituée de l’« explicit content », encline à dépasser le stade de l’allusion (“Dick in the Air”), no surprise si le dernier album de Peaches s’intitule Rub : frotter. Show sexy, visuel ultra provoc, lyrics trash… et pourtant, si on se laisse porter par la densité de son electroclash grisant et tactile, la musicalité de l’ensemble indique qu’il s’agit moins d’un matraquage sexuel de seconde zone qu’un superbe hommage à la sensualité. Cette sensualité présente dans chaque individu, indépendamment de toute conception de genre. Dans Rub comme dans toute sa discographie, Peaches questionne les notions de masculin/féminin en recherchant ce qui constitue leur ancrage commun. Les genres s’y apparentent à deux corps en quête de correspondances aboutissant à une naturelle fusion. Dans ce contexte, l’étourdissant riff Vaginoplasty ne fait pas seulement référence à une opération chirurgicale mais représente précisément un pont symbolique entre les genres. De la rencontre naît la friction et du frottement jaillit donc une force vitale qui inonde Rub de tracks aussi exubérantes que les coiffures de leur porte-voix barrée : “Sick in the Head”, “Dumb Fuck”. Mais Peaches est une barbare qui sait faire dans la dentelle et travaille aussi bien son sens de la bagarre à coups de boîte à rythmes que son sens du frisson brûlant. En témoignent des ballades comme “How You Like My Cut” dont la haute teneur en “fuck” n’enlève rien à l’ambiance feutrée. “Free Drink Ticket” fait preuve de la même retenu et calme les vrombissements de basses saturées pour laisser plus de place au flow. Bien sûr, Peaches ne s’enferme pas non plus dans une prison de discrétion. Elle n’hésite pas à le faire entendre sur la track éponyme “Rub” où ses variations vocales sensibles rappellent sa période glam rock. Cet album permet à Peaches de célébrer la sensualité au-delà des genres mais aussi de la clamer au-delà de l’âge, comme un droit naturel outrepassant le temps. “I Mean Something”, qui défend cette position, aurait pu être l’autre titre de l’opus.

Travaillant à composer et improviser des musiques pour des films muets de science-fiction des années 20-30, IOKOI reste une énigme, de par le manque d’informations la concernant, si ce n’est qu’elle a composé pour Yohji Yamamoto et collaboré avec le Swiss Institute of Incoherent Cinematography. Entre trip-hop évanescent, réminiscences 80 et R’n’B expérimental, Liquefy dresse des ponts entre les courants, laissant couler des mélodies en suspension, qui ne sont pas sans évoquer un mélange de Moloko et FKA Twigs, comblant des vides et recollant les morceaux de machines floutées, œuvres de l’homme et de son désir de maîtriser son environnement. Cinématographique de par ses modulations aux allures de scripte, la musique de IOKOI glisse entre les oreilles, ouvre des pistes pour en refermer d’autres, demande d’être domptée pour en apprécier sa richesse singulière, aux contours familiers et ses partis pris presque pop, tout en gardant les distances. Entre froideur moite et déviance inquiétante, Liquefy s’impose comme un album intriguant aux intonations futuristes, profondément enracinées dans notre époque. Envoûtant.

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IOKOI ©DR

✎ Roland Torres www.silenceandsound.me

✎ Jonathan Allirand 48

ATYPEEK MAG #01

OCT./NOV./DEC. 2016

PEACHES ©DR

ALBUMS


ALBUMS

Date de sortie : 27/05/2016 Durée : 64 min Nationalité : CA Styles : Clubbing Remix

PEACHES

Date de sortie : 23/09/2016 Durée : 46 min Nationalité : FR Styles : KRAUT / DRONE MATH ROCK

Electric Electric

Date de sortie : 31/10/2016 Durée : 9 min Nationalité : FR Styles : Indé ELECTRO / IMPRO

EMBOE

RUB Remix-Single (I U She Music)

III (Murailles Music, Kythibong)

Aléa Part 1 EP ( ATYPEEK MUSIC)

Rub qui passe au lustre du remix : l’entreprise ellemême est un jeu de mots complètement Peaches. On saura que sa générosité artistique va jusqu’au partage enthousiaste de sa matière musicale. Sorti une année auparavant, son dernier album se voit déjà refondu courant 2016. Peaches à l’initiative, productrices et artistes estimées aux manœuvres. Rub laisse donc découvrir sa toute nouvelle peau habillée par Maya Jane Coles, Maya Postepski, Paula Temple, Planningtorock, Simonne Jones… La dimension exclusivement féminine du crew est, selon Peaches elle-même, un résultat non calculé, celle-ci ayant réalisé ses demandes en fonction de coups de cœur. Les battements du dernier semblent audibles tout au long du brand new Rub drapé dans un ensemble de wild waves. La voix de la boss est samplée, calée sur des versions accélérées des beats originaux mais rarement modifiée. Le flow est décalé, les espaces entre les phrasés modifiés, mais là encore, la boss peut dormir sur les deux côtés de sa crête, les copines ne lui ont pas ratiboisé sa tignasse sauvage pendant son sommeil. En revanche, en background de la tracklist, l’empreinte hip-hop se déplace vers les champs flottants de l’indie electronic, la signature synthpop vers la house et le travail de songsinger vers celui de DJ. Chacune des collaboratrices apporte sa culture du clubbing dansant, suant et éreintant comme pour sortir le old Rub de ses velléités initiales de downtempo. Même si la cadence de base sied à ravir aux orchestrations originales, la clubbing impulsion possède un charisme festif qui permet de redécouvrir le potentiel de l’opus de départ. Il séduisait par la sinuosité des riffs, il captive maintenant par ces cycles rythmés. L’artwork de la pochette se décale aussi, passant d’une photo cocasse de la chanteuse en plein démembrement de sa propre tête à une photo...disons...encore plus Peaches que Peaches. À l’instar du visuel, l’album remixé décontenance sans surprendre car il conserve ce bon goût de mauvais goût dont l’excitée à la cime blonde détient le secret.

Ça démarre fort avec dix minutes d’un orage math rock industriel minimaliste nommé « Obs7 ». Les synthés analogiques te filent les jetons, la rythmique te met en transe. « C’est pas fini, Jean-Guy », lances-tu à ton ami lorsque tu le vois commencer à transpirer des yeux. Peut-être pensait-il se reposer un peu sur « Black Corée », moins agressif que la tempête qui vient juste de s’apaiser. Mais à présent on nage en pleine cold wave, avec les accompagnements synthétiques, la voix lointaine et monotone d’Éric Bentz. C’est totalement hypnotique, et moyennement joyeux. « Pas trop déprimé, René ? ». Il fait non de la tête, le regard perdu dans le vague. Tant mieux, parce que « Klimov », après un démarrage façon machine à laver en mode essorage, c’est à peu près le même topo, en beaucoup plus indus’. « Toujours en vie, Thierry ? ». C’est qu’il va lui falloir encore un peu d’endurance pour survivre aux sirènes d’alarme de « Dassault », presque psalmodiées sur les percussions polyrythmiques de « Les bêtes », ou à la grande orgie finale du frénétique « 17°00 ». « Une bière, Albert ? », lui fais-tu après que la dernière note ait fini de résonner et que le bras de lecture quitte le trente-trois tours pour revenir sur son perchoir. Il acquiesce lentement et expire un bon coup. Là, tu sais que ton ami t’aime et te déteste à la fois. Il t’aime parce qu’on n’entend pas tous les jours un album de cette trempe-là. Et il te déteste car il sait déjà qu’il ne pourra faire autrement ces prochains temps que de retourner vers cette chose envoûtante. Tu lui proposes une clope, il l’accepte, lui qui avait juré de ne plus y toucher. III, c’est un mélange de Battles époque Mirrored et de Future Days de Can, joués à la scie circulaire par des musiciens souffrant d’une épouvantable rage de dents. Un disque radical, violent, étouffant. Superbement interprété et produit. Une claque bienfaisante, une secousse tellurique salutaire qui te prend par les épaules, et te hurle droit dans les yeux : « Hé, mec, réveille-toi ! T’es vivant ! ». ✎ Jean-Philippe Haas www.chromatique.net

Là où la plupart des gens se contentent de faire la même chose, encore et encore, Emmanuel Bœuf réinvente sans cesse la musique qu’il joue. Pourtant, des Sons Of Frida à Dernière Transmission en passant par A Shape, on aurait pu penser qu’il avait épuisé l’étendue de ses possibilités. Erreur : avec ce nouvel ensemble de EPs, Aléa, Emboe découvre de nouvelles ressources, abandonnant la guitare (son instrument fétiche) au profit de l’électronique, agissant en pure spontanéité, laissant les choses se faire et le faire, mobilisant inconsciemment toutes ses influences (et elles sont vastes, de Sonic Youth à Rihanna) pour produire un son qui ne ressemble à rien de ce qu’on connaissait de lui, mais surtout à rien de ce qu’on connaissait - tout simplement. Sombres, sexy, intimistes, bouillants, bruyants, les aléas d’Emboe doivent tout au hasard parce qu’ils ne doivent rien au hasard. Ce sont des événements, des accidents provoqués, qui ne viennent pas de nulle part, mais de l’imagination d’un musicien qui a oublié depuis longtemps qu’on devait se tenir bien tranquille dans une case. Là où la plupart des gens se contentent de refaire la même chose, encore et encore, Emmanuel Bœuf se réinvente sans cesse. C’est à cela, sans doute, qu’on reconnaît un artiste.

✎ Jonathan Allirand

EMBOE ©DR

✎ Jérôme Orsoni

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ATYPEEK MAG #01

OCT./NOV./DEC. 2016

49


ALBUMS

Date de sortie : 15/11/2014 Durée : 29 min Nationalité : FR Styles : Lo-fi / Dark Folk

Sunn O)))

Miles Oliver

Date de sortie : 23/09/2016 Durée : 44 min Nationalité : US Styles : AMBIENT / EXPéRIMENTAL

Yves Tumor

Kannon (Southern Lord Records )

Breathe (Miles oliver)

Serpent Music (PAN)

… Kannon, le petit nouveau, est sorti l’hiver dernier. C’était annoncé quelques mois avant. Après une occasion ratée de les voir au Palais de Tokyo à Paris entouré de bons bobos parisiens élitistes (annulation post-13 novembre), et de profiter de ça pour me plonger dedans en avant-première, je reçois le disque. Juste le disque, ni pochette, ni boitier. Ca commence bien.

On ne va pas te la faire à l’envers, cet album de Miles Oliver est sorti il y a deux ans et à vrai dire, il est simplement passé à la trappe de l’exercice de la chronique.

De son vrai nom Sean Bowie, l’artiste américain originaire de Knoxville au Tennessee et basé aujourd’hui à Turin, officie sous le pseudo de Yves Tumor, pour un nouvel opus, Serpent Music, à la diversité fulgurante, conçu à la base comme un album de soul mais qui prend des chemins des plus inattendus. C’est le très pointu label PAN de Bill Kouligas, que sort Serpent Music, œuvre hybride aux confluences de la soul, du field recording et du collage minutieux. Membre du collectif de Mykki Blanco, Dogfood Music Group et de Non Worlwide, Yves Tumor doit autant à Throbbing Gristle qu’à Marvin Gaye, à l’ambient ou au psychédélisme expérimental. Il est donc difficile de le rentrer dans une case quelconque, tant sa versatilité émeut et subjugue. Œuvre abrasive de bout en bout, Serpent Music, nous entraine dans un univers labyrinthique à la croisée de mondes intérieurs, alimentés par la douceur et la dureté, la beauté nue et la rudesse soyeuse. Yves Tumor compose des titres dont les racines puisent dans la grande histoire de la musique, mêlant sensualité et références, pour une œuvre poignante au groove délicat, axé vers un futur métissé et inclassable, à l’image du monde d’aujourd’hui. Vital.

L’album se compose de 3 pièces (Kannon 1, 2 et 3), élaborées par O’Malley, Anderson, tous deux accompagnés du chanteur hongrois de black métal Attila Csihar, déjà présent auparavant sur plusieurs œuvres de Sunn O))), qui vient poser pour l’occasion ses grognements, hurlements et incantations sur des plages fortes en saturation et larsens. Ce septième album, dont le nom fait référence à une déesse bouddhiste de la compassion qui entend les cris du monde, est un hymne supplémentaire au bourdon vibrant de basses ascendantes et descendantes. Une atmosphère à la fois tendue et méditative où il est difficile de discerner les différentes teintes sonores qui le composent, tant l’ensemble qui transparaît se veut monolithique. A la limite, seule la voix se démarque quand elle n’est pas trop dissimulée par les ondes galopantes des guitares et basses. Au sein de ses 35 minutes, Sunn O))) travaille toujours sur la recherche d’un minimalisme plombant doté de répétitions tel un râga indien dévoilant sa propre expérience mystique. Il vous faudra de nombreuses écoutes pour éviter de passer à côté du lot de subtilités que contient la tension permanente de ce Kannon. Si le résultat reste pour le moins non surprenant, hormis peut-être le fait qu’il soit le plus accessible de sa discographie (mais ça reste à prouver), le duo de Seattle reste néanmoins toujours autant digne de curiosité.

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✎ Ted www.w-fenec.org 50

ATYPEEK MAG #01

OCT./NOV./DEC. 2016

D’autant plus honteux que le musicien vient de sortir un nouvel album intitulé I miss boredom à l’heure où tu devrais lire ces quelques lignes. D’autant plus honteux que Breathe se révèle être un petit bijou et que votre serviteur a deux ans d’écoutes dans les pattes. La digestion a donc été longue et l’engouement autour de cet album d’autant plus justifié. S’il y a un fil rouge qui se dégage de Breathe, c’est l’élégance et la beauté épurée des morceaux, à l’image de cet artwork et des 9 photographies qui illustrent chaque titre. Très nettement folk sur son premier EP, le musicien, qui est toujours à la frontière de ce genre, y injecte une bonne dose d’indie rock classieux et privilégie les instrumentations variées, à la manière de ce qu’est capable de faire Graham Coxon de Blur sur ces albums solos, en balayant un large spectre et les petits écarts. Quand le tout est sublimé par un songwriting haut de gamine et une voix touchante et qui caresse les oreilles dans le sens du poil, on retrouve dans Breathe une collection 9 titres vraiment plaisants à parcourir avec quelques moments de grâce comme sur “The rat” et “Your blue screen”, judicieusement placé à la fin de la tracklist. Ce qui donne à ces ambiances apaisées et confortables un sacré goût de reviens-y. Ah oui, et cet album est sold-out si tu privilégies le support physique. Ce qui ne t’empêchera pas d’y jeter une oreille sur le bandcamp de Miles Oliver et d’investir quelques ronds dans le petit nouveau qui s’annonce particulièrement beau au vu des titres déjà en écoute... ✎ Cactus www.w-fenec.org

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✎ Roland Torres www.silenceandsound.me Yves Tumor ©DR

Date de sortie : 4 /12/2015 Durée : 33 min Nationalité : US Styles : DRONE


ALBUMS

Date de sortie : 5/08/2016 Durée : 1H 50 min Nationalité : UK Styles : Electronic / Rock / Ambiant

Date de sortie : 14/03-/2016 Durée : 30 min Nationalité : FR Styles : NOISE

65daysofstatic No Man’s Sky : Music For An Infinite Universe (ALaced Rec. )

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Chaman Chômeur (Atypeek / Becoq Records) Bookworms ©DR

Bonne nouvelle : si l’on met de côté les six soundscapes additionnelles - des combinaisons de sons qui constituent l’ambiance sonore d’un jeu, et qui tiennent plus du bruitage que de la musique - No Man’s Sky : Music For An Infinite Universe est un disque dont l’existence ne tient pas qu’aux images qu’il est censé habiller. En d’autres termes, étiqueté « bande originale » ou non, il constitue un album à part entière dans la discographie de 65daysofstatic. Les game addicts s’inquièteront de savoir comment tout ceci trouvera réellement sa place une fois le jeu lancé, les autres accepteront de faire sans réponse. Constellé de dix compositions qui sont autant de petits univers post-rock à découvrir, No Man’s Sky : Music For An Infinite Universe n’est pas un concept album au sens strict du terme. Mais si 65daysofstatic ne sont pas tombé dans le cliché SF, n’en reste pas moins que leur nouvel opus se maintient en terrains connus, en ce sens où il s’inscrit dans la droite lignée des travaux entrepris depuis plus de dix ans maintenant. Pêle-mêle, on croise ici des percussions frénétiques (Blueprint For A Slow Machine), des fulgurances électro-dark (Monolith), un piano continuellement sur la brèche (Escape Velocity), des guitares carnassières (Red Parallax), bref, tout ce qui fait le sel de la formation originaire de Sheffield. Le groupe possède un sens mélodique incontestable, de même qu’une manière bien à lui, et toute à fait élégante, de faire poindre l’émotion. Aussi, il lui arrive de faire preuve d’un réel talent à l’heure d’enchevêtrer les ambiances et de gérer les alternances entre sons et silences (Blueprint For A Slow Machine). En définitive, No Man’s Sky : Music For An Infinite Universe est une très belle pièce et, mieux encore, le disque nous réconcilie avec les BO charpentées par la scène indépendante britannique. Passé le superbe Wild Light, nous aurions simplement souhaité de 65daysofstatic qu’ils dynamisent un peu plus encore leur marché de niche. Qu’ils profitent de l’expérience pour s’aventurer un peu plus loin, et, définitivement, extirper leur épingle du jeu. ✎ Julien Soullière www.soundofviolence.net

Chaman Chômeur

Date de sortie : 10/10/2016 Nationalité : US Styles : Electronic EXPERIMENTAL

Bookworms Standards Of Beauty (anomia) Aperçu chez L.I.E.S., BANK Records NYC, Russian Torrent Versions, Confused House, soit des labels qui comptent, Nik Dawson alias Bookworms déboule sur le label espagnol Anòmia, avec un EP 4 titres, Standards Of Beauty, de très haute facture. Tout sur Standards Of Beauty fait preuve d’une rigueur et d’une maitrise bluffantes, accumulant matière électronique et rythmiques technoïdes au cordeau, intégrant entre les interstices une substance visqueuse qui vient se greffer au cortex pour ne plus le lâcher. Bookworms allie montées en puissance et enchainements avec une fluidité qui ferait presque oublier que l’on a affaire à seulement 4 titres, de par sa cohérence et sa richesse, sa concision et son habileté à varier et moduler les atmosphères au sein d’un même titre, sans que l’on s’aperçoive de quoi que ce soit. Mélange d’ambient rayonnante aux aspérités écorchées et de techno aux effluves martiales, Standards Of Beauty est un manifeste de musique haute-couture, où l’expérimental s’habille en costume trois-pièces pour faire danser l’underground. Impeccable. ✎ Roland Torres www.silenceandsound.me

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Quand on apprécie les noms de groupe à la con on ne peut qu’admettre que celui de Chaman Chômeur est particulièrement bien trouvé. Belle allitération et association de deux mots qui en théorie n’ont rien à voir ensemble mais pourraient résumer notre jolie petite décrépitude quotidienne et irréversible : les rêveurs qui ne veulent que s’évader vers un ailleurs et ceux qui en chient parce que malgré tout ils sont toujours là, au même point, c’est-à-dire à peu près nulle part. La musique de Chaman Chômeur c’est d’ailleurs un peu ça, comment s’échapper des contraintes et des contingences avec une formule (guitare/basse/ batterie) pourtant usée jusqu’à la corde. Ni rock, ni jazz, ni noise, ni prog, Chaman Chômeur ne s’embarrasse pas des genres mais les transcende en une expérience d’autant plus réussie qu’elle reste terriblement organique. Le trio ne semble que faire des musiques cérébrales et savantes alors qu’il est en même temps en plein dedans, rétablissant l’équilibre : nos bas instincts animaux et autres sensations intuitives sont régulièrement aiguillonnés à l’écoute de ce disque définitivement trop court (trente minutes) et on a sans cesse le poil qui se dresse sur l’épiderme mais rien empêche non plus le petit vélo qui squatte nos têtes de pédaler à l’envers comme un malade. Et puis cette capacité à sculpter le son, à jouer sur les textures, le bruit, à agencer les éléments au centre d’un chaos aussi créatif et donc générateur de sens est tout bonnement incroyable. Il n’est donc pas très étonnant que ce premier album de Chaman Chômeur ait été publié chez BeCoq, label qui abrite déjà (parmi tant d’autres) Louis Minus XVI, Toys’R Noise, Hippie Diktat, JeanLuc Guionnet et Thomas Bonvalet, F.A.T. et annonce pour bientôt un enregistrement du trio Maxime Petit/Eva Mendoza/Will Guthrie (!). ✎ Hazam

ATYPEEK MAG #01

OCT./NOV./DEC. 2016

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ALBUMS

Date de sortie : 12/02/2016 Durée : 44 min Nationalité : FR / ET Styles : CRUNCH

UKANDANZ

Date de sortie : 19/08/2016 Durée : 30 min Nationalité : US/EN Styles : Bandes originales de films / experimental

Date de sortie : 17/03/2016 Durée : 14 mn Nationalité : FR Styles : Alternative

ULTRA PANDA

SCOTT WALKER

AWO (DUR ET DOUX / Buda MUSIQUE / BIGOÛT / ATYPEEK)

The New Bear (Atypeek Music)

The Childhood of a Leader: OST (4AD)

Que celui qui a déjà écouté du rock alambiqué un tantinet noise (crunch plus précisément), chanté en éthiopien et influencé par la culture musicale de ce pays, me file son 06 pour que j’aille visiter tout de suite sa discothèque. Je me vois bien arriver dans une espèce de caverne d’Ali-Baba où se nicherait un disque de black-zouk norvégien à côté d’un de salsacore cubain. Ne rêvons pas et ne tombons pas non plus dans les extrêmes, mais sachez qu’Ukandanz fait partie de ces formations O.M.N.I. sur lesquelles on adore tomber. Petit point historique avant de parler du contenu de cette galette : Ukandanz est donc la rencontre d’un quatuor français lyonnais - constitué de Lionel Martin au saxophone ténor (Bunktilt, Raw), de Damien Cluzel, guitariste chez Kouma, Pixvae et Polymorphie, du bassiste Benoît Lecomte (JMPZ, Ni, Suba) et de Guilhem Meier, batteur de Poil, ICSIS, Loo et Dof - avec Asnake Gebreyes, un charismatique chanteur de la scène d’Addis Abeba en Éthiopie. Autrement dit, une belle brochette de musiciens qui s’avère explosive sur le papier, logiquement confirmé sur disque où cette formule rock singulière, s’inspirant de chansons traditionnelles et populaires des troubadours éthiopiens, prend tout son sens. Cette fusion unique appelée « Ethiocrunch » par certains, Awo se révèle comme une transe sonore électrique appuyée d’abord par une rythmique convulsive lourde, puissante et légèrement saturée. Sur laquelle s’ajoutent deux éléments importants qui dirigent l’état d’exaltation, à savoir le sax ténor torrentueux de Lionel qui s’aventure autant sur les rythmiques qu’en « lead » et le chant éblouissant et incontrôlable d’Anaske. Cet album se vit presque comme une expérience live, tant l’énergie qui s’en dégage est brute de décoffrage, tel un groupe de free-jazz qui s’amuse à faire virevolter ses ambiances pour décontenancer son audience. Ukandanz dresse une véritable leçon de brassage des cultures musicales internationales et prouve avec classe que la sauvagerie sonore se conjugue à toutes les sauces, surtout lorsqu’elle est influencée par un pays dont on a tant à apprendre en terme musical. ✎ Ted www.w-fenec.org

Amateur de couleurs bariolées et de rollercoaster sous acide, The New Bear est fait pour toi. Enregistrés lors des mêmes sessions que le LP Satan Salsa paru lui en 2014, les quatre titres de cet EP ne changent pas trop la donne pour Ultra Panda qui continue dans la même veine du vas-y-comme-je-te-pousse-surle-dance-floor-et-remuons-nos-popotins-ensemblemon-chéri à l’aide de compositions mélodiquement imparables et dansantes (donc).

Après avoir produit des albums de façon très espacée pendant des années, Scott Walker se fait moins rare pour notre plus grand bonheur, enchaînant une nouvelle production tous les deux ans : Bisch Bosch (2012), Soused (avec Sunn O))), 2014) et enfin ce Childhood of a Leader. Devenu une figure majeure dans le domaine des avant-gardes les plus sombres depuis Tilt (1995), il arrive à surprendre et se renouveler avec chaque disque. Cette fois-ci, il en revient aux musiques de films, dix-sept ans après le Pola X de Léos Carax. Le film déjà, avec son ambiance gothique et claustrophobe ainsi que sa thématique (quelques moments dans l’enfance d’un futur dictateur), avait tout pour lui plaire, le totalitarisme étant un sujet que Walker explore depuis déjà pas mal d’albums. Réalisée par le jeune acteur Brady Corbet - dont la carrière a été émaillée de choix souvent brillants depuis Mysterious Skin - et inspirée par une nouvelle de Sartre, The Childhood of a Leader est une première œuvre étonnante, tournée un peu comme un giallo ou un récit d’angoisse et divisée en trois tantrums, ces crises de rage folle que peuvent avoir les gamins. Pour le coup, Scott Walker a sorti les grands moyens, délaissant le chant pour éveiller le compositeur en lui et son goût de la grandiloquence, pour une musique puissante, parfois cacophonique et effrayante, évoquant les pièces les plus angoissées et psychologiques de Bernard Herrmann (notamment Psychose et Sœurs de sang) et György Ligeti. Le ton est néanmoins souvent inquiet et perturbant, “Village Walk” rappelant même le “Adulteress’ Punishment” de Riz Ortolani pour Cannibal Holocaust. Scott Walker est nourri de musiques de films mais il y insuffle son goût, développé dans ses derniers disques, pour les bruits étranges et les décalages, le sampling (“Printing Press”) et les univers autoritaires et martiaux (“On the Way to the Meeting”, “Post Meeting”) quand ils ne sont pas apocalyptiques et terrassants (“Finale” avec ses bruits de sirène et son agressivité symphonico-industrielle digne de Laibach). Suscitant panique et drame, ces compositions fascinantes, souvent très courtes, amènent le film vers une oppression inédite et tiennent aussi la route en tant que simple album. Une des meilleures BO de l’année, c’est certain.

I

La recette du groupe reste simple : une rythmique basse/batterie aussi implacable que groovy, des effets électroniques efficaces mais qui ne débordent pas et un chant de sirène amoureuse et qui ne demande qu’à exprimer sa passion dévorante. Je vais vous faire grâce de toutes les références en matière de musiques de jeunes habituellement balancées en pâture pour tenter d’harponner l’auditeur putatif, il me semble que celle d’Ultra Panda se suffit amplement à elle-même avec ce mélange d’énergie, de mélodies et de bon sens. Signalons aussi en quatrième position de The New Bear un titre qui change un peu la donne ; MTGMA a été enregistré avec un quatuor à cordes, ce qui permet à Ultra Panda de faire chialer les dubitatifs, récalcitrants et autres sans cœur.

ULTRA PANDA ©DR

✎ Hazam

✎ Maxime Lachaud

ATYPEEK MAG #01

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ALBUMS

Date de sortie : 30/09/2015 Durée : 1h 11 min Nationalité : FR Styles : INDUS / electronic / expérimental

GEINS’T NAÏT

Date de sortie : 12/09/2016 Durée : 1h 15 min Nationalité : DE Styles : concrete / electronic / expérimental

Thomas Brinkmann

Date de sortie : 01/10/2016 Durée : 36 min Nationalité : CH Styles : Noise Minimal / Electro

DEAR DEER

Allo Georgette (Atypeek Music)

A 1000 KEYS (Editions Mego)

oh my... (Manic Depression/Swiss Dark Nights)

Si vous êtes passionnés de musique industrielle, le nom de Geins’t Naït ne vous est pas inconnu. Ils furent et demeurent un des représentants les plus passionnants du genre, mêlant des ambiances lourdes et glauques à une approche presque sociologique du sampling et de la prise de son directe. Formé à Nancy par Thierry Mérigout et Vincent Hachet, le projet a été très actif entre 1986 et 1993, enchaînant les enregistrements sur les labels Permis de Construire et PDCD, avant de revenir en 2011 pour plusieurs albums magistraux en collaboration avec Laurent Petitgand. La musique présente sur Allo Georgette est plus dans la lignée du Geins’t Naït première période - on pense beaucoup à l’album Yvone (1990) - mais intègre des sources qui ont pu servir de bases aux morceaux que l’on trouve sur les disques plus récents avec Laurent Petitgand (“N.M.Q.P”, “Bazelits”). Écorché, parfois terrifiant, cet Allo Georgette tourne autour de plusieurs pièces sonores à base de messages sur répondeurs téléphoniques : un être psychotique appelle une certaine Georgette et fait une obsession sur la pratique anale. La voix est inquiétante, répétant sans arrêt les mêmes mots, comme sortie de la bande originale du film Henry, Portrait of a Serial Killer. Pas de reconstitutions, les interventions vocales chez Geins’t Naït proviennent d’un quotidien, parfois tellement triste qu’il fait peur. Entre délires bizarroïdes pas vraiment drôles (“Be bop”) et atmosphères martiales et prenantes, dans la lignée de Coil, The Grief ou Test Dept (“Atomic”, “Golf”), l’album possède un son old school et une ambiance assez dérangeante pour ravir les amateurs. Adeptes du décalage, GN ajoute quand même à la fin une sorte du morceau dansant, qui met fin brutalement au climat lourd et sordide qui a précédé. C’est comme ça avec eux. Le second degré fait partie du délire.

Avec le nouvel album, A 1000 Keys, de Thomas Brinkmann, on est en droit de se poser la question si toute œuvre artistique, se doit d’être analysée, décortiquée pour en percevoir son essence. De mon coté, la musique est avant tout une question de sensations, des effets qu’elle peut me procurer à des moments de ma vie. Car si l’oeuvre de Thomas Brinkmann peut avoir un côté conceptuel, il n’en reste pas moins qu’elle véhicule son lot d’émotions. Avec ce nouvel album, il détourne le piano, instrument le plus souvent associé au terme de virtuosité, pour en proposer une vision minimaliste, mécanique et parfois brutale. Construit autour de loops et de notes frappées, A 1000 Keys ne nous laisse pas de marbre, de par cette manière d’agencer les notes et de bâtir des morceaux rythmiques aux mélodies squelettiques, dépouillées de toute forme d’humanité, comme si les machines s’étaient mises à bugger. Variant les modes de jeu, il en arrive à mettre l’auditeur presque mal à l’aise, de par son parti pris extrémiste, déjouant pourtant les pièges qu’une telle œuvre pourrait susciter, extrayant des mélodies d’un chaos algorithmique où rien ne semble posé au hasard. Thomas Brinkmann joue à nous bousculer, à nous déstabiliser, à repousser nos limites d’auditeur, écorchant notre patience à écouter jusqu’au bout. L’artiste offre une œuvre presque Dada de par sa dérision sérieuse et sa jubilation expérimentale à ébranler nos certitudes et nos questionnements. A 1000 Keys s’acharne dans sa radicalité à changer nos modes de percevoir et d’appréhender les instruments et leurs connotations intrinsèques, multipliant les pistes d’écoutes, projetant chaque note dans un chaudron en ébullition duquel naît une musique prise entre musique concrète et expérimentalisme jusqu’au boutiste, pendants stylistiques à La Monte Young versus Steve Reich.

Leur concert au Klub en septembre 2015, alors que le projet était tout frais, fut une grosse claque et le duo une révélation. Du coup, c’est avec pas mal d’impatience que j’attendais ce premier album de la rencontre entre Federico Iovino (Popoï Sdioh) et Sabatel (Cheshire Cat). Ayant digéré incroyablement bien les influences post-punk, batcave, no wave et industrielles, ils produisent un son urgent, dansant, énergique, qui doit beaucoup aux atmosphères rêches et tendues de Chrome (« TVD ») et aux délires du premier album de Colin Newman - ils reprennent d’ailleurs « Troisième » sur scène, issu de ce A-Z. Les voix, quant à elles, pourraient s’apparenter à une rencontre entre Andi Sex Gang et la Lydia Lunch des débuts. Mais attention, leur musique est loin d’être vieillotte, loin s’en faut. Les rythmiques électroniques en sont la base, sur lesquelles se greffent guitares, basse, synthés et bruitages, jusqu’à atteindre une puissance répétitive et tribale. Écoutez plutôt les étourdissants « Statement » et « Dear Deer », la transe n’est jamais loin. Il y a quelque chose d’à la fois simple et dense, d’épuré et de total dans leur musique. L’album lui-même est riche de sonorités, pouvant intégrer des cuivres issus d’un lointain folklore européen (« Clinical/Physical »), des chœurs ethniques (« Czekajnanas »), des touches plus pop et minimal synth (« Claudine in Berlin ») alors que les guitares semblent faire le pont entre l’after-punk islandais de Kukl et le deathrock californien de Mephisto Walz. La relève d’un rock qui donne la bougeotte viendrait-elle de Lille ? Courez les voir en live pour en avoir le cœur net.

✎ Maxime Lachaud

✎ Roland Torres www.silenceandsound.me

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ATYPEEK MAG #01

OCT./NOV./DEC. 2016

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DEAR DEER ©DR

✎ Maxime Lachaud


ALBUMS

des meilleurs Top 5 Albums Jazz

Date de sortie : 28/10/2016 Durée : 30 min Nationalité : US Styles : Hip Hop/R&B

Gaika

Date de sortie : 08 /10/16 Durée : 27 min Nationalité : JP Styles : Ambient Drone

By CITIZEN JAZZ, le mag de Jazz COMmENT LIRE UN QR CODE ? Pour lire un QR Code, il suffit de télécharger une application de lecture de QR Codes. D’ouvrir l’application et viser le QR Code avec l’appareil photo de son téléphone mobile et l’application lance l’écoute de la playlist.

Teruyuki Nobuchika

Spaghetto (Warp)

Still Air (OKTAF)

C’est sur Warp que Gaika redonne de ses nouvelles, avec Spaghetto premier volet d’un tryptique à venir. Si l’artiste continue de mélanger dancehall, grime, hip hop et éléments indus, il a su étoffer sa musique, gagnant en frappe de percussion. Dédié aux gens qu’il a aimé et perdu, Spaghetto ne fait pas le choix d’un genre en particulier, capable de jouer avec les ambiances paranoïaques, Neophyte, 3D ou de flirter avec des atmosphères plus chill et mainstream, The Deal, Little Bits ou Glad We Found It, voir de fricoter avec un hip hop auto tuné proche d’un Young Thug. Une fois encore, Gaika floute les repères, se dissimulant derrière une diversité qui le rend insaisissable, fuyant les chapelles et l’enfermement avec une quelconque scène. Malheureusement, cette variété nuit à la pleine appréciation de sa musique, tant certaines pistes sont inégales dans leurs traitements et leurs textures, soulevant la question de sa véritable personnalité et de sa capacité à créer une oeuvre cohérente. Pourtant, malgré ses défauts, Gaika est un producteur qui continue de fasciner et de susciter un certain intérêt, de par son aptitude à ingérer les courants dans leur horizontalité, pour les injecter dans son univers et de créer parfois, des titres aux ambiances sombres et urbaines, plus en corrélation avec son discours, enrobées de richesse fourmillante. On suivra de près, l’évolution de cet artiste caméléon, pour voir jusqu’à où il portera nos espérances. ✎ Roland Torres www.silenceandsound.me

La musique de Teruyuki Nobuchika prend ses aises dès les premières secondes, apprivoisant l’espace avec parcimonie, déployant ses ailes de poussière et de métal avec délicatesse, enveloppant chaque milli-seconde de grâce suspendue.

I

Noël Akchoté, Mary Halvorson ST 26/08/2016 ©2016 Noël Akchoté D.

Auteur d’albums sur des labels comme sur Schole et Nature Bliss, c’est aujourd’hui sur OKTAF, fondé par Marsen Jules, qu’il sort son nouvel opus, aux allures de mini-album de par sa durée de 28 minutes, qui ne laisse pas de place à la longueur, ce qui est plutôt rare dans les musiques dites ambient qui aiment en général s’étirer, pour laisser parler et déployer leurs compositions.

April Fishes Carpe d’or 21/04/2016 Vinyl / DIGITAL / CD ©2016 Grolektif / Atypeek

Still Air porte bien son nom, tant il ondule entre chaque mesure, chaque collage, des bribes de cordes emprisonnées oscillant entre les flottements de mélodies échappées de contes lacustres aux lettres aquatiques.

Courvoisier / Feldman /Mori / Parker

Teruyuki Nobuchika compose un ambient secoué de spasmes vertigineux, desquels s’échappe le temps, perdant ses bases pour se fondre dans un magma de forces électro-acoustiques à la modularité intrinsèque.

Miller’s Tale 13/05/2016 ©2016 Intakt / Orkhestra

Tout en intériorité et en chocs moelleux, Still Air déverse une pluie de pianos sur des compositions perméables à la beauté qui passe, laissant ses rides faire leur travail sur des surfaces de field recording à la virginité immaculée, bousculé par des rythmes cachés sous des orchestrations minimales à la splendeur élégante.

Bill Frisell When You Wish Upon a Star 5/02/2016 Vinyl / DIGITAL / CD ©2016 Okeh Records

Tout en abstraction électro-acoustique et en bruissements subtiles, Teruyuki Nobuchika déploie un arsenal de miniatures précieuses, construites autour de souffles caressants et de vagues chancelantes, de bruissements légers et d’énergie rampante libérant un déferlement de vertus apaisantes canalisées sous des couches de frémissements éthérés.

IN LOVE WITH Axel Erotic 22/03/2016 DIGITAL / CD ©2016 Becoq / Atypeek

I

✎ Roland Torres www.silenceandsound.me

www.citizenjazz.com/


instantanés

www.instagram.com/atypeek/ www.instagram.com/schlaasss/ www.instagram.com/dookoom/ www.instagram.com/ultrapanda/ www.instagram.com/duretdoux/ www.antoine44nantes.book.fr ©Antoine Gary - Merci à Michel 56

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des copains/Copines



VIDéoclipS PAR LéA VINCE

ARTISTE : SCHLAASSS

RÉALISATEUR : MEKKI

ENABLERS

LIEN CLIP : https://www.youtube.com/watch?v=n96rajMbLyg

THE AUTOMATISTS “HECKLE, JECKLE”

Ghost - Square Haminer

“West Virginia” - The Rightful Pivot

https://www.youtube.com/watch?v=iIDJ-dlt-YE

https://www.youtube.com/watch?v=OyYA8FlfBd0

https://www.youtube.com/watch?v=XROvHglN2qU Tout droit venu de San Francisco, le groupe culte de rock indépendant Enablers sort son dernier album début 2015 dont le titre « The Rightful Pivot » est extrait. Nous sommes doucement introduits dans la chanson par la voix du chanteur, Pete Simonelli, qui nous murmure de belles paroles à l’oreille. Avec sa voix unique, grave et envoûtante, difficile de rester impassible devant une théâtralité qui sort de ces tripes. Puis progressivement, la musique s’alourdit, le rock s’encrasse et la voix de Pete Simonelli se déchaîne. Frissons garantis.

Le groupe français de « Cold Noise Rock » The Automatists sort ici une toute nouvelle vidéo pour leur single Heckle & Jeckle avec en guest Michael Gerald des Killdozer. Ambiance sombre, un fond noir, un projecteur sur les membres et ça fait l’affaire. Tourmenté néanmoins par les ombres de corbeaux aux accents douteux, le chanteur semble pris au piège de ces vils oiseaux aux jurons faciles. Sous une mélodie électrique qui est menée tambour battant, la voix apeurée et envoûtante du chanteur vient nous saisir. Morale de l’histoire, ne volez pas le fromage d’un corbeau, vous pourriez le regretter.

C’est le grand retour de Ghost, les membres du clergé sataniste préférés de la sphère métal. Le groupe est composé de Papa Emeritus III, représentant de Lucifer sur terre (ce n’est pas rien quand même) ainsi que de ses fidèles Nameless Ghoul, à savoir ses musiciens. Soit, tout ceci vous semble complexe, soit, mais penchez-vous plutôt sur la musique du groupe suédois, à faire réveiller quelques mamies d’outre-tombe. On retrouve dans ce dernier EP (Popestar) et ce dernier clip, l’essence même de ce qui définit le groupe, une atmosphère sombre et rétro avec une musique définitivement plus pop mais toujours aussi puissante et entêtante.

✎ Léa Vince

✎ Léa Vince

✎ Léa Vince

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VIDéoclipS PAR LéA VINCE

DOOKOOM “THE DEVIL MADE ME DO IT”

EGOPUSHER

https://www.youtube.com/watch?v=qpq0eDaRC10 Une bonne grosse cuillère à soupe de rage, 1 litre de rap brut, cru et menaçant, rajoutez à ça des genres musicaux à volonté ; Hip-Hop, Trap, Punk, Noise, etc et BOOM vous obtenez un smoothie détox explosif qui va vous réveiller les intestins. DOOKOOM la formation sud-africaine engagée la plus détonante du moment balance son dernier clip pour The Devil Made Me Do It. Le clip expose l’univers du groupe en plein concert, c’est sauvage et incroyablement énergique, on parvient presque à sentir la sueur à travers notre écran. L’anarchie règne en maître dans la foule, en extase devant la prestation du groupe et du chanteur, visiblement à 200 % de sa forme. ✎ Léa Vince

CHERRY GLAZERR “White’s Not My Color This Evening”

Purple Pit https://www.youtube.com/watch?v=bKeT8dhOH3w

https://www.youtube.com/watch?v=mtBmOULfCn0

Que le kitsch soit extravagant, excessif, délicieusement ringard et risible est une réalité que le clip « Purple Pit » fait pourtant coïncider avec élégance, glamour et humour.

Dans ce clip, on suit les péripéties de Suzanne (prénom fictif). Suzanne à ses règles. Ça craint. Suzanne décide d’aller manger un petit cupcake parce que pourquoi pas ma foi. Dans le magasin de cupcake elle rencontre un garçon à ne pas piquer des hannetons, ils ont choisi le même cupcake, c’est fou non. Elle s’en va manger son cupcake au chocolat dans sa voiture, tranquillement. Elle a hyper faim, elle le dévore son cupcake. Un mec passe devant sa fenêtre et se moque d’elle parce qu’elle s’est mis du chocolat un peu partout. Grave erreur. Suzanne, ça la met hors d’elle alors elle se lève et va casser la gueule du type. Non mais oh, il est où le respect. Cherry Glazerr balance la sauce, c’est gentiment trash et ça respire le rock garage californien.

Sur cette merveille conceptuelle de Dido Shumacher, Hana Shärer, Franz Steaudinger et Tobias Bühler, Egopusher déroule une montée de violon progressive, une envolée classique de Tobias Preisig rattrapée tambours battants et tomes vrombissants par la batterie de Giannelli. Tout au long de cette ascension, les images mystérieuses dévoilent une série de fameux personnages en tenues légères de vacances. Pour ouvrir ce bal décalé de touristes à demi figés et inquiétants, Giannelli lui-même est filmé torse nu, en pleine lecture des résultats de la Juventus de Turin, tranquillement installé sur un transat et fixant froidement la caméra.

✎ Léa Vince

Il lève et baisse successivement son journal, annonçant la suite de mouvements mécaniques caractérisant le reste des protagonistes : amoureux transis, body-builders en maillot de bain, bikinis léopard, chacun d’entre aux possède une partie du corps fixe et une autre légèrement mobile.

INFECTICIDE Les animaux sauvages https://www.youtube.com/watch?v=hpBV8iQxYqA Sanité : 0,7/10, alors enfilez votre cape du second degré et rentrez dans l’univers complètement déconnecté du groupe INFECTICIDE. Ils se décrivent en tant que groupe Post-industriel-Synthpunk-neo-dada calé-découpé… enfin vous voyez le genre. Ici, ils mettent en lumière leur ras-le-bol envers les animaux sauvages, ces fourbes irrespectueux qui passent leurs journées à ‘dormir, manger et forniquer’. C’est aussi le grand retour de Van Pelt, mais si le terrible chasseur dans Jumanji, pas prit une ride le gars ! En espérant toutefois ne pas réveiller le courroux de nos amis défenseurs des animaux. Love you Brigitte. ✎ Léa Vince

Si la croisière s’amuse, elle s’amuse donc de la plus étonnante des manières car la froideur mécanique et l’automatisme récurrent avec laquelle sont réalisés ses gestes provoquent un sentiment d’ « inquiétante étrangeté » qui se renforce avec la montée en puissance des instruments.

Wyatt Blair Double Rainbow https://www.youtube.com/watch?v=jJ0u486HzwA

Comble de kitsch, dans le coin gauche de ce tableau étrangement vivant, le dernier touriste à apparaître dans le champ de la caméra s’est lui aussi mis au diapason de l’étrangeté en troquant son violon contre un t-shirt de plage improvisé !

Vous vous sentez un peu soupe au lait aujourd’hui ? Heureusement ce n’est pas irrémédiable, venez donc découvrir le fantastique nouveau clip de Wyatt Blair « Double Rainbow ». Avec sa mélodie pop et un peu enfantine, elle respire la joie et le fun. On plonge dans un monde d’arcs-en-ciel, de cascade de fruits multicolore trop cool. Je ne sais pas vous, mais moi elle me donne envie de vivre ma vie comme dans les comédies musicales les plus ringardes d’Hollywood. À savoir, danser et chanter dans la rue avec des inconnues. Ne seraitce pas formidable ?

✎ Jonathan Allirand

✎ Léa Vince

Il culmine jusqu’à ce que l’ensemble de la scène soit révélé, une impressionnante fresque de plagistes formant un ensemble pictural magnifiquement burlesque d’unités déconnectées.

ATYPEEK MAG #01

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VIDéoclipS PAR LéA VINCE

ARTISTE : CHRISTEENE

RÉALISATEUR : PJ Raval

Membrane ‘No Other Day’ Erase EP

LIEN CLIP : https://www.youtube.com/watch?v=NJNDWvLmxbk

Carpenter Brut TURBO KILLER

https://www.youtube.com/watch?v=c0z0ltgrt-w

https://www.youtube.com/watch?v=er416Ad3R1g

Ambiance austère et caverneuse, un homme tapi dans les tréfonds d’une grotte semble y couler des jours paisibles et heureux. C’est l’allégorie de la caverne après tout, rester ou s’enfuir. Fatigué, perdu, désabusé errant dans les couloirs d’une grotte qui lui paraît familière, un peu comme Tom Hanks dans Seul au monde, mais sans Wilson. Il effectue comme un rituel pour atteindre un but, mais quel but ? Petite mine, comme après avoir passé quelques semaines à pourrir dans une grotte me direz-vous. Il nous entraîne dans son délire entre réalité et imagination. Niveau musique c’est dirty underground, on se fait happer par la puissance des guitares.

J’hyperventile. Regardez comme c’est beau. Regardezmoi ces couleurs. La DeLorean n’est jamais très loin. Retour vers le futur et dans les années 80 et belle hommage au cinéma mainstream, plus précisément avec la dernière bombe lâchée par le groupe français Carpenter Brut et le studio Seth Ickerman.

✎ Léa Vince

✎ Léa Vince

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ATYPEEK MAG #01

OCT./NOV./DEC. 2016

Science-fiction futuriste et courses-poursuites tandis que la bande-son de Carpenter Brut crache avec puissance, l’univers musical est ici en accord parfait avec l’univers visuel de la vidéo. Une symbiose furieusement jouissive.

SUZANNE’SILVER Paper of the way | Dalek Session #5 https://www.youtube.com/watch?v=fA41jMk7_1w Le groupe sicilien de SUZANNE’SILVER, 20 ans d’activité au compteur tout de même, est ici pour une session musicale en douceur. Ils n’en sont pas à leur coup d’essai. Le groupe n’a jamais cessé d’affiner son art de la composition qui allie finesse, qualité du songwriting et explosions soniques inlassablement reconduites. D’influence hautement rock, le groupe mélange ici un rock lancinant et blues expérimental dans l’extrait Paper of the way, c’est simplement beau et sincère. On se met à l’aise et on se laisse surprendre lentement. ✎ Léa Vince


VIDéoclipS PAR LéA VINCE

Top 5

des VIDÉOCLIPS qui piquent l’œil

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MISMERIZER TELEKINESIS

https://www.youtube.com/watch?v=-D_KuCy_EtY

SCHLAASSS ONANI

Vous êtes invités à la fête d’anniversaire la plus cool de l’année. Au programme ; déguisements hauts en couleur, gâteau, bonbons, fête foraine, exorcisme et gloire à Satan. Un petit goûté d’anniv. comme on les aime. Enfilez donc vos plus beaux costumes d’Halloween, vous êtes attendus maintenant. Autorisation des parents non requise. Mismerizer nous transporte dans son univers complètement fou dans cette ballade étrange et aérienne qui prend lentement de l’ampleur. Laissez-vous hypnotiser dès les premières notes, vous sentez la tension monter ? Ne déconne pas avec Mismerizer sinon elle t’amochera avec une batte de baseball comme elle pulvérise ce pauvre gâteau (tristesse).

Le duo de Rap-Electro-Punk complètement fucked up Schlaasss et connus pour leur musique furieuse, leurs paroles crues, nous offrent un petit clip NSFW, à savoir Not Safe For Work. Il faut comprendre ici qu’il est fortement déconseillé de le regarder sur votre lieu de travail, on pourrait croire… que vous êtes… bizarre. Pour poser le contexte, ici on parle de masturbation. Vous comprenez le rapport maintenant. Le morceau qui envoie du lourd nous montre tout un tas de personnes s’adonnant à ce plaisir solitaire jusqu’à en atteindre la jouissance ultime. Il y a même des femmes qui se masturbent, WOW et oui ce n’est pas une légende urbaine. C’est cool de voir aborder le sujet de la masturbation féminine, sujet encore si tabou au sein de notre société. Je vous laisse découvrir cette vidéo brûlante, alors mets la clim bébé.

✎ Léa Vince

✎ Léa Vince

https://www.youtube.com/watch?v=kvp1xl-svqm

“ENGAGé”

Noisia ‘Mantra’ https://www.youtube.com/ watch?v=50oHjGnnS_0

“CULTE”

KILLING JOKE

‘New Cold War’ https://www.youtube.com/ watch?v=FDwx9JOy4LU

“ELECTRO QUEER”

Peaches ‘Vaginoplasty’ https://www.youtube.com/ watch?v=QlwlDB5swdQ

King Gizzard & The Lizzard Wizard People-Vultures…

Grimes Belly of the Beat

https://www.youtube.com/watch?v=6f78_tf4tdk Les Australiens au rock psychédélique n’ont pas lésiné sur les accessoires et ont vu grand avec un vautour en carton de 6 m de haut. S’en suivent alors des duels haletants entre vilains venus pour réduire le vautour en poussière. - « Oui, allô King Gizzard & The Lizard Wizard ? C’est “les années 70” au téléphone, nous aimerions récupérer le kitsch que vous nous avez emprunté pour votre clip ? ». On croirait à un mauvais remake des power-rangers. C’est justement ce qui fait leur originalité et l’unicité de leur univers visuel. Le morceau définitivement électrique s’accorde parfaitement aux décors désertiques et aux scènes de combats. « KABOOM. Prends ça homme de l’espace intersidéral ».

https://www.youtube.com/watch?v=HpAsOEsamA0 Grimes, princesse d’un genre musical un peu ovni, inclassable mais fichtrement cool nous sort son nouveau clip ‘Belly of the Beat’ issu de l’album Art Angels. Je ne sais pas pourquoi j’aime autant Grimes, peut être parce qu’elle chante, compose, dirige ses clips et dessine ses propres visuels, ou peut-être simplement pour l’amour de son style dream pop complètement déconnecté. Quoi qu’il en soit, elle dirige cette dernière vidéo où on la voit se transformer en sosie de Kate Bush période Wuthering Heights (Heathcliff, it’s meee Cathy), crinière flamboyante et robe rouge incluse. Amateur de paysages, vous ne serez pas déçus, on peut y voir des magnifiques plans de danseuses en pleines montagnes.

✎ Léa Vince

✎ Léa Vince

“Croufunding”

SWANS

‘The Glowing Man’ https://www.youtube.com/ watch?v=t_h1i-WxVUs

“Croufunding”

Stupeflip ‘Croufunding’ https://www.youtube.com/ watch?v=PGDf69Qk9dk


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Le Design et plus encore…


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Pierrick Starsky - Journaliste

LE CAHIER DU DESIGN PANTONE

Article I Kiblind Magazine

50 NUANCES DE GRIS

Mode I Le Village des Créateurs

FILLE DE JOIE

Article I Le Village des Créateurs

LAISSEZ LES Murs propres

Article I Quincaillerie Moderne LA GALERIE

L’AVENTUREUX MONSIEUR GUM™ Dans la cuisine DE

FRED DRUART Interview I AAARG !

Pierrick Starsky, Journaliste

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PANTONE

En matière de couleurs, il y a Pantone et les autres. Le fabricant d’encres, rendu célèbre par son nuancier et son obscure classification échantillonnée, fait figure de référence dans le petit monde du graphisme, du design et de la mode. En inventant ses propres codes et en communiquant par l’objet sur sa propre image, la société s’est hissée au plus haut degré de notoriété qui soit : elle fixe la norme universelle de la couleur.


Article par :

Rien n’est tout noir ni tout blanc. Certains parviennent même à dénombrer 50 nuances de gris. Et si l’œil humain a ses limites, l’ensemble des teintes s’étend naturellement sur une palette indéfinie, échelonnée en intervalles imperceptibles et mathématiquement infinis, à défaut d’avoir l’acuité d’un Dieu et le nuancier de l’Univers. En attendant, le nôtre se limite à un bon millier de couleurs ; ce qui est déjà pas mal pour lancer la conversation. Lorsque l’on demande aux enfants la couleur qu’ils préfèrent, il est rare d’entendre en retour le « Warm Red » ou le « Reflex Blue ». Et pourtant, au fond de chacun d’eux, il y a bien une préférence esthétique naturelle, une sensibilité intime, pour un rouge plus profond ou un bleu moins soutenu. C’est précisément l’art de la nuance ; et là où il y a nuance, il y a justement art. Alchimie et verbe. Quelles couleurs voit Rimbaud, lorsqu’il badigeonne Une saison en Enfer de « A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert » ? Le rouge de son « I » est-il plutôt celui du vin et de l’ivresse ; ou celui du sang, de la guerre ; ou de l’amour ? Ou bien tout à la fois, selon le mot et l’idée qu’il vient poétiquement empourprer ? La couleur… Et comme il arrive fâcheusement que le cœur ou les yeux manquent de vocabulaire manufacturé pour en exprimer chaque détail, ils échantillonnent un traducteur beaucoup moins verbeux et effectivement plus nuancé : un nuancier.

14 COULEURS DE BASE —

La rigueur dans la représentation exacte d’une couleur intéresse certes la poésie, mais aussi beaucoup l’industrie. Et c’est ce qu’a bien compris Lawrence Herbert, lorsqu’il rachète Pantone en 1962. Il la connaît bien, cette petite société créée au milieu du xixe siècle à Moonachie dans le New Jersey ; il la connaît bien puisqu’il y travaille depuis six années déjà et participe à son activité principale : la confection de nuanciers pour fabricants de cosmétiques. Chimiste de formation, sa vision et son innovation a consisté à réduire la liste des pigments utilisés dans la production des encres colorées de 60 à seulement 10 pigments de base, pour garantir une meilleure stabilité des encres produites tout en élargissant la palette des teintes disponibles. De là découlent le Pantone Matching System (PMS) et ses références codées qui tendent à devenir de plus en plus familières. Aujourd’hui, 14 couleurs de base plus un dissolvant (Transparent White) permettent d’obtenir 2 310 nuances. De quoi être sacrément précis. Ça tombe bien, parce que de la précision, il en faut beaucoup dans le secteur marchand. « L’anecdote Kodak » est en cela assez édifiante et permet d’éclairer en quelques lignes tous les enjeux qui se présentaient alors pour Pantone. Dans les années 60, Kodak faisait déjà appel à plusieurs prestataires différents pour l’impression de ses célèbres boîtes jaunes de pellicules. Alors inévitablement, en l’absence d’une codification stricte des valeurs colorimétriques, la nuance imprimée pouvait varier sur une gamine plus ou moins sombre. Physiquement logique. Le problème, c’est que les clients ont regardé plus loin que la boîte : ils en ont déduit que si elle était plus terne, c’est qu’elle venait d’un stock plus ancien ; et de facto que la pellicule à l’intérieur ne devait pas être de première fraîcheur… Aussi, grâce au code Pantone, les imprimeurs ont pu accorder leur violon et utiliser tous exactement le même beau jaune d’œuf de la campagne :

Kiblind N°54 - Découvrez plus d’articles sur : www.kiblind.com

le « Pantone 123 ». Par conséquent, si une différence de nuance peut avoir des répercussions sur l’attitude des consommateurs et ainsi sur les ventes, les enjeux ne sont plus les mêmes. C’est très simple : il faut une référence unique et universelle. Il en va de même des nations : en février 2003, le Parlement écossais a débattu d’une mesure pour fixer la couleur du drapeau portant sa croix de Saint-André. Car si la notion de « bleu roi » peut varier selon les us et coutumes, la fantaisie, l’âge des yeux des députés et la finesse du roi, l’étiquette, elle, reste invariable : « Pantone 300 ». Clair, net, précis. Et fait rarissime : une marque fixe la norme.

LA RÉFÉRENCE —

Si Pantone n’est pas la seule entreprise à fabriquer des couleurs et des nuanciers, elle s’est imposée sur le marché comme la référence, notamment dans les secteurs sexy du design, de la mode et du graphisme. Et sans doute moins par la qualité avérée de ses produits que par la coquetterie épurée qu’elle a su donner à son image de marque. Toute son identité tient à peu de chose, qui contiennent l’essence et la totalité de ce qu’elle est : une couleur, un logo typographié, une référence-produit. Bref, une signature singulière dotée d’une immense vitalité et capable de s’étendre par définition à n’importe quel objet usiné. Ce procès de communication extrêmement puissant, puisque l’objet choisi pour son esthétique pure devient à son tour support publicitaire, les gens du marketing l’ont très bien perçu. Ainsi, depuis 2000, le département Pantone Universe s’occupe d’ouvrir le champ industriel à une application davantage grand public. En partenariat avec des fabricants ou sous forme de licences, la marque sort une gamine de produits qui portent son empreinte sobre et significative : boîtes, mugs, chaises, coques de téléphone, clef USB, boules de Noël 02… et même une ligne de vêtements et des bagages.

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MODE AU VILLAGE DES CRéATEURS

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Résistance et tradition

MODE AU Atelier 225 est une marque française haut de gamine spécialisée dans la création, la fabrication et l’édition d’articles de papeterie. Une manière pour la marque de montrer que le papier fait encore de la résistance face au numérique ! Atelier 225 - http://www.atelier225.com/

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Un travail raffiné

Ce travail est une étude sur les schémas de la nature, de ses proportions et de ses inflorescences. Les fleurs nous rappellent que nous pouvons toujours recommencer, renaître, réinventer. La sobriété de l’argent contraste avec l’éphémère beauté des fleurs.

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Andrea Vaggione http://www.andreavaggione.com


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U VILLAGE 50 nuanges de gris

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Briefcase, pochettes à main

Briser les codes, moderniser les lignes et ne faire aucune concession avec la qualité… Dans un univers architectural urbain, LE FEUILLET propose une collection de maroquinerie qui s’appuie sur la volonté de faire interagir l’homme et l’objet et sur la défense d’un beau produit qui remplit sa fonction à la perfection. LE FEUILLET propose Briefcase, pochettes à main et petite maroquinerie en cuir de qualité premium et fabriqués en France. ©DR

LE FEUILLET - http://www.lefeuillet.tv/

Bague

Argent

Bijoi est une marque fondée par Sylvie Courdurié, grande passionnée de nature et de métaux qui a choisi de se reconvertir dans l’artisanat d’art après une carrière professionnelle qui ne lui convenait plus. Ces deux passions se sont ajoutées à son amour pour la création de bijoux ce qui a finalement donné naissance à la marque Bijoi. Bijoi - http://www.bijoi.fr

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Le Village Des Créateurs - Découvrez le concept sur : www.villagedescreateurs.com

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FILLE DE JOIE FILLE DE JOIE, marque créée par Bénédicte Kaluvangimoko et lauréate du concours Talents de Mode vient de s’installer à Lyon 1er, au Village des Créateurs, Passage Thiaffait.

©Arthur Castillon

FILLE DE JOIE, c’est d’abord un concept, un état d’esprit, un lifestyle. Les créations s’adressent à la femme contemporaine, heureuse et sûre d’elle. La femme épanouie qui aime son corps, qui l’assume et pour qui être sexy ne lui fait pas peur.

Ancienne bloggeuse de mode et styliste free-lance, Bénédicte Kaluvangimoko a toujours aimé jouer avec les formes, les couleurs, les matières. Curieuse, passionnée et autodidacte, un master en marketing et communication en poche, Bénédicte commence à affiner une certaine vision de la femme moderne. Pour elle, la femme contemporaine est libre, affranchie et n’a pas à se cacher derrière ses vêtements.

La marque ne souhaite nullement s’enfermer dans un style précis, cela dit « goth », « sexy » et « sportswear » sont les mots qui la résument le mieux. Si l’expression «Fille de joie » n’est donc pas à interpréter selon son sens premier, le caractère érotique cependant demeure, car les matières résille, vinyle ou à transparence sont très présentes dans les collections.


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ZOOM CRéATRICE Elle est audacieuse et doit s’assumer En 2015, elle décide de lancer sa première collection pour femme avec un nom de marque un brin provocateur qui ne laisse personne indifférent : Fille de Joie ! Un pied de nez et une jolie façon d’assumer sa féminité avec sourire, effronterie et joie de vivre ! Le concept de sa marque FILLE DE JOIE est de proposer des pièces originales pour femme dans un style street-wear. Fascinée depuis toujours par l’univers du fétichisme, la marque mixte avec esprit, matières vinyle, laçages, résilles avec des matières plus urbaines comme le jersey jogging. ©Valentin Fabre

À SAVOIR

Retrouvez la collection FILLE DE JOIE en vente à Lyon au Village des Créateurs et à Paris 4e chez Addicted.

PLUS D’INFOS

www.filledejoie.fr

Avec comme leitmotiv : la transparence avec une note habilement dosée de sexy.

©Arthur Castillon

Repérée par l’incontournable « It Girl », Gigi Hadid et référencée par des boutiques parisiennes et new-yorkaises, Fille de Joie crée le buzz et remporte en juin 2016, le 1er prix du concours Talents de Mode présidé par le créateur brésilien Gustavo Lins. Fille de Joie est moderne, elle vit dans l’air du temps, c’est pourquoi la marque puise ses inspirations dans la rue, pour être en phase avec ce que la modernité des jeunes lui apporte, sans pour autant négliger le passé.

Le Village Des Créateurs - Découvrez le concept sur : www.villagedescreateurs.com

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TATTOO STICKERS COLLECTORS dans toutes les bonnes librairies et autres (Fnac, Le Furet, etc...)


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LAISSEZ LES MURS PROPRES Il y a 5 ans, 3 férus de graffiti et de peinture urbaine se lancent dans une vaste collecte de photos de graffitis de rue, des graffitis amateurs, faite par des amateurs et créent un blog : www.laissezlesmurspropres.tumblr.com qui rassemble aujourd’hui environ 3 000 abonnés et des milliers de vues. À l’inverse du « street art » appellation qui ne veut rien dire, « Laissez les murs propres » redonne le vrai sens du graffiti, écrire un message sur un mur !!! Tout y passe : politique, poésie, vulgarité, humour, revendications de tout poil. L’idée avec ce livre était de faire un concentré de ce que nous avions trouvé de mieux dans la rue. Au résultat : 200 pages de poésie brute, de messages qu’on ne veut pas forcément voir mais qui ont le mérite d’être là.

Laissez les murs propres - En vente dans toutes les bonnes librairies/ points de vente : http://www.quincailleriemoderne.fr/b.html


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Article par :

Laissez les murs propres - En vente dans toutes les bonnes librairies/ points de vente : http://www.quincailleriemoderne.fr/b.html


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Sarah Olivier - Créatrice de Monsieur Gum™

LA GALERIE L’AVENTUREUX MONSIEUR GUM™ Interview original

Protéiforme et malléable Monsieur Gum est à la fois un personnage phénoménal et un concept. Jeté au monde comme tout être vivant, il ne fête ses anniversaires que pour avoir le plaisir de souffler et regarder briller ses bougies. Il ne compte pas ses années, il sent, il respire, il s’étonne. Ce vieux bébé en quelque sorte, indomptable et inoffensif, sait venir nous chercher au plus profond avec douceur mais exigence et nous sommes conquis, amoureux de qui nous rend à nous-même à nos origines et à notre force perdue. Passe muraille ? apatride ? poète ou sorcier ? si ce personnage vous intrigue suivez-le, vous irez de surprise en surprise, de ravissement en ravissement. Personnage avisé et silencieux c’est un prince qui voit bien plus loin que le bout de son nez. Castalia Les illustrations de la galerie sont issues du livre de coloriage «L’aventureux M. Gum » de Sarah Olivier édité chez Atypeek™. www.mgum.fr https://www.etsy.com/fr/shop/ChezMonsieurGum


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Retrouver l’aventureux Monsieur Gum™ et son cahier de coloriage sur www.mgum.fr et sur www.facebook/monsieurgum Visuels extraits du cahier de coloriage - Mise en couleur Atypeek Design


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INTERVIEWFRED DRUART

Dans la cuisine DE

FRED DRUART Auteur touche à tout

aux univers riches, foisonnants, tou-jours en recherche de style et de supports différents, Fred Druart est un stakhanoviste qui pond de l’image comme il respire. Bande dessinée, peintures, illustrations, tout ce qui peut couler de son cerveau jusque sur le papier fera l’af-faire. La nôtre, pardi ! Auteur régulier de AAARG ! (cherchez bien, il a même fait une couv), il se livre ici dans le rituel abécédaire pour notre plus grand plaisir. Et le vôtre. Enjoy.


Article par :

D

comme DON MARTIN

— Le type qui m’a fait le plus rire. Gamin, j’étais tombé sur un des rares magazines Mad traduits en français. Je me souviens qu’armé d’un feutre vert, j’avais passé des jours entiers à copier ses dessins sur des grandes feuilles.

E

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A

comMe ALACK SINNER

— Je devais avoir aux alentours de dix-sept ans lorsqu’un ami m’a fait découvrir le travail de Muñoz et Sampayo. Je commençais à peine mes premières planches au sein des Beaux-Arts de Tournai. Lire Alack Sinner a vraiment été fondateur pour moi, et a très certainement joué un grand rôle dans mon envie de faire ce métier. Mon exemplaire de l’album Sophie Comics est aujourd’hui dans un mauvais état tellement je l’ai lu et relu. C’est un vrai couple d’auteurs, chacun d’eux l’un sans l’autre ne me procure pas le même truc. C’est le genre de binôme qui me fait rêver. J’ai toujours eu envie de trouver un scénariste avec qui travailler sur une très longue période.

B

comme BIDOUILLE ET VIOLETTE

— Ces albums m’ont vraiment marqué. Je suis épaté par ce genre d’histoires. C’est rempli de « bons » sentiments sans jamais tomber dans les pièges du genre. Je crois que c’est une des choses qui me paraissent les plus compliquées à rendre.

C

comme CALQUE

— Pendant longtemps j’ai encré sur papier calque. Il m’arrive encore parfois de bosser de la sorte, même si pour l’instant je préfère le simple papier de ramette d’imprimante ou la tablette graphique.

comme ÉLOGE DE LA FUITE

— C’est lors d’une soirée improvisée chez Pierre Dubois, un moment magique aux vapeurs savoureuses de très bons whiskys, que nous nous sommes mis à parler du pourquoi de tout ça, le dessin, les histoires, etc. J’en suis arrivé au constat que je vis cela comme une fuite. Une fuite des choses matérielles, du temps. Comme quand j’étais gosse, je me mettais sur la table du salon, je dessinais et lorsque je relevais la tête, la journée était passée sans que je m’en aperçoive. Comme une illusion d’éternité qui venait de gommer le temps. Putain, ça c’est le pied ! Je veux passer ma vie à faire des moustaches dans les magazines dans la salle d’attente parce qu’un jour on va crier mon nom et ce sera fini. Bref, c’est après cette discussion que Pierre m’a conseillé de lire Henri Laborit, je le remercie infiniment. Éloge de la fuite est devenu un de mes livres de chevet. Quand je serai roi des Belges, l’école sera remplacée par la lecture de ce livre.

F

comme FREAKS

— Enfant, je me cachais derrière le divan familial alors que mes parents pensaient que j’étais couché. En écartant discrètement les cous-sins je regardais le ciné-club et cette cachette m’a permis de découvrir pas mal des films qu’on interdisait aux gosses. Encore aujourd’hui je me souviens des nombreux cauchemars qui ont découlé de ces visionnages. Je pense que ça a vraiment été formateur pour moi. Je ne me souviens jamais de mes rêves, seuls les cauchemars me restent, il n’y a qu’eux qui me racontent des histoires le matin.

“E” comme éloge de la fuite …J’en suis arrivé au constat que je vis cela comme une fuite. Une fuite des choses matérielles, du temps. Comme quand j’étais gosse, je me mettais sur la table du salon, je dessinais et lorsque je relevais la tête, la journée était passée sans que je m’en aperçoive. Comme une illusion d’éternité qui venait de gommer le temps. Putain, ça c’est le pied !” FRED DRUART

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G

comme GÉPHYROPHOBIE

— Parfois, je suis atteins de ce truc, c’est la phobie des ponts. Quand on en est sujet, c’est très con d’habiter une ville coupée par un fleuve… Du coup il m’arrive de faire des détours pour en trouver un qui m’a l’air plus sympathique. J’ai lu qu’il existe des sociétés de transport (aux USA je crois) qui proposent leurs services dans les villes où les ponts font plusieurs kilomètres.

H

comme HEINRICH KLEY

— Pendant longtemps je ne réussissais pas à dessiner en dehors des planches de bande dessinée, en dehors du contexte d’une histoire. Heinrich Kley fait partie de ceux qui m’ont donné envie de dessiner pour le plaisir du dessin.

I

comme INGÉRABLE

— Plusieurs éditeurs m’ont indiqué que je l’étais. Non mais ça alors ! Vous vous rendez compte ma petite dame ? [Je ne corrobore absolument pas ce discours, Fred est l’un des auteurs les plus agréables avec qui il ait été donné de travailler à ce pénible dictateur que je suis – NDLR]

J

comme JETER

— J’ai très peu d’originaux de planches, pendant longtemps j’ai toujours tout jeté. Depuis deux, trois ans je commence à garder des trucs. Ce qui m’intéresse c’est de faire le truc, d’être dedans. C’est un peu comme les dédicaces, en général j’aime bien faire un truc qui n’a rien à voir avec le bouquin, une sorte de recherche pour un prochain bouquin, ou qui pourrait me donner l’idée d’un nouveau projet. Globalement je crois que je dois avoir un rapport au temps un peu bizarre. Le passé m’emmerde et le futur m’angoisse, du coup je me complais dans le présent.

K

comme KEATON BUSTER

— Ça fait 30 minutes que j’essaie de trouver un truc à dire à son sujet, mais je ne trouve rien… Je vous aime monsieur Keaton.

L

comme LANSDALE JOE R.

— Longtemps j’ai eu envie d’adapter une de ses nouvelles publiées en français dans le recueil Texas Trip. Depuis, j’ai appris qu’elle a été réa-lisée en comics. Mais bon, celle-là ou une autre… J’aime principalement toute sa « première » période, avec Les Enfants du rasoir, Drive-in, etc. Même si le reste est chouette aussi. Pour situer brièvement, le film Bubba Ho-Tep est adapté d’une de ses nouvelles, il a également été scénariste sur Jonah Hex (comics que je n’ai pas eu l’occasion de lire étant donné mon anglais pitoyable).

M

“T” comme THE STOOGES — Le seul groupe qui m’accompagne au moins une fois par semaine depuis mon adolescence” FRED DRUART

comme MAD

— Je n’en ai pas eu beaucoup entre les mains, mais comme je l’explique plus haut, le premier recueil que j’ai trouvé étant gamin m’a marqué. Je ne sais pas ce que j’ai fait de ce bouquin, j’ai dû le perdre dans un déménagement. Je me souviens que je l’avais tellement lu que la reliure était partie en couille.

N

comme NORMAN SPINRAD

— Encore un auteur que j’aimerais adapter. Encore un an ou deux et quand j’en aurai marre de tourner autour je m’y attaquerai… ou pas.

O

comMe ORVAL

— Une bonne bière d’abbaye. Je crois que j’aurais pu être moine là-bas ou à Chimay si la question de Dieu était restée une blague de fin de repas.

À SAVOIR Fred Druart est l’illustrateur de plus de 10 bandes dessinées, dont Groupe Tel-Aviv, La Métaphore du Papillon, Le chien de minuit...

PLUS D’INFOS

http://fredtoshy.wixsite. com/illustration


Article par :

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Article par :

P

comme PINTADE

— À une époque, un ami avait quelques volailles derrière chez lui, dont une pintade… J’ai passé des heures à observer ce truc, cette bestiole me fascine. Encore aujourd’hui, si j’en vois une, j’ai du mal à ne pas la suivre pour l’observer. Je crois que cette bête incarne le sens de l’existence : ça ne ressemble à rien.

Q

comme QUARANTAINE

— Je suis une sorte de plus jeune ni vieux.

R

comme RALPH STEADMAN

— Parce que tout ce que j’ai pu voir de sa production me met littéralement sur le cul, notamment ses illustrations sur Alice aux Pays des Merveilles. Je visionne parfois des vidéos où on le voit travailler, c’est fascinant, il est vraiment dans l’écriture visuelle. Quand je vois ce qu’il fait en dessinant avec du vin… alors qu’à l’inverse quand je vois ce que le vin fait de moi !Un reportage a été tourné sur lui : For No Good Reason.

S

comme SAUNDERS NORMAN

— J’ai découvert son travail il y a plusieurs années un peu par hasard en traînant sur le net. Je suis tombé sur une série de cartes qu’il avait réalisées avec des monstres dans des voitures. Étant donné que c’est un sujet proche de certaines de mes illustrations, ça m’a directement parlé. Ensuite j’ai découvert que c’était lui qui avait réalisé les cartes de Mars Attack que je connaissais sans savoir qu’il en était l’auteur. En creusant, j’ai découvert l’ensemble de son œuvre, je suis impressionné par la quan-tité et la qualité constante. Je m’y plonge dès que je fais une pause café.

T

comme THE STOOGES

— Le seul groupe qui m’accompagne au moins une fois par semaine depuis mon adolescence.

U

comme UNDERGROUND

— La marge fait toujours partie de la feuille.

V

comme VUILLEMIN

— Entre autre pour son album Hitler = SS… Je me demande s’il est possible que quelqu’un réédite cet ovni un jour.

W

comme WILL EISNER

— J’adore la façon dont il a réussi à faire certaines histoires du personnage The Spirit sans jamais qu’il n’apparaisse, ou juste en arrière-plan. Il fait également partie des auteurs qui m’ont donné envie de raconter des histoires.

X

comme BD ADULTE

— À l’époque où j’étais en coloc avec Dominique Hennebaut, l’envie de faire des albums de fesse nous a animés. Nous avons donc eu rendez-vous pour nos projets respectifs. Nous voilà donc partis pour une zone commerciale en banlieue parisienne. Au sous-sol d’un bâtiment qui devait servir de dépôt, nous allions rencontrer la rédactrice en chef. Très étonnant de tenter de parler sérieusement d’un projet alors que derrière votre interlocutrice s’alignent des godes aux formes diverses et variées. Bien que tentée graphiquement, elle m’indiqua que dans mon histoire les femmes avaient trop le dessus et elle me déclara : « Mes gars y zaiment pas ça. » De retour chez moi, j’ai revu ma copie… Et taquin comme je peux l’être, je lui renvoyais une histoire où la soumission des femmes était devenue extrême, en me foutant de leur gueule, de façon caricaturale, pour tourner leur demande en ridicule. À ma surprise, elle accepta le projet et me téléphona. Elle voulait changer des dialogues, elle me les a lus au téléphone d’une voix monocorde. Je n’en ai pas écouté la moitié, j’ai coincé le cornet téléphonique contre ma poitrine afin de cacher mon fou rire. Ça reste un très bon souvenir qui nous fait toujours rire.

Y

“P” comme PINTADE — Encore aujourd’hui, si j’en vois une, j’ai du mal à ne pas la suivre pour l’observer. Je crois que cette bête incarne le sens de l’existence : ça ne ressemble à rien.” FRED DRUART

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comme YIKES

— Un des nombreux groupes de John Dwyer.

Z

comme ZORRO

— Par Alex Toth. Encore un auteur incroyable, bien entendu en BD mais aussi ses recherches de personnages pour le dessin animé. J’adore ses monstres, il réussit à me faire croire à des bestioles improbables.

Aaarg ! N°5 - Découvrez plus d’articles sur : www.aaarg.net

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Le Geek C’est Chic


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Arnaud Verchère - Journaliste

LE CAHIER D E S G E E K S AV I S É S Facebook, du réseau social au média Article I Siècle Digital

Arnaud Verchère, Journaliste

La révolution numérique Propos de Steve Albini Article I Freaksound

Philippe Deschemin, Journaliste

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DIGITAL / Analyses / Études / Social / media

Facebook, du réseau social au média Rédaction : Siècle digital Rédacteur : Arnaud Verchère

INFOS : https://siecledigital.fr/

Les articles ayant pour sujet Facebook sont légion sur Siècle Digital (de l’article d’actualité mentionnant les crashs intentionnés de la plateforme sur son application Android aux publications traitant des offres/objectifs des publicités). Mais l’angle d’attaque de cet article sur Facebook est différent, car il n’engage que ma pensée et celles qui la rejoindront. Au fil des évolutions de la plateforme, mais aussi de l’expérience que j’ai pu connaître en tant que simple utilisateur comme d’amateur et connaisseur du social media marketing/community management, j’en suis venu à l’idée que Facebook ressemblait aujourd’hui beaucoup plus à un éditeur de presse que le réseau social de ses débuts. Pourquoi ? La plateforme sociale par excellence, a de moins en moins l’apparence et le fond du réseau social que l’on a connu, mais également d’autres raisons que je vais détailler là-maintenant-tout de suite-juste en bas…

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DE LA NOTATION DE « FACES » À LA SOURCE D’INFORMATION GRAND PUBLIC Il est bon de se rappeler que Facebook est né d’une blague « pour faire rire les copains » entre 4 étudiants où le « divertissement » consistait à cliquer sur une des deux photos d’étudiante de l’université pour définir qui d’entre elles étaient « Who’s hotter ? ». Une blague potache, mais qui rappelle fortement les concepts des apps de rencontres en ligne type Tinder… Bref l’idée de base a fortement évolué pour devenir TheFacebook.com puis le Facebook que l’on connaît depuis plusieurs années. Au départ exclusif puisque réservé à Harvard, la plateforme sociale s’est par la

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– des profils, – une timeline, – une messagerie, – des groupes, – la création et le partage d’évènements, – des photos/vidéos, – un moteur de recherche, – des pages où l’on retrouve des personnalités/marques/ médias, – Instagram et encore Free Basic/Facebook Lite… Toutes ces fonctionnalités sont autant d’informations accessibles aux utilisateurs au sein d’une même plateforme ! Certains diront « Bonjour l’info sur Facebook ! », mais cela dépend entièrement de soi… Une timeline d’un compte Facebook est assez représentatif des goûts et des loisirs d’une personne. Des lecteurs de magazine préféreront les contenus people avec des titres comme Grazia tandis que d’autres auront pour intérêt l’actualité technologique et scientifique comme le titre The Verge.

DE LA BLAGUE ENTRE AMIS À UNE MISSION ET UNE CULTURE GLOBALE Au début du billet, je rappelais le délire sexiste de potes qui s’est transformé en milliards de dollars. Cette information s’est largement répandue avec la sortie du film Social Network de David Fincher en 2010 (un film désapprouvé par la firme), mais également plusieurs années auparavant avec des magazines américains relatant les origines de Facebook. Dans tous les cas, le site institutionnel de la firme ne relate en aucun cas cette blague à l’origine du succès. Pourquoi je cherche une épine à Facebook ? © DR

suite ouverte au reste du monde et des personnes dès la fin d’année 2004 soit 11 mois après son lancement. Son développement n’est pas que territoriale, mais bien entendu technique, car les fonctionnalités ont énormément évolué. Facebook, c’est aujourd’hui :

C’est pour montrer le contraste dans l’idée de départ et la mission que la société affiche sur son site aujourd’hui : Voici la version officielle de Facebook : “Founded in 2004, Facebook’s mission is to give people the power to share and make the world more open and connected. People use Facebook to stay connected with friends and family, to discover what’s going on in the world, and to share and express what matters to them. – Facebook Newsroom / 2015”

Tout aussi important que les titres de presse, la plateforme recueille de nombreux contenus propres aux utilisateurs et des partages d’une multitude de sources plus ou moins connues : Monsieur/Madame ToutLeMonde, des célébrités, des marques/associations et même des Gouvernements. L’Élysée possède sa propre page qui est très bien modérée et plus qu’active (alors qui est la plus chaude à présent ?…) En septembre 2015, c’est plus d’1 milliard d’utilisateurs actifs en une journée ! Une présence internationale dans les cinq continents… Imaginez la quantité de contenus créés, partagés, commentés, likés aussi bien en public qu’en privé \o/. Mark Zuckerberg and co-founders Dustin Moskovitz, Chris Hughes and Eduardo Saverin launch Facebook

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DIGITAL/ANALYSE/CRéativité/Technologie

Cette mission est beaucoup plus large et ambitieuse que celle de départ en 2004 : “Thefacebook is an online directory that connects people through social networks at colleges. We have opened up Thefacebook for popular consumption at Harvard University. – Homepage thefacebook.com / 2004”

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De thefacebook.com avec comine objectif de connecter les personnes entre elles à facebook.com dont la mission s’est étoffée en voulant rendre le Monde plus ouvert et connecté et permettre aux personnes de découvrir ce qui se passe dans le monde.

Cette partie soulignée a confirmé mon idée que le réseau social souhaite et tend à devenir un éditeur de presse (le plus grand du monde, pas la journal local…). “Thefacebook is an online directory that connects people through social networks at colleges. We have opened up Thefacebook for popular consumption at Harvard University. – Homepage thefacebook.com / 2004” Quelles autres sociétés pourraient partager une mission similaire et altruiste (hum hum…) que les titres de presse et les médias en général ? Prenons quelques exemples avec deux des grands titres de la presse internationale, The New York Times : “We must also help guide readers through a world awash in information and choices and make it easier for them to make decisions that enable them to live active and ambitious lives – Extrait de Our Path Forward / octobre 2015”

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Autre exemple avec Le Monde : “Tenter de se hisser au-dessus de la mêlée pour dégager les grandes lignes de compréhension du monde contemporain – Extrait d’Un portrait du quotidien / Mars 2009”


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“DU PARTAGE DE PUBLICATIONS À UNE RÉGIE PUBLICITAIRE EFFICACE ET RENTABLE !”

On notera que beaucoup d’éditeurs de presse en ligne utilise le format native ads, mais souvent à travers une régie spécialisée comine Outbrain, Ligatus. Bref rien de « fait maison » comme Facebook for Business !

Une des principales évolution fondatrice de Facebook est la monétisation de sa plateforme. D’abord longtemps accessible aux grands comptes à partir de novembre 2007, la régie publicitaire de Facebook s’est progressivement ouverte à tous les budgets… Dans le fond et la forme, le display sur Facebook est étroitement similaire aux campagnes des éditeurs de presse en ligne. Dans le fond, un grand titre de presse comine Les Échos ou Facebook va avoir des clients dits « grands comptes » car ils allouent un gros budget sur les plateformes en question et ça de manière régulière (exemple : Coca-Cola avec Facebook). Pour les autres comptes qui n’ont pas de chargé attitré, ils passent par du RTB pour être visible selon le CPC / CPM qu’ils auront alloués le tout brassé par le format choisi et la concurrence à l’instant T.

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“En revanche, la grande force de la régie publicitaire de Facebook contrairement aux éditeurs de presse, c’est d’avoir mis en place des formats de pub qui s’intègre nativement aux contenus de la plateforme. Contrairement aux journaux en ligne avec des pop up, des pop in, des interstitiels dans tous les champs où l’on ajoute des habillages, des sponsoring de rubrique…

Du contenu sponsorisé qui s’intègre bien aux reste des publications…

Dans la forme, les produits publicitaires de Facebook sont certes plus complets que ce que peut proposer un quotidien, mais visuellement on reste exactement sur la même longueur d’onde : image statique, vidéo, support mobile, affichage dans la sidebar / colonne de droite (pour Facebook). En revanche, la grande force de la régie publicitaire de Facebook contrairement aux éditeurs de presse, c’est d’avoir mis en place des formats de pub qui s’intègre nativement aux contenus de la plateforme. Contrairement aux journaux en ligne avec des pop up, des pop in, des interstitiels dans tous les champs où l’on ajoute des habillages, des sponsoring de rubrique…

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On sent que la régie a faim : Outbrain, Ligatus et Google Adsense…

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www. fromsmash.com

Smash est l’unique moyen gratuit et très simple d’envoyer vos fichiers à un ou plusieurs destinataires sans limite de taille. De plus, Smash permet à vos destinataires à partir de n’importe quel support de voir vos photos/images, écouter vos musiques, regarder vos vidéos et lire vos documents… avant de les télécharger. Durant le chargement de vos fichiers, Smash vous fait découvrir des artistes, designers, musiciens et toutes autres organisations axées sur la création à travers une présentation pleine écran sans aucune publicité.


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FACEBOOK ET LA PRESSE : « JE T’AIME, MOI NON PLUS » Au printemps 2015, Facebook dévoilait officiellement sa première « attaque » envers la presse : les Instant Articles. Dans un de nos billets, nous vous en parlions justement. Pour résumer rapidement, c’est une nouvelle fonctionnalité réservée aux grands journaux pour afficher leurs contenus directement sur la plateforme avec une expérience utilisateur beaucoup plus poussée que les liens de partage que nous connaissons. Dans le milieu de la presse, cette annonce n’a pas été très bien accueillie lorsque certains titres ont pris des positions, comme Slate :

éditeurs ! Là où avant Instant Articles, vous sortiez de Facebook en cliquant sur un article partagé par un de vos amis pour vous rendre sur le média en question, à présent vous restez bien solidement sur la plateforme. Un intérêt de poids pour Facebook pour valoriser sa régie et augmenter les impressions publicitaires… Les éditeurs de presse ne peuvent pas pour autant se passer de Facebook, car ce support représente une forte part du trafic sur leur site : – Le Monde (.fr) : environ 12 % de son trafic provient du social media et Facebook représente +75 % de cette part !

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– Les Échos (.fr) : environ 10% du trafic est issu du social media avec +75% provenant de Facebook…

“Avec Instant Articles, Facebook avale les médias, mais c’est bien moins pire que ce qu’on croyait – Slate / mai 2015” Si les médias avaient eu peur de cette annonce, c’est que tout simplement pour leur « portefeuille ». Plusieurs rumeurs à l’époque parlaient de la main mise de Facebook sur les revenus publicitaires des médias. Rumeur qui s’est révélée fausse après l’annonce officielle de la fonctionnalité. Mais pour le coup c’est encore pire (pour les médias) et tout aussi bien (pour Facebook), car la plateforme devient maître des contenus de ces

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CULTURE MUSICALE

La révolution numérique

STEVE ALBINI ENTRETIEN : Philippe Deschemin INFOS : www.freaksound.com/blog/stevealbini

Né au début des années 60 en Californie, Steve Albini peut s’enorgueillir d’avoir contribué à l’écriture dune partie de l’histoire de la musique moderne. Témoin de l apparition du mouvement punk acteur de la scène indie américaine de la fin des années 80 - terreau du tsunamigrunge -, spectateur et acteur d’une discipline artistique qui s’avère aussi être une industrie, Steve Albini a fondé et joué dans Big “Black, Rapeman et officie toujours dans Shellac. Il aura également produit des centaines de disques incontournables : du In Utero de ‘Nirvana, en passant par des groupes tels que Neurosis ou Pixies. L’homme nous livre sa vision de l’avant et après révolution numérique. Nous sommes le 15 novembre 2014 à Melbourne, en Australie, lors de la conférence Face the Music. Steve est invité à échanger autour des problématiques liées à la révolution numérique dans l’industrie du disque. Au cours de son intervention qui dure une heure, il aborde toutes les facettes de l’industrie musicale, notamment ses évolutions et les rapports de classes entre les différents acteurs : musiciens, labels, producteurs, disquaires, radios, presse, etc. Il s’agit d’un témoignage éclairé et éclairant.

Steve démarre son intervention assez simplement, histoire de poser le contexte de son analyse. “J’ai 52 ans, j’ai toujours joué dans des groupes, toujours été actif musicalement, d’une manière ou d’une autre, depuis 1978. À ce jour, je joue encore, je travaille en tant qu’ingénieur du son et je possède mon propre studio d’enregistrement à Chicago. J’ai écrit pour un fanzine, j’ai été programmateur radio, organisateur de concerts et j’ai également monté un petit label. Je n’ai pas forcément réussi dans tout ce que j’ai entrepris, mais ces différentes activités sont partie intégrante de mon CV J’ai enregistré près de deux mille disques pour des groupes indépendants comme pour des rock stars, pour de petits labels comme pour de plus gros. De fait, je pense avoir le profil adéquat pour évaluer l’état de santé de la musique et comprendre son évolution. “ Une fois les présentations faites, Steve Albini rentre dans le vif du sujet : “J’entends dire que les temps sont durs, qu’internet a coupé les pattes de l’industrie et que, bientôt, plus personne ne fera de la musique parce qu’il n’y aura plus d’argent. Pratiquement partout, il existe une version différente de cette perspective alarmante. Ceux qui avaient pris l’habitude de tirer de bons revenus des ventes de disques ont vu la source se tarir et ne s’en sortent plus, car ils ont toutes les difficultés possibles à évoluer vers le téléchargement. De fait, ils supposent implicitement que cet argent perdu doit être compensé et dépensent leur énergie à chercher de quelle manière. J’aimerais que ce mécontentement cesse. “ À partir de là, Steve

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J’ai enregistré près de deux mille disques pour des groupes indépendants comme pour des rock stars, pour de petits labels comme pour de plus gros. De fait, je pense avoir le profil adéquat pour évaluer l’état de santé de la musique et comprendre son évolution

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STEVE ALBINI ACTIVISTE

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CULTURE MUSICALE

À SAVOIR Fondateur des groupes Big Black, Rapeman et de l’actuel Shellac. Albini a joué un rôle influent dans la scène US indépendante des années 80.

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LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE C’EST ICI ET MAINTENANT ! commence à analyser la période antérieure à l’apparition du numérique : “ Des années 70 jusqu’aux années 90, l’industrie de la musique se résumait seulement à celle du disque. C’est par ce biais que les gens découvraient et écoutaient les nouveautés. Puis, dans les années 80 et 90, sont arrivés MTV et les clips, mais le disque garda sa place prépondérante. De nombreux groupes se formèrent alors et tous aspiraient à enregistrer leurs compos, mais l’enregistrement étant coûteux, il se faisait rare. Même une simple démo demandait un réel investissement. Par conséquent, dans les années 70 et 80, la plupart des groupes disparaissaient sans n’avoir jamais enregistré une seule note de musique. “ Il enchaîna : “ Maintenant, j’aimerais vous parler du marché de la musique tel que je l’ai vécu aux États-Unis. Au début des années 80, nous pouvions acheter un 45 tours ou payer l’entrée d’un concert avec seulement un dollar et acquérir un nouvel album pour cinq autres dollars. J’ai conservé quelques vieux tickets et les étiquettes de

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prix sont toujours collées sur mes disques. Dans les années 90, l’inflation progressive a entraîné une augmentation du prix des disques alors qu’ils étaient toujours le principal moyen d’écouter de la musique. Toute l’industrie dépendait de ces ventes. Les groupes signés sur de grosses maisons tournaient beaucoup car les labels leur offraient un support logistique et promotionnel, afin de les maintenir sur la route. Cela impliquait tout un réseau d’agents, de managers, de roadies, et de promoteurs. “ À propos des radios, il dira : “ Les stations de radio étant également très influentes, les maisons de disques dépensaient beaucoup pour tenter de les influencer et, quand de nouveaux disques sortaient, les labels étaient prêts à payer pour pouvoir rencontrer les programmateurs. Toutes ces offres étaient très lucratives pour les radios. Les plus populaires organisaient parfois des concerts gigantesques auxquels les groupes des labels se joignaient gratuitement. Les revenus des tournées avaient beau en prendre un coup, la portée promotionnelle de l’événement était censée compenser la perte. “ Plus tard, dans son intervention, Steve aborde l’arrivée d’internet : “ Avec internet, la musique est apparue sans limites et gratuite.


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Au départ, les grosses maisons de disques n’ont pas considéré la distribution digitale comme un business rentable, elles l’ont donc ignorée. Les hackers et le public s’en sont emparés. Ils ont commencé à développer le format numérique, avec les fichiers compressés qu’ils pouvaient télécharger, streamer, écouter sur YouTube ou partager en ligne avec quelques amis. En un claquement de doigt, la musique autrefois rare, chère et uniquement disponible sur support physique est devenue gratuite et à portée de main, partout. Quelle évolution fantastique ! Un avis que la majeure partie des acteurs de l’industrie musicale ne partage pas, affirmant à quel point il est terrible de diffuser la musique, criant ni plus ni moins au vol… Ce ne sont que des conneries. [...] La technologie et le matériel d’enregistrement sont très accessibles, les ordinateurs sont désormais équipés de logiciels permettant d’enregistrer de bonnes démos. Maintenant, chaque groupe a l’opportunité de s’enregistrer lui-même. Il peut diffuser ses compositions partout plutôt que de dépenser une fortune en coups de téléphone, afin de trouver la personne qui écoutera sa musique. Tout groupe sur cette planète a maintenant au bout de ses doigts un accès libre et instantané au monde entier. Je n’insisterais jamais assez sur l’importance de ce développement. Auparavant, l’industrie dictait quelle musique allait pouvoir être disponible sur tel marché, à tel endroit. Il était inconcevable qu’un petit groupe indépendant puisse pénétrer un marché étranger.

Aujourd’hui, les fans peuvent repérer la musique qu’ils aiment et développer une relation directe avec leurs groupes préférés. C’est absolument possible. Je suis même sûr que chaque jour, un gamin habitant à l’autre bout du monde découvre un nouveau groupe qui lui plaît, décide de lui envoyer un message, que le chanteur ou un autre membre le lit sur son téléphone portable et prend le temps de lui répondre. Qu’y a-t-il de mieux ? N’est-ce pas infiniment préférable à une relation qui tient à la seule lecture du livret d’un CD. Si cela avait été possible quand j’étais adolescent, je suis sûr que je n’aurais rien été de moins qu’une nuisance pour les Ramones. “

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Retrouvez l’ensemble de l’intervention de Steve Albini sur YouTube : Face The music 2014 Entretien par Philippe Deschemin

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“En un claquement de doigt, la musique autrefois rare, chère et uniquement disponible sur support physique est devenue gratuite et à portée de main, partout. Quelle évolution fantastique  !”

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On vous dit tout, on ne vous dit rien


© Vincent de White

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Laurent Courau - Journaliste

LE CAHIER RESPONSABLE GARETH BRANWYN : « BORG LIKE ME Interview I La Spirale

Propos de Laurent Coureau et de Soizic Sanson

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GARETH BRANWYN INTERVIEWAUTEUR

« BORG LIKE ME »

Retour vers le futur pour La Spirale ! Illustration de Danny Hellman pour le livre Borg Like Me de Gareth Branwyn. Et le plaisir de retrouver une figure marquante parmi les pionniers de la cyberculture, qui laissa en son temps un souvenir durable à nos lecteurs et sût en inspirer plus d’un.


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LE SAVIEZ-VOUS Gareth Branwyn a été rédacteur en chef du magazine MAKE. Sur la photo le voici à l’époque où il s’occupait de la rédaction du magazine MAKE.

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UNE INTERVIEW DE LA SPIRALE Près de quinze années ont passé depuis notre précédent entretien avec le journaliste Gareth Branwyn, en 1999. Un échange motivé à l’époque par la sortie de son livre Jamming the Media, véritable bible de l’autoproduction médiatique. Et c’est à l’occasion d’une autre publication que nous nous retrouvons en cette fin d’année 2013, celle de sa future anthologie Borg Like Me, compilation d’articles et de récits parus au préalable dans bOING bOING, Mondo 2000, Wired ou MAKE. Prétexte idéal pour échanger sur l’actuelle subculture technologique qui le passionne, entre hackerspace et impression 3D, makers, crowdfunding ou réseaux de drones, et explorer plus avant ce monde émergent dont le mot d’ordre semble bel et bien d’« auto-produire son mode de vie ».

Notre précédent entretien sur La Spirale remonte à la toute fin des années 1990. Avec le recul, que pensez-vous de la quinzaine d’années qui vient de s’écouler ? Cette période me semble tout à fait incroyable, à la fois pour le meilleur comme pour le pire. Oui, cette période a été complètement dingue ! À la fin des années 90, je venais juste de publier mon livre Jamming the Media. Je l’avais conçu comme un guide du hacking médiatique, une forme de manuel d’apprentissage pour tous les médias amateurs. Au travers des fanzines imprimés, du mail-art, de la culture des cassettes, des réseaux d’art par fax, de la télévision citoyenne sur le câble, des Mp3, de logiciels multimédia comme HyperCard et de tout le reste, j’ai vraiment eu le sentiment qu’une révolution de grande ampleur était sur le point de se produire dans le domaine des médias individuels et citoyens. Et je voulais donner aux gens les outils dont ils avaient besoin. C’était avant que le web ne devienne énorme, avant que des choses comme les blogs, les podcasts et même YouTube n’apparaissent. Je dois dire que j’ai été ravi lorsque Time Magazine a fait

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L’anthologie Borg Like Me est disponible en précommande sur le site SparksofFirePress.com ARTICLE DE Laurent Courau et Soizic Sanson Traduction par Soizic Sanson et Laurent Courau. Copyrights : La Spirale.org Un eZine pour les Mutants Digitaux !

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de « vous » la personne de l’année 2006, en affichant un miroir (qui reflétait donc chacun d’entre nous) sur sa couverture, comme une manière de reconnaître cette explosion des médias do-it-yourself que j’avais (ainsi que d’autres) prévue dans les années 90. Observer, par la suite, ce que les gens ont fait de ces outils s’est révélé passionnant. Puis le mouvement maker est apparu, en diffusant ses valeurs d’auto-production au cœur même de la sphère technologique, qui était elle-même déjà très stimulante à cette époque. Tout cela m’a certainement permis de nourrir beaucoup d’espoir en l’humanité. Et c’est là que le 11 Septembre s’est produit, engendrant une guerre sans fin « contre le terrorisme », ce qui nous a menés aux débâcles de l’Irak et de l’Afghanistan, au Patriot Act, au caractère toujours plus invasif de la NSA et à l’érosion des libertés civiles non seulement aux États-Unis, mais dans le monde entier. Et encore bien d’autres choses, tristes et effrayantes. Comme vous l’avez dit, pour le meilleur et pour le pire. Ce fut vraiment un tournant démentiel pour notre siècle. Cette interview se déroule quelque temps après l’annonce de la sortie de votre prochain livre, Borg like me and other tales of Art, Eros and embedded systems, qui devrait être disponible au moment des fêtes de Noël. Il regroupera près de trois décennies de travail et de réflexions sur la cyberculture, les medias DIY, l’autoproduction et l’auto-publication, parmi bien d’autres choses. Qu’est-ce qui vous a motivé cette anthologie ?

Ça fait longtemps que je voulais écrire ce livre. Je bataille en tant qu’écrivain depuis plus de trois décennies, je me suis trouvé impliqué dans la culture de l’Internet à son démarrage, ainsi que dans un paquet de cultures marginales qui ont depuis rejoint la culture de masse. J’ai écrit pour plein de publications merveilleuses, j’ai vécu une vie riche et colorée. Et c’est ce que j’ai eu envie de capturer à travers un livre. La manière dont je m’y prends ressemble un peu aux mémoires d’un homme paresseux. J’ai rassemblé ce que je préfère dans mon travail des trente dernières années, puis j’ai organisé ce contenu avec de longues introductions qui fournissent la trame de fond de chaque chapitre, en retraçant ce qui se passait dans ma vie à l’époque. Mais je suis désolé d’annoncer à ce stade que le livre ne sera pas prêt pour Noël. J’étais trop ambitieux en me fixant cet objectif. J’ai lancé une campagne sur Kickstarter pour financer ce livre, en sous-estimant la somme de travail que ça impliquait, avec les récompenses des souscripteurs, etc. J’auto-édite ce livre et l’ai rendu disponible dans quatre formats (print, .mobi for Kindle, .epub for iBook et PDF), ce qui s’est révélé beaucoup plus compliqué que je ne l’imaginais. J’aimerais passer simplement mes journées à écrire, mais je dois aussi m’occuper de toutes les tâches administratives. Je savais que le crowdfunding et l’auto-édition représenteraient un défi, mais j’avais sous-estimé le nombre de pièces à manipuler et le fait de devoir toutes les manipuler en même temps. Une part de ma motivation pour m’engager dans ce projet et le financer au moyen du crowdfunding tenait aussi à mon envie d’expérimenter, de voir si c’est une option viable pour les créateurs de médias. En d’autres termes, si le crowdfunding est prêt pour une utilisation à grande échelle ? À ce stade, ma conclusion est « mon Dieu, non ! » Je trouve très bien de pouvoir bénéficier de cette option, mais je persiste à penser qu’il lui reste un long chemin à parcourir avant d’arriver à maturité. Si cet outil a des points forts, il comporte aussi de vraies défaillances pour ce qui est de l’édition commerciale. Le crowdfunding demande tellement de temps, d’efforts et

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“je me suis trouvé impliqué dans la culture de l’Internet à son démarrage, ainsi que dans un paquet de cultures marginales qui ont depuis rejoint la culture de masse” d’auto-promotion éhontée, qu’il m’est difficile de le considérer comme rentable, à moins que vous n’ayez d’autres solutions. En ce qui me concerne, j’avais une autre option. Un éditeur m’avait approché (avant même que je propose l’idée du livre), mais je n’avais pas donné suite car je tenais à expérimenter l’auto-publication. Si j’avais à la refaire, je prendrais probablement la voie la plus conventionnelle et je me ferais éditer. Mais je pourrais bien changer d’avis, une fois que le livre sortira, selon son succès financier. Je ne suis pas dégoûté du crowdfunding - je pourrais bien y revenir pour d’autres projets dans l’avenir - mais je pense qu’il faut l’utiliser pour des projets adaptés et je ne suis pas sûr que les livres entrent dans cette catégorie. Nous verrons bien.

©Chris Hope - Casquette d’électrodes qui enregistrent un EEG. (L’électroencéphalographie (EEG) est une méthode d’exploration cérébrale qui mesure l’activité électrique du cerveau par des électrodes.

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© laurent courau

JUSQU’ICI TOUT VA BIEN

un film de laurent courau, avec lionel ‘foxx’ magal musique du crium delirium ‘PSYKEDEKLIK’ - PRODUCTION LA SPIRALE.ORG - avec de VRAIs morceaux du mupop, du cirque électrique, DU TRANSPALETTE et de LA DEMEURE DU CHAOS - SORTIE AU PRINTEMPS 2017 SUR TOUS VOS ÉCRANS ÉBAHIS ! « FRANCHISSONS ENSEMBLE LES FRONTIÈRES DE L’ESPACE ET DU TEMPS »


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Selon votre expérience, il semblerait donc que le crowdfunding ne soit pas une manière simple de publier des livres. Comment compareriez-vous le phénomène du financement participatif aux publications underground, aux fanzines des années 80 et aux innombrables médias autoproduits de votre livre Jamming the Media ? Est-ce la transaction financière avec les souscripteurs qui change la donne ? Oh, comme je le disais plus haut, je pense que le financement participatif est une merveilleuse avancée. Et je pense aussi que c’est une excellente option pour ceux qui ne pourraient pas publier un livre autrement. En tant qu’outil de recherche de fonds, c’est vraiment puissant et surprenant. J’ai vu, par exemple, des gens financer de cette manière la production de leurs comics, alors qu’autrement ils auraient dû payer de leur poche. Même chose pour des petits films indépendants, des jeux de plateau et des jeux vidéo, ainsi que des livres et des magazines. J’ai une idée de projet artistique que je ne pense pas pouvoir financer de manière traditionnelle, et pour lequel je pense à nouveau requérir au crowdfunding après ce livre. Donc, pour des projets comme ceux-là, je pense que c’est une avancée bienvenue en comparaison de ce que nous faisions dans les années 80 et 90, avec des médias auto-produits qui nous financions par nos propres moyens ou en sollicitant nos parents et nos amis. Je me demande surtout si le crowdfunding et l’autopublication ont du sens d’un point de vue économique, pour quelqu’un comme moi qui bénéficie déjà de connexions dans le monde de l’édition avec des livres publiés dans le commerce. La question est posée. Reparlons-en dans un an et je vous dirai si l’expérience a été un succès. Vous suivez le mouvement des makers depuis 2006, notamment à travers votre collaboration avec le magazine MAKE et votre activité personnelle via Street Tech. Et au-delà des magazines et ezines, ce mouvement possède aussi ses événements, dont le Maker Faire. Qu’est-ce qui vous a poussé à quitter la direction de MAKE, malgré l’actualité chargée de cette mouvance ?

J’ai quitté la direction de MAKE pour des raisons personnelles, notamment de santé. Je pense que le travail effectué par ce magazine, aux côtés du mouvement maker dans son ensemble, ainsi que de nombreux groupes et individus à travers le monde, a contribué à changer la donne. Mais j’ai un certain nombre de problèmes de santé, dont une arthrite sévère et une maladie du cœur. Le poste de rédacteur en chef d’un tel média nécessite un travail très intense, stressant et usant. Ça implique aussi de nombreux voyages. J’avais un appartement en Californie (je vis dans la région de Washington DC) et l’année dernière, j’ai passé quasiment la moitié de l’année là-bas, en faisant la navette entre les deux côtes des États-Unis. Ce qui m’a amené à réaliser que je ne pourrais pas continuer ce travail sans me mettre en danger. Et maintenant que je suis retourné au journalisme freelance, je réalise que c’est exactement ce que je suis supposé faire. Je suis journaliste, c’est ce que je fais et c’est ce que je suis. Je ne pense pas que je sois fait pour diriger ou être patron. Le monde du freelance est si infernal en ce moment, que je n’ai fait qu’échanger un certain type de pressions contre d’autres. Mais je me sens tellement plus à l’aise dans ma peau de créatif, face aux challenges qui lui sont propres. Dans une interview récente, vous disiez que malgré la démocratisation de la scène tech, il subsiste une communauté résiliente, celle des makers, qui revient aux sources du mouvement do-it-yourself des 90’s. Pensezvous que nous allons vers une métamorphose générale de nos sociétés post-modernes en sociétés de makers ? Ou avez-vous plutôt le sentiment que ce phénomène demeurera marginal ? J’aimerais pouvoir dire que l’éthique du milieu maker se généralise, mais je ne suis pas sûr que ce soit réellement le cas. J’ai obtenu une bourse pour un travail de recherche à l’université George Mason en Virginie du Nord, en mars 2014. Et je prévois justement d’y creuser cette question. Outre le fait de rencontrer des personnalités-clés du mouvement, j’échangerai avec des historiens et des anthropologues de la technologie, des chefs d’entreprise, des leaders de diverses communautés, des enseignants et des chercheurs en innovation,

pour tenter de mettre en lumière l’étendue du mouvement maker à notre époque et anticiper son avenir. M’y étant tellement impliqué depuis 2006, j’ai pensé qu’il serait amusant de prendre du recul pour évaluer clairement ce qu’il représente aujourd’hui, l’étendue de ses ramifications, s’il représente un tournant significatif dans notre société ou s’il s’apparente davantage à un effet de mode, à une mouvance culturelle à court terme ou à simple effet correctif. Parmi les technologies que nous trouvons dans les hackerspaces ou les fablabs, la plus prometteuse reste l’imprimante 3D. De par sa nature d’outil de création (quasi) total et supportant toutes les étapes de fabrication d’un objet, l’imprimante 3D apparaît comme l’outil parfait pour accéder à une indépendance économique et créative. Qu’en pensez-vous ? Avezvous ce sentiment avec d’autres technologies émergentes ? Je pense que l’impression 3D est un parfait exemple du type d’innovation engendré par le mouvement maker. Ce phénomène d’innovation issu des marges prend le marché d’assaut avec des pièces et des produits de hautetechnologie à des prix de plus en plus réduits, de nouvelles avancées dans le domaine des matériaux, grâce à la puissance de collaboration née de l’Internet et d’espaces communautaires de makers, telles que les hackerspaces.

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Dans le cas de l’impression 3D, cette technologie existait depuis des décennies, mais n’était pas accessible aux consommateurs. Et son coût restait prohibitif pour la plupart des applications. L’équipe à l’origine de l’imprimante Makerbot a réalisé qu’il était possible de combiner des microcontrôleurs peu onéreux comme l’Arduino, la fabrication commandée par ordinateur pour le corps de l’imprimante, d’autres composants très accessibles et le développement open source réalisé sur le projet RepRap. Réunissez tout ça par le biais d’une petite entreprise fondée par des makers et vous pouvez sortir une imprimante de qualité sur le marché. Et bien évidemment, ça a démarré par un kit open source, ce qui leur a permis de mobiliser une communauté d’usagers pour les aider à développer cette technologie. Ce seul exemple d’innovation par des makers a suffi à engendrer une nouvelle catégorie de produits et un nouveau marché. Il existe dorénavant des douzaines de petites start-ups dans le domaine de l’impression 3D, et d’autres se créent continuellement. Donc oui, je pense que le potentiel de cette technologie est énorme, avec la possibilité pour beaucoup de gens, partout dans le monde, d’utiliser chez eux cette technologie fonctionnelle de fabrication d’objets dans leurs foyers. Et puis à côté de ça, d’autres technologies surprenantes sont nées du mouvement maker, comme Arduino, un microcontrôleur très peu cher, conçu à l’origine pour les artistes et les créatifs, pour leur offrir un système simple à maîtriser et leur permettre d’ajouter de l’interactivité dans leurs projets. Une des choses qui m’a marqué dans Getting Started with Arduino, le livre de Massimo Banzi, co-créateur d’Arduino, est sa reproduction d’une page de Sniffin’ Glue, un fanzine punk des années 80. Il s’agit du dessin d’une tablature pour des accords de guitare basiques, qui dit : « Et maintenant, va former un groupe ! » J’adore cette idée qui place le mouvement des makers et Arduino dans l’éthique punk do-it-yourself. Et maintenant, il y a le Raspberry Pi, un ordinateur à part entière qui tient sur une carte. Il est vraiment très peu cher, simple d’utilisation et peut compter sur une très grande communauté d’utilisateurs

dans le monde. Le potentiel de toutes ces technologies est très excitant. J’écris actuellement pour MAKE un article sur les personnes qui fabriquent des prothèses en utilisant ces technologies. Il existe maintenant des plans en ligne de modèles de mains que l’on peut imprimer en 3D et assembler soi-même. Au lieu de payer trente à quarante mille dollars US ou davantage pour une prothèse de main professionnelle, il est possible d’imprimer la sienne pour quelques milliers de dollars ! Puisque vous nous parliez plus haut de journalisme, que pensez-vous de l’état actuel des médias imprimés, tels que les magazines, aux États-Unis ? Ici en France, les ventes ne cessent de décliner et j’ai bien peur que personne n’ait encore trouvé de modèle économique fiable pour les médias en ligne. Ce qui est assez effrayant, quand on considère l’importance des médias indépendants dans la bonne dynamique d’une démocratie. Oui, les médias imprimés de masse se trouvent en fâcheuse posture. Lorsque j’étais rédacteur en chef de MAKE, nous avons été témoins de l’érosion des ventes du magazine dans les librairies et les kiosques. Parallèlement, des chaînes de distributeurs comme Borders disparaissent et d’autres comme Barnes & Noble ferment des magasins. Bien que je reconnaisse qu’il n’y a pas encore de modèle économique solide et fiable pour les médias digitaux aujourd’hui, nous savons que c’est là que tous les médias finiront – en ligne, dans le nuage. La lueur d’espoir pour les imprimés, dont je ne pense pas qu’ils disparaîtront complètement, passera par les publications spécialisées. Je prédis que les fanzines opéreront une forme de comeback nostalgique dans les prochaines années, si ce n’est déjà le cas. On voit d’ores et déjà dans le monde du livre que beaucoup d’éditeurs publient moins de titres, mais injectent beaucoup d’énergie et d’argent dans la qualité de ce qu’ils éditent – faisant ainsi du livre un objet vraiment spécial, quelque chose que l’on ne peut obtenir dans les médias digitaux. Tout comme l’édition numérique intègre des médias embarqués que le livre imprimé ne peut pas proposer. Même si je suis enthousiaste sur le plan artistique

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“Les gens me voient comme un geek, un technophile, mais honnêtement, je me suis davantage intéressé à l’aspect humain de l’équation, plus qu’à la technologie” et pour la touche d’espoir que ça apporte, l’effondrement de l’imprimé m’attriste. J’ai toujours été un grand fan de livres et de magazines. Et ça me fait de la peine de voir toutes ces librairies fermer autour de moi. Votre livre Borg Like Me est sous-titré « and Other Tales of Art, Eros and Embedded Systems ». La place que l’Eros y tient me paraît surprenante. J’ai lu que vous meniez récemment une enquête sur la communauté des sexcams - ces sites qui proposent des exhibitions d’amateurs via leur webcam, parfois gratuitement ou selon les tarifs des modèles ou celles des sites hébergeurs. Ce type de dispositif se généralise et les relations qu’ils génèrent vont sans doute perdurer et se complexifier à l’avenir. Pensez-vous qu’il s’agisse de l’une des révolutions de notre époque ? Je suis ravi que vous me posiez cette question. Durant toutes les interviews et les discussions que j’ai pu avoir autour de ce livre, personne


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ne m’a vraiment interrogé à ce sujet. Au cours de mes trente ans de carrière, j’ai écrit sur beaucoup de différents sujets, dont certains pouvaient sembler être aux antipodes de la technologie, comme l’art et le sexe. Nous avons réalisé un numéro spécial de bOING bOING sur le sexe au début des années 90 et j’ai même eu la charge d’une colonne dans CORE, un magazine porno new-yorkais. Le monde de la sensualité, de l’érotisme et du sexe a toujours joué un rôle important dans ma vie et par moments dans mon travail. C’est amusant, quand on parle de « cyborgs », les gens pensent toujours à la partie « machine », ils ne pensent pas souvent à la « viande », à la part organique et sensuelle. Les cyborgs ont aussi besoin d’amour ! Humaniser la technologie auprès de ceux qu’elle intimide ou de ceux qui l’ignorent est devenu comme une mission pour moi, tout comme de rappeler l’existence du monde sensuel au monde technologique. Mon livre est sous-titré « and Other Tales of Art, Eros and Embedded Systems », parce qu’il aborde trois domaines : l’art (et toutes les formes de créativité ou d’imagination), Eros (la sensualité, la sexualité, l’amour), et les systèmes embarqués (toutes les formes de technologies de plus en plus miniaturisées), qui ont été trois thèmes majeurs de mon travail. Et de ma vie. Je ne vois pas ces thèmes dans des catégories séparées pour moi, ils s’interpénètrent. Comme vous le disiez, j’effectue en ce moment des recherches pour un article sur les sites de sexcams et je crois qu’on voit émerger là une forme d’intimité très xxie siècle, qui va bien au-delà du fait de payer pour un show de webcam sexy. Ces systèmes offrent aussi un nouveau modèle de travail sexuel, sûr, sans contact direct, do-it-yourself, potentiellement lucratif et à la diffusion mondiale. Ca devient aussi une nouvelle forme de télé-réalité auto-produite, qui peut s’avérer étonnamment convaincante (et je ne parle pas des aspects ouvertement sexuels). Certains de ces modèles dévoilent leur vie entière devant leur caméra, certains font des choses vraiment excentriques, comme du bricolage ou des émissions de cuisine nudistes, des Pictionary sexy et d’autres jeux, dont certains se révèlent très élaborés. On y trouve régulièrement du yoga, des mimes, de la chanson folk (et masturbatoire) et des performances de

toutes sortes, toujours en toute nudité. C’est souvent extrêmement fascinant, cru et émouvant ; c’est un segment de la culture internet dont je pense que la plupart des gens ne soupçonnent pas l’existence, à moins de faire partie des habitués de ces sites. La Spirale suit ce qu’il se passe en Afrique, continent propice à l’éclosion d’avancées technologiques qui rivalisent d’ingéniosité. Je pense par exemple aux éditions du Maker Faire Africa qui se sont déroulées au Ghana, au Kenya et plus récemment au Caire. Ou encore au site Afrigadget.com, qui documente le recyclage technologique opéré par des Africains. Est-ce que d’autres projets similaires ont attiré votre attention ? Oui, j’adore le site Afrigadget. Lorsque j’étais rédacteur en chef du site web de MAKE, je bloguais régulièrement à propos de personnes et de projets découverts via ce site. Et bien sûr, nous soutenions les évènements du Maker Faire Africa. Tout comme en Occident, les technologies toujours plus accessibles et plus puissantes, les nouveaux matériaux et le pouvoir collaboratif des communautés connectées sur le Net alimentent les innovations en milieu rural et le développement de régions comme l’Afrique. C’est tellement inspirant d’entendre des personnes comme William Kamkwamba, l’adolescent malawi qui a parcouru des livres de sa bibliothèque locale sur des moulins à vent (des livres d’images et non pas des ouvrages techniques, s’il vous plaît) et qui, en utilisant des pièces récupérées autour de lui, a construit un moulin à vent générateur d’électricité pour sa famille en milieu rural. Bénéficier d’informations à votre portée, d’un accès à des outils, à du matériel et avoir la possibilité d’entrer en contact avec d’autres personnes, n’importe où dans le monde, constitue un cocktail explosif. Aujourd’hui, on commence à voir apparaître des hackerspaces dans un certain nombre de pays africains. C’est vraiment très excitant. Au-delà de l’Afrique que nous venons d’évoquer, vous intéressez-vous spécifiquement à certains pays ou à certaines régions du monde ? Des lieux qui apporteraient leur part de nouveauté, quelque chose comme un avantgoût du futur ?

“Les cyborgs ont aussi besoin d’amour !” Je suis heureux de voir des hackerspaces commencer à éclore dans chaque coin du monde, de l’Amérique du Sud jusqu’au Moyen-Orient, de la Russie à l’Irak et à l’Iran. Nous allons voir de plus en plus d’espaces de ce type parmi des populations qui ne comptent pas beaucoup d’ingénieurs et de personnes instruites. Ca commence vraiment à pénétrer le grand public. Et c’est très stimulant pour moi. Après Wired, Mondo 2000, bOING bOING, Street Tech et le magazine MAKE, Borg Like Me est l’occasion de dresser votre état des lieux. Qu’est-ce qui vous nourrit encore votre intérêt pour cette scène technologique ? Lorsque j’ai commencé à m’impliquer fortement dans la technologie dans les années 80, j’étais inspiré par l’éthique cyberpunk telle que l’a décrite William Gibson : « La rue trouve son propre usage aux objets. » Les gens me voient comme un geek, un technophile, mais honnêtement, je me suis davantage

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intéressé à l’aspect humain de l’équation, plus qu’à la technologie. Je suis fasciné par la manière dont les gens utilisent la technologie et plus encore par la manière dont ils en abusent (deux aspects que n’envisagent pas les concepteurs d’une technologie). Mais aujourd’hui, avec l’ampleur que prend le mouvement maker, je commence à voir des technologies importantes, qui pourraient changer le cours des choses (par exemple l’impression 3D avec Makerbot). Ce qui m’amène dorénavant à changer mon fusil d’épaule et à m’intéresser à la technologie qui vient des marges pour rejoindre la culture de masse, plutôt que l’inverse.

des armes à feu imprimées et de débats sur la propriété intellectuelle des modèles pour impression 3D. Et puis, il y aura aussi les armes biologiques imprimées en 3D.

Certains évoquent les nano-technologies, d’autres la singularité, les énergies renouvelables… Quelles sont vos attentes au niveau technologique ? Quelle sera la prochaine grande étape ?

C’est une question intéressante, parce que je ne me considère pas vraiment comme optimiste ou pessimiste. Ou peut-être les deux, en fonction des circonstances. Je vois cela comme une sorte de pratique spirituelle : « être ouvert à tout mais sceptique sur tout », comme le disait Robert Anton Wilson. Il appelait ça « l’agnosticisme multi-modèle » ou être agnostique sur TOUT, y compris sur des polarités telles que l’optimisme et le pessimisme.

Bien, je ne suis jamais très bon pour prédire l’avenir. Mais je suis convaincu que nous assisterons dans un futur proche à l’amélioration, au développement et à l’extension de ce qui existe déjà : l’impression 3D, des microcontrôleurs toujours plus accessibles et plus puissants, ainsi que l’Internet des objets (IoT) (avec des capteurs partout et tous les objets connectés à l’Internet). Et espérons qu’un grand mouvement éducatif va se mettre en place pour former les individus à l’utilisation de ces outils et de ces technologies. À court terme, je pense que l’Internet des objets sera le prochain grand chantier technologique et qu’il bénéficiera de beaucoup d’attention et de développement. Il y a aussi des choses qui peuvent encore sembler un peu folles aujourd’hui et qui pourraient bien devenir essentielles. Je pense entre autres aux réseaux de drones, ces petits véhicules volants robotisés qui fonctionneront comme des essaims en réseaux, similaires à la façon dont les paquets de données transitent sur l’Internet. Ces drones pourront transporter des objets au sein d’une région. Ainsi les facteurs, les coursiers et les livreurs du futur seront peut-être des robots. Du côté de l’impression 3D, la controverse va s’axer autour

Je ne peux pas garantir ce que l’avenir nous réserve, mais je me sens confiant en affirmant que ce sera sacrément intéressant. Pour conclure cette interview, est-ce que vous vous considérez plutôt comme optimiste ou pessimiste, à la fois sur le plan personnel et en regard de ce que l’avenir apportera à nos sociétés ?

Je ne crois pas en la bonté innée de l’humain, mais je crois qu’il y a de belles choses chez de nombreux individus (et tout du moins, probablement un petit peu chez chacun) et un potentiel créatif incroyable dans l’ensemble de l’humanité. Je pense qu’en tant qu’animaux, nous sommes sujets à la cupidité, au désir, à la volonté de pouvoir et que nous avons certaines tendances à la paresse, au sommeil spirituel. Ce qui nourrit notre penchant à tout foutre en l’air, à entamer des guerres, haïr et craindre ce que nous ne comprenons pas. Mais en même temps, nous avons une habileté incroyable à nous sortir tous ensemble des moments les plus difficiles. Je pense que le meilleur de l’humanité se révèle généralement en temps de crise. Nous avons commencé cette interview en évoquant les deux dernières décennies et combien elles avaient été marquées par d’incroyables et de terribles évènements depuis notre dernier entretien. Dans ce laps de temps,

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“être ouvert à tout mais sceptique sur tout”, comme le disait Robert Anton Wilson le monde a irrévocablement changé, grâce aux ordinateurs, aux communications numériques, au Web, à la capacité de pénétration des médias do-ityourself – et à toutes les choses incroyables qu’ils ont engendré. En écrivant Jamming the Media, je pouvais sentir qu’il allait se passer quelque chose. Tout comme je ne crois pas que je puisse rester assis ici et deviner la prochaine chose qui va arriver. Mon seul espoir est que nous trouverons toujours l’opportunité de nous sauver, avant de parvenir à nous détruire. Et il y a aussi une part de romantisme en moi qui veut toujours croire que nous y parviendrons. Alors peut-être que je suis optimiste, d’un certain point de vue.



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Sur le plus beau trône du monde, on n’est jamais assis que sur son cul. Citation de Montaigne - Essais (1580)


© Daniel Nguyen

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Flore Cherry - Journaliste

LE CAHIER SEXY COMmE UNE COUILLE DANS LE POTAGE Chronique I Union

Flore Cherry, Journaliste

SCHLAASSS : Transformation BD I Mika Pusse

http://www.schlaasss.fr

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LA RUBRIQUE sexualité de FLORE CHERRY

COMmE UNE

COUILLE

DANS LE POTAGE JOURNALISTE : FLORE CHERRY ILLUSTRATION : ALAIN R. WEB : www.union.fr

Vous avez dit « couille » ? Flore Cherry, journaliste pour le magazine Union et passionnée de sexualité, décrypte pour vous ce qui a fait l’actualité insolite des trois derniers mois. Au programme : un voyage en Tanzanie, une émission de télé-réalité très « crue », et des jeunes qui se mettent en grève du sexe. Si vous pensiez que le sexe était un sujet sérieux, dites-vous bien qu’il y a comme une couille dans le potage…

Lubrifiant interdit en Tanzanie ! Ah la Tanzanie ! Ses éléphants, ses couchers de soleil magnifiques, ses paysages de carte postale… un rêve éveillé pour tous ceux qui le visitent, une réalité plus difficile pour les autochtones. L’espérance de vie atteint tout juste les 52 ans, soit 14 ans de moins que la moyenne mondiale : la conséquence de conditions de vie difficiles et de maladies infectieuses qui tuent toujours. Parmi elles, le SIDA serait contracté par près de 9 % de la population, la classant 12e au rang mondial. Pour remédier à l’endémie, la ministre de la Santé, Ummy Mwalimu, a pris une mesure radicale… et homophobe ! Partant du principe que l’on

© Shutterstock

estime à « 23 % la proportion de VIH-Sida parmi les hommes ayant des rapports sexuels avec d›autres hommes en Tanzanie » et que la communauté homosexuelle est la plus encline à utiliser du lubrifiant : interdiction formelle d’en importer et d’en utiliser dans le pays ! On rappelle que selon leur Code pénal, les relations homosexuelles masculines sont toujours passibles d’emprisonnement à vie. Une mesure qui passe à « à sec » pour beaucoup d’association antihomophobie…

s’aimer à bras-le-corps Ils sont fous ces Anglais ! Après le Brexit, ils continuent à animer la sphère internationale à coups de scandales médiatiques. Le dernier en date ? La diffusion fin juillet d’une émission de télé-réalité de rencontre basée uniquement sur le corps, enfin sur le corps nu. Et sans la tête s’il vous plaît. Selon les producteurs, il s’agirait de faire du « dating » inversé à savoir « Commencer nu pour finir habillé » (le slogan de l’émission). Ainsi, un candidat choisit sa préférence parmi les 6 « troncs » nus qui sont en face de lui (non, il n’est pas à la morgue), et le show se conclut par un dîner en tête-à-tête. Immoral ? Honnête ? Trash ? La première diffusion, qui a réuni près d’1,3 million de téléspectateurs a fait couler beaucoup d’encre dans différents médias.


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À SAVOIR © Shutterstock

“Les « millénials », ceux nés dans les années 90 donc, auraient une activité sexuelle moindre que ceux nés dans les années 20, qui détenait déjà le record historique en la matière”

Si le principe de la rencontre sur le seul critère physique peut nous laisser perplexe, force est de constater que le buzz médiatique est une vraie réussite !

98% Hil ipsuntur, que consequo omnimus coreicati ium rem voloria turitae ario. Lecae porunt, odisquunt viderro ea sintiunto.

PLUS D’INFOS

www.union.fr

Les jeunes américains seraient plus sages au lit que leurs aînés… C’est en tout cas ce que révèle un récent sondage par dans « Sexual Behaviour » fraîchement paru en 2016. Les « millénials », ceux nés dans les années 90 donc, auraient une activité sexuelle moindre que ceux nés dans les années 20, qui détenait déjà le record historique en la matière (et donc que toutes les générations qui ont déjà été étudiées). Les raisons de cette inactivité ? Une sensibilisation plus accrue aux Infections Sexuellement Transmissibles (les fameuses IST), un accès à la pornographie facilité (et donc pas forcément envie d’aller draguer Jeannette), une définition différente de ce qu’est « une relation sexuelle »… Les explications restent floues et complexes mais elles permettent de contredire une idée largement répandue : celle que les jeunes seraient plus sexuellement libérés avec les applications de rencontre et le porno ! Queue nenni !

Pour plus de news insolites, rendez-vous sur : www.union.fr

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La culture fait-elle l’homme ? (ou la femme)


©Mael Le Braz

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Maxime Lachaud - Journaliste

LE CAHIER CULTUREL DANS LES SALLES

Rubrique Cinéma et DVD Jérôme Tranchant, Journaliste

La mémoire vivante du cinéma d’exploitation :

Frank Henenlotter Interview

VERNON SUBUTEX Chronique

La scène indépendante en images Galerie Photos

Maxime Lachaud, Journaliste

Hazam, Journaliste / Photographe

LE LIVRE DU MOIS

Françoise Millet, Journaliste

STEPHEN WITT : à l’assaut de l’entreprise du disque

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DANS LES SALLES

Les films que vous avez peut-être raté, mais que vous devriez voir…

Quand la

violence

s’empare du monde, priez pour qu’il soit là... JOURNALISTE : JÉROME TRANCHANT BLOG : www.facebook.com/jerome.cineradical

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Mad Max (1979) « The maximum force of the future » (USA)


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Date de sortie : 29 juillet 2015 (2 h  59 min) De : King Hu Avec : Feng Hsu, Shih Chun, Ying Bai plus Genre : Aventure Nationalité : Taïwanais

Date de sortie vidéo Fin septembre 17 novembre 1971 (version d’origine) A Touch of Zen est le film qui va révéler King Hu au public occidental grâce à un prix au Festival de Cannes où il est présenté en compétition en 1975. L’effet de sidération provoqué par la découverte simultanée des combats acrobatiques, de la splendeur des images et de la philosophie bouddhiste demeure aujourd’hui intact et A Touch of Zen n’a pas usurpé sa réputation de film mythique. Il faudra environ quatre ans de tournage et de montage pour accoucher d’un film sublime de près de trois heures, puisant sa source dans plusieurs textes littéraires et transcendant toutes les

conventions du cinéma chinois et du wu xia pian classique, tant sur le plan de la narration que de la mise en scène. King Hu opte pour une forme maniériste, avec usage modéré du split screen, du ralenti et des jets d’hémoglobine. La virtuosité narrative de est aussi éblouissante que sa photographie (splendeur plastique des cadres et des images) et ses mouvements de caméra. Le film procède à plusieurs retours en arrière, dont le premier survient en son milieu pour éclairer les actions précédentes et les motivations des personnages, en particulier une mystérieuse jeune fille recherchée pour trahison par la police politique et dont le père a été assassiné par les sbires du grand eunuque Wei. Ce n’est pas un hasard si l’un des protagonistes principaux de A Touch of Zen est un artiste calligraphe et un lettré, en apparence naïf et maladroit – adulte, il vit encore avec sa mère qui se désespère de lui trouver une épouse – mais dont la connaissance de l’histoire des stratégies militaires lui permettra d’élaborer le plan de la longue bataille finale.

personnage du calligraphe devient une projection du metteur en scène à l’intérieur de son propre film, dépourvu des qualités martiales de ses héros mais capable de modifier le cours du récit grâce à son érudition et à son intelligence, en organisant des stratagèmes puisés dans l’art de la guerre pour déjouer les ennemis, et en inventant des histoires de fantômes et de citadelles hantées. Grand film de mise en scène donc, mais aussi grand film sur la mise en scène. A Touch of Zen est empreint de croyances et de philosophie bouddhistes. Les interventions régulières et salutaires de moines pèlerins, jusqu’au duel final avec un chef de la police particulièrement fourbe, apportent une dimension spirituelle et même surnaturelle à ce film immense aux ramifications riches et multiples.

Comme souvent chez King Hu, la précision et la virtuosité du trait de pinceau sur le papier rejoignent la souplesse des combattants capables de prouesses et d’une agilité surhumaine lors de combats aériens dans des décors naturels. Le corps devient signe, et la caméra pinceau. Le

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Date de sortie : 11 mai 2016 en VOD (2 h  12 min) De : S. Craig Zahler Avec : Kurt Russell, Patrick Wilson, Matthew Fox plus Genre : Western, Epouvante-horreur Nationalité : Américain

Bone Tomahawk Date de sortie vidéo Mai 2016 SYNOPSIS : 1850 – quelque part entre le Texas et le Nouveau Mexique. Dans la paisible ville de Bright Hope, une mystérieuse horde d’Indiens en quête de vengeance kidnappe plusieurs personnes. Le shérif local accompagné de quelques hommes se lance alors à leur poursuite pour tenter de les sauver… L’hybridation du western avec un autre genre comme l’horreur peut donner des résultats hasardeux quand il n’est pas une facilité pour éviter le western et c’est bien la force de Bone Tomahawk de rester avant tout un western d’essence classique progressivement infecté par le virus du survival horrifique comme si La Prisonnière du désert de John Ford venait à croiser Cannibal Holocaust… Dans la première heure de Bone Tomahawk le réalisateur S. Craig Zahler

prend son temps avec la description de la ville frontière de Bright Hope et de ses habitants puis, quand l’expédition se met en branle avec chacun de ses membres. Zahler, qui a également écrit le film, laisse à ses comédiens un espace pour composer des personnages qui se révèlent beaucoup plus complexes que de simples archétypes à mesure que la randonnée se prolonge. Ce sont de vrais personnages auxquels on s’attache. Ainsi quand ils pénètrent en territoire ennemi le spectateur est pleinement investi dans leur (terrible) sort. Il est aidé par un quatuor de comédiens formidables avec à leur tête la présence solide de Kurt Russell dans le rôle du shérif Hunt (et sa moustache de folie !). S’il est difficile d’égaler la coolitude de Kurt Russell dans un western, Patrick Wilson convaincant en mari de la jeune fille enlevée qui refuse de laisser son infirmité l’arrêter et Matthew Fox en dandy arrogant, tireur d’élite au lourd passé qui se sent responsable de son enlèvement, s’en sortent à merveille. Richard Jenkins est émouvant en vieil assistant du shériff.

La Planète des vampires Date de sortie vidéo 6 juillet 2016 C’est Nicolas Winding Refn (Only God forgives, The Neon Demon) qui a aidé à la restauration de ce bijou du cinéma fantastique italien : La Planète des vampires (1965), signé Mario Bava, cinéaste sous-estimé, mort ATYPEEK MAG #01

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Ils en font la démonstration dans une scène graphique filmée sans concessions ni esbroufe, une des plus traumatisante vue ces dernières années et qui montre que le réalisateur et son casting sont prêts à aller très loin et que tout peut arriver. On est d’autant plus choqué de voir Kurt Russell figure familière, impuissant face à l’horreur. On n’en dira pas plus mais l’escalade et la conclusion de ce dernier acte sont très satisfaisantes… Prêtez l’oreille à la chanson du générique composée par le réalisateur et qui résonne comme une ballade folk d’époque écrite pour commémorer les mésaventures des héros du film. Conclusion : Avec ce grand western classique infecté par un survival horrifique sans concessions, S. Craig Zahler fait son entrée dans la liste des réalisateurs à suivre.

Si le casting a son importance c’est surtout l’écriture très solide de Zahler, ses longs dialogues à la fois modernes mais écrits dans une langue surannée donc authentique et sa mise en scène solide de vieux routier qui brillent tout autant. Le rythme est lent mais les enjeux montent quand le film bascule dans le survival horrifique et qu’on réalise avec nos héros que rien ne peut préparer des hommes « civilisés » confronté à la vraie sauvagerie et quelle sauvagerie ! Les Troglodytes de Bone Tomahawk dé-

Date de sortie : 6 juillet 2016 (1h 26min) De : Mario Bava Avec : Barry Sullivan, Norma Bengell, Angel Aranda plus Genre : Science fiction, Fantastique Nationalité : Italien, Espagnol

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peints comme une tribu indienne dont l’isolation et la consanguinité à conduit à muter constituent une menace à la fois crédible mais presque fantastique. Communiquant entre eux avec des hurlements à travers des tuyaux faits d’os humains implantés dans la gorge, ils sont dénués de toute pitié.

en 1980. Mais il n’est pas sûr que le cinéaste danois lui rende totalement justice, dans sa courte présentation, en saluant sa dimension « kitsch ». S’agirait-il d’une série Z à voir en ricanant, l’œil rivé sur les décors et les costumes vintage, ou d’une vraie tentative de science-fiction horrifique, qui inspira - Ridley Scott ne s’en cache plus - le premier Alien ? On penchera pour la seconde solution : passé l’idiome italien proféré par des spationautes aux patronymes anglo-saxons, le film révèle comment l’humanité de chaque personnage (et plus largement de chaque individu) est sans cesse menacée par des forces mystérieuses, un mal ancestral venu du fin fond de l’espace et/ou d’outre-tombe. Des moyens limités ont obligé le cinéaste, fils d’un pionnier des effets spéciaux (il avait bossé sur Cabiria, en 1914 !), à des trésors d’ingéniosité poétique, au détriment du récit… Mais la résurrection des membres d’équipage « zombifiés », la découverte d’un squelette géant d’extraterrestre et l’épilogue sardonique sont les grands moments d’un film qui distille étrangeté et terreur sourdes.


DANS LES SALLES

Date de sortie : 3 février 2004 en DVD (1h 37min) De : Richard C. Sarafian Avec : Barry Newman, Cleavon Little, Dean Jagger plus Genre : Action, Drame, Policier Nationalité : Britannique, Américain

Point limite zéro Date de sortie vidéo 20 avril 2016 - VR La ressortie en salle, dans une copie restaurée, d’un des fleurons du cinéma de la contre-culture américaine du tournant des années 70 – avec des films comme “Easy Rider” (1969) ou “Macadam à deux voies” de Monte Hellman (1971) – est un événement à ne pas manquer. C’est l’un des plus beaux films du monde, un vrai de vrai film culte – terme dont on abuse souvent. Pourquoi ?

1. L’histoire Tiré d’un roman du Britannique Malcolm Hart, et adapté pour le cinéma par un écrivain cubain (Guillermo Cain, pseudonyme de Guillermo Cabrera Infante), Vanishing point (littéralement “ligne de fuite”) raconte l’histoire d’un homme appelé Kowalski (il y aurait toute une thèse à écrire sur ce nom polonais dans le cinéma américain, qui est notamment celui de Brando dans Un tramway nommé désir, d’Eastwood dans Gran Torino ou de Clooney dans Gravity…), qui s’est lancé un pari fou : relier en quinze heures Denver (dans le Colorado) à San Francisco (en Californie), soit un peu plus de 2 000 kilomètres sur les routes cabossées et poussiéreuses de l’époque. Y parviendra-t-il ?

2. Un film avec des inconnus Le tournage dure 28 jours, avec une équipe légère de dix-neuf personnes. Le film est produit par Richard Zanuck (le fils du mythique Darry Zanuck) pour la 20th Century Fox. Le réalisateur, Richard C. Sarafian (1930-2013), est alors un inconnu, bien qu’il ait déjà tourné quatre films. Il fut l’assistant de Robert Altman. Il souhaite confier le rôle principal à Gene Hackman, mais Zanuck impose Barry Newman, un jeune acteur qui monte. Le seul nom un peu connu aujourd’hui ? Celui de la jeune Charlotte Rampling, qui joue le rôle d’une auto-stoppeuse. Mais elle sera finalement coupée au montage (les bonus des DVD la font parfois revivre). Vanishing point est – et cela participe de sa mythologie – un « one shot » : son acteur principal, son réalisateur, n’ont plus réalisé quoi que ce soit d’aussi passionnant par la suite, tombant peu à peu dans l’oubli. Ce climax marqua le point limite de leur gloire, le début de leur chute.

3. Le deuxième personnage principal : la voiture Pour jouer le rôle fondamental de la voiture de Kowalski, huit Dodge Challengers R/T blanches sont utilisées…

et endommagées, voire détruites. Selon la légende, une neuvième voiture aurait été volée par une prostituée… La voiture est à la fois l’un des emblèmes de l’industrie américaine, et une machine individualiste. C’est la liberté. Ce modèle de voiture, de manière un peu fétichiste, sera à nouveau utilisé au cinéma, notamment dans Tueurs nés d’Oliver Stone (1994), certains épisodes de la “saga” Fast and furious ou Boulevard de la mort de Quentin Tarantino (2007).

4. Un film d’action métaphysique Comme l’est aussi Duel de Spielberg la même année, Point limite zéro est essentiellement composé de poursuites de voitures spectaculaires, de cascades impressionnantes. Mais c’est un film très graphique, où les automobiles ne cessent de se croiser, de dessiner des croix sur le sol du désert. Comme Zabriskie point de Michelangelo Antonioni, tourné sensiblement au même moment, le film de Sarafian échappe constamment au naturalisme, inventant des scènes qui semblent échapper à la réalité. Cette poursuite insensée prend un tour abstrait, celui de l’homme moderne pris par la vitesse, incapable de ralentir sa course vers le néant.

5. Un film politique C’est l’une des forces du film de ne jamais expliciter les raisons psychologiques du personnage mais de les faire ressentir. En réalité, cette chevauchée fantastique à travers les déserts américains est un suicide programmé. Kowalski a été flic, il a fait la guerre du Vietnam, il est devenu champion de stock-cars. Le film montre par ailleurs les bourgs américains, leur population déclassée, la misère. Cette course éperdue et absurde, à laquelle l’Etat (les forces de l’ordre) va rapidement s’opposer sans pitié est un acte de rébellion contre tout un système. Pour tenir le coup, Kowalski carbure au “speed” (des amphétamines).

6. Un ton épique D’un point de vue narratif, le film est passionnant : sur ses 97mn, le film contient 95 mn de flash-back. La ligne de fuite du film, son point zéro, dure bel et bien deux minutes, d’ailleurs dilatées par le montage et l’usage de ralentis. Plus intéressant, l’épopée de Kowalski est commentée par un animateur de radio locale noir et aveugle (comme l’était Homère selon la légende), nommé Super sSoul. C’est lui qui distille la bande-son du film et de l’époque, véritable petit chef-d’œuvre à elle toute seule. Mais il vante et chante aussi les exploits automobiles de Kowalski, son courage et sa détermination à tromper les forces de police ! Il aide même Kowalski en lui donnant des informations sur les positions et déplacements des voitures de flics. Kowalski va rencontrer beaucoup de personnages sur sa route, comme cette motarde totalement nue et angélique qui lui propose de satisfaire tous ses désirs. Il devra aussi subir de nombreuses épreuves. L’épopée de Kowalski rejoint celle des grands mythes grecs.

7. Une nombreuse descendance Point limite zéro est un film séminal : Mad Max, Thelma et Louise, Boulevard de la mort, Gerry, la série Fast and furious, et beaucoup d’autres lui doivent sans doute beaucoup.

Top 3

des meilleures BO de films

COMmENT LIRE UN QR CODE ? Pour lire un QR Code, il suffit de télécharger une application de lecture de QR Codes. D’ouvrir l’application et viser le QR Code avec l’appareil photo de son téléphone mobile et l’application lance l’écoute de la playlist.

PLAYLIST “thriller” DRIVE - Parce que sans cette BO, le film ne serait pas du tout ce qu’il est. Et parce que cet album a la place dans ton baladeur, pour donner un tour mystérieux et contemplatif aux moments les plus anodins. (Interdiction de l’écouter au volant par contre. Ça, ce serait sacrilège. À moins que tu ne conduises une grosse berline américaine, auquel cas c’est pardonnable.) Pish

PLAYLIST “AVENTURE” BARRY LYNDON - “La musique apporte la vie à un film, comme le vent façonne les nuages, lui donnant ainsi miraculeusement vie”, selon Stanley Kubrick, extrait de son autobiographie, par Vincent Lobrutto. Dans le cas présent, c’est cette musique eurythmique et mélodieuse qui donne sens et vie à un chef-d’œuvre du septième art. Denirorunner

PLAYLIST “WESTERN” The Assassination of Jesse James by the Coward Robert Ford - Le premier morceau en dit long sur la puissance de cette bande originale. La mélancolie grave à jamais les images de ce petit chef-d’œuvre dans mon esprit. Jiminy Two Times


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INTERVIEW

La mémoire vivante du cinéma d’exploitation

frank henenlotter ENTRETIEN : Maxime Lachaud INFOS : www.frankhenenlotter.com

Le cinéaste newyorkais Frank Henelotter a toujours préféré le terme de «cinéma d’exploitation » pour définir ses films. Joyeux mélange de gore, de sexe et de comédie, ses œuvres des années 1980, que ce soit Basket Case (Frère de sang), Brain Damage (Elmer le remue-méninges) ou Frankenhooker ont toutes gagné un statut culte. Avec la sortie dans la Midnight Collection de Carlotta en formats Blu-Ray et DVD des trois Basket Case et de Frankenhooker et la triste nouvelle du décès de Herschell Gordon Lewis à qui Henenlotter a rendu hommage notamment à travers son travail pour Something Weird Video, il nous semblait bon d’évoquer avec lui ce qu’il nomme un âge d’or dont il ne reste rien aujourd’hui, une époque où des aberrations cinématographiques comme Blood Freak ou Confessions of a Psycho Cat étaient possibles.

Le film Basket Case a reçu un soutien absolu du critique Joe Bob Briggs qui lui a décerné le prix du premier World Drive-In Movie Festival & Custom Car Rally à Dallas en 1982. Quelle a été son importance pour lancer ta carrière ? Tu connais l’histoire sur Joe Bob ? C’était un critique de cinéma sérieux dans un journal important au Texas. Son vrai nom est John Bloom, mais il voulait parler des films d’exploitation. Il a alors créé le personnage de Joe Bob. Il a contribué énormément au succès de Basket Case. Il l’a vu au festival de Cannes, pas dans la sélection mais au marché du film. Il a commencé à écrire dessus. C’était bien avant Internet, donc nous ne savions pas. Et un jour quelqu’un m’a envoyé des coupures de journaux. Et je me suis demandé qui est ce fou ! Puis quand Basket Case est enfin sorti en salles pour la première fois, le distributeur a pensé que ce serait un meilleur film si c’était juste une comédie et qu’il n’y ait pas de sang. J’ai essayé de leur expliquer que le sang faisait partie de la comédie. Il y avait besoin de cet équilibre entre les blagues et le sang. Ils ne m’ont pas écouté, car qui suis-je, si ce n’est le trou du cul qui a fait ce film ? Ils ont donc supprimé toute la violence et le film était atroce. Personne n’est allé le voir dans les salles de cinéma pour cette raison. J’ai cru que ça allait signer la fin du film. Trois cinémas l’ont sorti, aucun ne rentrait de l’argent. Ce devait être en avril 1982. Le film était projeté à Houston, TX, et ils ont voulu faire une première à Dallas. Ils ont alors contacté Joe Bob. Quand on a su que Joe Bob était d’accord pour le faire, on a réussi à le contacter et on lui a dit que ce n’était pas le


©Fred Ambroisine / L’étrange Festival 2016

“Oui, Times Square et la 42e rue regorgeaient de pornographie, de librairies pour adultes et tout ce qui est sale, mais je pense que c’est nécessaire à une ville, un endroit où les adultes puissent aller et se procurer des choses pour adultes. Si ça ne vous plaît pas, vous n’êtes pas forcé à y entrer. Où est le problème ?” Frank Henelotter Réalisateur

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À SAVOIR Les scènes de bar du film Basket case ont été tournées dans un club sadomasochiste, le Hellfire Club. L’équipe devait camoufler les chaînes et autres joujoux sexuels.

PLUS D’INFOS © DR

La fin d’un âge d’or ? Basket Case sur lequel il avait écrit mais une version coupée. Il était furieux et a appelé la compagnie. Il a dit qu’il était d’accord pour présenter ce film qu’il adore, mais si c’est une version coupée, il ne veut rien avoir à faire avec ça. Ils ont du coup changé les copies et lui ont envoyé la version non coupée. D’emblée, ils ont vu qu’à Houston, il n’y avait que 11 personnes alors qu’à Dallas c’était complet tous les soirs presque immédiatement. Donc ils ont discrètement remplacé toutes les versions avec coupures. Bien sûr, personne ne m’a rien dit. Le film était projeté dans un cinéma à New York, à quelques pâtés de maisons de là où j’habite. Je passe devant un soir, et je vois une file d’attente devant le cinéma. Je me suis demandé quel film pouvait ramener tant de gens et on m’a dit que c’était Basket Case. C’est là que je me suis rendu compte qu’ils avaient peut-être changé les copies. À partir de ce moment là, ils l’ont vendu en stipulant en gros : “LA version non censurée !” Mais tout cela ne serait jamais arrivé sans l’aide de Joe Bob Briggs.

frankhenenlotter.com

Tu es originaire de New York City et Joe Bob, lui, parle des films de drive-in. Je viens en fait de Long Island, à 40 minutes de New York City. Et à Long Island, chaque ville avait un, deux ou trois cinémas. Contrairement à ce qu’écrivent beaucoup de gens aujourd’hui, les films d’exploitation n’étaient pas montrés que dans les grindhouses ou les drivein. On les voyait dans les cinémas de quartier entre les dernières productions hollywoodiennes. Une semaine tu pouvais avoir un film hollywoodien à gros budget et la semaine d’après tu avais Vincent Price dans une adaptation de Poe et la semaine suivante, un film de motards. C’était comme ça et c’était merveilleux. Et aussi à Long Island il y avait des tas de drive-in. J’ai vu La nuit des morts vivants dans un drive-in pour la première fois. Généralement je n’y allais pas quand je pensais que le film allait être bon, mais avec un titre pareil, comment j’aurais pu savoir que c’était un bon film ? Ce fut une grosse surprise, je peux te le dire. À Manhattan, qui était très proche, il y avait des centaines de cinémas aussi. Il y en avait beaucoup qui faisaient des reprises, ils reprenaient de vieux films hollywoodiens en 35 min, et il y avait des tonnes de cinémas spécialisés dans l’exploitation car il y en avait tant que les major studios ne pouvaient desservir. Et puis il y avait la 42e rue qui fut la rue la plus géniale à avoir existé sur cette planète.


“J’ai vu La nuit des morts vivants dans un drive-in pour la première fois. Généralement je n’y allais pas quand je pensais que le film allait être bon, mais avec un titre pareil, comment j’aurais pu savoir que c’était un bon film ? Pour toi, qu’est-ce qu’il reste de cet âge d’or du cinéma d’exploitation aujourd’hui ? Je ne parle pas que pour moi, mais pour tout le monde il n’en reste rien. La 42e rue a été vidée de sa substance par Disney. Les cinémas de la 42e rue étaient à l’origine des théâtres de Broadway. Très opulents, très beaux. Mais au fil des décennies, ils sont devenus sales, crades, avec de sérieux besoins de réparations, personne ne savait qu’ils avaient été des lieux magnifiques. Disney a voulu faire un spectacle de Broadway qui s’est révélé être Le Roi Lion. Ils voulaient acheter le New Amsterdam Theatre qui était le plus beau de tous, mais il fallait le nettoyer. C’était là où se produisaient les Ziegfeld Follies. Ils avaient aussi un cinéma sur les toits. Le cinéma où j’ai vu Ilsa la louve des SS était le même où John Barrymore a joué Hamlet. C’était sur la même scène. Disney a donc voulu s’installer là et ils ont décidé de se débarrasser de la pornographie, de l’insalubrité et tout ce qu’ils pensaient être mauvais. Disney disaient qu’ils ne voulaient pas que leur public voit des librairies pour adultes alentours. Et peu à peu la ville s’est débarrassée de tout ça. J’ai toujours été en désaccord avec ça. Oui, Times Square et la 42e rue regorgeaient de pornographie, de librairies pour adultes et tout ce qui est sale, mais je pense que c’est nécessaire à une ville, un endroit où les adultes puissent aller et se procurer des choses pour adultes. Si ça ne vous plaît pas, vous n’êtes

pas forcé à y entrer. Où est le problème ? Ce n’est pas comme s’il y avait une église au milieu de tout ça. En nettoyant la ville, ils en ont fait quelque chose d’insipide et d’ordinaire, un endroit sûr où s’ouvre sans arrêt un nouveau McDonald’s ou un nouveau Starbucks. Ce n’est pas du progrès pour moi. Il ne reste rien du New York que j’ai aimé. Absolument rien. Les derniers films sur lesquels tu as travaillé ont été des documentaires qui reviennent à cette grande époque de l’exploitation, comme celui sur Herschell Gordon Lewis ou That’s Sexploitation ! en 2013. Je suis devenu un partenaire de Something Weird Video. Ce fut un tel plaisir car nous publions des films qui n’avaient pas été vus depuis 30, 40, 50 ans. J’étais à chaque fois très excité d’être le premier à les voir quand on les recevais au labo. Notre première préoccupation c’était est-ce que des gens vont acheter ces vieux films ? Nous avons connu un tel succès, c’était hallucinant. Je me suis fait plus d’argent dans mes années avec Something Weird que ce que j’ai jamais fait avec mes propres films. La seule chose qui a changé c’est quand le marché du DVD s’est effondré pour presque disparaître. Je ne sais pas comment cela s’est produit. Du jour au lendemain, les DVDs étaient partout. Puis du jour au lendemain, ils avaient tous disparu. Que s’est-il passé ? Je n’en sais rien. Puis nous allions nous mettre à sortir des Blu-ray mais le propriétaire de Something Weird, Michael Vraney, a développé un cancer en phase terminale et il a connu une mort terrible et douloureuse. C’était vraiment malheureux. Avant que tout cela n’arrive, un de mes meilleurs amis est un rappeur assez dingue nommé R.A. Thorburn, connu sous le nom The Rugged Man. Nous étions amis depuis 10/12 ans quand il m’a dit : si j’avais un peu d’argent, te sentirais-tu de faire un autre film ? Je n’y avais jamais pensé, mais je lui ai répondu bien sûr ! Vu que le budget allait être si petit, que pourrions nous faire que l’on ne verrait pas à la télévision ? C’est

ainsi qu’on a fait Bad Biology/ Sex Addict qui reste mon film préféré. Je l’adore, il est cinglé. Il s’est révélé bien meilleur que ce à quoi nous nous attendions. Puis j’ai fait un documentaire sur Herschell Gordon Lewis car c’était un projet Something Weird. Ils voulaient que je le fasse au départ mais j’étais sur Bad Biology. Disons qu’il y a eu pas mal de problèmes et au final j’ai co-réalisé le film. C’est-à-dire j’ai remonté le film, je lui ai donné une nouvelle forme, etc. Après ça, Nous avons fait That’s Sexploitation ! Tout le monde devrait le voir car c’est 2h16 de gens nus qui se conduisent vraiment de façon stupide. Il n’y a pas une seconde d’érotisme dans ce film. C’est la plus affligeante collection d’extraits que tu verras et tu te prendras la tête en te disant que ça a été fait pour des adultes ! Ce sont des films perdus dont la fonction était de montrer des seins nus car les films hollywoodiens ne le faisaient pas. Il n’y avait pas d’intrigue, tout se limitait juste à des seins nus. C’est pourquoi c’est amusant de revoir ces films, ils n’ont plus aucun sens aujourd’hui. C’est bon aussi de se rappeler qu’il y a eu des genres de films qui se sont intéressés aux camps nudistes.

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Vraiment ? Et de façon surprenante, nous avons reçu de très bonnes critiques de la presse grand public. Car eux aussi ne connaissaient pas toutes ces choses. Puis j’ai fait Chasing Banksy. C’est quelque chose de nouveau pour moi, car il n’y a pas de morts, pas de sang ou de personnes tuées. Mais je voulais le faire. C’est une histoire vraie à propos de ces gamins qui recherchent une œuvre d’art de rue sur un immeuble. Et je les connais. L’un d’eux était le rôle principal de Bad Biology. Quand j’ai su ce qu’ils faisaient, je me suis dit que cela ferait un super petit film. On a commencé à tourner à Brooklyn puis on est descendu à la Nouvelle Orléans pour le faire. J’ai arrêté de le montrer dans les festivals car je veux finir un autre documentaire sur un artiste nommé Mike Diana qui est le seul artiste à avoir été sous les barreaux pour obscénité en Amérique. C’est ridicule. 22 ans, publiant ses propres BD à moins de 300 copies par courrier. Pourtant, la police dans sa communauté a voulu le mettre en prison pour trois années. C’était en 1994. Ce fut une grosse affaire en Floride, mais dans les années pré-Internet, personne n’en avait entendu parler. Je pense qu’il est important de rappeler - et pas qu’aux Américains - qu’il faut se battre pour avoir la liberté d’expression. Rien ne doit être acquis. En Amérique, si quelqu’un dit que ton travail est obscène, tu dois prouver que ça ne l’est pas. Et si tu perds, tu perds ta liberté d’expression. Tu es puni. Et c’est ce qu’ils ont fait à ce gamin. Je souhaite du coup proposer les deux films ensemble à l’industrie. Juste pour revenir au cinéma d’exploitation : Basket Case était dédié à Herschell Gordon Lewis, le pape du gore. À l’époque personne ne savait qui il était. Cela faisait longtemps qu’il avait arrêté de faire des films. Personne ne savait même s’il était vivant. Mais je le savais car un ami travaillait dans le marketing direct, ce qu’on peut définir comme du courrier indésirable. Il connaissait Herschell comme un des meilleurs auteurs de campagnes publicitaires dans le marketing direct. Et je n’avais pas vu beaucoup de films de Herschell. Je pensais aussi que personne n’allait comprendre. C’était une plaisanterie pour initiés. Et ses films n’étaient pas encore disponibles en vidéo. Puis tout d’un coup,

avec le marché de la VHS, Blood Feast, Two Thousand Maniacs, Color me Blood Red sont tous sortis les uns après les autres. Tout d’un coup, il a eu plein de fans au sein de ceux qui aiment les films gore transgressifs et timbrés. Je ne lui aurais jamais dédicacé s’il avait déjà été célèbre. Cela aurait été trop simple. Comment as-tu découvert Herschell Gordon Lewis, Russ Meyer et tous ces grands de l’exploitation ? J’ai toujours aimé ce cinéma. Les films de Herschell n’étaient généralement jamais projetés à New York, ils étaient exploités principalement dans le Sud. Blood Feast a été, cela dit, projeté à New York dans un seul cinéma, mais j’étais trop jeune. Car c’était un lieu qui ne passait que des films pour adultes, de la sexploitation. Mais je connaissais son existence, car je collectionnais les cartes, les posters, et je rêvais d’un jour pouvoir voir Wizard of Gore sans me douter que j’aillais faire un jour un film sur le Parrain du Gore. J’étais à Philadelphie il y a deux semaines car ils lui ont rendu hommage en programmant cinq de ses films. Ils m’ont demandé de venir faire une présentation donc je me retrouve encore avec Herschell. Avec Russ Meyer, c’était très différent. Je ne pouvais pas attendre de voir un film de sexploitation. Et j’avais l’air beaucoup trop jeune à l’époque avec mes cheveux roux. J’étais très mince et j’avais même des taches de rousseur. Je ne pouvais rentrer dans les cinémas pour des films classés adultes. À Long Island il n’y avait qu’un cinéma qui passait de la sexploitation. Ils n’étaient vraiment pas populaires. J’ai été élevé comme un bon catholique, et à l’époque l’Église Catholique avait cette Legion of Decency qui contrôlait le contenu des films hollywoodiens. S’ils n’aimaient pas un film, ils le condamnaient. De grands films comme Baby Doll ou Embrasse-moi, idiot de Billy Wilder ont été détruits commercialement par l’Église catholique. Les films furent des désastres au box-office car l’Église les avait condamnés et punis. Une fois par an, à la messe, ils te faisaient promettre que tu n’irais pas voir des films qui sont condamnés par la Legion of Decency. J’ai fantasmé tout un tas de choses sur ce qui devait se passer dans

“Une fois par an, à la messe, ils te faisaient promettre que tu n’irais pas voir des films qui sont condamnés par la Legion of Decency.” ces films. À l’époque, il y avait la guerre du Vietnam et tout le monde devait avoir une carte d’incorporation. Dès que tu atteignais les 18 ans, tu devais te faire enregistrer. C’est comme ça qu’ils savaient si tu avais 18 ans. Dès que j’ai eu ma carte, j’ai conduit jusqu’à ce cinéma, The Fine Arts Theatre pour voir mon premier film de sexploitation. Les premiers étaient House of Cats, Prowl Girls, Vampire’s Lust, pas un film de la Hamner mais un truc en noir et blanc totalement stupide. Et ils étaient assez fascinants. Vu que c’était mes premiers films du genre, avec Something Weird on a toujours essayé de les retrouver. Mike Vraney voulait aussi retrouver tous les premiers films sexy de Herschell Gordon Lewis. Nous n’en avons jamais retrouvé aucun. Et un jour, un des films que j’ai vu c’était Lorna en 1968. Pourtant, le film est de 1964 donc c’était peut-être une ressortie ou quelqu’un possédait la pellicule. C’était une copie très usée, mais ce fut une révélation, un coup de foudre. Je me


souviens encore de cette excitation. Quand je voyais quelque chose d’excellent, j’avais toujours des réactions physiques. Je me souviens d’avoir tremblé la première fois que j’ai vu Kiss me Deadly (En quatrième vitesse) dans un cinéma, et c’était pareil là. Il n’y avait pas de crédits, on descendait une route et il y avait ce prêtre fou qui nous menaçait. C’était fabuleux. Puis il y avait ce gars ivre qui brutalisait une jeune femme, et il disait qu’il n’en voulait qu’une et là apparaissait le titre Lorna. Je me souviens du moindre plan du film. Je me rappelle d’être sorti et de me poser devant le poster en essayant de retenir les noms. Quand je suis revenu à ma voiture, j’ai noté le nom de Russ Meyer. Qui était-ce ? Pas de livres. Pas d’Internet. Personne ne savait qui il était, et deux semaines plus tard il avait un tout nouveau film projeté à Manhattan qui s’appelait Good Morning… & Goodbye ! (Bonjour les filles). À partir de ce moment, je suis allé voir tous les films de Russ Meyer. Un des meilleurs moments fut de voir Beyond the Valley of the Dolls (La vallée des plaisirs). En 1970, il y a deux films que j’ai vu entre 50 et 60 fois sur l’année, c’était Beyond the Valley of the Dolls et Le Conformiste de Bertolucci. À l’époque, on ne savait pas qu’un jour on pourrait posséder ces films et je voulais mémoriser chaque instant. On ne peut pas aimer un type de films sans aimer l’autre type de films. Il faut tout voir car sinon tu te coupes de quelque chose. J’ai rencontré Russ mais à l’époque il était plutôt grincheux et méprisant. Personne ne s’en rendait compte à l’époque mais il sombrait petit à petit dans la démence. Dans les conventions, on lui posait des questions, il pouvait rire et la minute d’après s’il n’aimait pas la question, il hurlait sur la personne. Quelque chose n’allait pas donc malheureusement je n’ai jamais pu m’asseoir avec lui pour parler de cinéma. La personne avec qui je parlais beaucoup de cinéma et qui en connaissait plus que n’importe qui d’autre sur la planète, c’était Jess Franco. Il connaissait des réalisateurs américains dont personne ne se souvenait. Il était déçu que je ne puisse parler avec lui de films français et allemands. Je n’y avais pas accès. Mais je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi passionné. Il a dû grandir en regardant tous les films hollywoodiens qu’il pouvait. À présent, je vois l’influence que ça a eu

sur lui, en particulier son amour des pulps. Il était aussi une des personnes les plus délicieuses et agréables que j’ai rencontrées dans ma vie. C’est rare de rencontrer quelqu’un que tu admires et te dire que c’est une personne parfaite. À chaque fois que je l’ai rencontré, c’était spécial. C’était facile de voir ses films aux USA ? Oui et non, ça dépend des films. L’horrible Dr Orloff était facile à voir. Parfois les compagnies sortaient des films qu’on ne pouvait voir qu’en double séance. Il était sorti avec L’effroyable secret du Dr. Hitchcock qu’ils appellent à présent L’horrible Dr Hitchcock. Et le film de Franco s’appelle maintenant L’effroyable Dr. Orloff. Et la bande annonce combinait les deux. Ce film était sorti en 64 ou 65 aux USA. Je l’ai vu quand j’avais 14 ou 15 ans. C’est aussi passé à la télévision new-yorkaise tout au long des sixties. Puis ça a disparu, mais c’était très accessible. Je me souviens d’avoir vu Venus in Furs, et de m’être dit comme pour Lorna : Mais qui est ce type ? J’avais vu 99 femmes avant et Succubus (Necronomicon). J’avais vu un double programme de Kiss me monster et Sadist Erotica. C’était au début des années 70 puis on n’a plus entendu parler de lui. Je pensais qu’il avait arrêté de faire des films. Puis à la fin des années 70, deux nouveaux films sont apparus sur la 42e rue : Barbed Wire Dolls (Les gardiennes du pénitencier/Femmes en cage) et l’autre c’était Wanda, the Wicked Warden (Greta, la tortionnaire de Wrede) même si personne ne se nommait Wanda dans le film. Et j’ai amené tous mes amis voir ce film. Je ne pouvais pas croire combien ce film était excellent. Mais qu’a-t-il fait entre les deux ? Je n’en ai aucune idée. La plupart de ses films étaient importés et ils étaient réalisés par Clifford Brown. Diary of a Nymphomaniac, que j’ai vu, je ne savais pas que c’était un film de Jess Franco. Quand le marché de la vidéo est arrivé, le premier film de Franco que j’ai acheté était Kiss me Monster. Le second film à être sorti en VHS aux États-Unis était Barbed Wire Dolls. Puis un autre est arrivé, je n’en avais jamais entendu parler : Bloody Moon (La lune de sang). Je me suis dit que j’allais acheter tous ses films. Je ne savais toujours pas qu’il avait fait 400 films. Grâce aux festivals de cinéma et en rencontrant

“En 1970, il y a deux films que j’ai vu entre 50 et 60 fois sur l’année, c’était Beyond the Valley of the Dolls et Le Conformiste de Bertolucci.” des fans européens, ils ont commencé à me fournir des copies de ses films. Les copies Secam étaient souvent de très mauvaise qualité mais je m’en fichais. Je regardais du Franco et je les écoutais en espagnol, en français, en allemand. Maintenant, on peut se les procurer en BluRay, je suis le plus heureux des hommes. C’est juste incroyable ! D’autres de ses films sont aussi passés à la télé américaine, Dr. Orloff’s Monster, The Mistresses of Dr Jekyll (Les Maîtresses du Dr. Jekyll), Cartes sur table sous le titre Attack of the Robots. Je me souviens que Franco aimait le jazz. Dans le Dr. Orloff’s Monster il jouait le piano. Moi-même j’ai beaucoup écouté de jazz, mais Franco connaissait le jazz. Il y a une grande différence. Je suis un dilettante et il était musicien. Néanmoins, j’écrivais le scénario de Brain Damage et j’écoutais une chaîne jazz très populaire tard le soir et là le DJ parle du style inimitable à la trompette de Clifford Brown. Et là je me suis dit mais Clifford Brown est un musicien en plus de faire des films ? Tout d’un coup, j’ai compris que c’était un pseu-

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À SAVOIR Brain Damage est un film fourni en références à la scène post-punk. En plus des posters de Siouxsie & the Banshees, Bauhaus ou Suicide qui couvrent les murs de la chambre du héros.

PLUS D’INFOS frankhenenlotter.com

Y a-t-il des films que tu recherches toujours ? Un film que tu attends de voir depuis des années ? ©Fred Ambroisine / L’étrange Festival 2016

donyme. Je me souviens d’avoir couru à Times Square, au plus gros magasin de vidéos de New York, et j’ai pris The Demons (Les démons du sexe). Je me le suis procuré et au bout de trois plans, je savais que c’était un film de Jess Franco. Donc j’ai acheté tous les Clifford Brown. Un mois plus tard, je tapais toujours le scénario de Brain Damage, et là j’entends l’animateur dire c’était le grand J.P. Johnson. Même chose, j’ai couru au vidéoclub pour me procurer ses films. C’était excitant d’avoir tout découvert par moi-même. Personne ne m’a parlé d’eux, je les ai trouvés.

©DR

En parlant de ces enquêtes, de tous les films que tu as sorti avec Something Weird, y en a-t-il dont tu es vraiment fier qu’ils existent en DVD ? Beaucoup. Un de ceux que je préfère c’est The Curious Dr Humpp, un film d’Argentine qui s’appelait à l’origine Venganza del Sexo. Le gentleman qui l’a réalisé s’était spécialisé dans l’exploitation mais il n’y avait vraiment pas de marché pour l’horreur en Argentine. Il en a fait cinq d’affilée. Et ils furent totalement ignorés. Quand il a su que nous avions sorti ses films, il était tellement heureux, il est venu me rencontrer à New York. Je ne parle pas vraiment espagnol, il ne parle pas vraiment anglais et on se comprenait très bien. Jusqu’à sa mort, je l’ai rencontré à chaque fois qu’il venait à New

York. Il m’a apporté les copies originales de ses films en VHS. Le distributeur de Venganza del Sexo avait rajouté des séquences tournées à New York pour le rendre plus sexy. Il l’a fait tellement bien que ça ne faisait pas de mal au film. Je sais qu’Emilio Vieyra détestait ça. Mais ça faisait du bien au film. Vraiment. Je connais les deux versions et si je devais choisir, je prendrais la version américaine car elle est plus drôle. Un autre film dont je suis très fier qu’on l’ait sorti c’est Blood Freak. Le seul film gore chrétien avec un monstre dinde. C’est le genre de film que tu regardes et tu ne comprends pas. Un autre c’est Confessions of a Psycho Cat qui commence comme un film d’horreur sérieux qui aurait pu être inachevé ou quelqu’un l’a trouvé pas assez commercial et deux ans après ils ont tourné des scènes nudie. C’est un film bordélique mais fascinant. Nous avons aussi sorti The Awful Dr. Orloff à l’époque, nous avions trouvé le négatif. Le film était devenu introuvable aux États-Unis. On a aussi sorti The Diabolical Dr Z. À l’époque c’était encore dans le domaine public. Mais quand nous l’avons sorti, les droits ont été reconduits par les français, donc nous avons dû l’enlever du commerce. Nous avons aussi sorti Dr. Orloff’s Monster.

Des tas. Un que nous avons fantasmé trouver est l’histoire d’une prostituée au Texas qui a mis le feu à plusieurs proxénètes. Il s’appelle Burn Baby Burn. J’ai le dossier de presse, j’adorerais le voir. Même le dossier de presse s’appelait “L’histoire de Carolyn Lima” car c’était son vrai nom. Cela disait que cette Carolyn Lima était une vraie dure à cuire. Elle préférait les femmes mais elle le faisait avec les hommes pour l’argent. Ok, il faut que je vois ça un jour ! Un autre que j’adorerais voir est Nest of the Cuckoo Bird, ce qu’il en reste aujourd’hui est un artwork très primitif. C’était fait par un des premiers cinéastes noirs. Il faisait des films pour un public noir avant la blacksploitation. On les appelait race movies ou all color cast movies. Ce n’était pas péjoratif. Il a fait le premier “Negro western” comme on disait à l’époque. Ce sont des termes qui étaient corrects à cette époque.

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LE LIVRE


STEPHEN WITT

DU MOIS à l’assaut de l’empire du disque

©Mike McGregor/The Observer

Quand toute une génération commet le même crime À l’assaut de L’empire du disque est le premier livre de Stephen Witt, c’est un récit captivant où il est question d’obsessions, de musique et d’argent, qui met en scène des visionnaires et des criminels, des nababs et des geeks. C’est L’histoire d’un simple type qui par le plus grand des hasards devient le plus grand pirate de toute l’histoire, d’une invention révolutionnaire et d’un site web illégal qui proposait quatre fois plus de musique que l’iTunes Music Store. La préface de Sophian Fanen nous donne les clés du royaume et c’est une sublime introduction à ce qui va suivre. Le livre de Stephen Witt est archi-documenté, il est de loin l’enquête la plus poussée à ce jour sur la consommation numérique. L’auteur nous fait découvrir à travers ses recherches l’histoire secrète du piratage de la musique numérique, Tout commence auprès des ingénieurs audio européens qui ont inventé le format MP3, leurs

déconvenues aux manipulations politiques pour définir “Le” standard, et nous embarque sur l’autre continent au site de fabrication des Compact-Disc en Caroline du Nord, où l’employé modèle Dell Glover a fait fuiter presque deux mille albums en l’espace de dix ans. Sans oublier les rachats ou accords secrets voir publics, qui ont réuni les majors de tous bords et les géants de l’industrie et de la technologie. L’artiste et son œuvre ne deviennent qu’un flux interchangeable qui doit assouvir tous les désirs. La révolution MP3 a fait vaciller ces empires musicaux, les rendant du jour au lendemain obsolètes et remettant en question l’ensemble de la distribution, de la consommation et du rapport physique que nous avions de la musique. C’est avant tout un regard humain, intelligent et objectif sur l’histoire palpitante de l’industrie de la musique et une grande partie de l’histoire d’INTERNET et du rapport contemporain du public vis-à-vis de la culture. Une saga instructive au casting des plus grands noms du business de la musique qui donne une lecture du puzzle de l’économie numérique des années 90 à nos jours. Un conte moderne ou les James Bond côtoierait Willy Wonka, Zola et les voleurs à la petite semaine comme vous, une enquête sociétale majeure qui remet les pendules à l’heure. C.F.

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ROMAN ENQUËTE

à l’assaut de l’empire du

EXTRAIT

LE LIVRE STEPHEN WITT - À l’assaut de l’empire du disque « Quand toute une génération commet le même crime »

Sortie le 3 novembre 2016 Sélection proposée par Cyrille Rivallan, à l’initative du projet et traducteur du livre et Sophian Fanen, journaliste auteur de la préface. Collection « Castor Music » Traduit de l’anglais (États-Unis) How Music got free Édition originale : The Bodley Head, 2015 (Londres) A Penguin Random House company

CHAPITRE 11 Il avait beau compter parmi leurs meilleurs clients, il a fallu un bon bout de temps à Dell Glover pour comprendre comment les trafiquants s’y prenaient pour faire sortir les compact discs du site. Sous le règne de Van Buren, la politique de sécurité d’Universal était à toute épreuve. En plus de la détection par tirage au sort, on demandait désormais aux employés de déposer leurs sacs sur un tapis roulant pour les passer aux rayons X. Le site était dépourvu de fenêtres et les sorties de secours déclenchaient un signal d’alarme bruyant. Les ordinateurs portables étaient proscrits sur l’ensemble du site, ainsi que les chaînes hi-fi, les lecteurs portables, les boom-boxes, ou quoi que ce soit qui puisse accueillir et lire un compact disc. Sur la ligne de production, les machines de pressage étaient contrôlées numériquement, et elles généraient des rapports d’entrées/sorties ne laissant aucune place à l’erreur. Une fois assemblés, les disques étaient mis sous film et immédiatement enregistrés dans l’inventaire avec une lecture automatisée des codes-barres. La gestion produisait un rapport automatisé après chaque passage, cataloguant à la fois ce qui avait été pressé et ce qui avait été expédié, et la moindre différence

devait être justifiée. Pour un album populaire, le site pouvait désormais presser plus d’un demi-million d’exemplaires en moins de 24 heures, mais le préstockage de disques numériques permettait à la direction de cataloguer l’inventaire des disques à l’unité près. Une fois emballé, chaque disque quittait la ligne de production, et plus aucun humain n’y touchait jusqu’à son arrivée en magasin. Les cartons de disques étaient scellés à la colle, puis déposés sur des palettes d’expédition par des robots. Des véhicules automatisés guidés au laser conduisaient alors ces palettes aux entrepôts, auxquels les employés ne pouvaient accéder que sous strict contrôle. Seules les personnes travaillant au chargement avaient ledroit de manier les cartons passé ce point. Et puis il y avait le détecteur. Au cours d’un poste de travail ordinaire, un employé sur cinq était sélectionné, et la politique de recherche par tirage au sort de Van Buren avait déjà permis d’attraper plusieurs aspirants-voleurs. Mais ça ne suffisait toujours pas pour certaines occasions. De temps à autre, une sortie majeure transitait par le site – disons The Eminem Show, ou Country Grammar. Ces divas capricieuses arrivaient en limousine aux vitres teintées, transportées du studio de production dans une mallette par un messager qui ne quittait jamais la bande master des yeux. Après que le moule de production en verre avait été généré à partir du master, le messager remettait la bande dans la mallette et repartait aussi mystérieusement qu’il était arrivé. Quand on pressait l’un de ces albums très attendus, Van Buren demandait à ce que l’on passe au détecteur tous les employés du site sans exception, en commençant par le directeur. Et pourtant, même les disques les plus recherchés trouvaient toujours le moyen de sortir du site. Glover pouvait généralement se les procurer en moins de trois jours. Qu’est-ce qui se passait ? Est-ce que quelqu’un avait versé un bakchich à un gardien ? Est-ce que quelqu’un


Quand toute une génération commet le même crime

u disque

DU MOIS avait désactivé l’alarme d’une sortie de secours, ou était parvenu à glisser les disques à travers l’entrebâillement d’une porte ? Est-ce que par hasard quelqu’un attendu à l’extérieur, dans un angle mort des caméras, balançait les disques par-dessus la barrière comme un Frisbee ? Glover a commencé à réfléchir à la façon de s’y prendre. Tout d’abord, il allait devoir faire sortir les disques du contrôle d’inventaire. De ce point de vue, le poste qu’il occupait dans la ligne d’emballage était parfait. Plus loin dans la ligne, les codes-barres des disques étaient scannés, puis les disques mis sous film et enregistrés dans l’inventaire. Plus haut placé dans la ligne, il n’avait plus accès au produit fini. La ligne d’emballage était le seul endroit de tout le site où les employés rentraient en contact physique avec les disques assemblés. Mieux encore, le travail sur la ligne d’emballage était de plus en plus chronophage et complexe. C’était l’un des tout premiers effets secondaires du mp3, lequel était équivalent au compact disc du point de vue sonore, mais supérieur sur bien des aspects. Les fichiers n’étaient pas seulement plus petits et plus abordables que le compact disc audio : ils étaient en sus reproductibles à l’infini et absolument indestructibles. Les compact discs se rayaient, se fendaient en deux, on se les faisait voler en soirées, mais les mp3, eux, étaient éternels. Conséquemment, le seul avantage que présentait le compact disc, c’était la satisfaction tactile de la propriété physique. La seule chose qu’Universal avait encore à vendre, c’était le packaging. Quand Glover a commencé en 1994, le boulot était abrutissant. Tout ce qu’il avait à faire, c’était enfiler ses gants chirurgicaux et passer les boîtiers cristal dans la fardeleuse – et puis c’est tout. Désormais, les albums avaient une petite touche artistique. Les disques eux-mêmes étaient dorés ou fluorescents, les boîtiers cristal étaient de couleur bleu opaque ou bien pourpre, et les pochettes d’albums étaient d’épais livrets imprimés sur du papier de qualité supérieure avec des instructions de pliage complexes. À chaque étape du processus, la complexité accrue augmentait les occasions de faire des erreurs, et on prévoyait désormais des dizaines, voire des centaines de disques supplémentaires à chaque pressage. Ces disques relevaient du surstockage délibéré, à utiliser en cas de besoin si un élément était endommagé ou maculé au cours du processus d’emballage. À la fin de chaque poste, le protocole exigeait que Glover apporte le surplus de disques à un broyeur de plastique, où ils étaient détruits. Le broyeur était un appareil extrêmement simple : une machine de

la taille d’un réfrigérateur de couleur bleu industriel, avec une fente d’alimentation à l’avant qui conduisait à un cylindre dentelé en métal. On balançait les disques dans la fente et puis le cylindre les réduisait en copeaux. Pendant des années, Glover s’était contenté d’observer la destruction de milliers de compact discs en parfait état dans les engrenages de la machine. Le temps passant, il a fini par se rendre compte qu’il contemplait là un trou béant dans le régime de sécurité d’Universal. Le broyeur était efficace, mais bien trop simple. La machine n’avait pas de mémoire et ne générait aucun rapport. Elle menait son existence en dehors du processus de gestion d’inventaire numérique du site. Si on vous ordonnait de détruire vingt-quatre disques surnuméraires et que vous n’en glissiez que vingt-trois dans la fente d’alimentation, personne ne le saurait jamais au service comptabilité. Alors, ce que Glover a fait, c’est ôter son gant chirurgical en même temps qu’il tenait un disque surnuméraire sur le chemin qui le menait du tapis roulant au broyeur. Là, en deux temps, trois mouvements, il allait envelopper le gant chirurgical autour du disque et faire un nœud. Puis, tout en faisant semblant de mettre en route le broyeur, il allait ouvrir le tableau de bord, son réceptacle à déchet ou bien sa boîte à fusibles. Après avoir regardé rapidement autour de lui pour s’assurer qu’il était seul, il allait cacher le disque gantelé dans une petite fente de la machine et broyer tout le reste. À la fin de son poste, il retournerait à la machine et, au moment de l’éteindre pour la journée, il récupérerait le disque planqué dans sa cachette. Restaient les agents de sécurité et leur détecteur… Glover n’avait pas envie de prendre de risques ; même si Universal lui assurait posément que les détections se faisaient par tirage au sort, il savait qu’ils avaient les employés de la ligne d’emballage dans le collimateur. Il avait luimême été « tiré au sort » et passé au détecteur des centaines de fois. Mais dans le même temps que les agents observaient Glover, Glover les observait en retour, et un jour, presque par accident, il a fait une découverte intéressante. Glover portait généralement des baskets pour aller travailler, mais ce jour-là, il portait des chaussures de chantier avec des talons en métal. Quand on lui a tapé sur l’épaule pour le passer au détecteur, l’agent a scanné ses pieds et le détecteur a produit un son strident. L’agent a demandé à Glover si les bottes avaient des bouts en métal, et Glover a confirmé que c’était le cas. Et alors, sans l’inspecter davantage, l’agent l’a invité à passer. À suivre chez CASTOR MUSIC, disponible dans toutes les bonnes librairies.

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CHRONIQUELITTéraire

Pour les fêtes de fin d’année, courez les librairies tant qu’il y en a encore, achetez Vernon Subutex roman (2015) de Virginie Despentes, née en 1969, belle année, membre de l’académie Goncourt depuis 2015.


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VIRGINIE DESPENTES

VERNON SUBUTEX PAR Françoise Millet Avec l’aimable autorisation de Prendre son temps pst

©Illustration: Karim Adduchi

De quoi s’agit-il ? Analyse romancée de la situation contemporaine de parisiens intra-muros et périphériques. Description réaliste de chambres pourries, de lofts ou d’appartements de luxe, de bar, brasseries restaurants, galeries, de fêtes, lieux de travail précaires dans la mode, la presse et autre média etc. Ambiance musiques drogues drague et sexe. De très solides descriptions de femmes, de leur ressenti du désir sexuel, de la jouissance et du dégoût, de leur connaissance des prédateurs. Des personnages ultra riches à ultra pauvres. Une description du Paris début 21 siècle, sans prolétariat ni surmoi (conscience morale ou politique). Des réseaux informatisés où le fictif et l’immatériel rejoignent la réalité tangible. Une intrigue policière, une encyclopédie musicale. Il s’agit de la chute du héros, chute de la position de commerçant disquaire branché à SDF, comme de la chute de l’un de nos anciens usagers au guichet de l’ANPE ou du RSA.

J’ai suivi dans ma vie de lectrice éclectique tous les héros et toutes les héroïnes, dans les trois mousquetaires de Dumas et la duchesse de Guermantes dans à la recherche du temps perdu de Proust, j’ai vérifié toutes les divagations dans Paris, inventées par Patrick Modiano (auteurs que j’ai lus successivement l’année de mes 10, 20 et 60 ans).

Enfin ! une auteure ! J’attends avec impatience le 3e tome de Vernon Subutex de Virginie Despentes en livre de poche si possible. Bon c’est pour le 1er tome que je m’engage et vous invite à en faire cadeau à vos ados petits-enfants et de le lire avant de l’empaqueter. Eux pourront l’avoir aussi bien en ligne. C’est un thriller engagé comme ceux de Daeninckx. Qui se remplira les poches avec les rushes, les bandes après lesquels courent les héroïnes Pamela, la Hyène et les autres ?

Un phare, une loupe, un projecteur est placé sur une situation actuelle. L’auteure nous fait entrer dans le cerveau de toutes et de tous les protagonistes. Elle a un style qui atteint la perfection pour nous faire toucher du doigt des pensées, lâches, veules, sales, fascistes, sexistes, homophobes, hypocrites, vivantes. Ah j’oublie ! C’est bâti comme une série de télévision, une bonne série. J’en imagine déjà les maquillages, les fringues, les ambiances et surtout la réponse à la question :

Où tout cela nous mène-t-il ? C’est aussi une illustration de l’évolution de la langue française. Par exemple, je cherche à la relecture le masculin de « bombasse ». J’ai trouvé « baisable » dans le premier tome, mais comment sera nommé un homme irrésistible dans le troisième tome ? J’y pense achetez donc aussi King Kong théorie de la même écrivaine, essai déjà écrit en 2006… dans la même veine.


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PAR HAZAM

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La scène indépendante en images

PHOTOGRAPHIES : ©HAZAM Gauche : Sheik Anorak www.facebook.com/Sheik-Anorak-350023869697/

Droite : Blues Butcher Club www.facebook.com/Blues-ButcherClub-1471142836438665/


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PHOTOGRAPHIES : ©HAZAM Gauche : Deux Boules Vanille www.facebook.com/DEUX-BOULES-VANILLE1834282703458195/?fref=ts

Droite : Deborah Kant www.facebook.com/Deborah-Kant139827399416680/?fref=ts


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PHOTOGRAPHIES : ©HAZAM Gauche : Enablers www.facebook.com/Enablers-212885122067703/

Droite : Infecticide www.facebook.com/infecticide/?fref=ts


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L’ÉQUIPE ATYPEEK MAG

ATYPEE LéA vINCE Rubriqueuse vidéo pour Atypeek Mag à mes heures perdues du mardi soir. je suis là pour faire vous faire découvrir mes vidéos coups de cœur du moment.

Maxime Lachaud Journaliste, essayiste, programmateur, auteur de plusieurs ouvrages, dont deux grosses anthologies sur le cinéma de redneck et sur les mondo movies, Maxime Lachaud se passionne pour les cultures sombres et délicieusement subversives. On peut notamment écouter ses méfaits depuis une quinzaine d’années dans l’émission radio Douche Froide.

Jonathan Allirand Un surdosage d’artistes barrés, un excès d’albums audacieux, voilà ce que je souhaite partager au sein de mes chroniques et interviews dans les pages décalées de l’Atypeek Mag.

JÉRÔME TRANCHANT Autodidacte passionné de cinéma j’ai plaisir à partager mes coups de cœur et chroniques.

HAZAM Je suis petit, moche, gros, vieux et con mais je ne me prends pas pour de la merde. Et éventuellement j’écris des chroniques de disques et je prends des photos.

FLORE CHERRY Journaliste, blogueuse et organisatrice d’événements dans le milieu de l’érotisme, Flore Cherry est une jeune fille qui parle de sexe sans complexe (et avec une pincée d’humour, pour que ça glisse mieux...)

Olivier Cheravola Co rédacteur en chef de SURL le jour, DJ et MC la nuit. L’homme au curriculum vite fait. Sujet, verbe et compliment. La biture avec une plume. Lyon.

Isaac Mutant / Dookoom ©DR

ONT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO

Léa Vince - Juan Marcos Aubert - Jonathan Allirand - Roland Torres - Maxime Lachaud - Hazam - Fisto (Olivier Cheravola) - Oli - Roxxi Wallace - John Maldoror - CF - Sagittarius - Aisyk - P.L. - Philippe Méziat Willou - Ted - Hervé - Alexandre Lézy - Leoluce - François Becquart - Cactus - Jean-Philippe Haas - Jérôme Orsoni - Julien Soullière - Fred - Antoine Gary - Pierrick Starsky - Valentin Blanchot - Arnaud Verchère Philippe Deschemin - Laurent Coureau - Soizic Sanson - Flore Cherry - Mika Pusse - Jérôme Tranchant - Françoise Millet - Alain R. - Jihane Mriouah Contact : cf@atypeekmusic.fr

JOURNALISTES &

PARTENAI


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OCT/NOV/DéC 2016 MÉDIAS PARTENAIRES

EK MAG AAARG !

LA SPIRALE

KIBLIND

STAR WAX

SURL

AAARG ! Mensuel : magazine de bande dessinée & de culture(s) populaire(s) disponible en kiosque ou chez votre libraire préféré.e !

Mutations / Underground / Gonzo / Cyberpunk / Nomadisme / Freaks / Finance / Chaos / Activisme / Robots / Prospective / Résistance / Fantastique

Une zone en chantier, convoquant l’art d’aujourd’hui pour comprendre ce qu’il sera demain et provoquant l’émulation par le mélange et le partage.

Star Wax, le magazine Français N°1 gratuit pour les DJs, Diggers, Beatmakers et amateurs de musique. Depuis 2006.

Média online sur la culture hip-hop aspire à proposer une expérience complète, collective et excitante autour de la culture hip-hop avec une exigence et une curiosité inédites en France.

82-87

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Silence AND Sound Webzine dédié aux musiques actuelles.

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LE VILLAGE DES Créateurs

guts of darkness

Le VDC, fédère une communauté de créatifs qui échangent, partagent et coconstruisent des projets. Cette synergie favorise les passerelles entre la mode et le design.

Guts of darkness, les archives de la musique sombre et expérimentale.

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Siècle Digital

chromatique

FREAKSOUND

UNION

W-FENEC

CITIZEN JAZZ

Siècle Digital est déjà un média de référence pour les professionnels du numérique. Siècle Digital a vocation d’être un des référents du domaine.

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Rock, Indie & Métal Magazine Disponible gratuitement dans toute la France.

Le plus ancien des magazines de charme. Au programme : le courrier des lecteurs, bonnes adresses, rubriques conseil, ...

Mag digital indépendant pop rock metal indus branché sur courant alternatif.

Premier magazine de jazz en ligne : Le jazz a sa tribune. Un sommaire complet entretiens, articles, chroniques de disques, photo reportages, et playlist reflétant l’actualité du jazz en France.

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Magazine trimestriel collaboratif réalisé à l’initiative d’Atypeek Music


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ATYPEEK MAG TRIMESTRIEL COLLABORATIF D’ACTUALITÉS GÉNÉRALES

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Oct. Nov. Dec. 2016

PROCHAIN NUMéro 31 JANVIER 2017 www.atypeek.fr Rejoignez-nous sur notre facebook.com/AtypeekMusic/

REMERCIEMENTS Léa Vince - Juan Marcos Aubert - Jonathan Allirand - Roland Torres - Maxime Lachaud - Hazam - Fisto (Olivier Cheravola) - Oli - Roxxi Wallace - John Maldoror - CF - Sagittarius - Aisyk - P.L. - Philippe Méziat - Willou - Ted - Hervé - Alexandre Lézy - Leoluce - François Becquart - Cactus - Jean-Philippe Haas - Jérôme Orsoni - Julien Soullière - Fred Antoine Gary - Pierrick Starsky - Valentin Blanchot - Arnaud Verchère - Philippe Deschemin - Laurent Coureau - Soizic Sanson - Flore Cherry - Mika Pusse - Jérôme Tranchant - Françoise Millet - Alain R. - Jihane Mriouah… Contact : cf@atypeekmusic.fr

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