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Un modèle de pensée dominant

LES MANIFESTATIONS DE GENRE DANS L’ESPACE PUBLIC

Un modèle de pensée dominant

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A quoi ressemble le profil « universel » du citadin ?

La conception des villes, est-ce une affaire de genre ?

La hiérarchie sociale et économique de nos sociétés se répercute dans les espaces de nos villes. L’espace public constitue un lieu de confrontation des inégalités où les formes de dominations sociales se retranscrivent. C’est assez récemment que la question de l’espace public et de la place des femmes dans celui-ci, s’est posée dans les débats publics suite à la 4ème vague du féminisme commencé dans les années 2010. Parler de genre et d’espace public revient à questionner la place des unes et des autres dans les espaces publics. C’est ce que des géographes ont appelé le droit à la ville. La pensée du droit à la ville revient au philosophe et sociologue Henri Lefebvre, qui, en 1968, a publié un manifeste dans lequel il livre une forte critique contre les modes dominants de production de l’urbain de l’époque. D’après lui « le droit à l’œuvre (à l’activité participante) et le droit à l’appropriation (bien distinct du droit à la propriété) impliquent le droit à la vie urbaine » (Lefebvre 1968 : 154155). Constatant des stratégies d’appropriations différentes selon les genres et les mobilités, certaines municipalités et associations ont alors cherché à rendre l’espace public accessible à toutes et tous.

Pour comprendre le lien entre l’espace public et la place des femmes dans celui-ci, il est nécessaire de situer notre regard sociétal pris dans une société patriarcale. Cette dernière est une forme d’organisation sociale et juridique fondée sur la détention de l’autorité par les hommes. C’est un système où le masculin incarne à la fois le supérieur, celui qui domine et l’universel, celui à qui tout est rapporté et accordé. Si la ville est alors construite suivant ce système, alors nous comprendrons que la normativité des comportements humains est figée sur la base des comportements des hommes considérés comme universels. La figure prétendument neutre du citadin est en réalité genrée, mesurée et stéréotypée. Le modulor, mesure créée par le Corbusier, adoptée par nombre de concepteurs, exprime très bien l’image universelle avec laquelle on conçoit l’espace : il est pensé comme un homme d’1m80 et cela ne correspond évidemment qu’à une petite partie de la population.

Dans l’article Masculinisme et métropole, Maële, dont la revue Sauvage se veut critique à propos de l’urbanité telle qu’on la connaît, exprime en quoi les grandes villes incarnent une puissance masculine « Expansion, contrôle, domination… voilà le credo des hommes et des villes »1 (Maële, 2020). Les mots, forts, incitent à l’indignation, au questionnement. Ils portent une réflexion à propos de la place des genres dans la ville qui est inégalitaire, introduisant l’idée partagée par Yves Raibaud que la ville est faite par et pour les hommes.

LES MANIFESTATIONS DE GENRE DANS L’ESPACE PUBLIC

On retrouve le poids de ces mots dans les noms des rues, des places, des stations de métro où les hommes politiques, artistes, écrivains sont majoritairement mis à l’honneur (Rousseau, Freud, Gauguin etc.). Les statues, présentes dans l’espace public, engendrent elles aussi une vision sexiste. Elles représentent majoritairement, en effet, des hommes illustres sculptés avec grandeur à cheval, avec des épées, le regard perçant et fier. Les femmes sont sous représentées avec seulement 2 % des noms sont féminins sur la totalité des rues en France selon l’Union Française soroptimism en 2014. Cependant, lorsqu’elles sont affichées, leur image est stéréotypée. Par exemple, les statues aux figures féminines représentent des femmes pieuses ou bien des muses aux corps dénudés. La statue du Rhône et de la Saône personnifiée est pour cela très explicite. On perçoit clairement la différence de traitement entre l’homme (Rhône) qui représente la force, la fougue et la protection tandis que la femme (Saône) représente la douceur et la fragilité. (photo).

Si une image de la femme est présente, elle n’est représentée que selon un seul modèle. Les publicités de femmes sexualisées présentes dans la ville à travers les affiches dans les stations de métro, les arrêts de bus, constituent une stigmatisation de l’image des femmes. C’est une objectivisation de la femme. Cette sur-représentation, par le biais d’images, masque l’absence physique des femmes dans certains espaces publiques ou à certains heures.

Au centre de la place Bellecour trône la statue de Louis XIV. De chaque côté de son piédestal sont représentés le Rhône et la Saône.

À l’Ouest du socle, la Saône est une femme allongée sur un lion. La Saône apparait douce et paisible (fig1) À l’Est, le Rhône prend la forme d’un homme fort et vaillant. Il a Une rame à sa main et sous lui, un lion rugit (fig2)

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Les traits masculins de nos villes

La skyline métropolitaine, travaillée depuis la fin du XIXe siècle, exprime, elle aussi certains codes masculins. A l’aube des premiers gratte-ciel, un enjeu de représentation des villes est pris d’assaut par les maires et architectes qui entrent en compétition les uns avec les autres pour posséder dans leur aire urbaine la plus haute tour. Cette image renvoi à la compétition entre hommes consistant à posséder le plus gros et grand organe sexuel. Henri Lefebvre parle de « verticalité phallique » (Lefebvre, 1974, p. 46).

Les tours, situées le plus souvent dans les quartiers d’affaires, marquent la collaboration entre la municipalité et les entreprises. L’architecture des tours renvoie à la puissance des entreprises que les villes accueillent et montre ainsi le pouvoir économique des cités. Ces hauts lieux de pouvoir sont une composante essentielle du processus de métropolisation.

La symbolique de la verticalité est très forte. Dans un monde mondialisé et capitaliste, la course à la hauteur ne s’arrête plus malgré le modèle énergivore de ces tours géantes : en 2018, 143 tours de 200 mètres et plus ont été livrées dans le monde. Ces constructions peuvent être assimilées à une colonisations des territoires dans le but d’asseoir un pouvoir politique et économique en ne se souciant guère des conséquences sociales.

La ville engendre donc une architecture aux traits fort masculins. À quoi serait-ce dû ? Cela pourrait provenir, notamment, du fait que les directions des structures des métiers de l’urbain sont majoritairement occupées par des hommes.

En effet, selon la Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme en 20201, sur 51 agences d’urbanistes en France, 41 sont dirigées par des hommes. Leurs positions hiérarchiques imposent peut être une certaine conception même si des femmes composent l’équipe qu’ils dirigent. Les titres et les prix sont majoritairement attribués à des hommes : Sur les 44 lauréats du Prix Pritzker, il n’y a eu que 6 femmes, la première lauréate du prix Pritzker étant Zaha Hadid en 2004 et la dernière étant Anne Lacaton en 2021. Sur les 27 éditions du grand prix de l’urbanisme il n’y a eu que 3 lauréates (Paola Viganò en 2013, Ariella Masboungi en 2016 et Jacqueline Osty en 2020).

Léa Delmas, spécialisée dans les stratégies territoriales et urbaines énonce un problème lié à l’évolution de notre société actuelle : les penseur·ses urbains qui conçoivent des villes durables (DELMAS, 2016)2 les pensent pour un certain profil : celui d’un homme jeune ayant une activité rémunérée, libre de toute occupation familiale et en bonne santé. Tout d’abord, nous avons l’exemple d’une pratique promue par de plus en plus de mairies pour des villes durables et vertes, dans l’air du temps : le vélo en ville.

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