Hors-série mai 2004 • 6,50
FO
Hors-serie
FRATERNITÉ ŒCUMÉNIQUE INTERNATIONALE
Comment être
parents ? & Chemins neu s Nouvelle f
Formule
U D T Z E E M N P E S R P POUR VOTRE COUPLE
CANA
Semaines et week-ends pour couples et familles Communauté du Chemin Neuf
POUR LES COUPLES : 11 -17 juillet La Hulpe Belgique (avec enfants)
POUR LA FAMILLE : POUR LES FIANCÉS :
19 -25 juillet Abbaye d’Hautecombe (avec enfants) 15 - 21 août Abbaye de Sablonceaux (avec enfants) 19 - 25 juillet Marseille
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Comment être parents ? Éditorial
FO 10 rue Henri IV, 69287 LYON CEDEX 02 Fax : 04 78 37 67 36 Tél. : 04 78 92 71 36 revue.foi@chemin-neuf.org Directeur de la publication : P. Laurent Fabre
Rédaction
Rédactrices en chef : Valérie Aubourg Valérie Goubier Secrétaires de rédaction : Marie-Roselyne Lemonnier Koumi Ono
Gestion/Administration
ame Directeur : Pierre Certain abonnements : Andrée Baruch, Jolanta Jusiel, Anny Lang, Daniel Rengade, Marie-Thérèse Subtil, Nicole Zebrowski Réalisation : Imprimerie du Chemin Neuf Dominique Laslandes, Radoslaw Molenda, Izabella Wadolowska, Elisabeth Witos Impression : IML-69850, St Martin en Haut Dépôt légal : 2ème trimestre 2004 N° Commission Paritaire en cours Photos : CCN Tous droits réservés Couverture : Une : Cana Sablonceaux, août 2003 Dos : Banga Bola, RDC
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Par téléphone : de 9 heures à 12 heures et de 14 heures à 18 heures tous les jours sauf le mardi matin au 04 78 37 45 99 Par courrier : ame FOi abonnements, 10 rue Henri IV 69287 Lyon cedex 02 Par mail : ame@chemin-neuf.org Tarif France : Formule complète : un an, 4 numéros + 2 hors-séries : 27 Formule simple : un an, 4 numéros : 15 Tarifs Étranger : nous consulter
Encarté dans ce numéro, un CD audio de Simone Pacot : Les Lois de vie pour les abonnés de FOi, formule complète.
Famille - Trinité
La famille a un pôle naturel, enraciné dans la biologie. Ce pôle est instinctif avec en luimême un esprit de possession et de fermeture… et résonnent alors en nous les mots terribles d’André Gide : “Familles je vous hais !”. La famille a aussi un pôle spirituel et ce pôle surnaturel c’est la Trinité. Le Christ est venu nous dire et nous démontrer que nous avions un Père et que Dieu vit en famille. Oui comme dit si bien Maurice Zundel “Dieu n’est pas un être solitaire qui se contemple et se repaît de lui-même. Dieu est une éternelle communion d’amour. Mais cette famille est d’une nature singulière et incomparable parce qu’elle est fondée toute entière sur la désappropriation”. D’un côté la “bulle instinctive” centrée sur elle-même, étouffante : “famille possession”, et de l’autre, au contraire, la “famille don”, la famille fondée sur Dieu, la famille ouverte et non point close, la famille donnée à tout l’univers et à toute l’humanité : la famille trinitaire ! Il faut choisir, et ne pas se tromper de sacrement de mariage : Je me donne à toi pour toujours ou bien tu m’appartiens pour toujours ! ? Il y a quelques années le Pape Paul VI invité par l’O.N.U. pouvait se présenter comme “un expert en humanité”. De nos jours cela serait plus difficile et le Cardinal Daneels parlant devant plusieurs centaines de couples disait que nos églises avaient perdu leur crédibilité dans la plupart des domaines de la société, mis à part le domaine de la famille. En effet, devant ce raz-de-marée qui submerge dans le monde beaucoup de familles, les religions de manière générale et les chrétiens en particulier apparaissent comme un rempart pour protéger la famille. Les hommes politiques et les gouvernements le savent bien, les statistiques sont là pour le prouver : ceux qui croient en Dieu croient aussi en leur famille et défendent la famille, cellule de base de toute société. Il y a, en effet, péril dans la demeure familiale. Pour ne prendre qu’un exemple, en France, deux millions d’enfants (toute la ville de Lyon !) se retrouvent sans père à la maison. Sans aller chercher trop loin, il est vraiment extraordinaire et significatif que Dieu ait voulu vivre sur terre 30 ans “incognito” en famille ! Jésus a vécu les neuf dixièmes de son temps parmi nous “en famille” ! Si Dieu a considéré comme si important la famille c’est parce qu’Il veut sauver ce bien précieux, ce trésor inestimable de l’amour familial. Comme annonçait clairement LAURENT FABRE l’invitation pour cette grande rencontre dans la capitale de la Côte d’Ivoire (Abidjan) : “Dieu sauve la famille”. Si un jour, un enfant lit ce numéro de FOi. Si cet enfant tombe sur un des articles, ou encore mieux, sur celui de ses propres parents… il risque d’être touché, ému lui-même par tant de paroles profondes, aimantes qui le concernent ! D’ici quelques années, dix ou vingt ans… lorsque ces mêmes paroles, ces mêmes articles seront devenus davantage encore lettres de sang et de “vies données”, le mystère et l’étonnement seront plus grands encore ! Depuis une trentaine d’années, la Communauté du Chemin Neuf anime dans le monde (une cinquantaine de pays) des sessions pour les couples (sessions CANA). Cet été à l’Abbaye de Sablonceaux, nous nous lançons dans un nouveau défi, déjà amorcé en Italie et en Côte d’Ivoire, réaliser une session Cana qui a la même finalité que ce numéro de FOi : “Comment être parents ?”. Ce numéro peut nous aider à répondre ensemble à cette question si urgente pour l’avenir. n
D’un côté la “famille possession” et de l’autre la “famille don”, ouverte, fondée sur la “Famille Trinitaire”
w Hors-série Pentecôte 2004 w FOI w
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Comment être parents ?
1
Hors-serie Devenir parents 8 Avec mes parents pour bagages ! Approfondir Chantal Lanier 12 Permettons à l’enfant de naître à lui-même Entretien Hélène Carosin
16 J’ai osé perdre du temps avec mes enfants Témoignage Catherine Denis 17 Je suis une femme Africaine, Ivoirienne Témoignage Éliane Bossoh
19 Nous n’appartenons pas à la même Église Témoignage Dale et Diana Fried 20 Donner la vie Approfondir Jean-Claude Sagne
2
Quand tout n’est pas facile 26 Avis de tempête en famille… Qu’en disent les Évangiles ?
Dominique et Marie-Christine Ferry Approfondir
29 Notre aînée est partie dans une communauté nouvelle Gilbert et Monique Fayolle Témoignage 31 Parent en solo : “Elle” n’est plus… Témoignage Dominique Larcher 37 Petits et grands soucis de l’adolescence Entretien Colette Combe 40 Face à la mort d’un petit Témoignage Hélène Guilbault 41 Face à la schizophrénie Témoignage Gabrielle Evennec 42 Autisme, la pesanteur et la grâce Témoignage Michel et Mary Vienot
3
S’ouvrir aux autres et à Dieu 48 La Parole de Dieu, comment leur mettre l’eau à la bouche ? Bertrand Audéoud Approfondir 52 La paternité fait partie de la vie consacrée Témoignage Christophe Blin 54 Serviteurs de la paternité divine Approfondir Alain Mattheeuws s.j. 58 S’en remettre à Dieu Témoignage Valentine Hodara
59 Entre mamans, nous prions pour nos enfants Témoignage Anne Lagemann 60 La famille doit s’ouvrir à plus grand qu’elle Entretien
Vincent et Laurence de Crouy
65 Bibliographie
Pentecôte 2004 • Sommaire
1
Devenir parents C
omment devenons-nous parents ? Est-ce un “métier” que l’on acquiert au fil de l’expérience, une “vocation” qui échoit à certains ? Chantal Lanier, théologienne intervenant dans les sessions Cana nous rappelle qu’avant d’être parents, nous sommes enfants et que nous avons à prendre conscience des modèles parentaux par lesquels nous avons été éduqués, afin de, comme le bon scribe de l’évangile, pouvoir tirer de notre trésor de bonnes choses anciennes et nouvelles pour nos enfants. Pour Hélène Carosin, psychologue, il convient de mettre en place quelques attitudes fondamentales dans la relation aux enfants afin de pouvoir pleinement tenir son rôle de parent c’est à dire celui qui permet à l’enfant de naître à lui-même et de devenir à son tour un adulte capable de poser des choix et d’être parent. Ce n’est jamais seul que l’on accueille son héritage familial et culturel et que l’on devient parent. Catherine Denis, comme Éliane Bossoh ou Dale et Diana Fried, témoignent de l’importance que revêt pour eux ce contact avec l’autre différent : différent dans la conception du rôle maternel, différent dans la façon de considérer les relations familiales, différent dans la confession de foi. Mais au fond, les différentes étapes que traversent les parents en fonction de la croissance des enfants ne sont-elles pas conformation à celui dont toute paternité au ciel et sur la terre tire son nom ? Jean-Claude Sagne recentre notre regard sur Celui qui est l’Origine de tout don de vie, le Père qui en Jésus son fils nous appelle dans l’Esprit d’Amour à donner nos vies, à donner la vie jusqu’au bout. n
8
Chantal Lanier
Avec mes parents pour bagages !
12
Hélène Carosin
16
Catherine Denis
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Éliane Bossoh
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Dale et Diana Fried
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Jean-Claude Sagne
Permettons à l’enfant de naître à lui-même
J’ai osé perdre du temps avec mes enfants
Je suis une femme Africaine, Ivoirienne
Nous n’appartenons pas à la même Église
Donner la vie
Devenir parents Approfondir
Avec mes parents pour bagages !
Pour Chantal Lanier, théologienne, intervenant dans les week-ends Cana, nous sommes enfants avant d’être parents, inscrits dans une histoire et des traditions familiales qui nous ont façonnés. Cet héritage est une chance à recevoir, tout en sachant prendre ses distances avec lui. “Être parents”, une aventure que beaucoup d’entre nous ont la joie de vivre ou l’espérance de vivre un jour. Si nous parlons d’aventure, nous sous-entendons ces sentiments ambivalents mais si souvent liées que sont la joie, l’enthousiasme mais aussi une certaine angoisse, pour ne pas dire peur, devant l’inconnu. Qui d’entre nous, devant ce tout petit bout d’être qu’on nous met dans les bras, n’a pas éprouvé ces deux sentiments, fierté et angoisse. Nous sentons alors confusément qu’il y a un avant et un après, rien ne sera plus jamais comme avant ; nous voilà devenus parents alors que nous n’étions qu’enfants. Nous savions très bien ce que c’était que “d’avoir” un père et une mère mais nous ne savions pas ce que c’est “d’être” père et mère. Cette simple constatation, évidente, signifie qu’avant d’être parents, nous sommes enfants et donc que nous ne pourrons pas être vraiment parents si nous ne nous recevons pas d’abord comme enfants.
“Se recevoir comme enfants” C’est reconnaître que je suis né de la rencontre de deux personnes qui, au départ, n’avaient rien en commun, et que je suis le fruit de cette rencontre. Je m’inscris dans une histoire, dans une filiation ; je ne suis pas issu du néant ; je suis le maillon d’une chaîne humaine. Nous savons tous la douloureuse quête des origines que mènent les enfants adoptés ou nés sous X. Une jeune fille née ainsi me faisait part de sa souffrance de ne pouvoir remonter au-delà du berceau d’hôpital dans lequel elle se trouvait lorsque ses parents adoptifs
8 w FOI w Hors-série Pentecôte 2004 w
l’avaient accueillie. Connaître mon histoire, celle de ma famille est une chance ! Cette histoire n’est sans doute pas parfaite. Elle peut être lourde de blessures et de failles, comme aussi de joies, de bonheurs, mais c’est la mienne. Se recevoir comme enfants, ce peut être d’abord relire cette histoire, en prendre conscience. Ma famille, mes parents m’ont donné des références, des valeurs, des repères qui m’aident aujourd’hui. Ou bien, au contraire, je me suis construit “en négatif” : ne pas être comme mon père ou ma mère… Mais ces oppositions sont encore, d’une certaine manière, des références. C’est avec ce bagage que je suis arrivé un jour devant celui ou celle avec qui j’ai décidé de former un couple. Bagage qui peut être léger ou encombrant, selon ce que je vais en faire. Le gros problème du couple, c’est qu’il est formé de deux personnes… L’autre aussi a son histoire, son bagage… et nous voilà l’un devant l’autre avec le profond désir de construire quelque chose ensemble. Les auteurs de la Bible, il y a environ trente siècles, savaient déjà que ce n’était pas chose facile. Dans le livre de la Genèse, lors du second récit de la création, Dieu a voulu pour Adam « une aide qui lui soit assortie » et lorsque celle-ci paraît devant lui, Adam parle et s’écrie « pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair ». Parce qu’il a quelqu’un devant lui qui peut lui répondre, Adam parle. Le couple est né, tout paraît simple ; mais cela ne l’est sans doute pas vraiment, puisque le texte poursuit : « c’est pourquoi, l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair. » (Gn 2, 23-24) Tout ceci peut sembler évident : avant de devenir un couple, « une seule chair », il faut quitter son père et sa mère. Bref, il faut faire ses bagages et aller habiter ailleurs ! Ce qui est étonnant, c’est que les auteurs de ce texte le précisent alors que, vraisemblablement, le jeune couple de l’époque de ce texte s’installait sous le même toit que ses parents !
Quitter son père et sa mère Quitter, c’est d’abord et avant tout faire un choix, celui de la personne avec qui je vais fonder une famille. Comme tout choix, il implique de renoncer à toutes les autres possibilités. Il signifie aussi abandonner l’imagi-
naire dans lequel, peut-être, je vivais ce futur, pour coller à la réalité. Il n’y a plus l’être idéal dont je rêvais mais un être concret avec ses défauts et ses qualités. Ce choix est vital pour reconnaître l’autre comme unique pour moi. Seul cet abandon de l’imaginaire peut nous permettre de fonder un couple. Ensuite, il faut vraiment quitter ses parents. Mais là aussi, c’est un acte positif. Quitter, ce n’est pas abandonner, laisser aller. Pour réellement quitter, il faut prendre conscience de ce que je quitte. Il faut donc reconnaître lucidement ce qui m’a été transmis, de bon et de moins bon. Cette lucidité va me permettre de ne pas demeurer prisonnier, inconsciemment, du couple de mes parents. Mon père était peut-être à mes yeux l’homme idéal, mais si je ne le quitte pas, je vais attendre que mon mari se conforme à ce modèle. De même, si ma mère est la femme idéale, mon épouse devra en être la copie conforme… A contrario, si mon père, par son comportement, ses attitudes, a fait souffrir ma mère ou ses enfants, mon époux devra alors se démarquer complètement de ce contre-modèle. Dans un cas comme ans l’autre, j’enferme mon conjoint dans une image, je ne le laisse pas être lui-même. Quitter, c’est donc entrer dans un commencement, un vrai commencement qui ne reproduit pas le passé de façon inconsciente, mais crée réellement du nouveau. Ce qui est vrai pour la relation conjugale, l’est aussi pour la relation parentale. Quitter son père et sa mère lorsque l’on devient parents, c’est entrer dans cette aventure nouvelle ensemble, mari et femme, loin des modèles que nous avons du bon père ou de la bonne mère. Ces modèles sont en nous soit parce que nous les avons rêvés, soit au contraire parce que nous les
avons côtoyés. Quitter alors, c’est être persuadés qu’il n’y a pas de déterminisme absolu ; nous ne sommes pas condamnés à la reproduction, bonne ou mauvaise, de ce que nous avons vécu. Nous sommes, père et mère, deux personnes libres qui ne sont pas enchaînées à leur passé. C’est ensemble que nous allons aborder ce nouvel état de père et de mère, nous appuyant l’un sur l’autre, enrichis par nos histoires mais non liés par elles. Quitter son père et sa mère, c’est véritablement accéder à l’autonomie. C’est choisir personnellement et en couple ses propres références de ce qui semble bien ou mal en tant que parents. Cela signifie aussi savoir se détacher de certaines références familiales en ce qui concerne nos enfants, c’est-à-dire ne pas vouloir les enfermer dans des reproductions familiales : “c’est tout son grand-père !” Avant d’être le portrait de son grand-père, l’enfant est d’abord lui-même et il a même le droit de ne ressembler à personne et de nous dérouter par son caractère ou ses comportements. Après avoir ainsi quitté père et mère, il nous sera plus facile de les « honorer ». Ce terme peut désigner la relation nouvelle qui va s’établir entre deux adultes autonomes, devenus père et mère, et ceux qui leur ont donné la vie. Les honorer, c’est leur rendre ce que nous leur devons mais pas plus, ne pas être écrasés par une “dette” que nous aurions envers eux. Si nous sommes devenus autonomes, nous n’aurons plus à quêter auprès d’eux approbation, amour préférentiel ou reconnaissance pour ce que nous sommes en train de construire. Nous pourrons les aimer gratuitement pour eux-mêmes en reconnaissant simplement ce que nous leur devons.
S
Se recevoir comme enfant, c’est reconnaître les valeurs que nous avons
reçues de nos parents
si c’est de façon tout à fait inconsciente. Il n’est plus pour lui, il est pour moi. Et, dans le même temps, être parents, c’est être celui ou celle qui sera toujours présent pour soutenir, réconforter. C’est garder ces bras que nous Quelque soit sa culture et sa race, c’est en établissant une relation juste avec ses avons ouverts pour propres parents que nous permettons à nos enfants de devenir parents à leur tour. les laisser partir, grand ouverts pour les accueillir s’il en est Comment ce travail d’autonomie peutbesoin. Non pas les accueillir en disant “je te l’avais bien il nous aider à devenir parents ? dit !”, mais simplement “je t’aime”. Comment ne pas Ce n’est qu’en ayant quitté nos parents, c’est-à-dire en penser au père du fils prodigue qui a laissé partir son fils ayant établi cette relation d’amour gratuit envers eux, qui le désirait et qui le recueille aux mauvais jours sans que nous pourrons nous tourner entièrement vers la poser de questions… Difficile tâche que celle des parents, tâche qui nous attend : devenir parents à notre tour, souvent ingrate à nos yeux, d’où ce reproche tellement c’est-à-dire susceptibles d’être “quittés” un jour. Toute courant que nous avons certainement entendu et qui nous éducation est une éducation à l’autonomie. Apprendre à vient parfois spontanément : “après tout ce que nous marcher à un enfant, c’est lui permettre de faire un jour avons fait pour toi !” Non, nos enfants ne nous doivent les pas qui l’éloigneront de nous. France Quéré souli- rien, ils sont eux, des personnes autonomes capables de gnait qu’il fallait donner tout son sens à cette expression faire des choix, de dire non, même à leurs parents. Ils si courante “mettre un enfant au monde”. Le “mettre au sont appelés à nous quitter comme nous avons quitté monde”, c’est le donner déjà, dès sa naissance, au monde nos parents, et ce n’est pas pour cela que nous les auquel il appartient. C’est accepter, dès le départ, que aimons moins. nos enfants ne soient pas tout pour nous, et, surtout, que nous ne soyons pas tout pour eux. C’est reconnaître en Dans cette aventure de la parentalité, où nous apprenons à chacun d’eux un être à part entière, issu, il est vrai, de la établir une juste relation à nos parents afin de pouvoir même histoire familiale, s’inscrivant dans cette chaîne nous-mêmes être parents et permettre à nos enfants de humaine dans laquelle il a besoin de s’identifier, mais le devenir à leur tour, la Parabole du Bon Samaritain peut qui est une personne indépendante de mes rêves, de nous éclairer : le Samaritain voyant cet homme blessé au mes désirs et de mes projections. “Toutes les mères sont bord du chemin, le soigne avec ce qu’il a sous la main, le ainsi arrêtées par moment devant ce fragment rebelle de charge sur sa monture, l’amène à l’auberge où il prend leur chair qu’est leur enfant, et elles se sentent en exil soin de lui, puis il le confie au soin de l’aubergiste pour la devant cette vie neuve qu’on a faite avec leur vie et suite. Il fait ce qui est sa part, puis s’éloigne laissant à qu’habitent des pensées étrangères.” écrivait Jean-Paul d’autres le soin de poursuivre. Quant à l’homme qui a été Sartre. On ne peut mieux dire que notre enfant ne nous ainsi soigné, il est appelé à entendre la parole de Jésus appartient pas, qu’il n’est pas là pour nous combler, pour qui conclue la parabole : « va et fais de même ». Donne combler nos rêves, nos désirs secrets. Ceci peut se mani- gratuitement à ton tour, à qui en a besoin, puisque toifester de façon subtile. Par exemple, si je n’ai pas eu une même tu as reçu gratuitement. La chaîne de l’Amour est bonne relation avec mes parents, je peux rêver de créer une chaîne nécessairement ouverte, comme est celle de avec mon enfant ce que je n’ai pas eu. Celui-ci est alors l’Amour Trinitaire. n “utilisé” en quelque sorte au service de mon rêve, même
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Devenir parents Pratique
« Vous avez reçu gratuitement… » Mt 10,8
Une fiche pour dialoguer À l’occasion d’un temps en couple, quelques questions pour tester vos relations et relire son histoire. Chacun prendra le temps de répondre personnellement à ces différentes questions avant d’en parler avec son conjoint.
Qu’ai-je reçu ?
De mes De mes grands-parents parents
De mes frères et sœurs
À travers quelles circonstances
événements lieux coutumes familiales
paroles
attitudes gestes
fiche réalisée par la Fraternité CANA
Devenir parents Entretien Quelles attitudes adopter ou proscrire en tant que parents ? Comment leur transmettre notre amour ? Hélène Carosin met en relief six éléments-clefs de la relation parents-enfants.
Permettons à l’enfant de naître à lui-même ! Entretien avec Hélène Carosin Psychologue, originaire de l’Île Maurice et actuellement responsable du centre international de formation chrétienne des Pothières (France, 69). Anime depuis plusieurs années des sessions de communication entre parents et enfants. Mariée avec Jean-Pierre, mère de deux enfants. w Hélène, vous animez des sessions de formation à la communication pour les parents. Pourquoi de telles sessions ? w J’ai commencé ces sessions à
Maurice, suite à la demande d’un couple confronté à un problème de drogue chez ses adolescents. D’un seul coup, les parents se demandaient comment faire avec les enfants, comment être parents. Par la suite, je me suis rendu compte qu’il y a des préparations au mariage proposées aux futurs couples, mais rien pour apprendre à être parents ! De plus, grâce à la vogue de la psy-
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chologie, les parents se posent davantage de questions sur ce que l’on peut ou doit faire avec un enfant. Il y a un recentrage sur la place de l’enfant qui amène les parents à se poser sans cesse la question : est-ce que ce que je fais est bien pour mon enfant ? Par ailleurs, les gens ont de moins en moins de repères ou de références, peut-être en lien avec le fait que le rôle des femmes dans la société a changé : elles restent moins au foyer, sont davantage investies dans la vie professionnelle. On
observe une peur de traumatiser l’enfant, il faudrait le préserver de toute contrariété ! En bref, on ne se situe plus comme parents, c’est à dire ceux qui ont la charge de permettre à l’enfant de devenir une personne humaine, libre et responsable, vivant en société, capable de poser des choix de vie. Il y a tout un travail d’humanisation qui ne se fait pas tout seul mais dans lequel les parents doivent s’engager !
w Quelles sont les bases que vous proposez pour un tel travail ?
J’ai beaucoup travaillé avec la méthode mise en place par Gordon, un anglo-saxon, qui propose toute une approche en communication. Il travaillait avec des adolescents avec beaucoup de succès, ce qui a posé question aux parents qui ont voulu savoir comment il s’y prenait. Il a constaté que le fond de son discours avec les adolescents était le même que le leur, mais que la forme différait. D’où le démarrage de cette approche de la communication. De plus, j’ai senti que les parents avaient besoin d’entendre des choses
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fondamentales par rapport à des positions de fond. J’en ai relevé six : poser un regard positif a priori sur l’enfant, avoir le courage de dire non, valoriser et encourager l’enfant, mettre en place une forme de discipline dans la maison, transmettre des valeurs, proposer des défis aux enfants.
w Concrètement ? w Concrètement j’aime bien parler
de la “caverne d’Ali Baba”. On dit souvent qu’un enfant, c’est une caverne d’Ali Baba, pleine de richesses, de beautés. C’est vrai, mais il ne suffit pas de savoir où se trouve cette caverne. Encore faut-il avoir le mot de passe pour accéder à ces richesses et leur permettre de s’exprimer. Ce mot de passe, on le sait tous, c’est l’amour, l’affection. L’enfant est un être de relations, il a besoin de se sentir aimé, cajolé. L’amour ne passe pas à travers des gadgets vite offerts - vite oubliés. Il se transmet par le temps et l’énergie que les parents consacrent à l’enfant. Il y a certes un problème quand les parents travaillent tous les deux. Ils peuvent éprouver une difficulté réelle à donner ce temps précieux aux enfants. Il faut d’abord qu’ils prennent soin d’euxmêmes en prévoyant un sas entre le travail et le retour à la maison, ne serait-ce qu’en disant clairement aux enfants que papa ou maman a besoin d’être un moment tranquille avant d’être avec eux. Ce qui importe dans ce temps passé avec l’enfant, c’est moins la durée que la qualité. Les enfants se plaignent souvent de n’avoir qu’une relation fonctionnelle avec leurs parents : fais tes devoirs, lave toi les dents… Lors d’une session pour des familles, j’ai entendu une fois cette question : “Si vous mourriez demain, quel souvenir de vous auront vos enfants ?” Qu’est ce que je laisse à mes enfants si je suis toujours sur leur dos ? L’amour passe par des gestes concrets : la façon de regarder, le contact corporel, le ton de voix. Quand je regarde Mère Térésa ou
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Un enfant a besoin que ses parents jouent avec lui, ou fassent le clown de temps en temps avec lui, cela le rassure.
Jean-Paul II, je suis toujours frappée par la densité de leur regard, leur façon de regarder ceux qui viennent à eux, d’être pleinement en relation avec eux par leur regard. Souvent quand mes enfants me reprochent de ne pas m’écouter, en fait, c’est parce que je ne les regarde pas. Ils ont besoin d’être regardés. Un bébé a besoin d’être regardé : il n’hésite pas à tourner votre tête avec ses mains pour que vous le regardiez ! De même, un enfant a besoin d’être touché, d’éprouver un contact corporel. C’est une forme de nourriture pour lui ; les anglo-saxons parlent de skin hunger. En disant cela, je pense à l’histoire d’Anna, cette femme africaine à qui des infirmiers confiaient un bébé quand celui-ci n’allait pas bien, ne dormait pas ou ne voulait plus manger. Anna prenait l’enfant contre elle, lui parlait, le transportait partout avec elle, et grâce à ce contact charnel, l’enfant reprenait vie, se nourrissait à nouveau. C’est vraiment étonnant !
w Ce que vous dites là va à l’encontre de ce que nous vivons actuellement, où il devient de plus en plus suspect de se toucher ! w Ce n’est pas propre à la culture
occidentale. Dans la culture chinoise, d’où je viens, on ne se touche pas beaucoup. Et de fait avec mes enfants, j’avais réalisé que je ne les touchais plus beaucoup. quand j’ai
recommencé, ce n’était pas facile, il fallait comme se réapprivoiser mutuellement : une petite tape, une caresse sur l’épaule, passer la main dans ses cheveux… Se toucher est nécessaire. Un enfant à qui l’on procurerait tout ce dont il a besoin en matière de nourriture o u d’habillement, mais que l’on ne toucherait jamais, ne se développerait pas. Les parents doivent oser toucher leurs enfants même quand ceux-ci ne s’y attendent pas. C’est vital pour eux. Enfin, il y a le ton dans la façon de parler. Est-ce que je me situe toujours dans la position Parent vis à vis de mon enfant ? Ou est ce que je peux me détendre de temps à autre avec les enfants, laisser l’enfant qui est en moi rejaillir avec mes enfants. Un enfant a besoin que ses parents jouent avec lui, ou fassent le clown de temps en temps avec lui, cela le rassure. Les parents ne sont pas uniquement des précepteurs. De tels moments de détente ensemble favorisent la relation, l’enrichissent, permettent ensuite de passer les moments plus difficiles.
w Et cela suffit pour réussir ? w Tous ces petits gestes sont
un terreau pour que l’enfant grandisse. Mais quelque soit la richesse du terreau, il y aura toujours des manques. C’est important d’accepter cela dès le départ : quoique l’on fasse, il y aura des failles car nous sommes pécheurs. J’insiste beaucoup à ce sujet. Nous vivons toujours avec dans l’esprit cette phrase des contes de fées : “ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants.” Or la vie n’est pas facile et il est important de l’accepter et
Repères Les six attitudes fondamentales de la relation parents-enfants Dans son travail avec les adolescents, Gordon a mis en évidence six attitudes fondamentales pour soutenir la communication dans la relation parents enfants : w Poser un regard a priori positif sur l’enfant : celui-ci est comme une caverne d’Ali Baba pleine de richesses w Avoir le courage de dire non : l’enfant n’est pas un petit roi tout puissant w Valoriser et encourager l’enfant : il est important de non seulement redresser et corriger, mais de prendre soin et de renforcer ce qui est positif chez l’enfant w Mettre en place une forme de discipline dans la maison. Elle permet que chacun trouve sa place et participe activement à la vie familiale w Transmettre des valeurs afin que l’enfant soit vraiment libre w Proposer des défis aux enfants afin qu’il apprenne à faire face aux difficultés de la vie.
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Devenir parents Entretien de le montrer à nos enfants. Sinon nous vivons en plein imaginaire. Il y a un réalisme à tenir : les accidents de parcours existent : la maladie, la mort, l’échec. Comment est-ce que je réagis lorsqu’un enfant commet une erreur ? Quelle est mon exigence ? Quand un enfant est maladroit, c’est important de pouvoir nommer sa maladresse avec lui
Le regard que je pose sur mon enfant est important. On peut parler d’un effet pygmalion du regard. Deux exemples pour illustrer cela : tout d’abord celui de Leslie, un jeune polyhandicapé abandonné par sa famille et adopté par un couple profondément croyant. Pendant des années, ce couple a prié pour Leslie, afin de découvrir
w Comment éviter cela ? w Souvent on reprend
l’enfant quand il fait une bêtise ; on redresse ! Il faut aussi être attentif à valoriser l’enfant, surtout quand il ne s’y attend pas. On renforce alors ce qui est positif en lui. Il est bon aussi d’encourager et de responsabiliser l’enfant. Peu importe son âge ! Lui confier une responsabilité au sein de
Apprendre à différer le désir permet à l’enfant d’entrer dans un espace de rêve et de créativité pour l’accueillir avec lui et lui apprendre paisiblement à réagir en réparant. S’il casse quelque chose, un vase, il doit prendre le balai et la pelle ! De même, quelle est mon attitude par rapport à la maladie ? à la mort ? Dans certaines familles à Maurice, quand il y a un décès, on n’autorise pas l’enfant à venir voir le corps du défunt pour ne pas le choquer. Mais au fond, c’est une façon de nier la vie. La mort fait partie de la vie ; c’est donc normal que les enfants y soient confrontés.
w Mais si la vie est difficile, comment faire malgré tout pour qu’elle soit moins difficile ? w Cela nécessite la remise en ques-
tion de certaines idées reçues : on vient de toute une époque où en psychologie on parlait de l’enfant roi, l’enfant naturellement bon qui sait se réguler. Or l’enfant a besoin d’apprendre, il a besoin d’être éduqué, de recevoir des limites, une discipline. L’enfant est appelé à vivre dans une société régulée ; il doit donc apprendre à se tenir correctement, respecter un cadre horaire, avoir une attitude juste dans ses relations. C’est grâce à l’éducation que ses richesses naturelles pourront se déployer.
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pourquoi Dieu (avait donné) lui avait donné la vie. Sa mère adoptive a passé beaucoup de temps avec lui, en lui faisant écouter de la musique car elle avait remarqué que dans ces moments-là Leslie manifestait de la joie. Or un jour, ses parents ont entendu de la musique dans la maison, durant la nuit ; ils ont alors découvert Leslie jouant du piano dans le salon. Depuis, il donne des concerts un peu partout dans le monde. Aux médecins qui lui affirment qu’elle a fait un miracle, sa mère répond qu’elle n’a fait aucun miracle, mais qu’elle a simplement aimé et cru en Leslie. L’autre exemple provient d’une étude faite dans une classe : on avait séparé les élèves en trois groupes selon leur QI. Les résultats aux examens furent très bons dans le groupe à fort QI, moyens dans le deuxième, mauvais dans le plus faible. Or en fait les enfants avaient été mélangés de façon aléatoire, mais avaient réagi conformément à ce qui était attendu d’eux ! Si je ne crois pas à mon enfant, alors je lui inculque petit à petit un message de désespérance sur lui-même.
la famille lui donne le sens d’appartenance à la cellule familiale et manifeste la confiance qu’on lui porte. La répartition des différentes tâches peut se faire au cours d’une réunion de famille. Régulièrement, on relit comment cela se passe, on voit comment améliorer ce qui est à faire. Les enfants fourmillent d’idées en général. Quand la tâche confiée n’est pas faite, il faut pouvoir reprendre l’enfant mais surtout ne pas faire à sa place. Ce serait pire que tout.
w Vous disiez tout à l’heure qu’il faut savoir donner une discipline et dire non à un enfant ? w Nous sommes dans une société
du “tout tout de suite” : les fast food, les guichets automatiques… L’enfant vit dans une société où il peut tout recevoir tout de suite. Comment lui apprendre à vivre l’attente, le manque ? Un enfant ne sait pas cela de façon naturelle. S’il n’apprend pas à vivre l’attente, c’est là qu’il peut glisser dans l’alcool ou la drogue car il aura besoin de compensations à son manque. Les parents doivent apprendre à l’enfant à différer le plaisir et cultiver le désir. Sans cela, l’enfant peut entrer dans un sentiment de toute-puis-
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sance et de plus n’aura pas le temps d’être inventif ni créatif. Je me souviens de la robe de mes 15 ans : je passais chaque jour devant la boutique des tissus et je pouvais admirer les différentes étoffes leur drap, imaginer ma robe… Françoise Dolto dit que l’on peut aller avec l’enfant et reconnaître le désir qu’il porte, mais cela ne veut pas dire que l’on va donner ce qu’il demande. Par exemple avec une petite fille qui veut une poupée Barbie, on peut prendre le temps d’aller admirer les différentes poupées dans le rayon jouet d’un grand magasin, d’en parler, d’imaginer avec l’enfant ce qu’on peut faire avec toutes ces poupées. On lui offre ainsi un espace de rêve qui peut infirmer ou confirmer le désir.
w Qu’en est-il des valeurs à transmettre ? w On dit beaucoup que
l’enfant quand il sera adulte pourra choisir les valeurs qui lui plaisent mais qu’il ne faut pas choisir pour lui ni lui imposer nos propres valeurs. Or ce n’est pas vrai. Il faut se positionner. Quand j’ai un bébé entre les mains, je n’attends pas qu’il me dise quelle marque de lait est la bonne ! C’est moi qui choisis ! Il y a des valeurs qui me font vivre et structurent ma vie et j’ai le droit et le devoir de les transmettre à mon enfant. Je rends mon enfant beaucoup plus libre en m’engageant dans la transmission des valeurs que je porte qu’en le laissant choisir tout seul. Je lui donne des repères et je le prépare à poser des choix, à pouvoir se situer dans la société dans laquelle il grandit. Il est faux de dire que s’engager dans la transmission des valeurs, poser des choix pour l’enfant et à sa place aliène sa liberté. Un enfant est un être de relations qui a besoin de se recevoir de ses parents pour devenir à son tour un homme libre et autonome, capable de choisir. Cette transmission des valeurs s’effectuera d’autant mieux que la relation avec l’enfant est bonne. Gordon estime que, de façon générale, un enfant reprend 80% des valeurs de ses parents. Choisir quelles valeurs transmettre est donc une véritable responsabilité qui incombe aux parents. Il y a des valeurs culturelles, spirituelles, civiques, sportives, politiques.
Soyons attentifs à valoriser l’enfant, surtout quand il ne s’y attend pas. On renforce alors ce qui est positif en lui.
w Mais pourquoi poser des défis à l’enfant ? w Actuellement, nous privilégions
le confort à tout prix, sous couvert de respect : il ne faut pas heurter, pas exiger… Or si l’on ne présente pas des défis à un enfant, il ne sait pas jusqu’où il peut aller, et donc il ne se connaît pas. Par les défis proposés il va buter, mais c’est là justement où l’on peut l’encourager et l’aider à aller plus loin. Cela permet à l’enfant de se structurer et de se préparer aux défis que la vie lui lancera quand il sera adulte. Il aura alors en lui la capacité de faire face. C’est la pédagogie du scoutisme et il faut bien reconnaître qu’elle porte de très beaux fruits.
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w Au fond tout ce que vous dites bat en brèche un certain quiétisme issu de nos mythes actuels concernant la capacité de l’enfant à s’éduquer tout seul ! w C’est vrai, être parent demande
de s’engager réellement et de façon responsable dans la relation avec notre enfant. Il y a un but à atteindre : faire de notre enfant un adulte libre et autonome, capable de choisir et de devenir à son tour parent. En tant que parent, j’ai la tâche extraordinaire de mettre au monde un enfant, pas seulement physiquement. J’ai aussi cette chance de lui permettre de naître à lui-même, à son identité. n
Les défis aident l’enfant à aller plus loin et à faire face aux enjeux de la vie w Hors-série Pentecôte 2004 w FOI w
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Devenir parents Témoignages
Cathy Denis (à droite) avec son mari, un couple d’amis et leurs enfants.
Le contact avec d’autres cultures ou confessions a modifié leur rapport à leur famille et leur a permis de découvrir ce qui est réellement important dans leur vie. Trois expériences.
Catherine Denis, médecin
J’ai osé perdre du temps avec mes enfants Mariée à Pierre-Yves, ingénieur et mère de 5 enfants. Ils ont tous les deux arrêté leur travail pour partir en Pologne, dans un pays dont ils ne connaissent pas la langue. Confrontée à la différence culturelle et à un autre système éducatif, Catherine découvre une nouvelle manière d’être mère de famille.
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Nous sommes partis en été 98, avec nos trois enfants, le dernier Clément avait alors 6 mois, pour emménager dans une petite maison à Varsovie, où vivaient aussi deux sœurs consacrées. Nous étions ensemble au service de la Communauté. Jusqu’à ce moment, Pierre-Yves et moi étions très pris professionnellement. Aussi nous employions une jeune femme pour s’occuper de nos enfants à la maison. C’est ainsi qu’après avoir travaillé passionnément, je restais très souvent toute la journée à la maison, seule avec les enfants, car il n’y a pas de
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système de garde en Pologne. Je me retrouvais dans la situation de nombreuses Polonaises mères au foyer “assises à la maison” selon l’expression polonaise consacrée qui sacrifient leur vie professionnelle et personnelle pour leurs enfants. Même si, au fond, j’étais heureuse d’être là et d’avoir enfin du temps pour les enfants, je devais accepter ce changement radical de vie, qui me donnait souvent l’impression de ne pas servir à grand chose. Ce fut vraiment une épreuve dans laquelle il me fallait durer, épreuve renforcée par le fait de notre isolement loin de nos relations et racines familiales et amicales. Cette période exigeante s’est révélée pour moi être une école de vie. Il me fallait apprendre ce métier de mère au foyer, apprendre à vivre l’instant présent, ce que j’avais peu fait jusque là. Je m’étais mariée en quatrième année de médecine et avais passé ma thèse en ayant deux enfants. J’avais toujours allié études de médecine et vie familiale, puis vie professionnelle et vie familiale et
J’ai compris la portée de cette prière à Marie : “priez pour nous maintenant et à l’heure de notre mort.” Ce sont en effet les deux moments de “l’instant présent” où le Seigneur peut et veut nous rencontrer et nous
nourrir. J’ai appris à prier dans l’instant, à puiser en lui ma force, j’ai appris auprès de lui à être attentive. Concrètement, petit à petit, j’ai trouvé du goût à être avec les enfants. J’ai appris à réfléchir et à prier pour ce que je ferai avec eux, organiser des petites activités. C’était important pour moi de me lever le matin et de porter ainsi ma journée avec toute sa banalité, sa simplicité. Cela me préparait personnellement intérieurement à être avec eux, et en même temps, j’apprenais à être libre et disponible, parce que parfois il fallait abandonner ce qui était prévu pour faire ce dont les enfants avaient besoin finalement. Je découvrais que la joie de ma vie de mère - et c’est vrai encore aujourd’hui - c’est de sentir ce dont chaque enfant a besoin dans l’instant présent. Je priais pour savoir quels sont leurs petits besoins, pas forcément les grandes choses mais sentir quand un des enfants a plus besoin que je prenne du temps avec lui et sous quelle forme. n
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avais ainsi appris à faire plusieurs choses en même temps. Or ici, j’avais une seule chose à faire, essentiellement être avec les enfants. J’ai du apprendre à goûter ces moments tout simples avec eux, accueillir la gratuité de l’instant présent : raconter une histoire, faire des bricolages, mais aussi supporter un caprice, une colère, ce qui me renvoyait alors à toutes mes incapacités à être une bonne mère… Ce fut brutal et radical. Mais en même temps, ce fut une grande chance pour notre famille. Apprendre à oser perdre du temps… cela change la vie et en particulier la vie de famille. J’ai découvert la chance d’ÊTRE tout simplement avec les enfants, plutôt que de faire.
Éliane Bossoh, Ivoirienne
Je suis une femme
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Africaine, Ivoirienne !
En 1992, je vivais dans la communauté à Abidjan et je me posais des questions d’orientation de vie. Je faisais des études de droit et j’avais besoin de me poser devant le Seigneur avec ces questions. Lorsqu’il m’a été proposé de venir me former à l’Abbaye d’Hautecombe, j’avais beaucoup de résistances car j’avais peur d’être “européanisée”. Je trouvais que je n’étais pas assez enracinée dans ma culture pour aller à la rencontre d’une autre. Une fois en France, c’est dans ce contexte international de la formation, où j’étais face à d’autres continents, à des différences plus grandes que celles qui existent entre Africains, que ce que j’avais peur de perdre me fut redonné. Les questions des autres me renvoyaient constamment à ce que je suis, à l’histoire de mon pays et cela m’a permit de prendre davantage conscience de qui je suis.
Sa venue en France lui a permis de relire et d’accueillir des éléments importants de sa culture concernant sa place de femme et l’importance de la famille.
J’ai ainsi pris conscience que si je suis une femme, je suis d’abord une femme Africaine, une femme Ivoirienne. Ce fut pour moi un chemin de réconciliation par rapport à l’image que j’avais de la femme Africaine. Je croyais, en regardant certains couples, qu’elle n’a pas droit à la parole mais j’ai découvert que si elle n’est pas au devant des choses, elle joue cependant un rôle capital en ce sens qu’elle permet aux choses de se faire. De plus, si elle s’efface en public devant son époux, c’est le signe du profond respect qu’elle lui porte. Cette femme Africaine-là, j’ai appris à l’aimer et j’ai pu accueillir, comme elle, d’être à cette place, à l’arrière plan. w Hors-série Pentecôte 2004 w FOI w
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Devenir parents Témoignages
J’ai repensé à ce que j’ai vécu en famille. J’ai un frère et quatre sœurs et à la maison, nous avons toujours été avec des cousins et des oncles, jamais seulement entre parents et enfants. À l’adolescence, mes sœurs et moi l’avons vécu difficilement. Nous aspirions à ne vivre qu’avec nos parents et nous le réclamions. Cela ne s’est jamais fait. Aujourd’hui pourtant, lorsque je relis cette vie “ensemble”, je me réjouis de ce que j’en ai reçu. Mes parents n’ont jamais fait de différence entre leurs enfants et leurs neveux. Cela m’a aidée à vraiment accueillir ces derniers comme mes frères, et aujourd’hui encore cette différence n’existe pas dans nos rapports. J’ai compris que c’était pour mes parents une façon de vivre le partage. Partant de là, j’ai aussi compris le sens d’un tel partage ; dans ce cadre-là, c’était non seulement partager les charges familiales, mais aussi faire pour d’autres, dans la mesure de mes possibilités, ce qui a été fait pour moi. C’est comme une chaîne de solidarité qui se tisse. Moi-même j’ai été confrontée à cette question du partage en Communauté. Chaque fois qu’on
l’abordait, j’étais mal à l’aise parce que n’ayant pas travaillé, je n’avais pas de salaire à reverser et je me sentais d’une certaine façon inutile. Cette question m’a beaucoup habitée et je me demandais comment je pouvais vivre ce partage jusqu’au jour où j’ai entendu cette réponse au fond de moi : “tu n’as peut-être rien à partager, mais tu peux partager ce que tu es”. Plus tard, nous avons eu au cours d’une session œcuménique un exposé à deux voix (un protestant et un catholique) sur l’Église. J’ai réalisé que pour les protestants, l’Église est une communion de croyants. Je me suis longtemps arrêtée sur ce mot de communion, repensant combien cette dimension est bien marquée dans les Assemblées protestantes où je me suis rendue ; outre la convivialité, on sent qu’un lien les unit et les définit. Je me suis interrogée sur la façon dont nous catholiques nous vivons et exprimons l’Église et je me suis souvenue de ce que nous vivons en ce moment en Afrique autour de la notion d’Église-Famille. J’ai trouvé cela très beau pour signifier le lien qui nous rassemble et nous unit dans le Christ Jésus d’autant plus qu’en Afrique l’une des choses qui exprime ce lien et donc l’appartenance à un corps, c’est le nom de famille. À ce sujet, j’ai été surprise en arrivant en France de la réaction (négative) de certains frères lorsqu’on les appelait par leur nom de famille, chose plutôt courante en Côte d’Ivoire ; j’ai compris que nous ne vivions pas les choses de la même façon. Le nom de famille chez moi n’est pas seulement celui de mon père ou de mon grand-père, c’est aussi le mien ; il dit qui je suis mais aussi d’où je viens ; il dit mon identité et exprime le fait que je me reçoive d’une réalité plus grande et plus large que ma personne. Ce lien ne m’autorise pas à exclure celui qui ne porte pas le même nom que moi. D’ailleurs, avec le jeu des alliances que constitue le mariage, la famille ne devient que plus grande. Tout cela m’a donné d’aimer cette dimension élargie de la famille. Lors de mon engagement à vie j’ai pu l’expérimenter. Il y avait non seulement des représentants d’autres congrégations religieuses mais aussi plusieurs personnes de mon village. J’ai vite compris que cet engagement était un événement d’Église, un événement social ; ce qui m’a le plus bouleversée, c’est de réaliser que cette joie était aussi celle de mon village parce que je suis l’une des leurs et c’est ce qu’ils exprimaient par leur présence. Désormais, je sais que je ne suis plus Éliane, un individu, mais Éliane en tant qu’elle fait partie d’un peuple ; j’ai conscience d’être Africaine et précisément Ivoirienne. Et pour moi partager ce que je suis signifie partager tout cela. n
À l’engagement à vie d’Éliane étaient présents ses parents et des représentants de congrégations religieuses, mais aussi des membres de son village, témoignant que cet engagement d’Église est aussi un événement social. 18 w FOI w Hors-série Pentecôte 2004 w
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Durant mes études de théologie, j’ai été amenée à réfléchir sur un certain nombre de pratiques qui ont cours chez moi. Notamment autour d’un article “Chassez le culturel, il revient au galop”, écrit par un jésuite africain qui essaie de rechercher les causes de la misère et du sous développement en Afrique. Il affirme que la culture africaine porte en elle-même les germes d’un tel fait et pointe en particulier la question de la solidarité et de l’équilibre groupe-individu. Pour lui, le poids du groupe est tel qu’il empêche l’individu d’émerger et de mettre en place des initiatives capables de promouvoir le développement. Même s’il me semble important de nuancer cette affirmation, je me demande aussi jusqu’où je peux l’accueillir. Ce que j’en retiens tout de même, c’est qu’il provoque à la réflexion.
Devenir parents Témoignages
Dale et Diana Fried
Nous n’appartenons pas à la même Église
moment, une amitié s’est développée qui a conduit la majorité des couples de Ruggles à faire une session Cana et a provoqué plusieurs visites de membres de la Communauté du Chemin Neuf. Le Seigneur nous a fourni à nous, couple catholique protestant, une maison qui accueille chacun de nous.
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“Vous aurez suffisamment de difficulté à vivre simplement ensemble comme couple pour que vos différences théologiques palissent en comparaison.” Ainsi m’avait avertit un ami déjà marié, Mark, dans une conversation avant que je n’épouse Diana. J’avais alors beaucoup de questions sur ce qu’impliquait vivre nos différences de catholique et protestant à la fois comme couple et comme famille avec enfants. Il avait raison ! En fait, le chemin avec Jésus pour devenir un couple et être parents a pris la majeure partie de notre énergie. Dans un sens, nous avons reçu une grâce d’aveuglement sur nos différences théologiques. Nous avons essayé de rester fixés sur Jésus comme notre centre, plutôt que de déterminer des frontières et définitions théologiques précises. Notre espérance réside dans le fait que ce fondement de confiance et d’engagement réciproque nous aidera dans le futur lorsque nous serons appelés à plus de dialogue œcuménique. Un fruit que nous avons déjà vu c’est que moi, le protestant, je ne suis plus irrité par les lectures et les prières chaque fois que je vais à la messe. Nous avons décidé très tôt que nous vivrions notre vie spirituelle ensemble. Il fut nécessaire de choisir une église dans laquelle nous enraciner, mais il demeurait important de maintenir une présence dans l’autre église. À Boston nous participons à la messe catholique romaine à la paroisse locale, mais nous sommes enracinés dans une congrégation protestante, Ruggles Baptist Church. Je faisais partie de cette église avant de rencontrer Diana, et plusieurs membres, dont le pasteur et sa femme, Larry et Lois Showalter, vinrent en France pour notre mariage. Ils furent accueillis par la Communauté du Chemin Neuf aux Pothières. Le Pasteur Larry reconnut que c’était bien le même Esprit-Saint qui était à l’œuvre à Ruggles et dans la Communauté. À partir de ce
Ruggles est aussi une bénédiction pour nos enfants ; Emmanuelle, cinq ans, participe à l’École du dimanche où Diana et moi enseignons tous les deux. Olivier, deux ans, commencera lorsqu’il aura trois ans. Le ministère auprès des enfants est unique à Ruggles, dans le sens où chaque professeur développe le cursus lui-même, sans qu’il y ait de cadre strict. Nous sommes ainsi encouragés à créer ensemble un programme qui reflète notre cheminement avec le Seigneur. Cependant, même avec ce cadeau, nous faisons l’expérience de la solitude. Nous sommes le seul couple mixte que nous connaissons. Beaucoup de problèmes et questions qui pourraient être simplement de la curiosité pour d’autres ne sont pas des options pour nous et ne peuvent être trop vite mises de côté. Ces questions incluent comment introduire nos enfants dans les deux églises de façon réfléchie, tout en les laissant libres de choisir leur affiliation première. (Emmanuelle nous a surpris en développant une importante relation avec Marie) Comment accompagnons-nous un enfant qui découvre l’animosité contre une église de la part de familles et amis chrétiens qui ont de l’importance dans sa vie ? Quel appel particulier avons-nous en tant que couple mixte dans le travail de l’œcuménisme ? Quelles sont les réponses doctrinales et pastorales aux questions sur le rôle de chacun dans l’église de l’autre ? Quel serait l’impact, à la fois positif et négatif, que notre famille œcuménique pourrait avoir sur nos enfants ?
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Dale et Diana sont un couple mixte : Diana est catholique, Dale est protestant. Ils ont aujourd’hui deux enfants de 2 et 5 ans et partagent leurs joies mais aussi leurs questions de parents de confessions différentes
Nous avons faim de frères et sœurs autour de nous qui peuvent porter ces questions avec nous. Nous avons aussi soif de la vie communautaire. Pour ces deux raisons, nous cheminons avec la Communauté du Chemin Neuf. Actuellement, nous sommes en Nazareth (période de noviciat). Tant que nous restons à Boston, cette période demande à être un peu adaptée, et nous sommes toujours un peu seuls. Cependant, nous recevons beaucoup de la joie à être en relation avec le Chemin Neuf plus consciemment, tout en demeurant implantés à Ruggles. n
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Devenir parents Approfondir
Donner la vie Scrutant le mystère de la Trinité, Jean-Claude Sagne, dominicain, médite sur le mystère du don de la vie.Donner la vie est l’œuvre de l’Amour agissant entre l’homme et la femme, Amour qui vient du Père. Les différents passages qui s’opèrent dans la relation parentsenfants sont autant de moments qui plongent les parents dans le mystère de la paternité de Dieu. La vie se donne à nous comme l’œuvre de Dieu en sa pure miséricorde. Le mystère de la création tient à l’initiative libre de Dieu qui appelle à l’existence ce qui n’existe pas (Rm 4, 17). Créer, c’est donner l’être. En nous appelant à l’existence par son amour qui est premier (1 Jn 4, 16-19), Dieu nous introduit non seulement dans l’ordre de la vie, mais dans l’ordre du don. Notre vocation de créature spirituelle est de reconnaître le don de Dieu en le ratifiant de tout notre être. La plus haute participation de l’homme à la générosité du Créateur est la transmission de la vie. C’est le sens du premier ordre que Dieu adresse à l’homme et à la femme en les
bénissant, au matin de leur vie : « Soyez féconds et prolifiques, soumettez la terre et dominez-la » (Gn 1, 28). La générosité de l’homme et de la femme dans le don de la vie font d’eux l’image du Créateur dont l’amour se caractérise par la profusion des dons et la sagesse. L’amour des parents pour les enfants est le chemin par lequel ils découvrent l’amour de Dieu et en témoignent. Ce sont les enfants qui par leur croissance font de la vie des parents une histoire avec ses étapes repérables. Nous allons en proposer une lecture spirituelle.
Donner la vie, c’est faire confiance à l’autre Dans la vie d’un homme ou d’une femme, l’expérience de l’amour tient d’une nouvelle naissance. Aimer, être aimé(e), c’est éprouver un bouleversement de la vie qui semble se communiquer au monde entier. L’amour est créateur. Il y a en tout amour un secret qui est le désir de donner la vie. Quand un homme et une femme veulent réaliser leur alliance, le désir de l’enfant leur advient comme l’expression naturelle du dynamisme mystérieux qui les traverse et les entraîne. Le désir de l’enfant vient de plus profond et va plus loin que ce qui émerge dans la discussion d’un projet raisonnable et maîtrisable (combien aurons-nous d’enfants et quand ?). Au plan proprement humain la vie est déjà un mystère, et particulièrement en sa transmission dans la maternité. Désirer un enfant, c’est rechercher
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Ce qui permet de courir le risque de la vie en accueillant l’enfant, c’est de reconnaître en lui un fils ou une fille bien-aimé (e) du Père du ciel.
personnellement le mystère de l’Origine. Selon une approche psychologique, le désir nous ramènerait à l’acte de l’union où nos parents nous ont donné la vie. Plus profondément, au plan existentiel, le désir nous oriente vers l’acte créateur par lequel Dieu nous donne à nous-mêmes. Notre désir premier et dernier est le désir du Père. Retrouver cette Origine vivante et actuelle qui fait de nous des êtres-de-don, cela ne peut être réalisé que dans le don en avant de nous-mêmes à d’autres. La grande loi de la vie dans notre relation au Père, source de la vie, c’est que nous ne pouvons recevoir qu’en donnant et ne donner qu’en recevant. Nous n’avons choisi ni notre naissance ni ses modalités, nous ne pouvons reconnaître et honorer le don du Père dans une gratitude émerveillée qu’en faisant preuve d’une générosité élargissant nos frontières. L’homme et la femme qui se donnent l’un à l’autre pour se donner ensemble ne peuvent savoir ni quand ni à qui ils transmettent la vie qu’ils ont reçue gratuitement. Pour vivre l’Alliance avec Dieu dans la vérité de leur condition filiale, l’homme et la femme doivent reconnaître et accueillir celui qu’ils ne connaissent pas encore. L’enfant réel, l’enfant en chair et en os échappera toujours aux attentes et aux représentations imaginaires de ses parents, parce qu’il est la vie qui se donne à eux. Il restera un autre, différent, inconnaissable en son devenir de personne. La mission des parents est de faire de cet inconnu leur prochain le plus proche, partenaire de l’Alliance. La confiance des parents dans l’avenir se traduit dans l’accueil de l’enfant. Le Père nous rend capables de participer à la profusion de ses dons : « Soyez généreux comme votre Père est généreux » (Lc 6, 36).
Accueillir l’enfant, un appel à s’effacer Accepter l’enfant tel qu’il est, garçon ou fille, et à son heure, c’est s’engager dans une œuvre de longue haleine qui est la transmission d’un art de vivre et d’aimer. Admettre l’enfant dans l’Alliance, c’est vouloir lui donner le meilleur aussi longtemps qu’il sera dans le besoin. Or le meilleur, c’est ce que l’on a désiré et cherché en toute sa vie. La vie nous a été donnée dans la filiation ; tout don portera la marque de la filiation. Donner à l’enfant, c’est éveiller en lui le désir de vivre et de donner déjà à sa mesure. Donner, c’est rendre l’autre créateur au travers d’un travail d’apprentissage qui durera toute la vie ; donner en retour ce que nous avons pu nous approprier. On a beaucoup parlé du phénomène social de la répétition d’une génération à l’autre par l’éducation ou la prégnance de la culture familiale. Cette insistance sur le poids de la tendance à la répétition transgénérationnelle rend difficilement compréhensibles les mutations de notre époque, avec la crise de l’identification des enfants aux parents. Se situer devant l’enfant tel qu’il peut choisir d’être et de devenir, c’est avoir la chance et la grâce de reprendre nous-mêmes en termes personnels et responsable, le trajet de notre propre enfance en relation avec nos parents. Aimer, c’est pouvoir donner ce qui nous a manqué. Plus le
souci de l’enfant pour lui-même l’emporte chez les parents sur toute considération, plus ils sont capables de construire avec l’enfant un espace neuf de confiance et d’élan créateur. Ce qui permet de courir le risque de la vie en accueillant l’enfant, c’est de reconnaître en lui un fils ou une fille bien-aimé(e) du Père du ciel. Unis en Jésus, le Fils unique du Père, notre Frère aîné, parents et enfants se retrouvent solidaires dans la même Alliance, attirés et portés par l’Amour de Dieu le Père dans le lien vivant de l’Esprit. De part et d’autre, l’autorité des parents et l’obéissance des enfants peut gagner en confiance et en douceur par la conviction partagée d’être ensemble, les enfants du même Père.
Au milieu de la traversée, la tempête Nous avons besoin de nous représenter notre vie personnelle, d’autant plus que nous ne pouvons la ressaisir. Les images qui viennent le plus souvent sont le chemin, la traversée, le voyage. “Pour aller où tu ne sais, tu dois passer par où tu ne sais” nous dit saint Jean de la Croix. L’horizon de notre route nous reste caché par le voile de la mort. Mais, en vérité, le voile est déjà sur nos yeux de par notre condition corporelle et il nous empêche de voir l’invisible qui est la présence de Dieu en nous et au milieu de nous. La réalité, c’est le Père qui depuis toujours nous appelle chacun par notre nom et nous tend ses bras. L’épreuve du milieu de la vie, cette épreuve qui veut nous conduire à notre centre le plus profond, c’est d’être confrontés au mystère de la paternité de Dieu, au mystère de sa sagesse quand il conduit la vie de nos proches et la nôtre. Quelque part au milieu de la vie des parents, les enfants essaient maladroitement de se ménager un fantôme d’indépendance. On y voit habituellement une stratégie indispensable pour se construire une autonomie. C’est en fait plutôt un refus de quitter la condition d’enfant au moment où s’esquisse le travail de naître à la vérité de la vie. L’amour n’est pas aimé ! La grande douleur des parents est d’offrir leur amour à l’enfant qui ne sait plus l’accueillir. Il n’y a pas d’atteinte plus profonde que d’être blessé en son amour parental : le désir de donner la vie. Contestés dans leur responsabilité, les parents se retrouvent eux-mêmes enfants démunis non seulement devant leurs parents mais devant Dieu le Père. C’est le fond de la détresse que Jésus a voulu ressentir pour nous : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » (Ps 21, 2). Il est plus difficile encore d’abandonner à Dieu ceux que l’on aime que de s’abandonner soi-même.
Le temps de la patience Donner à l’autre, c’est un travail de délivrance et d’enfantement qui peut demander du temps sans en fixer à l’avance la mesure. Aimer, c’est patienter. Un w Hors-série Pentecôte 2004 w FOI w
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Devenir parents Approfondir nouveau rapport à l’enfance s’instaure. La maturité dans la vie, c’est consentir à devenir enfant, non pas pour être pris en charge mais pour donner toujours la priorité au don de Dieu ; Dieu EST, et cela suffit. L’adoration est la source de tout savoir, a fortiori dans la relation d’amour. Confier nos proches à Dieu le Père, c’est être sûr que le temps de l’épreuve en son opacité est passage vers la vie, vers la liberté et la joie. L’amour trouve à mûrir sous la conduite du SaintEsprit, et notamment par l’influence du don de crainte qui forme en nous le respect, la patience et la douceur dans nos liens avec nos proches. Dans ce fond de l’enfance rechoisie, le Ressuscité vient discrètement à nous pour nous attirer dans l’intimité avec le Père. Par l’humilité et la petitesse de l’enfant, il a su se cacher dans le cœur du Père. Il nous y appelle, nous ouvrant le même chemin. Lui le Frère Aîné, établi dans la maison du Père, peut nous guider et nous soutenir sur la route en nous communiquant par son Esprit la patience et la joie. La fidélité est une grâce typiquement pascale.
Aujourd’hui plus que jamais, en l’absence de chemin balisé, les enfants ont besoin que les parents soient constants dans leurs exigences et dans leur miséricorde. “L’avenir des enfants, c’est la mort des parents”, disait Hegel ! Mais qui peut vraiment consentir à la pure perte ? Quand la mission des parents touche à son accomplissement, il peut se profiler une autre manière de donner la vie, une autre manière d’aimer. Accueillir les petits-enfants, devenir grands-parents, c’est dans notre société éclatée un appel prioritaire à témoigner du sens de la fidélité et du don, s’ouvrir à une compassion sans frontière. Au terme du travail de l’effacement et du détachement, un amour nouveau se dégage, sans vouloir d’emprise, dans la douceur. n
À lire L’itinéraire spirituel du couple 1 Le mystère de l’amour dans le mariage De la constitution du couple… à sa réalisation. Puis sa maturité dans le dépassement des crises possibles… Jusqu’à son accomplissement : “la paix du soir”, dans l’accueil de la vie à deux pacifiée par l’Esprit… Telles sont les étapes à franchir suggérées par l’auteur. Ces pages dévoilent une vie de couple possible et belle qui, “dans la discrétion de la vie quotidienne et la fidélité à une personne telle qu’elle est”, s’achemine vers le Mystère de notre Dieu, la source de l’Amour. Réf. : SUP 16 • 14
L’itinéraire spirituel du couple 2 Chemins de vie 210 pages vous offrent l’occasion d’approcher différentes conditions de vie : mariés, célibataires consacrés, personnes seules, dans un parcours continu ou éprouvé par la brisure… Chemins de vie propose en 5 chapitres la diversité des appels de Dieu avec leurs repères humains et spirituels… Aucun état de vie n’est oublié ! Une vingtaine de témoignages émouvants animent ces pages. Ils offrent un relief percutant à la sagesse et profondeur de la démarche proposée par l’auteur. S’agit-il dans ces pages de retrouver Dieu en comprenant mieux son appel ? Oui, quand un Père nous redonne notre identité, loin de la confusion ambiante et nous aide à faire le point sur notre chemin de vie… Peut-être refermerez-vous ce livre en vous surprenant à dire : “Aujourd’hui tout commence !”
Réf. : SUP 18 • 17
En vente dans les librairies religieuses ou à commander ame : 10, rue Henri IV • 69287 Lyon cedex 02 Tél : 04 78 92 91 33 • Fax : 04 78 37 67 36 • ame@chemin-neuf.org Frais de port 3,50 pour commande < 20 • 4,50 au delà • 7,50 pour étranger et DOM - TOM
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“Un jour grand, un jour petit, un jour de plus, bravo la vie ; Je grandis, je grandis, mais toi Jésus tu m’aimes comme je suis.” Jean Humenry
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Quand tout n’est pas facile L
a vie n’est pas un long fleuve tranquille ! Déjà dans l’Évangile, nous pouvons contempler les joies mais aussi les tiraillements et les tensions que vivent Joseph et Marie dans leur accueil de Jésus, leur fils, le fils de Dieu fait homme. Dominique et Marie-Christine Ferry nous invitent à prendre appui sur ces pages d’Évangile qui sont autant de repères pour les jours difficiles. Le Christ est venu assumer notre condition humaine pour la libérer du péché et de la mort. La grâce de sa mort et sa résurrection agit lorsque nos enfants se révèlent autres que ce que nous espérions, brisant nos rêves, mais aussi lorsque la maladie et la mort, celle d’un enfant comme celle de l’époux ou de l’épouse, viennent briser nos vies. Un chemin s’ouvre, ténu et escarpé, différent de celui qui avait été imaginé. Et pourtant… Chacun à leur manière, Gilbert et Monique Fayolle, Dominique Larcher, Gabrielle Evennec, Hélène Guilbault et Michel et Mary Vienot témoignent de ces brisures où la Grâce est venue habiter pour les conduire plus loin. Une crise à laquelle n’échappe aucun parent est celle de l’adolescence, passage nécessaire mais douloureux où les enfants grandissent et se séparent pour entrer à leur tour dans le monde des adultes. Les parents doivent alors apprendre à renaître chaque jour, comme le souligne Colette Combe, et accepter cette séparation vitale souvent conflictuelle avec leurs enfants. Se pose aussi la question cruciale - et crucifiante pour de nombreux parents - de l’exercice de l’autorité qui s’apparente aux gonds d’une porte : comme eux, elle autorise le passage et la coupure, elle permet l’articulation des contradictions. n
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Dominique et Marie-Christine Ferry
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Michel et Mary Vienot
Avis de tempête en famille… Qu’en disent les Évangiles ?
Notre aînée est partie dans une communauté nouvelle
Parent en solo : “Elle” n’est plus…
Petits et grands soucis de l’adolescence
Face à la mort d’un petit
Face à la schizophrénie
Autisme, la pesanteur et la grâce
Quand tout n’est pas facile Approfondir
Avis de tempête en famille…
Qu’en disent les Évangiles ? Lorsque l’enfant nous désarçonne, la lecture des Évangiles, et pas seulement des Évangiles de l’Enfance, nous donne des repères. Pour la barque de notre famille, la Parole de Dieu est la quille qui nous permet d e garder le cap, même par gros temps. Dominique et Marie-Christine Ferry relisent quelques passages. La naissance de Jésus Pour la venue au monde de son fils, Dieu choisit une famille : Marie, la mère de Jésus, la mère de Dieu, qui va le concevoir sous l’action du Saint Esprit, le porter. Mais il choisit aussi Joseph : « Ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse… Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit. » (Mt 1, 20.24)
Auprès de Marie, il y a Joseph : Marie n’est pas mère toute seule, avec elle, auprès d’elle, l’accompagnant désormais dans l’attente de cet enfant, il y a Joseph qui accepte la venue de cet enfant, qui accepte la paternité adoptive et la responsabilité qui en découle : il donne son nom à l’enfant, il en assume la subsistance, plus tard il lui apprendra un métier. Françoise Dolto, psychanalyste pour enfants, remarque qu’“un père doit toujours adopter son enfant. Il ne le vit pas dans sa chair comme la mère. Il n’y a de pères qu’adoptifs. Cette adoption peut se faire dès la naissance, quelques jours ou quelques semaines après, ou quand l’enfant parle.” Comme on le voit plus tard dans l’épisode de Jésus au Temple, Marie parle de Joseph à Jésus en lui disant « ton père et moi ». La mère peut faciliter l’adoption par le père, en étant mère avec lui, comme Marie. Comme père, la première tâche de Joseph va être d’assurer à son enfant la sécurité dont il a besoin pour
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grandir. L’ange du Seigneur l’avertit du danger qui les menacent « Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr. Joseph se leva, prit de nuit l’enfant et sa mère, et se retira en Égypte. » (Mt 2, 13-14) Joseph, sitôt prévenu, accepte de changer toute sa vie, tous ses projets ; dans l’obscurité, il va vivre l’incertitude de l’avenir dans le seul but de protéger l’enfant, son fils adopté. C’est pour lui son premier devoir de père. Joseph avait un métier, une maison (des clients sans doute), mais tout cela est subordonné pour lui à la protection de celui dont la vie lui a été confiée et qui est sans défense devant la violence tramée contre lui. C’est pour nous parents un sujet de réflexion sur les priorités de notre existence : ce devoir de protection, qui ira en évoluant au fur et à mesure que l’enfant grandit, est-il au premier rang de nos priorités, au point d’y subordonner notre vie, ou bien nos enfants doivent-ils s’accommoder du niveau de sécurité qui résultera de nos autres décisions concernant nos vies ?
La croissance de l’enfant Au fur et à mesure de la croissance de Jésus, Marie et Joseph lui laissent plus d’espace de liberté : au retour d’un pèlerinage à Jérusalem « le croyant dans la caravane il firent une journée de chemin, puis ils se mirent à le chercher parmi leurs parents et connaissances. » (Lc 2, 44) Résultat : tout à coup c’est l’angoisse : leur enfant ne se tient pas là où ils le croyaient. « Vois ton père et moi nous te cherchions angoissés. » (Lc 2, 48) Trois jours d’angoisse, passage par la mort pour ses parents, pâque douloureuse où il faut accepter que l’enfant ne soit pas le prolongement de nous-mêmes mais sujet autonome qui oriente sa vie vers les lieux qu’il choisit lui-même. Il nous faut accueillir l’imprévisibilité d’une liberté, ou plutôt entrer dans la compréhension d’une autre logique que celle que nous avions développée pour cet enfant : « Et pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que je me dois aux affaires de mon Père ? » (Lc 2, 49). Surprise du fils devant la réaction de ses parents : “si vous aviez bien écouté, bien observé, bien compris qui j’étais, vous auriez du savoir.” Cela n’est une affaire facile pour aucun parent, pas même ceux de Jésus, d’accompagner l’appel particulier de
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tous ceux qui l’entourent : « Il redescendit avec eux et revint à Nazareth… et Jésus croissait en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les hommes » (Lc 2, 51.52) L’acceptation aimante par ses parents de cette nouveauté advenue (et manifestée) en Jésus, malgré leur incompréhension, permet à Jésus, revenant avec eux à la maison dans sa nouvelle stature, de grandir et de se développer humainement et spirituellement dans sa vocation. Dans le même sens, le philosophe Albert Donval note qu’“un père, une mère, des enfants ne peuvent s’aimer que s’ils vivent sur fond de séparation, d’écart reconnu entre eux. Aujourd’hui travail difficile à cause de l’emprise idéologique d’un modèle fusionnel de la vie conjugale et familiale. Pour s’aimer, il faut pouvoir se parler et se reconnaître comme sujets séparés.” C’est vraiment La contemplation de la venue au monde de Jésus, le Fils de Dieu, et de ses une épreuve, comme un détarelations avec Joseph et Marie tout au long de sa vie, peut aider les parents à accueillir les joies mais aussi les devoirs et les souffrances inhérentes au chement de soi que de perministère de parents. mettre à celui qui est la chair de ma chair, d’exister en dehors de moi, en dehors de chaque enfant dans la compréhension de ce qu’il est, ce que je peux comprendre, en dehors de ce que j’attenen dehors de nos propres idées, attentes, désirs sur lui. dais et des chemins que j’imaginais pour lui. Sans doute même avons-nous à accepter de ne pas comprendre, et d’apprendre à aimer ce que nous ne comprenons pas. « Mais eux (ses parents) ne comprirent La place de l’enfant pas ce qu’il venait de leur dire. » (Lc 2, 50) « Et sa mère « Et prenant un enfant, il le plaça au milieu d’eux et, gardait fidèlement ces souvenirs dans son cœur. » (Lc 2,51) Ce qui nous arrivera à l’accueil de la route de chacun après l’avoir embrassé il leur dit : qui accueille en mon de nos enfants ce n’est pas forcément la compréhension nom un enfant comme celui-là, m’accueille moi-même ; de leurs choix mais l’ouverture de notre cœur, respecet qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais tueux de leur chemin. celui qui m’a envoyé. » (Mc 9, 36-37) Ce passage de Jésus avec les enfants, comme également Marc 10, 13-16, Une telle attitude, qui évite la culpabilité de part et confère à notre amour de parents une profondeur d’autre, permet que quelque chose de neuf, d’inattendu immense, il donne à notre ministère parental une advienne dans la relation parent-enfant. Marie ouvre à dignité qui nous propulse au cœur de Dieu, du lien Jésus la possibilité d’un choix libre qui introduit une même de Jésus à son Père. nouveauté dans la relation de Jésus à ses parents et à w Hors-série Pentecôte 2004 w FOI w
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Quand tout n’est pas facile Approfondir L’enfant est placé au centre, sujet devant être aimé avec tendresse (il les embrasse), et accueilli et respecté comme on le ferait du Christ lui-même. Il nous appelle à un amour sans réserves, sans conditions, à un respect absolu. L’enfant n’est donc pas à soumettre à notre volonté d’adultes, mais à accueillir comme tel. Il n’y a pas au centre l’adulte, mais à accueillir comme tel. Il n’y a pas au centre l’adulte et l’enfant qui en est le prolongement, mais au contraire l’enfant. Il ne peut être question de droit à l’enfant, car cela fait de lui une chose, simple objet du désir de ses parents. Mais puisque c’est d’accueil qu’il s’agit, l’enfant est un don, don gratuit de Dieu, qui n’appartient à personne sinon à Dieu qui est accueilli avec lui. C’est également une invitation pour nous à être totalement présents et investis dans la relation à nos enfants, mais dans la juste distance. Accueillir c’est aussi apprendre à garder les mains ouvertes : à n’être ni propriétaire de leur succès, ni honteux de leurs échecs ou désireux de cacher leurs limites. Nous sommes appelés à ne pas nous identifier à eux ou à chercher à accomplir en eux ce qui n’a pas été accompli en nous, à assouvir à travers eux nos propres rêves. Nous sommes appelés à nous mettre à leur écoute et à leur école pour accueillir le Royaume.
L’heure des épreuves Lors de la présentation de Jésus au Temple, le vieillard Siméon prédit à Marie qu’ « une épée lui transpercera le cœur » (Lc 2, 35), et de fait, Marie, par son lien matériel à Jésus, se retrouve associée à la Passion de son Fils, « se tenant debout près de la croix. » (Jn 19, 25) À l’image de Marie, l’expérience de la maternité s’accompagne de l’expérience du cœur transpercé. Cœur transpercé par tous les détachements successifs qu’une mère aura à vivre vis-à-vis de son enfant, comme pour Marie
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La Maison Cana
depuis l’expérience de Jésus à douze ans dans le Temple, jusqu’au détachement final de la Croix, en passant par toutes les étapes de la vie publique. « Ta mère est là qui te cherche. - Qui est ma mère… quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère et ma sœur et ma mère. » (Mc 3, 23.25)
Au pied de la Croix, comme pour signifier qu’à la croix toute relation de parentalité reçoit une nouvelle vie, en même temps qu’elle accueille un passage, Jésus « voyant sa mère et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : Femme voici ton fils, puis il dit au disciple : Voici ta mère. » (Jn 19, 26-27) Au moment où Marie n’a plus rien à faire d’autre que de voir mourir son Fils, et avec lui voir englouties toutes ses attentes concernant l’avenir, au moment où Marie accueille la radicale pauvreté qu’est pour une mère la mort de son enfant, au moment où elle n’a plus aucun avenir de mère, Jésus en Croix, par sa propre mort, l’introduit à une nouvelle relation maternelle totalement gratuite et adoptive. Sa maternité lui est rendue pour toujours : elle aura pour enfants tous ceux qui, comme Jean, la prendront chez eux. Pour nous-mêmes, lorsque nos relations de parents avec nos enfants passent par l’épreuve de l’échec, par la pauvreté de la déception ou de la culpabilité devant nos erreurs, par la révolte ou le découragement, alors c’est le moment de nous tenir près de la Croix du Christ. Nous pouvons avec foi nous approcher de la Croix et y déposer ce qui, à ce moment, n’a plus d’avenir ou de sens. Alors, consentant avec Jésus en croix à ce passage de pauvreté radicale et de dépouillement imposés par la vie, notre relation de parents crucifiée avec lui ressuscite avec lui, et nous pouvons alors accueillir de Lui par la foi une paternité ou une maternité renouvelée. De notre cœur transpercé peuvent aussi surgir des fleuves d’eau vive : de ce qui pouvait sembler la victoire de la mort, jaillit une vie nouvelle. n
Nouv
eauté
Peut-être en avez-vous rêvé ? Une maison consacrée au service du couple et de la famille qui grâce à une équipe de permanents : couples et célibataires de la Communauté du Chemin Neuf accueillerait tout au long de l’année des sessions, retraites, cycles, semaines ou week-ends de formations. Dès l’automne, ne rêvez plus la Maison Cana devient réalité aux Pothières !
Les Pothières
Pour tout renseignement et inscription : Secrétariat Cana • 10 rue Henri IV • 69287 Lyon cedex 02 • Tél 04 78 42 10 66 • Fax 04 78 92 71 27 • canafrance@chemin-neuf.org
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Quand tout n’est pas facile Témoignage
Gilbert et Monique Fayolle
Notre aînée est partie
dans une communauté nouvelle Gilbert et Monique Fayolle ont six enfants. Leur vie a été bouleversée par l’entrée de leur aînée dans une communauté nouvelle. Monique :
Pour comprendre ce que nous avons vécu avec Blandine, je reviendrai au début de notre vie de couple. Avec Gilbert, nous nous sommes mariés jeunes : j’avais 20 ans et lui 25. Blandine, notre aînée, est arrivée très vite, tout comme ses frères et sœurs : dix ans après notre mariage, nous avions six enfants ! Je n’étais pas très contente d’être enceinte si vite. J’aurai eu besoin de temps pour dialoguer, m’ajuster avec Gilbert, et je n’avais pas beaucoup d’instinct maternel à ce moment là. Cependant à la naissance de Blandine, j’ai vécu quelque chose que je n’ai pas revécu de la même façon pour mes autres enfants : j’ai été envahie, submergée par un amour immense pour ce bébé ; je voulais le contempler, je ne me lassais pas de la regarder. Devant ce petit visage, je ressentais le mystère de cette vie… son mystère. Je contemplais l’invisible. Plus tard, quand j’ai découvert Marie et la contemplation à la crèche, j’ai réalisé que j’avais vécu cette contemplation avec Blandine. Face à elle, j’ai toujours eu conscience de quelque chose qui me dépassait. À neuf mois, nous avons appris qu’elle était atteinte d’une scoliose congénitale ce qui engendrait beaucoup d’incertitudes quant à son avenir. Nous avons alors fait une retraite dans un foyer de charité pour retrouver la paix, car nous étions très perturbés, d’autant qu’il n’y avait rien à faire, seulement attendre. Nous avons ainsi été amenés à la remettre radicalement à Dieu et à abandonner tout projet sur elle. Cependant, en tant qu’aînée, Blandine a très tôt donné le ton à la famille. Il y a une force en elle, qui se manifestait par exemple à la façon dont elle traversait les réflexions des enfants qui moi m’atteignaient, car elle était légèrement contrefaite. Elle a sûrement rencontré le Seigneur très jeune : toute petite déjà, elle était artisan de paix.
À l’âge de 14 ans, elle a découvert Lanza del Vasto et Gandhi grâce à une catéchiste, à travers la lecture de Pèlerinage aux sources. J’ai à mon tour lu ces livres qui m’ont profondément rejointe dans ce temps difficile où nous sortions Gilbert et moi, d’une longue période de fusion devenue étouffante pour moi. Comment vivre la non-violence dans le quotidien, en famille et dans notre couple ? Gilbert est quelqu’un de très entier, très persuasif. Cette force de persuasion devenait violence quand elle servait sa rigidité, son intolérance, ses peurs… une violence intérieure qui verrouillait la parole et interdisait le dialogue… Blandine recevant cet appel à vivre la non-violence au cœur d’une communauté a été le révélateur de quelque chose qui dormait en moi.
Gilbert : Blandine est une forte personnalité, très spi-
rituelle, très équilibrée. Étant donné son handicap, je pensais qu’elle ne pourrait pas se marier et quand elle nous a demandé d’aller à Chateauneuf de Galaure pour y faire sa première et sa terminale, je caressais
Cérémonie du mariage de Blandine et Dominique
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l’espoir qu’elle trouve sa vocation au foyer de charité. Elle m’a parlé de Lanza del Vasto peu après mai 68, à un moment où il y avait beaucoup de divergences dans notre couple. J’avais l’impression de travailler dur pour la famille et de ne recevoir en retour que des critiques sur la société de consommation. Je n’avais rien lu de Lanza del Vasto mais j’avais assisté à une de ses conférences et je n’avais pas du tout été convaincu. Pour moi, c’était quelqu’un de très intelligent et sans doute un très bon philosophe, et tel qu’il était habillé dans sa grande tenue blanche, il me semblait déguisé et je le trouvais très orgueilleux. Quand Blandine m’a dit qu’elle voulait rejoindre les compagnons de l’Arche, je n’étais pas d’accord. Je l’imaginais mal bêchant un jardin avec sa complexion fragile et je voulais qu’elle ait un métier avant de s’engager sur un tel chemin ! Quelque temps plus tard, elle m’a donné à lire un livre de Lanza Les quatre fléaux, qui est un livre de colère et de condamnation de la société. Pour moi, il n’y avait aucun esprit évangélique dans ce livre et cela m’a conforté dans ma suspicion. J’ai lu par la suite Pèlerinage aux sources que j’ai beaucoup aimé et qui m’a réconcilié avec Lanza. Pendant ce temps, Blandine avait grandi et son diplôme d’institutrice en poche, elle était tombée amoureuse d’un garçon qui se disait écologiste. Il était évident pour nous que s’ils se mariaient, ils couraient à la catastrophe. Je me suis alors souvenu de son désir de rejoindre les compagnons et lui ai proposé d’aller y faire un stage avec ce garçon. Dans ma tête, cela devait servir de test. Effectivement, il est très vite reparti, mais Blandine est restée. Plus tard, elle a rencontré là celui qui deviendrait son mari.
Dominique et Blandine le jour de leur mariage
Monique : Durant toutes ces années d’attente, entre ses
14 et 20 ans, Blandine ne pouvait pas affronter Gilbert dans une discussion. On est entré dans le silence et l’attente, un peu comme Marie qui « gardait toutes ces choses dans son cœur. »
Gilbert : Le dialogue était très difficile entre nous à ce
moment là. Autour de la question des enfants se vivent les tensions les plus dures dans un couple. Cependant, quand nous sommes allés à la Borie pour les fiançailles de Blandine et Dominique, j’ai été séduit en voyant trois générations vivre ensemble et faire la fête ensemble, être heureux. Il y avait quelque chose de vrai et d’authentique dans ce qu’ils vivaient, de même que dans leur sens de la beauté toute simple. Tout était très beau chez eux, travaillé de façon artisanale. Moi je me défonçais au travail et n’en récoltais que des critiques, alors finalement, pourquoi pas faire un choix de vie comme cela, à la campagne, au bon air ! Je me disais que ces gens étaient des sages et qu’ils avaient peut-être raison finalement. Ce constat s’est renforcé à son mariage, si bien qu’au retour, j’ai dit à Monique que j’étais prêt à prendre ma retraite pour aller planter mes poireaux ! Monique m’a alors répondu qu’elle connaissait une autre communauté, beaucoup mieux, qui était en ville… Il n’en était pas question ! Les choses sont allées en se durcissant entre nous, jusqu’au moment où nous avons fait Cana et où nous avons accueilli ensemble un appel à la vie communautaire dans la communauté du Chemin Neuf. Si à 14 ans Blandine m’avait dit : “je rentre au carmel ou au foyer de charité”, j’aurais été très heureux mais cela
30 w FOI w Hors-série Pentecôte 2004 w
Son entrée à l’Arche de Lanza del Vasto avait ouvert une brèche en moi. n’aurait rien bouleversé pour moi. Par contre son entrée à l’Arche de Lanza del Vasto qui se situe aux antipodes de ce que je vivais, avait ouvert une brèche en moi : j’étais un chef d’entreprise, responsable de ses affaires, très individualiste ; et je n’aurais jamais pu imaginer une vie communautaire…
Monique : Quand enfin Blandine a rejoint l’Arche en 78
(sa santé commençait à s’altérer), j’étais heureuse qu’elle au moins réalise son rêve. La célébration de son mariage en 1980 à l’Arche a été une immense joie, un temps de vraie communion entre notre famille et la communauté de l’Arche… avec tout au fond de moi une immense détresse. En 1983, enfin, nous entrions au Chemin Neuf. Aujourd’hui, je rends grâce au Seigneur pour les “petits prophètes” qu’Il suscite chez nos enfants, pour les communautés nouvelles et pour les liens entre l’Arche et le Chemin Neuf. n
Quand tout n’est pas facile Témoignage
Dominique Larcher
Parent en solo : “Elle” n’est plus… Dominique Larcher, veuf, père de trois enfants, témoigne de la nouvelle relation à ses enfants que provoqua son veuvage. C’est la fin d’une histoire et le début d’une autre : nous sommes le 2 janvier 1990. “Elle” n’est plus… elle est retournée au Père et nous étions chaque soir à prier avec elle, en “frat-Cana”, avec tant de grâces reçues que je garde de ces jours d’hôpital une image douloureuse mais pas du tout triste. Entrée légère et souriante dans l’Espérance, nulle larme ne peut en rendre compte.
EEt après ? Après,
oui, certes, le vide, l’amputation de ma “meilleure moitié”, la tristesse, la perte, la désorganisation, et une chance : j’ai des enfants. Oh, ils ne sont plus des petits : 12, 18 et 20 ans. Mais le pauvre mari mesure d’un seul coup sa relative incompétence ! Tout de suite des questions matérielles - et c’est là la chance, car ainsi la vie vous reprend immédiatement : quel jour est le cours de clarinette du dernier ? Est-ce que l’aîné travaille assez pour son BTS… il faut que je prenne rendez-vous avec son directeur… Quel menu pour demain ? Quand vais-je faire un “plein” de provisions ? Pourquoi la femme de ménage n’est-elle pas venue ? Oh ! le fer à repasser est “fichu”, où en trouver un ? C’est là qu’on mesure qu’il n’y a pas que l’industrie, les affaires et le monde salarié ; et que, sans feuille de paie, l’épouse fait tourner un petit ballet dans un rôle qui pèse bien le poids d’un chef d’atelier, sinon d’un PDG ; avec l’affection en plus, attentive à tous. On se sent un peu honteux de ne l’avoir pas toujours assez reconnu ; comme une petite voix qui susurre “Hein, j’en faisais ! Tu ne m’aidais pas toujours, quand je le voulais… alors, à toi maintenant” Et cette petite voix je l’écoutais attendri, présence encore, présence toujours, vive, énergique, sans larmoiements inutiles, petite voix pour mettre en route et pour rester debout. Alors, on se redresse et on rentre dans la longue routine des jours.
UUn peu avant
mon veuvage, j’avais commencé à mettre un peu la main à la cuisine, quand mon épouse
était allongée. Avec un certain plaisir pour ce nouveau rôle. J’avais surtout été impressionné par le chemin fait par Chantal dans sa relation à cette humble tâche domestique qui consiste à peler des légumes ; tâche qui n’avait jamais paru très exaltante à une jeune-fille moderne ayant bouclé une licence à 21 ans pour se marier peu après dans l’ambiance libertaire des “affranchis” de mai 68 ! En effet, après une session Cana, je l’ai entendu me déclarer un jour “quand je pèle mes patates, je pense à mes enfants qui vont dîner et je prends un moment de prière pour eux… et je suis en paix”. Mon émotion ne fût pas alors que gastronomique ! J’ai retenu la leçon et pris l’épluche-légumes.
AAssez vite, j’ai mesuré
l’importance de la convivialité et, en dépit d’une vie professionnelle un peu hachée, j’ai essayé d’apporter du soin à cette convivialité : toujours une nappe, toujours une entrée, un plat chaud, etc… Et les gloussements de mes jeunes convives quand un plat était réussi m’ont largement payé en retour. Je ne suis toujours pas un “cordon-bleu”, mais j’ai pris conscience que - même si le “stade oral” des psychologues est le plus primitif qui soit - la convivialité familiale est une plate-forme de tir très importante pour lancer dans la vie ces “flèches dont nous sommes l’arc tendu”, comme le dit Khalil Gilbran en parlant des enfants. J’en viens même aujourd’hui à me dire “qu’est-ce que c’est qu’un foyer, s’il n’y a pas quelque part un chaudron dont s’exhale quelques odeurs sympathiques ?”. Et cette réflexion a, plus tard, rejoint en moi l’attention portée à la cuisine “faite-main” des sessions… mains, cœurs et têtes travaillant dans une œuvre commune qui commence bien humblement dans les cuisines.
JJ’ai
ainsi eu la chance
d’avoir ensemble deux fonctions : cuisinier chez moi, ingénieur responsable d’un service de R & D dans une usine, avec voyages internationaux… Et toujours cette question, lancinante : lequel des deux personnages est le plus important ? L’homme en costume-cravate dans l’avion de Stockholm qui se fait servir par l’hôtesse, ou le père esseulé qui épluche en attendant le retour de l’école ? Je crois que pendant beaucoup d’années j’ai inconsciemment pensé “l’homme de l’avion”, en faisant sans doute parfois souffrir mon épouse ; depuis, je préfère l’autre. Merci à sa… “petite voix”. Et hormis les w Hors-série Pentecôte 2004 w FOI w
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tâches alimentaires ? Que dire ? J’ai très peur de n’avoir qu’improvisé dans une certaine incompétence… rien ne remplace la permanente attention féminine et l’amour d’une mère et épouse. Il y a donc une brisure. Je me fais parfois des reproches avec la boutade de mon prof d’anglais en classe de seconde quand nous étions odieux : “ils n’ont pas été élevés, ils ont été nourris” !
DDans cette “brisure”,
par contre, un élément peut-être positif : les rapports parent-enfants trouvent dans cette faille un autre équilibre. Et ils s’enrichissent d’une nouvelle affection qui ressort beaucoup plus d’une attention presque fraternelle. Expliquons-nous : dans le couple uni, les parents doivent parfois décider, sanctionner, agir pour un enfant. Dans les tensions, même si l’épouse est toujours très sensible et à l’écoute, on garde une façade d’unité de décision. Et il se crée un peu, lentement, en caricaturant, le “clan” des parents et le “clan” des enfants. Et si on ne prend pas la peine de prendre des “temps de parents” avec un seul des enfants, les “clans” peuvent devenir encombrants. Il suffit d’aller un jour déjeuner seul avec l’un d’eux pour que les langues se délient et que beaucoup de paroles se libèrent. Dans le veuvage, le clan “parents” a disparu. Et on sent chez les enfants une certaine compassion pour la souffrance de celui qui est seul. Ils le témoignent par plus de délicatesse, par une dose supplémentaire d’un respect naturel. Et, au fond, dans cette pauvreté extrême de la disparition qui est vécue ensemble, nous devenons tous des pauvres. Cela rapproche. Comme des brebis, dans le corral, qui se serrent face à l’adversité.
PPlus tard, j’ai eu
à héberger d’autres grands enfants, également orphelins, mais de père… Ce fût encore la dynamique de l’épluche-légumes qui fonctionna certes, mais aussi et surtout celle de la parole. Pas facile à vingt ans de savoir où diriger ses pas. Et là encore ce sentiment que la proximité dans une certaine pauvreté (pas celle du portefeuille) évite le piège des réponses cousues-main. On peut cheminer pas à pas dans la réflexion en montrant sans pudeur qu’on n’est pas beaucoup plus éclairé que l’étudiant… et du questionnement et des idées brassées ensemble se dégage un possible. Être le miroir critique de leurs pensées, dans une sorte d’accompagnement qui eut peut-être été plus difficile avec le “clan” des parents.
BBrisure, vide, affolement
parfois, oui. J’ai connu ça. Mais une grâce me fût donnée : à la clôture de la session Cana 89, Chantal a aidé à la vente des livres. Elle m’a tendu péremptoirement un ouvrage qu’elle n’avait pas lu : Ce combat n’est pas le tien, mais le mien Paulette Boudet. Avec injonction de le lire, ce que je fis avec ferveur en août. Et ce livre a contribué à m’ancrer dans ce temps de prière quotidien si conseillé dans toute session Cana. Et il me semble que je lui suis redevable d’une fidélité qui m’a permis de “tenir” dans une certaine joie et dans l’action, en dépit du chômage venu, à plus de 55 ans, apporter son autre brisure. Et puis il y a eu la “petite voix”…il faut toujours écouter son conjoint ! Elle (ou il) était un cadeau du Seigneur qui l’a repris(e), alors elle (il) est peut-être Sa voix qui vous aide à continuer la tâche commencée à deux et qui vous dit “c’est possible”. n
JJ’avais par le
passé, observé dans des familles les dégâts que peuvent faire sur un enfant les excès de cette situation de proximité. Il est en effet fort tentant - et fort dangereux - de se laisser aller à combler le vide laissé par l’absent en faisant jouer à un enfant un rôle symbolique dans la famille qui n’est pas le sien. Cela eût été pour moi de laisser ma fille s’occuper de tout dans la maison et de gérer ce que l’absente avait abandonné. Cela m’a renforcé dans mes ardeurs cuisinières. Ce pourrait être le danger pour une veuve, j’imagine, de laisser le fils aîné participer à toutes les décisions et conduire l’auto familiale.
Dans le veuvage, le clan “parents” a disparu. Et on sent chez les enfants une certaine compassion pour la souffrance de celui qui est seul. Père et Fils, Gantois ©
Statuettes en vente à la boutique Chemin Neuf • 8 rue Henri IV • 69002 Lyon
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J’ai gardé mon âme dans le silence et dans la paix, comme un enfant sur le sein de sa mère ; comme un enfant, mon âme repose contre moi. Ps 130
« Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Di bénit et Dieu leur dit : Soyez féconds et multipliez
ieu il le créa ; mâle et femelle il les créa. Dieu les z-vous, remplissez la terre et soumettez-la. » Gn 1, 27-28
Moi, je prends appui sur ton amour ; que mon cœur ait la joie de ton salut ! Je chanterai le Seigneur pour le bien qu’il m’a fait. Ps 12
Quand tout n’est pas facile Entretien “Petits enfants - petits soucis, grands enfants - grands soucis.” Les situations que vous exposez à la rédaction de FOi confirment le dicton : lorsque l’enfant entre dans l’adolescence, l’angoisse et le désarroi des parents augmentent. Comment réagir face aux difficultés qui surgissent ? Colette Combe répond à vos questions.
Petits et grands
soucis de l’adolescence
w Mon fils de 17 ans, m’inquiète : il ne communique plus, se mure dans son propre monde, son langage m’échappe complètement. Je redoute qu’il se laisse entraîner vers l’alcool, la drogue, le tabac… Comment réagir ? w C’est une réaction
Entretien avec Colette Combe psychanalyste et psychiatre à l’hôpital Neurologique à Lyon où elle travaille en service d’endocrinologie. Elle est l’auteur de Soigner l’anorexie .1
typique de mère de fils de dix-sept ans. Il est en train de se séparer d’elle, aussi, ne peut elle rien savoir de ce qu’il vit. À cet âge là, c’est la présence paternelle qui importe et le fait qu’un garçon sente que son père compte sur lui pour construire sa vie d’adulte. La crise d’adolescence contre la mère, pour construire son intimité est très pénible mais nécessaire et c’est plutôt préoccupant quand cela ne se produit pas. Un garçon doit se séparer de sa mère pour ses premières histoires amoureuses dont elle ne sera pas tenue au courant. Qu’un garçon soit secret, qu’il parle peu, fait aussi partie du tempérament masculin. Il existe vraiment une différence entre les filles et les garçons à cet âge là. La fille fera souvent des confidences à sa mère, même si elle est en opposition. Ce qu’elle éprouve sera assez visible, et elle provoquera même plutôt en le montrant, tandis qu’un garçon est obligé de se séparer. Y compris au niveau des études, l’intrusion
maternelle est très angoissante pour un adolescent. C’est assez normal qu’à cet âge là, il privilégie le fait de faire partie d’une communauté de garçons de sa classe, même si c’est au prix de moins travailler.
w Ses amis n’exercent pas une bonne influence sur lui, que puis-je faire pour l’en protéger ? w Je pense que c’est au père de parler
des dangers naturels auxquels un garçon de cet âge va vouloir se confronter, en particulier pour ce qui est de l’alcool - bien lui expliquer qu’il faut absolument qu’il y ait quelqu’un qui n’ait pas bu pour rentrer, ne jamais prendre une voiture où il n’y a que des gens qui ont bu… - mais c’est normal qu’un grand adolescent fasse des choses qui mettent en danger sa vie. C’est pour cette raison que c’est si difficile pour les mères. Les hommes habituellement se souviennent des
bêtises qu’ils ont faites, des risques qu’ils ont pris. Pour ce qui est de fumer du cannabis, un fléchissement scolaire assez brusque doit y faire penser car cela donne des troubles de mémoires qui durent au moins six mois voire un an après l’arrêt. w Hors-série Pentecôte 2004 w FOI w
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Quand tout n’est pas facile Entretien w Une jeune femme de 20 ans alterne des périodes d’anorexie et de boulimie. Pourtant, elle ne manque pas d’atouts : très brillante dans ses études, sportive de haut niveau, elle se dévoue sans compter auprès des jeunes de son église. Elle n’a pas une minute à elle, comme si son problème ne se situait pas uniquement au niveau de la nourriture mais aussi dans son rapport au temps… w J’ai envie de m’arrêter sur la
question du sport de haut niveau : l’anorexie ou la forme d’anorexie avec boulimie et maîtrise du poids par quelque moyen que ce soit, vomissements ou laxatifs, est très fréquente. Il y a une relation à l’idéal ou aux exigences qui devient extrêmement tyrannique ainsi qu’un facteur de stress et d’angoisse face à la situation de compétition. Or l’anorexie a pour conséquences d’euphoriser et d’anesthésier en mettant le corps dans un état hors du physiologique. Il s’agit donc de comprendre ce qui fait souffrir la personne : la compétition ? La relation à l’entraîneur ? La nécessité de toujours se dépasser au moment des sélections ? L’anorexie s’apparente à la prise de médicaments ou de drogue : en supprimant la perception de la douleur elle permet de solliciter davantage son corps. C’est pour cette raison que des gens qui passent des concours importants en souffrent souvent aussi. Or j’ai souvent eu l’impression que l’anorexie est une manière de dire le désir d’arrêter, lorsque celui-ci n’est pas dit autrement. C’est pourquoi il faut à tout prix éviter une pression parentale qui fasse sentir qu’on apprécie tellement ce qui est si parfait. Certains jeunes n’ont pas cette sécurité intérieure qui leur permettrait de s’exposer de cette façon sans en être inquiet en permanence.
w À 14 ans, notre fille refuse toute pratique religieuse. Que tenir et que lâcher ? w Difficile de répondre à la formula-
tion proposée. Par rapport au travail scolaire ou à la cigarette, il me paraît évident qu’il faut maintenir l’exigence, quitte à sévir auprès de cette enfant de quatorze ans, en la privant d’argent de poche par exemple… Opter pour une attitude radicale faisant sentir que là, c’est interdit ; que là, c’est dangereux.
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Par rapport au domaine religieux, il me semble intéressant que les parents puissent reconnaître la possibilité d’une remise en cause de leurs idéaux. Il est normal que toutes les positions d’idéaux parentaux : religion, politique… soient passées au peigne fin. Peut être est-ce en lâchant que quelque chose pourra le mieux se conserver, alors que si on l’impose cela risque de fixer l’adolescente dans une attitude d’opposition. Il me semble que le plus fondamental de la part des parents, c’est de savoir témoigner de leurs manières de penser la vie. Quand je dis “témoigner” cela veut dire “être”, et non pas parler ou essayer de convaincre. Quatorze ans ce n’est pas tellement le moment de parler, c’est une période où les émotions dominent en raison de la puberté et des bouleversements qu’entraîne son développement sur la façon de se ressentir soi-même. C’est plutôt vers dix-sept ans que l’on peut se mettre à parler, à rediscuter, à argumenter l’intérêt, la valeur et le sens de la pensée religieuse et de la croyance dans la vie.
w Notre fille est mal à l’aise par rapport au statut de ses parents, membres permanent d’une communauté religieuse w Toute différence à l’adolescence est
difficile. Appartenir à une communauté religieuse démarque. Il faut reconnaître et accepter que pour se développer normalement à cet âge là, il est très important de faire partie du groupe d’âge de son collège, de son lycée. Les adolescents sont très intransigeants entre eux sur tout ce qui différencie, et ils font beaucoup souffrir tous ceux qui sont différents. Entre quatorze et dix-sept ans, faire partie du groupe est essentiel. Il faut aussi qu’ils puissent avoir des liens avec leurs camarades le samedi ou le mercredi et ne soient pas obligés de dire pourquoi ils ne peuvent pas venir, surtout si c’est pour aller à un week-end avec les parents. De la même manière, les adolescents de cet âge là ont horreur qu’on les emmène à la porte du collège si on les emmène en voiture ! Il faut les déposer deux rues plus loin parce qu’ils veulent grandir, et que cela commence illusoirement par montrer aux autres qu’ils ne sont plus chaperonnés… Plus généralement, ceux qui ont des parents qui leur font vivre une
différence (chômage, handicap…) ont à le négocier et l’accepter. Cela ne comporte pas uniquement des inconvénients. Souvent, cela engendre aussi des êtres plus profonds, comme si cela les obligeait à “enterrer leur eau de façon souterraine”.
w Le mutisme de mon fils de 16 ans et les nombreux conflits entre nous me remettent en cause personnellement ; sans parler des tensions que cela entraîne entre mon conjoint et moi… w C’est normal car une des façons
de vivre la crise de l’adolescence est de “faire se disputer” les parents en disant exactement ce qu’il faut pour créer la dispute entre eux. Souvent, c’est fait de façon tellement habile que les parents ne se rendent pas compte qu’ils se disputent à cause de l’adolescent. Celui-ci sait très bien mettre l’allumette et ensuite regarder le spectacle comme s’il n’y était pour rien ! Comprendre ce qui est en jeu ici peut permettre de mieux supporter la crise : il s’agit pour l’adolescent d’apprendre à se défendre dans la vie et donc être capable d’attaquer. Et il s’avère alors nécessaire pour les parents de devenir capable d’une certaine relation avec leur propre agressivité, sans que celleci soit vécue avec culpabilité. La relation d’autorité est un mélange subtil de tendresse et d’agressivité qui bâtit la transmission entre les générations, sur une base de respect mutuel. Si les parents ne tiennent pas une position de fermeté tranquille, leur adolescent risque de ne pas acquérir l’agressivité nécessaire pour avancer dans la vie. Cette agressivité qui se mêle au respect de l’autre s’acquiert par identification aux adultes. Sinon, par exemple il risque de se laisser marcher sur les pieds et cela peut être dangereux pour lui et ses proches ; aussi l’adolescent éprouve-t-il le besoin de faire ses armes, de voir “où cela touche”, et cependant ne pas perdre l’amour. Pour cela, il va s’essayer en famille : il va faire mal à ses parents sans que ces derniers cessent de l’aimer. C’est ainsi qu’il apprend à manipuler son agressivité et à la connaître dans des conditions protégées. Enfant, il utilisait de façon impitoyable nounours, poupée… c’est-à-dire l’objet qu’ils aimaient le plus, tout en conservant l’amour pour le jouet abîmé. À l’adoles-
L’adolescence en elle-même en tant que fracture, est nécessaire pour s’unifier dans la solitude.
cence, il agit selon le même processus mais envers ses parents. C’est pourquoi, être parents d’adolescents c’est pouvoir renaître tous les jours. C’est tenir… et l’on tient parce que l’on sait que les périodes de crise ne durent pas très longtemps.
w Un garçon de 8 ans présente des comportements tout à fait similaires à ceux que nous venons de décrire. Pouvons-nous en déduire qu’il fait une crise d’adolescence précoce ? w Je pense que c’est un des
problèmes très caractéristiques de ces dernières années : les parents, ayant des enfants qui s’opposent comme les enfants se sont toujours opposés - au lieu de les “dresser”, c’est à dire de tenir des exigences pour qu’ils se calment et mettent des limites à leurs pulsions, ne le font pas. Ce n’est pas en le faisant une fois qu’on acquiert le fait qu’un enfant ramasse ce qu’il a fait tomber, répare, dise bonjour, ne se permette pas de dire n’importe quel mot à ses parents… C’est en ce sens qu’il y a un côté de dressage. Cela demande du temps mais au fur et à mesure de ces vécus, l’enfant apprend à se limiter. Les adultes actuels ne le font pas assez, ils passent par “expliquer”, comme si un enfant était un adulte raisonnable à qui on dirait : “écoute il ne faut pas faire cela, cela fait de la peine à maman, cela fait mal à ton frère…”. NON ! Un enfant a besoin d’être limité. On ne doit pas considérer que l’enfant est un adolescent. L’adolescence est un état de crise intérieure liée à l’apparition de la puberté et de la sexualité et au fait de la croissance : avoir un corps qui maintenant, est capable d’aimer ou de tuer : il a une force telle que s’il voulait frapper ses parents, il pourrait. Cela met l’adolescent dans un état d’angoisse très grande car il n’est plus limité par ses parents. S’il ne l’a pas été avant, c’est encore plus difficile. On peut craindre que psychiquement il ne
tienne pas. Bien sur on peut penser à des comportements déviants mais moi je pense surtout que cet enfant risque d’être extrêmement déprimé.
w Au cours d’une session organisée pour des couples et leurs enfants, un animateur est pris à partie par les parents Il entendit des reproches du style : “qu’avez-vous dit à mon enfant, pourquoi l’avez-vous repris, moi j’essaye tant bien que mal d’éviter une relation conflictuelle avec lui…” w Voilà la maladie des parents
contemporains : ne pas vouloir se fâcher avec son enfant, comme si cela ne fait pas partie des fonctions parentales de tenir des positions qui ne plaisent pas aux enfants et qui forcément vont faire que l’enfant va d’abord protester. Si les parents tiennent, l’enfant pliera. Il réfléchira et se demandera : “Pourquoi mes parents veulent-ils cela ?” Même s’il crie, même s’il proteste ! Ne pas vouloir se fâcher avec ses enfants, c’est méconnaître que nous avons des forces volcaniques, ce que j’appelle des pulsions, en nous, que nous sommes un volcan de feu et que ce feu c’est autant l’amour que la destruction. C’est comme l’ivraie du bon grain. Ce serait vraiment une illusion en tant que parents que de se dire : mon enfant n’a pas de méchanceté et s’il s’oppose ce n’est pas une force que je dois considérer comme nocive pour lui. Mais si !
w Donc il vaut mieux poser une limite à l’enfant même si c’est de manière violente que de ne rien dire.
w Il y a même une meilleure position : le dire très calmement. Crier, c’est dans un second temps, et ce n’est pas crier d’impuissance. Il vaut mieux dire les choses tranquillement et savoir qu’une des bonnes façons de punir c’est d’envoyer dans sa chambre. Il faut savoir que l’adolescent cherche cette confrontation car il a besoin d’éprouver que ses parents ont de la force, de l’énergie, qu’ils savent tenir leur parole, qu’ils savent tenir ce en quoi ils croient. Il a besoin de rencontrer un être qui se tienne debout, bien solide sur ses pieds. Il va bousculer pour voir si cela tient bien. Et la chose à faire c’est de tenir. Il remerciera quelques années plus tard et dira : “heureusement que là tu as tenu parce que c’est là que j’ai compris qu’un adulte c’est cela, quelqu’un qui sait tenir !” Paradoxalement, l’absence d’agressivité et d’autorité donne un monde extrêmement violent, très cru au sens où les choses ne sont pas enveloppées, ne sont pas arrondies. Les angles sont vifs, comme s’il n’y avait pas de peau. L’autorité est une articulation ; elle permet d’articuler des contradictions. C’est comme les gonds d’une porte. On ne peut pas ouvrir une porte ni la fermer si on n’a pas quelque chose qui articule. L’autorité a cette fonction : elle coupe et en même temps elle relie. Elle ne peut pas se passer de l’agressivité dont elle utilise la force. n Soigner l’anorexie, Colette Combe Éd. Dunod, collection psychothérapies, 2002
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Quand tout n’est pas facile Témoignages
Quand
tout bascule La joie d’être parents peut brutalement être engloutie par l’épreuve de la maladie ou de la mort d’un enfant. Comment dès lors, accueillir le présent et l’avenir ?
Hélène Guilbault
Face à la mort d’un petit Hélène Guilbault se souvient des derniers moments passés avec Félix, son fils mort à trois ans d’une leucémie. Heureux Félix, ton nom a pris tout son sens ! « Même s’il meurt avant l’âge, le juste trouvera le repos… Il a su plaire à Dieu, et Dieu l’a aimé… Arrivé au but en peu de temps, il a couvert une longue route. Parce qu’il plaisait au Seigneur, Celui-ci, sans attendre, l’a retiré d’un monde mauvais. Les gens voient cela sans comprendre ; il ne leur vient pas à l’esprit que Dieu accorde à ses élus grâce et miséricorde, et qu’Il veille sur ses amis. » (Sagesse 4, 7-15) Cette 1ère lecture de la messe des défunts fut très consolante pour moi un an après le décès de notre fils Félix, mort à l’âge de 3 ans, le 27 novembre 1983. La Parole de Dieu nous a accompagnés tout au long du chemin de sa maladie à sa mort : chemin de retournement, de souffrance, d’espérance, de découvertes, de croissance, de vie quoi ! Du couperet du diagnostic inattendu à deux ans (leucémie lymphoblastique aiguë) jusqu’à la toute fin, nous pouvons affirmer que nous n’avons jamais été seuls. D’abord comme couple, Robert et moi n’avons cessé de nous épauler et de vivre ce temps ensemble. Puis les frères et sœurs de la paroisse, nos voisins, nos parents, nos amis étaient là pour nous soutenir concrètement et à plusieurs, par ce moyen puissant qu’est la prière. Dès que nous avons su, notre premier réflexe fut de nous tourner vers Celui qui pouvait quelque chose pour nous. Nous avons demandé à tous ceux que nous rencontrions de prier pour cette guérison que nous espérions tant. N’y en avait-il pas plein les Évangiles ? Nous sommes passés par tous les états d’âme, la leucémie comportant des périodes de rémission et de rechute. Mais chaque vendredi soir, le petit groupe de prière qui se réunissait chez nous nous aidait à garder le cap. Félix qui y participait y trouvait souvent un regain d’énergie assez
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Bloc familial, Thuronyi ©
incroyable. J’ai l’impression d’avoir été préparée à vivre cette étape de ma vie : quelques mois avant le début de cette difficile mais riche période, je lisais assidûment les Livres de la Sagesse dans la Bible, en particulier Job. Et un peu plus tard, comme Job, je me suis retrouvée à questionner le Seigneur, incapable de comprendre le sens de ce qui nous arrivait. J’étais à l’hôpital, poussant le fauteuil roulant de mon fils qui recevait sa nième transfusion de sang. J’ai alors pu accueillir, malgré sa fermeté, à cause du ton de compassion avec lequel je l’entendais intérieurement, cette réponse de Dieu : « Étais-tu là au début de l’univers ? As-tu présidé à tout ce qui s’est fait ? As-tu, une fois dans ta vie, commandé au matin ? » (Jb 38.39) Devant le déploiement de ce qu’a fait le Seigneur pour le monde, qui étais-je pour douter ? N’avais-je pas toutes les raisons de Lui faire confiance ? Cela m’a redonné l’élan nécessaire. Une autre parole reçue lors d’un Congrès charismatique disait ceci : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. » (Jn 12, 24) Sur le coup, je n’ai pas trop voulu entendre de quoi il s’agissait mais le terrain intérieur se préparait petit à petit. Félix lui-même nous impressionnait par sa bonhomie, sa patience, son courage et aussi par sa foi. Je n’ai pas d’autres mots pour nommer cette confiance en Dieu qu’il avait malgré son très jeune âge. Un jour, en sortant de l’hôpital après un séjour assez long, sa première demande fut : “Y a-t- il une église ici ?” Il aimait tellement faire de courtes visites à l’église, particulièrement à l’Oratoire StJoseph ; même quand il était souffrant, il voulait s’y rendre : “Je vais mettre ma main dans l’eau (le bénitier) et ça va aller !” Et que dire de Marie ! J’ai encore du mal à comprendre comment lui est venu cet amour pour Marie dont il avait bien peu entendu parler.
Autour de son lit à quelques jours de sa mort, nous avons enfin reçu cette parole : « Je vais t’enlever la joie de tes yeux… mais ne prends pas un air de deuil, gémis en silence. » (Éz 24, 15) J’espérais toujours une guérison mais la Parole continuait de faire son chemin dans mon cœur. La dernière semaine, alors que Félix vivait l’angoisse de l’agonie, je criais intérieurement mon impuissance et ma révolte au Seigneur. Notre curé est alors venu pour lui donner la Confirmation, ce qui a complètement chassé son angoisse. Deux jours après, il célébrait l’Eucharistie avec nous. Félix, qui ne pouvait plus rien avaler de solide, a fait sa première communion au sang du Christ, ce qui est lourd de sens quand on sait qu’il allait mourir d’un cancer du sang ! Vingt ans après sa mort, les souvenirs restent vifs. Pour des parents, perdre un enfant c’est le monde à l’envers en quelque sorte : on s’attend à mourir avant ceux que l’on a mis au monde. Chez nos trois autres enfants d’alors, ce temps familial difficile a laissé sa part de blessures. Pour moi, ce fut le temps d’un véritable passage : durant cette même période, j’ai rencontré mon Seigneur et mon Dieu, un Dieu si proche qui m’aidait bien concrètement, je ne pouvais que le reconnaître. J’ai reçu le baptême dans le Saint-Esprit qui a chamboulé ma vie. Mon lien avec Marie est devenu plus fort, elle dont le fils est mort, elle qui pouvait si bien comprendre. À travers tout ce vécu, j’ai pu voir ma pauvreté et combien j’avais besoin du Seigneur et des autres. Voilà pourquoi je ne cesse de rendre grâce pour ce trésor inestimable. Depuis, nous avons eu deux autres enfants qui ont mis beaucoup de vie dans la famille. Et quand, dix ans après tout cela, Robert et moi avons rencontré la Communauté du Chemin Neuf à Cana, en 1993, je n’ai pu m’empêcher de penser qu’il devait bien y avoir du Félix là-dessous… n
Gabrielle Evennec
Face à la schizophrénie Gabrielle Evennec est mère d’un fils dont la schizophrénie s’est révélée à l’âge adulte. Nous pensions, à l’âge de la retraite et déjà grands-parents, que notre rôle parental était achevé ; il avait eu ses bons et ses mauvais jours, ses difficultés et ses bonheurs. Nos quatre enfants avaient quitté le nid, le dernier faisait son service militaire en montagne. Légère comme l’alouette, je partis ce jour-là en pèlerinage avec le sentiment qu’une nouvelle phase de la vie s’ouvrait. C’était le 8 septembre, fête de la nativité de la Vierge. Je déposais mon paquet de soucis pour ne retenir que la joie et la paix. Au retour de cette lumineuse journée, un coup de téléphone nous annonce le retour de notre dernier fils en permission après six mois de montagne… L’homme que nous retrouvons est hirsute, les yeux
hagards, le discours délirant. Le médecin, consulté d’urgence, l’envoie au service psychiatrique de l’hôpital militaire. Le soir même il était derrière les barreaux : on lui interdisait même l’accès à une petite cour où pendait à l’horizontale une branche d’arbre sur laquelle il tentait de faire de la barre fixe. Ce fut le début d’une aventure qui n’est pas terminée. Il fallut réendosser le métier de parent, retourner à la case départ avec un enfant, adulte maintenant, mais incapable de gérer son existence quotidienne. Pour résumer la situation, je cite les paroles pleines d’humour lancées au téléphone par la mère d’un fils également psychotique. “Bah, avec ce genre de maladie, on est toujours sur la brèche. Et puis l’orgueil, il faut le mettre de côté : nous ne savons jamais rien de ce qu’il faut faire. Au moins, ça apprend l’humilité.” Oui, l’expérience que nous faisons, plus accentuée encore qu’avec tout adolescent, est celle de notre pauvreté, de notre faiblesse. Nous apprenons à accepter, souvent dans la douleur, de ne pas savoir, de ne pas pouvoir, et de remettre en cause sans cesse notre vouloir. Nous ne savons en effet jamais ce qu’il convient de faire, entre le “lâcher-prise” et la nécessaire vigilance, la prise de distance et la présence attentive. Autant de points d’interrogations auxquels les médecins ne donnent que d’évasives réponses. Faut-il laisser L. se débrouiller seul ou bien au contraire l’accompagner pour prendre ses médicaments, acheter sa nourriture, respecter les règles élémentaires de l’hygiène, toilette, soins dentaires… ? Quelle marge d’autonomie, de liberté lui laisser, au risque de le voir revenir à une sorte d’état sauvage ? Face à nos maladresses dans ce travail subtile d’accompagnement d’un malade psychique, nous rencontrons souvent les reproches, les mises en cause de l’environnement familial. De plus nous ignorons l’évolution de la maladie, sujette à l’instabilité et aux crises déconcertantes. À ce non-savoir s’ajoute le non-pouvoir. Et d’abord accepter l’impuissance face à la souffrance, à l’angoisse d’un enfant que l’on aime et que l’on a connu jouissant de toutes ses facultés. La schizophrénie atteint le fond de la personnalité et coupe la personne de la réalité. Elle a besoin de structures pour ne pas dériver, ni se replier complètement sur elle-même. Les difficultés d’insertion sont particulièrement aiguës pour ce type d’handicapés, si bien que les parents sont bien appelés à être présents, à ne jamais désespérer ni baisser les bras, tout en reconnaissant les limites de leurs interventions et la nécessité du laisserfaire, du lâcher-prise. Enfin, il s’agit de progressivement renoncer à tous ces rêves que les parents voudraient tant voir se réaliser pour leur enfant : projets heureux et légitimes dans tous les domaines de la vie affective, sociale, professionnelle. Certes nous ne sommes pas dispensés de chercher des solutions concrètes pour les vacances, de trouver un cadre d’occupation pour l’hiver, de trouver les auxiliaires nécessaires mais le résultat de ces démarches échappe souvent. Je dois mentionner l’aide considérable que nous a apportée un véritable réseau d’amis qui souvent ont offert une solution concrète au moment où nous désespérions d’en trouver : proposition d’activité en paroisse, voyage avec tel groupe, aide à une aveugle, entrée en CAT… Finalement, il s’agit de s’appauvrir de son propre découragement, de sa propre inquiétude, de toutes ces négativités, ces doutes qui nous entravent. Cette remise en question w Hors-série Pentecôte 2004 w FOI w
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de nous-mêmes, de notre comportement a tissé entre nous, parents, des liens de plus en plus profonds que nous n’aurions peut-être pas découverts sans être poussés dans nos retranchements par la maladie de notre fils. Face au délire, à la souffrance, au non-sens de la schizophrénie, nous faisons l’expérience de notre radicale impuissance : la raison, l’intelligence capitulent. Mais une autre dimension s’impose, celle de la Grâce qui donne sens au réel. S’agit-il d’une sorte de corde à nœuds qui vous est lancée, à laquelle on se cramponne pour éviter la chute ? L’expérience nous a fait souvent toucher du doigt la réalité de ce secours venu d’ailleurs, sous forme d’appel. On ne comprend souvent qu’après coup les clins d’œil de la Providence. Je pourrais citer maintes rencontres, fortuites en apparence, qui furent l’occasion d’engagements salvateurs. Pour nous tirer d’affaire et nous remettre debout, la Grâce a recours à des circonstances très humaines, très incarnées dans notre quotidien. Une mère dont le fils a fini par se suicider nous disait : “la phrase qui me fait vivre la voici : « Je suis avec vous jusqu’à la fin des temps. »” Cette phrase est la clef qui ouvre la porte de la paix, de la joie, de la confiance… en dépit des tourmentes. Cette parole évangélique en appelle une autre qu’un médecin nous a transmise et qui nous a beaucoup aidés par son réalisme. “Et l’amour de soi, qu’en faites-vous ? Soyez vous-mêmes, prenez soin de vous. C’est ce que vous ferez de mieux pour votre fils.” Si le trait est ici souligné, cette sagesse me paraît éclairante dans l’aventure que vivent aujourd’hui les parents. n Gabrielle Evennec a écrit Feu Follet d’Automne, Éd. de l’Harmattan. Témoignage du long chemin de vie que le Seigneur lui a ouvert.
Quand tout n’est pas facile Témoignage
Dans Foi de Clown, la comédienne Mary Vienot raconte dans son émouvant parcours la naissance de son fils Igor, autiste. De l’errance au partage d’une espérance, extraits.
Autisme, la
pesanteur et la grâce
IIgor, notre quatrième
enfant, naît le 13 août 1986. Nous venons tous les deux de grandes familles, nous aimons la vie avec beaucoup d’enfants. Après les trois premiers, assez rapprochés, nous avons repris notre souffle, puis nous avons attendu Igor. À la naissance, personne ne se rend compte de son handicap. Il a un beau visage. C’est un bébé un peu endormi.
IIgor ne nous regarde pas,
il est impossible de retenir son regard. Pendant huit mois il regarde fixement notre front. Il ne réagit pas à ce que nous lui disons. Nous pensons qu’il est peut être sourd. Toute l’année est une année de doute. Dans la maison en face de chez nous, je vois grandir un bébé du même âge qu’Igor et je comprends que mon enfant ne se développe pas comme il faut. Mais tant que l’enfant est petit, il est presque possible de continuer la vie comme avant. L’inquiétude ne me lâche pas. Il y a des choses à accomplir, il faut aider le bébé à se nourrir, il ne tient pas assis, il ne joue pas, il faut l’accompagner, aller vers la marche. Il faut s’adapter. C’est difficile de ne pas savoir à qui l’on a affaire, de ne pas savoir si votre enfant est handicapé ou non. Mais je commence à comprendre que de nombreux enfants ne reçoivent jamais de diagnostic de leur handicap. Le docteur qui le suit entend ma détresse. Il me dit : “Igor a des problèmes de développement, mais avec des parents comme vous, il va avoir une vie super.” Je suis invitée à participer avec Igor à une sorte de crèche familiale. Je suis bien accueillie dans un groupe chaleureux. Les parents se réunissent pour faire jouer les enfants entre eux et pour parler. Il y a de bons jeux, des instruments de musique, et l’accueil est très sympa ; mais personne ne m’a prévenu que c’est un groupe de parents d’enfants handicapés. Je n’ai pas encore mis ce mot sur la différence d’Igor. Tout d’un coup, je réalise que je suis mère d’un enfant handicapé. Je suis très bien avec ces personnes, mais je ne me sens pas tout à fait prête à être l’une des leurs. Le groupe comporte surtout des enfants trisomiques. Je vois bien qu’il a un handicap, mais je ne sais toujours pas lequel.
CCette année là, à Londres,
tandis que je cours les hôpitaux avec Igor et Mikaël, Michel est très engagé dans son travail dans le Quart Monde. Il a l’idée de marcher en échasses, déguisé en oiseau géant, de Glasgow à Londres, huit cent kilomètres pour faire connaître le mouvement ATD Quart-Monde en Grande-Bretagne à l’occasion de son 30ème anniversaire. C’est au retour de la marche, que j’arrive à dire à Michel la vérité sur Igor, ou plutôt à lui demander de voir la réalité. Et cet oiseau multicolore messager des enfants les plus pauvres, entend à son retour les paroles que je lui dis : “Il faut maintenant que tu acceptes que tu as un enfant handicapé mental.” C’est une chose d’aller, comme un bel oiseau, à la rencontre des plus pauvres. Mais accepter que son fils soit pauvre en est une autre. Igor a un an. À ce moment-là, Michel m’entend. J’ai besoin qu’il me rejoigne dans ma souffrance. J’ai besoin de sentir qu’il souffre aussi pour pouvoir partager l’énorme poids que j’ai sur le cœur. Le handicap de son enfant, on l’accepte ou on ne l’accepte pas. Michel, la première année, a eu du mal à l’accepter. Il lui faut faire un grand chemin pour adopter son enfant faible. À présent, Michel, l’Oiseau, est devenu triste. Mais à la façon des gens profondément optimistes, il redéploie ses ailes et s’occupe de son oisillon.
IIgor a dix ans
lorsque nous obtenons enfin le diagnostic tant recherché de sa maladie, et cela se produit par hasard. Pour l’anniversaire de mes 50 ans, Michel, Igor et moi, nous nous rendons en Angleterre. Tous les trois, nous allons rendre visite à une de mes amies d’enfance. “Mon mari est ravi que vous soyez venus avec Igor. Il voulait le rencontrer”. Je ne sais pas encore qu’il est spécialiste de l’autisme à l’Institut de Psychiatrie de Londres. Et là, dans son salon, au bout de cinq minutes, il nous demande : “- On ne vous l’a pas dit en France ? - Quoi ? - Que votre fils est atteint d’autisme !”
LLe plus douloureux
pour moi est que mon fils ne réponde pas à mes marques d’affection ou w Hors-série Pentecôte 2004 w FOI w
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Mikaël, Gabriel, Sam, Myriam, Igor et Mary. Moment de repos avant de reprendre la route du pèlerinage de Saint Jacques Compostelle en famille et à dos d’ânes. Igor et Michel à la maison.
d’attention. Il a fallu de longs mois pour lui apprendre à nous regarder dans les yeux. J’aimerais lui donner beaucoup de tendresse, mais comment l’exprimer puisqu’il réagit si peu à mes gestes ? Sait-il que je suis sa mère ? J’ai l’impression parfois qu’il m’utilise comme un meuble. Il s’assied sur mes genoux parce que c’est confortable. J’ai beaucoup de mal à donner à Igor tout le temps qu’il lui faudrait pour l’aider à grandir. Je vois bien qu’il progresse lorsque je suis avec lui, et dès que j’arrête, il se met à taper de façon compulsive sur les portes. Mais je ne peux pas passer mes journées entières avec lui. Je suis d’accord pour être sa mère, mais pour son éducation, j’ai besoin d’aide extérieure. Les autres enfants, en grandissant, lisent, jouent, ont des copains et permettent à leur mère de faire autre chose. Lui, Igor, n’a rien. J’ai toujours été dans ce dilemme. C’est comme un gouffre. Igor est au fond et je n’ose pas entrer dans ce gouffre tout le temps. Si j’entre avec lui dans le gouffre, il m’attire vers le fond et je perds le lien avec les autres membres de la famille. J’essaie de trouver l’équilibre. La grande difficulté de toutes les mères d’enfants handicapés est de laisser la place pour les autres enfants et de ne pas être culpabilisée de ne pas tout donner au plus faible. Ce partage me coûte
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À gauche, Igor sur Napoléon avec Mary et Nuage.
Merci Igor pour tout ce que tu suscites par ta présence !
beaucoup. J’ai besoin de rester mère des autres enfants, épouse de Michel et moi-même comédienne. Quelquefois je lis des livres de mères qui ont tout donné pour leur enfant handicapé. Je n’ai pas tout donné. Est-ce que je peux m’en vouloir ? La culpabilité n’est pas un chemin que j’aime. On me demande parfois si je me révolte contre Dieu. Je ne crois pas en un Dieu qui punit ou qui envoie du malheur. Ce n’est pas mon Dieu. Je n’ai pas de révolte contre Dieu. Et pourtant, je vis une grande souffrance. Le décalage entre le développement d’Igor et celui d’un jeune de son âge s’accroît et ma douleur de mère aussi. Le Seigneur voit bien que la situation nous pousse à nos limites. Mais je crois qu’il ne nous laisse pas nous noyer.
EEn 1993, j’ai le projet
de créer une autre pièce d’après l’évangile de Saint Jean, et nous commençons à travailler sur la femme adultère avec Benoît Postic, metteur en scène. C’est alors que s’impose à moi une évidence. Je vis des choses tellement fortes avec Igor qu’il faut parler de lui par la voie du théâtre. Car ce que nous découvrons avec lui, nos souffrances
et nos combats, nos joies, d’autres que nous le vivent dans l’isolement. Il nous faut le partager. La pièce biblique attendra ! C’est alors que commence un long travail pour trouver le style de théâtre qui convient à un tel sujet. Nous choisissons une transposition de la réalité par le conte, avec de la poésie et de l’humour. C’est un style qui, passant du réalisme à l’imaginaire, permet de dire les émotions fortes, retenues dans la vie courante.
CCette pièce de théâtre
nous fait prendre conscience de la chance que nous avons d’être ensemble dans cette aventure, Michel et moi. Ce n’est pas facile dans le couple de dire ce que l’on ressent vraiment ; la création du spectacle nous force à le faire. Nous écoutons beaucoup d’histoires de parents d’enfants handicapés mentaux. Nous voulons offrir un message de vie sans escamoter la souffrance de beaucoup de parents, qui est la nôtre aussi. La naissance d’une personne handicapée est un très gros choc pour un couple : certains ne le supportent pas. Des parents se séparent. Beaucoup de femmes élèvent seules leurs enfants handicapés. Nous voulons les honorer. Dans le scénario, le couple se sépare presque. Il a des conflits. L’homme met la femme en cage avec l’enfant. Ce moment là est important, même s’il est suivi d’une réconciliation profonde. Ce n’est pas toujours possible. Notre propos n’est pas de culpabiliser ceux qui ne peuvent pas se relever. Ce spectacle m’aide à prendre du recul sur ma propre situation. Réfléchir à des images qui peuvent m’aider à raconter ce que je vis, cela m’aide à le vivre. Cela fait aujourd’hui dix ans que nous jouons Le pays d’Igor et nous l’avons donné plus de 500 fois ! Cinq cent fois à redire une histoire qui est la nôtre et qui est devenue aussi celle de tous ceux qui nous font des confidences.
C’est un projet qui nous dépasse. Nous jouons ce spectacle dans des écoles, du primaire au lycée. Nous le jouons dans des Instituts Médicaux Éducatifs (IME), devant des associations de parents d’enfants handicapés, pour des mairies. À notre regret, nous le jouons très peu dans des programmations culturelles. Le handicap mental fait très peur.
NNous avons voulu
une mise en scène très picturale et théâtrale. L’espace est vaste, les parachutes volent, les lumières, les couleurs conduisent tour à tour à l’intime et au grand spectacle. Le public est surpris, il se défait de ses idées reçues, il est mis à nu. Il vient voir un spectacle sur le handicap, et il découvre un spectacle beau, coloré, rempli de poésie. Le Pays d’Igor nous vaut toujours des rencontres fortes avec le public et nous avons le bonheur de parler avec les gens qui cherchent à comprendre. Des parents viennent nous voir en larmes : “on vit ça mais on n’avait pas les mots pour le dire”. Le spectacle les soulage. Un professeur de collège nous écrit : “Dans notre classe de sixième, Charlotte a parlé pour la première fois à ses copines de son grand frère qui est atteint d’autisme. Soudain les cœurs se sont ouverts et on a vu que tout le monde connaissait finalement quelqu’un de différent… Et c’est cette différence dont nous avons conclu qu’il serait bon d’en faire un trésor, un cadeau pour chacun, une chance plutôt qu’une prison… Merci petit Igor pour ce voyage au pays de ton cœur”. Ce n’est pas notre histoire qui est intéressante, ce sont toutes ces histoires mêlées, tissées. Au théâtre, ce n’est pas notre intime que nous devons montrer, c’est un intime universel. Une petite fille aveugle nous dit : “Quand je serai grande, j’écrirai mon histoire.” Quel plus beau remerciement ? Merci à Igor de nous avoir inspiré une telle pièce. n
Pour aller plus loin w Mary Vienot Foi de clown, Éd. Atelier Que peut faire une femme clown avec les évangiles ? En rire ? Affronter les personnes de ce récit biblique et jouer avec eux ? L’entreprise est risquée… mais les défis ne rebutent pas Mary. Née en Angleterre, sa vocation de comique la taraude dès l’enfance. Après avoir suivi une école de mime, mariée à un français, Michel, elle sillonne 10 ans durant les bidonvilles et les quartiers les plus pauvres pour y jouer des spectacles : faire rire tout en luttant contre la misère. Sur ce chemin inattendu survient Igor. Commence alors pour Mary et Michel un voyage au bout de la différence, fait de révolte contre la froideur de la machine médicale, de pleurs et de tendresse retrouvée. Entre rires et larmes, l’itinéraire
de Mary est une formidable leçon d’espérance, un immense éclat de rire qui n’efface pas le tragique de l’existence mais le transcende et le transforme en joie.
w Le Pays d’Igor Depuis plus de dix ans, Mary et Michel Vienot sillonnent la France et jouent ce spectacle qui met en scène l’arrivée d’Igor dans leur famille avec sa beauté et ses déchirures, ses souffrances et ses joies. Ils se produisent en général dans les écoles, pour des associations… et il est toujours possible de les voir et revoir, lors d’une tournée ou grâce à la vidéo qu’ils ont produit de ce spectacle. Mary joue aussi d’autres spectacles :
Gertrude et le plumeau, Berthe se jette à l’eau (spectacles bibliques) et dernièrement J’inspire Shakespeare.
w Osons la rencontre Il s’agit d’une action de sensibilisation à la différence basée sur le film du spectacle Le pays d’Igor. À partir d’un livret, soutenu par la région Rhône-Alpes, c’est une invitation à se rencontrer entre personnes valides et handicapées autour du film qui sert de point de départ pour amorcer la discussion et le partage.
Pour tout renseignement : Compagnie du Puits • rue de Champ Brisson • 38530 Barraux • Tél : 04 76 97 81 11 Fax : 04 76 97 63 53 • contact@compagnielepuits.com • www.compagnielepuits.com
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S’ouvrir aux autres et à Dieu L
es pages précédentes ont déjà laissé apparaître qu’être parents est une aventure, une des plus grandes et des plus belles qu’il nous soit donnée de vivre. Elle est aventure car elle est ouverture et passage vers la vie, transmission fondée sur l’Amour. Elle rejoint ce qui, au plus profond, est constitutif de notre être : nous sommes des êtres de don, donnés à nous-mêmes par notre Créateur et Sauveur, et appelés nous aussi à transmettre ce que nous avons reçu. « Va et fais de même » dit Jésus à chacun de nous, reprenant toute la Loi et les Prophètes. Dans la Bible en effet, souligne Bertrand Audéoud, Dieu nous appelle à éduquer les enfants qu’il nous confie à une relation personnelle avec lui. Cette dimension parentale n’est pas l’apanage exclusif des couples, rappelle Christophe Blin, mais concerne toute personne consacrée au Seigneur. Cependant, le mariage sacramentel, signe de la présence de Dieu dans l’humanité et l’Église, par lequel les parents sont conduits à transmettre à leurs enfants la vie même de Dieu, lui donne son sens plénier : toute maternité, toute paternité est à la fois humaine et spirituelle nous dit Alain Mattheeuws. La relation personnelle des parents avec Dieu, vécue dans la prière silencieuse ou partagée, en est la nourriture secrète qui lui fait porter tout son fruit témoignent Valentine Hodara et Anne Lagemann. Pour Vincent et Laurence de Crouy, relisant leur expérience de parents engagés dans une communauté nouvelle, la vie communautaire, qui imprègne de son charisme la vie de toute la famille, se révèle être une aide pour les parents comme pour les enfants pour vivre concrètement cette ouverture à laquelle est appelée toute famille. Grâce à elle, ils peuvent espérer que ce qui les fait vivre fera aussi vivre leurs enfants. n
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Bertrand Audéoud
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Christophe Blin
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Alain Mattheeuws s.j.
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Valentine Hodara
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Anne Lagemann
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Vincent et Laurence de Crouy
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La Parole de Dieu, comment leur mettre l’eau à la bouche ?
La paternité fait partie de la vie consacrée
Serviteurs de la paternité divine
S’en remettre à Dieu
Entre mamans, nous prions pour nos enfants
La famille doit s’ouvrir à plus grand qu’elle
Bibliographie
S’ouvrir aux autres et à Dieu Approfondir
La Parole de Dieu, comment leur mettre l’eau à la bouche ? Comment transmettre à nos enfants le désir d’entrer en relation avec Dieu, le goût de la Bible et de la prière en famille ? Bertrand Audéoud, évangélique, scrute la Bible pour nous. Lorsque nous lisons la Bible, nous pouvons trouver un certain nombre de conseils et de directives concernant l’éducation de nos enfants même s’il y a peu de textes spécifiques à la vie de famille, car tous s’appliquent à elle. Dans l’Ancien Testament, la famille est le lieu privilégié où se vit la foi. Dans le contexte du Nouveau Testament, famille et église se confondent dans le même lieu et avec les mêmes acteurs. L’Écriture nous explique des fonctions, elle nous décrit des principes et des attitudes, mais qu’elle nous dit très peu de choses sur les formes ; celles-ci sont à définir dans le cadre de chaque époque et de chaque culture. Deux textes de l’Ancien Testament peuvent plus particulièrement nous aider à nous situer comme parents chrétiens.
au cœur de la relation entre Dieu et son peuple, au centre de l’Alliance. La mise en pratique de la Parole de Dieu est la caractéristique de la sagesse pour l’Hébreu. Cette mise en pratique fait l’objet de diverses exhortations dans ce passage, avant qu’il ne soit fait référence à l’enseignement de l’enfant. Nous sommes loin de la conception occidentale qui repose sur le volume des connaissances accumulées. Quant au verbe « inculquer », il signifie littéralement aiguiser, (comme on aiguise les dents d’un outil). Il ne peut s’agir que d’un enseignement dynamique et de l’apprentissage de l’application des directives du Seigneur afin d’avoir “du mordant” dans la vie. Le texte rappelle le projet de bonheur que Dieu a pour son peuple et donc les familles qui le composent dès les versets 5, 33 et en 6, 2-3 et 24. Il y a un lien direct
Apprendre à mettre en pratique la Parole de Dieu Le premier est Deutéronome 6, 5-9 qui rappelle la nécessaire cohérence que doit présenter notre vie. Ce texte nous est certainement familier, mais il convient d’en souligner quelques aspects. Il se situe dans le contexte du rappel au chapitre 5 de la loi fondamentale du Décalogue ; nous sommes
Pour déclencher le goût de la Parole de Dieu, l’adulte doit communiquer son enthousiasme. 48 w FOI w Hors-série Pentecôte 2004 w
«
Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, tout ton être, de toute ta force. Les paroles des commandements que je te donne aujourd’hui seront présentes à ton cœur ; tu les répéteras à tes fils ; tu les leur diras quand tu resteras chez toi et quand tu marcheras sur la route, quand tu seras couché et quand tu seras debout ; tu en feras un signe attaché à ta main, une marque placée entre tes yeux ; tu les inscriras sur les montants de porte de ta maison et à l’entrée de ta ville.
»
Dt 6, 5-9
entre la mise en pratique des commandements du Seigneur et sa bénédiction : « être heureux et prolonger ses jours ». Il souligne l’importance du projet familial et de sa cohérence : à partir du moment où cette loi sera dans ton cœur (c’est à dire au plus profond de toi, touchant tes pensées, ta volonté, tes sentiments), tu en témoigneras à tes enfants en toutes circonstances : à la maison ou en voyage, quelle que soit l’heure de la journée. Mais surtout, tu en témoigneras par tes actes (v. 8 : « un signe sur tes mains ») ; par tes attitudes, tes pensées et tes paroles (v. 8 : « des frontaux entre tes yeux ») ; en faisant de ton foyer un signe de l’autorité du Seigneur. Quiconque y rentrera pourra le voir en franchissant ta porte. Et toi tu seras le premier à te souvenir, quand tu entreras dans ta maison, que la foi en Dieu se vit d’abord à l’intérieur du foyer (v. 9 : « écrites sur les poteaux et les portes de ta maison »). Même si d’une façon plus large nous pouvons dire que cette Parole est appelée à accompagner toutes nos allées et venues, toutes nos activités quotidiennes, la transmission de cette mise en pratique de la parole de Dieu apparaît donc comme le cœur de l’éducation à donner à nos enfants.
Pour cela, donner du goût Le deuxième texte est Proverbes 22, 6 qui invite à donner le goût. Une traduction proche de l’original pourrait être : « Instruis l’enfant selon la voie qu’il doit suivre ; et quand les poils de la barbe lui pousseront, il ne s’en détournera pas. » Plusieurs mots ou expressions de ce verset méritent une attention particulière et sont propres à inspirer notre action : • « Instruis l’enfant. » Le verbe instruire a la même racine que le mot palais qui désigne la partie supérieure de la bouche. Il est très utile de comprendre pourquoi. En Israël, quand une femme venait d’accoucher, la sagefemme apprenait au bébé à téter. Pour cela, elle enduisait le palais de l’enfant d’un peu de jus de figue. L’enfant intrigué par ce goût étrange commençait alors un mouvement répété de succion avec sa bouche. Il suffisait de lui présenter le sein pour qu’il commence à téter. Instruire, c’est donner le goût ! C’est la cohérence entre notre exemple et nos paroles qui donnera ce goût ; c’est l’enseignement de la Parole de Dieu expliquée et vécue ; c’est l’amour porteur d’espérance… Comment déclencher chez nos enfants le goût de vivre en étant attaché à Dieu ? Le bon enseignant est celui qui sait déclencher chez ses élèves le goût d’apprendre. Voici son profil : il aime son métier ; il aime ses élèves ; il aime la matière qu’il enseigne. Partant de là, il va chercher à adapter sa pédagogie à ses élèves. Il va la rendre aussi active, aussi accessible, aussi attractive que possible. Ainsi ses élèves auront le goût d’écouter, d’apprendre, de comprendre, et ils auront envie de participer à ses cours. Pour atteindre cet objectif, l’enseignant
va investir beaucoup de sa personne. C’est exactement à cela que nous sommes appelés en tant que parents, ou en tant qu’enseignants de la Parole de Dieu à l’école du dimanche, dans le groupe de jeunes ou à l’église : donner le goût de marcher avec Dieu, de chercher son conseil, de s’engager pour lui. Cela se communique d’abord par notre vécu. Il faut donner de notre personne : - Aimer notre “métier”, être heureux d’être chrétien. - Aimer les enfants que Dieu nous donne. - Avoir de l’enthousiasme pour communiquer l’amour de Dieu, car c’est cela, notre “matière” à enseigner. • « Selon la voie qu’il doit suivre. » En effet, pour chaque enfant, il y a un chemin différent. Selon son tempérament, ses dons, ses talents, ses penchants, au travers de notre action, Dieu va lancer ses flèches. C’est aussi la perspective d’un projet de vie porté par le Seigneur qui donnera son goût, sa saveur à l’existence. Quelle grâce de pouvoir contribuer à conduire un enfant dans la découverte de ce chemin-là ! Il faut passer du temps avec les enfants pour découvrir leur personnalité et leurs dons. Tant d’enfants ne se croient bons à rien ! Chacun est différent. L’un est doué intellectuellement, l’autre est sportif, celui-ci est persévérant (on le dit têtu), celui-là est doux… Que de blessures quand on entre avec eux dans le jeu des comparaisons ou qu’on applique une discipline identique à des personnalités différentes ! Une vraie connaissance de l’enfant ne s’acquiert que progressivement, dans la compréhension de ce que sont les phases de son développement physique, mais surtout affectif et intellectuel. C’est en observant l’enfant que l’on apprend à le connaître (Prov. 21, 11-12). Ainsi, nous achevons ce qu’il a commencé en lui (Ps 139, 13-16). Nous pouvons corriger ses mauvais penchants (Ps 58, 4) et nous pouvons prier pour lui. Le dialogue avec nos enfants doit être une priorité majeure dans notre emploi du temps. On constate souvent chez les pères un manque d’intérêt ou de savoir-faire. Il est important d’en parler en couple. • « Et quand les poils de la barbe lui pousseront, il ne s’en détournera pas. » Non, ce n’est pas seulement quand il sera vieux qu’il se souviendra de l’enseignement reçu, mais au moment de la puberté. C’est au temps de l’adolescence, quand l’enfant structure sa vie et que peu à peu se met en place sa personnalité d’adulte, qu’il peut choisir de continuer sa vie en pleine harmonie avec Dieu. Nous semons pour l’adolescence, pour ce temps capital de restructuration de la pensée et du système de valeurs. Quelle grâce d’avoir enseigné l’enfant dès ses premières années ! Au risque de se répéter, il faut souligner le rôle du foyer, et des parents tout particulièrement. Il est essentiel que l’éducation qu’ils donnent à leurs enfants se fonde sur la meilleure cohérence possible entre leurs paroles et leurs actes. Les aspects formels de l’éducation w Hors-série Pentecôte 2004 w FOI w
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S’ouvrir aux autres et à Dieu Approfondir chrétienne (culte de famille et activités au sein de l’église) doivent trouver leur application dans la vie de tous les jours. Il y a souvent chez les enfants de famille chrétienne une saturation du savoir, et parfois une irritation à devoir agir d’une certaine façon. La valeur de l’exemple de leurs parents leur donnera le goût de devenir chrétien.
Comment faire ? Un exemple, le culte en famille Un point important concerne le culte en famille sur lequel il nous a semblé bon de revenir. Rappelons que le culte de famille ne doit pas avoir pour objectif d’habituer les enfants à un exercice de piété mais bien de les entraîner à la découverte du Seigneur, de la place qu’il a dans la vie de leurs parents, et enfin de leur apprendre ce qu’est la vie avec Dieu. C’est également là qu’ils discerneront, dans le partage familial, ce qui devrait changer dans leur vie. Certains donnent au culte de famille une forme compassée et particulièrement sérieuse. L’expression culte de famille y contribue ; si elle rebute les enfants et constitue un frein à la manifestation de la joie et de la louange, autant en changer l’appellation. Évitons donc ce qui est ennuyeux pour les enfants, la monoton i e , la routine, et faisons preuve de créativité. Il existe maintenant des aides à la pratique du culte de famille qui ont une approche intéressante et proposent à la fois des thèmes variés et une pédagogie active. Il est particulièrement recommandé de faire des enfants des participants actifs en leur demandant de proposer des chants et des thèmes qu’ils prépareront avec ou sans votre aide, en fonction de leur âge. L’actualité de la famille et les situations vécues à l’école serviront utilement à intégrer l’éthique chrétienne dans les circonstances de l’existence. Certains parents trouvent utile d’avoir un thème mensuel articulé sur divers sujets : la doctrine chrétienne, les fruits de l’Esprit, la mission, des livres de la Bible, etc... Alterner les sujets bibliques avec des récits missionnaires, de fiction ou des allégories fera rebondir le rythme des
rencontres et renouvellera l’intérêt. Il est bon que ce soit le père qui anime le culte de famille, mais c’est une activité qui doit être très largement partagée avec la maman. Cette responsabilité peut aussi être déléguée ponctuellement à l’un des enfants. Il est important d’être soi-même, honnête et de partager certains problèmes. Le culte de famille offre la possibilité de donner le goût de la Parole de Dieu et de la prière. Il permet l’apprentissage de l’intercession. Les enfants peuvent établir leur propre liste d’amis, de membres de l’église, de missionnaires ou de prisonniers (à cause de leur foi) qui ont besoin du secours de la prière. Les parents devront veiller à faire des prières relativement brèves pour maintenir une écoute attentive des enfants. La prière en famille devrait être comme un bouquet que l’on offre à Dieu, où chacun s’exprime librement et courtement. Il est utile de choisir une heure, toujours la même. Outre la monotonie et une mauvaise animation, les difficultés du culte de famille viennent souvent des différences d’âge des enfants et de leurs rythmes d’activités différents. Il est parfois malaisé de trouver des thèmes qui captivent autant les petits et les grands. La télévision et le travail scolaire sont aussi les ennemis du culte de famille. Une erreur fréquente est d’en faire un temps marqué par une ambiance d’église mal adaptée au contexte familial. Les parents rigides dans leur pratique de la discipline risquent de renforcer chez leurs enfants une attitude de rejet qui conduira à l’échec. Un culte de famille quotidien est certainement une bonne chose, aussi longtemps qu’il est possible et compatible avec les activités des membres du foyer. Quand les enfants grandissent, il faut souvent davantage de souplesse. Comme le reste du vécu familial, le culte de famille est un sujet à aborder régulièrement lors des réunions de famille. Le culte de famille, quand il est pleinement expression de foi, de joie et de communion, marque les enfants (et les parents) d’une empreinte durable. Il constitue véritablement une bénédiction qui sera le plus souvent transmise à la génération suivante. n
Pour aller plus loin w Bertrand Audéoud travaille pour l’Association Famille je t’Aime, qui propose toute une gamme de produits : cassettes, livres, calendrier… soutenant l’expression de la foi en famille, mais aussi des week-ends “trappeurs” proposés aux pères et à leurs fils. L’occasion de vivre un temps privilégié
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grâce à des activités sportives “entre hommes” ; apprendre à se connaître, à dialoguer, mettre en place une complicité qui dure.
Contact : Association “Famille je t’Aime” 17 avenue Maréchal Foch • 68500 Guebwiller Tél : 03 89 10 11 • Fax : 03 89 62 11 00 www.famillejetaime.com
Livres w John Bunyan
Le voyage du pèlerin (histoire)
w Lire la Bible en Famille, Éd. LLB w Eberhard MUHLAN
Commencer très jeune (sur le culte en
famille), Éd. Échos de la joie
w Maïté Roche
Premières images de l’Evangile Éd. Fleurus Mame w Le livre de la foi des tout-petits, pour commencer le catéchisme en famille Éd. Fleurus Mame
Ecoutez-moi mes enfants,
et grandissez comme la rose plantée au bord d’un cours d’eau. Comme l’encens répandez une bonne odeur, fleurissez comme le lys, donnez
votre parfum, chantez un cantique, bénissez
le Seigneur pour toutes
ses œuvres.
Si 39, 13-14
S’ouvrir aux autres et à Dieu Témoignage
Christophe Blin
La paternité fait
partie de la vie consacrée Pour le Père Christophe Blin, la dimension paternelle de sa vie est un chemin de construction intérieure qui connaît différentes étapes.
Depuis mon entrée dans la communauté du Chemin Neuf en 1987, j’ai eu la chance de me trouver à plusieurs reprises dans des situations où j’ai expérimenté ce qu’être père veut dire. Pourtant ayant choisi le célibat consacré et répondu à l’appel au sacerdoce en 1990, je ne pensais pas à l’époque que je serais conduit à vivre une relation avec des enfants qui s’apparenterait, toutes proportions gardées, à celle qu’un père peut vivre avec ses enfants.
AAujourd’hui, j’en suis
très reconnaissant envers ceux qui m’ont permis cette expérience, en particulier les enfants, qui ont révélé la dimension paternelle de ma personnalité et plus largement celle inhérente au ministère sacerdotal. De plus la vie communautaire avec des familles et donc des enfants, telle qu’elle est vécue dans la communauté du Chemin Neuf, a représenté et représente encore aujourd’hui un élément très important d’équilibre personnel et affectif pour le célibataire consacré que je suis. Je fais souvent le constat que les deux états de vie traditionnels dans l’église (célibat consacré, mariage) se complètent et sont comme les deux faces de la même pièce d’or que serait la suite du Christ. À ce titre et comme célibataire consacré engagé dans une église où les familles prennent de plus en plus leur place, je vérifie à travers mon expérience des dernières années que la relation aux enfants n’est pas l’apanage exclusif des couples, mais bien un élément incontournable et constitutif de la vie consacrée. Toutefois, et c’est aussi l’enseignement que je retire de ces dernières années, il s’agit d’un chemin de construction intérieure qui demande du temps et, par conséquent de la patience et de la douceur avec soi-même, et passe par des étapes de joie comme de souffrance. En voici quelques-unes que j’ai pu relire et saisir comme des chances spirituelles sur mon chemin :
EEn août 1992,
soit deux ans après mon premier engagement au célibat, j’ai participé pour la première
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fois à une session Cana à l’accompagnement des couples. À la fin de la semaine a lieu la traditionnelle fête des retrouvailles entre les parents et les enfants, ce moment très beau et très émouvant où les enfants accourent vers leurs parents, qu’ils n’ont pas vu depuis une semaine, pour se jeter dans leurs bras. Ce spectacle, que je vis alors pour la première fois, et auquel je restais, par la force des choses, extérieur, provoqua une grande souffrance en moi. Pour la première fois, en voyant ces manifestations fortes de l’amour d’un enfant pour ses parents, je fus bouleversé et j’éprouvais ce manque inhérent au choix de vie que j’avais posé. Mais mon regard se posa aussi sur certains couples sans enfant et je ressentais en même temps une communion avec ces couples, une compassion, qui me permit de détourner mes yeux de ma propre souffrance.
AAprès mon ordination
sacerdotale en septembre 1997, la communauté m’envoya à Berlin comme vicaire dans la paroisse du Sacré Cœur au centre de la ville dans la partie orientale. Mon activité pastorale comportait entre autres la préparation à la première communion des enfants de la paroisse. Il s’agissait d’accompagner un groupe de 10 à 15 enfants de 8/9 ans pendant un an à raison d’une rencontre par semaine. Au fur et à mesure la crainte que je pouvais inspirer aux enfants, ne serait-ce que par ma grande taille et ma qualité de prêtre, qui éveille le respect en Allemagne, s’est transformée en une complicité et une confiance qui m’ont souvent étonné. Il n’était pas rare qu’un enfant s’ouvre à moi de tel ou tel souci ou me demande conseil sur la conduite à tenir chez lui ou à l’école. Je me souviens en particulier de Lukas, dernier fils d’une veuve ayant perdu son mari alors que Lukas n’avait pas encore un an. Je l’ai connu à mon arrivée à Berlin (il avait 8 ans) et nous avons cheminé ensemble pendant 6 ans. Car il s’agit bien d’un cheminement. En effet, notre relation faite d’affection paternelle/filiale, d’autorité/obéissance et d’amitié partagée était une source d’équilibre pour lui qui vivait seul avec sa mère
car ses frères et sœurs beaucoup plus âgés avaient déjà quitté la maison familiale. Exprimant rarement par des mots sa souffrance d’orphelin de père, il savait cependant traduire par des gestes son besoin d’une présence masculine à ses côtés. En marchant dans la rue, il n’était pas rare que je l’entende m’appeler : “Pater Christophe !” et courir vers moi, pour me serrer dans ses bras.
AAu cours de l’année
préparatoire à la première communion, la visite dans la famille des enfants pour un repas ou un goûter constituait une étape importante de notre relation. J’entrais en effet
quant à l’éducation d’enfants tout petits. J’ai constaté que ce n’est pas si facile de trouver la manière juste d’agir avec des enfants et qu’il n’y a pas de recettemiracle applicable à tous, mais il faut au contraire ajuster son autorité parentale à la personnalité de l’enfant. Comme frère en Christ à leur côté, j’ai pu aussi parfois aider Pia et Armin à prendre de la distance par rapport à ce qui leur semblait une impasse et à trouver ainsi une solution. Une fois par exemple, en l’absence d’Armin et devant la lassitude de Pia prête à “démissionner” devant sa fille, j’ai dû exercer une autorité quasi-paternelle sur Mirjam, qui a obéi à ce que je lui demandais, au nom de sa mère, et qui ne m’en a pas tenu rigueur. Bien au contraire, je crois que depuis cet
La relation aux enfants n’est pas l’apanage exclusif des couples mais est un élément incontournable et constitutif de la vie consacrée. Ici des célibataires consacrés de la Communauté prenant du temps avec des enfants de leur fraternité. dans la sphère familiale, je visitais la chambre de l’enfant, je manifestais mon intérêt pour lui, en lui posant des questions sur ses jeux, ses amis… Bref, non seulement il était proche de moi, mais je me faisais proche de lui. Il comptait à mes yeux. Je le reconnaissais pour ce qu’il était. Je dois dire que ces enfants que j’ai accompagnés pendant un an sont restés bien présents à ma mémoire et notre relation, qui parfois s’est poursuivie bien au-delà de l’année de préparation à la première communion (je l’ai constaté par les nombreuses attentions dont j’ai été l’objet à mon départ de Berlin), a été importante pour leur foi. J’ai contribué, de cette manière et à ma mesure, à leur engendrement à la foi.
LLors de cette étape
berlinoise de 6 ans, j’ai eu la chance de vivre en communauté avec une famille allemande pendant les 4 dernières années. À leur arrivée dans la fraternité de vie Armin et Pia Dellermann avaient une petite fille Mirjam de 7 mois. À mon départ, Mirjam avait presque 5 ans et ils avaient donné la vie à une autre fille, Anna (3 ans), et un petit garçon, Samuel (1 an). L’attente de la naissance ainsi que l’arrivée de ces deux enfants ont été pour moi des expériences très fortes, dans la mesure où vivant dans une petite communauté (6 adultes avec le couple) j’étais associé de très près à leurs joies et leurs soucis
événement, notre relation est devenue plus proche. Il n’était pas rare que, lors d’une promenade ensemble, la petite main de Mirjam vienne se glisser soudain dans la mienne… En côtoyant ces petits enfants et bien d’autres dans le jardin d’enfants de la paroisse, j’ai appris qu’il est important de prendre les enfants au sérieux, quel que soit leur âge, en particulier dans la manière dont je m’adresse à eux. Je suis un adulte et je leur parle en adulte.
JJ’aimerais terminer
ce témoignage avec un événement que j’ai vécu ces jours-ci qui me parle de la paternité. Alors que je me trouvais de passage dans une grande maison, où vivent de nombreuses familles de notre communauté, je déjeunais à la même table que plusieurs enfants et en particulier d’une petite Esther de 5 ans et demi. Au cours du repas, nous avons parlé ensemble. Je lui ai posé quelques questions car je ne la connaissais pas et elle a répondu. Quelques jours après, je recevais une lettre d’Esther avec un beau cœur multicolore, qu’elle avait dessiné pendant une soirée de réconciliation et qu’elle avait demandé expressément à sa mère de m’envoyer. Mystère de la relation avec un enfant ! Merveille de la spontanéité de l’amour donné ! Cadeau inestimable pour le célibataire que je suis ! n w Hors-série Pentecôte 2004 w FOI w
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S’ouvrir aux autres et à Dieu Approffondir
Serviteurs de la paternité divine
Relisant Gaudium et Spes et Familiaris Consortio, Alain Mattheeuws s.j., montre combien la parentalité est un véritable ministère, au sens fort du terme. Elle comporte réellement une dimension d’appel et d’épanouissement pour le couple. Depuis la création du monde, l’homme et la femme sont face à face et signifient en leur corps sexué une double modalité d’être-au-monde, d’être personne-don l’un pour l’autre. La reconnaissance de cette altérité est déterminante pour la prise de conscience de leur propre identité. Cette altérité, confirmée et particularisée par l’insaisissable différence sexuelle, est finalisée par l’amour. Aimer, c’est décider librement de se donner, de sortir de soi, de se quitter pour “connaître” l’autre dans ses différences qui sont richesses à découvrir, à assumer, à rencontrer. Ce don de soi à l’autre est “matière” de la liberté. Il touche le corps. Il engage dans les forces d’aimer toute la sexualité. Le don des corps atteint sa dignité et sa beauté dans l’écrin d’une promesse, d’un “oui” franc et libre de tel homme pour telle femme. Le choix de l’amour a un caractère raisonnable, même si certains traits de l’amour se révèlent folie pour ceux qui restent extérieurs au don, même si l’amour a des raisons qui le transcendent toujours. Par ailleurs, cette double figure de l’homme et de la femme qui s’aiment est toujours traversée de part en part par le désir “objectif” de l’enfant, présent dans l’élan des corps, les pulsions de l’imaginaire, le désir de l’autre, le don exclusif et total des libertés 1. L’enfant n’est pas seulement une “idée” de l’amour : il en est souvent la vérité. Il en est le plus souvent la “confirmation” historique. Dans l’histoire d’un couple, la conjugalité est travaillée et empreinte comme “naturellement” de la parentalité.
Une tradition Il n’est pas inutile de rappeler le dessein du Dieu créateur à l’origine pour mieux en comprendre l’actualité. Sa parole est un acte. « Dieu créa l’homme à son image. À
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l’image de Dieu il le créa. Homme et femme, il le créa. Dieu les bénit et leur dit : “Soyez féconds, multipliez, emplissez-la terre et soumettez-la”.» (Gn 1, 27-28) Dans cette relecture initiale inspirée de la condition humaine sexuée - comme dans les autres textes de la Bible -, les auteurs sacrés manifestent clairement le lien entre la conjugalité et la parentalité. L’homme est image de Dieu dans sa masculinité et dans sa féminité. Il l’est également dans l’union, c.-à-d. dans le couple qu’ils forment et qui reçoit la bénédiction divine (Gn 2, 24 : « Ils feront une seule chair »). Ce couple est dès l’origine ouvert sur le mystère de la fécondité divine. Cette fécondité n’est jamais abstraite ni virtuelle. Elle est enracinée dans l’histoire et s’incarnera dans des événements qui toucheront de près la vie du couple. La bénédiction de Dieu qui accompagne la création de l’homme et de la femme n’est pas étrangère à l’apparition de l’enfant, à la procréation et à l’éducation d’une famille, à l’articulation mutuelle de la conjugalité en parentalité. La parentalité n’est-elle pas toujours un lien religieux ? Elle lie à la vie, mais elle conduit ainsi au Maître de la Vie, au Nom de Dieu. C’est le même amour à l’origine qui fonde, pour l’homme et la femme, l’aptitude, la responsabilité, la mission d’être époux et parents. Cette bénédiction des origines imprègne toute l’histoire du salut. Elle traverse les peines et les joies, les angoisses et les passions, les péchés et les actes bons des couples qui s’aiment. Comme l’exprimaient plusieurs Pères du dernier Concile cette “image” et cette “bénédiction” originelles n’ont jamais été abrogées 2. “Le mariage et l’amour conjugal sont d’eux-mêmes ordonnés à la procréation et à l’éducation. D’ailleurs, les enfants sont le don le plus excellent (praestantissimum donum) du mariage et ils contribuent grandement (maxime) au bien des parents eux-mêmes” (Gaudium et spes n°50, 1) Cette évidence naturelle du lien entre l’amour conjugal et un de ses fruits - l’enfant - a été vécue et reconnue de manière différente selon les époques 3. Dans la réalité la plus ordinaire, l’acte conjugal contient in se la capacité à la fois concrète, symbolique, spirituelle, morale d’unir les époux et de poser les conditions de l’engendrement. Les diverses doctrines du mariage dans l’Église ont toujours manifesté ce lien “interne” : depuis saint Augustin et sa présentation des “biens” du mariage jusqu'à saint Thomas qui œuvrait à rendre compte des finalités du mariage, l’unité entre la conjugalité et la parentalité est toujours clairement enseignée. La possibilité technique plus accessible pour notre époque de distendre ce lien a ouvert l’horizon de
Signe de la présence du Christ dans l’humanité et dans l’Église, le mariage sacramentel transforme par grâce la relation conjugale et donne aussi son sens plénier à la paternité humaine. certaines cultures et la conscience individuelle à des questions nouvelles : dissociation entre paternité biologique, juridique, gestationnelle, adoptive, personnelle… Comment comprendre désormais la beauté et l’exigence de ce lien ? Comment être père et mère en vérité ?
La lumière du sacrement de mariage Signe de la présence du Christ dans l’humanité et dans l’Église, le mariage sacramentel transforme par grâce la relation conjugale et donne aussi son sens plénier à la paternité humaine. Le désir humain de l’enfant y trouve un “berceau” personnel pour “advenir” à l’être. L’acte conjugal est le “lieu” précis où tout être humain doit être conçu, porté, engendré, mis au monde et éduqué dans l’amour.
Sa préparation et sa réception Il est des couples qui ont des enfants avant de se marier. Il en est d’autres qui n’en ont pas voulu et qui ont pris des moyens adéquats ou non pour les éviter. Au moment où le désir de se marier civilement et religieusement devient une décision plus ou moins ferme, chaque couple est interpellé par le mystère du lien d’amour qu’il veut instituer et rendre public, ainsi que par la grâce sacramentelle qu’il demande à recevoir dans l’Église. L’amour qui les unit et qui les mène à cette décision d’entrer dans une institution civile ou religieuse a les traits plus ou moins conscients d’une ouverture à l’enfant. Des réticences ou des peurs, des calculs ou des prévisions peuvent marquer plus ou moins profondément la personnalité des futurs époux et leurs engagements. Il reste que la perspective sacramentelle pose clairement la question de l’accueil de l’enfant et de la manière d’y collaborer. Le sacrement est une grâce particulière qui identifie les époux au Christ et leur permet de mieux se comprendre comme époux et comme parents. Pour en approfondir la portée personnelle, il est nécessaire de mesurer les dispositions de cœur et de la liberté nécessaire pour l’accueil de cette grâce offerte en Église. Il est bon de rappeler que l’acceptation et la présence éventuelle de l’enfant sont une condition de validité de la réception du sacrement. Il n’est pas facultatif pour les futurs époux de se disposer librement à aimer jusqu’au bout et à laisser leur amour “être dépassé” par la conception et l’accueil d’un autre que le conjoint bien-aimé : l’enfant est substantiellement le fruit et le signe de leur amour. L’enfant témoigne de la vérité de la conjugalité. Il n’en est pas le critère absolu, mais son refus explicite oblitère la vérité de ce qui peut être promis par les conjoints. La conjugalité est à ce prix : elle est toujours unie à l’accueil de la parentalité. “Dans le foyer que vous allez fonder, acceptez-vous la mission d’époux et de parents”, dira le célébrant du sacrement pour manifester publiquement l’engagement des libertés dans cette aventure qui dépasse l’homme et la femme et les rend “coopérateurs” de l’œuvre créatrice de Dieu dans l’histoire. Les époux sont appelés à être responsables de la paternité de Dieu dans l’Église et
dans le monde. Quelle redoutable et fascinante proximité avec les sources de la vie ! Ils en sont les images concrètes et leur mission dans l’Église apparaît de plus en plus décisive pour la vie même de celle-ci. “Dans leur devoir qui leur incombe de transmettre la vie et d’être des éducateurs (ce qu’il faut considérer comme leur mission propre), les époux savent qu’ils sont les coopérateurs de l’amour du Dieu Créateur et comme ses interprètes. Ils s’acquitteront donc de leur charge en toute responsabilité humaine et chrétienne, et, dans un respect plein de docilité à l’égard de Dieu, d’un commun accord et d’un commun effort, ils se formeront un jugement droit. (…) Ce jugement, ce sont en dernier ressort les époux eux-mêmes qui doivent l’arrêter devant Dieu” (cf. Gaudium et spes n°50, 2). Ainsi est-il normal de constater chez les conjoints et les futurs parents la conscience d’une responsabilité aiguë en même temps que la joie et l’assurance en face du surgissement de la vie en eux.
Une donation libre de soi Dans de nombreuses cultures, le mariage est accompagné de rites de passage : ils témoignent de ce “nouveau départ” dans la vie pour le jeune couple. Quitte ton pays (Gn 12, 1), ton clan, ta famille pour une autre “terre”. Ce départ ne dissout pas les liens familiaux antérieurs, mais de nouvelles alliances sont conclues à travers cet “exode familial”. La grâce du sacrement opère aussi un “exode de soi” des époux : leur amour est appelé à devenir et à s’identifier à l’amour divin et à sa fécondité. Pour chaque membre du couple, ils ont à expérimenter que la source et le terme de leur amour n’est pas “eux”. L’amour conjugal n’est pas “cellulaire” ou “égotique”, il est “marche commune et pèlerine” de sa demeure corporelle et originelle vers la Maison du Père. L’exode de l’amour de soi est pour une extase nouvelle, gratuite : elle est une grâce où les époux expérimentent qu’ils ne s’appartiennent plus à euxmêmes, mais à Dieu d’abord (comme le souligne la grâce baptismale) et à l’autre et aux autres. Dans le dynamisme de la donation mutuelle, ils expérimentent que leur vie et leur corps ne sont plus seulement à eux et pour eux. Ils peuvent ainsi s’aimer en vérité car ils restent des sujets libres, mais s’aimer de l’amour même de Dieu qui pose son regard et agit sur notre w Hors-série Pentecôte 2004 w FOI w
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S’ouvrir aux autres et à Dieu Approffondir terre en eux et par eux. Le lien conjugal est un lien de grâce : Dieu y est présent de manière particulière et visible. La grâce est dans le corps des époux : elle se fait chair dans le quotidien de leurs relations. Elle peut aussi se faire “chair” dans la chair d’un enfant issu de la grâce et de leur don réciproque. Accueillir un enfant, c’est le vouloir : c’est s’ouvrir à la racine de son être, à la volonté de Dieu dans l’histoire. Les médiations corporelles, physiologiques, psychologiques, ne sont jamais niées : elles ont toujours à être situées dans le plan “gracieux” de l’amour divin présent personnellement dans l’histoire humaine. Les époux sont dit “coopérateurs, co créateurs, collaborateurs” de l’action divine. Il sont “lieu-tenants” du Créateur. Ils se tiennent devant le Créateur et l’enfant conçu ou à concevoir. Ils ne sont pas des “instruments mécaniques” de l’action divine, mais librement ils traduisent et interprètent l’amour bienveillant de Dieu pour l’humanité. L’action du Créateur et Père passe par eux, mais ils ne sont parents en vérité que s’ils reconnaissent leur humble place de créature. Cet amour n’est jamais abstrait, virtuel, conceptuel. Il concerne toujours les libertés qui s’offrent en conscience au dessein créateur et rédempteur de Dieu. La volonté parentale de procréer est coïncidence et complicité filiale des époux à la volonté divine. Tout hiatus dans cette conformité de volontés aimantes fait apparaître les limites humaines (refus injustifié de l’enfant) ou la puissance de Dieu qui assume les décisions étranges de l’homme (clonage, expérimentations sur les cellules embryonnaires). Si la beauté de la paternité humaine pâlit, Dieu en souffre, mais sa grâce demeure : Dieu continue à aimer l’homme et la femme tels qu’ils sont, tels qu’ils opèrent. Il prend en charge l’enfant quelles que soient les conditions dans lesquelles il vient à l’existence. La puissance de Dieu est vulnérabilité quant elle s’offre à passer par les mains de l’homme et de la femme. Cette puissance d’amour demeure victorieuse de toute mort dans l’histoire conjugale et parentale même quand la coopération humaine s’affaiblit ou se refuse. Dieu est prêt à assumer l’enfant-clone, l’enfant-médicament, l’enfantembryonnaire laissé pour compte : il montre encore et toujours à l’humanité le poids et la noblesse de l’amour parental, sa signification la plus profonde même à travers les aléas de la parentalité humaine. La grâce rédemptrice est à ce prix. Elle atteste au cœur de toute espèce de parentalité la puissance de vie et de résurrection de la paternité divine. Tout enfant a une destinée éternelle. Les parents sont appelés à vivre de cette
vérité, à la comprendre au fil de leurs relations conjugales, à en témoigner librement à travers les exigences morales et spirituelles des actes humains.
La mission en Église Autant le Concile Vatican II que les textes ultérieurs n’ont pas manqué de mettre en lumière l’importance ecclésiologique, morale, spirituelle de l’alliance conjugale. La famille est désormais une “ecclesiola” (ou “Ecclesia domestica”, Lumen gentium n°11) et la réalité que ses membres y vivent est à la fois exigeante, belle, stimulante. Figure de l’Église et de son mystère, de la relation aimante du Christ lui-même pour cette Église et pour l’humanité qu’il a sauvée, le couple et la famille ont une mission dans le monde. La fécondité de chaque couple est liée à la reconnaissance joyeuse et paisible de cette mission qui revêt des caractéristiques variées mais toujours personnelles. Transmettre la vie appartient à la mission commune des époux. La paternité et la maternité sont ensemble une participation à la paternité divine. L’acte conjugal, l’accueil et l’éducation de l’enfant, tous les gestes de la vie quotidienne de ce “sacrement permanent” sont des signes tangibles de la bonté et de la tendresse de Dieu pour les hommes. Jésus est venu sauver l’amour : les époux témoignent de cet amour qui sauve, qui donne la vie, qui en prend soin, qui la fait grandir et lui donne sur la terre une dignité éternelle. “Par ailleurs, que tous sachent bien que la vie humaine et la charge de la transmettre ne se limitent pas aux horizons de ce monde et n’y trouvent ni leur pleine dimension, ni leur plein sens, mais qu’elles sont toujours à mettre en référence avec la destinée éternelle des hommes.” (Gaudium et spes n°51) La vie et l’amour sont un don de Dieu, librement
Baptême au Burundi
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Le ministère des parents les conduit à transmettre à leurs enfants la vie même de Dieu, librement et avec confiance, en signe de témoignage rendu. Ainsi toute paternité est-elle à la fois humaine et spirituelle.
offert. Les parents sont appelés à interpréter en leur corps cette aptitude reçue d’engendrer la vie et d’accueillir dignement tout nouvel être humain. Cette “intendance” du créé passe par leur amour, corporellement, librement. Ils sont les interprètes et les témoins de cet amour divin qui féconde les temps et les personnes. La paternité est un véritable “service”. Dans l’Église, elle revêt la noblesse d’un ministère à part entière, confirmé par la grâce sacramentelle. Servir Dieu Notre Seigneur et par là sauver son âme 4 : cette phrase d’une antique tradition acquiert une actualité étonnante quand on la situe dans l’œuvre des époux. L’acte conjugal est une mission confiée : il se vit dans la promesse du mariage et s’atteste dans la fidélité des jours. La paternité et la maternité sont la reconnaissance joyeuse d’une fécondité à la mesure divine. Les enfants d’un couple sont à la ressemblance de ce couple, et plus encore à l’image du Dieu Créateur et Père. La joie offerte dans l’apparition de la nouveauté d’un être est participation réelle à la joie de Dieu. Toute vie humaine est un don de Dieu en même temps que le fruit d’une donation des époux qui les fait grandir dans leur masculinité et leur féminité. Ils en deviennent père et mère. Le don d’amour les révèle à eux-mêmes, les fait grandir dans ce qu’ils sont. La fécondité ne se réduit pas à la procréation, elle s’ouvre à l’éducation. Elle “s’enrichit de tous les fruits de vie morale, spirituelle et surnaturelle que le père et la mère sont appelés à donner à leurs enfants et, à travers eux, à l’Église et au monde” (Familiaris consortio n°28). Si les traits psychologiques, physiologiques, corporels de la paternité et de la maternité sont distincts dans l’espèce humaine, ils se rejoignent dans la qualité morale et spirituelle qu’ils manifestent. L’homme et la femme participent tous deux, en leur personne incarnée, de la paternité divine. Ils en jouissent. Ils en goûtent les exigences et les joies propres. La grâce suscite en eux des traits communs : patience, miséricorde, confiance, humilité, joie devant l’infinie singularité de leurs enfants. L’amour dont ils aiment leurs enfants est l’amour même de Dieu. Ils sont par leurs personnes qui sont “conjointes” dans le temps un vrai “sanctuaire de la vie”. Flux d’un don permanent qui les fait vivre, cet amour comble les parents à la mesure même de leur effacement, de leur abnégation, de leur reconnaissance de l’infini mystère de l’autre qu’est l’enfant, fruit de leurs entrailles. L’enfant est un “signe personnel” du don d’amour de Dieu dans le couple. Il porte l’empreinte du Don absolu qu’est son Créateur et Donateur de vie. Cette empreinte touche corporellement l’union conjugale et l’être parental. L’enfant est toujours un don. Quelles que soient les conditions dans lesquelles s’effectue sa conception, son apparition reste “signe” d’une réalité paternelle. Cette apparition est normalement liée à la “geste” sacramentelle du mariage, car aucune conception ne relève totalement de l’anonymat, de l’inconnu ou du hasard, mais toujours de la puissance créatrice de Dieu et de son Nom : “Père de toute éternité”. Le don qu’est l’enfant appelle toujours une reconnaissance à la mesure de ce qu’il est. L’ecclesia domestica est le lieu privilégié de cet accueil. Le sacrement de mariage invite “objectivement” tous les parents à considérer leur enfant comme une “image” unique et singulière de Dieu. Cette mission
d’engendrer mène à considérer l’enfant non seulement à travers ce qu’ils voient, mais ce qu’ils croient. Les parents sont chemin d’Église, chemin de foi : “Devenus père et mère, les époux découvrent avec émerveillement, aux fonts baptismaux, que leur enfant est dès lors enfant de Dieu, « rené de l’eau et de l’Esprit » (Jn 3, 5), et qu’il leur est confié pour qu’ils veillent certes sur sa croissance physique et morale, mais aussi sur l’éclosion et l’épanouissement en lui de l’« homme nouveau » (Ep 4, 24)” 5. L’enfant aimé d’une telle manière est “une infinité de mystère et d’amour qui nous éblouirait si nous le voyions face à face” 6.
L’amour des époux se vit par la foi dans le Dieu de vie. Leur paternité est responsabilité de la paternité même de Dieu. Cet amour va jusqu'à engendrer dans et pour la foi de l’enfant. La transmission de la vie conduit les parents à témoigner et donc à proposer cette vie comme une vie en Dieu et pour Dieu. Ne rendent-ils pas ainsi l’enfant à son Créateur ? Le ministère des parents les conduit à transmettre à leurs enfants la vie même de Dieu, librement et avec confiance, en signe de témoignage rendu. Ainsi toute paternité est-elle à la fois humaine et spirituelle. Elle mène à l’adoption filiale dans la foi. Être père et mère, c’est abandonner toute maîtrise sur l’enfant de la chair pour l’engendrer dans l’Esprit Saint. Ce chemin mène aux sacrements de l’initiation chrétienne et à la découverte étonnée en chacun des enfants d’une vie personnelle de la foi. La sainteté des parents est à ce prix : s’offrir comme sanctuaire corporel, spirituel, familial d’une vie qui vient d’au-delà d’eux-mêmes et qui retourne à son origine. Ce retour à Dieu est la porte étroite de tout amour purifié, qui s’offre à nouveau à Celui dont il dépend. Ce chemin est de sainteté. Être père et mère, c’est en vérité participer de la sainteté même de Dieu. Il ne faut pas chercher ailleurs une voie royale pour s’unir à Lui. Au cœur de toute paternité et de toute maternité, la sainteté brille des feux par lesquels l’homme et la femme se disposent à cet amour parfois vaille que vaille, avec confiance et vaillance, d’un cœur joyeux et courageux. Dans ce cas, la sainteté est toujours celle d’une histoire personnelle, conjugale, familiale dont le Christ est le seul critère vrai. Il en est le Seigneur et le Sauveur. n
1. On pressent les enjeux de cette affirmation lorsqu’on voit le développement culturel d’un refus de l’altérité sexuée et la défense partisane de l’homoparentalité. 2. Ph. Delhaye, La pastorale familiale dans l’optique de « Familiaris consortio ». Chapitre 1 : Les orientations fondamentales, dans Esprit et Vie 92, n°7 (18 février 1982) 101. 3. On trouvera la synthèse de cette évolution dans notre livre Union et procréation. Développements de la doctrine des fins du mariage, Paris, Cerf, 1989. 4. Nous faisons allusion au Principe et Fondement des Exercices spirituels de Saint Ignace, n°23. 5. Paul VI, Discours aux Équipes Notre-Dame, dans DC n°1564 (1970) n°10. 6. Ibidem.
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S’ouvrir aux autres et à Dieu Témoignages
Et la prière dans tout ça ? Deux mères de famille témoignent combien le fait de prier pour leurs enfants peut changer la vie, pour eux… et pour elles.
Valentine Hodara
S’en remettre à Dieu
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Valentine Hodara, mère de quatre enfants, fait mémoire de ce moment important où elle a pu remettre dans la prière un de ses enfants au Seigneur.
Marc et moi sommes parents de quatre enfants, trois garçons dont des jumeaux en premier, et une fille, née sept ans et demi après. Les trois garçons sont très proches les uns des autres et il y a eu une période de grande rivalité entre eux. Chacun a cherché sa place et l’a défendue fermement ! C’était difficile, notamment pour l’un d’entre eux, qui a trouvé sa place en se situant en opposition. Il a souvent marqué nettement la différence, en étant même parfois provoquant… Tout cela était douloureux pour moi, ce n’était pas ce que j’avais imaginé ; je rêvais d’une famille paisible, où les relations auraient été plus douces, plus respectueuses, plus harmonieuses… et c’était la “loi de la jungle”… Un jour, cet enfant, il avait alors 13 ans, a donné une gifle à un autre enfant, un voisin, plus jeune que lui. Cela paraît anodin, mais c’était significatif de certaines difficultés de relation avec les autres. C’était le 8 décembre. À Lyon, où nous habitions alors, c’est une grande fête, celle de l’Immaculée Conception, la fête de la lumière où tous les habitants mettent des lumignons sur le rebord de leurs fenêtres et se réjouissent ensemble. Mais, ce jour là, cet événement m’a rendue vraiment triste, j’étais ennuyée pour ce petit voisin et humiliée par ce geste public de mon fils. J’ai alors beaucoup prié pour lui parce que je sentais mon enfant malheureux et que nous, ses parents, ne savions pas toujours comment l’aider. J’ai soudain réalisé que jusque là, je remettais mes enfants au Seigneur, mais du bout des lèvres. Peu à peu, en priant, j’ai com-
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Espérance, Thuronyi ©
pris que la seule chose à faire était de tout remettre au Seigneur, de lâcher prise. Lui seul sait ce qui est le meilleur pour chacun et peut apporter son amour, sa paix. C’était douloureux, mais je n’avais que cela à offrir au Seigneur, parce que c’est ce qui m’habitait à ce moment là et prenait toute la place. Alors j’ai écrit une lettre à Dieu pour lui offrir cette difficulté, m’appuyant sur le geste de la veuve qui met deux piécettes dans le Trésor (Luc 21) et en espérant que le Seigneur viendrait habiter, sauver cette situation. Aujourd’hui, je peux dire qu’Il a permis qu’un chemin se dessine, qu’une porte s’ouvre pour cet enfant et pour notre relation. Un an après, ce dernier a eu une crise d’appendicite dont il a été long à se remettre (six semaines sans aller au collège). Nous avons beaucoup parlé, partagé, prié avec lui et avec Marc. Ce temps d’arrêt lui a permis de faire le point, de relire certains événements ou comportements… Ainsi, l’été précédant, il avait fait une session 14/18 ans avec la Communauté et découvert la réconciliation, l’amour, la miséricorde de Dieu. Cette longue convalescence lui a permis d’accueillir cette miséricorde, de se réconcilier avec lui-même, avec ses frères et avec nous. Nous nous sommes aussi réconciliés peu à peu avec lui, réapprivoisés. Notre relation a changé, elle a été renouvelée, il y a plus de vérité, de confiance et d’amour entre nous. Depuis, notre fils a beaucoup
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changé. Il est devenu attentif à chacun, plus ouvert, disponible et souvent même au service des autres. Quant à moi, j’ai mieux compris que le fait de remettre humblement au Seigneur des situations ou des relations difficiles permet de L’accueillir au cœur de tout cela et d’y vivre davantage avec Lui, notre Sauveur. Je pense alors souvent à ce que nous disons à la fin de la prière eucharistique : « Par lui, avec lui et en lui » et à l’offertoire, c’est vraiment une joie de renouveler l’offrande de ces
situations ou relations au moment où le Christ s’offre au Père. C’est en nous reconnaissant enfants bien-aimés du même Père et donc frères et sœurs de Jésus que nos relations ont pu s’ajuster, qu’un chemin de vie a pu s’ouvrir, alors nous en rendons souvent grâce ensemble comme un trésor précieux que nous sommes appelés à partager avec d’autres. n
Anne Lagemann
Entre mamans,
nous prions pour nos enfants Pour Anne Lagemann, prier et partager avec d’autres mères de famille a transformé sa façon d’être mère et porte des fruits au-delà de sa famille.
Cet échange et cette prière commune m’ont vraiment aidé à gagner en liberté et à “me décrisper” sur les questions d’éducation et d’autorité. J’ai réalisé que je n’étais pas la seule à éprouver des sentiments de culpabilité - cette petite voix qui susurre : “encore une fois, tu as été complètement nulle…” ; ou à vivre des tensions intérieures du genre : comment réagir quand votre “adorable bambin” se campe devant vous et, du haut de ses 2 ans, déclare avec aplomb : “Mama, du bist blöd !!!” (Maman, tu es une imbécile !!!)… sans parler des colères au supermarché du coin devant l’interminable rayon de sucreries, et moi de penser, en mon fors intérieur : “Après toute la peine que je me donne, voici le résultat !” Bref, ce temps de prière du
mardi matin m’a invitée à vivre le quotidien avec plus de distance et d’humour et à trouver une plus saine et juste attitude envers mes enfants, particulièrement envers Dominik qui, comme vous l’avez peut-être compris, traversait alors la “crise des deux ans”… ce qui nous demandait une patience d’ange que Tobias et moi n’avions évidemment pas !… Entre mamans, nous avons également prié pour la guérison de Nathanael, notre deuxième fils qui, dès les premières semaines de sa naissance, souffrait d’une allergie de la peau, ce qui perturbait beaucoup ses nuits et les nôtres ! Le Seigneur a entendu et exaucé notre prière : cette allergie a quasiment disparu. Il ne reste qu’une légère sensibilité aux mains, comme pour nous rappeler la grâce de Dieu et sa fidélité. Cette prière a aussi élargi mon regard et mon cœur et je pense souvent au tableau de Rembrandt du “fils prodigue” ou plutôt du “Père miséricordieux”, qui posant ses mains sur son fils courbé par les épreuves et l’échec, l’accueille après des années d’attente. Ces mains extraordinaires, l’une féminine, fine et sensible, l’autre masculine, forte et rassurante, me parlent beaucoup de Dieu et de son amour à la fois si paternel et maternel. Aujourd’hui, je goûte encore aux fruits de ces temps de rencontre où Dieu a marqué mon cœur. Je découvre toujours plus qu’être mère, être épouse m’invite à me recevoir encore davantage de Dieu le Père, à reconnaître mes richesses et mes limites, à accepter que j’aime maladroitement et que, décidément, je ne suis et ne serai jamais une épouse ou une mère parfaite. Enfin, un autre fruit, plus apostolique, de notre petit groupe de mamans est le démarrage d’un “Mütterbeten” (groupe de prière de mères) avec les mamans du jardin d’enfants. La grâce de Dieu se répand. n
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Nous avons vécu une expérience enrichissante, durant quelques mois, Pia, Regina et moi, les mères de famille de notre fraternité à Berlin. Interpellées par une initiative née en Angleterre, “Mothers Prayers”, où des mères de famille se rassemblent régulièrement et prient concrètement pour leurs enfants aux prises avec la drogue ou vivant de grosses difficultés, nous nous sommes mises à leur école, à l’aide d’un petit livret qui a guidé et structuré notre prière commune. Tous les mardis matins, nous nous retrouvions ainsi autour d’une tasse de thé, et nous avons pris le temps (entre deux biscuits !) de partager nos joies, difficultés ou attentes de mamans. Dans un deuxième temps, nous confions nos enfants au Seigneur, dans une prière libre et fraternelle. Pour moi, cela a été l’occasion d’expérimenter sous une nouvelle forme, la grâce du partage et du soutien fraternels. Jamais auparavant je n’avais pu, aussi concrètement, prier pour mes propres enfants, pour ceux de mes sœurs de communauté, ou encore pour les enfants de la paroisse ou du jardin d’enfants.
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S’ouvrir aux autres et à Dieu Entretien Famille et vie communautaire est-ce possible ? Quelles sont les implications d’un tel choix de la part de parents chrétiens ? Quels en sont les enjeux ? Vincent et Laurence de Crouy reviennent sur leur engagement dans la Communauté du Chemin Neuf.
La famille doit s’ouvrir
à plus grand qu’elle
Entretien avec Vincent et Laurence de Crouy Vincent est diacre permanent, responsable de RCF à Angers. Laurence est professeur de français. Ils ont sept enfants de 12 à 25 ans.
Que pouvez-vous nous dire de la relation vie de famille - vie communautaire ? Laurence : L’image que je donnerais
de la vie de famille articulée sur une vie communautaire, est l’image de poupées russes : la poupée intérieure représente la famille, la poupée extérieure la vie communautaire. Pour qu’elles s’encastrent bien, il y a quelques conditions à respecter : même forme, même centre, volume proportionné. Si une importance trop grande est donnée à la vie communautaire, alors la poupée intérieure va bringuebaler et ne plus être centrée, et
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des tensions apparaissent alors entre la vie communautaire et la vie familiale. Si au contraire, la vie familiale prend trop de place, alors elle ne peut plus s’encastrer dans la vie communautaire, et le danger pour elle est alors de se refermer sur elle-même ; elle ne peut pas se développer harmonieusement. Dans un cas comme dans l’autre, c’est le Christ qui est le centre. Toute notre vie de famille doit se former en fonction du Christ. Cela s’exprime de façon visible et explicite dans l’éducation mais aussi dans les choix que l’on pose en famille : une certaine façon de
vivre, le choix de certains critères de discernement… L’Évangile est notre repère.
Vincent :
Dans cette articulation, famille/communauté, un des critères de choix est le plus grand amour. Je m’explique : pour le moment, nous avons seulement trois enfants à la maison, les trois derniers qui se retrouvent seuls le mardi soir si nous allons tous les deux au groupe de prière conformément à notre engagement communautaire. Où se trouve le plus grand amour pour nous dans ce cas actuel ? Nous avons finalement décidé que je viendrais irrégulière-
ment à la prière pour le moment, afin de rester avec les enfants et de prendre du temps avec eux. Nous avons en effet constaté que c’est important que ce soit le père qui reste avec les enfants et qui profite de ce moment pour avoir des temps de conversation privilégiés avec eux. En fait, le choix du plus grand amour ce n’est pas forcément d’avoir une activité spécifiquement spirituelle, mais d’être avec dans le quotidien. C’est important pour les pères de se le rappeler, car nous sommes souvent dans le faire, dans ce qui se voit.
Un des risques quand les parents sont très engagés au niveau spirituel ou religieux n’est-il pas une certaine overdose pour les enfants ? Laurence : c’est exactement l’image
des poupées russes dont je parlais tout à l’heure ! Si la vie à l’extérieur au nom du Christ prend toute la place, les enfants ne peuvent pas se centrer autour du Christ. Nous devons faire attention aux “tentations sous apparence de bien” comme dit Saint Ignace. Sous prétexte d’engagement spirituel, on peut fuir un quotidien peu gratifiant : la cuisine, les courses, les lessives… pour une activité plus gratifiante. Or nos enfants sont don de Dieu pour nous les parents ; s’occuper de nos enfants, c’est s’occuper du don de Dieu. Nos enfants sont prioritaires. Cela peut s’avérer délicat en communauté, quand on est entouré de frères et sœurs qui reviennent tout heureux de leur mission comme dit l’Évangile, alors que moi je suis restée à la maison !
trop absolutisée, ni trop relativisée. Il y a un juste milieu à trouver. Ainsi, nos enfants ont d’autres lieux d’investissement que les groupes d’enfants communautaires de leur âge, même s’ils s’entendent très bien et que c’est important pour eux d’être avec d’autres enfants qui vivent la même réalité qu’eux. Nous sommes vigilants au fait qu’ils se reçoivent aussi dans le scoutisme ou dans le MEJ.
Laurence, vous avez été pendant plusieurs années mère au foyer, engagée dans la Communauté, aujourd’hui vous avez repris un travail salarié, que pouvez vous nous dire de ces différents moments ? Laurence : Aujourd’hui rester à la maison avec ses enfants quand on le peut est un signe très fort pour notre monde : on n’est pas dans une dynamique de reconnaissance sociale mais dans une dynamique d’amour.
“Notre propre famille doit être pour chacun de nous et pour les couples en particulier, le lieu privilégié de notre mission. Chaque couple veillera à l’unité et à la paix de la cellule familiale, véritable église domestique. Les parents veilleront à y entretenir une vie spirituelle fondée sur le partage, la prière, la réconciliation et la fête. L’harmonie entre les époux est don de Dieu sans cesse accueilli dans la prière au creux des épreuves comme des joies les plus profondes. Les conjoints prendront soin l’un de l’autre en se réservant régulièrement des temps de partage et de prière en couple. La vie de la Communauté, loin de mettre en péril l’harmonie conjugale, doit la renforcer. Elle procure en effet, un épanouissement et une ouverture de la vie familiale dont les enfants sont les premiers bénéficiaires. La vie communautaire est le soutien dont les familles ont de plus en plus besoin pour vivre et témoigner de l’amour évangélique.” Constitutions de la Communauté du Chemin Neuf, p.26.
Vincent : En ce qui concerne notre
engagement communautaire, lorsque nous interrogeons nos enfants sur les adultes qui les ont marqués, ils citent souvent des communautaires comme les ayant aidés à prendre la vie avec humour. Guy Coq, un philosophe chrétien proche d’Emmanuel Mounier, dit qu’il y a trois lieux d’éducation pour les enfants : l’école, la famille et le tiers-lieu. Dans ce tiers lieu il y a aussi la communauté, mais pas seulement. C’est important que ce ne soit pas le seul lieu de référence, qu’il soit positif ou négatif. Il ne faut pas que la communauté soit
Vivre ensemble la fraternité Bien évidemment, les enfants ne s’engagent pas dans la Communauté, mais ils en font vraiment partie pour la simple et bonne raison “qu’ils sont proches de Jésus, que Jésus les aime et qu’ils sont réceptifs à un climat de paix, de vérité et d’amour”. Adultes et enfants trouvent chacun leur manière et l’occasion de prier ensemble, lors de temps familiaux mais aussi durant des offices liturgiques adaptés à la présence des enfants. Les soirées de réconciliation ouvrent des possibilités variées de vivre des rencontres en vérité les uns avec les autres.
Pour chacun, la pratique du pardon est essentielle. “Non seulement il faut savoir pardonner 77 fois 7 fois, mais encore il faut demander pardon aux enfants de nos erreurs et leur apprendre à faire de même. Les adultes sont présents comme collaborateurs de Dieu pour aider l’enfant à écouter la Parole de Dieu et la mettre en pratique, pour apprendre avec l’enfant à devenir frère ou sœur en Christ”. « Oui, il est bon, il est doux pour des frères de vivre ensemble et d’être unis ! » Ps 132 w Hors-série Pentecôte 2004 w FOI w
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La fête « Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur, je le dis encore, réjouissezvous. » Phil 4,4 Au cœur de la Communauté, les enfants sont au centre des fêtes. Ils apprennent avec les adultes à se réjouir ensemble autour du Seigneur. “La fête est pour eux une nécessité vitale, une respiration communautaire qu’ils apprécient plus que nous encore… Ils peuvent nous réapprendre le chemin de la confiance et de la joie.”
Mais n’y a-t-il pas un risque d’idéaliser la mère au foyer comme la bonne mère qui se consacre à sa famille contrairement à la femme insérée dans le monde ? Laurence : La communauté m’a permis de ne pas tomber dans ce piège de la famille pour la famille. C’est le cas de la poupée intérieure trop grosse pour s’insérer dans l’autre. Il y a là un véritable piège qui consiste à se replier pour soi à la maison, derrière ses enfants. Or la famille nous projette toujours vers l’extérieur : l’école, les voisins, la paroisse… La communauté m’a donnée une mission, un travail qui m’a mise en relation avec l’extérieur en faisant appel à mes capacités intellectuelles. Je me souviens d’une expérience qui m’a beaucoup marquée : j’étais enceinte de sept mois et l’on m’a demandé de parler devant les célibataires consacrés de la Communauté. Que leur dire ? Je suis très marquée par Thérèse de Lisieux car pour elle l’essentiel c’est l’amour. C’est Jésus qui aime à travers tous les petits gestes d’amour. Et en tant que mère de famille, je me dis, pourquoi ne pas la prendre au pied de la lettre ? Je suis beaucoup restée à la maison avec mes enfants en méditant sur cette question des petits gestes d’amour, cette vie cachée de Nazareth comme on l’appelle parfois. C’est ainsi qu’une fois j’ai calculé la longueur de couche utilisée pour mes enfants. En évaluant à peu près la longueur d’une couche, et en établissant une moyenne de consommation journalière sur deux ans et demi 62 w FOI w Hors-série Pentecôte 2004 w
par enfant, j’obtenais une longueur d’environ 22 km en les mettant bout à bout. Je m’étais alors dit : “c’est vraiment comme un pèlerinage d’amour que le Seigneur me donne de vivre.” Aujourd’hui, mon activité de mère est surtout caractérisée par l’écoute de grands jeunes en recherche à travers mes élèves, les jeunes que je côtoie. Pour moi, c’est une autre manière de poursuivre ce pèlerinage d’amour. Je crois que nous les mères nous portons cela : cette marche d’amour avec nos enfants vers Dieu.
Comment trouver un équilibre entre ces deux modèles : celui de la femme au foyer et celui de la femme qui travaille ? Laurence : La foi nous aide à trouver
cet équilibre. Bien sûr, on n’évalue pas toujours bien les choses et on se trompe parfois. Ce qui est nécessaire, c’est d’oser être dérangé par l’EspritSaint. On ne sait jamais ce qui peut être semé à tel ou tel moment, lors d’un déménagement pour se mettre au service du Seigneur par exemple. On ne sait pas quel fruit un tel événement peut porter. Nous ne sommes pas le premier maillon ! Ce n’est pas nous mais Dieu qui décide ce qui est bon pour nos enfants ! Il y a toujours un discernement à opérer. Un second critère réside dans le fait que ce n’est jamais la famille pour la famille ; il y a un avant qui est Dieu. Vincent : Il s’agit toujours de ne pas se tromper d’absolu : nos enfants
ne sont pas un absolu. Un jour ils partiront. Khalil Gilbran a raison lorsqu’il dit que “nos enfants ne sont pas nos enfants.” Quand nous sommes entrés dans la communauté, une des craintes de notre entourage était que l’on nous prenne à nos enfants. Or les enfants ont surtout besoin d’un climat d’amour : que les parents s’aiment et qu’il y ait une liberté dans la relation parents-enfants : la réussite des enfants n’est pas l’absolu de la réussite du couple et de la famille. L’absolu c’est Dieu. Il est faux de dire que ma réussite passe par celle de mes enfants. Il faut une distance.
Quand on choisit d’avoir sept enfants, n’est ce pas déjà une prise de distance par rapport à la perfection ? Laurence :
Sans doute. Chez moi, pendant des années, le ménage n’était pas toujours bien fait, et c’était parfois une source d’humiliation. Contrairement à certaines familles suréquipées, nous avons un seul ordinateur pour tout le monde ; les vélos étaient achetés à Emmaüs et les enfants avaient honte de notre vieille 505 familiale, alors que celle-ci était perçue avec sympathie par leurs copains quand je venais chercher tout ce petit monde à l’école.
Comment réagissiez vous face à ces réactions de vos enfants ? Vincent : On accordait à ces
reproches l’importance qu’ils méri-
taient en pointant avec humour cette attention à l’apparence. Maintenant, ils sont passés à autre chose. Je peux quand même raconter ce qui s’est passé quand j’ai été ordonné diacre l’an passé : un de mes enfants n’osait pas trop en parler à ces amis ; or la presse en a fait ses gros titres à Angers et il s’est fait interpeller à l’Université par ses amis qui lui disaient : ton père a été ordonné diacre, c’est super… Il a alors pris conscience du regard qu’il posait sur nous et cela a été très fructueux. Il a aussi compris qu’il n’avait pas suffisamment confiance en ses amis !
On peut quand même dire que les enfants portent parfois douloureusement l’engagement chrétien des parents et qu’ils vivent parfois une véritable persécution de la part de leurs camarades de classe ? Comment les avez-vous aidés ? Laurence : C’est difficile à gérer car ils n’osent pas en parler et culpabilisent d’être malheureux. Parfois on sent les choses et alors on en parle, mais ce n’est pas toujours le cas. La présence d’autres adultes est alors importante. Pour les parents, il y a de toute façon un pas de confiance à poser qui est de croire que leur engagement chrétien portera du fruit pour leurs enfants. Aujourd’hui, je me rends compte que nos aînés par exemple, font des choix de service dans leur orientation professionnelle. C’est vrai qu’il y a une blessure pour nos enfants, infligée non pas par nous mais par la société qui n’admet pas d’autres choix que ceux qu’elle propose. Il s’agit de bien repérer d’où vient la blessure et de leur donner les moyens de la dépasser. Ils font leur chemin spirituel chacun à leur rythme et à leur façon.
Laurence :
Les enfants peuvent rétablir les choses par eux-mêmes quand ils sont en forme, mais passent aussi par des moments de ténèbres.
Vincent : les autres adultes peuvent beaucoup les aider dans ces moments-là. Je pense en particulier à une de mes sœurs, très proche de nous, qui a beaucoup aidé nos enfants par rapport à notre engagement communautaire. Comment gérez-vous le rapport vie communautaire - société dans votre famille ? Laurence : Il faut être vigilant et ne
pas couper nos enfants de la société tout en n’entrant pas dans les excès de l’hyper consommation et de la mode. Le rôle d’une famille est d’être insérée dans le monde. J’enseigne dans l’enseignement public et c’est une respiration pour les enfants. La vie communautaire est la seconde poupée russe, mais le monde est la troisième. La famille est aussi le levain dans la pâte. Nous sommes là pour être parole d’amour dans le monde. Je suis frappée, dans les contacts que j’ai dans le cadre de mon travail, que beaucoup, enfants
comme adultes, ne connaissent pas l’amour. Pour revenir à cette dimension de Nazareth dans la famille, je me souviens d’un moment très important que j’ai vécu il y a quelques années : j’avais fait une machine à laver de chaussettes - 5 Kg de chaussettes, vous imaginez un peu c’est long à étendre ! Je l’ai fait en récitant mon chapelet pour tous ceux qui travaillent à la chaîne et passent leur journée à faire le même geste répétitif, et ce fut vraiment un temps de grâce pour moi. Ce geste aride et solitaire devenait communion avec ceux qui vivent la même chose. Ce fut un moment de profonde fraternité et intercession pour eux. Pour moi, une des grâces de la famille est de vivre des moments comme cela où l’on rejoint ceux qui font des choses cachées qui ne brillent pas. Dans notre monde, tout doit être brillant, il faut séduire. Face à cette séduction, “la vie à Nazareth”, les petites choses du quotidien, permet de découvrir la véritable valeur de la vie.
Vincent :
Nous sommes immergés dans la société. Il est important d’avoir une parole de vérité sur le monde qui nous entoure : apprendre à analyser la situation politique, économique. Cela n’a rien à voir avec
Vincent :
Et en même temps, les enfants savent aussi se situer ! Je me souviens de la réaction d’une de nos filles en sixième face à un professeur qui avait longuement pris position par rapport au fait qu’aujourd’hui les parents choisissaient d’avoir au maximum deux enfants afin de pouvoir davantage voyager… Elle a réagi en disant qu’elle avait six frères et sœurs et que nous voyagions souvent, que nous faisions plein de choses.
Servir La vie communautaire est constituée de multiples services quotidiens auxquels chacun participe à sa manière et qui sont autant d’occasions pour grandir ensemble dans l’amour fraternel. Dans le même esprit, les jeunes de la Fraternité 14-18 s’investissent dans des projets auprès de personnes âgées, des handicapés, ou encore dans des projets de développement. w Hors-série Pentecôte 2004 w FOI w
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S’ouvrir aux autres et à Dieu Entretien un discours pieux. En famille, on regarde les informations télévisées puis on en discute. De même, nous poussons beaucoup nos enfants vers l’autre, le différent, l’étranger.
Quel est l’apport de la vie communautaire pour la famille, que ce soit la fraternité de vie ou la fraternité de quartier ? Vincent : Tout d’abord, je crois qu’il
y a un charisme de la communauté qui a imprégné la vie de la famille, quel que soit le choix ultérieur des jeunes. Ainsi, je vois que certains de nos enfants sont profondément engagés dans le service des autres. Pour nous, nous sommes parents toute notre vie et nous ne cessons d’espérer que ce qui nous fait vivre fera aussi vivre nos enfants.
Laurence : Nous avons vécu dix ans
en fraternité de vie, et cela fait maintenant six ans que nous sommes en fraternité de quartier à Angers. Il est bon de pouvoir passer de l’un à l’autre, à condition qu’il y ait des exigences de rencontre, de vie liturgique bien posées dans la fraternité. Nous sommes très heureux de ce que nous vivons à Angers, où il y a à la fois la dimension de Nazareth mais aussi la convivialité fraternelle. Par exemple, nos enfants ont quasiment chacun un adulte de la communauté avec qui ils ont une relation privilégiée, à des niveaux différents : simple vis-à-vis ou confident, voire accompagnateur spirituel, ou marraine de confirmation. C’est précieux pour eux et pour nous aussi. Ce passage a été bon pour nos enfants et vis-à-vis de nos familles. Il manifeste notre capacité à vivre de façon autonome, ce qui les a beaucoup rassurés. Je crois que nos choix de vie invitent nos enfants à une véritable réflexion sur leurs propres choix : c’est plus facile de suivre des parents qui vivent une vie banale et ordinaire plutôt que des parents qui vivent un appel particulier. n
4 questions au père Bertrand Fayolle, responsable de Cana en France
Cana, une aide pour les couples et la famille FOI : Redites-nous en quelques mots ce qu’est Cana ? B.F. : Depuis 1980 près de 20000 couples dans plus de 40 pays ont vécu une semaine qu’on ne fait qu’une fois dans sa vie et qu’on appelle une Session Cana. C’est une occasion unique pour les couples - ceux qui vont bien comme ceux qui vivent une difficulté - de se rencontrer, de faire le point, de renouer le dialogue et de retrouver leur unité. Comme accompagnateur, on ne se lasse pas de voir concrètement le Seigneur à l’œuvre, réconcilier et transformer l’eau en vin des noces ! Ces sessions s’adressent à tous les couples, quelle que soit leur dénomination ecclésiale : catholiques, orthodoxes, protestants… Durant les sessions d’été, les enfants sont pris en charge par des animateurs. Ils vivent eux aussi un cheminement adapté en fonction de leur âge. Par ailleurs, les week-ends et Sessions Cana Fiancés, nées à la demande de jeunes souhaitant se préparer au mariage rencontrent de plus en plus de succès auprès de tous ceux qui veulent choisir de s’aimer dans le temps et la fidélité en bâtissant leur vie sur le roc. FOI : Proposez-vous aussi des sessions aux personnes séparées ou divorcées ? B.F. : Oui tout à fait ! Depuis 1990 existent les Sessions Cana Espérance qui sont l’occasion de vivre un temps de réflexion, de partage et d’ouverture à Dieu à travers la prière et la rencontre des autres, en s’ouvrant à la miséricorde et en accueillant une nouvelle espérance. Ces sessions s’adressent aux personnes demeurées seules après leur séparation. Nous proposons aussi aux couples dont l’un des deux conjoints où les deux ont
vécu un remariage après divorce un cycle de formation Cana Divorcés-Remariés avec des week-ends ou semaines spécifiques. C’est l’occasion d’ouvrir un chemin de réconciliation dans les relations familiales et de restaurer un lien souvent très blessé avec l’Église. FOI : Une fois vécu une Session Cana, que proposez-vous aux couples qui désirent poursuivre un cheminement ? B.F. : À la suite de la Session Cana, les couples peuvent s’engager dans la Fraternité Cana qui rassemble des couples désireux d’accueillir plus profondément la grâce de leur mariage. Prière, partage en petites fraternités locales et formation chrétienne solide (3 week-ends et une semaine de retraite ou de formation par an) forment les 3 piliers pour consolider le couple et la famille. D’autre part durant toute l’année, Cana propose des week-ends ouverts à tous, à vivre en couple et avec les enfants, dans toute la France. Les thèmes fondamentaux de la vie du couple et de la famille sont abordés comme : Comment être parents ? Vie de famille et travail, Tendresse et sexualité… FOI : Quelle nouveauté proposez-vous cette année ? B.F. : Pour cet été - car d’autres surprises sont prévues pour la rentrée ! - Cana Famille, une nouvelle session à vivre obligatoirement en famille ! La relation parents-enfants sera au cœur de cette session qui alliera détente, sport, jeux, contes, chants, musique, spectacle, cinéma mais aussi enseignement, partage, prière et miséricorde… et tout cela sur le site exceptionnel de l’Abbaye de Sablonceaux à 20 minutes de l’océan. n
Pour cette nouvelle session Cana Famille, Cana fait appel à la Providence ! Tables de ping-pong ; baby foot ; des jeux de boules lyonnaises, de pétanque, jeux de quilles, de croquets ou de grenouilles, bacs à sable ; balançoires ; cannes à pêche… Nous recherchons aussi des talents de bricoleurs pour confectionner des pions en CP de 1,5 mètres pour damiers autres jeux de société grandeur nature !
Secrétariat Cana • 10 rue Henri IV • 69287 Lyon cedex 02 Tél 04 78 42 10 66 • Fax 04 78 92 71 27 • canafrance@chemin-neuf.org
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Bibliographie Soigner l’anorexie Colette Combe Éd. Dunod, collection psychothérapies, 2002
Au bout de 25 ans de suivi d’adolescentes qui souffrent de cette maladie, Colette Combe a choisi de témoigner pour dire que l’anorexie est une maladie dont on guérit. Certaine de ses patientes sont aujourd’hui mères d’adolescentes. Dans ce livre qui peut être lu par tous : les malades qui en souffrent comme par ceux qui les soignent : leur famille, les médecins, les aides-soignants… elle décrit le processus de guérison, du soin. L’anorexie est une crise existentielle. On en guérit si l’on trouve du sens à sa vie. Voir le chemin de qui s’en sort c’est voir quelqu’un qui renaît, qui naît à lui-même pour la première fois, qui ose regarder les choses en face et se déterminer. En octobre 2004 sortira Soigner la boulimie.
Transmettre la foi en famille ! Ludovic Lecuru, Éd. de l’Emmanuel, 2004
L’approche du Père Lecuru, moine de l’abbaye Saint Wandrille, est philosophique et théologique. S’appuyant sur les derniers document du magistère catholique, il organise son ouvrage en trois parties : transmettre, la foi et en famille où il pose les fondements existentiels philosophiques de chacun de ces concepts souvent mal perçus dans la société occidentale actuelle, alors que ce sont des réalités importantes où s’exerce la responsabilité des chrétiens. La troisième partie est une belle reprise de Familiaris Consortio et manifeste combien la famille est lieu de sainteté pour chacun de ses membres.
Guide Totus des GrandsParents Marie-Madeleine Martinie Éd. du Jubilé, 2003
Dans ce petit guide au format poche, l’auteur aborde, en autant de chapitres, différents aspects de la relation grands-parents/petits enfants, allant de la relation avec les gendres et brus à la transmission des valeurs, en passant par le rôle spécifique du grand-père ou de la grand-mère et la question du décalage de société. Un livre qui n’est pas seulement destiné aux grands-parents mais qui peut aider tout chrétien à se situer dans sa responsabilité d’éducation ou d’autorité (au sens étymologique de ce qui permet à l’autre de grandir et devenir soi-même) vis-à-vis des enfants.
Tu as du prix à mes yeux Mariève Penouel Éd. Saint-Paul, 2002
16 témoignages de jeunes femmes en butte à la question de garder ou non l’enfant qu’elles portent et qui ont choisi de le garder. “De soi un enfant ne peut jamais être un drame mais une espérance. C’est nous qui projetons sur lui nos désordres et nos égarements. Comment pourrait-on rendre responsable un petit être qui n’a pas encore conscience de sa propre existence ?” déclare le docteur Anthonioz dans la préface, donnant le ton de ce recueil. Quelques adresses d’associations pour la défense de la vie, citées à la fin de l’ouvrage sont susceptibles d’aider ceux et celles qui se trouvent face à une grossesse non prévue ou non désirée.
Cassie… du satanisme au choix de Dieu Misty Bernall Éd. Nouvelle Cité
Cassie Bernall est une des victime de la tuerie survenue dans un collège américain en 1999. Suite à son décès, sa mère Misty a écrit ce livre où elle relit leur relation, et surtout comment son mari et elle, chrétiens convaincus, ont réagi pour sortir leur fille d’un groupe violent et satanique où elle avait été entraînée par une amie. Cassie avait ensuite rencontré un groupe de jeunes chrétiens grâce à qui elle avait pu établir une relation vivante et personnelle avec le Christ. Ce témoignage, qui s’adresse à des adolescents mais aussi à leurs parents, est un appel à oser témoigner et vivre la foi en famille en s’appuyant sur une communauté vivante et priante.
Y a-t-il encore un père à la maison ? Jacques arènes Éd. Fleurus, 1997
Dans ce livre format de poche, l’auteur, psychologue et psychanal y s t e , brosse le portrait des pères d’aujourd’hui, leur place, leur r ô l e . Il prend en compte les situations nouvelles auxquelles la paternité est affrontée quand le couple se dissout. À travers de multiples exemples qui rendent la lecture attrayante, sont traitées diverses questions : qui est celui qui dit la loi ; qu’attend l’enfant de son père ; quel type de présence celui-ci est appelé à assumer.
Peut-on faire le bonheur de ses enfants ? Collectif Éd. de l’Atelier, 2003
Un psychanalyste, une pédopsychiatre et une femme rabbin libérale prennent position de façon complémentaire pour répondre à cette question selon une approche psychanalytique qui met en évidence l’importance du rejet de l’inceste comme tâche fondamentale des parents vis-à-vis de leurs enfants. On peut être surpris de la lecture psychanalytique faite des premiers chapitres de la Genèse, lecture qui relit “la faute” comme provenant de la volonté de Dieu voulant faire passer Adam et Ève à l’âge adulte, c’est-à-dire dans une relation d’autonomie vis-à-vis de lui. w Hors-série Pentecôte 2004 w FOI w
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bibliographie Passeurs de vie, essai sur la paternité Transmettre l’amour Paul Lemoine Éd. Nouvelle Cité
Après avoir lu ce livre de bout en bout, j’y reviens ponctuellement pour répondre aux questions qui se présentent à moi : l’allaitement , l’apprentissage des la propreté, la gestion des colères, caprices, disputes, les étapes du développement de l’enfant, l’autorité juste… J’ai confiance dans ce pédiatre chrétien et lui-même père de onze enfants ! Cet ouvrage me fait remettre en question ma manière d’agir et de réagir envers mes enfants en bousculant l’ordre de mes priorités. À partir d’exemples concrets pris dans son expérience professionnelle ou familiale, l’auteur donne des conseils pleins de bon sens, l’objectif premier de l’éducation étant… de transmettre l’amour ! B. Le Callennec
Pleurer l’enfant que je n’ai jamais connu Kathe Wunnenberg Éd. Famille je t’aime, 2004
Traduit de l’américain par une jeune femme qui venait de vivre la perte brutale de son bébé, ce livre propose un cheminement en 31 étapes, basées sur l’expérience personnelle de l’auteur qui a vécu plusieurs fausses couches. Chaque étape est caractérisée par un témoignage personnel, suivi de références bibliques et de quelques questions personnelles destinées à promouvoir ce travail de deuil.
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Xavier Lacroix Éd. Bayard, 2004
Xavier Lacroix élabore dans ce livre des propositions pour donner sens à la paternité et lui fournir des repères. Pour ce faire, il dialogue avec les sciences humaines et la littérature, éclairant le sens de la différence entre paternité et maternité du fait de la différence sexuelle, articulant le parental et le conjugal mais aussi le charnel et le spirituel. La paternité ne s’appuie pas seulement sur la relation entre le père et son enfant, mais sur bien d’autres liens, en particulier la référence à Dieu, le seul Père, et la réalité de la différence sexuelle.
Autorité et dialogue Quelques repères pratiques à l’usage des parents Vincent Laupies Éd. Le Laurier, 2002
Comme l’annonce le titre, ce petit livre propose en quelques pages des repères simples pour la vie de tous les jours. Pour l’auteur, psychiatre et psychothérapeute, l’autorité ne s’oppose pas au dialogue, mais exercée de façon équilibré, elle crée au contraire les conditions de son apparition.
Quand l’enfant se fait attendre Michel et Marie Mornet Éd. de l’Emmanuel, 2004
Confrontés douloureusement au fait de ne pouvoir avoir d’enfants, Michel et Marie Mornet ont écrit ce livre pour tous ceux qui traversent cette épreuve mais aussi pour leur entourage. Dans une première partie ils abordent avec délicatesse les aspects pratiques et psychologiques auxquels les couples sans enfants sont confrontés. La deuxième partie dévoile les différentes possibilités d’ouverture et de fécondités qui peuvent se présenter. La troisième enfin manifeste comment la foi peut ouvrir un chemin inattendu de vie au cœur de cette réalité. En annexe, un document de Pierre Protot prêtre et médecin, fait le point dans un langage à la fois simple et précis sur les aspects médicaux et éthiques. Un livre profond et bien écrit qui est un véritable témoignage de foi et ouvre à la compassion.
Comment aimer vraiment votre enfant Dr Ross Campbell Éd. Orion
Le Dr Campbell a constaté que si les parents aiment leurs enfants, ils ont souvent du mal à le leur m a n i f e s te r. Pour cela, il met en évidence différentes attitudes de communication allant du regard à la discipline destinée à manifester cet amour et à en faire le fondement de l’éducation de l’enfant. De nombreux exemples repris de son expérience de père ou de psychologue rendent ce livre facile à lire et concret malgré certaines lourdeurs inhérentes à la traduction de l’américain.
Les pères et les mères Aldo Naouri Éd. Odile Jacob, 2004
L’auteur, pédiatre, livre ici une réflexion illustrée par des exemples tirées de son expérience clinique sur les rôles paternels et maternels, masculins et féminins des pères et des mères. Reprenant le mythe du premier meurtre développé par Freud et l’importance de l’angoisse de la mort qui en a résulté, il réfléchit sur la mise en place de la loi de l’inceste au cours de l’histoire et selon diverses modalités variant selon les cultures, ainsi que sur la relation au temps, différent pour l’homme et la femme qui détermine une relation différenciée à l’enfant. L’enfant-roi est pour son malheur, le résultat du déséquilibre instauré entre ces rôles au profit du pôle féminin et maternel.
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Les vrais regards d’amour sont ceux qui nous espèrent. P. Paul Baudiquey