e par la é it d é e u v re in Neuf m e h C u d uté 0€ Communa 2020 - 5,5 vril-mai 64 mars-a
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3 éditorial 4 dossier :
Sicile, terre d'accueil
14 œcuménisme 15 ∙ De la peur à la responsabilité, comment entrer en hospitalité ?, F. de Coninck 19 ∙ Bienvenue ! Wilkommen ! Welcome !, Sr Kinga Lakatos
20 formation chrétienne 21 ∙ La première place aux derniers, P. Stephan Buchs 24 ∙ A partir de son dessin, regarder le jeune migrant "bien dans les yeux", N. Paté 28 ∙ Une histoire d'accompagnement, J-P. Carré
30 fraternité œcuménique internationale 31 ∙ L’étranger et le pauvre dévoilent l’humanité, A. Vanhems 32 ∙ Une amitié qui porte des fruits, P. F. Bertacchini 34 ∙ La joie du service, P. & A-M. Goudeseune 35 ∙ Un grand Merci. M. Vetö & A-S. Gibert
La revue FOI (Fraternité œcuménique Internationale) est publiée par la Communauté du Chemin Neuf - 10 rue Henri IV - 69287 Lyon cedex 02
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directeur de la publication : P. François Michon, directeur délégué : Jean-Charles Paté, rédactrice en chef : Pascale Paté, comité de rédaction : Prisca Horesny, Kinga Lakatos, Paulina Pasternak, P. Gabriel Roussineau, Estelle Sogbou, Guillaume Viennot crédit photos : fotolia.com, Yann Piriou, ccn couverture : Etienne Lachand abonnement : Véronique Piton, gestion-administration : ACN, maquette : Paolo Fausone, réalisation pao : Stanisław Jamróz, impression : Imprimerie Chaix Dépôt légal : décembre 2017, CPPAP : 0320 G 833338, ISSN : 1770-5436
éditorial
Une triple ouverture de cœur Père François Michon Berger de la Communauté du Chemin Neuf
L’office pour l’Unité de ce jeudi 20 mars 2020 a pris une résonnance toute particulière, au moment où toute l’Europe et bien d’autres pays dans chacun de nos continents entraient dans une période de confinement face à la pandémie du Covid-19. Cet office retransmis en direct sur le web nous a réunis très nombreux de tous nos pays. Nous mesurons sans doute davantage aujourd’hui ce que signifie le réseau de prière Net For God, appelé à enserrer la terre, à porter le monde. Je vous transmets dans cet éditorial les quelques mots que j’ai partagés ce soir-là. « Au cœur du confinement que nous sommes appelés à choisir, le Seigneur nous invite à une triple ouverture de cœur. La première, c’est le choix de la communion et de la fraternité. Que ce qui nous confine ne nous sépare pas mais au contraire nous rapproche, en une grande solidarité intérieure de prière et de communion dans laquelle nous sommes appelés à trouver chacun notre appui, là où nous sommes. Ce réseau de prière est aussi ce qui nous édifie en frères. Le deuxième enjeu d’ouverture nous est donné par le texte de la lettre au Hébreux que nous avons lue (Hébreux 11, 1-16) : ce grand « Oui », ce « Oui » de la foi, ce choix de la vie. Quand Abraham partit, c’était un choix de vie fondamental. Quand Noé construisit son Arche,
c’était un « Oui » dans la foi, devant les événements, pour choisir de croire que la vie était là, qu’elle se donnait, qu’elle se diffusait et qu’elle était la plus forte. Il s’agit d’une ouverture intérieure à la foi, de choisir au cœur de l’épreuve et des événements, de toutes les turpitudes que nous traversons aujourd’hui, de laisser passer la vie de manière plus fondamentale, de chercher au fond ce qui nous donne véritablement la vie, ce qui irrigue notre vie. Une ouverture intérieure à la fraternité, à la communion encore plus large et de manière plus sensible, plus vraie, parce que nous avons besoin de nous faire proches les uns des autres. Une ouverture intérieure à la foi, à la vie qui passe à travers nous parce que le monde, aujourd’hui, a besoin de cette vie, et parce qu’il a surtout besoin d’hommes et de femmes de foi qui croient et qui savent où ils vont puiser cette vie. Et enfin, la troisième ouverture intérieure à laquelle nous sommes appelés, c’est l’écoute, l’écoute de la Parole, l’écoute d’un Dieu qui parle, dans ce confinement que, curieusement, nous, Chrétiens, nous accueillons au cœur de notre chemin de Carême. C’est sans doute nous recentrer. Au-delà de tout ce qui nous fait tenir habituellement : nos relations sociales, notre vie dans le monde, notre travail – et nous sommes
appelés à être au monde et présents dans ce monde –, il y a une Parole plus fondamentale qui façonne notre âme. Je ne peux pas m’empêcher de penser à cette parole que nous a laissée Nelson Mandela après toutes ces années où luimême a vécu le confinement en prison : « Ces années m’ont appris à être davantage capitaine de mon âme ». Quand Nelson Mandela est sorti de prison, ce n’était pas un homme replié sur ses blessures, replié sur ses rancœurs, c’était un homme plus ouvert, un homme de communion universelle, un homme de réconciliation. Tout l’enjeu du combat qu’est le Carême, c’est de pouvoir, dans ce temps de confinement qui nous met à l’écart de manière particulière, choisir d’écouter la Parole qui nous fait tenir, qui nous donne notre colonne vertébrale. Plus que jamais, le monde a besoin d’hommes de foi, d’hommes de communion fraternelle, et d’hommes sachant se recevoir d’une Parole qui vient bien au-delà d’eux-mêmes, capable d’éclairer leur existence. Donc bon temps de Carême, bon temps de confinement, et puis surtout qu’à travers ce que nous traversons, nous puissions initier, renforcer, déployer, ce réseau de prière pour l’unité afin que nous ayons un monde, à la fin de cette épreuve, plus solidaire, plus solide, plus croyant. » f F. M.
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dossier
Sicile, terre d'accueil Rencontre avec l'humanité blessée
La Sicile, île italienne à la frontière entre l’Europe et l’Afrique, est depuis des années un lieu de passage pour les migrants, arrivant dans des circonstances souvent dramatiques. Dans ce film nous découvrons trois centres d’accueil situés dans la ville de Palerme : le centre Astalli, le centre Arcobaleno 3P et la Missione Speranza e Carità, où nous rencontrons à la fois des migrants accueillis et des bénévoles qui ont choisi de s’engager dans l’accueil. De nombreux chemins ont conduit ces migrants jusqu’en Sicile, à partir de pays très divers : Bangladesh, Ghana, Nigeria... A travers ces histoires, chacune et chacun pourra retrouver quelque chose de l’histoire toujours universelle de l’accueil et de la rencontre.
Ce dossier est réalisé avec l'équipe Net for God, à partir du film de mars 2020, Sicile, terre d'accueil. Net for God est un réseau de prière, de formation et d'évangélisation, créé par la Communauté du Chemin Neuf en 2000, qui s'engage pour l'unité des Chrétiens, la réconciliation et la paix. Chaque mois, un film traduit en 20 langues est envoyé dans près de 70 pays à tous les membres du réseau qui constituent la Fraternité Œcuménique Internationale. Pour rejoindre le réseau de prière près de chez vous : netforgod.tv Revues et DVD en vente sur le site laboutique-chemin-neuf.com
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Le film
Sicile, terre d'accueil Les images des migrants traversant la mer Méditerranée sur des embarcations de fortune pour arriver en Europe sont dans toutes nos mémoires. A Palerme, en Sicile, des associations fondées par des communautés religieuses les aident à retrouver la dignité et l’espérance et à s’intégrer davantage dans la société. Palerme est l’une des premières villes italiennes vers laquelle affluent les migrants. Alors que le taux de chômage y est de 60% et que la pauvreté y est très présente, la ville est aussi réputée pour être chaleureuse et accueillante. C’est dans ce contexte qu’ont été fondées plusieurs associations pour accompagner les derniers arrivants les plus démunis : les migrants. Ainsi a été créée la « Mission Espérance et Charité » par frère Biagio Conte. « Notre première mission est précisément celle de reconstruire la personne, de redonner de la dignité et de l'espérance par le partage et la fraternité », souligne Barbara Rossi, laïque missionnaire à la Mission. Au centre voisin « Arcobaleno 3P », tout a commencé au milieu d’une grande misère, sur un terrain où tout était en ruines. Les 3P sont les initiales de Padre Pino Puglisi, prêtre parmélitain assassiné par la mafia en 1993 et récemment béatifié. Ce centre créé en 2011 par Sœur Anna Alonzo
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propose plusieurs activités, au service des migrants mais aussi des habitants du quartier. Un quartier déjà très pauvre lui aussi et qui enregistre un taux d’analphabétisme élevé. Le 3ème étage est dédié à l’accueil des familles. À côté, des ateliers sont ouverts à tout le monde. Ils proposent notamment des cours d’informatique, de couture, de bricolage, de ‘street art’ et de ‘break dance’. David, artiste et bénévole au centre, raconte : « Il y a cinq ans, cet endroit était délabré, et les gens l'étaient aussi. Les grands changements que j’ai pu voir, et que tout le monde a pu voir dans les jeunes, c’est dans leur comportement. Comme le disait le Père Pino Puglisi : "Il suffit de faire vibrer l'âme de la personne au bon endroit et cette âme vibrera". C'est une phrase qui m’a marqué, parce qu'elle est vraie, elle marche. » A Palerme, le centre Astalli, géré par les Jésuites, fait partie du Service jésuite des réfugiés (JRS). Le P. Renato, sj, résume sa vocation en trois mots-
clés : servir, accompagner et défendre la dignité des personnes. Valeria, volontaire au centre, précise ces différentes étapes dans l’accueil : « Les gens qui viennent ici ont des besoins concrets. Puis vous vous rendez compte qu'ils ont aussi besoin d'établir des relations avec les gens. Quand je rencontre de nouveaux élèves pour l'école d’italien, pour comprendre leur niveau, la première chose que je fais, c’est de leur dire "Bonjour!" en italien, je leur souris et leur serre la main. Et souvent, je me rends compte que le simple fait de leur serrer la main les fait se sentir comme des personnes. Ça peut faire toute la différence. » Dans cette démarche d’accueil, l’Evangile est la boussole. Le P. Gianfranco, sj, vit avec les migrants. « Les pauvres, ce sont mes frères » dit-il. Il poursuit : « Dans l’Evangile des Béatitudes, les pauvres sont appelés en grec les pitokoi, qui se traduit en italien par "poux". Et les poux sont les clochards. Jésus utilise ce mot, ce sont ceux qu’il préfère ». Paul, originaire du Ghana, plombier à la
dossier L'accueil en quelques mots Mission Espérance et Charité depuis 15 ans, compare l’accueil qu’il a reçu à celui donné par le Bon Samaritain, venu en aide à l’homme jeté au bord de la route. Bekhir, originaire de Tunisie, a vu les changements opérés dans les personnes : « J'ai vu les frères qui arrivaient ivrognes, drogués, désespérés, opprimés. Aujourd'hui, beaucoup d’entre eux ont évolué, ils ont surmonté leurs problèmes. » Pour lui, Frère Biagio a initié un processus dont la fécondité se vérifie dans le temps : « Il nous a laissé non seulement les fruits, mais même les graines pour produire d'autres fruits. » Ici, chacun vit une transformation : celui qui est accueilli comme celui qui accueille, en lui faisant vivre un vrai déplacement. Le P. Pino Vitrano, salésien au service de la Mission Espérance et Charité, détaille : « Quand nous accueillons, disons, un frère, quelqu’un qui se présente avec un visage angélique, vous vous dites : "Lui, il ne peut pas me poser de problèmes". Et puis vous voyez quelqu’un de laid. Alors vous pensez : "Mon Dieu si je l’accueille, qu’estce qu’il va me faire ?" Au contraire, il ne faut pas regarder seulement avec les yeux humains mais aussi avec les yeux de la foi et dire : "Seigneur, tu m'envoies ces frères, aide-moi à répondre à ton désir et non pas au mien". » Cela change complètement le regard porté sur les plus démunis : « Le pauvre évidemment n'est pas celui qu’on appelle misérable, ou celui qu'il faut plaindre » affirme le P. Pino. « Le pauvre c'est celui qui a tellement de nuances que vous voyez que ce sont justement les éléments pour construire le visage du Christ. » f G.R.
B. et R. Occhipinti Rossi : "La paix et l'espoir. La paix génère l'espoir. L'espoir nous apporte la joie".
S. Olomu : "C'est la mission qui m'a donné de l'espoir".
Sr Anna Alonso : "Le mot miséricorde est le plus beau mot qui existe. C'est le cœur de Dieu qui s'approche de la misère de l'homme".
P. G. Vitrano, sdb : "La charité que Dieu vous envoie pour partager avec eux et pour faire communion avec eux".
P. E. Cardella : "Je reprendrais bien la réponse de Marie: ''Me voici'' pour parler de cette capacité à se mettre à la disposition des autres".
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« coexister »: aUbuntu tout prix dialoguer
Interview : P. Renato Colizzi, sj
L'humanité blessée est sacrée
P. Renato Colizzi, sj Secrétaire du Provincial des Jésuites, à Rome. Président de la fondation Magis
NFG : Pourriez-vous, tout d'abord, nous présenter le Centre Astalli? P. Renato : Ce que nous appelons en Italie le Centro Astalli fait partie d'une réalité beaucoup plus vaste, qui est le Service jésuite des réfugiés. C'est une réalité qui est née en 1982, fondée par le P. Arrupe, à cette époque Père Général de la Compagnie de Jésus. En voyant les Boat People au Vietnam, le P. Arrupe a fait une profonde expérience de la miséricorde de Dieu. Il a ensuite envoyé un télégramme à toutes les provinces et communautés disant que la Compagnie devait s’engager dans un nouvel apostolat. L’objectif de ce nouvel organisme était d’accueillir les réfugiés, quel que soit leur lieu d'arrivée dans le monde. Le Service jésuite des réfugiés est donc un organe au sein de la Compagnie de Jésus qui existe encore aujourd'hui et qui
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se situe dans le corps de la Société, dans son corps apostolique. Les œuvres sont toujours liées aux communautés jésuites et les Jésuites y sont directement impliqués. Lorsque le P. Arrupe a fondé le Centre Astalli à Rome. C'était l'époque où un grand nombre d'Éthiopiens arrivaient, une migration moins variée qu'aujourd'hui. À Palerme, la création du centre est beaucoup plus récente, elle remonte à 2003. Mais la philosophie qui la sous-tend est toujours de créer des lieux d'accueil. Lorsque le JRS a été fondé à l'instigation du P. Arrupe, il était principalement présent dans les camps de réfugiés. En plus des centres d'accueil, de grands camps ont été ouverts en Afrique et, dernièrement en Syrie, où le Centre Astalli est particulièrement ouvert aux relations avec le monde musulman.
dossier
NFG : Pourriez-vous nous présenter brièvement les principes directeurs du Service jésuite des réfugiés ? Et la spiritualité qui la soutient. P. Renato : On peut dire que le Service jésuite des réfugiés est une organisation qui suit un peu le chemin des immigrants. Les mots clés sont: servir, accompagner et défendre. Servir rejoint la façon de contempler le monde de St Ignace, qui est une mystique du service : “ En todo servir y amar”. Dans cette perspective de service qui est contemplatif dans l'action, qui voit la Providence à l'œuvre, celui qui accueille ces gens accueille Jésus dans ces gens, accueille l'œuvre de Dieu dans ces gens. Le P. Arrupe a dit que si nous, les Jésuites, sommes fidèles à ce service, ce sera une cause de grandes bénédictions spirituelles sur tout le corps de la Compagnie. L'un des documents fondateurs du JRS dit que le défi qui s’adresse à tout le monde, c'est-à-dire la tâche d'accueillir, touche tous les Jésuites, comme tout le corps de la société. Défendre signifie que non seulement nous voyons la souffrance chez les gens et essayons d'y répondre, mais aussi que nous voulons toucher la société; par exemple, dans le cas de l'Europe, toute la question des droits des migrants, de la désinstitutionnalisation, c'est-à-dire des personnes qui viennent ici et perdent leurs droits, n'ont plus de droit à la santé, à l'éducation. Que vivent ces per-
sonnes ? Et après avoir effectué ces voyages, quelle société découvrent-ils ? Des lieux comme ceux-ci, c'est-à-dire des lieux où une première réception est faite, et aussi une deuxième réception sont des lieux importants, significatifs pour notre mission. Peut-être que la synthèse est le chemin du réfugié. La première chose, quand un réfugié arrive, c'est de se mettre à son service et je dirais aussi au service de la façon dont la Providence l'aide. C'est la mystique du service. La deuxième chose est d'accompagner, car ces personnes sont toujours sur la route. L'Italie est également un lieu de passage. Donc accompagner, marcher côte à côte. Contre toute assistance ou contre une relation déséquilibrée par rapport à une relation d'aide, en marchant à leur propre rythme. Et puis défendre, faire valoir les droits qui appartiennent à tout être humain : donc la dignité, défendre sa dignité d'homme, de femme et d'enfant. NFG : Vous parliez de bénédictions spirituelles.En avezvous fait l'expérience ? P. Renato : Oui, on en voit beaucoup. La première bénédiction spirituelle est que l'accueil de ces personnes nous aide à comprendre l'universalité de notre mission. La Compagnie de Jésus n’est pas née dans ni pour un pays spécifique. Nous sommes nés, dès le début, comme un
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groupe international de prêtres qui voulaient se mettre au service du Pape, parce qu'il est l'expression de l'Église universelle. Le Service jésuite pour les réfugiés nous aide à nous souvenir de cette dimension universelle. Elle nous aide à comprendre que le monde est interconnecté et blessé. Le deuxième cadeau est l'exercice de la compassion. Le Père Arrupe a beaucoup insisté sur ce point : trouver les sentiments de Jésus devant la foule, trouver ce service plein de compassion. Notre foi n'est donc pas une foi forte, inattaquable, inrayable, c'est une foi qui sait s'émouvoir, qui sait voir Dieu à l'œuvre même en dehors des limites de l'Église. En fait, ce service nous aide également à nous familiariser avec la fragilité de l'homme, avec la fragilité de la famille humaine et aussi avec notre propre fragilité. Parfois, si l'on ne sait pas accepter sa propre fragilité, on a peur. Par conséquent, bénir notre apostolat signifie aussi que le Seigneur nous éclaire pour que nous ayons une foi plus ouverte, plus universelle et plus compatissante. NFG : Pourriez-vous dire quelques mots sur l'accompagnement et la formation des volontaires ? P. Renato : L'une des prérogatives les plus importantes est la capacité d'écoute, d'accueil. Qu'est-ce qui me pousse, en tant que citoyen ordinaire, à me mettre au service de ces personnes? C'est un processus graduel, car il faut com-
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prendre le style d'accueil, le respect de la dignité de chacun, l'élimination des préjugés. J'entre dans une structure et je dois y entrer lentement et accueillir son style. Il y a beaucoup de gens qui viennent au Centre Astalli et qui ne croient pas, en ce sens qu'ils ne sont ni croyants, ni pratiquants. Nous ne présupposons pas, nous n'exigeons pas nécessairement une foi explicite. Nous pensons cependant qu'une ouverture à la différence est nécessaire. Cela fait également partie de notre spiritualité. Même une personne qui ne croit pas ou qui dit qu'elle ne croit pas, si elle se met au service de quelqu'un qui est faible, qui est blessé, qui est menacé, quelque chose de transcendant le défie en fait et le pousse même au-delà de son seuil de confort, de son seuil de sécurité. Mais, ce lieu est aussi un lieu de foi. C'est très important, parce que certains disent : “Eh, vous, au Centre Astalli, vous êtes un peu athée!”. Non, ce n'est pas le cas. Le véritable athéisme est ce qui dit que le monde est inhabité par Dieu, n'est-ce pas ? Nous devons plutôt avoir cet œil contemplatif qui voit Dieu en toutes choses, comme dirait St Ignace. Chercher et trouver Dieu en toutes choses. Ici, on peut trouver Dieu même là où il n'est pas expressément mentionné. C'est une capacité très importante car sinon on pense facilement que tout ce que nous faisons n'est que social. C'est parfois, entre guillemets, une accusation qui peut être adressée à notre apostolat, mais il n'est pas vrai qu'il soit uniquement social car, pour ceux qui savent regarder, la réalité n’est pas que profane. Tout est sacré; l'humanité blessée, surtout, est sacrée. f N.F.G.
dossier
Temoignage
Parcours migratoire Ibraim Masso
Routes migratoires en Afrique de l'Ouest en direction de l'Europe
Je m’appelle Ibraim Masso, je suis de la Guinée Conakry, précisément de Man. Je suis né à Mamou le 7 avril 1986. En Guinée, j’étais chauffeur de camions. J’ai travaillé pour un patron environ huit ans et ensuite, j’ai été à mon compte pendant quatre ans. Pourquoi je suis venu en Italie ? Ma femme avait une maladie de cœur. On a essayé les médecins partout en Afrique, ça n’a pas marché. Je l’ai envoyée au Ghana, mais ils m’ont demandé de l’argent sans faire les soins. Puis elle a consulté au Gabon, à Sierra Léone. On est passé par beaucoup de cliniques. Finalement, il y a quelqu’un qui nous a conseillés de faire des démarches pour se rendre en Suède. J’ai trouvé quelqu’un de Gambie qui nous a fait les passeports. Mais le type a pris l’argent et il a fait des faux papiers. On a embarqué à partir de Banjul. L’avion a fait une escale au Maroc, ils ont contrôlé, il y avait des problèmes, mais ils nous ont laissés passer. Une fois à Istanbul, en Turquie, ils ont dit : « Ce sont de faux papiers », et on est retourné en Gambie. On a qu’un fils, mon fils je l’ai laissé avec son professeur de l’école. J’ai vendu mon camion pour payer le voyage. On s’est dit avec ma femme : « On n’a qu’à passer par la Lybie ». Elle a quitté la Gambie, j’ai quitté le Sierra Leone et on s’est rejoint au Mali. On a pris la route avec un car Sonef, de la compagnie de bus qui voyage partout dans l’Ouest de l’Afrique. On a traversé le Burkina et ensuite le
Niger. Là-bas, on a attendu les passeurs pour le désert de Lybie. Finalement, on s’est embarqué pour la Lybie. On a traversé le désert pendant six jours. On a trop souffert sur la route. On est arrivé en Lybie, j’ai même oublié le nom de la ville. On a embarqué de là-bas pour Tripoli, la capitale. Arrivés là-bas, on a pris le bateau pour Sabratha. Là, on est resté un mois mais moi, j’ai trop dépensé avec ma femme parce qu’en Lybie, si tu ne paies pas, tu n’as pas de sécurité. Si on te demande de l’argent et que tu n’en donnes pas, tu auras des problèmes avec eux. Après, on a pris une petite barque vers 1 heure du matin et la marine italienne nous a trouvés à 6h30. Ils nous ont emmenés directement vers Palerme. A l’arrivée, ma femme était très mal. A cause de sa maladie, ses pieds, tout son corps était gonflés et elle était dans la coma. Du coup, on nous a mis dans une ambulance et on nous a conduits à l’hôpital. On est y resté 21 jours, on ne connaissait personne. Après, on nous a transférés dans un camp près de Palerme. Au camp de réfugiés de Bonna Gracia, on nous a très bien traités. On nous a fait des papiers pour pouvoir rester 5 ans en Italie. Nous avons ensuite été accueillis au Centre Astali où on nous a beaucoup aidés pour nous trouver un logement et nous intégrer. Ma femme reçoit des soins et moi je peux travailler.
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Temoignages
"Après ce terrible voyage..."
Une porte à franchir
Issa Fadoul Bichara sprar du centre Astalli, en provenance du Tchad
Marie-Paule Billard ccn
Quand une personne arrive en Sicile, tout est nouveau pour lui. Il y a des choses que tu n’imagines même pas : des personnes que tu ne connais pas, une nouvelle langue, un autre monde, une nouvelle culture. Tout va dans le sens contraire. Ce que tu penses n’arrive pas. Quelqu’un qui me dit « Bonjour ! », je ne sais pas comment lui répondre.
Envoyée par la Communauté en Sicile, j’ai découvert à Palerme énormément de migrants. D’où venaient-ils et que faisaient-ils ? Cette question m’a habitée pendant plusieurs semaines mais je n’avais pas vraiment de réponse. Je connaissais le lieu d’accueil des Jésuites, mais, ce qui me permit de l’aborder fut une rencontre au groupe de prière. Daniel, un frère italien, a prié pour les migrants, lors d’une assemblée de prière et, après avoir fait sa connaissance, il m’a invitée à venir passer une matinée au centre d’accueil des migrants. Ce jour-là, je me suis contentée non seulement de regarder mais aussi de parler avec certains migrants venant du Sénégal ou du Congo et qui s’exprimaient très bien en français. A ce moment-là, j’ai compris qu’une nouvelle porte s’ouvrait mais comment la franchir ? Le Seigneur me guidait pas à pas, mais pas forcément à la vitesse que j’aurais souhaité…. Petit à petit tout devenait plus clair. Pour moi, être au service des migrants était une continuité de mes missions en Afrique. J’avais beaucoup reçu, il fallait à mon tour que je donne beaucoup.
En arrivant, j’étais comme un animal, parce que je ne comprenais pas. Même pour boire, je ne savais pas comment le dire. Même pour manger, je faisais des gestes pour dire ce dont j’avais besoin. Et cela, c’est trop difficile. (…) Après ce terrible voyage que nous avons fait, très difficile, j’ai constaté que celui qui n’a pas de patience ne peut pas atteindre son but. Chacun de nous a quelque chose à accomplir dans sa vie. Moi aussi, j’ai un rêve. Je veux faire quelque chose qui prouve que je suis Issa et que, cette chose, ce soit moi qui l’ait accomplie.
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En arrivant en France, je me suis inscrite très rapidement dans une association paroissiale de Ste Foy les Lyon appelée ESPOIR. La mission consiste à faire des maraudes dans la ville de Lyon, que nous faisons à deux ou trois personnes. J’ai opté pour le soir de 20h à 22h -23h. Nous rencontrons de nombreuses personnes venant d’Albanie: des gens seuls (beaucoup de femmes), mais aussi des familles avec enfants couchant sous tentes, coincées entre les piliers sous les autoroutes de Perrache, dans le bruit et la pollution. Tous ont un minimum de bagages. Ils sont souvent en attente de régularisation de papiers, attente toujours très longue (parfois plusieurs mois) malgré les aides des bénévoles et services sociaux. Nous rencontrons aussi des personnes qui ont des problèmes de santé, des troubles
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psychologiques, surtout ceux qui ont été victimes de la guerre ou des régimes de dictature. D’une façon générale, tous vivent de grandes souffrances physiques et morales, mais aussi des problèmes familiaux, climatiques, etc. Pourquoi arrivent-ils en France ? Une désinformation massive des passeurs vantant la France comme un pays de cocagne où il fait bon vivre, où l’on trouve facilement du travail, un logement. Quand ils arrivent en France tous nous disent : « C’est la galère, nous dormons dans la rue avec tous les risques que cela comporte : vols, viols, maladies, difficultés pour faire les papiers de régularisation, barrage de la langue, mais aussi descentes de la police qui met les tentes et tous les effets des migrants à la poubelle (ce qui arrive de temps en temps) ». Notre association n’a pas de grands moyens financiers, mais plutôt humains. Pour les maraudes, nous choisissons un parcours qui peut varier d’une fois à l’autre et nous nous arrêtons à chaque personne que nous rencontrons pour l’écouter, lui parler, voir où en sont ses papiers, quelles difficultés il ou elle rencontre. En général, on commence par offrir une tasse de thé ou de café. Je me rends compte à quel point les gens dans la rue ont besoin de parler et d’être écouté. Sur place, les migrants trouvent tout ce qu’il faut pour manger matin et soir, se doucher, laver leur linge s’habiller, avancer dans leurs démarches, car, sur Lyon, il y a beaucoup d’associations de toutes confessions et autres. Mais, écouter et parler fait encore un
peu peur car il faut à la fois être discret, encourager et montrer qu’on les aime tels qu’ils sont, sans jugement. Beaucoup de gratitude de leur part et aussi de la nôtre, due à une simplicité d’échange et d’écoute. Des liens avec eux se tissent au moins pour quelque temps et parfois on ne les revoit plus. Surprise aussi comme avec ce jeune Gambien qui, après deux ans de galère, a ouvert sa main dans laquelle il y avait une clé et dans un grand sourire m’a dit : « J’ai une chambre pour moi tout seul dans un centre, à 30 kms de Lyon, où les gens sont très gentils. Je suis heureux. Maintenant, je viens aider l’association et tous ceux qui m’ont soutenu pendant deux ans. Je vais pouvoir travailler et envoyer de l’argent à ma mère. » Un point très positif, c’est que les migrants peuvent être visités par plusieurs associations différentes sans créer des rivalités entre nous. Nous sommes tous solidaires. Nous rencontrons beaucoup de migrants, mais aussi des jeunes sansabris français qui vivent dans la rue sans espoir de trouver du travail et oublient un peu leur situation en se réfugiant dans l’alcool. Nous nous arrêtons aussi, sauf s’il y a trop de chiens. Je trouve cette mission pleine d’imprévus, d’échanges, de compassion, de simplicité, d’ouverture, d’une grande richesse humaine dans ce monde marginalisé qui dérange. Pour moi, aujourd’hui, cette mission est un vrai cadeau du Seigneur. « Dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40).
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nisme "Que tous soient un, afin que le monde croie !" (Jean 17), telle est la prière de Jésus. Recevons de Lui l'Unité des Chrétiens. De la peur à la responsabilité, comment entrer en hospitalité ? Bienvenue ! Wilkommen ! Welcome !
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œcuménisme Semaine de prière pour l'unité des Chrétiens
De la peur à la responsabilité, comment entrer en hospitalité ? Frédéric de Coninck Sociologue. Membre d’une Église mennonite, il est attaché à construire un dialogue entre les sciences sociales et les enjeux de la foi.
C’est une question assez complexe qui est posée. C’est le genre de question où je trouve intéressant de nous laisser déplacer par le texte
Cette année les églises de Malte nous ont proposé de revenir sur l’épisode du naufrage de Paul et de ses compagnons, suite à une tempête majuscule essuyée sur la mer Méditerranée, raconté dans le livre des Actes, et, notamment, sur ce verset, qui se situe au moment où le bateau vient d’échouer sur l’île :
« Les autochtones nous ont témoigné une humanité peu ordinaire. Allumant en effet un grand feu, ils nous en ont tous fait approcher, car la pluie s’était mise à tomber, et il faisait froid » (Ac 28.2). Donc je vais commencer par suivre cette histoire et, progressivement, je vais revenir sur la question qu’on m’a posée.
biblique. Je suis sociologue. Cela m’aide à lire la société. Cela me donne aussi une manière particulière de lire le texte biblique. Et je trouve que le texte biblique dénoue souvent des questions complexes pour nous les faire voir autrement.
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On reconnaît le style scientifique de Luc. Il nous donne des détails. Au large de la Crète, il y a un vent qui se lève dont il nous donne le nom. Il donne des détails techniques sur les ressources que les marins mettent en œuvre pour faire face à la tempête. Je connais quelqu’un qui fait de la voile et qui m’a dit, une fois, qu’il reconnaissait parfaitement les manœuvres dont parlait Luc. Mais il y a aussi un sens symbolique à cette histoire et c’est sans doute pourquoi Luc en parle aussi longuement. Pour des Juifs et, plus largement, pour des personnes originaires d’Asie Mineure, une tempête n’était pas un événement anodin. La mer représente une puissance hostile et, quand elle se déchaîne, on y voit les forces du chaos qui pourraient détruire le monde. Je vous donne juste un détail. Un moment, la tempête fait rage et voilà ce qu’on lit : « Ni le soleil ni les étoiles ne se montraient depuis plusieurs jours ; la tempête, d’une violence peu commune, demeurait dangereuse : tout espoir d’être sauvés nous échappait désormais » (Ac 27.20). Il y a quelque chose de cosmique : la disparition du soleil et de la lune sont des signes eschatologiques, le déchaînement de la mer aussi. D’ailleurs si on se reporte quelques secondes à l’évangile de Luc, on trouve un discours eschatologique de Jésus dans lequel on trouve ce signe de la fin des temps : « Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles, et sur la terre les nations seront dans l’angoisse, épouvantées par le fracas de la mer et son agitation, 26 tandis que les hommes défailliront de frayeur dans la crainte des malheurs arrivant sur le monde ; car les puissances des cieux seront ébranlées » (Lc 21.25-26). C’est la force de Luc : il nous raconte un événement empirique, en même temps c’est un événement qui a un sens particulier. Cela nous fournit une première piste d’actualisation. On voit bien, aujourd’hui, que les événements qui surviennent : les déplacements de population, les guerres qui provoquent des exodes, les menaces climatiques, sont autre chose que des péripéties. Ils montrent que quelque chose est en train de se déliter, qu’un monde est en train de disparaître. Ce sont à la fois des événements empiriques et des événements dont le sens est plus large.
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Et, d’ailleurs, il y a un sous texte dans le texte des Actes, qui en constitue comme l’antithèse. C’est l’histoire de Jonas. Il ne faut pas que je fasse trop long donc je vais me contenter d’allusions. Mais c’est frappant. Jonas refuse d’aller parler à Ninive et s’embarque sur un bateau (qui d’ailleurs, va vers l’ouest, lui aussi : Tarsis devait se situer quelque part près de Gibraltar). Et du fait qu’il se tait, la tempête se déchaîne. C’est lui qui est le problème. On le jette à la mer et la mer se calme. Paul, lui, prévient les marins qu’ils ne devraient pas partir, que la saison est dangereuse. Ils ne l’écoutent pas et, du coup, la tempête se déchaîne. Mais cette fois-ci, c’est Paul qui est la solution. Grâce à sa présence à bord, les personnes arrivent saines et sauves. Quand Paul débarque, un serpent le mord et ce n’est pas sans écho avec le grand poisson qui avale Jonas. Un serpent ou un grand poisson sont des créatures monstrueuses. Mais Paul domine le serpent tandis que Jonas est englouti.
Si on parle de peur, pour les gens partis sur le bateau il y a des raisons objectives d’avoir peur. Et l’enjeu est de parvenir à voir au-delà des raisons à court terme d’avoir peur. De viser un autre horizon. Donc la mer, la tempête, les puissances des cieux qui sont ébranlées, les créatures monstrueuses, tout cela est une manière de dire que le monde est ébranlé sur ses bases. Et, revenons, de nouveau, aujourd’hui, cela nous pose une question : est-ce que c’est nous le problème, ou est-ce que c’est nous la solution ? Est-ce que, par notre silence et notre lâcheté, nous contribuons au délitement de la société, ou est-ce que, par notre hardiesse, par notre vision plus large, par notre foi, nous avertissons une société qui ne nous écoute pas, mais qui est prête à se tourner vers nous si les événements tournent mal ? C’est une grande question. Si on parle de peur, pour les gens partis sur le bateau il y a des raisons objectives d’avoir peur. Et l’enjeu est de parvenir à voir au-delà des raisons à court terme d’avoir peur.
De viser un autre horizon. Dépasser la peur ça ne se fait pas comme cela. Cela suppose de voir autre chose, une autre option, une autre espérance. Voilà comment la sociologie, déchiffrant les symboles sociaux des temps passés, et regardant le monde d’aujourd’hui, est pertinente autant pour lire les textes d’autrefois que pour lire la société d’aujourd’hui. Maintenant, parlons de l’accueil, dans ce texte. Au début la navigation (au départ de la Judée) est assez lente et ils perdent pas mal de temps jusqu’à atteindre le sud de la Crète. « Un certain temps s’était écoulé, et il devenait désormais dangereux de naviguer, puisque le Jeûne était déjà passé. Paul a voulu donner son avis : Mes amis, leur a-t-il dit, j’estime que la navigation va entraîner des dommages et des pertes notables non seulement pour la cargaison et le bateau, mais aussi pour nos personnes. Le centurion néanmoins se fiait davantage au capitaine et au propriétaire du bateau qu’aux avertissements de Paul » (Ac 27.9-11). Donc le centurion accueille de manière plus favorable l’avis des experts. Après tout, ce n’est pas complètement hors sujet. Les avis techniques ont du poids. Et il faut que les événements tournent mal pour que l’on remette en question les expertises. Puis, la tempête survient et tout le monde perd pied. On jette la cargaison par-dessus bord pour alléger le bateau, etc. « On n’avait plus rien mangé depuis longtemps quand Paul, debout au milieu d’eux, leur a dit : Vous voyez, mes amis, il aurait fallu suivre mon conseil, ne pas quitter la Crète et faire ainsi l’économie de ces dommages et de ces pertes. Mais, à présent, je vous invite à garder courage : car aucun d’entre vous n’y laissera la vie ; seul le bateau sera perdu. Cette nuit même, en effet, un ange du Dieu auquel j’appartiens et que je sers s’est présenté à moi et m’a dit : “Sois sans crainte, Paul ; il faut que tu comparaisses devant l’empereur et Dieu t’accorde aussi la vie de tous tes compagnons de traversée !” Courage donc, mes amis ! Je fais confiance à Dieu : il en sera comme il m’a dit. Nous devons échouer sur une île » (Ac 27.21-26). Il y a un geste d’accueil de la part de Paul qui accueille l’inquiétude de ses compagnons d’infortune. Et il y a aussi un geste d’accueil de la part de Dieu qui associe à Paul tous ceux qui sont avec lui, qui sont dans le même bateau.
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Le grec dit même : « Dieu t’accorde par grâce tous ceux qui naviguent avec toi ». C’est très fort comme formule. Et il s’agit d’une grâce très concrète. On ne parle pas du salut éternel. Mais cela veut bien dire qu’à court terme nous sommes solidaires de ceux qui sont proches de nous, que nous le voulions ou non. Nous sommes tous dans le même bateau. Si nous voyons clair, si nous suivons la route que Dieu nous indique, nous entraînerons dans notre sillage tous ceux qui sont autour de nous. Mais si nous faisons naufrage, nous entraînerons dans notre naufrage tous ceux qui sont autour de nous. Nous retrouvons les questions posées, en sous-main, par le livre de Jonas : est-ce que c’est nous le problème ou est-ce que c’est nous la solution ? Et l’accueil ici est sans exclusive : tous ceux qui naviguent avec toi. Dans le lot, il y avait le capitaine du navire, les marins dont la suite du texte dit qu’ils voulaient sauver leur peau plus que celle des passagers, des prisonniers politiques, des prisonniers de droit commun, des marchands peut-être qui avaient perdu leur cargaison qu’on avait jetée à la mer. C’est cette population hétéroclite et loin d’être moralement impeccable qui est embarquée dans le sauvetage provoqué par la présence de Paul.
A court terme nous sommes solidaires de ceux qui sont proches de nous, que nous le voulions ou non. Nous sommes tous dans le même bateau. Et l’histoire continue. Alors que l’on touche au but, un incident survient : « Comme les marins, sous prétexte de s’embosser sur les ancres de l’avant, cherchaient à s’enfuir du bateau et mettaient le canot à la mer, Paul a dit au centurion et aux soldats : Si ces hommes ne restent pas à bord, vous, vous ne pourrez pas être sauvés. Les soldats ont alors coupé les filins du canot et l’ont laissé partir » (Ac 27.30-32). Le centurion accueille les paroles de Paul et Paul impose la solidarité au moment où certains suivent un projet égoïste. La problématique de l’accueil se poursuit : « En attendant le jour, Paul a engagé tout le monde à prendre de la nourriture : C’est aujourd’hui le quatorzième jour que vous passez dans l’expectative sans manger, et vous ne prenez toujours rien. Je vous engage donc à reprendre de la nourriture, car il y va de votre salut. Encore une fois, aucun d’entre vous ne perdra un cheveu de sa tête. Sur ces mots, il a pris du pain, a rendu grâce à Dieu en présence de tous, l’a rompu et s’est mis à manger. Tous alors, reprenant courage, se sont alimentés à leur tour. Au total, nous étions deux cent soixante-seize personnes à bord. Une fois rassasiés, on a allégé le bateau en jetant le blé à la mer » (Ac 27.33-36). On peut lire, ici, une évocation de l’accueil eucharistique. Mais j’aimerais retourner la lecture : il s’agit d’abord d’un accueil très concret qui permet à chacun de reprendre courage, de reprendre des forces. Il s’agit d’un geste d’accueil à destination de cette population mêlée et hétéroclite où il n’y avait pas beaucoup d’adorateurs de Dieu. Est-ce que c’est ainsi que nous concevons l’accueil eucharistique ? Certes la participation à l’eucharistie est un acte de foi qui ne se fait pas à la légère. Mais dans l’église ancienne, l’eucharistie s’accompagnait d’agapes ouvertes à tous ceux qui avaient faim. Et si Dieu nous accueille par sa grâce, à la
table eucharistique, est-ce que nous ne devons pas, nous aussi, accueillir dans la grâce, tous ceux qui naviguent avec nous ? On le voit, ici, il ne s’agit pas seulement de nourriture matérielle, il y a, également une nourriture morale. Je reviens aux mots forts de la question qui m’a été posée : de la peur à la responsabilité, comment entrer en hospitalité ? C’est Paul et le centurion qui se comportent de manière responsable en voyant au-delà de leur propre personne. Et c’est lié à une confiance mutuelle qui se construit peu à peu (entrer en hospitalité c’est aussi construire progressivement une confiance mutuelle). Plus loin dans le récit c’est à nouveau visible : « Ils ont touché un banc de sable et y ont échoué le vaisseau ; la proue, enfoncée, est restée prise, tandis que la poupe se disloquait sous les coups de mer. Les soldats ont eu alors l’idée de tuer les prisonniers, de peur qu’il ne s’en échappe à la nage. Mais le centurion, décidé à sauver Paul, les a empêchés d’exécuter leur projet ; il a ordonné à ceux qui savaient nager de sauter à l’eau les premiers et de gagner la terre. Les autres le feraient soit sur des planches soit sur des épaves du bateau. Et c’est ainsi que tous se sont retrouvés à terre, sains et saufs » (Ac 27.41-44). Il y a bien là un comportement responsable. La peur, elle était là. Et comment est-ce que Paul a réussi à surnager, si je puis dire, au milieu de cette situation ? En voyant au-delà de sa propre personne, au-delà de son intérêt à court terme et en restant connecté à Dieu, ce qui lui a donné une vision plus large, au-delà de l’événement du moment.
Il était prêt à être accueilli, avec reconnaissance et enthousiasme. Et puis, donc, il y a cette arrivée sur l’île. Et là, ce sont les autochtones qui accueillent. J’aime beaucoup cette mention de Luc : « Les autochtones nous ont témoigné une humanité peu ordinaire » (Ac 28.2). Cela veut dire qu’il était prêt à être accueilli, avec reconnaissance et enthousiasme. Et, à vrai dire, seul celui qui est prêt à être accueilli
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peut accueillir. Et même : seul celui qui se rend compte qu’il a déjà été accueilli peut accueillir. Là aussi cela fait écho à ce que Luc raconte dans son évangile, au travers de la parabole du bon Samaritain : si je me rends compte que j’ai été blessé, sur le bord de la route et ramassé par quelqu’un qui passait par là, pris en charge de manière gratuite et emmené à l’auberge où j’ai été soigné gratis, alors je vois qui est mon prochain et je suis prêt à entendre la parole de Jésus : « Va et toi fais de même » (Lc 10.37). Donc, l’hospitalité procède de la réciprocité. Si je me rends compte que j’ai été au bénéfice de l’accueil de personnes et d’institutions diverses, je suis prêt à accueillir à mon tour d’autres personnes. Pas forcément celles qui m’ont accueillies ; d’autres personnes. Mais si je pense que j’ai tout acquis par mon travail, à la force du poignet, que je ne dois rien aux autres, alors je considérerai l’accueil comme une corvée. Et puis il y a une considération finale : « Il y avait, dans les environs, des terres qui appartenaient au premier magistrat de l’île, nommé Publius. Il nous a accueillis et hébergés amicalement pendant trois jours. Son père se trouvait alors alité, en proie aux fièvres et à la dysenterie. Paul s’est rendu à son chevet et, par la prière et l’imposition des mains, il l’a guéri. Par la suite, tous les autres habitants de l’île qui étaient malades venaient le trouver, et ils étaient guéris à leur tour. Ils nous ont donné de multiples marques d’honneur et, quand nous avons pris la mer, ils avaient pourvu à nos besoins » (Ac 28.7-10). Ce qui me frappe, dans cette conclusion, est que chacun donne en fonction de ce qu’il a. Paul donne des guérisons, car c’est un don qui lui a été fait. Le magistrat prête ses terres. Les habitants de l’île donnent des marques d’honneur et des vivres. Il ne s’agit pas de donner ce que nous n’avons pas. Et si on regrette d’avoir donné, c’est que l’on a donné trop. Il s’agit simplement de donner ce que nous avons, ce qui est à notre por-
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tée. Il s’agit, comme je l’ai dit précédemment, de donner à notre tour ce qui nous a été donné. Alors, arrivé en ce point vous vous rendez compte que j’ai changé l’ordre des questions. La première question est : qu’est-ce qui m’a été donné ? Beaucoup de choses, au fil de mon histoire. Et quelque fois, ce sont des gestes anodins qui ont eu le plus d’effet symbolique sur moi. Il y a un peu moins de trois ans, quand je suis parti à la retraite, je suis allé marcher sur un des chemins de Saint-Jacques, en Espagne, un chemin peu fréquenté, qui part de Séville et qui remonte, le long du Portugal, jusqu’à Santiago. Le fait que le chemin soit peu fréquenté implique qu’il n’y a pas toujours tout ce dont les pèlerins ont besoin. On se retrouve vite en difficulté.
Un jour, pensant qu’un hébergement allait être fermé, j’ai fait un détour pour loger dans une ville à proximité. Au moment où j’allais entamer le détour, je pensais faire provision d’eau dans un village. Mais il n’y avait ni café, ni fontaine dans ce village. Cela tournait mal. Mais quelqu’un dans un jardin, est allé chercher une bouteille au frais qu’il m’a offerte « de corrazon » (du fond cœur). Ensuite l’hébergeuse où j’allais m’a informé sur un raccourci et une voie qui sert l’hiver et qui m’évitait, le lendemain, un long crochet. Ensuite, dans une pâtisserie-salon de thé, le
personnel s’est montré attentionné et m’a laissé récupérer tranquillement. Enfin, dans le petit restaurant où je suis allé le soir, quelqu’un a vu que je ne connaissais pas les codes du lieu, s’est occupé de moi et a mobilisé les serveurs. J’étais vulnérable et étranger et des gens se sont occupés de moi. Rien d’extraordinaire dans cette journée. Mais c’est dans les gestes ordinaires que nous pouvons faire des choses extraordinaires. Aujourd’hui nous vivons dans une société dure et impitoyable et nos concitoyens ont du mal à entendre qu’ils ont bénéficié de gestes immérités. Mais c’est à nous, comme Paul sur le bateau, de lever les yeux, de regarder plus loin, et de prendre la mesure des gestes de grâce dont nous avons bénéficié. La grâce que Dieu nous a faite et la grâce que d’autres nous ont faite. J’ai envie de dire, si Dieu nous ouvre les yeux, alors nous accueillerons comme nous avons été accueillis. On peut dire réciprocité ou aussi reconnaissance. Si Dieu nous ouvre les yeux, alors nous pourrons re-connaître tous les moments de notre vie où nous avons été accueillis. Revenons une dernière fois sur le couple peur / responsable. C’est normal d’avoir peur. Lever les yeux n’a rien d’évident. Et il nous faut faire tout un travail pour nous donner des buts, des projets, des horizons qui vont au-delà de la situation présente qui est inquiétante. Cela, nous pouvons le faire collectivement et devant Dieu. C’est là le rôle des Eglises. Et la responsabilité, j’ai envie de la connecter au verbe « répondre ». C’est prendre notre place dans un dialogue et ne pas nous mettre aux abonnés absents. Quand Dieu nous parle, dire « me voici ». Quand quelqu’un nous interpelle, prendre le temps de lui répondre. C’est là ce que Dieu nous ordonne ; c’est là aussi ce qu’il nous donne. f F. C.
œcuménisme
Projets œcuméniques
Bienvenue ! Wilkommen ! Welcome ! Sr Kinga Lakatos ccn, Pays Bas
Qu’il s’agisse d’initiatives locales ou internationales, des Chrétiens de différentes dénominations œuvrent ensemble pour la justice sociale. Aujourd’hui, face à la crise de la migration, plusieurs initiatives œcuméniques locales et nationales ont vu le jour, répondant ainsi aux besoins d’un grand nombre de migrants, mais aussi dans le souci d’informer et faire participer leurs compatriotes. Couloirs Humanitaires Ce projet pilote, qui existe déjà dans les pays anglo-saxons et en Italie, a été créé en France (et en Belgique) en 2017, à la suite d’un accord entre les ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères avec cinq organisations partenaires : la Fédération Protestante de France (FPF), la Fédération de l’Entraide Protestante (FEP), la Conférence des Evêques de France (CEF), le Secours Catholique – Caritas France (SCCF) et la Communauté de Sant’Egidio (CSE). L’objectif principal est de permettre à des personnes en besoin de protection et temporairement réfugiées au Liban un accès sûr et légal. Il s’agit également de renforcer les initiatives d’accueil de la société civile en soutenant, formant et proposant un cadre aux bénévoles, leur permettant de s’engager auprès des personnes exilées. Il souhaite faire vivre une fraternité qui se traduit dans les actes. Les participants témoignent ensemble que l’aspect positif est la proximité avec les bénévoles, l’accompagnement tout au long de la procédure administrative (qui dure souvent très longtemps) et la qualité du service reçu
(le logement, nourriture et les relations humaines). L’apprentissage de la langue reste pourtant un point difficile sur le chemin de l’intégration. « L’accueil d’abord » (Nantes) « L’accueil d’abord » est une association portée par les Eglises catholique, reformée et orthodoxe à Nantes. Elle met l’accent sur l’accompagnent personnel de familles ou personnes isolées qui sont déboutées du droit d’asile, et n’ont donc aucun droit d’hébergement. Le premier objectif de l’association est de loger les familles, afin qu’elles soient capables de se poser et regarder tranquillement les possibilités de régularisation. Il faut ensuite tout un accompagnent pour relier la famille avec les institutions locales : centre social, écoles, cours de français, maison de quartier etc… Après avoir réglé les papiers, le troisième objectif est de trouver un travail pour les parents et leur permettre d’être autonomes financièrement. L’association fonctionne avec des binômes de deux personnes référantes qui visitent la famille chaque semaine : aider les enfants à
trouver un stage ou faire un devoir, encourager les parents de tenir en attendant les papiers, faire le lien avec l’école etc… L’expérience de treize ans montre que cette manière d’accompagner personnellement et dans la durée porte des fruits : chaque famille accueillie par « Accueil d’abord » a régularisé sa situation et, à l’exception d’une famille, est parvenue à l’autonomie financière. L’accueil inconditionnel n’est pas un accueil sans condition. Si la personne est accueillie dans sa dignité humaine, il faut aussi donner un cadre et demander une participation active pour que la famille puisse être capable de s’intégrer dans le contexte et la culture française. Lire, écouter, regarder plus : https://www.secours-catholique.org/sites/ scinternet/files/publications/pla_couloirs_ humanitaires.pdf https://www.humanitariancorridor.org/fr/ couloirs-humanitaires/ https://diocese44.fr/les-mouvements-et-associations-de-fideles/accueil-dabord/ https://www.radiofidelite.com/2018/12/28/les-rdvde-l-eglise-protestante-unie-laccueil-2/ f K.L.
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formation chretienne Croire pour mieux comprendre. Comprendre pour mieux croire, afin que le Règne de Dieu advienne ! La première place aux derniers A partir de son dessin, regarder le jeune migrant "bien dans les yeux" Une histoire d'accompagnement
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formation chretienne Perspective biblique et théologique
La première place aux derniers P. Stefan Buchs Docteur en Théologie morale, enseigne à l'Institut Théologique des Dombes, ccn
Evoquant l'ouverture à l'universalisme autant que le besoin de protection, l'élection divine autant que la vulnérabilité migratoire, la lecture de la Bible nous rappelle que la vie terrestre est, pour chacun de nous, une forme de migration.
L’histoire de l’étranger et de la migration (le changement de lieu de vie d’une ou de plusieurs personnes) est un évènement vieux comme l’existence humaine. Il y a environ 40 000 ans, l’Homo sapiens est entré dans les zones tempérées de l'Eurasie. Parmi les grands mouvements migratoires en Europe, il y a la colonisation grecque de la Méditerranée au 1er millénaire avant le Christ et la migration des Wisigoths et des Ostrogoths, poussés par les Huns entre le 4ème et 6ème siècle. L'expansion européenne commence au 16ème siècle avec une émigration massive, en particulier vers l’Amérique, au 19ème siècle. Des migrations plus ou moins contraintes sous forme de déportations et d'expulsions ont émergé des conflits guerriers mondiaux du XXe siècle. Au 21ème siècle, la migration globale semble devenir de plus en plus complexe.
L’histoire de l’étranger et de la migration (le changement de lieu de vie d’une ou de plusieurs personnes) est un évènement vieux comme l’existence humaine. La migration fait donc partie de l’humanité. Des situations précaires (famines, guerres, conditions environnementales difficiles) forcent les hommes à quitter leur pays pour trouver des conditions qui permettent de (sur-)vivre. C’est pourquoi la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme reconnaît à chaque personne « le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État », mais aussi le droit « de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays » (art. 13).
Mais, si les conditions catastrophiques sont à la racine de la migration, ce phénomène provoque des questions concernant la justice sociale et notre responsabilité1, dans la mesure où ce sont d’abord les pays occidentaux qui ont commencé un style de vie gaspilleur, source d’une destruction de l’environnement, surtout dans les régions pauvres. De la même manière, ce sont davantage les pays riches qui facilitent des conflits sanglants par la production et l’exportation des armes, liés à la lutte pour des ressources (du pétrole, du cobalt pour les batteries etc.). Nous ne sommes donc pas étonnés de trouver la question de l’étranger et de la migration traitée de manière controversée dans la Bible. L’Écriture sainte connaît l’ouverture au ger (l’étranger au
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milieu d’Israël), par exemple dans le code de l’Alliance qui rappelle au peuple d’Israël son état de ger en Égypte (Ex 22 ; Dt 12-26) ou dans le livre de Ruth. Mais elle connaît aussi la fermeture par crainte de perdre la pureté et la sainteté dans les livres d’Esdras et de Néhémie. Les trois mages, représentant les peuples païens, se trouvent parmi les premiers qui reconnaissent Jésus comme Seigneur (Mt 2). En même temps, Jésus nous étonne dans sa manière rude de refuser la cananéenne (cf. Mt 15, où Jésus se trouve à « l’étranger »). Une perspective globale de la Bible nous permet, cependant, de partir du principe
que chaque personne est créée à l’image de Dieu. Il y a donc un plan de salut pour toute l’humanité, et l’appel à Abram (pour émigrer !) dans Gn 12 n’est pas une élection privée mais une mission pour devenir une bénédiction pour tous les peuples et générations. La vocation singulière d’Israël d’entrer en alliance avec JHWH et l’adorer dans le temple à Jérusalem prépare l’adoration de tous les peuples sur le mont Zion (Is 2 ; Mich 4). De même Jérémie est institué comme prophète pour les nations (Jer 1). Le dernier livre du canon chrétien, l’Apocalypse, reprend l’universalisme de la Genèse dans une nouvelle création où les douze tribus d’Israël et les païens adoreront Dieu ensemble (Ap 21). Mais, le plus important pour la question de la migration est le fait que Dieu fait sans cesse migrer ses fidèles. Mais, le plus important pour la question de la migration est le fait que Dieu fait sans cesse migrer ses fidèles. Les récits des patriarches et de Moïse nous en témoignent. Même la Torah sortira de Zion pour illuminer tous les peuples (Is 51). Le Nouveau Testament nous montre d’abord Marie qui, forcée par un édit de l’empereur à quitter Nazareth
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ensemble avec Joseph, enfante Jésus loin de chez elle. Ensuite, ils doivent s’enfuir en Égypte à cause de la persécution d’Hérode. Jésus lui-même devient ger, et il s’identifiera avec les étrangers au dernier jugement (Mt 25). Après la résurrection, l’universalité du plan de salut divin se révèle dans le commandement de quitter la Galilée pour évangéliser tout le monde (Mt 28). Les Actes racontent comment ce mouvement était conduit par l’Esprit Saint. Et on peut lire que les premières grandes missions chrétiennes au-delà de Jérusalem sont dues à la migration, causée par les persécutions qui ont suivi la lapidation d’Etienne (Ac 8). La Bible nous montre alors des hommes et des femmes qui bougent avec une prise de conscience croissante que la vie terrestre est un lieu migratoire pour passer vers la cité et la patrie céleste (cf. He 13 ; Ph 3 ; 1P 1sq. ; Jn 17). Cette conviction se trouve aussi dans le culte de la synagogue, où l’année liturgique finit avec la lecture de la mort de Moïse, voyant la terre promise, sans y entrer (Dt 34), pour après recommencer la nouvelle année avec la lecture de Gn 1. Le peuple juif reste en chemin vers la terre promise. Cette perspective biblique nous permet d’accepter nos peurs et insécurités concernant la migration. Mais, elle nous invite avant tout à reconnaître l’appel à nous ouvrir à l’autre, en reconnaissant que nous sommes tous des migrants sur terre et en faisant confiance au projet universel de
formation chrétienne
De jeunes migrants traversent la Hongrie salut de Dieu. Si les sources de la migration actuelle ne procèdent pas de Dieu, la migration peut être interprétée quandmême comme un signe des temps2. Comme dans les Actes des Apôtres avec la persécution des premiers chrétiens qui a provoqué une grande évangélisation, l’Esprit Saint nous invite à reconnaître dans la migration d’aujourd’hui un appel à la mission. Mais cette évangélisation passe d’abord par le témoignage de la charité. L’accueil chaleureux des migrants, l’intérêt à leur bien-être et l’aide pour qu’ils puissent trouver des bonnes conditions de vie attestent l’amour du Père céleste pour toute la création – un Dieu, qui nous montre en Jésus Christ son visage miséricordieux. Une vie
chrétienne ne peut alors pas être indifférente à l’autre qui frappe à la porte. Ceux qui l’ouvrent auront la possibilité d’une rencontre enrichissante qui est au commencement de la construction d’une fraternité universelle de l’humanité 3. « Il ne s’agit pas seulement de migrants » Nous sommes donc appelés à nous convertir et à voir d’une manière large les défis posés par la migration, comme le pape François nous y invite dans son message pour la Journée Mondiale du Migrant et du Réfugié 2019. « Il ne s’agit pas seulement de migrants », comme il le répète huit fois, mais il s’agit d’une question
intégrale pour accueillir tous les exclus et vulnérables pour surpasser l’indifférence individualiste dans nos sociétés. Il s’agit de protéger tous les petits et faibles et d’arrêter de nous enfermer dans nos peurs. Il s’agit de promouvoir des conditions justes pour que tout le monde puisse participer à un progrès intégral qui respecte la maison commune. Il s’agit d’intégrer ceux qui sont différents de nous, pour ensemble collaborer avec l’Esprit Saint à la construction de la cité de Dieu et des hommes – là, où les derniers auront la première place. f S.B.
Les derniers papes comme le Conseil Œcuménique des Églises ont souvent insisté sur ce fait et ont demandé l’engagement des chrétiens pour améliorer la situation. Cf. l’introduction du pape François dans son message pour la Journée mondiale du Migrant et du Réfugié 2019 [3] Cf. Conseil pontifical pour la pastorale des Migrants et des Personnes en déplacement, Erga migrantes caritas Christi (La charité du Christ envers le Migrants), Rome 2004. [1]
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Migrants mineurs non accompagnés
A partir de son dessin, regarder le jeune migrant "bien dans les yeux" Noémie Paté Docteure en Sociologie de l’Institut des Sciences sociales du Politique (Université Paris Nanterre),chercheuse associée au laboratoire MIGRINTER (Université de Poitiers), et Maître de conférences en Sociologie des migrations à l’Institut Catholique de Paris.
Le phénomène prend, ces dernières années, une ampleur tout à fait inhabituelle : de plus en plus de migrants arrivent en France alors qu’ils sont encore mineurs, et seuls. D’Afrique, du Moyen-Orient ou d’Afghanistan, ils tentent l’aventure de l’exil plus jeunes qu’auparavant.N. Paté s'est intéressée aux parcours migratoires de ces jeunes, mais encore plus à la façon dont ils sont reçus dans nos pays européens, particulièrement la France. Les mineurs non accompagnés (MNA) sont des jeunes migrants âgés de moins de 18 ans, qui ont quitté leur pays d’origine et qui sont sur le territoire français sans représentant légal. Depuis la ratification de la Convention internationale des droits de l’enfant en 1989, la France s’est engagée à accueillir et à protéger tout enfant, indépendamment de son origine, sa couleur de peau, son sexe, ou sa religion. Cet engagement s’est traduit par l’élaboration d’un dispositif spécifique d’accueil et de prise en charge des MNA. Complet sur le papier, le cadre juridique inclut une période d’évaluation de l’âge et de la minorité : ces jeunes migrants ont droit à une protection socio-éducative, mais sous réserve d’être « sélectionnés ». Afin de rendre compte de ces pratiques de sélection, j’ai réalisé une enquête de terrain 1 dans différentes structures associatives en charge du « traitement » des MNA.
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Depuis les années 1970, les phénomènes migratoires sont représentés par des images et discours spectaculaires et sensationnalistes, qui les réduisent aux notions d’invasion, de vague massive, d’insécurité ou de tragédie. Les MNA n’échappent pas à ces mécanismes et l’accès à leurs droits est souvent obstrué par des sentiments collectifs de dangerosité et de soupçon. Dans le cadre de ma recherche doctorale, j’ai cherché à échapper à ce type de représentations. Lorsque les jeunes migrants rencontrés sur mon terrain ont commencé à dessiner, j’ai alors intégré une méthode « surprise » à mon protocole d’enquête : le recueil d’un corpus de 60 productions graphiques (accompagnées de récits), dont les dessinateurs sont âgés de 7 à 17 ans, en majorité des garçons originaires d’Afrique de l’Ouest. Libres du choix des thèmes dessinés, la majorité d’entre eux se tournent vers les thèmes classiques des dessins
d’enfants (arbre, maison, animal, bonhomme), tandis que d’autres produisent des thèmes plus particulièrement reliés à la migration (avion, bateau, mer, soldats, rencontre Noir/Blanc). J’ai fait de ces dessins à la fois un objet d’étude en eux-mêmes mais également un outil, une méthode de recueil de données : c’est ce qui distingue la sociologie sur les images (le dessin est source de données et de symboles qu’il s’agit d’identifier et d’interpréter) et la sociologie avec les images (le dessin est utilisé comme instrument de collecte de récits 2). J’ai donc cherché à poser un regard sociologique sur ces expressions graphiques 3. Voici quelques résultats de cette étude 4. 1. Les origines de la migration Les motifs migratoires des MNA sont variés et indiquent une grande hétérogénéité de leurs profils. Qu’elle soit motivée
formation chrétienne
par le rêve d’une vie meilleure, des maltraitances, un conflit armé, une charge familiale, ou encore une situation d’exploitation, la migration des MNA n’aboutit pas dans une « société d’accueil » mais dans un écroulement, un rêve brisé, une séparation, un sentiment de culpabilité.
Aboubacar, Guinéen, a 15 ans lorsqu’il arrive en France. Quand je le rencontre, il n’arrive pas à dormir, il fait des cauchemars, ne s’alimente pas, et fait des crises d’angoisse. Mis sous anxiolytiques, il reprend progressivement pied. Un jour, il m’apporte le dessin d’une maison. Ce dessin est simple, fait de quelques lignes épurées. Les initiales d’Aboubacar sont contenues dans la maison, faisant écho à la sécurité apportée par ces quatre murs. C’est « la case du départ ». A partir de ce dessin, le jeune garçon com-
mence à se raconter. Il m’explique qu’il s’agit de la maison que son père a achetée pour lui, son grand frère et sa mère qui était la plus jeune épouse et la favorite. Aboubacar évoque des conflits familiaux parfois violents avec les autres épouses et leurs enfants. L’acquisition de la maison et le déménagement ont alors représenté un retour à un quotidien paisible et le jeune garçon l’associe à des souvenirs heureux, en parle avec plaisir : c’est une maison-ancrage. Il évoque ensuite le décès de son père, les pressions du reste de la famille pour récupérer ladite maison. Un jour, Aboubacar est agressé par ses demi-frères et doit être hospitalisé pour traumatisme crânien. C’est suite à cet évènement que sa mère organise son départ pour la France. Aboubacar ne l’apprend que la veille de son départ.
migratoires que les adultes. Or, les politiques migratoires européennes favorisent l’exclusion (construction de murs, logique d’externalisation des frontières) et la mort (en 25 ans, on estime que 40 000 personnes sont décédées ou ont disparu sur les routes de la migration, dont plus de 6 000 en 2016 seulement 6). Ainsi, lorsqu’ils racontent a posteriori leur migration, les MNA sont confrontés au caractère indicible de certaines séquences. Mamadou, Malien, âgé de 14 ans, est envoyé par ses parents en France pour travailler et subvenir aux besoins économiques de la famille. Arrivé en France, une travailleuse sociale lui demande s’il a des papiers d’identité, afin de faciliter sa prise en charge socioéducative. A cette question, il répète simplement : « Je ne les ai pas, j’ai perdu mon pantalon ». Plusieurs jours après cet entretien, il dessine.
A partir de l’image de ce lieu d’attache et de sécurité, Aboubacar parvient à dire ses sentiments de honte, d’abandon, d’insécurité. Le dessin est un intermédiaire entre le monde et sa subjectivité : il ne dessine pas la maison telle qu’il la voit dans ses souvenirs mais il la dessine telle qu’elle est devenue depuis son départ : la maison d’enfance – thème classique du dessin d’enfant – est devenue la « case du départ », origine de la rupture. 2. Prendre la route Même si la migration juvénile présente quelques spécificités 5, les plus jeunes s’inscrivent dans les mêmes trajectoires
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La même travailleuse sociale lui propose d’échanger autour de cette production. Mamadou revient alors sur la traversée de la Méditerranée, depuis la première embarcation aux alentours de Tripoli, jusqu’à l’arrivée d’un « grand bateau italien » qui, en s’approchant de l’embarcation de fortune, l’a fait basculer. Le temps que les secouristes parviennent jusqu’à eux, plusieurs migrants sont déjà morts. Mamadou lui-même tombe à l’eau et manque de se noyer. Il est réanimé par les secours italiens et se réveille à bord du navire, sans son pantalon, dans lequel il avait gardé ses documents d’identité. Il explique également qu’il n’avait pas été envoyé seul par sa famille, mais que son cousin, Mohammed, dix-sept ans, faisait également le voyage. Mohammed s’est noyé ce jour-là.
l’identification sociale (c’est un immigré) influe sur l’image du soi de ces jeunes, fixant ainsi le stigmate de la migration. La première face qui émerge est celle du guerrier : le jeune migrant prend la route comme il part au combat. L’association des schèmes migration et guerre est souvent retrouvée dans les récits des jeunes garçons, comme celui de Hamed, jeune marocain de douze ans, qui, bien que n’ayant jamais été enrôlé par des forces militaires, s’exclame : « Moi je n’ai pas eu peur de la traversée, dans l’armée marocaine, on apprend à se débrouiller ! » dessins, l’élément végétal est pluriel (composé de plusieurs branches, feuilles ou couleurs) et ancré, enraciné dans la terre, le dessin de Lassana, intitulé « La fleur isolée » montre une feuille verte, seule et détachée, comme flottante. Le terme « isolé » n’est pas courant pour exprimer l’idée de solitude, particulièrement chez un jeune garçon dont le français n’est pas la langue maternelle. L’étiquette « isolé », imposée par l’institution comme condition de la protection, aurait alors été intériorisée
L’image rend ici possible la mise en mots de celui qui reste « en suspens » 7, du disparu, celui qui est mort mais que l’on ne peut pas enterrer. Mamadou avait en effet complètement occulté non seulement la mort mais aussi l’existence de Mohammed dans son récit. 3. Une migration intériorisée Dans le corpus d’images recueillies, j’ai observé l’émergence de nouvelles « faces identitaires », ces « signes patents jouant le rôle de porte-identité » 8. Il s’agit des signes de l’intériorisation de la migration, qui devient un trait de la personnalité de ces mineurs. Nous voyons ainsi comment
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La deuxième face qui émerge est celle de l’outsider : la migration a fait d’eux des êtres hors de la norme, étrangers, en marge. L’un des thèmes dessinés où l’on retrouve cette face identitaire est la nature. Tandis que sur presque tous les
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par le garçon, qui exprime ainsi son déracinement. Ici, la feuille n’est plus une maille d’un ensemble, elle n’est plus rattachée au tronc, à la terre, mais elle est – à cause de sa solitude –, menacée par les éléments. Transformé par l’épreuve de la migration, l’enfant migrant arrivé en France se retrouve face à une institution qui l’accuse souvent de mensonge et de tentative d’instrumentalisation des dispositifs d’aide. Tandis que Souleymane, Malien de onze ans, se représente comme un carré recouvert d’épines, le dessin de Mylène, Sénégalaise de seize ans, donne à voir une jeune femme à trois têtes, lesquelles portent en équilibre un grand nombre de vases. Ces représentations graphiques de l’éclatement, de l’écroulement du soi témoignent de la réalité à laquelle ils sont confrontés : en transit depuis plusieurs mois – voire plusieurs années – ces jeunes migrants doivent improviser face à un dispositif qui les met à l’épreuve et qui se saisit de toute « incohérence » pour leur refuser l’accès à la protection.
Découvrir les MNA par la voie du dessin est une manière de ne pas les normaliser, c’est-à-dire de ne pas les penser comme étant plus ou moins proches de l’enfant « idéal » ou du migrant « idéal » (du point de vue ethnocentré occidental et adulte), mais de partir du jeune migrant pour parler du jeune migrant. Face au grand « spectacle » de la migration véhiculé par les discours politico-médiatiques, il s’agit en effet aujourd’hui de « regarder bien dans les yeux les jeunes gens-là qui font tous plus vieux que leur âge, étranges têtes d’ado altérées par une cicatrice, par trop de cernes, par une absente fixité dans un œil qui part, et l’autre aux aguets, par des envies à l’excès, du désir comme s’ils disaient sans arrêt la double absence qu’ils ont à résoudre, avec rage, énergie, anxiété : celle des lieux perdus au point de départ et tenus très loin par toute l’entreprise du voyage […] ; et l’autre absence, celle qui devient plus pesante au fil des mois ou des années, celle de l’arrivée introuvable, le point minuscule du nouveau lieu qui fera sortir de l’exil. » 9 . f N.P.
Paté, N. (2018). L’accès – ou le non-accès – à la protection des mineur.e.s isolé.e.s en situation de migration. L’évaluation de la minorité et de l’isolement ou la mise à l’épreuve de la crédibilité narrative, comportementale et physique des mineur.e.s isolé.e.s. Thèse de Sociologie, sous la direction d’Elisabeth Claverie. Université Paris Nanterre. [2] Cette méthode s’inscrit dans la lignée de la photo-elicitation développée par Douglas Harper (Harper, D. (2002). Talking about pictures: a case for photo elicitation. Visual Studies 17 (1), p. 13-26.) [3] Sur cette démarche, voir : Gell, A. (2009). L’art et ses agents, une théorie anthropologique. Bruxelles : Fabula, Les presses du réel ; Meyer Borba, A. (2010). Dessin : une voie d’expression et de production des cultures enfantines. In S. Octobre & R. Sirota (Dir.), Actes du colloque Enfance et cultures : regards des sciences humaines et sociales. Paris. [en ligne], http://www.enfanceetcultures.culture.gouv.fr/actes/meyerborba.pdf ; Griaule, M. (1947). Arts de l’Afrique noire. Paris : Editions du Chêne ; Cros, M. (2013). Dessiner les passages du sida, ‘côté brousse’. In M. Cros & J. Bondaz (Dir.), Afriques au figuré. Images migrantes. Paris : EAC. [4] Pour aller plus loin, voir : Paté, N. (2019). Dessins de mineurs migrants isolés en situation d’évaluation : une échappée iconique en terre soupçonneuse. Revista internacional de estudios migratorios. UAL. [5] Ils font, par exemple, davantage l’objet de trafic et de traite [6] Migreurop, 2017. [7] A ce sujet, voir : Tura, L. Les Messagers. 2014. [8] Goffman, E. (1975). Stigmate. Les usages sociaux des handicaps. Paris : Editions de Minuit. Coll. « Le Sens Commun ». [9] Agier, M. & Prestianni, S. (2011). « Je me suis réfugié là » Bords de route en exil. Publié avec le concours de l’EHESS (CEAf), l’Agence Nationale de la Recherche (programme Transguerres) et la Fondation Un monde par tous, éditions donner lieu, Paris, 126 p., p. 70. [1]
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Migr'action 79, une association au service des jeunes migrants
Une histoire d'accompagnement Jean-Pierre Carré Communion du Chemin Neuf, Niort
Chrétien engagé, J. Pierre Carré est membre de l'association Migr'action79, laquelle réunit des personnes d'horizons très variés, mais engagées au titre d'un même refus, celui d'une situation jugée inacceptable. Au départ un collectif, Migr'action 79 soutient particulièrement les jeunes migrants dans la région de Niort. De nombreux jeunes migrants arrivaient sur Niort, mis à l'abri dans des hôtels, en attente d'évaluation de la part des services de l'Aide Sociale à l'Enfance débordés par cet afflux nouveau de jeunes en provenance essentiellement de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afghanistan. Nous étions tous révoltés devant cette forme d'abandon inhumain et prêts à retrousser nos manches pour améliorer cette situation mais sans bien savoir comment faire individuellement. En 2017, donc, il y a eu une forte mobilisation face à cette réalité. Pour ma part, j'ai été alerté par le Pasteur de l'Eglise baptiste, d'autres l'ont été par de nombreux canaux très divers. La convergence des bonnes volontés mobilisées s'est traduite par une réunion d'information et de coordination regroupant environ soixante dix personnes en lien avec des organismes
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locaux qui sont toujours nos partenaires aujourd'hui. Dans les réseaux caritatifs et religieux : le Secours Catholique et Secours populaire, la CIMADE, des membres des Eglises baptiste, protestante unie et catholique, Venant du réseau politique, divers participants des partis de la gauche et de la droite locale, ansi que des professionnels de l'aide sociale à l'enfance. A l'issue de cette réunion, un collectif est mis en place avec des pôles d'intervention concrète. Coordonné par le tout nouveau service du Conseil départemental _ la Mission MNA (Mineurs Non Accompagnés) formée de jeunes éducatrices très professionnelles et très motivées_ le collectif est déjà organisé autour des besoins de ces jeunes et vise à leur permettre d'entrer dans un projet de vie devant les conduire à l'autonomie et à l'insertion. Nous souhaitons, tous ensemble, tout faire pour per-
mettre à ces jeunes migrants de parvenir à grandir sereinement et à s'intégrer en tant que jeunes adultes citoyens en France. On parle déjà très concrètement de pouvoir se loger, se former, vivre. A cette période, nous avons ainsi accueilli plusieurs centaines de jeunes migrants. Notre horizon s'est élargi lors de nos rencontres et à leur fréquentation , nous donnant à découvrir des pans de leur histoire, leur pays d'origine, leur parcours et ses dangers, leurs souffrances, leur envie de vivre et de s'en sortir courageusement, leur solidarité dans l'infortune. Le Conseil Départemental s'organise..., les évaluations commencent à prendre un cours régulier, et au bout d'une année, c'est la sous-traitance des activités de la mission MNA par un service spécialisé, puis la fermeture de la mission MNA et de très nombreux jeunes déboutés de minorité.
formation chrétienne
Lors d'une rencontre avec des jeunes majeurs Face à cette situation nouvelle, le collectif ne suffit plus et des réunions de bénévoles permettent de se structurer différemment à côté et non plus avec le Conseil Départemental , dont la majorité ne supporte pas que l'on puisse soutenir les jeunes déboutés de leur minorité. La forme associative est obtenue et publiée au Journal Officiel le samedi 28 avril 2018. Depuis , deux missions importantes sont venues compléter celle des pôles initiaux, avec l'orientation vers l'accès au droit, d'une part, et une mission jeunes majeurs d'autre part. Ainsi, nous avons accompagné de nombreux jeunes qui ont pu faire valoir avec succès leur minorité et être ainsi réintégrés dans le dispositif départemental. Nous avons partagé avec eux leurs inquiétudes, leur tristesse de ne pas être crus par les évaluateurs -(rices), leur espérance, qu'enfin on leur ferait justice. Pour d'autres, "à crève cœur" , il nous a fallu leur conseiller d'aller tenter leur chance ailleurs, car la situation était devenue intenable et risquée pour eux. Les procédures sont longues et il faut alors prendre en compte l' hébergement de ces jeunes en recours grâce à un réseau d'environ 70 bénévoles animés par un groupe
de référents qui ont en charge la relation entre les jeunes et les hébergeants, les établissements de scolarisation ou de formation, les patrons d'apprentissage et le CFA etc. Ils sont environ un flux permanent d'une bonne vingtaine pour lesquels il faut, outre les besoins fondamentaux, assurer un appui administratif et juridique pour rassembler les pièces officielles d'état civil, de carte consulaire, de passeport etc. en lien avec leur pays d'origine, les consulat et ambassade. Quelques un(es) d'entre nous ont ainsi développé une expertise en proximité avec les avocats qui soutiennent les démarches de ces jeunes. Je ne vous cache pas la joie quand on a gagné ou que l'on a trouvé un nouveau moyen, une nouvelle méthode , à mettre en œuvre pour que cela avance dans le bon sens. Cela ne va pas non plus sans stress et nous connaissons la pression des situations d'urgence. Pour ce qui est des jeunes majeurs, il s'agit d'anticiper la sortie des jeunes pris en charge par l'ASE et qui vont sortir du dispositif de protection dès leurs 18 ans, et ce, parfois de manière très brutale, notamment pour ceux qui ont fait l'objet d'une réintégration évoquée ci-dessus. C'est la mise à la rue du jour au lendemain. Si
possible, il faut avoir assuré le logement, la formation ou le travail rémunéré permettant l'autonomie, l'accueil autour d'activités culturelles et sportives grâce à un réseau actif de bénévoles et d'organismes spécialisés répondant à leurs différents besoins. Dernières et nouvelles tâches : rechercher des soutiens notamment financiers, par la recherche de subventions, des cagnottes sur internet, des manifestations ludiques et culturelles etc. Une activité prenante demandant aussi un vrai engagement. Il y a donc toujours à faire vivre une solidarité entre les membres de l'association provenant d'horizons très divers et de sensibilités très variées tant politiques, que sociales ou religieuses. Cette solidarité doit être inventive et prendre des formes différentes, en fonction de l'évolution des besoins des jeunes. Nous essayons de la faire en bureau et en assemblée générale. Migr'action79 est donc une jeune association assez originale et créative de par ses membres, dont certains jeunes migrants eux mêmes, et toujours au service du même objectif: accompagner des jeunes migrants en vue de soutenir leur formation et leur insertion en tant que jeunes adultes autonomes. f J.P.C. foi64 mars-avril-mai 2020
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fraternité œcuménique
internationale Découvrez la diversité de la Fraternité Œcuménique Internationale! L’étranger et le pauvre dévoilent l’humanité Une amitié qui porte des fruits La joie du service Un grand Merci
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f o i 65 84 septembre-octobre-novembre 2018 mars-avril-mai 2020
fraternité œcuménique internationale Témoignage
L’étranger et le pauvre dévoilent l’humanité
Agnès Vanhems 31 ans, Journaliste Reporter d'Images, ccn
Très souvent, face à un problème compliqué et, qui plus est, à la dimension internationale, l'homme singulier se sent diminué, débordé. Pourtant,c'est souvent à l'appel d'une personne singulière que le Seigneur nous demande de répondre et non à la résolution d'un problème insurmontable. Agnès a fait cette expérience et, à la demande de FOI, elle nous raconte sa rencontre particulière à Paris. Un soir de décembre à Paris, j’ai croisé le chemin de Daniel, un roumain qui allait sans le savoir, m’apprendre à faire confiance. Assise dans le métro, un homme me demande si je parle anglais. Il cherche un bus pour la Roumanie. Il a les yeux brillants de fatigue et ne cesse de répéter « I need to go home ! ». Alors je lui propose de sortir du métro pour regarder sur internet. Il n’a que 100€ en poche et les bus sont à 130€, et dans 2 jours ! Alors là je commence à prier, car je ne vois pas comment l’aider, et il a l’air vraiment épuisé et apeuré. Il est venu travailler à Paris et désassembler des machines à laver. 3 semaines, 1 carton pour dormir, 1/2 baguette par jour et 100€ de salaire. Il s’est donc enfui de la décharge pour rentrer chez lui, mais s’est perdu dans la ville. Il a marché 72h sans dormir. Il me dit que Paris est une jungle, que tous les gens sont drogués et qu’il ne peut faire confiance à personne, sauf à moi… Je suis surprise, car de mon côté je ne sais pas comment lui faire confiance. Ma seule solution : m’en remettre à Dieu. Chaque idée, inquiétude, doute, je prie pour être guidée. Je finis par trouver un covoiturage pour la Roumanie ! Miracle ! Mais il part le lendemain à 6h. Mais où va-t-il dormir ? J’appelle des amis,
consulte un annuaire d’hébergements etc. J’ai bien pensé à chez moi, mais seule avec lui, je ne suis pas rassurée. Néanmoins, ne trouvant rien, et après avoir réfléchi, je lui propose une chambre dans l’appartement où je vis. A chaque instant je prends le chemin de la prière. Je confie la situation à Jésus, en lui disant : « maintenant aide-moi à aller jusqu’au bout de cette mission. Je suis heureuse d’aider un frère, et même si j’ai peur, je choisis la confiance ! ». Arrivés à la maison, Daniel me raconte les épreuves de sa vie. Il me dit combien son âme est triste et noire, mais qu’il veut la paix. Alors je prie pour lui, toute la nuit, car je crois que cette paix Dieu peut lui donner. Je n’ai pas dormi de la nuit, mais au réveil il me dit avec un grand sourire « I’ve slept like an angel ! ». Tout au long de cet évènement, j’ai vraiment ressenti la paix et la présence de Dieu avec moi face à l’inconnu. Et c’est seulement grâce à Lui que j’ai été rendue capable de mettre en pratique fraternité et charité ce soir là. Je me suis rappelée cette prière au fond de mon coeur : « j’aimerai un jour pouvoir accueillir le plus pauvre, et avoir la force d’aller jusqu’au bout de ce que certains appellent la charité chrétienne, mais surtout d’être vraiment humaine. » f A.V.
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La présence du Chemin Neuf en Sicile
Une amitié qui porte des fruits La Communauté s’est officiellement installée à la Casa di preghiera “Villa La Nuza” le 11 septembre 2017, jour où les derniers Jésuites sur place ont quitté la maison. La Communauté ici est en fondation et nous avons besoin de temps pour sentir, comme le dit Saint Ignace, de manière suaviter et fortiter ce que le Seigneur nous demande. Dans ce chemin de fondation, nous sommes soutenus aussi par les frères et sœurs des autres maisons de la P. Federico Bertacchini
Communauté présents en Italie : Modène, Trevi et Rome.
Responsable de la ccn en Sicile
La Sicile est une région marquée par l’invasion de plusieurs peuples au cours de l’histoire, mais qui a su garder la richesse de toutes ces cultures. La maison se trouve dans les collines, à une demi-heure de Palerme. Elle dispose de 23 chambres et de 46 lits, entourée par un parc de cinq hectares, avec une superbe vue sur la mer. Nous nous nourrissons en partie des produits de notre jardin où nous cultivons des légumes et des arbres fruitiers. Plusieurs centaines d’oliviers enrichissent le parc de leur présence et nous permettent de produire notre propre huile d’olive. Sans oublier la confiture d’oranges et citrons… ni, bien sûr, le limoncello. La collaboration avec les jésuites Les Jésuites de la nouvelle Province EUM (Euro-Méditerranéenne) ne nous ont pas seulement confié une maison, mais aussi tout leur l’héritage spirituel et pastoral lié à la pratique des Exercices spirituels dans cette belle terre de mission. Ils se sont employés à nous faire connaître dans le territoire, tout en s’assurant que certaines activités comme, par exemple, la grande retraite ignatienne de 30 jours, puissent continuer à avoir un large public, car il y
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avait le risque qu’avec le départ des jésuites, toutes les personnes qui étaient liés à leur présence, arrêtent de fréquenter la maison. Si les Jésuites sont partis en nous confiant la maison, ils continuent néanmoins de nous soutenir en venant ici pour donner des retraites. Chaque année, nous fixons une ou deux semaines d’Exercices spirituels par mois. Cela nous permet d’avoir un programme très riche en nombre (20 retraites pour l’année 2019-2020) et en style de retraites, car ces retraites ignatiennes vont être nuancées dans le style selon si elles sont animées par les frères et sœurs de la Communauté ou animées par tel ou tel autre père jésuite. Cela nous permet également de côtoyer les membres de la Compagnie de Jésus et les personnes que chaque père amène car, chaque jésuite a son propre réseau. Il est arrivé aussi que nous animions certaines semaines d’Exercices ensemble, Jésuites et Chemin Neuf. La collaboration avec les Jésuites marche dans les deux sens et elle ne se limite pas à leur passage dans la maison lorsqu’il y a une retraite animée par eux. Pendant ma
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première année ici, tous les mercredis après-midi, j’allais dans leur école de Palerme, l’Institut Gonzaga, pour aider au catéchisme avec les enfants qui se préparaient à la première communion. Depuis le début, et encore maintenant, je fais partie du Conseil directif du C.I.S. (Centre Ignatien de Spiritualité), un organisme de la Compagnie de Jésus qui travaille et réfléchit pour redécouvrir le charisme ignatien des origines, promouvoir et coordonner toutes les activées ignatiennes en Italie et dans les pays qui font partie de la Province EUM (dans ce contexte nous avons pu présenter la mission CANA pendant une rencontre du Conseil et la présenter plus largement pendant un colloque organisé en mars 2019), former des accompagnateurs pour les Exercices d’une semaine et pour la retraite des 30 jours et organiser un colloque de trois jours chaque année sur des thèmes liés au discernement et aux Exercices spirituels. D’autres collaborations, à plus courte durée, ont été portées en avant pendant ces trois ans, entre nos deux communautés.
La formation pour les bénévoles du Centre Astalli De Palerme En 2019-2020, avec une équipe mixte (Jésuites, Chemin Neuf et des laïcs du Centre Astalli), nous avons mis en place quatre journées de formation pour les bénévoles de cette association, ici dans notre maison “Villa La Nuza”. Nous avons reçu une vingtaine de bénévoles de tous âges, qui s’occupent de la préparation du petit-déjeuner, des cours d’Italien, de l’écoute à l’accueil, des démarches administratives et des démarches judiciaires. Il s’agissait, tout d’abord, de les écouter, écouter leurs questions, leurs besoins, leurs peurs et difficultés, tout en partant de leur propre expérience. Tous ces éléments nous ont permis d’organiser les trois journées suivantes. La deuxième journée a eu pour thème : “Les figures de proximité : comment se tenir face à l’autre”, avec l’aide d’une psychologue qui travaille avec les migrants dans un SPRAR en Sicile (Système de Protection pour les Demandeurs d’Asile et Réfugiés). Il s’agissait de sensibiliser les bénévoles
à la violence psychologique et physique subie par les migrants durant leur voyage migratoire et de leur donner des outils pour gérer les tensions et les conflits qui peuvent se présenter dès qu’ils entrent en relation avec ces personnes blessées. Pour la troisième journée, intitulée: “Droit d’asile et d’accueil des migrants sur le territoire”, nous avons invité deux avocats spécialisés dans le droit du migrant. Cette journée avait pour but d’informer les bénévoles sur les lois liées à l’accueil et à l’intégration des migrants. La dernière rencontre a consisté à partager, relire cette première année de formation et programmer la deuxième année. De nombreux temps de partage et de relecture, ainsi que des déjeuners avec repas partagés permettaient aux bénévoles à se rencontrer entre eux, surtout ceux qui travaillent dans des secteurs différents et qui peuvent rester toute une année au Centre Astalli sans jamais se rencontrer. f F.B.
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Temoignage
La joie du service Pascal et Anne-Marie GOUDESEUNE Communion du Chemin Neuf
Lorsque l’heure de la retraite a sonné, il y a une bonne dizaine d’années, nous étions encore en pleine forme physique et pleins de bonnes dispositions…. Habitant près de Lille et engagés dans la Communion du Chemin Neuf, nous avons découvert la joie de nous mettre au service, en particulier au monastère de Bouvines. Cette belle et grande maison est notre lieu source et aussi un peu « notre deuxième maison » parce que nous nous y sentons bien et apprécions de partager la vie de nos frères et sœurs communautaires. Nous avons commencé par être présents pendant une semaine, chaque automne, pour participer à l’accueil d’une session de futurs chefs d’établissement d’enseignement catholique, souvent au service de la cuisine. Les rencontres sont toujours enrichissantes (nous avons été nous-mêmes chefs d’établissements) et nous donnent l’occasion de témoigner. Pendant ces périodes, nous vivons aussi au sein de la Communauté et partageons les temps de prière qui rythment ses journées, ce qui nourrit notre vie spirituelle. Pendant plusieurs années, le monastère a accueilli des parcours « Elle et Lui » qui proposent un chemin pour les couples ; nous avons co-animé ces rencontres avec d’autres membres de la Communion et de la Communauté ; les journées du jeudi étaient entièrement consacrées à la préparation de la soirée : enseignements, témoignages, décoration de la salle, repas « aux petits oignons » …. Toute l’organisation était millimétrée et le travail d’équipe était une vraie réalité. Les couples se faisaient le cadeau de temps rien que pour eux ; pour preuve, la réaction d’une participante au moment de la relecture : « Pendant ces soirées, je n’avais pas en face de moi le père de mes enfants mais c’était bien mon mari… » Plusieurs fois aussi, comme le 14 février dernier, nous avons été au service de la « Saint Valentin pas comme les autres ». Là encore, en collaboration avec nos frères de la Communauté et de la Communion, notre
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joie est grande de partager ce service avec des animateurs de la paroisse ou encore du mouvement « Vivre et Aimer » ; la joie et l’enthousiasme alors se multiplient ! Chaque été, nous avons aussi beaucoup de joie à passer une semaine au monastère. La maison est vide mais nous accueillons des personnes de passage ou nous invitons des voisins, des proches à passer un moment avec nous pour leur faire découvrir ce lieu dont nous leur parlons si souvent… Il y a trois ans, nous avons senti un appel (et aussi de la curiosité) à découvrir la mission au-delà de nos frontières et nous avons eu la chance de partir à Madagascar au service de la Communauté pendant un trimestre, séjour renouvelé l’année suivante. Nous avons découvert un autre monde : un pays tellement riche et tellement pauvre……. Là aussi, accueil chaleureux et généreux du Père Henri ; simplicité de la vie fraternelle : animation d’un office par semaine pour chacun et exhortation (une nouveauté pour nous…), fous rires… enseignement du français en école, collège ou université (la soif d’apprendre est incroyable !) rencontres fabuleuses de femmes et d’hommes qui se donnent sans compter pour lutter contre la pauvreté... Rencontres qui ne laissent pas indemnes... A notre retour, nous avons ressenti le besoin de témoigner, montage photos à l’appui, une quinzaine de fois dans des écoles et collèges français ou dans des paroisses, de nos découvertes. La conclusion disait que 90 % des riches ne sont pas heureux mais que 90 % des pauvres, à Madagascar, sont joyeux… Constat que nous ne cessons de méditer… Nous avons la chance de vivre chacun la joie du service mais, de surcroît, le fait de pouvoir être au service en couple nous nourrit, nous épanouit, nous fait grandir et consolide notre couple ; c’est la cerise sur le gâteau ! ....
f.o.i A Dieu
Un grand Merci Miklos et Anne-Sophie nous ont quittés pour la grande Rencontre, à laquelle l'un et l'autre se préparaient. Leur départ fut l'occasion de réaliser tout le bien qu'ils ont semé, tant dans leur vie familiale que leur engagement professionnel et communautaire.
Miklos Vetö professeur de philosophie
Anne-Sophie Gibert mère de famille, professeur d'anglais, ccn
Cher Miklos,
Anne-Sophie
Le Studium te pleure aujourd’hui, et se souvient. Il se souvient de tes arrivées au premier train du matin, dans une maison encore un peu endormie, De ces petits déjeuners où ton esprit, déjà, fusait allègrement, De tes cours à nul autre pareils, où tu semblais converser en toute familiarité avec Kant, Hegel ou Schelling, et parfois ton ami Levinas. De ces dernières années où tu livrais la quintessence de ta pensée devant un auditoire impressionné qui voyait la philosophie en acte : ta métaphysique de l’amour et ton livre sur Dieu, qui, tu le disais toimême, préparait la Grande Rencontre.. De ces repas animés après le cours, avant de repartir en toute hâte rejoindre Odile et poursuivre tes nombreuses occupations. 19 années d’étudiants que tu as généreusement formés se souviennent de ta présence si amicale, de ton humour et de ta grande disponibilité. Pour tout cela, cher Miklos, une immense reconnaissance et un grand merci.
Dans notre fraternité tu laisses la trace d'une douce présence entre légèreté et fermeté
Les étudiants du Studium de philosophie, Chartres
Trace d'une femme courageuse et déterminée debout contre vents et marées Trace d'une femme qui a su accueillir la vie cette vie qui pétille décidément et que tu as su transmettre Trace d'un sourire qui dit cette joie profonde dont tu t'es laissée habiter celle de ceux qui se savent aimés Trace d'une foi qui nous a encouragés d'une confiance en ce Dieu que tu as cherché humblement à aimer et qui te dévoile aujourd'hui son visage Veronique Charvet
foi64 mars-avril-mai 2020
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«La charité,c’est la rencontre expérimentale avec le Christ, c’est le vouloir-vivre avec le cœur de Dieu qui ne nous demande pas d’avoir envers les pauvres un amour générique, une affection ou de la solidarité, mais de le rencontrer en eux». Pape François, 21ème Assemblée générale de Caritas Internationalis, le 23 mai 2019.
"Frère, que sommes-nous en train de faire?" "Nous donnons de l'espoir à ces frères." Comme il était en train de distribuer du pain, ce volontaire a ajouté:"Et de la charité!". Oui, c'est une mission d'espérance et de charité! P. Guiseppe Vitrano, sdb, Palerme
5,50€ foi64 mars avril mai 2020