Hors-série mai 2005 • 6,50
FO
Hors-serie
FRATERNITÉ ŒCUMÉNIQUE INTERNATIONALE
Homme et femme vive la différence
Journée Mondiale de la Jeunesse en Allemagne du 10 au 21 août 2005
Communauté du Chemin Neuf
demande de partenariat
Grâce à vous, 5000 jeunes venant de 40 pays du monde participeront à la XXème JMJ à Cologne À l’appel du Pape Jean-Paul II la prochaine Journée Mondiale de la Jeunesse se déroulera en Allemagne du 10 au 21 Août 2005. Une grande aventure spirituelle et fraternelle pour 5000 jeunes rassemblés par la Communauté du Chemin Neuf.
Le Groupe International Chemin Neuf Pour préparer la JMJ à Cologne, la Communauté du Chemin Neuf organise un grand Rassemblement International à Volkenroda, au cœur de l’Allemagne, du 10 au 15 Août 2005.
Nous vous demandons votre soutien pour accueillir les jeunes à Volkenroda Le coût du rassemblement est de 130 par jeune. Certains ne peuvent pas payer l’intégralité de cette somme, nous voudrions pouvoir les accueillir, même s’ils n’ont que peu d’argent.
Nous devons trouver 40 par jeune, soit 200.000 Merci d’investir pour la Paix et l’Unité entre les peuples et les Églises en Europe et dans le monde.
pour la Communauté du Chemin Neuf
Père Vincent Breynaert Responsable de la Mission Jeunes CCN
Bulletin de soutien
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à envoyer à : Communauté du Chemin Neuf • Secrétariat JMJ 2005 59, Montée du Chemin Neuf • 69 005 Lyon Nom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Prénom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Adresse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Oui, je soutiens la JMJ et le projet de la Communauté du Chemin Neuf pour contribuer à faire de ces 5000 jeunes des “bâtisseurs de Paix” et je fais un don de : o 320 o 80 o autre montant : ………………
o 160 o 40
o par chèque à l’ordre de la Communauté du Chemin Neuf o oui, je souhaite recevoir un reçu fiscal Les dons versés par des particuliers ouvrent droit à une réduction d’impôts sur le revenu égale à 60 % du don versé dans la limite d’un plafond égal à 20 % du revenu imposable. Les dons versés par des entreprises ouvrent droit à une réduction d’impôts égale à 60 % du don versé dans la limite de 5 ‰ du chiffre d’affaires.
Homme et femme, vive la différence Éditorial
FO
Homme et femme, vive la différence !
10 rue Henri IV, 69287 LYON CEDEX 02 Fax : 04 78 37 67 36 Tél. : 04 78 92 71 36 revue.foi@chemin-neuf.org
Derrière ce titre, très soft dirait-on en anglais, de ce dernier numéro de la revue FOi, il y a des questions graves qui secouent notre humanité et bien évidemment nos Églises. Pour n’en citer que deux : la question si douloureuse et parfois si violente de l’homosexualité d’une part et d’autre part la question de la place de la femme dans l’Église. Nous venons de quitter un pape qui, de manière assez prophétique pour son époque et son milieu, a parlé de la vocation du couple et a écrit : “Le christianisme est de toutes les religions celle qui élève le plus le corps humain à toute sa dignité, notre corps est capable de résurrection et en même temps la Bible associe amour et sexualité”. Il y a dans le christianisme une voie, une célébration de l’amour et de la sexualité. C’est parce que le mystère de mariage est grand comme dit si bien St Paul, parce que l’union mystique du Christ avec l’Église nous permet de mieux comprendre la beauté du mystère de l’union de l’homme et de la femme, la beauté et la fécondité de l’union des différences, que les différents Papes furent de tout temps en quelque sorte les défenseurs de l’Amour. Cela notre époque a souvent du mal à le comprendre… mais les très nombreux jeunes chrétiens qui aimaient Jean Paul II ne s’y trompaient pas ! Il parait que ses derniers mots, juste avant son agonie, alors que des jeunes applaudissaient et chantaient à sa fenêtre furent pour eux : “Je vous ai cherchés, vous êtes venus, je vous remercie !” Dans la Foi, dans la Fraternité Œcuménique Internationale (F.O.I.), nous avons accueilli ce nouveau Pape Benoit XVI et nous avons tous noté avec attention ses propres et graves paroles le lendemain de son élection : “En toute conscience, par conséquent, au début de son ministère dans l’Église de Rome que Pierre a baigné de son sang, son successeur d’aujourd’hui se fixe comme tâche première de travailler, sans ménager son énergie, à la reconstitution de la pleine et visible unité de tous les disciples du Christ. Telle est son ambition, tel est son impérieux devoir. Il sait que pour atteindre son but, les manifestations de bons sentiments ne suffisent pas. Il faut des gestes concrets qui pénètrent les âmes et remuent les consciences, incitant chacun à cette conversion intérieure qui est le présupposé de tout progrès sur le chemin de l’œcuménisme”. Ce matin j’étais heureux de lire le message plein d’espérance du Pasteur Gill Daudé de l’Église Réformée, délégué à l’œcuménisme : “À la lecture de sa première homélie, je me réjouis que le nouveau pape Benoît XVI place l’unité des chrétiens comme engagement premier et cause fondamentale de son pontificat. C’est un signal très positif. J’ai apprécié que l’œcuménisme soit placé au niveau de l’exigence théologique et non LAURENT FABRE de la simple cordialité. Il n’a pas non plus oublié les conversions que cela C’est parce que doit susciter dans toutes nos Églises. Benoît XVI a trouvé les mots justes. l’union mystique du On n’en attendait pas moins de ce bon théologien.” Mais avant de tourner la page, avant d’entrer dans cette autre étape de Christ avec l’Église l’histoire de l’Église et du monde, en saluant une dernière fois Jean Paul II, nous permet de admirons encore ce triple fait, sans triomphalisme, mais avec un amour mieux comprendre renouvelé pour Jésus le Christ qui a dit « et moi une fois élevé de terre la beauté du j’attirerai tous les hommes à moi » (Jean 12, 32) : - Jamais de son vivant un homme n’aura rassemblé devant ses yeux mystère de l’union (et ses bras !) autant d’hommes et de femmes et de jeunes, en aussi grand de l’homme et de la nombre et aussi différents ! femme, la beauté et - Jamais dans toute l’histoire de l’humanité un enterrement n’aura la fécondité rassemblé autant de chefs religieux et de chefs d’états et n’aura mobilisé tant de médias ! de l’union des - Jamais les fils d’Abraham, juifs, chrétiens et musulmans ne furent différences, que les aussi bien et prophétiquement réunis par la parole et le témoignage différents Papes d’un homme en train de mourir… au milieu de tant de guerres fratricides ! furent en quelque “BRAVO J.P. II” comme criaient les jeunes sous sa fenêtre ouverte sur le monde. sorte les défenseurs Père Laurent Fabre n de l’Amour.
Directeur de la publication : P. Laurent Fabre
Rédaction
Rédactrice en chef : Valérie Goubier Équipe de rédaction : Bernard Delthil Philippe Gibert Koumi Ono SecrÉtaire : Marie-Roselyne Lemonnier
Gestion/Administration
ame • Tél.: 04 78 37 45 99 Directeur : Vincent Le Callennec abonnements : Andrée Baruch Audrey Jolicœur Daniel Rengade Marie-Thérèse Subtil Nicole Zebrowski Réalisation : Imprimerie du Chemin Neuf Dominique Laslandes Izabella Wadolowska Elisabeth Witos Impression : IML-69850, St Martin en Haut Dépôt légal : 2ème trimestre 2005 N° Commission Paritaire en cours ISSN : 1770-5436 Photos : CCN ©
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Encarté dans ce numéro, un CD audio de Agnès Lefranc : L’Alliance avec Abraham pour les abonnés de FOi, formule complète. w Hors-série N°3 w FOI w
3
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Hors-serie
Homme et femme
1
Égaux et différents 8 Nos différences, une bénédiction pour notre couple Marie-Noëlle et Yves Gélébart Témoignage
12 La création, don de la relation Michaela Borrmann Approfondir
16 La différence est vocation à l’unité Alain Matthéeuws, sj. Approfondir
20 Entre tradition et modernité au Burkina Faso Victor Kafando Approfondir
22 Nous avons appris à regarder les choses ensemble Marie-Cécile et Victor Kafando Témoignage
24 Stratégies féminines au Moyen Âge Annie Noblesse-Rocher Approfondir
Un combat à mener 30 Aventure ou clonage, le chemin de la Bible
2
Philippe Lefebvre, op Approfondir
34 Il y a non-équivalence entre hétéro- et homosexualité Xavier Lacroix Entretien
41 Le mariage chrétien a-t-il un avenir ? Père Jean Breck Approfondir
43 Il faut deux mains pour agir
Père Emmanuel Daublain Témoignage
44 L’altérité sexuelle, pauvreté fondamentale Jean Vanier Témoignage
46 Les enjeux du vocabulaire Lucienne Sallé Approfondir
48 Le masculin et la paternité sont à réinventer Jacques Arènes Entretien
Une richesse à faire fructifier 54 Communiquez et vous vivrez !
3
Père Denis Sonet Approfondir
56 Nos différences sont devenues source de dynamisme Otto et Judka Csomor Témoignage
59 Amour, mariage et sexualité Père Jean Chryssavgis Approfondir
61 La mixité, quand on en parle
Colloque des Orphelins d’Auteuil Reportage
66 Une femme Docteur de l’Église ! Monseigneur Guy Gaucher Approfondir
69 Bibliographie
vive la différence Mai 2005 • Sommaire
1
Égaux et différents O
ser dire que l’homme et la femme sont égaux et différents, tenir les deux ensemble paraît de plus en plus contradictoire “alors que l’idée d’égalité devenue le seul repère unanime, transformée en “idée fixe”, efface et écrase celle de différence” comme le remarque Xavier Lacroix dans son dernier ouvrage la Confusion des genres. Pourtant, n’est ce pas la dignité et la beauté de l’homme et de la femme qui sont ainsi en jeu et qu’il convient de toujours plus découvrir et approfondir, aimer et choisir ? Marie-Noëlle et Yves Gélébart témoignent ainsi avoir découvert que leurs différences se révélaient être le ciment de leur couple, ce que corroborent Michaela Borrmann dans sa lecture de Genèse 2 et Alain Matthéeuws parcourant les traits les plus caractéristiques de l’anthropologie de Jean Paul II, notamment son attention au donné du corps sexué, porteur d’un sens et d’un appel. Quel que soit le lieu (au Burkina Faso), ou l’époque (le Moyen Âge), Victor Kafando et Annie Noblesse nous rappellent que cette égalité de dignité est toujours à découvrir et inventer sous l’impulsion de l’Esprit Saint, pour que la différence soit elle aussi respectée et que chacun, l’homme comme la femme, puisse construire la société et exprimer sa foi. n
8
Marie-Noëlle et Yves Gélébart
Nos différences, une bénédiction pour notre couple
12
Michaela Borrmann
16
Alain Matthéeuws, sj
20
Victor Kafando
22
Marie-Cécile et Victor Kafando
24
Annie Noblesse-Rocher
Au commencement, le don de la relation
La différence est vocation à l’unité
Entre tradition et modernité au Burkina Faso
Nous avons appris à regarder les choses ensemble
Stratégies féminines au Moyen Âge
Égaux et différents Témoignage
Nos différences, une bénédiction pour notre couple Relisant leur vie de couple, Yves et Marie-Noëlle Gélébart témoignent comment la prise en compte de leurs différences d’homme et de femme construit leur couple et leur famille, et devient ciment d’unité.
“Tous les hommes T
sont égaux” proclame la déclaration des droits de l’Homme. “La femme est pour l’homme, l’autre le plus autre.” dit Marc Oraison. Et pourtant, homme et femme, en couple, nous sommes invités à conjuguer ces deux réalités : vivre égaux avec nos différences. Mais, n’est-ce pas utopique, voire périlleux, de vouloir concilier ces deux entités ? Cette association paraît, en effet, à première vue, très paradoxale ! Déjà au niveau du vocabulaire ce sont deux termes antinomiques. Est égal, définit le dictionnaire, ce qui est de même quantité, dimension, qualité ou valeur, et on donnera à ce mot des synonymes tels que “identique, même, équivalent, pareil”. Nous entrons dans le domaine de la comparaison. On peut penser aux deux plateaux d’une balance qu’il faut équilibrer. L’enfant très tôt a cette notion de “juste” et “pas juste”. Avec mes frères et sœurs, quand nous étions petits, nous pesions nos parts de dessert ! Une curieuse façon d’appréhender l’égalité ! Différent, par contre, caractérise ce qui se distingue, présente une dissimilitude, un écart, une particularité. On fera référence alors à des notions de “dissemblable, distinct, autre, contraire, opposé ou inégal”.
contexte rassurant avec de tels repères mais souvent aussi, enfermant. Aujourd’hui, l’égalité est une réalité à laquelle nous sommes particulièrement sensibilisés. En France, cette notion figure même au centre de notre devise nationale : “liberté, égalité, fraternité” et se trouve donc inscrite aux frontons des mairies de toute ville et tout village. Chacun de ces trois termes est relié aux autres, donc qui dit liberté, dit égalité ; qui dit égalité dit fraternité possible ! Le souci de l’égalité est donc bien présent dans de nombreux domaines de la vie (pensons par exemple, en matière d’éducation à l’effort pour une égalité des chances pour tous, ou en politique, à la loi sur la parité ou contre les discriminations sexistes pour les femmes au travail). Même si tout n’est pas gagné, l’égalité est recherchée, encouragée, valorisée. À l’inverse, la différence est une réalité beaucoup
DDans notre société
des siècles précédents, les différences étaient bien marquées : différences sociales, culturelles, différences hommes/femmes. Nous étions dans une société inégalitaire. Les séparations pouvaient être étanches dans de nombreux domaines. Chacun avait un rôle et une tâche bien définis. Un
8 w FOI w Hors-série N°3 w
La famille au grand complet à l’Abbaye des Dombes : Yves, Marie-Noëlle, Jean-Baptiste, Anne-Claire, Juliette, Gwénaëlle et Benoît
moins évidente. Souvent ce qui n’est pas pareil, fait peur (peur de l’étranger, de l’handicapé…) Ce qui est inconnu peut effrayer ou déstabiliser. Il est difficile d’accepter ce que nous ne pouvons appréhender, ce qui échappe à nos repères. Aujourd’hui nous assistons donc à un refus de la différence qui va être, soit gommée, soit niée. La différence sexuelle en fait partie. Nous pouvons observer ce phénomène, par exemple, à travers la mode unisexe (pour l’habillement, la coupe de cheveux…), le désir d’interchangeabilité des rôles de l’homme et de la femme. “Le père est une mère comme les autres” titrait humoristiquement un article de journal parlant de la paternité. Dire que l’homme et la femme sont différents apparaît parfois comme une discrimination sexiste qu’il faut combattre. Notre culture contemporaine oppose donc spontanément égalité et différence. Il n’est donc pas naturel de les concilier, ni même de les envisager l’un avec l’autre. Alors, est-ce possible à vivre ? Quel est l’avenir de la relation homme-femme ?
DDans notre couple,
on ne peut être plus différents ! En effet, nos identités d’homme et de femme se sont trouvées fortement accentuées par nos histoires respectives. Yves est l’aîné d’une famille de quatre garçons, alors que chez moi quatre filles précèdent le seul frère. Chez l’un, on se retrouve devant la télé, on discute actualité ; chez l’autre, on papote sans fin dans cet endroit stratégique qu’est la cuisine. Les façons d’être ensemble, de se détendre, de choisir ses loisirs, d’appréhender le travail ont été, dès notre enfance, envisagées dans un contexte très masculin pour Yves et très féminin pour moi. Au-delà de nos tempéraments, nous avons réalisé combien c’est avant tout notre identité sexuelle qui nous différencie très
profondément. Alors que nous rêvions de “l’âme sœur”, de cette personne idéale, tellement proche, qui nous comprendrait parfaitement, curieusement ce sont plutôt nos différences qui nous ont attirés l’un vers l’autre. Peut-être recherchions-nous sans le savoir une certaine complémentarité ! Dans cette recherche d’égalité et d’unité, nous aspirions en fait à la fusion. L’autre aurait miraculeusement tout ce qui me manque et nous pourrions constituer à deux un tout parfait répondant à notre désir de perfection. Après notre mariage, la répartition des rôles de chacun s’est faite spontanément et assez simplement : Yves avait un travail rémunéré dans une entreprise et moi, j’avais choisi de m’occuper de nos cinq enfants, arrivés progressivement. Je prenais donc en charge presque intégralement les tâches ménagères. Mais je remettais à Yves tout ce qui relevait du bricolage, jusqu’à l’ampoule à changer ! Tout allait bien au début, sauf le regard des autres. Ma grande difficulté, lors d’invitations, était de répondre à la question : “Qu’est-ce que vous faites dans la vie ?”. Les savantes réponses, du genre “mère au foyer” ou “ingénieur domestique” ne troublaient pas en général mon interlocuteur qui traduisait par “rien”, et je sentais alors que la conversation était terminée. Je n’étais digne d’aucun intérêt. J’avais la curieuse impression de devenir stupide.
EEst-ce que je suis
ce que je fais ? Est-ce que je vaux ce que je gagne ? Yves me disait alors “je ne peux faire ce que je fais que parce que je sais que tu es là”, et parlant de ce qu’il touchait, il disait toujours “notre salaire”. Cela m’a aidée à intégrer qu’égalité ne rime pas avec uniformité. Une étape important pour nous a été mon absence pendant un mois (pour la grande retraite des “Trente
Jean Baptiste
Où en sommes-nous dans ce que nous vivons ensemble ? Notre critère est à la fois la joie dans ce que nous faisons et notre croissance à chacun et ensemble.
Tomate aux Dombes Benoît
Juliette
“
“
Certaines de nos différences sont absolument incompressibles : elles existeront toujours. Justement parce que c’est ma différence qui me rend unique face aux autres. Jours”). Yves a dû vivre une partie de ce qui était mon quotidien et notre vie de famille en a été transformée. Soudain, il voyait ce qu’il fallait faire : descendre la poubelle, ranger l’appartement. Les enfants ont bénéficié aussi d’une nouvelle façon d’être avec eux, moins proche, plus responsabilisante. Quand je suis rentrée, j’ai trouvé qu’ils avaient grandi et gagné en autonomie. Ce qui était incroyable, c’est de constater qu’Yves pouvait effectuer les mêmes tâches que moi mais de façon complètement différente.
EEn fait, nous avons
réalisé que le sentiment d’inégalité naît de la façon de vivre la situation plutôt que de la situation elle-même. Chaque fois que je ressens que mon travail n’est pas respecté, reconnu (salir ce que je viens de nettoyer, par exemple), quand je croule sous telle tâche avec l’impression de ne pas y arriver, lorsque je commence à comptabiliser ce que je donne (“la dernière fois, c’était déjà moi.”), que j’ai la désagréable impression de me faire avoir, d’être lésée, perdante, je tombe alors vite dans la comparaison et la jalousie. L’autre a le beau rôle, la reconnaissance… Et il y a à la fois du vrai et aussi tout mon imaginaire où j’en rajoute pas mal ! Finalement, la grande question sous-jacente est de savoir quelle est ma place, et si la place de l’autre n’est pas meilleure. Nous avons cru longtemps que le fait de s’aimer nous mettait à l’abri d’un tel risque mais il est réellement présent même au sein de notre couple. On retrouve l’éternelle interrogation des disciples à Jésus : « Qui est le plus grand ? » Et là, la clé est de ne pas s’enfermer dans cet événement et laisser le ressentiment nous envahir. Pour nous, le dialogue, la parole donnée et redonnée a pu être, et est toujours, le pont entre deux “irréductibles différences”.
PPour nos projets,
nos choix, pendant longtemps, nous ne nous sommes jamais posé de question pour savoir lequel de nous deux prenait les décisions. Y en a-t-il un qui décide et l’autre qui se laisse conduire ? Pour moi, j’ai eu souvent mille et une idées à la fois et j’organisais volontiers week-ends, sorties, rencontres. Jusqu’au jour où Yves a exprimé le désir de vivre cela autrement. J’ai entendu sa demande et j’ai senti alors l’importance d’une “soumission” de ma part. Mot piégé, qui fait penser à une obéissance servile mais qui, pour moi, est l’acceptation profonde d’une dépendance vis-à-vis de celui avec qui je me suis engagée définitivement. Oui, ma liberté n’est pas sans limite. L’égalité, n’est-ce pas aussi écouter le désir de l’autre, le laisser passer devant ? “Un pauvre devant un autre pauvre” comme on aime dire à Cana. S’asseoir, refaire le point devient nécessaire : Où en sommes-nous dans ce que nous vivons ensemble ? Notre critère est à la fois la joie dans ce que nous faisons et notre croissance à chacun et ensemble. Il y a quelques années, nous avons décidé que je reprendrai
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des études. Pour moi, cela a été source d’un grand équilibre entre mon quotidien très matériel et ce côté intellectuel que j’avais laissé depuis longtemps. Yves me soutient beaucoup dans cette démarche, il est partie prenante, même si, une fois ou l’autre, cela implique pour lui des acrobaties d’emploi du temps. Il y a nos désirs à exprimer et puis aussi la réalité à prendre en compte, et il s’agit de concilier les deux. Nous avons appris que le bonheur, n’est pas de choisir toujours ce que l’on veut faire, et rien d’autre, mais aussi, avant tout, choisir d’aimer ce que l’on fait. C’est un long chemin vers la joie mais qui passe par une multitude de renoncements très concrets. Cela représente souvent la chute d’un imaginaire : renoncer à un idéal pour accepter vraiment ce que nous sommes profondément. Ce passage nous conduit à retourner à la source, à Celui qui est l’Origine de notre différence : notre Créateur. Nous introduisons alors au cœur de notre couple un tiers à notre ressemblance à chacun. Nous découvrons alors que certaines de nos différences sont absolument incompressibles : elles existeront toujours. Justement parce que c’est ma différence qui me rend unique face aux autres, face à l’autre, face à un Autre. Et même, j’ai l’impression que ces particularités augmentent : au contact d’Yves, je deviens de plus en plus femme et moi-même, et lui également, devient de plus en plus homme et lui-même.
Mais pourquoi M
la différence ? Est-ce un poison dans notre couple, une épreuve à surmonter, une entrave volontaire pour gagner notre paradis ? “La différence sexuelle est ce qui interdit radicalement à l’homme de s’enfermer dans l’image qu’il se fait de luimême” affirme Denis Vasse. C’est une bénédiction ! Homme et femme ensemble nous sommes appelés à un chemin de sainteté, la vocation merveilleuse d’une proximité avec Dieu, le Tout Autre, pour devenir de plus en plus à son image et à sa ressemblance. Notre différence nous oblige à considérer que nous ne sommes pas tout, c’est une limite à notre être : nous avons besoin des autres et de l’autre. Mes pensées ne sont pas ses pensées. Quelle ouverture extraordinaire à la relation, ouverture au don de soi, ouverture à tout ce qui fait la vie ! Source spécifique de fécondité, notre différence doit devenir toujours davantage, ce lieu privilégié de l’action de grâce et de la louange.
Cependant, ce qui C
nous distingue se révèle le plus fréquemment terriblement agaçant, voire exaspérant. Nous ne sommes jamais arrivés et c’est à nous, à chaque fois, de rechoisir que ce ne soit pas un obstacle à notre amour mais une grâce, un tremplin, une occasion de dialogue en vérité, une façon d’aller plus loin dans l’amour inconditionnel de l’autre. Notre refuge, c’est nous retrouver à genoux devant la Trinité et contempler cette communion d’amour, égalité dans la différence. n
L
L’être humain, qui depuis l’origine est homme et femme, doit chercher le sens de son existence et le sens de son humanité en allant jusqu’au mystère de la Création à travers le mystère de la Rédemption. Ici se trouve également la réponse essentielle à l’interrogation sur la signification du corps humain, sur la signification de la masculinité et de la féminité de la personne humaine. L’union du Christ avec l’Église nous permet de comprendre de quelle manière la signification nuptiale du corps se complète avec sa signification rédemptrice. (…) À travers le grand mystère dont parle l’Épître aux Éphésiens, à travers la Nouvelle Alliance du Christ avec l’Église, le mariage est de nouveau inscrit dans ce sacrement de l’homme qui embrasse l’univers, dans le sacrement de l’homme et du monde qui, grâce aux forces de la rédemption du corps, se modèle suivant l’amour nuptial du Christ et de l’Église jusqu’à la mesure de l’accomplissement définitif dans le Royaume du Père.
Jean Paul II, Résurrection, mariage, célibat
Égaux et différents Approfondir
La Création
don de la relation Michaela Borrmann, bibliste luthérienne, relit le récit de la création de l’homme et de la femme, et met en évidence à quel point la différence sexuelle est le lieu du don de la relation qui est la caractéristique de l’être humain. Qu’est-ce que nous pouvons dire de la relation entre l’homme et la femme de la part de l’origine de l’homme telle qu’elle nous est racontée dans l’Ancien Testament ? Dans le deuxième récit de la création (Gn 2, 4b ss), nous voyons Dieu agir comme un potier, il façonne l’homme avec de la poussière du sol et il lui donne la vie avec son souffle divin. La création autour de l’homme est pleine de vie. Mais il manque encore quelque chose à l’homme… ou plutôt : quelqu’un. « Le SEIGNEUR Dieu dit : Il n’est pas bon que l’homme soit seul ; je vais lui faire une aide qui sera son vis-à-vis. Le SEIGNEUR Dieu façonna de la terre tous les animaux de la campagne et tous les oiseaux du ciel. Il les amena vers l’homme pour voir comment il les appellerait, afin que tout être vivant porte le nom dont l’homme l’appellerait. L’homme appela de leurs noms toutes les bêtes, les oiseaux du ciel et tous les animaux de la campagne ; mais, pour un homme, il ne trouva pas d’aide qui fût son vis-à-vis. Alors le SEIGNEUR Dieu fit tomber une torpeur sur l’homme, qui s’endormit ; il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place. Le SEIGNEUR Dieu forma une femme de la côte qu’il avait prise à l’homme, et il l’amena vers l’homme. L’homme dit : Cette fois c’est l’os de mes os, la chair de ma chair. Celle – ci, on l’appellera “femme”, car c’est de l’homme qu’elle a été prise. C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair.” » (Genèse 2, 18-24 NBS)
Ce passage provoque de nombreuses réactions… Souvent nous croyons le connaître, et des discussions s’enflamment sur la question de la relation homme-femme : Est-ce que la femme est secondaire par rapport à l’homme, puisqu’elle est créée dans un deuxième temps et à partir d’une de ses côtes à lui ? Estce que ce texte veut dire que la femme est une sorte de soutien pour l’homme dans le sens où elle serait inférieure et sans parole propre ? Est-ce que l’homme représente le sexe fort car donateur de vie pour la femme et la femme le sexe faible en se recevant ? Est-ce que l’homme a le pouvoir et la femme le devoir ? Les situations d’injustice Homme et femme il les fit envers des femmes dans certaines cultures et environnements, et les mouvements d’émancipation ont attisé le feu de ces questions ; des blessures vécues dans la relation homme-femme sont gravées dans la conscience humaine et assombrissent souvent un regard d’espérance et de joie. Que pouvons-nous dire à partir de ce passage sur la relation entre l’homme et la femme ? Voici quelques pistes de lecture :
« Il n’est pas bon que l’homme soit seul. » (v. 18a) Une petite énigme : “Un poisson vit dans l’eau et il nage… Un oiseau se trouve dans l’air et il vole. Et
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“
“
Dieu crée l’homme et la femme dans la diversité pour leur permettre de vivre la joie de l’unité.
sans l’autre il est comme un poisson sans l’eau ; la relation est son milieu vital. Nous connaissons peut-être l’expérience mortifère pratiquée sur des bébés nouveau-nés, séparés d’autres êtres humains. On leur donnait uniquement les soins corporels nécessaires et la nourriture, sans les toucher, sans leur parler. Que se passe-t-il ? Ils meurent… « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. » L’homme n’est pas fait pour la solitude. La solitude absolue le tuerait. Il est fait pour la communion. C’est le point de départ… L’existence des deux sexes, l’existence de l’autre n’est pas d’abord un problème mais une condition vitale, quelque chose qui sauve l’homme !
« Je lui ferai une aide semblable à lui. » (v. 18b) Macha chmakoff ©
l’homme ?” On est tenté de dire : “l’homme vit sur terre et il marche…” Erreur fatale. Un poisson qui ne nage pas est un poisson mort. Un oiseau qui ne sait pas voler ne survit pas longtemps. Mais : un homme qui ne marche pas - peut-être que parce qu’alité ou paralysé ou dans une chaise roulante - est bien un homme, un être vivant. Quelle est l’eau dont il a besoin pour vivre, quel est l’air dont il a besoin pour respirer ? Et bien : “L’homme vit sur terre et il est en relation, en communication.” L’Ancien Testament est plein d’histoires humaines, et partout nous pouvons remarquer l’homme en tant qu’être relationnel qui communique avec tout ce qu’il est - les yeux, les oreilles, la bouche, la langue, la peau… L’homme est un “organe de communication” ;
Le mot hébreu eser, ‘aide’ est un mot rarement employé dans l’Ancien Testament ; on ne le trouve que 21 fois. Dans la plupart des cas, il est employé pour Dieu. Ainsi au Psaume 121, 1 : « Je lève les yeux vers les montagnes : d’où le secours (eser) me viendra-t-il ? » ou au Psaume 33, 20 : « Notre âme espère en l’Éternel ; il est notre secours (eser) et notre bouclier. » Si ce mot est employé d’abord pour Dieu en tant que notre secours, il ne peut pas signifier une infériorité ! Il s’agit d’une aide vitale, quelque chose sans laquelle l’homme ne pourrait pas vivre. La question n’est pas une question de rang ou de classe du type : “Qui était là d’abord : la poule ou l’œuf ?” “Qu’est-ce qui est le plus important pour le toit d’une maison – la poutre ou la tuile ?” Ce sont des questions sans réponse ainsi que la question : “qui serait supérieur – l’homme ou la femme ?”. Ni l’un ni l’autre n’ont un sens ou une existence sans l’autre. Sans la femme l’homme ne pourrait pas exister, sans l’homme la femme n’existerait pas. Uniquement ensemble ils sont capables de survivre. Uniquement ensemble leur race pourra exister. Ici, il n’est pas question de l’homme qui aurait besoin de quelqu’un à la maiw Hors-série N°3 w FOI w
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Égaux et différents Approfondir son pour faire la cuisine ou le ménage (peut-être notre première association du mot “aide”, mais ce n’est pas dans le mot eser, c’est une lecture faussée par nos cultures respectives). Non, il a besoin de quelqu’un pour pouvoir vivre et être heureux.
« Il prit une des ses côtes »
(v. 21, 22)
La femme est faite de la côte de l’homme. C’est-à-dire qu’il y a une unité profonde dans l’origine de la diversité. Ils sont faits de la même pâte. Elle se reçoit de lui, il se donne pour elle (peut-être retrouvons-nous cela en Éphésiens 5, 22-28 : l’homme donnant sa vie pour la femme comme le Christ a donné la sienne pour l’Église, et cela passe par la mort, auquel certains aiment comparer le sommeil de l’homme), mais c’est Dieu qui agit. D’une et même chair surgissent deux (v. 21.22) - qui seront ensuite appelés à redevenir un (v. 24). La raison de la diversité est l’unité. Comment expérimenter la joie de l’unité sans une diversité ? C’est impossible. Dieu crée l’homme et la femme dans la diversité pour leur permettre de vivre la joie de l’unité. Cette unité dans la substance donne une qualité toute particulière à leur relation. Cette unité diffère aussi la relation homme – femme de toute autre relation de l’homme à la création, aux animaux,… L’homme et la femme ne pourront plus jamais se séparer ou se dire indépendants. Leur diversité est née d’une unité et elle trouve sa raison d’être dans la communion. Au lieu d’une solitude mortelle il y a une communion vitale qui se propose.
« Dieu fit tomber un profond sommeil sur l’homme » (v. 21) L’homme dort, et quand il se réveille, la femme est déjà là. L’homme ne participe pas de manière active à la création de la femme. Ici, il n’est pas le fort et actif, mais au contraire l’impuissant. Il redevient pâte dans les mains du potier. Il n’est pas seulement donateur, mais également récepteur. Ainsi, la femme ne peut jamais être un objet pour lui sur lequel il pourrait mettre la main, mais il la reçoit d’un autre, elle est cadeau, vis-à-vis, défi de relation et d’accueil. L’homme et la femme sont donnés l’un à l’autre comme des visà-vis, deux êtres faits pour la communication. Le travail de se ré-unir commence.
« Voici celle qui est os de mes os et chair de ma chair ». (v. 23) Ce sont les premiers mots posés dans la bouche de l’homme dans la Bible ! Et il s’agit de la louange à la femme, la joie, la découverte. La joie de la ressemblance : “une comme moi” (vue la déception que l’homme avait vécu en voyant les animaux défiler devant lui). La diversité est faite pour la joie ! Nous pouvons dire que toutes nos relations humaines sont faites pour la joie et pourront devenir source de joie. Quelle bonne nouvelle et quel défi ! Cela peut nous donner un regard d’espérance sur nos relations souvent brisées ou menacées. Elles sont toutes appelées à la joie.
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« On l’appellera femme ischah parce qu’elle a été prise de l’homme isch ». (v. 23) La racine hébraïque des mots pour l’homme et la femme est la même. Avec le mot isch s’expriment les deux réalités : la profonde unité dans l’origine, faits de la même chair (la même racine isch) – et la diversité, la distinction entre l’un et l’autre (la distinction entre masculin isch et féminin ischah). L’homme et la femme sont un et deux en même temps, Isch et Ischa.
« Il s’attachera à sa femme »
(v. 24)
Le naturel de l’homme est d’être attaché à sa femme. Ils s’attirent l’un l’autre. Ils sont faits l’un pour l’autre. Le premier récit de la création en Genèse 1 confirme : « Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, il les créa homme et femme. » Gn 1, 27.28 Ici, il n’y a pas mention d’une succession, les deux sont là dès le départ et reflètent ensemble l’image de Dieu. L’image de Dieu n’est pas complète s’il y en a un qui manque. Ni l’homme ni la femme pourraient refléter l’image de Dieu seul. Il faut les deux pour accomplir leur vocation d’être à l’image de Dieu – et aussi leur mission (v. 26) de dominer la terre et la travailler ne peut se faire qu’ensemble. Se multiplier (v. 28) d’ailleurs aussi (chacun de nous est un fruit de cette unité retrouvée).
Brisure et réconciliation Au départ, la relation homme – femme est marquée par une profonde unité et une grande joie. La honte, et avec elle la domination, la rébellion, la violence, la jalousie et le meurtre sont venus après, par la méfiance envers le Créateur (« Dieu a-t-il vraiment dit… » Gn 3, 1) et l’indépendance que l’homme a choisie (Gn 3, v. 6) en écoutant la voix du serpent et leurs propres désirs plutôt que la voix de leur créateur. Cette rupture avec leur condition de vie humaine : d’être dépendants de manière vitale et joyeuse de leur créateur, les entraîne dans la séparation, la rivalité, la domination et l’oppression qui sont des œuvres de l’ennemi de la nature humaine (Gn 3, 7.12.16). La cassure que nous voyons alors dans la suite du récit de la création et qui fait trop souvent parti de nos expériences quotidiennes n’est réparable que par le pardon et la réconciliation, par l’œuvre du Christ : « C’est lui, en effet, qui est notre paix : de ce qui était divisé, il a fait une unité. Dans sa chair, il a détruit le mur de la séparation : la haine. » Eph 2, 14 « Il n’y a plus Juif ni Grec, il n’y a plus esclave ni homme libre, il n’y a plus homme ni femme, car tous vous êtes un en Jésus Christ. » Gal 3, 28 En Jésus la différence séparatrice n’existe plus, la communion redevient possible. Gardons alors de ce récit de la création la bonne nouvelle qui est appel pour nous : La relation humaine - et la relation homme-femme en premier - sont là pour la communion et la joie. Pour plus de vie. n
Sœurs de Bethléem ©
« C’est lui, en effet, qui est notre paix : de ce qui était divisé, il a fait une unité. Dans sa chair, il a détruit le mur de la séparation : la haine. » Eph 2, 14
Égaux et différents Approfondir
La différence est
vocation à l’unité Alain Matthéeuws, théologien moraliste, souligne quelques aspects essentiels de l’anthropologie de Jean-Paul II, en particulier sa théologie du don, liée à celle du corps. Les débats de société, les prises de position morales, les affirmations théologiques sont toujours en lien plus ou moins cohérents avec une vision de l’homme. Plusieurs anthropologies peuvent coexister et signifier la richesse de la réflexion sur l’identité de l’homme. Certaines tonalités varient avec le temps et les cultures. Des traits d’une anthropologie peuvent cependant être en contradiction avec ce que la Révélation divine nous dit de l’homme. Car la vision de ce qu’est l’homme n’est pas “fiction de l’esprit” : elle se fonde sur un “donné” où s’articulent le corps et l’esprit, la liberté et la nature, la conscience et le temps. Elle se fonde aussi sur la manière dont Dieu se rend présent à l’histoire humaine, à l’histoire de tout homme. La publication récente d’un corpus de textes de Jean-Paul II témoigne de l’ampleur d’une réflexion théologique sur l’amour humain dans le plan divin. Elle est imprégnée d’une vision anthropologique originale.1 Ces quelques lignes serviront de balises pour souligner combien cette pensée se centre sur l’unité de la personne humaine, homme et femme, dans le respect et l’accentuation de leurs différences. Il y a bien deux modalités d’être personne, donc d’être dans l’histoire, de faire histoire et de vivre en relation. La distinction “masculinité-féminité” est signifiée dans le corps, mais pour rendre compte de sa beauté personnelle. Ce qui fonde ces traits de l’anthropologie de Jean-Paul II est l’unité d’un acte créateur 1, qui fait de l’homme une personne-don 2 dont le corps sexué manifeste la grandeur et la noblesse.3
La création : un acte qui unit dans la distinction Les premiers récits du livre de la Genèse sont commentés
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abondamment par le philosophe et le théologien qu’est Jean-Paul II. Rejoignant la Tradition, il met en lumière dans ses catéchèses combien l’homme est voulu par Dieu « à son image et à sa ressemblance » 2 Cette volonté créatrice de Dieu est à l’origine de tout être humain. Dieu donne l’existence et dans le même acte, fait alliance avec tout homme. La “solitude” d’Adam (Gn 2, 18) signifie à la fois une relation privilégiée avec ce Dieu créateur et une distinction radicale d’avec le monde des animaux (Gn 2, 20). N’est-il pas vrai que personne ne vient au monde “sans avoir été voulu par Dieu” ? N’est-il pas vrai que l’homme ne trouve pas d’aide « assortie » après s’être mis à distance des animaux et les avoir nommés ? L’Écriture nous le décrit comme en “attente” d’une différence qui puisse lui faire goûter l’unité de l’acte dont il est issu et de l’être-de-don qu’il est. Être créé, c’est vivre de cette unité “originelle” et “immédiate” avec le Créateur. Cette alliance est respect de la distinction Créateur-créature. Cette distinction fonde d’ailleurs cette relation d’amitié que l’homme vit avec Dieu. L’œuvre créatrice de Dieu nous est décrite comme “faisant la différence” entre les êtres par sa parole (Gn 1, 3-31). Créer, c’est “magnifier” une différence et apprendre à la goûter puisqu’elle est fondée sur un Amour indéfectible, et sans raison. Je “suis” parce que Dieu a voulu que je “sois”, gratuitement, par amour. Cette différence que je suis, homme ou femme, est à “expérimenter” dans l’univers de Don que le Créateur a établi et continue de déployer pour ceux et celles qu’il établit dans son alliance. Cette toute-puissance du Créateur est d’amour, de gratuité, de reconnaissance de la valeur, de l’irréductibilité, de la singularité de la créature humaine. La toute-puissance du Dieu Créateur est celle du “don”. “La toute-puissance révèle aussi l’amour de Dieu qui, dans la création, donne la vie à des êtres différents de Lui et en même temps différents entre eux. La réalité de son don imprègne tout l’être et l’existence de la création. Créer veut dire donner (surtout donner l’existence). Et celui qui donne, aime. L’auteur du livre de la Sagesse l’affirme lorsqu’il déclare : « Oui tu aimes tous les êtres, et n’as de dégoût pour rien de ce que tu as fait ; car si tu avais haï quelque chose, tu ne l’aurais pas formé » (11, 24) ; et il ajoute : « Mais tu épargnes tout, parce que tout est à toi, Maître, ami de la vie » (11, 26)” 3
Une personne-don « Homme et femme il les créa » (Gn 1, 27). Et voilà, « c’était très bon » (Gn 1, 31) « Puis, de la côte qu’il avait tirée de l’homme, Yahvé Dieu façonna une femme et l’amena à l’homme » (Gn 2, 22). Les deux récits nous content l’apparition d’une différence au sein de l’humanité. N’est-ce pas l’insaisissable différence à laquelle chacun de nous est confronté en soi et en dehors de soi ? La solitude de l’homme n’est pas que “distinction du monde animal” : elle est signe de son immédiateté relationnelle avec son Créateur. Elle manifeste ce qu’est son être en attente dans l’histoire d’une communion à sa mesure. La nature humaine est “une” au sein de la dualité exprimée dans la “masculinité” et la “féminité”. L’homme à l’image de Dieu, c’est aussi l’humanité dans sa dualité homme-femme. Cette dualité imprègne “toute relation entre l’homme et la femme”, mais la relation conjugale dans le mariage en est un signe privilégié. C’est Dieu qui signe cette différence. C’est Dieu qui offre la femme à l’homme (Gn 2,18). C’est l’homme qui librement s’enchante de ce don personnel qui dépasse toutes ses attentes. Alors celui-ci s’écria : « Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair ! Celle-ci sera appelée “femme”, car elle fut tirée de l’homme, celle-ci ! » (Gn 2, 23). Plus qu’un manque ou qu’un besoin, ce cri exprime l’admiration de l’homme face à ce don de Dieu qui signifie un accomplissement et une plénitude pour l’humanité créée. L’humanité prend toute sa mesure dans la découverte de cette “différence” qui repose dans l’écrin d’une égale dignité voulue par Dieu. “Si la femme, dans le mystère de la création, est celle qui a été ‘donnée’ à l’homme, celui-ci, de son côté, en la recevant comme don dans la pleine vérité de sa personne et de sa féminité, l’enrichit par cela même et, en même
temps, lui aussi, dans cette relation réciproque, se trouve enrichi. L’homme s’enrichit non seulement grâce à elle qui lui donne sa propre personne et sa féminité, mais aussi grâce au don de lui-même. Le don de la part de l’homme, en réponse à celui de la femme, est pour lui-même un enrichissement. En effet, il s’y manifeste presque l’essence spécifique de sa masculinité qui, à travers la réalité du corps et du sexe, atteint la profondeur intime de la possession de soi grâce à laquelle il est autant capable de se donner lui-même que de recevoir le don de l’autre”4 Il y a bien une double modalité d’être personnes en ce monde. Cette différence, bonne et voulue par Dieu, témoigne de l’espérance de Dieu sur l’homme. L’amour dont il aime l’homme et la femme cherche à se manifester dans l’histoire. La communion des personnes qui peut surgir d’un libre consentement à cette différence entre l’homme et la femme est à l’image de la communion trinitaire. Si nous pouvons aimer à ce point la différence, c’est pour rejoindre celle qui traverse l’unité divine : Père, Fils et Saint-Esprit. Si l’homme et la femme sont des êtres appelés à se donner, c’est pour rejoindre et témoigner de l’image divine qu’ils sont. Il y a donc comme deux “incarnations” différentes de l’humanité qui fondent l’unité originelle. Mais l’homme est ontologiquement un au sein de cette dualité. Il n’est créé définitivement qu’avec la création de la femme. “La création ‘définitive’ de l’homme consiste dans la création de l’unité de deux êtres. Leur unité dénote surtout l’identité de la nature humaine ; la dualité, par contre, manifeste ce qui, sur la base de cette unité constitue le caractère masculin et le caractère féminin de l’homme créé (HF 73) 5 Il est clair “que l’homme a été créé en tant que valeur particulière devant Dieu (« Dieu vit ce qu’il avait fait et voilà que c’était très bien » Gn 1, 31), mais aussi en tant que valeur particulière pour
L
Le corps qui exprime la féminité “pour” la masculinité et, vice versa, la masculinité “pour” la féminité, manifeste la réciprocité et la communion des personnes.
Cette unité du genre humain dans sa différence sexuelle est “grâce et harmonie”. Elle renvoie à l’unité de l’acte créateur, à l’unité de la relation entre Dieu et chaque être singulier, à l’unité entre l’homme et la femme.
l’homme lui-même : d’abord, parce qu’il est “homme” ; ensuite parce que la “femme” est pour l’homme, et vice-versa, parce que l’“homme” est pour la femme” (HF 73). L’unité originelle se fonde sur la solitude originelle qui se révèle comme “adaptation ‘à’ la personne et donc comme ouverture et attente d’une communion des personnes” (HF 75). Cette communion suppose une existence comme personne, à côté l’une de l’autre : une double solitude distincte des animaux, consciente d’elle-même (auto-connaissance) et déterminée (autodétermination) à s’ouvrir à l’autre. Aucun être vivant ne pouvait assurer à l’homme cette réciprocité dans l’existence : seulement un être qui expérimente la même solitude face au monde des vivants. Cette unité originelle exprime finalement la complète et définitive création de l’homme. Le deuxième récit de création nous permet de réinterpréter le premier, quant au concept de l’image. “L’homme est devenu image et ressemblance de Dieu non seulement par sa
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propre humanité mais aussi par la communion des personnes. (…) L’homme devient image de Dieu moins au moment de la solitude qu’au moment de la communion. En effet “dès l’origine” il est non seulement une image qui reflète la solitude d’une Personne qui régit le monde, mais aussi et essentiellement image d’une insondable communion divine de Personnes” (HF 77). Ce point est important à souligner : il fonde en l’homme à la fois l’expérience d’une transcendance mais aussi celle d’une ouverture personnelle. La communion avec d’autres personnes fait partie de la nature de l’homme autant que sa transcendance. La personne humaine doit être définie comme ouverture à l’autre personne autant que comme sujet autonome et distinct. L’homme en se donnant et se livrant à la différence sexuée, manifeste la profondeur d’un amour qui unit toujours en respectant, en promouvant, en rassemblant ce qui est distinct et différent. Ainsi l’homme et la femme sont-ils aussi ensemble, dans l’unité qu’ils peuvent former, une image particulière de Dieu dans le monde.
La différence sexuelle concerne tout l’être de la personne. Le corps, s’il est bien distinct de l’esprit, n’est pas réductible à une entité extérieure à l’unité personnelle du sujet. Le corps humain appartient à la personne. Il dit ce qu’elle est. Par lui, tout être d’esprit que nous sommes s’inscrit dans l’histoire.6 La personne humaine est toute présente en son corps : le corps la révèle, la manifeste, fait “voir” ce qu’elle est. La différence sexuelle n’est pas extrinsèque à cette révélation de la personne. La beauté et la dignité de chacun d’entre nous se fondent sur l’unité personnelle du corps et de l’esprit. La sexualité a une signification conjugale. Le conjugal “conjoint” les personnes et par là différencie jusqu’à susciter dans l’acte sexuel une “conception autre et nouvelle”, et accueillir ainsi la différence radicale d’une autre personne qu’est l’enfant. L’homme est appelé librement à consentir à cette signification par le don de soi-même dans le célibat ou le mariage. Quel que soit son mode de s’exercer, le sens de la sexualité humaine pointe “vers la différence” et s’ouvre à la vie. De fait, la sexualité de soi ne lie ni ne délie : c’est l’homme qui librement accepte la signification de ce qu’il est, et parvient à développer ainsi dans l’histoire la signification nuptiale de son être sexué. “Il y a une forte relation entre le mystère de la création comme don qui jaillit de l’Amour et cette “origine” béatifiante de l’existence de l’être humain comme homme et femme, dans toute la vérité de leurs corps et de leurs sexes, et c’est une simple et pure vérité de communion entre les personnes. Lorsque le premier homme, à la vue de la femme, s’écrie : « C’est la chair de ma chair et l’os de mes os », il affirme simplement l’identité humaine de l’un et de l’autre. En s’écriant ainsi, il semble dire : “Voici un corps qui exprime la ‘personne’ !” En s’appuyant sur un passage antérieur du texte, on peut également dire : ce “corps” révèle « l’âme vivante » que l’homme est devenu lorsque Dieu souffla la vie en lui, par laquelle commença sa solitude en face de tous les autres êtres vivants. C’est précisément à travers la profondeur de cette solitude originelle que l’homme émerge à présent dans la dimension du don réciproque dont l’expression est le corps humain dans toute la vérité originelle de sa masculinité et de sa féminité. Le corps qui exprime la féminité “pour” la masculinité et, vice versa, la masculinité “pour” la féminité, manifeste la réciprocité et la communion des personnes. Il l’exprime à travers le don comme caractéristique fondamentale de l’existence personnelle. Tel est le corps, témoin de la création comme d’un don fondamental et, par conséquent, témoin de l’Amour comme source d’où est né ce don lui-même. La masculinité-féminité - c’est-à-dire le sexe - est le signe originel d’une donation créatrice d’une prise de conscience de la part de l’être humain - homme-femme - d’un don vécu pour ainsi dire de manière originelle. Telle est la signification par laquelle le sexe entre dans la théologie du corps”.7 Ainsi, dans sa limite, le corps et particulièrement la sexualité, est signe non pas seulement d’un manque ou d’un besoin, mais d’un don permanent, ouvert et gratuit à l’altérité : altérité de Dieu, altérité des hommes. Il est ouverture permanente au mystère de l’autre dans sa différence, au don que ce dernier est pour moi, au don que je puis être pour lui. La différence ne surgit
“
“
Par la sexualité, unir pour distinguer
La beauté et la dignité de chacun d’entre nous se fondent sur l’unité personnelle du corps et de l’esprit.
dans sa signification ultime que sur cet horizon d’unité : unité d’un don reçu, unité d’un don qu’est tout homme. Cette unité est faite d’une intégration originelle de la différence la plus radicale éprouvée dans le corps entre toute créature et son Créateur, entre toute créature et ses semblables tellement différentes en apparence mais égales en dignité. Cette unité du genre humain dans sa différence sexuelle est “grâce et harmonie”. Elle renvoie à l’unité de l’acte créateur, à l’unité de la relation entre Dieu et chaque être singulier, à l’unité entre l’homme et la femme. Cette dernière s’exprime dans l’histoire humaine par et dans l’union conjugale comme dans son abstention. L’unité “sponsale” de chaque être appartient à ce qu’il est avant que de s’identifier à des actes particuliers. Ainsi mari et femme exercent-ils leur être conjugal dans le consentement matrimonial. Ainsi le célibat consacré, à l’image de celui de Jésus Christ, exprime-t-il aussi la structure sponsale de l’être humain.
En conclusion De fait, et en droit, c’est à travers l’unité personnelle qu’est chaque être humain que la beauté de sa (ses) différences apparaissent. L’unité de sa personne-don est au service d’une communion de personnes qui valorise, respecte, promeut, défend, fortifie la distinction. L’amour est source de la distinction. L’inverse n’est éprouvé le plus souvent que dans un deuxième temps. Ce que chaque être humain expérimente dans sa relation immédiate avec Dieu Créateur (union et distinction), il est appelé à le vivre dans l’histoire humaine. C’est par l’amour que l’unité se forge dans le consentement mutuel d’un homme et d’une femme et que s’atteste l’accueil de toute altérité et de ses différences. n 1. La réédition de cet ensemble des catéchèses sur le corps et la sexualité vient heureusement d’être faite en français. JEAN-PAUL II, Homme et femme Il les créa. Une spiritualité du corps, Paris, Cerf, 2004 • 2. Ces catéchèses sur ce thème sont encore peu connues du peuple chrétien francophone. Nous renvoyons à nos études (A. MATTHEEUWS, Les “dons” du mariage. Recherche de théologie morale et sacramentelle, Bruxelles, Culture et Vérité, 1996 ; S’aimer pour se donner. Le sacrement de mariage, Bruxelles, Lessius, 2004) et au livre de Y. SEMEN, La sexualité selon Jean-Paul II, Paris, Presse de la Renaissance, Paris, 2004 3. JEAN-PAUL II, Le Créateur du Ciel et de la Terre. Catéchèse sur le credo II, Paris, Cerf, 1988, p. 30. Ces textes sont issus d’un cycle ultérieur de catéchèses concernant le Credo. Le pape y reprend certaines affirmations fondamentales sur la Création • 4. Ibid., p. 145-146 • 5. Tiré de JEAN-PAUL II, À l’image de Dieu, homme et femme, Une lecture de Genèse 1-3, Paris, Cerf, 1985 • 6. Nous ne sommes pas des “anges”. Le corps humain est radicalement et pour toujours uni à la personne de chacun • 7. JEAN-PAUL II, À l’image de Dieu, homme et femme. Une lecture de Genèse 1-3, Paris, Cerf, 1980, p. 117-118
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Égaux et différents Approfondir
Entre tradition et
modernité au Burkina Faso Victor Kafando, burkinabé, membre de la Fraternité Cana, revient sur le rôle de l’homme et de la femme au Burkina Faso, et souligne l’enjeu du christianisme. Les rôles de l’homme et de la femme au Burkina Faso sont déterminés par plusieurs facteurs, entre par des facteurs sociaux, culturels, ethniques et religieux. Ces facteurs sont plus ou moins déterminants dans les rôles de l’homme et de la femme, suivant qu’on est en milieu traditionnel ou moderne. Le Christianisme, en tant que phénomène religieux, historiquement lié à la colonisation, a eu et continue d’avoir une influence sur la vie de la société burkinabé en général et de manière spécifique sur les populations converties à travers sa mission d’évangélisation. Les rôles de l’homme et de la femme dans le contexte global de la société burkinabée. Il convient de dire qu’à l’instar d’autres sociétés africaines, elle est caractérisée par une vie sociale à deux tendances : une vie sociale à tendance traditionnelle et une vie sociale à tendance urbaine ou moderne.
Une vie sociale à tendance traditionnelle Ce mode de vie est le plus courant, puisqu’il concerne encore la plus grande majorité de la vie en milieu social. Dans un village donné, la vie culturelle, les normes de conduites sociales, sont celles de l’ethnie dominante, à côté desquelles peuvent coexister d’autres cultures d’ethnies différentes. Le Burkina Faso compte plus de 60 groupes ethniques, donc autant de dialectes et d’habitudes culturelles. Toutefois, des apparentements existent qui atténuent ces différenciations. Le Burkina Faso compte trois grandes religions dont la plus importante est la religion traditionnelle estimée à 43 % de la population, l’Islam à 35 %, le Christianisme à 22 %. Le statut social de la femme dans la religion traditionnelle ainsi que de l’Islam est dévalorisant par rapport à celle de la religion chrétienne ; dans le premier cas la polygamie est de règle, alors que dans le second cas c’est la monogamie qui est la règle. Dans la mesure où les fonctions masculines et féminines
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baignent dans la culture du milieu, les rôles de l’homme et de la femme obéissent à cette perception. Il s’ensuit que le principe dans le rapport homme femme est la séparation des rôles, une répartition du travail qui allie travaux communs et individuels, ce qui créé un domaine commun et des domaines propres, à charge pour chacun de contribuer aux charges du ménage. En milieu rural, l’activité principale est basée sur les cultures vivrières ; Les taches attribuées en propre à l’homme concernent les activités liées à la sécurité du ménage : l’habitat, la culture des champs, les récoltes et autres activités entrant dans ce cadre, les cultures de rentes (coton, sésame, arachides). Quant aux taches dévolues à la femme, elles concernent en général le ménage : entretien de la maison, apport en produits culinaires, besoins vestimentaires, cueillette, petites cultures de rente (arachides, coton, sésames, gombo etc), préparation du repas ; et bien entendu l’éducation des enfants des deux sexes, jusqu’à l’adolescence pour les garçons qui devront compléter leur éducation d’avantage avec les hommes ou le milieu des hommes, la fille continuant d e g r a n d i r auprès de sa mère ou dans le milieu des femmes au sens large et entendu de la famille élargie. Cette apparente répartition des rôles est à relativiser dans la mesure où la société traditionnelle elle-même est traversée par les réalités du monde moderne.
Une vie sociale à tendance urbaine
La vie en milieu social urbain, bien que d’avantage tourné vers les apports de la société moderne principalement européens, reste influencée par les valeurs de type traditionnel. Suivant l’importance du milieu urbain concerné, l’influence des facteurs, culturels, religieux et ethniques a tendance à avoir moins d’emprise sur la vie sociale qu’en milieu traditionnel. Les ménages recouvrent une plus grande liberté vis-à-vis d’eux, en raison du brassage culturel, ethnique et religieux que favorise la vie urbaine. Cette liberté influence positivement les rapports hommes femmes et par conséquent leurs rôles respectifs. Toutefois, on constate que les ménages choisissent soit de vivre suivant le principe de séparation des rôles tel qu’il prévaut en en milieu traditionnel, soit de vivre suivant une perception nouvelle qui pose les rapports homme femme a priori dans une perspective unitaire et complémentaire.
Dans l’hypothèse d’une séparation des rôles En milieu urbain, l’homme et la femme peuvent avoir chacun un salaire en tant que travailleurs, ou tout autre revenu provenant d’activités qui leur procurent des ressources. Ici encore, on constate que l’homme, à l’instar de son alter ego dans la société traditionnelle, subvient aux besoins essentiels de sécurité du ménage (loyer, vivres, frais d’électricité, téléphone, eau). La femme quant à elle subvient aux besoins ménagers : entretien de la maison, satisfaction des besoins vestimentaires
des enfants, provisions pour la cuisine, préparation du repas, etc. Bien entendu, l’éducation des enfants repose principalement sur elle, mais avec une plus grande implication de l’homme, pour la simple raison qu’en ville, l’emprise de la famille élargie est très atténuée sur ce plan et qu’il y a nécessité de mieux partager ce rôle. Qu’il s’agisse de la vie sociale en milieu traditionnel ou en milieu urbain, le principe de répartition des rôles entre l’homme et la femme est alors sensiblement le même ; cela procède de la survivance des facteurs culturels et religieux qui influent sur la vie en milieu urbain jusqu’à nos jours. Toutefois, on note en ville, une tendance des femmes à laisser l’homme supporter l’essentiel des charges sur le plan matériel. Cette manière de voir les choses est sans doute liée à une certaine perception du statut social de la femme qui reste négative. De fait, que le ménage soit monogame ou polygame, qu’il soit issu du milieu traditionnel ou moderne, qu’il soit adepte de la religion chrétienne ou des autres religions, le rôle de la femme dépendra de la bonne ou de la mauvaise perception de son statut social, inférieur ou égal à celui de l’homme. Le nombre de femmes qui contribuent aux charges du ménage au même titre que l’homme tend néanmoins à augmenter.
L’hypothèse d’une approche unitaire et complémentaire de l’homme et de la femme
S’il est vrai que la législation sur le mariage est très progressiste et consacre des rapports d’égalité entre l’homme et la femme du point de vue de la jouissance des De la séparation des rôles au “faire droits, force est de constater que dans ensemble”. Les sessions Cana la pratique, la majorité de la population vit en marge de cette légalité qui ne aident les couples à vivre ensemble concerne qu’une minorité constituée les tâches de la vie quotidienne et à des milieux intellectuels et scolarisés. partager. À cet égard, les ménages monogames, toute confession religieuse confondue, et en particulier les populations de confessions chrétiennes, peuvent être classées dans cette même catégorie de la population. Pour les uns, la recherche de l’unité d’action, sinon de la complémentarité entre l’homme et la femme, est basée sur le respect des droits des citoyens et des grandes valeurs inhérentes à toute société civilisée dont la démocratie, la liberté, l’égalité etc. Pour les autres et notamment des courants religieux et chrétiens notamment, outre ces valeurs découlant des sociétés civilisées, d’autres valeurs morales sont mises en exergue comme le principe de la monogamie, du libre consentement et de l’indissolubilité du mariage catholique, etc. Cette répartition n’est pas non plus étanche car pour des raisons diverses, ces valeurs sont toutes aussi partagées par des populations rurales et même de régime polygamique, soit qu’elles les vivent w Hors-série N°3 w FOI w
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Égaux et différents Approfondir soit qu’elles se trouvent dans l’impossibilité de les vivre.
L’apport du Christianisme
Une option pour la famille
Au sein de l’Église Catholique elle-même, il y a une option pastorale en faveur de la famille ; c’est ainsi qu’en octobre 2003, une rencontre a rassemblé au niveau de l’Archidiocèse de Ouagadougou, tous les mouvements et association œuvrant dans le domaine de la pastorale familiale ; la Fraternité Cana était présente parmi la dizaine de mouvements représentés ; il lui a été reconnu à cette occasion d’avoir programme d’activité opérationnel. La Fraternité Cana représente pour le Burkina une chance pour l’évangélisation du couple. À la suite de la première session qui s’est tenue en 1997, d’année en année les couples participants aux sessions n’ont fait qu’augmenter. Cinq couples en 1997, sept en 1999, vingt-deux en 2000, onze en 2001, près de cent en 2002, près de 65 en 2003 et une cinquantaine en 2004. Il est heureux de voir le Seigneur à l’œuvre, de voir des couples refaire leur unité, se réconcilier, renouer avec la prière quotidienne et se donner pour la mission d’évangélisation du couple et de la famille. Dans le contexte du Burkina Faso, il n’est pas exagéré de dire que les sessions et retraites Cana constituent pour le moment la mission la plus importante de la Communauté du Chemin Neuf, en raison des bienfaits que les sessions et retraites apportent dans la vie des couples et dans la mesure où cela apporte un témoignage concret du côté positif de l’aventure conjugale non seulement pour la vie de l’Église mais encore pour la société tout entière. n
L’avènement du christianisme comme phénomène religieux est historiquement lié à la colonisation ; il a eu et continue d’avoir une influence sur la vie de la société burkinabée en général et de manière spécifique sur la vie de celle qui s’est convertie, à travers sa mission d’évangélisation. L’apport du christianisme est très présent à plusieurs égards : D’abord du point de vue de sa structuration, la hiérarchie catholique par exemple constitue une autorité morale très écoutée et très respectée. Elle contribue ainsi à influencer la vie politique et civile du pays en intervenant et en donnant une parole de vérité ou de réconciliation ou un éclairage sur un problème qui engage la conscience collective des chrétiens et de toute la nation. Un autre aspect de cet apport concerne le principe du mariage monogamique ; l’Église est considérée du point de vue de la morale sociale comme détentrice de cette valeur que même les adeptes des autres religions lui reconnaissent. L’affirmation de la valeur du mariage monogamique a été dès les premiers temps de l’évangélisation une pierre d’achoppement entre société traditionnelle et christianisme ; mais force est de reconnaître combien l’Église a contribué à la défense des droits humains en rapport avec la lutte contre l’excision des filles et le mariage forcé. Elle a ainsi contribué à défendre et à donner l’image du foyer modèle dans notre pays. Les lieux d’Églises ont été en effet, les refuges pour les jeunes filles qui refusaient le principe de la donation Victor et Marie Cécile qui avait cours dans la société traditionnelle Kafando et qui malheureusement survit encore aujourd’hui dans certaines contrées et ce malgré une législation pénale fort rigoureuse sur cette interdiction. De manière générale, la vision chrétienne du mariage qui met l’accent sur le libre consentement au mariage, sur l’amour don gratuit de l’un à l’autre, sur l’unité du couple, le pardon et le Victor et Marie Cécile Kafando sont citoyens du Burkina Fasso. Victor est magistrat de formation et dialogue dans le partage contribue plus fonctionnaire de l’administration judiciaire, Marie Cécile est ingénieur et enseigne dans un collège. que tout autre à donner un sens à la vie La vie de notre ménage est calquée aussi bien sur la tradition que sur le mode occidental. Nous familiale aujourd’hui ; vie en but aux réalités sommes tous les deux issus de familles de huit enfants. Nous avons commencé à vivre ensemble à tant modernes que traditionnelles. Dans le Ouagadougou où je venais d’être affecté en 1990. Marie Cécile venait de terminer ses études et cherchait domaine de l’éducation, les Églises cathodu travail. Notre famille s’est d’emblée accrue de six personnes en plus de nos deux enfants : deux liques et protestantes ont contribué à la de mes sœurs, trois de mes frères, une cousine de Marie Cécile, soit dix personnes. Mon père est construction des premières écoles et décédé en 1986, et en tant que fils aîné, la tradition m’a conduit à assumer le rôle de père. Cette centres de formation professionnelle dont manière de voir les choses en milieu traditionnel a été difficile à mettre en œuvre pour notre couple. beaucoup étaient destinés à la formation Dans la répartition des rôles, mon épouse s’occupait de la gestion du ménage, la préparation des des filles. Il n’est pas exagéré de dire que les repas, le suivi des enfants. Nous vivions sur mon salaire et le fruit du petit commerce que Marie premières élites scolaires sont issues des Cécile faisait. Je prenais en charge les frais de scolarité, le loyer de la maison, l’électricité, le téléphone, écoles missionnaires chrétiennes. l’eau, la nourriture. Lorsque mon épouse a trouvé un emploi, cette division des rôles s’est confirmée. Les initiatives se poursuivent jusqu’à nos J’avais une implication peu importante dans l’éducation des enfants sauf à jeter un coup d’œil sur les jours car depuis quelques années, l’Église cahiers scolaires où à répondre présent aux réunions des parents d’élèves. J’avais beaucoup d’activités Catholique qui avait abandonné la gestion sociales à l’extérieur de la maison. Cette situation a créé des difficultés relationnelles dans notre de ses écoles depuis 1969, l’a reprise et couple et beaucoup de blessures. C’est à la suite de notre participation à une session cana et à notre l’engouement pour ces écoles en dit plus cheminement dans la fraternité cana que nous avons entrepris un chemin nouveau pour notre sur la confiance qui lui est faite à cet égard. couple. Ainsi, j’ai réduit mes activités pour ne retenir que celles liées à la Fraternité Cana qui nous donnent l’occasion de vivre et de partager ensemble. La prière en couple a été un lieu de partage, de communication et de pardon réciproque. Sur le plan de la gestion du ménage, nous avons progressivement œuvré à regarder les choses ensemble et à entrer dans une logique de partage de nos ressources en les mettant ensemble. Cana a été pour nous un chemin de conversion personnel et de notre couple. n
Nous avons
appris à regarder les choses ensemble
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Blaise et Godlieve le jour de leur mariage
« En créant l’être humain “homme et femme”, Dieu donne la dignité personnelle d’une manière égale à l’homme et à la femme, en les enrichissant des droits inaliénables et des responsabilités propres à la personne humaine ». Synode des évêques d’Afrique
Égaux et différents Approfondir
Stratégies féminines
au Moyen Âge Annie Noblesse-Rocher, pasteur, maître de conférence en histoire du christianisme médiéval à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg, établit comment au Moyen Âge des femmes, laïques, contournant les interdits, ont enseigné la piété et la théologie selon des modes originaux. Le Moyen Âge a longtemps été objet d’une triste réputation : celle d’être un âge de ténèbres et d’obscurantisme. Les auteurs de la Renaissance ne sont pas étrangers à cette mécompréhension : en redécouvrant l’Antiquité et ses lumières, ils ont qualifié, par défaut, ces VIIIèmeXVème siècles d’“âge intermédiaire”, de media aetas : période violente, secouée de convulsions guerrières, âge sans génie, siècles de latence intellectuelle et spirituelle. Pourtant, et les historiens contemporains ont su rendre raison de cette injustice, le Moyen Âge n’est en rien une période obscurantiste : ces huit siècles d’histoire sont une longue période, fructueuse, riche et complexe. En effet, si le Moyen Âge est héritier de l’Antiquité, à qui il doit sa culture, et, en grande partie, ses institutions politiques, il est aussi une période sinon de rupture et de changement, du moins d’évolution : dans cette perspective, la piété des laïcs est l’un des domaines les plus novateurs du Moyen Âge ; la dévotion nouvelle des non-clercs est même l’une des caractéristiques de l’Occident médiéval.1
Lumineux Moyen Âge André Vauchez en a mis en évidence quelques particularités de la piété médiévale : une grande dévotion aux saints, aux reliques, aux miracles, à l’eucharistie, à la croix mais aussi une expression visionnaire de la foi. Les fidèles concevaient Dieu surtout comme une puissance
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bénéfique pouvant les protéger des catastrophes naturelles, des épidémies, des maladies, des exactions des puissants. Dans cette perspective, les saints mais aussi les anges, et en premier lieu, Michel, l’Archange, devenaient des interlocuteurs privilégiés. La puissance thaumaturgique des saints, c’est-à-dire leur capacité à accomplir des miracles de leur vivant, n’était pas supprimée par la mort. Leur virtus, leur force surnaturelle de guérison, ce dynamisme surnaturel leur survivait après la mort. De ce fait, leurs tombeaux furent rapidement des lieux de pèlerinage où l’on venait chercher la guérison. Car les hommes et les femmes, au Moyen Âge, ont eu une conception, ou plutôt des conceptions de la mort très différentes de celles que nous connaissons aujourd’hui. À l’intérieur même de l’époque médiévale, cette approche de la mort a évolué. Relativement paisible avant la Grande Peste de 1347-1348 qui vit périr le tiers voire la moitié des habitants de l’actuelle Europe occidentale, les représentations de la mort évoluent pour devenir plus angoissés et dramatiques à la fin du Moyen Âge. La mort s’est faite si présente, si obsédante, qu’elle influence, dans un sens douloureux et tourmenté, l’iconographie, la piété, la théologie des XIVème et XVème siècles.
Clercs et laïcs : à chacun sa tâche Mais si une piété intense est le lot commun des chrétiens médiévaux, elle s’exprime différemment selon qu’on est clerc ou laïc ; cette distinction est rigoureusement affirmée dans les textes : ainsi, selon le Décret de Gratien (compilé vers 1140), noyau du droit, il existe une distinction nette entre clerc et laïc : “Il y a deux genres de chrétiens. Le premier genre est voué à l’office divin et se consacre à la contemplation et à la prière ; il convient qu’il vive loin du bruit du monde ; ce sont les clercs, ceux qui sont voués à Dieu […]. Il y a une autre sorte de chrétiens, ce sont les laïcs. ‘Laos’en effet signifie ‘peuple’. À ceux-là, il est permis de posséder des biens temporels, mais seulement pour les besoins de l’usage. Rien n’est plus misérable en effet que de mépriser Dieu pour l’argent. Ils sont autorisés à se marier, cultiver la terre, dirimer les querelles par un jugement, plaider, déposer des offrandes sur l’autel, à payer les dîmes : ainsi peuvent-ils être sauvés, à condition qu’ils évitent
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Dhuoda rédige un manuel d’éducation pour son fils afin de lui transmettre sa foi et sa piété.
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Tapisserie représentant Dhuoda
les vices en faisant le bien.” 2 Parmi les laïcs, la femme possède un statut caractérisé par le confinement : assujettie juridiquement à son mari ou cloîtrée religieusement, la femme, dans les textes, ne possède pas d’autonomie sociale, et peu de choix de vie d’un point de vue religieux. Mais la réalité est plus complexe : les domaines feudataires régis par des femmes à l’époque carolingiennes existent. En outre, la culture des femmes, dans l’aristocratie et les couches élevées de la population, est bien plus étendue que celle de leurs époux, chevaliers et chefs de guerre. Mais la place des femmes dans la société tripartite médiévale, structurée en trois ordres, priants, paysans et chevaliers3, est, malgré tout, caractérisée par le confinement dans l’espace4. Cependant pour vivre et s’épanouir, les femmes médiévales ont trouvé des stratégies de contournement. La parole théologique, la doctrine et la prédication leur sont interdites puisque réservées aux clercs : qu’à cela ne tienne, elles inventent d’autres façons d’enseigner la piété et la théologie : ce peut-être un manuel d’éducation pour une enfant, comme celui que Dhuoda rédigea au IXème siècle pour son fils. Ce peut être un recueil de visions transmettant une théologie assurée et l’expérience spirituelle comme le font les béguines du XIIIème siècle. Ce sont deux exemples caractéristiques d’une foi profonde vécue par des femmes, découvrant de nouvelles formes de prière et d’expérience spirituelles.
La piété d’une aristocrate carolingienne Entre 841 et 843, une mère veut transmettre sa foi à son fils. Elle s’appelle Dhuoda, elle est aristocrate et vit dans le sud de l’actuelle France, à Uzès, près de Narbonne. Dhuoda est l’épouse de Bernard, duc de Septimanie, occupant de hautes fonctions à la cour de Charles le Chauve. Dhuoda est le seul exemple que nous ayons conservé au Moyen Âge d’une femme, et donc laïque, qui enseigne comme un clerc la doctrine de la foi à son
fils. Il s’agit d’une catéchèse familiale : Dhuoda y enseigne l’amour de la Sainte Trinité, à une époque ravagée par l’hérésie adoptianiste. Mais surtout, cette mère donne des recommandations sur la prière à son enfant : “Quand le matin, Dieu aidant, tu te lèveras, ou à l’heure que ce bon Maître te le permettra, redis trois fois : Ô Dieu…, puis l’Oraison dominicale (Notre Père). Celle-ci terminée, dis : Mon Roi et mon Dieu, dresse-toi, secours-moi, entends mon cri, car c’est à toi que j’adresse ma prière. Exauce mon appel ce matin, dresse-toi et sois attentif à mon jugement, afin de m’assister aujourd’hui dans ma cause, Ô mon Dieu. Qu’ajouter encore, mon fils ? En te levant, chausse-toi à l’accoutumée : prépare-toi ainsi à annoncer l’Évangile de la paix. Récite les heures canoniales, acquitte-toi de ton office ainsi qu’il est écrit : ‘sept fois le jour j’ai dit ta louange’. Pendant tous les préparatifs, récite tes versets du mieux que tu les sais, comme ils te viendront ; ceux-ci achevés comme ci-dessus, dis les oraisons à chacune des heures. Et alors, au nom du Dieu Souverain, va t’acquitter du service temporel qui t’attend, et accomplis les ordres de Bernard, ton seigneur et père, ou les prescriptions de Charles, ton prince et seigneur, dans la mesure où Dieu te le permettra”. 5 Le vocabulaire est celui d’une société d’ordre : Dieu est un maître, un roi, un souverain. Les représentations sociales rejaillissent sur la prière et en conditionnent la terminologie. En outre, en ce IXème siècle, la spiritualité monastique est donnée comme modèle même aux laïcs. Le rythme de la prière, les phrases employées décrivent l’Office des Heures monastiques. Cependant, cette spiritualité monacale doit être vécue dans la fidélité aux tâches temporelles qui sont celles d’un jeune aristocrate. Dans la suite du Manuel, Dhuoda n’exige pas de son fils une prière continuelle égale en intensité et en fréquence à celle des moines : elle sait que Guillaume doit se consacrer bientôt à la gestion d’un domaine et sans doute aussi à des devoirs politiques. Mais pour l’aristocrate, une action éthique menée en vue du bien est équivalente à une prière, car elle monte vers Dieu de la même façon. Lecture et prière - “lis et prie”, lege et ora - sont ses mots d’ordre, comme dans la tradition monastique “prie et travaille de tes mains” ora et labora est la devise du moine. Mais le Manuel pour mon fils de Dhuoda nous livre aussi un beau témoignage de la dévotion à la croix, invocation et intercession : w Hors-série N°3 w FOI w
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Égaux et différents Approfondir “Lorsque tu sortiras, aie Dieu présent à l’esprit, en t’aidant du signe de la croix (cum signo crucis) et dis : “Aie pitié de moi, Père miséricordieux, etc. conduis aujourd’hui mes pas dans tes sentiers”. Le soir, au coucher : “Lorsque tu auras fini (le soir de prier), fais un signe de croix sur ton front et sur ton lit, à l’image de la croix de Celui qui t’a racheté, comme ceci : + tout en disant : J’adore ta croix, Seigneur, et je crois ta sainte résurrection. Ta sainte croix est avec moi, Ta croix que j’ai connu, que j’ai aimé, que j’adorerai toujours. La croix est mon salut, ma défense, ma protection, et pour toujours mon refuge, la croix est pour moi la vie, et ta mort à toi, Diable (...) Que cette croix et cette bénédiction soient toujours avec ceux dont j’ai fait mention ci-dessus”. Mais au Moyen Âge, certaines femmes ont connu et conçu des formes de spiritualité moins traditionnelles et plus innovantes : il est impossible d’en dresser une typologie exhaustive. Mais il est loisible d’évoquer, quatre siècles après Dhuoda, une autre expérience et une tentative d’exprimer sa foi en un langage peu conventionnel au regard des théologiens : la vision d’amour.
Le mouvement béguinal : les visions comme forme d’expression de la foi Les béguines 6 et les bégards sont les membres de communautés laïques fondées dès la fin du XIIème siècle, le plus souvent dans les villes du nord de l’Europe. Le mouvement, essentiellement féminin, regroupe des femmes souhaitant vivre en consacrant leur vie à la prière, aux soins des malades ou des plus démunis ;
certaines béguines, le plus souvent des artisanes (dentellières, couturières), conservaient leur travail et vivaient de sa rétribution. Le point essentiel de leur engagement est une liberté vis-à-vis de l’Église institutionnelle, une pauvreté vécue (qui pouvait aller jusqu’à vivre de la mendicité), une vie de chasteté, une vie de piété inspirée par la mystique de l’amour de Bernard de Clairvaux. Les traces aujourd’hui de ce mouvement particulier de femmes spirituelles sont encore perceptibles dans les béguinages occupés aujourd’hui encore et surtout répandus en Flandres. Le mouvement béguinal se caractérise par une spiritualité affective. Cette piété qui vise à s’unir amoureusement à Dieu s’exprime selon les critères littéraires du XIIème siècle, en particulier sous la forme de la littérature courtoise. La courtoisie est un ensemble complexe de vertus et de qualités formant l’éthique de la vie de cour au XIIème siècle, un savoir-vivre typique de la chevalerie, une éthique raffinée où la femme joue un grand rôle : politesse, générosité, loyauté, élégance morale, fidélité, discrétion, idéalisation de la femme forment les principales vertus de l’éthique courtoise ; l’amour courtois transpose les rapports féodaux : le chevalier est le serf de sa Dame, il lui doit hommage et respect ainsi que protection et bien entendu amour sans limites. La femme, la Dame, y tient la place centrale, position originale, au regard des conceptions de l’Église en ce Moyen Âge central. L’amour courtois ou fin’amor “amour parfait” repose sur l’idée du désir de l’amour plus que sur l’accomplissement ou la consommation dans l’acte sexuel. Le joi (qu’on traduit, faute de mieux par la “joie”) est un mélange de souffrance et de désir, d’angoisse et d’exaltation devant sa Dame (d’autant que celle-ci est généralement liée par mariage à un autre).
Béguinage de Bruges DR
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Les Béguines expriment par des visions et dans le langage de l’amour courtois leur mystique du désir et de l’union à Dieu.
Cette mystique du désir ira jusqu’à la quête du néant, du “rien”. Mechtilde avoue : “Désirer entrer dans les régions mortelles de l’amour, où Dieu infini attire à lui l’âme sans fond, et où elle, devant cette merveille, oublie la terre ; où le prince et sa servante s’embrassent et s’unissent comme ‘eau et le vin’; où la fiancée aspire à aimer mortellement, sans mesure et sans interruption ; celui qui meurt d’amour, il faut l’enterrer en Dieu”. Le mouvement béguinal allait gagner l’Europe du Sud par le biais de la France et des régions allemandes. L’expérience spirituelle n’est pas toujours reçue. Vers 1270, la libre recluse Élisabeth de Spalbeek reçut les stigmates : les plaies de la Passion du Christ aux mains et aux pieds. En 1286, les beghards de Malines (Belgique) sont expulsés de leur couvent “à cause de leurs excès et pour d’autres raisons” ; en 1290 deux béguines et deux beghards sont incarcérés à Colmar pour suspicion d’hérésie ; d’autres sont arrêtés à Bâle
Hildegarde von Bingen DR
Peu de béguines ont écrit. Citons les principales : Mechtilde de Magdebourg (1210-1283), Marguerite Porète (morte brûlée vive en 1310), Hadewijch d’Anvers… Certaines d’entre elles sont visionnaires : leur piété s’exprime sous couvert de visions qui peuvent nous sembler déconcertantes mais qui sont le seul langage théologique dans lequel les femmes, au XIIIème siècle, peuvent s’exprimer. Mechtilde de Magdebourg (1210-1283) quitta sa famille pour entrer, à l’âge de douze ans, en ermitage Elle part “en exil”, écrit-elle. Encouragée par son père spirituel, le dominicain Henri de Halle, elle rédige à partir de 1250 La lumière ruisselante de la Déité, dont nous ne possédons plus qu’un seul manuscrit, une alternance de prose et de poèmes où la béguine exprime son expérience divine en scènes dialoguées avec des personnages, allégories des vertus de la littérature courtoise : Dieu, l’âme, Dame Âme, et Dame Amour, Fidélité, Constance, Peine. Elle y décrit, dans des visions, le mystère des fiançailles, du dépouillement, de la nudité même pour entrer dans le mystère de l’Amour divin : “C’est un Dieu brûlant dans son désir”, qui va et vient, remplit l’âme puis disparaît comme le Fiancé du Cantique des cantiques. “Quand l’âme pauvre vient à la cour, elle est sage et courtoise, aussi regarde-t-elle son Dieu avec joie. Ah, avec combien d’amour on la reçoit là. Elle se tait, désirant immensément qu’il la loue. Alors il lui montre avec grand désir son cœur divin (…) Puis il la met dans son cœur ardent de sorte que le haut prince et la petite servante s’embrassent et sont unis comme l’eau et le vin”. 7
pour la même raison. De quoi les accuse-t-on ? De faire resurgir la vieille “hérésie” visant à vivre sans contrainte ni loi ecclésiastiques. Quoi qu’il en soit, la spiritualité béguinale continue de faire vivre et faire prier. Bien d’autres femmes pourraient figurer dans le grand livre de la prière médiévale : la moniale et visionnaire Hildegarde de Bingen, les vaudoises, prêchant librement l’Évangile, Héloïse à la correspondance pleine d’amour humain et divin. Ce que nous enseignent ces très vieilles sœurs dans la foi, n’est-ce pas tout simplement d’oser poursuivre la grande aventure de l’Esprit ? n 1. A. Vauchez, Les laïcs au Moyen Âge, Paris, 1987 • 2. Décret de Gratien, causa XIII, q.1, c.7, Éd. Friedberg, I, p. 678 • 3. La mention explicite des trois ordres qui composent la société médiévale se rencontre déjà sous la plume d’un ecclésiastique du IXème siècle : “Triple est la maison de Dieu que l’on croit une : ici-bas les uns prient (orant), d’autres combattent (pugnant), d’autres encore travaillent (laborant) ; lesquels trois sont ensemble et ne supportent pas d’être désunis ; de sorte que sur la fonction (officium) de l’un les activités (opera) des deux autres reposent, tous à leur tour apportant leur aide aux autres” (Adalbéron, évêque de Laon, Carmen ad Robertum regem (c. 1031), Éd. C. Carozzi, Paris, 1979) • 4. Dans le Décret de Gratien, un paragraphe concerne les femmes (Decreti, pars prima, distinctio XXIII, causa XXIX, PL 187, col. 138) : “La femme, quand bien même elle serait docte et sainte, qu’elle ne s’arroge pas le droit d’enseigner aux hommes assemblés”. Cette admonestation s’adresse aux “mulieres in conventu” (“aux femmes en assemblée”), aux femmes vivant en communauté monastique, voir Paulette L’Hermitte-Leclercq, L’Église et les femmes dans l’Occident chrétien, des origines à la fin du Moyen Âge, Paris, Brepols, 1997 • 5. Dhuoda, Manuel pour mon fils, Paris, Cerf, 1991, (SC 225 bis) • 6. Un étymologie controversée : le terme “béguin” apparaît dans un document de la fin du XII ème siècle, mais l’origine du mot est difficile à préciser ; le mot proviendrait, mais rien n’est certain, du nom d’un prêtre liégeois Lambert le Beges (mort en 1177), ou d’un terme de vieil allemand “beggen”, prier, ou encore du mot désignant la coiffe de certains religieuses. Aucune étymologie n’est véritablement attestée • 7. G. Epiney-Burgard et E. Zum-Brunn, Femmes troubadours de Dieu, Turnhout, Brepols, 1988, p. 87
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Un combat à mener M
aintenir cette différence tout en reconnaissant l’égalité est un véritable combat à livrer sur plusieurs fronts. Le premier consiste dans le fait qu’être homme ou femme ne signifie pas entrer dans un moule mais bien se livrer à l’aventure de l’Esprit à laquelle la Bible nous invite (Philippe Lefebvre). Le second et non des moindre est d’oser tenir que la différence sexuelle, ce donné d’origine, est fondamental et structurant pour l’être humain à tous les niveaux. Xavier Lacroix, philosophe et le père Breck, théologien orthodoxe, rappellent ainsi la non-équivalence fondamentale entre hétéro et homosexualité, le mariage ne pouvant être envisagé qu’entre un homme et une femme car il est l’image de l’Alliance entre le Christ et son Église, et son but est de fonder une famille. Ce combat se livre aussi au niveau linguistique et terminologique, comme le rappelle Lucienne Sallé, éclairant l’usage de certains termes destinés à promouvoir l’adoption par des couples de même sexe. Il est inhérent à la différence, ainsi que le rappellent Emmanuel Daublain et Jean Vanier qui témoignent de l’équilibre que procure, malgré les difficultés liées à l’accueil de l’autre sexe, le fait de vivre dans une communauté mixte. Un dernier front enfin se révèle être celui de la paternité et de la maternité qui ne peuvent être réduites à des fonctions parentales, assumables de façon indéterminée. Jacques Arènes plaide ainsi pour la réinvention du masculin et de la paternité, non dans une attitude d’opposition ou d’imitation des modèles féminin et maternel, mais dans une attitude de réconciliation par laquelle chacun peut s’épanouir. Et tel est bien peut-être l’enjeu véritable de ce combat : la réconciliation. n
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Philippe Lefebvre, op
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Xavier Lacroix
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Père Jean Breck
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Jacques Arènes
Aventure ou clonage, le chemin de la Bible
Il y a non-équivalence entre hétéro- et homosexualité
Le mariage chrétien a-t-il un avenir ?
Il faut deux mains pour agir
L’altérité sexuelle, pauvreté fondamentale
Les enjeux du vocabulaire
Le masculin et la paternité sont à réinventer
Aventure ou clonage le chemin de la Bible Philippe Lefebvre, op, bibliste, parcourt le chemin que la Bible, à travers de nombreuses figures d’hommes et de femmes, propose à chacun de vivre concernant son être d’homme ou de femme. Un chemin de liberté, loin des moules de l’identique et du “tout-fait”. 30 w FOI w Hors-série N°3 w
Étienne Thuronyi ©
passera pas sans Lui. Il faut qu’un homme et qu’une femme collaborent l’un avec l’autre d’une manière qui reste à trouver, et qu’ils consentent à collaborer avec Dieu pour entrer dans cette plénitude que le Seigneur leur annonce.
Connaître sans relation ? Les relations à peine ébauchées entre cet homme, cette femme et Dieu sont alors lézardées par le serpent (Gn 3). Ce maître ès solutions immédiates interrompt ce qui vient tout juste de commencer. Pour le serpent, aucun enjeu de cheminement, d’avènement. Selon lui, on peut tout de suite tout voir, tout avoir, tout savoir. Il n’est pas nécessaire de prendre le risque de la relation — surtout pas avec Dieu — pour devenir Dieu sait quoi. Il y a simplement des choses à connaître, on peut les connaître par soi-même et tout est dit. Le tentateur attaque la relation d’un homme et d’une femme. Il sème entre eux un doute, un trouble : peutêtre que Dieu leur a refusé quelque chose ; peut-être aussi que l’homme et sa femme n’ont pas tant que cela à se donner. Une fois le fruit mangé, Adam accuse sa femme et Dieu, en une même formule : « la femme que tu m’as donnée, c’est elle » (Gn 3, 12). La faute serait donc à la femme, et au Seigneur qui l’a créée.
Pour chacun : l’aventure ou le modèle ?
Le Viaduc
Dès le commencement, un avenir pour la chair sexuée Au commencement, il y a un enjeu. Les humains que Dieu a créés ne sont pas une réalité livrée clé en main, statique, simplement prête à fonctionner. Dieu crée l’humain mâle et femelle comme il est dit en Genèse 1, 27 ; ce n’est qu’au chapitre suivant que l’on parle de femme et d’homme (Gn 2, 23). Ces deux sont alors promis à vivre une réalité qui n’est pas encore accomplie : ne faire « qu’une seule chair » (Gn 2, 24). Tout cela désigne un cheminement qu’un homme et une femme ont à entreprendre avec leur Créateur. La chair d’un homme, la chair d’une femme, ont un avenir insoupçonné : enracinés dans une solidarité avec les vivants qui les entourent (les humains sont comme eux mâle et femelle), ils vont “muter” en une communion (« une seule chair ») dont ils n’ont pas idée d’abord. Dieu leur annonce un avènement qui ne se
Mais Dieu continue. Il a promis qu’un homme et une femme iraient jusqu’à la ressemblance avec lui (Gn 1, 26) ; ce projet tient toujours. On peut lire la Bible comme les histoires d’innombrables Adam et Ève, dans toutes les circonstances de la vie. À chaque histoire, l’enjeu des commencements est proposé. Ou bien on se limite à une connaissance a priori de ce qu’un homme et une femme doivent être ; on correspond aux modèles ambiants que cette connaissance a mis au point, on s’installe dans une certaine image et on y demeure moyennant l’application de méthodes (comment être une femme épanouie, un homme combatif ? etc). Ou bien on pressent que la vie vient de plus loin que nous, qu’elle n’est pas susceptible d’être produite et entretenue par des modes d’emploi ; on sait obscurément qu’une personne n’a pas dit du premier coup tout ce qu’elle avait à dire, et qu’une réalité mystérieuse doit en elle encore se manifester : ce qu’est en vérité un homme, une femme, ce qu’ils sont l’un pour l’autre, c’est au fil d’un cheminement que ces réalités apparaîtront, c’est dans la lumière d’un Autre qu’elles seront révélées. Disons-le d’une autre manière. Il y a d’un côté le monde du clonage : tous à peu près pareils, faits dans le même moule, ce qui paraît donner une gentille cohésion. Selon Genèse 11, au temps de la tour de Babel, tout le monde dit et fait la même chose au même moment. Le monde apparemment bien huilé et sans heurt des modèles ne se maintient qu’au prix d’un étouffant totalitarisme. Il faut tous être semblables, malheur à ceux qui échappent aux formes prévues. D’un autre côté, il y a le risque salutaire : devenir dans ma chair l’homme que je suis, la femme que je suis, et que je ne connais pas d’abord. w Hors-série N°3 w FOI w
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Un combat à mener Approfondir La chair mise en cause
Ce combat inaugural récapitule en fait bien des combats depuis le commencement. Dès qu’un homme, une femme, ne se conforment pas aux modèles en vigueur, dès qu’ils ouvrent leur chair à cet Ailleurs qui les renouvelle (ils ne savent parfois même pas nommer Celui que nous appelons l’Esprit), alors ils échappent aux cadrages du monde limité. Et pour beaucoup dans leur entourage, c’est un crime impardonnable. Quand on pressent qu’une vie venue de plus loin doit en sa propre chair se manifester, alors on passe aux yeux de beaucoup pour bizarre, prétentieux. Selon Genèse 37, Joseph est visité par des songes qui viennent de Dieu ; cela est jugé insupportable par ses frères qui décident de le tuer, puis “se contentent” de le vendre à des marchands qui passent. Anne qui décide d’aller prier devant Dieu au temple de Silo pour demander un fils est aussitôt accusée par le prêtre d’être saoule. Un homme, une femme chez qui on commence à deviner
Des hommes et des femmes de toutes sortes Après la première désobéissance, le Seigneur suscite bien des Adam et bien des Ève. La Bible est alors une immense exploration de ce vécu des hommes et des femmes avec Dieu. Une exploration, parce qu’on aborde les situations selon tous les paramètres possibles : vieux couples, jeunes couples, couples avec disparité d’âge, couples formés d’un membre de la descendance d’Abraham et d’un “étranger”, homme confronté à deux femmes ou davantage, femme confrontée à deux hommes ou davantage, couples qui “marchent”, couples qui “ne marchent pas” etc. Les relations des hommes et des femmes ne sont pas toujours présentées dans le cadre matrimonial. Une rencontre peut durer trente ans, ou quelques semaines, ou une heure. Jésus est un très bon exemple de cela : il rencontre plusieurs femmes en des entrevues toutes nuptiales, sans qu’elles soient pourtant conjugales. En tout cela, la Bible apprend le discernement, la traversée des apparences, la sortie des modèles. Laban, le père de Léa et Rachel, est un modèle d’homme abusif, accapareur, sous les apparences d’un hôte attentif. (Gn 29-31) Élie vit une belle rencontre, non conjugale, avec une païenne, la veuve de Sarepta. Il apprend auprès d’elle à recevoir sa vie de Dieu par la main et la parole d’une femme. Cet apprentissage lui sera utile pour tenir tête à un couple apparemment bien sous tout rapport, le roi Achab et la reine Jézabel, qui sont en fait des meurtriers. (1 Rois 17 et 21)
La chair et l’Esprit
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Qui vivifie la chair d’un homme, d’une femme ? Qui les guide dans la nuit de leur maturation ? Qui s’incorpore à eux pour qu’ils émergent dans leur beauté divine ? C’est l’Esprit. L’Esprit dès le commencement plane au-dessus des eaux pour féconder, faire mûrir. (Gn 1, 2) La chair appelle l’Esprit, l’Esprit vient dans la chair en mission : il lui donne son déploiement. Le diable est l’ennemi de la chair ; il la présente sans cesse comme dénuée de cet Esprit qui donne vie et il a alors beau jeu de dire qu’elle est fragile et mortelle. Au début de l’aventure humaine, le satan est intervenu ; il fallait que le Fils de l’Homme, au début de son avènement, reprenne le combat contre lui. Immédiatement le diable attaque la chair d’homme de Jésus. Si Jésus est bien cet homme qui a Dieu pour Père, comment se fait-il qu’il soit seul, affamé, dans un désert hostile ? C’est toute l’histoire de Jésus qui répond et confond le diable. Jésus est né de l’Esprit, accueilli par Marie en sa chair de femme. Lors de son baptême, l’Esprit s’est manifesté comme l’hôte de sa chair où il produit « du fruit en son temps ». (cf Ps 1, 3)
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le travail de l’Esprit paraissent incongrus à ceux qui se limitent aux modèles du monde. Ces derniers interprètent alors selon leurs normes étroites ces déploiements qui leur échappent. Un homme qui a des songes vivifiants est un fou, une femme qui prend l’initiative de se tenir debout devant Dieu ne peut être qu’une ivrognesse.
La nuit : un obscur travail dans la chair Ceux qui délaissent les modèles préfabriqués pour devenir un homme, une femme avec Dieu sont longtemps en butte à l’accusation du monde. Qu’a dit Jésus de si terrible à Nazareth pour que les gens qui le connaissaient depuis toujours aient envie de le tuer (Luc 4, 16-30) ? Il a cité le prophète Isaïe en disant que sa parole était vraie “aujourd’hui”. Et qu’est-ce que le prophète disait ? « L’Esprit du Seigneur est sur moi et c’est Lui qui m’a envoyé… » Bref, ma chair est habitée par un Autre qui lui donne sa vie et sa mission ; ce ne sont pas les créatures, les membres du groupe où je me trouve, qui me disent quel homme ou quelle femme je dois être, mais c’est l’Esprit qui me fait entrer dans mon avènement. La nuit dont parlent les mystiques est en fait une expérience très concrète que beaucoup vivent. Un homme, une femme qui accueillent la vie venue de plus loin ont d’abord à travailler à cette difficile acclimatation : l’Esprit s’implante en eux, les transforme, une nouveauté se manifeste peu à peu en eux qu’ils ne maîtrisent pas. Première difficulté. Et puis cette nouveauté qui leur fait quitter l’emprise des modèles devient visible et suscite une violence plus ou moins marquée contre eux : deuxième difficulté.
« Jésus lui dit : “Marie !”, se retournant, elle lui dit “Rabbouni !” »
Marie oint les pieds de Jésus
Les exemples bibliques abondent, les exemples dans l’existence quotidienne aussi : on comprend d’ailleurs les uns et les autres dans leurs lumières réciproques. Marie de Béthanie, « six jours avant la Pâque », masse les pieds de Jésus avec un parfum précieux, les essuyant de ses cheveux (Jn 12, 1-8). C’est un geste audacieux : Marie prend des risques en faisant cela, seule au milieu d’un groupe d’hommes. Immédiatement, un des disciples, Juda, grince des dents : on aurait pu vendre ce parfum et donner l’argent aux pauvres. C’est la pire accusation : celle qui utilise des arguments religieux tout à fait plausibles et par ailleurs vrais. Jésus, lui, a vu Marie dans sa vérité de femme conduite par l’Esprit. Marie fait exactement le geste qu’il faut au moment qu’il faut. Elle ne répond en rien aux modèles intangibles de femmes soumises, discrètes, économes. Elle est sortie des modèles, elle atteint une plénitude qui nous éblouit encore.
Marie et Jésus au jardin Marie marque l’entrée de Jésus dans le mystère qui cette semaine-là va se manifester : la chair de cet homme sera totalement anéantie et totalement glorifiée. En fait, elle entre avec lui dans le même mystère. Elle est accusée pour le bien qu’elle fait comme lui sera accusé ; au matin de la résurrection elle sera au jardin comme lui y sera aussi. La chair de Marie habitée par l’Esprit la fait vivre en communion avec Jésus. Ils ne font qu’une seule chair. Chez Marie, la portée de ses gestes n’est pas tout entière explicite d’emblée. Quand elle vient au tombeau, trois jours après la sépulture de Jésus, elle cherche le corps de Jésus, ne “comprend” pas qu’il est ressuscité (Jn 20). Mais elle est au bon endroit, elle multiplie les gestes et les paroles justes. Même quand elle répète qu’elle ne sait pas où on a mis le corps de son Seigneur, la formule résonne comme une bonne nouvelle. Au commencement une femme trompée par le serpent a cru savoir. Si en cette aube du monde nouveau une femme proclame ne pas savoir, c’est que les prestiges de la fausse science sont tombés et qu’une nouveauté inouïe va pouvoir se manifester. Bref, “quelque chose”, ou plutôt quelqu’un, l’Esprit, a fait son œuvre en la chair de Marie ; il l’amène là où elle est et la justifie de tout ce qu’elle a fait. Et ce même Esprit ressuscite Jésus. Sorti du sommeil de la mort, Jésus s’éveille et voit Marie de Magdala qui l’attend au jardin ; de même Adam endormi au jardin d’Éden s’éveillait pour trouver Ève que Dieu lui amenait. Marie, une femme dans sa plénitude, a vu Jésus, un homme, un Fils rempli de la vie du Père. Elle est prête maintenant pour faire son travail de femmes : reconnaître en des hommes qui l’ignorent encore leur qualité de fils ; leur dire que le Dieu de Jésus est leur Dieu, que son Père est leur Père, que leur chair d’hommes est irriguée de la même vie éternelle. n À lire du même auteur : La Vierge au Livre, Marie et l’Ancien Testament, coll. Épiphanie, Cerf, 2004
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Un combat à mener Entretien Pour Xavier Lacroix, il est normal du point de vue de l’éthique chrétienne d’accueillir les personnes homosexuelles sans les juger. En revanche, mettre sur le même plan union homosexuelle et couple hétérosexuel pose problème.
Il y a non-équivalence entre hétérosexualité et homosexualité Entretien avec Xavier Lacroix 1 Philosophe, théologien, professeur de théologie morale à l’Institut des Sciences de la Famille et à la Faculté de Théologie Catholique de Lyon. Marié et père de 4 enfants, il est un spécialiste reconnu de la famille, du lien conjugal, de la bioéthique. Auteur de nombreux ouvrages, dont Le Corps de chair, Les mirages de l’amour, Le mariage, Passeurs de vie. w En quoi le questionnement sur l’homosexualité vous semble-t-il nouveau ou différent aujourd’hui ? w La nouveauté est surtout culturelle ou médiatique. Ce qui me paraît positif, c’est la disparition progressive des ostracismes à l’égard des personnes homosexuelles car, à certains égards, elles ont été, au cours des siècles, les Juifs de notre culture de l’affectivité. Pourtant, je ne suis pas sûr que la présence importante de l’homosexualité dans le discours public soit une bonne chose car il s’agit d’un sujet
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délicat qui devrait relever essentiellement de la vie intime. Et puis, paradoxalement, le fait d’en parler beaucoup ne fait guère avancer la compréhension de ce phénomène. On ignore toujours les causes de l’homosexualité. Et les polémiques entre l’approche biologique et l’approche psychologique ne débouchent guère, la première étant surtout mise en avant par les militants gays américains pour nier les carences psychoaffectives de l’homosexualité. Enfin, les termes eux-mêmes ne sont pas
clairement définis. Quand quelqu’un dit “je suis homosexuel”, que veut-il signifier ? Veut-il dire qu’il a une orientation homoaffective ? Qu’il a des pratiques homoérotiques ? Qu’il vit avec une personne du même sexe que lui ?… Il faut rappeler que le terme “homosexuel” est un adjectif et non un substantif, qu’il n’est donc pas acceptable de réduire une personne (ou de se réduire soi-même) à son orientation sexuelle. C’est pour toutes ces raisons que j’utilise peu les termes “homosexualité” et “homosexuel” pour leur préférer les termes plus précis [d’“homo affectivité”, synonyme d’“homophilie” (terme souvent rejeté dans les milieux gays), consistant à vivre des amours, des affections fortes avec des personnes du même sexe, d’“homoérotisme”, qui consiste à avoir des relations érotiques avec quelqu’un du même sexe, d’“homosensualité”, où il s’agit de corps à corps mais sans érotisme, tels qu’il peut en exister entre père et fils, entre mère et fille ou entre sportifs, alors que l’“homosociali-
L’alliance la plus profonde est celle qui lie la parole et la chair. Elle ne se réalise pleinement qu’entre l’homme et la femme. Xavier Lacroix
La création de la femme, la blessure originelle… la première séparation. ô mon Dieu ! ô Dieu ! Il ne fallait pas le diviser, le mettre en deux. et vainement tenté de se ré-unir. Depuis, ils ont toujours cherché, Et toute la douleur du monde est sortie de là. Il le fallait. Sans le désir, le monde
Il n’est pas bon que l’homme soit seul.” C’est depuis lors qu’il est seul, Il fallait le laisser un. Depuis, ses deux parts incomplètes ont toujours lui, la chair que vous lui avez ôtée, elle, la chair d’où vous l’avez chassée. n’eût jamais perpétué le monde. Marie Noël, Notes intimes
En créant l’homme et la femme à son image et ressemblance, Dieu couronne et porte à sa perfection l’œuvre de ses mains : il les appelle à participer spécialement à son amour et à son pouvoir de Créateur et de Père (…) pour transmettre le don de la vie. Familiaris Consortio
té” “consiste à trouver plaisir dans des relations fréquentes entre hommes (au bistrot par exemple) ou entre femmes, comme cela se faisait beaucoup plus il y a encore cinquante ans”].2
w Vous évoquiez une diminution progressive de l’homophobie. Pensez-vous qu’il soit plus facile aujourd’hui d’être homosexuel ? w Non. Cela reste difficile, qu’il s’agisse pour le jeune de le dire à ses parents ou à ses parents de l’accepter. Et puis, même si chacun fait attention aujourd’hui à ne pas passer pour homophobe, les insultes du type “pédé” ne continuent pas moins de s’entendre dans les cours de récréation. Je pense toutefois que le terme d’“homophobie”, là encore, ne convient pas parce qu’il recouvre des réalités très différentes. Certes, beaucoup d’entre nous peuvent éprouver, un jour ou l’autre, une certaine angoisse (phobos, en grec) face à d’éventuels attraits homosexuels. Mais interroger de manière critique certaines conduites homosexuelles ou parler des carences de l’homosexualité n’est pas faire preuve d’homophobie. Ou alors, on tombe dans le terrorisme intellectuel. Il relève de la stricte honnêteté et du respect de la vérité d’affirmer une non-équivalence entre hétérosexualité et homosexualité et d’oser dire que les conduites érotiques homosexuelles sont, comme le dit Xavier Thévenot, “anormatives” ou “objectivement déficientes”. Cette déficience peut se traduire en différents termes : arrêt du développement sexuel, orientation narcissique plus marquée, trouble plus grand des gestes, plus grande compulsivité… Cela dit, il importe de souligner que les personnes homosexuelles sont appelées aux mêmes valeurs éthiques que les autres, dans la situation où elles se trouvent [à savoir l’accueil réel de la différence réelle, la chasteté, l’amour qui, s’il se construit sur l’intégration et l’acceptation de la différence et de l’altérité de l’autre réel est authentique, et enfin l’humilité].2 (…)
w Ce qui vous paraît contestable, c’est de mettre sur un pied d’égalité l’hétérosexualité et l’homosexualité, en niant à la fois qu’il y a une différence importante entre les deux et qu’il y a une carence dans l’homosexualité. w Cette carence n’est pas d’emblée éthique ni spirituelle. Il est évident que certaines personnes homosexuelles ont de très grandes qualités morales, une vie spirituelle et même religieuse très riche. La carence est d’abord d’ordre psychoaffectif. La structuration homosexuelle est une incapacité à accéder érotiquement au désir de l’autre sexe. Or à travers ce désir de l’autre sexe, il y a un pas très important à faire dans l’existence, la différence sexuelle étant la différence première entre les humains, la plus fondamentale. Si elle n’est pas l’altérité, elle en est le signe le plus net. Dans ce qu’on appelle l’homosexualité, il y a donc un déficit (ce qui ne veut pas dire un refus) dans la fonction “altérité” ou, comme je le dis parfois, un arrêt sur le chemin vers l’altérité. Celui-ci suppose trois dépassements : 1. le dépassement de l’inceste (première forme de relation au “même”) ; 2. le dépassement de l’autoérotisme (deuxième forme de la relation au “même”) ; 3. le dépassement de l’homosexualité (troisième forme de la relation au “même”). Selon la formule du père Oraison, “la femme est pour l’homme le plus autre”. Et réciproquement. L’homosexualité n’est pas un problème d’ordre moral. Mais le problème devient moral – et engage alors sur la voie de la perversion, au sens où Freud l’entendait – quand il y a déni de cette carence, quand on refuse de la reconnaître.
w Où en est l’institution ecclésiale dans ce débat sur l’homosexualité ? w Une parole s’élabore mais nous n’en sommes encore qu’au début. Lorsqu’on sait que 3 à 4 % de la population présente une structure affective homosexuelle, cela signifie que, dans une assemblée dominicale de 300 personnes, il peut y avoir une dizaine de personnes directement concernées par cette question. Il serait donc bon de se demander quelles paroles d’Église reçoivent ces personnes. Or il faut bien reconnaître que la plupart des propos n’en font jamais état. De
même, dans les écoles, dans les mouvements de jeunesse ou de spiritualité, l’homosexualité est très peu abordée dans le registre des paroles éducatives. Quant à la pastorale à l’égard des personnes homosexuelles, elle est inexistante, du moins de manière organisée. Ce qui n’empêche pas, évidemment, l’existence d’une pastorale individuelle par le biais de l’accompagnement spirituel. Bien des prêtres en confession ont désormais une écoute fine et intelligente de cette question. Il est donc injuste de dire comme on l’entend souvent répéter, que l’Église rejette les homosexuels. (…)
w Dire comme le fait le Catéchisme de l’Église Catholique que “les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés” ne vous semble-t-il pas pourtant bien sévère ? w Non, ce terme de désordre correspond bien à la réalité des actes homosexuels puisque les anatomies entre deux personnes du même sexe n’étant pas faites pour entrer en conjonction, ces personnes doivent recourir à des actes de substitution dont le sens, on est bien obligé de le dire, est trouble. Y voir des gestes d’accueil et de don, comme dans l’union entre l’homme et la femme, est quelque peu difficile. Il y a donc bien désordre quant à la signification et au retentissement psychoaffectif des actes. Mais ce désordre ne doit pas être confondu avec la notion de faute, ni avec celle de péché. Pour qu’il y ait péché, il faut que l’acte soit volontaire et libre. De plus, le péché est une fermeture à la vie de Dieu. Il est clair que la condition homosexuelle n’est pas un péché, mais qu’un sujet homosexuel peut être un pécheur dès lors qu’il refuse le don de Dieu. C’est-à-dire s’il y a complaisance dans la non-vérité, dans ce qui est trouble dans la relation. En revanche, le péché est évité si le sujet fait le maximum pour tirer la relation vers la clarté, vers l’ouverture à l’altérité. Quant à la faute, elle consiste en la transgression d’un interdit. Dans l’acte homosexuel, s’il n’y a plus transgression d’un interdit social, il y a toujours transgression d’un interdit ecclésial puisque l’Église continue à lier la sexualité au mariage. w Hors-série N°3 w FOI w
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L’idée d’égalité ne suffit pas à penser le droit. Elle doit se marier avec celle de la différence. Sinon, nous allons vers la confusion. w Personnellement, quelle était votre opinion face au pacs ? w C’est le terme même de pacte
civil de solidarité qui m’apparaît comme trompeur. D’abord, il ne s’agit pas vraiment d’un pacte, c’est-à-dire d’un engagement fort, ni d’un acte civil, puisqu’il ne modifie pas l’état civil des personnes qui le contractent. Ce “pacte” qui n’est ni vraiment civil ni vraiment privé n’est pas non plus un vrai engagement de solidarité puisqu’on peut y mettre fin par une simple lettre recommandée. Personnel lement, je suis assez proche de l’expression du cardinal Louis-Marie Billé qui parlait, à l’époque, de “valise à double fond”. Le but apparent du pacs était d’intégrer mieux les personnes et les unions homosexuelles et, sur ce point, on ne peut qu’être d’accord. Si le pacs a pu aider ceux et celles qui s’y sont engagés à être moins complexés et à vivre davantage dans la fidélité, on ne peut que s’en réjouir. Mais était-ce le seul moyen que l’on pouvait trouver pour cela ? Pourquoi était-il si important de donner un statut aux unions homosexuelles ? En fait, il y a un second but caché (dans le double fond de la valise !) qui est de marquer un premier point vers la reconnaissance de l’union homosexuelle comme fondement potentiel de la famille. Et là, on ne peut qu’être critique !
w Mais en s’opposant à toute reconnaissance juridique des unions homosexuelles, comme la Congrégation pour la Doctrine de la Foi l’a encore fait en juillet dernier, l’Église ne risque- t-elle pas de donner l’impression que l’homosexualité ne peut être tolérée que si elle se vit de manière clandestine ? w Je ne dirais pas clandestine, mais intime ! Le choix de vivre en union libre, qu’il s’agisse d’union hétérosexuelle ou homosexuelle, relève de l’éthique intime et n’a pas à être rendu public. Le fait que deux personnes couchent dans le même lit ne leur donne pas un statut social ! Ce qui est privé n’équivaut pas à ce qui est caché. De même, la discré-
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tion – qui est une valeur – ne doit pas être confondue avec l’hypocrisie. Certes, on a dit que le pacs allait aider à la “reconnaissance” des unions homosexuelles, mais dans ce débat, on confond trop souvent les deux sens du mot “reconnaissance” qui exprime tout à la fois l’idée d’intégrer, d’accueillir sans juger – cette première acception, chère à l’éthique chrétienne, ne pouvant qu’être encouragée – et l’idée d’officialiser, de rendre public et donc de mettre sur le même plan l’union homosexuelle et le couple hétérosexuel, ce qui me semble problématique.
w Et quelle a été votre réaction au “mariage de Bègles” ? w Je ne connais pas de situation plus biaisée. Sous une apparence bon enfant où ont été mises en avant les seules valeurs de l’amour et de l’égalité, c’est en réalité une démarche subversive qui vide le mariage de sa substance. Celui-ci en effet, dans toutes les cultures, est la fondation d’une famille, par l’articulation de l’alliance entre les sexes et de la succession des générations. Il n’est pas seulement la “reconnaissance sociale de l’amour”, comme l’a affirmé Noël Mamère. Preuve en est que lui-même a lu l’article 213 du Code Civil qui stipule que “les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille”. Le mariage n’est pas un bien convoitable comme un objet de consommation, dans une perspective de jalousie (pourquoi les autres y auraient droit et pas moi ?). Mon principal souci concerne les enfants. Sous prétexte de lutter contre une discrimination prétendue entre adultes, il est question d’en créer une autre, bien plus grave, entre les enfants. Il serait en effet établi par la loi que les enfants puissent grandir sur le socle de la relation à deux parents et que d’autres soient a priori privés de ce bien humain élémentaire. L’idée d’égalité ne suffit pas à penser le droit. Elle doit se marier avec celle de la différence. Sinon, nous allons vers la confusion, non seule-
ment entre les genres, mais dans les règles qui définissent la filiation.
w Sur quoi l’Église s’appuie-t-elle pour affirmer que le mariage ne peut être donné qu’entre un homme et une femme ? w D’abord sur une réalité anthropologique. Le mariage, contrairement à ce que l’on croit, ne consiste pas à consacrer un amour, mais à fonder une famille. Cela est si vrai qu’un mariage catholique n’est pas valide si l’un ou l’autre conjoint se refuse définitivement à l’accueil des enfants à naître. Le bon sens permet d’affirmer que pour le bien de l’enfant, qu’il soit fille ou garçon, il faut un père et une mère, un homme et une femme pour son éducation. L’Église s’appuie également sur l’alliance comprise comme union de ce qui est dissymétrique et complémentaire. Entre deux hommes ou entre deux femmes, il ne peut y avoir d’alliance au sens plein puisque moindre est la différence, la dissymétrie, à surmonter. Enfin, l’Église s’appuie sur le fait que la toute première chose qui soit dite de l’humain dans la Bible est qu’il a été créé « homme et femme » et que c’est ainsi qu’il est à l’image de Dieu. L’inachèvement fondamental de l’homme – ish en hébreu – et de la femme – ishahest le premier lieu de l’ouverture à Dieu : les deux lettres qui font la différence entre ces deux termes, « yh », étant le commencement du tétragramme YHVH, le nom de Dieu. Dans la différence entre l’homme et femme, il y a comme une brèche qui ouvre vers la Transcendance ! (…) n 1. Les propos de Xavier Lacroix sont extraits de l’interview qu’il a accordée à Claire Leségretain, auteur de Les chrétiens et l’homosexualité. L’enquête, ouvrage de référence paru en novembre 2004 aux Éd. de La Renaissance (408 pages, 22 ). Qu’ils en soient remerciés. 2. Nous avons placé entre crochets [ ] plusieurs extraits que nous avons dû contracter, pour des raisons de place. Dernière minute : Vient de paraître, de Xavier Lacroix, La confusion des genres Éd. Bayard, 9,80 où l’auteur traite principalement des demandes homosexuelles sur le mariage et l’adoption.
Un combat à mener Approfondir
Le mariage chrétien a-t-il un avenir ? Le père Jean Breck, professeur à l’Institut Saint Serge à Paris, rappelle dans cette communication que l’essence du mariage chrétien est d’être une alliance reçue de Dieu. Il a donc pour caractéristiques d’être monogame, hétérosexuel, d’être une bénédiction sacramentelle et enfin d’être véritablement conjugal. Je voudrais partager avec vous quelques réflexions sur le mariage tel qu’il est conçu dans l’église orthodoxe, en particulier dans son rapport avec l’alliance conclue entre le Christ et l’Église. Je les présente comme une façon de recentrer notre attention et notre intérêt sur les aspects spirituels et sacramentels de la vie conjugale tels qu’ils nous sont révélés dans l’Écriture sainte et dans l’ensemble de la vie profonde de l’Église. Comme dans tout ce qui a trait à l’orthodoxie, il est essentiel que nous recherchions un équilibre. Ici l’équilibre est à trouver entre, d’un côté, la reconnaissance de certaines réalités concernant la différence sexuelle et la sexualité, qu’elle soit hétérosexuelle ou homosexuelle, et de l’autre, l’affirmation de l’attitude foncière de l’Église à propos de l’activité sexuelle en général, et des relations conjugales en particulier. De nos jours, nous sommes appelés à prendre conscience de ce qui pour nous est essentiel, particulièrement dans le domaine de la sexualité, et ce face aux énormes pressions du monde séculier. Ce n’est pas que nous rejetions – ou cela ne devrait pas l’être – l’expression de la sexualité par réaction puritaine ou que, par dégoût homophobe, nous ayons un mouvement de recul devant les unions entre personnes de sexe identique. C’est que l’Église reconnaît que les relations sexuelles intimes ont reçu de Dieu un potentiel unificateur, sacramentel et procréateur qui ne peut être réalisé de manière saine et sainte que dans le contexte d’une union conjugale hétérosexuelle, monogame, profondément engagée dans l’Église (…) Est-il envisageable que l’Église orthodoxe, un jour, bénisse le mariage gay ou les unions de gens du même sexe ? La réponse est, sans aucun doute : non. Ce n’est cependant pas, ou ce ne devrait jamais être, par la réaction puritaine ou “homophobe”, par opposition de principe à une conduite jugée, comme c’est souvent le cas, aberrante ou repoussante. C’est bien plutôt parce qu’il existe une “voie meilleure” qui mène à un bien-être supérieur tant au point de vue physique que spirituel. Cette voie meilleure requiert peut-être qu’une personne aux tendances homosexuelles déclarées soit prête à s’engager dans un combat de toute une vie pour demeurer dans la chasteté, ou, qu’à tout le moins, elle demeure endurante dans le repentir sincère, alors même qu’elle ne satisfait pas à cette exigence. Dans cette disposition – là, rien ne la différencie, d’ailleurs, d’un homme ou d’une femme hétérosexuel célibataire, qui doit de la même manière lutter contre les tentations et les désirs sexuels afin de demeurer dans la chasteté. (…) Cela dit, cependant, il est clair que les unions de personnes de même sexe sont un fait, et que ce fait n’est pas près de disparaître. (…) Quelle doit être la réponse pastorale adéquate aux couples de même sexe qui participent activement à la vie de la paroisse ? Sans essayer de résoudre ici le problème, nous pouvons du moins dire les choses suivantes. Il semble approprié de faire une distinction entre les “unions de même sexe”, et les “mariages de même sexe”. Les premières sont maintenant une réalité dans de nombreuses sociétés occidentales, y
compris la nôtre. (…) Il semble clair que l’Église ne devrait jamais bénir formellement de telles unions. Dans la mesure où elles impliquent des rapports homosexuels actifs, elles sont basées sur une relation que nous ne pouvons considérer comme matrimoniale. Cette relation, du reste, peut être particulièrement problématique quand de tels couples adoptent des enfants. Heather a peut-être deux mamans*, mais, somme toute, cela ne serait sans doute pas plus mal pour elle, si, après tout, elle avait une maman et un papa. C’est là une vérité inscrite dans la nature humaine elle-même, et qui doit être reconnue et défendue en conséquence. Nous devons d’autant plus fermement et catégoriquement rejeter les pressions grandissantes pour que soient universellement acceptés les mariages de personnes du même sexe. Le terme même de “mariage” doit être conservé, préservé et protégé, pour désigner exclusivement l’union d’un homme et d’une femme, dans un lien caractérisé par la fidélité et la permanence. Cette définition, nous allons le voir, est totalement insuffisante pour définir le mariage chrétien. Mais même dans son usage séculier, le terme “mariage” doit garder sa définition conventionnelle. Cela est nécessaire pour sauvegarder le rôle social, psychologique et spirituel de la famille nucléaire, fondée sur la complémentarité des sexes entre le mari et la femme. C’est également nécessaire pour préserver la possibilité pour les chrétiens, les juifs ou les autres croyants de définir les conditions du mariage selon leurs convictions propres. (…) Si nous avons caractérisé le mariage comme monogame, hétérosexuel, sacramentel et “conjugal”, c’est que chacun de ces quatre termes est crucial pour établir le lien unique d’alliance entre mari et femme, qui reflète la relation d’amour sacrificiel entre le Christ et l’Église. (…) Si le mariage chrétien est nécessairement monogame, c’est précisément à cause de la relation du couple avec Dieu. Comme les prophètes d’Israël l’ont maintes fois affirmé, le Seigneur est un Dieu jaloux. Son amour pour son peuple est total et sans limites. Il s’étend à l’humanité tout entière et à toute la création. Pourtant cet amour se centre sur chaque personne individuelle. Chacun de nous devient aux yeux de Dieu son unique “bien-aimé”, son enfant “unique”. De la même façon que Dieu s’engage envers nous, le mariage chrétien requiert que deux personnes, un homme et une femme, s’engagent totalement et sans compromis, à la fois envers l’autre et envers Dieu. Leur engagement d’amour est exclusif, unique et total. Ce n’est qu’ainsi qu’il peut être le témoignage de l’amour unique et sans limites du Christ pour son Église. (…) Deuxièmement, le mariage chrétien est obligatoirement hétérosexuel. Jusqu’à une époque récente, dans nos sociétés, ceci était considéré comme un axiome. En une période de temps extraordinairement brève, l’attitude courante envers l’homosexualité a passé d’un rejet universel à une acceptation à peu près universelle. Ceci est dû en partie à la reconnaissance du fait qu’il existe une orientation homosexuelle qui ne peut être infléchie que dans moins de quarante pour cent des cas où ce changement est désiré. Mais plus importante encore est l’atmosphère dominante dans les sociétés occidentales, qui place les droits de la personne et la liberté individuelle au-dessus des notions de responsabilité sociale. Les actes sexuels commis entre adultes consentants, considère-t-on, devraient rester affaire privée, quelle que soit leur nature. Toute inquiétude devant les conséquences publiques que peuvent avoir des actes privés est écartée comme politiquement
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Un combat à mener Approfondir incorrecte et comme une ingérence fondamentalement importune. Et un grand silence règne sur le fait que de nombreux jeunes gens, en particulier des garçons, sont entraînés vers les relations homosexuelles en l’absence de discernement meilleur, ou même contre leur volonté. Le résultat est que nos écoles encouragent l’usage de préservatifs plutôt que l’abstinence, qu’il s’agisse de contacts homosexuels ou hétérosexuels ; peu d’états ont des lois qui demandent l’autorisation parentale pour une mineure en cas d’avortement, et l’on prête peu d’attention à l’effet dévastateur, pour toute la vie, d’un viol homosexuel commis sur un enfant ou un jeune adolescent. Là encore il faut dire qu’une grande partie des médias, entre autres certains forums très influents (…) se sont faits les champions des “manifestations gay”. Dans nos écoles et nos universités, on en arrive au point que les droits du Premier amendement de la Constitution américaine sont sérieusement mis en danger. Il est toujours plus difficile, sinon carrément dangereux, de dire quoi que ce soit en public qui mette en question la moralité de relations sexuelles entre des partenaires du même sexe. Nous pouvons nous attendre à voir sous peu des lois qui pénaliseront non seulement les commentaires négatifs, mais même de simples références aux passages de la Bible qui condamnent l’homosexualité ; Il sera impossible alors de prendre une position publique contre les unions ou mariage de partenaires du même sexe, parce que de tels arguments seront catalogués comme “propos haineux”. Le résultat sera que les chrétiens, les juifs et les musulmans qui, à l’intérieur même de leurs communautés, prêchent contre de telles unions, seront passibles de poursuites.
Le troisième adjectif qui qualifie le mariage est celui qui le fait spécifiquement chrétien. L’union conjugale est appelée à être bénie par Dieu, à être ecclésialisée. La bénédiction sacramentelle confère au couple la grâce qui fait de cette union une véritable vocation, répondant à l’appel, essentiel, où Dieu invite le couple à la fécondité sous tous rapports : il s’agit en effet “d’être féconds et de se multiplier” (Ge 1, 28), ce qui, tout naturellement et le plus généralement, signifie, bien sûr, devenir co-créateur, participants à la création, donner la vie à des enfants ; mais beaucoup plus largement encore, cela concerne tous les domaines et tous les charismes conjoints du nouveau couple. En tant que réalité “bénie”, le mariage relie le couple d’une manière nouvelle et unique à l’Alliance que Dieu établit avec son peuple fidèle. Il l’insère dans le flux de l’histoire du salut, qui commence avec les patriarches, et culmine dans la vie de l’Église. Aussi la grande prière de la liturgie orthodoxe du couronnement demande-telle à Dieu, à plusieurs reprises, de “les bénir” comme il a béni Abraham et Sarah, Isaac et Rébecca, Joachim et Anne, Zacharie et Élisabeth. “Bénis-les”, “préserve-les”, et “souvienstoi d’eux Seigneur notre Dieu, comme tu t’es souvenu de tes quarante saints martyrs, leur envoyant du ciel la couronne.” Cette bénédiction est effectivement symbolisée par les couronnes de mariage. Elles représentent à la fois la gloire du couple nouvellement formé et le combat ascétique qui les attend. La bénédiction de Dieu, exprimée à travers le couronnement rituel, engage les époux dans un pèlerinage qui les unit aussi bien dans la lutte que dans la victoire, avec les patriarches et les prophètes de l’Ancienne Alliance, et avec les apôtres et les martyrs de la Nouvelle Alliance. (…)
D’autre part, il est important de remettre ce problème en perspective. Si l’homosexualité est rejetée par l’Écriture et considérée comme contraire à l’essence même du mariage tel que l’Église le conçoit, si les actes homosexuels peuvent être jugés négativement, voire être dangereux ; s’ils peuvent apparaître comme travestissement et mésusage des fonctions génitales, ils peuvent difficilement être considérés comme le pire des péchés. D’autres fautes sont certainement plus répréhensibles, menaçant directement à la fois et le bien-être social, et l’intégrité de l’Église : toute forme de corruption par exemple, ou bien la maltraitance des enfants, ou bien encore prêtres ou évêques imposant leur volonté, en dehors de toute symphonie avec la communauté ; et de façon générale, partout où l’homme étale son ego : la volonté de puissance, la violence, la toute-puissance de l’argent, etc. Ces péchés-là ont un impact direct, et des plus sérieux, sur la vie et le bien-être d’un grand nombre de personnes dont la confiance aura été trahie. Et par conséquent ils nécessitent notre attention non moins, sinon plus, que l’activité homosexuelle, en particulier lorsque celle-ci implique deux personnes qui s’engagent dans ces actes librement, dans une relation d’engagement mutuel.
Enfin, le mariage chrétien est véritablement conjugal. Ceci devrait être une tautologie. Mais dans l’atmosphère contemporaine de divorces en série et d’engagement minimum, cela mérite d’être réaffirmé. Dans une perspective chrétienne, le mariage n’est véritablement “conjugal” que s’il représente une nouvelle création “d’une seule chair”, image de l’union dans le dévouement et l’amour parfait qui existe entre le Christ et son Église. Le mariage chrétien est donc totalement différent des unions séculières, y compris celles qui, formellement, seraient scellées par un office religieux. La composante première et essentielle d’un mariage authentiquement chrétien est l’engagement de la part de chaque époux d’aimer, de pardonner, d’étreindre et de nourrir l’autre comme le Christ aime, pardonne, étreint et nourrit tous ceux qui sont baptisés dans son Corps. Les Saints Pères évoquent très souvent la métaphore nuptiale pour décrire la relation entre le Christ et l’âme. Ils utilisent fréquemment le langage du Cantique des Cantiques pour parler de la nature passionnée et véritablement érotique qui unit l’âme au Christ, comme une fiancée à son bien-aimé. Sui ces images sont acceptables pour nos aînés spirituels, c’est parce que la sainte Tradition elle-même place si haut le vrai but et le vrai sens du mariage : être une icône vivante de l’éros divin, de l’amour divin. n
Néanmoins, il est dans la nature profonde du mariage d’être et de rester hétérosexuel : une union entre un homme et une femme. La complémentarité des sexes est nécessaire à la procréation – au moins au sens conventionnel et dans l’avenir immédiat. Et quelque considérable que soit pour la vie conjugale la valeur de l’union, la raison la plus fondamentale de la sexualité et du mariage reste l’invitation donnée par Dieu à “se multiplier et emplir la terre”. C’est précisément la qualité hétérosexuelle du mariage qui permet au couple de “procréer” c’est-à-dire de participer à l’œuvre incessante de Dieu, œuvre de création des personnes qui portent son image divine.
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Extraits d’une communication du père Jean Breck, professeur à l’Institut Saint Serge (Paris) introduisant à un séminaire sur le thème : “Le mariage chrétien a-t-il un avenir ?” Crestwood, New York, Institut de Théologie Orthodoxe Saint-Vladimir, 21 juin 2004. Supplément au SOP n° 293, décembre 2004 * Titre d’un livre souvent présent dans le cursus scolaire américain
La différence a beau être inscrite dans notre chair, elle n’est pas facile à vivre. Avec elle viennent la rivalité et la peur. Mais celles-ci ne sont pas destinées à avoir le dernier mot. Jean Vanier, fondateur de la Communauté de l’Arche et Emmanuel Daublain, prêtre de la Communauté du Chemin Neuf témoignent de cette réalité.
Emmanuel Daublain
Il faut deux
mains pour agir
Il m’a fallu longtemps – et ce n’est sans doute pas encore fini – pour être libéré de la peur des femmes : leur amitié et leur fraternité continuent de me délivrer de cette misogynie ordinaire qui m’habite encore malgré tout : ce refoulé commun à tout homme comme le racisme est commun à tous les blancs et à tous les noirs… Grâce à elles, je prends conscience que je vois parfois les choses de façon trop rapide, sans finesse ni délicatesse. Que je suis trop pressé d’agir avec la tête quand je squeeze cette approche féminine, porteuse de vie, plus proche de l’être et des personnes. Une approche plus incarnée, charnelle et donc finalement plus inspirée. Je suis un peu handicapé sans cette autre moitié de mon humanité : je trouve mal l’équilibre, pas assez attentif à la relation autant qu’aux w Hors-série N°3 w FOI w
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Un combat à mener Témoignage idées, au dire autant qu’à ce qui est dit, à l’être autant qu’au faire… Sacrifiant la gratuité (plus que nécessaire) à l’utilité, la fécondité à l’efficacité. Il faut deux yeux pour voir, deux oreilles pour entendre, deux mains pour agir… du paternel et du maternel, du féminin et du masculin pour donner la vie. Je n’en finirais pas de comprendre que l’homme a été créé homme et femme. Et qu’une « aide » m’est donnée à travers chaque femme pour habiter le monde et vivre ma mission en Église. Je sais aussi souvent manquer d’être moi-même, pour celles qui m’entourent, « cette aide » pour leur permettre de ne pas s’empiéger dans leurs propres complications féminines.
de Celui qui nous a créé homme et femme et qui diffuse sur ses créatures humaines sexuées la beauté de son Amour, communion dans la différence.
Sans doute entre l’homme et la femme se joue une altérité plus radicale qu’une répartition des charismes, qu’un partage des dons de chacune et de chacun. Le féminin et le masculin se trouvent en toute femme et tout homme. Je pressens de plus en plus une altérité plus originelle entre l’homme et la femme, comme un battement discret, un bruissement, la trace de l’Altérité
Je suis convaincu que nos communautés apostoliques mixtes sont déjà, dans l’Esprit du Sauveur de toute relation, des lieux d’invention et d’expérimentation concrète de communion et de mission entre hommes et femmes. n
J’ai conscience aussi du péché de la domination masculine séculaire. Je ne suis pas sûr que, dans nos églises, nous ayons suffisamment laissé travailler, entre nous, la manière dont Jésus vivait sa relation d’homme avec les femmes. Son autorité virile qui se laisse déranger, sa liberté d’aimer et de se laisser aimer jusqu’à la compassion. Puisque là aussi, « de ce qui était divisé, il a fait une unité. Dans sa chair il a détruit le mur de séparation » (Ep 2, 14).
Jean Vanier
L’altérité
sexuelle, pauvreté fondamentale À Dieu qui le cherchait, Adam répondit : « J’ai eu peur car j’étais nu et je me suis caché ». (Gn 4) Adam avait peur parce qu’il avait touché sa pauvreté fondamentale, sa finitude, Il était vulnérable, sans défense. Seul, il n’était rien. Alors, il s’est caché d’Ève et de Dieu. Il ne voulait pas, ne pouvait pas, se montrer tel qu’il était, avec sa pauvreté, ses incapacités, son vide. Il voulait se cacher… comme nous nous cachons, derrière des masques, une fonction, une étiquette, un pouvoir. Notre histoire personnelle s’enracine dans cette pauvreté fondamentale. Elle nous incite à agir par comparaison, par jalousie, ou pour prouver que nous sommes mieux que les autres. Il faut nous montrer forts alors, soit
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nous nous agressons, soit nous nous fermons dans une forme de dépression où nous n’osons rien faire, rien dire. Nos sociétés sont construites sur la compétitivité : si quelques-uns gagnent, beaucoup d’autres perdent. Mais c’est dangereux ! Si les relations sont basées sur la rivalité, il va y avoir des “morts” ! Caïn a tué son frère dont il était jaloux. Mais nous ne pouvons pas vivre seuls. Nous avons besoin de l’autre et des autres. Il faut donc créer un ordre : les femmes ont leur place, les frères aînés la leur, les mariages sont arrangés par les anciens. Et tous, chacun à sa place, sont liés dans un clan ou une tribu. Une convention tacite fixe des règles et assure l’ordre, en empêchant les agressions ou des actes de jalousie. La liberté personnelle est réduite ou étouffée par la loi du groupe, soutenue par l’autorité absolue du chef, du roi. Une recherche de la liberté, face parfois à
Les deux éléments indispensables pour qu’un enfant puisse grandir sont la relation aimante et la sécurité. La relation entre la mère et l’enfant est la base de tout. Le “je t’aime” de la maman, fait de respect, de confiance, d’écoute et de tendresse, donne vie à l’enfant. Il implique une attention à l’enfant et le désir qu’il soit bien et heureux. Cette communion entre le cœur des parents et le cœur de l’enfant est cependant fragile, habitée par une peur inconsciente car les parents sont parfois fatigués, fragiles psychologiquement et en conflit entre eux. Il arrive que la communion soit blessée ou brisée. L’enfant découvre qu’il ne peut pas avoir une confiance absolue et totale dans cette relation, même si elle demeure la base de sa croissance vers la maturité, l’autonomie et la liberté personnelle. À la puberté, un grand changement se fait chez le jeune. Il commence à découvrir une autonomie nouvelle. Il commence à désirer être différent de ses parents. Il n’est plus simplement le fils ou la fille de ses parents ; il est lui-même. L’adolescent prend conscience de sa masculinité ou de sa féminité. Il est attiré par les personnes de l’autre sexe et les attire. La pulsion sexuelle l’attire et en même temps lui fait peur. Il a besoin d’être aimé pour lui-même et non seulement comme l’enfant de ses parents. Mais le jeune ne sait pas toujours très bien qui il est et ce qu’il veut. Cependant si ses parents sont présents tout en l’encourageant vers une autonomie plus grande il passe plus facilement cette “crise”. Quand une société est régie par des lois religieuses et morales rigides, les adolescents n’ont pas le choix ; ils acceptent les interdits et les intègrent dans leur vie. Par contre, dans des sociétés où ces interdits ont sauté, où la sexualité est banalisée par les médias et la publicité, les jeunes sont amenés à désirer des relations sexuelles sans toujours savoir comment faire, comment vivre le risque et la responsabilité de la relation. L’angoisse et la peur s’installent dans la relation sexuelle.
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des chefs corrompus, un désir du développement personnel et d’autres facteurs ont cassé cette loi du clan qui maintenait un certain ordre. Mais en se développant, la soif de liberté personnelle et d’affirmation de soi suscitera de la peur et de l’angoisse. Se développe alors une sexualité génitale sauvage qui peut apporter un plaisir mais aussi des peurs et des risques. Qu’est-ce qui est possible dans les relations interpersonnelles ?
Notre expérience de l’Arche montre que des foyers mixtes, hommes et femmes ensemble, sont source d’équilibre et de vie, pourvu que les règles soient claires.
être perturbées par les gestes ou le comportement sexuels dans les médias. Des désirs et des pulsions peuvent naître en elles sans qu’elles en saisissent toutes les implications. Selon la gravité du handicap et des capacités d’autonomie et de choix, généralement la personne portant un handicap est heureuse d’être dans un lieu où les règles sont claires. Elle a besoin d’un lieu sécurisant où elle se sente appréciée et où elle soit confirmée par des adultes bien situés dans leur sexualité. Notre expérience de l’Arche montre que des foyers mixtes, hommes et femmes ensemble, sont source d’équilibre et de vie, pourvu que les règles soient claires et que chacun ait la possibilité de grandir vers une liberté plus grande et un lieu de parole où ils puissent parler de leur vie affective et où cette parole est écoutée et prise en compte. Cela n’empêche pas que certains hommes et femmes chez nous souffrent et sont parfois perturbés à cause de leur sexualité. Ils ont besoin d’être accompagnés. Mais cette difficulté en face de la sexualité n’est pas réservée aux personnes ayant un handicap. Nous sommes tous dans une société où le sens de la sexualité comme engagement relationnel s’est perdu. Le message de Jésus est lumière de vie pour tous, et particulièrement pour les plus faibles. Se savoir aimé de Jésus, vivre dans l’intimité de cet amour, vivre des relations chaleureuses, fraternelles et aimantes au sein d’une communauté, donne un sens profond à leur vie. n
Dernière minute : Jean Vanier vient de publier Entrer dans le mystère de Jésus : une lecture de l’évangile de Jean chez Bayard Presse
Arche international
Les personnes ayant un handicap mental sont atteintes dans leur capacité d’autonomie. Elles ont besoin de la protection et surtout de la confiance et de l’amour des adultes pour vivre. C’est cet amour libérateur qui va les aider à grandir vers la maturité qu’elles peuvent atteindre. Leur sexualité est cependant modifiée par leur handicap. Ces personnes peuvent parfois souffrir de ne pas pouvoir se marier, car c’est un signe qu’elles sont “différentes”. Elles peuvent aussi
Michelle et Sean de l’Arche Spokane, USA
Un combat à mener Approfondir
Les enjeux du vocabulaire
Lucienne Sallé, membre de la délégation du Saint Siège à la Conférence des Nations Unies à Pékin, revient sur la nouvelle terminologie à l’œuvre pour définir les relations hommes-femmes et l’idéologie qu’elle sous-tend. La manière d’appréhender les relations entre hommes et femmes varie selon les époques, les cultures, les idéologies. Notre monde actuel, dit “post-moderne”, se considère libéré des contraintes relationnelles, en particulier des codes “bourgeois” du XIXème siècle et de la vision chrétienne de l’égale dignité dans le respect de la différence entre homme et femme. Une nouvelle liberté s’installe, créant à son tour des codes et des nouvelles contraintes. Profitant du courant mondialiste, elle s’impose à la société civile sans qu’il soit facile d’en discerner tous les contours ni les idéologies qui la soutiennent. Ne pas prendre conscience de ce qui est en cause, se laisser porter par la vague, dire “aujourd’hui, c’est comme ça”, ou encore “c’est inévitable”, est tout simplement accepter une nouvelle forme d’aliénation.
Évolution des conférences des Nations-Unies dans les années 90 Au cour des Conférences des Nations Unies pour l’égalité entre hommes et femmes précédant celle de Pékin en 1995, les études portaient principalement sur la recherche d’un meilleur bien-être de la femme (moins de pauvreté, plus d’éducation…) et de la non discrimination. À partir des années 90 (préparation et réalisation des Conférences du Caire sur la population et de celle de Pékin sur l’égalité hommes-femmes), s’est exprimée très fortement la volonté d’un contrôle, non plus seulement des structures sociales, mais de l’agir des individus et, finalement des individus eux-mêmes dans leurs choix de vie. Cette perspective a été portée et alimentée par le spectre d’une surpopulation de la planète ; en réalité par la crainte d’une surpopulation des pays pauvres du Sud. Elle s’est organisée idéologiquement dans le
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mouvement féministe et s’est insérée dans la culture post-moderne.
Une nouvelle terminologie à l’œuvre Utilisant le langage anglo-saxon, ces nouveaux courants n’ont pas de difficulté à créer des mots qui s’imposent à la pensée et à la culture. Ce nouveau langage devient réalité ; il est utilisé sans être toujours défini ni compris et il évolue. Pour le sujet qui nous concerne, nous pouvons expliciter trois de ces objectifs concernant les femmes et la relation hommes-femmes : empowerment, gender, sexual orientation. Dans empowerment, il y a l’idée d’épanouissement, mais il y a aussi la perspective de sa propre réalisation, de sa capacité à être soi-même, et à avoir, pour les femmes, le même pouvoir que les hommes. Empowerment implique donc une stratégie Peinture haïtienne pour que les femmes puissent avoir réellement ce pouvoir. Et quel pouvoir ? Il s’agit du pouvoir que peut donner l’argent, une bonne situation sociale, une bonne place dans la hiérarchie sociale ; mais dans empowerment il y a aussi le pouvoir de contrôle et de choix : contrôle de soi en tant qu’individu, contrôle de sa sexualité, contrôle de sa fécondité et possibilité de choisir, en tant qu’individu ce que je fais de mon corps. Ainsi, au cours de la Conférence de Pékin, les débats les plus longs et les plus difficiles n’ont pas été sur le chapitre pauvreté, accès à l’éducation, mais sur ce qui a été placé dans le chapitre “santé” où est traitée la santé reproductive, autre terminologie pour parler du contrôle de la fécondité et du libre accès à l’avortement.
Conséquences de la terminologie du gender On comprend alors que la perspective de gender s’adresse à l’individu pour lequel seul compte la défense des droits individuels et la compétitivité. Sont absents de ce langage mondial : mère, père, époux-épouse, couple, réciprocité, famille. À la Conférence de Pékin, au cours d’une discussion animée en vue de proposer de considérer la femme dans l’ambiance familiale, une personnalité, elle-même mère de famille, a conclu cet échange en disant : “Mais on n’est tout de même pas mère toute sa vie !”. Ne pas se laisser entraîner sans le comprendre par le courant de gender perspective est difficile : compétitivité dans le travail, travail considéré comme un instrument de pouvoir, non-considération du travail à la maison
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Englobant l’ensemble de cette problématique, le gender perspective est maintenant le prisme à travers lequel est étudié tout ce qui concerne le développement, la culture, l’éducation, les relations sociales. De quoi s’agit-il ? Il s’agit d’assurer une entière liberté de choix et une totale égalité entre les hommes et les femmes, basées sur l’affirmation que rien n’est décidé par la nature. Dans une considération du “tout possible”, chaque individu, homme ou femme, doit pouvoir accéder à tout, librement, sans limites qui pourraient être imposées par sa biologie, par son sexe. Le sexe luimême acquiert un statut “relatif”, chacun ayant le devoir de contrôler sa fécondité et la possibilité de choisir son orientation sexuelle (sexual orientation). Il faut savoir que dans la parole gender, qui se traduit normalement par homme et femme, est inclus homosexuel, lesbienne et transsexuel ; c’est ainsi que l’on peut parler de cinq genres !
La perspective de gender s’adresse à l’individu pour lequel seul compte la défense des droits individuels et la compétitivité. de la mère de famille, non-respect de la spécificité de l’homme et de la femme, négation de la famille et en même temps, demande du “mariage homosexuel”, accès libre à l’avortement, sont parmi les conséquences directes du gender perspective ; elles s’infiltrent inexorablement dans toutes les instances de nos sociétés.
Respecter sa réalité d’homme ou de femme Une première bonne réaction - qui est moins simpliste qu’elle ne peut paraître - est de se reconnaître dans sa réalité d’homme ou de femme ! Nous sommes créés homme ou femme et tout notre être est une unité de part cet état. Un homosexuel est un homme… qui est homosexuel. Nos capacités, nos qualités sont les nôtres en tant qu’homme ou que femme. Certaines qualités sont dites féminines et d’autres masculines : elles sont liées à la psychologie de la personne, non pas à son être qui est femme ou homme. De même, il peut y avoir des “rôles” interchangeables, mais ils déséquilibrent la personne s’ils ne sont pas assumés par la personne homme ou femme, père ou mère, frère ou sœur, chacun conscient de sa spécificité. Ainsi, par exemple, le père qui donne le biberon à son enfant : il peut très bien assumer ce rôle. Mais il y a manière et manière de le faire. Donner le biberon à un enfant est un acte important qui prolonge (ou remplace) la période d’allaitement dont la mère, seule, a les capacités. Le père peut donner le biberon comme une tâche en plus ; il peut aussi le faire en relation avec son épouse, recevant d’elle comme une “délégation” pour le soin de l’enfant. Dans ce dernier cas, par la relation qui s’établit entre les parents, chacun des deux a l’occasion de prendre sa propre part en grandissant dans la conscience de ce qu’il est pour lui-même, pour son conjoint et vis-à-vis de ses enfants. Une simple répartition des tâches, sans progression dans la conscience de soi, aboutit souvent à des conflits, chacun pensant que l’autre n’en fait pas assez ! Un apprentissage mutuel de la paternité et de la maternité permet, par contre, à l’un et à l’autre de réaliser sa propre mission et de respecter celle de l’autre. Il peut en être de même dans le travail professionnel et dans la société si chacun assume sa tâche ou son rôle en fonction d’une mission qu’il reçoit par le fait d’exister en temps qu’homme ou femme, respectant la différence et construisant la réciprocité. n w Hors-série N°3 w FOI w
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Un combat à mener Entretien Le couple contemporain traverse une crise. Après l’effondrement du patriarcat, le rôle d’autorité du père n’est plus assumé, et l’équilibre homme - femme est à reconstruire
Le masculin et la
paternité sont à réinventer Entretien avec Jacques Arènes Psychanalyste, membre de la Communion du Chemin Neuf. Sujets de prédilection : la famille, les rapports qu’entretient la psychanalyse avec le religieux et le spirituel. Auteur de plusieurs livres, dont l’un des plus récents, Lettre ouverte aux femmes de ces hommes (pas encore) parfaits, est le thème de cet entretien.
w Dans votre dernier livre “Lettre ouverte aux femmes de ces hommes (pas encore) parfaits…”*, vous faites état d’une crise qui traverse le couple contemporain. De quoi s’agit-il ? w Ce livre est nourri de mon expé-
rience de thérapeute, en particulier auprès de patientes qui vivent une expérience douloureuse de séparation, de rupture, ou de difficultés dans leur couple. Ces femmes sont amères et en veulent à l’homme, soit parce qu’il a fui pour ne pas
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avoir à s’engager, soit parce qu’il est absent aussi bien dans le couple que dans la relation aux enfants, soit parce qu’il est infidèle. Tous ces griefs donnent une image de l’homme inquiet, fragile, maladroit, mal assuré. Il m’arrive aussi de voir des hommes qui viennent en thérapie sur l’injonction féminine. Et j’ai voulu réfléchir à ce malaise du masculin, de la paternité, qui nous agite, nous émeut, nous inquiète.
w Vous semblez établir un parallèle entre la crise du masculin et celle de la paternité. Être homme, est ce que c’est être père ?
w C’est la non-évidence de la paternité de l’homme qui rend la symbolique du patriarcat aussi violente. Dans le droit romain, le père est incertain, la mère est certaine. Le patriarcat est, dans ses formes extrêmes, aussi une réponse autoritaire et violente de l’homme à ce doute récurrent sur sa paternité. On peut dire que 1968 s’est fait en réaction contre la violence du patriarcat dont nous sommes heureusement sortis. Auparavant, l’homme était au centre du mariage civil. Maintenant, c’est le couple qui est au centre, comme dans le mariage chrétien. Il s’agit de trouver un nouvel équilibre entre l’homme et la femme. Mais en Occident, cette mutation se vit dans la douleur car, après la chute du patriarcat, nous sommes confrontés à une crise de la paternité.
En s’affranchissant de la culture patriarcale, nous sommes affranchis en même temps de ce qu’il y avait de bon dans le passé, par exemple la fonction paternelle de garant de la transmission. Les générations des années 60 se sont affranchies. Les fils ont d’abord refusé le legs de leurs pères, puis ils ont refusé de transmettre quoi que ce soit à leurs enfants pour justifier leur libération d’avec leurs propres parents. Ce qui génère pour eux des bénéfices narcissiques importants : en préférant le registre de la séduction à celui de l’autorité, le père renonce à exercer une contrainte parentale exigeante sur ses propres enfants, mais cette facilité est elle-même source de violence. On n’attend pas du père qu’il reproduise les comportements ultra autoritaires de ses ancêtres, mais qu’il puisse avoir une parole, prendre position, dire clairement ce qu’il pense. Or, par son refus de transmettre, il refuse d’être un maillon dans la chaîne des générations, et enjoint en quelque sorte à ses enfants de créer leur vie par eux-mêmes. Chacun sait pourtant que la fonction parentale consiste à encourager l’enfant à vivre des expériences pour se construire, tout en le conseillant, en le guidant. Aujourd’hui, en l’absence d’une autorité qui les garantisse, les enfants sont trop souvent livrés à la violence de l’expérience solitaire, à celle de leurs égaux ou même des adultes. L’exemple des dernières manifestations lycéennes nous montre que les jeunes ont plus peur de la violence de leur propre groupe que de celle venant des forces de l’ordre. La violence des pairs a remplacé la violence des pères ! Tout se passe comme si beaucoup de pères refusaient d’assumer leur responsabilité.
w D’où vient cette difficulté qu’ont les pères aujourd’hui à exercer l’autorité ? w Le refus de l’autorité, de la loi, est
dans l’air du temps. Prenons l’exemple de l’Éducation Nationale. On voit bien qu’elle ne veut pas, comme beaucoup d’institutions, se mettre en situation d’exercer l’autorité par peur de prendre des coups. Or éduquer, cela implique
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w Pouvez-vous indiquer en quoi consiste cette crise ? w C’est une crise de la transmission.
Notre société a évacué toute pensée de la souffrance et de la mort, de l’épreuve, qui est pourtant incluse dans toute pensée de la vie. Idem pour le jugement.
que l’on fasse preuve de fermeté. Des pères, stigmatisés parfois par les mères elles-mêmes, y ont malheureusement renoncé, jusqu’à accepter de se laisser insulter. Un parent n’a pas à accepter cela. Certains acceptent ainsi l’insulte par peur de perdre le lien. Bien sûr, il ne s’agit pas d’opposer à un tel comportement une réponse disproportionnée, ni de faire n’importe quoi. Mais donner une bonne claque à un ado, est-ce toujours dramatique ? Cela ne doit pas conduire pour autant à culpabiliser. Aujourd’hui, on confond trop souvent “compréhension” et “attitude éducative”. L’attitude juste consiste à dire, dans certains cas : “je comprends mais je n’accepte pas”. Ce discrédit qui frappe aujourd’hui l’autorité vient de ce que l’attitude féminine d’accueil inconditionnel, qui est une bonne chose en soi, est très valorisée dans l’éducation alors que l’attitude classiquement masculine de conditionnalité et d’exigence, même nuancée, est plutôt disqualifiée. Il n’est pourtant pas mauvais qu’un parent soit, dans le feu de l’action, un peu injuste ou même brutal¸s’il accepte de le reconnaître par la suite. Car la réalité qui s’imposera à l’enfant le sera peut-être beaucoup plus. L’hyper protection dont celui-ci est entouré ne lui aura pas permis de s’y préparer. C’est très révélateur de la faillite de la fonction paternelle et lourd de conséquences. La dissymétrie fait aussi partie de la relation parents/enfants, mais elle déniée. Comment les enfants peuvent-ils alors s’ouvrir à la différence, s’ils perdent, dans la relation, toute notion de hiérarchie, de respect ? Pour eux, tout est devenu confus, brouillé.
w Comment définiriez-vous le rôle spécifique du père dans la fonction éducative ? w C’est d’aider l’enfant et particuliè-
rement l’adolescent à se confronter au réel. C’est une étape incontour-
nable. D’ailleurs, l’anthropologie chrétienne est très claire à cet égard. Le paradis terrestre est passé ou à venir, mais il n’est pas pour tout de suite. Et la vie est aussi conflit, combat. La vertu de force est essentielle dans la foi chrétienne, c’est peut-être pour cela que la figure de Jean-Paul II a autant touché l’humanité, au-delà même du monde chrétien. Or aujourd’hui, la cellule familiale ne prépare plus à cette confrontation avec la réalité, sauf peut-être dans l’hypervalorisation de la réussite scolaire. Mais les pères ont du mal à se positionner. La plupart des ados que je vois en consultation correspondent au même modèle : ils fument du “shit”, passent beaucoup de temps en jeux vidéos. Devenus étudiants, certains passent Deug sur Deug, se font perfuser financièrement par leurs parents et sont incapables de faire un choix dans la vie. En tant que psy, il m’arrive de les “secouer”, de les pousser à agir, ce qui était inimaginable pour un “psy” il y a quelques années.
w Comment expliquez-vous cette démission des pères ? w Notre société a évacué toute pensée
de la souffrance et de la mort, de l’épreuve, qui est pourtant incluse dans toute pensée de la vie. Idem pour le jugement. Même dans l’Église, on met beaucoup plus l’accent aujourd’hui sur la miséricorde infinie de Dieu, ce qui est théologiquement juste, au risque cependant de cultiver une sorte de quiétisme béat. Pourtant, le jugement a du bon. Je serai jugé selon mes œuvres. C’est responsabilisant, cela engage ma liberté et cela m’aide à prendre conscience que mes choix, comme mes non-choix, ont du poids, que leurs conséquences peuvent être irrémédiables : blessures, traumatismes, mort. La théologie du jugement est à conserver, en la nuançant certes, sinon cela revient à admettre qu’il n’y a pas de solution au problème du mal. Bien souvent, le w Hors-série N°3 w FOI w
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Un combat à mener Entretien
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La meilleure légitimité qui puisse être conférée à l’autorité paternelle, c’est celle qui est conférée par l’épouse à son mari. C’est l’amour qu’ils se portent mutuellement qui rend possible une répartition harmonieuse des rôles.
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w Cette autorité paternelle qui fait aujourd’hui défaut, comment la caractérisez-vous ? w C’est une autorité qui doit bien sûr
jugement est la seule consolation qui puisse être procurée aux victimes. Certes, Dieu est miséricorde et me pardonne mais à condition que j’aie moi-même pardonné ou demandé pardon aux autres. Le philosophe juif Emmanuel Lévinas écrit de belles choses, dans ses lectures talmudiques, sur le fait que Dieu ne peut donner son pardon si le frère ne l’a pas donné… Selon Lévinas, affirmer le pardon inconditionnel risquerait de justifier un mal infini. Il cite à cet égard un passage de la Mishna, où il est dit : “fautes de l’homme envers Dieu sont pardonnées par le Jour du Pardon ; les fautes de l’homme envers autrui ne lui sont pas pardonnées par le Jour du Pardon, à moins que, au préalable, il n’ait apaisé autrui.” Lévinas est stupéfait de ce commentaire : “Mon frère, mon prochain est, en un certain sens, plus autre que Dieu. Pour
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obtenir son pardon, je dois l’apaiser.” Pour revenir à la relation parents/enfants, il faut réintroduire un soupçon de conditionnalité. L’accueil inconditionnel de tout acte au non de l’amour déconnecte les ados du réel. En voulant éviter aux ados cette confrontation avec le poids des actes, on leur masque la réalité et on leur rend un bien mauvais service. Ils ont besoin d’apprendre qu’il y a des temps décisifs dans la vie et qu’il faut savoir les saisir, comme dans la parabole des vierges sages et des vierges folles. Car la vie, comme l’histoire, ne ressert pas les plats. La fonction paternelle consiste très clairement à éveiller l’enfant à cette nécessité de faire des choix, et au bon moment. Ne pas choisir, c’est toujours courir le risque de faire le plus mauvais choix.
descendre de son piédestal, quitter la posture de la statue du commandeur, ne pas être tyrannique. Elle n’a rien à voir avec ces caricatures d’autorité qui ne sont légitimées que par la fonction. Elle doit manifester aujourd’hui plus d’inventivité, de malice, ce qui n’est pas toujours facile quand le père n’est pas à l’aise dans la relation. Mais la meilleure légitimité qui puisse être conférée à l’autorité paternelle, c’est celle qui est conférée par l’épouse à son mari. C’est l’amour qu’ils se portent mutuellement et qui rend possible une répartition harmonieuse des rôles : le père aide l’enfant à se confronter à la réalité, tandis que la mère incarne l’amour inconditionnel. Bien entendu, ce partage doit être souple, et, aujourd’hui, si l’homme et la femme peuvent être garants de l’un ou l’autre des pôles parentaux, ils ne sont pas chacun isolés sur leur territoire. Cela suppose aussi que le père soit plus présent qu’il ne l’est encore trop souvent. La difficulté tient précisément à ce qu’il est trop souvent absent. Or, en son absence, c’est l’autorité qui est absente. À moins que la femme ne joue à la fois le rôle du père et de la mère, ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes.
w Si la paternité est en crise, qu’en est-il de la relation entre l’homme et la femme ? w Dans la Genèse, la symétrie entre
l’homme et la femme est posée, comme d’ailleurs la différence, qui appelle l’union, et qui nous dit quelque chose de Dieu lui-même, théologiquement parlant. L’auteur biblique insiste, dans un des deux récits de la création, sur l’antériorité de l’homme, sur sa solitude, sur la situation de manque dans laquelle il se trouve et qui appelle une complémentarité, même si les conjoints ne peuvent répondre que partiellement au manque de l’autre. Le texte biblique nous enseigne aussi que l’aide apportée à l’homme par la femme est une “aide contre”. Ce qui signifie que le conflit est en quelque sorte constitutif du couple. Cependant, le patriarcat a généré une violence quasiment institutionnelle à l’encontre de la femme qui s’est trouvée humiliée, asservie, au cours des âges. Aujourd’hui, les femmes règlent les comptes de siècles de soumission à la gent masculine. Il y a un vrai contentieux entre elles et les hommes. D’autant plus que les hommes ont développé une culture de la violence qui a abouti, au cours du siècle précédent, à deux guerres mondiales, à la Shoah, à la colonisation… Il ne s’agit pas de dire que les femmes n’y sont pour rien, mais que, peut-être les siècles derniers furent imprégnés des effets de la violence masculine.
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Il ne serait pas déplacé de voir les hommes faire acte de repentance à l’égard des femmes, en reconnaissance de leur responsabilité. Bien sûr, il ne s’agit pas de vouloir supprimer toute violence. Attention d’ailleurs à certaines formes de pacifisme confinant à l’irresponsabilité ! La violence est inhérente à la vie du couple, du fait de la convoitise, de la rivalité, de la jalousie qui s’insinuent dans tous les domaines de la vie familiale, professionnelle, sociale. Même pour des questions apparemment triviales de salaire, carrière, compte en banque. Il importe de reconnaître cette rivalité, cette jalousie, cette violence. Cela nous aide à sortir d’une idée par trop romantique de l’amour qui est à l’origine de bien des séparations ou ruptures. Les deux conjoints n’étaient pas préparés à vivre quelque chose de difficile, or la vie conjugale est aussi difficile. Cette dimension conflictuelle de la vie de couple qui nous paraît exacerbée aujourd’hui a en réalité toujours existé, mais elle était moins visible du fait de la domination qu’exerçait l’homme sur la femme. Aujourd’hui, l’homme n’a plus forcément le dernier mot. Et puis pour l’homme comme pour la femme, le fait d’exister implique de toute façon qu’il y ait combat, conflit. Pour être libre, pour assumer son identité propre, on ne peut faire l’économie d’une confrontation avec l’autre. Mais
Il ne serait pas déplacé de voir les hommes faire acte de repentance à l’égard des femmes, en reconnaissance de leur responsabilité.
”
cela n’exclut pas évidemment que l’amour soit possible.
w Cette crise du masculin, de la paternité, comment peut-on en sortir ? w Il faut prendre acte du
fait que l’homme n’imposera plus son autorité par la force, comme cela se faisait à l’ère du patriarcat. Mais pour qu’il retrouve un espace propre où sa paternité puisse exister, il doit trouver un contrepoids à l’évidence du féminin. Or le masculin ne va jamais de soi. Même si comme le leur reprochent souvent les femmes, les hommes “n’assurent pas”, ils ont un rôle de transmission à jouer. Cela implique que les femmes se fassent une obligation d’instituer le père sur le plan familial. Ne serait-ce que dans l’intérêt de leurs enfants qui ont besoin de la stimulation paternelle pour affronter un certain nombre de risques inhérents à la traversée de l’enfance et de l’adolescence. Et aussi parce que c’est au père d’aider l’enfant à quitter la cellule familiale et à s’engager dans l’existence. Mais c’est aussi aux hommes de s’autoriser à avoir avec leurs enfants une parole, des gestes, une histoire qui ne soient pas moulés dans le discours maternel. n * Éditions Fleurus, 144 p., 15
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Une richesse à faire fructifier A
lors comment accueillir cette richesse de la différence et la faire fructifier en respectant l’égalité de dignité ? Le père Denis Sonet propose quelques règles de la communication : parole et écoute sont des ponts nécessaires jetés au-dessus du fossé de la différence sexuelle. Ainsi, Judka et Otto Csomor témoignent que le fait d’apprendre à se connaître chacun personnellement et de dialoguer avec leurs différences, leur permet de construire leur couple et leur famille. Cette richesse est appelée à fructifier dans le mariage : le Père Chryssavgis, envisageant son origine trinitaire, rappelle que si l’amour conjugal n’ouvre pas le couple au-delà de lui-même et ne l’élargit d’une façon ou d’une autre, il se réduit alors à une simple idole au lieu d’être l’icône qu’il est appelé à être. Il s’agit aussi de prendre soin de cette richesse dans l’éducation des jeunes. Bernard Delthil, présent à un colloque récent des Orphelins Apprentis d’Auteuil, nous livre quelques-unes de leurs réflexions sur leurs principes d’éducation, en particulier la question de la mixité. Comment aider des jeunes à bien se situer dans leur corps et dans leurs relations ? Enfin, elle est appelée à fructifier dans l’Église, comme le souligne Monseigneur Guy Gaucher revenant sur les enjeux théologiques et ecclésiaux révélés par la proclamation de Sainte Thérèse de Lisieux Docteur de l’Église, pour appeler de ses vœux l’émergence, au côté des théologiens, de théologiennes faisant entendre la voie des femmes pour dire le mystère de Dieu. Celui-ci a en effet besoin de tout le génie masculin et de tout le génie féminin pour se dire. n
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Denis Sonet
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Otto et Judka Csomor
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Père Jean Chryssavgis
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Colloque des Orphelins d’Auteuil
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Monseigneur Guy Gaucher
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Communiquez et vous vivrez !
Nos différences sont devenues source de dynamisme
Amour, mariage et sexualité
La mixité, quand on en parle
Une femme Docteur de l’Église !
Bibliographie
Une richesse à faire fructifier Approfondir
Communiquez et vous vivrez ! Le père Denis Sonet, conseiller conjugal, rappelle quelques règles élémentaires indispensables à la relation entre fiancés ou époux. Ce qui va sans dire va encore mieux en le disant. Il est évident que la communication dans le couple est d’une importance capitale. C’est vrai pour les fiancés qui ont absolument besoin de se connaître pour s’engager en toute tranquillité. Qui doivent aussi avoir harmonisé leurs projets, leur “plan de vol”, en s’assurant de leurs correspondances profondes. C’est vrai pour les gens mariés pour lesquels la communication est même osons le dire - une question de vie ou de mort pour le couple : hors de la communication, pas de salut ! Comment en effet vivre 50 ans de vie commune si le couple n’a pas emporté avec lui cet instrument indispensable d’adaptation en face des évolutions inévitables de l’un ou l’autre des conjoints ?
La communication empêche le fantasme On ne peut pas se situer en face de quelqu’un qui ne parle pas, et on lui impute des pensées ou des intentions qu’il n’a pas. Elle permet de conserver l’admiration pour l’autre : l’être humain est un infini dont on n’a jamais fait le tour. Si l’on ne parle pas, on finit par ne plus voir le merveilleux de l’autre… Elle évite les malentendus. Elle est indispensable pour que le couple réalise son harmonie charnelle… comme d’ailleurs son enrichissement spirituel. Elle apporte des moments délicieux dont les couples ont bien tort de se priver. De toute façon, elle répond au besoin relationnel de tout être humain : l’homme, ne l’oublions pas, est fait à l’image d’un Dieu qui est Relation, qui est Famille, qui est Trinité. Mais ceci étant dit : La Communication a beau être la tarte à la crème dont tout le monde parle,
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les moyens de communication nombreux, ce n’est pas pour autant qu’elle existe et que la recette en est connue ! On dialogue sur Internet avec un inconnu de Papouasie, mais pas forcément avec l’épouse qui est dans la cuisine !
Les écueils les plus criants à éviter • Le premier, c’est de ne pas percevoir l’importance de la communication. C’est le cas des fiancés qui vont très vite à la rencontre sexuelle, en oubliant de mettre d’abord en place la tendresse et cette difficile communication. Ils croient un peu vite que l’union des corps est l’essentiel : elle peut occulter les carences du couple au niveau des échanges. Heureuse séparation parfois qui permet à des fiancés de dire dans de longues lettres ces mots
qu’ils ne trouvent pas en tête-à-tête. C’est le cas aussi des mariés (souvent les hommes !) qui ne voient pas l’utilité de tellement dialoguer (“Tu le sais bien que je t’aime !”) et qui du moment qu’ils font (par exemple : la vaisselle), croient qu’ils disent. Dans ce cas le couple ne prend pas le temps de se réserver des temps forts d’échanges et se contente de dialogue bouche-trou d’une pauvreté affligeante : “Passe-moi le sel… Il fait beau aujourd’hui… Qu’est-ce qu’on mange à midi ?…” • Le deuxième écueil : on impose à l’autre son ressenti… On pense à sa place, comme si on savait mieux que lui (elle) ce qu’il (elle) ressent, on répond à sa place, rendant ainsi la parole inutile : “Je ne t’ai pas parlé parce que je savais que tu ne m’écouterais pas…”. Ou bien ce qui est plus grave, on lui dicte sa façon de penser, de ressentir et de faire : “Tu dois ressentir ce que je veux que tu ressentes…”, “Tu dois être fâché avec le voisin puisque je le suis…” “J’ai pensé que tu voulais aller chez ma mère dimanche…” • Un troisième écueil particulièrement fréquent : notre tendance à interpréter. Comme c’est tentant, surtout si l’autre parle peu, de lui prêter des intentions machiavéliques. “Il m’a reproché la façon d’éduquer nos enfants, certainement qu’il a dû en parler avec sa mère…” Interprétations extrêmement fréquentes en famille, plaie des dialogues… On décode de travers ce que dit l’autre ; un mari rentre avec un bouquet de fleurs et la femme de lui dire : “Qui te les a données ?”… Autre exemple : un mari dit à sa femme : “Ce chapeau quelconque te va très bien !”…Qu’a-t-elle entendu ? La communication bute encore sur l’existence de cercles vicieux que les conjoints ne savent toujours pas repérer. Or tous les couples fonctionnent avec des
cercles vicieux. Ainsi, moins le mari parle, plus la femme parle, ne fût-ce que pour le faire parler… et plus la femme parle, moins le mari a la possibilité de parler. Qui sera assez intelligent pour désescalader le premier ? • Autre écueil : la difficulté pour certains de verbaliser… de mettre un mot sur leurs émotions et d’être à l’aise dans l’univers des sentiments. Inhibés par une pudeur qui remonte souvent à l’enfance, ils ont peur de la relation, peur d’être jugé, peur de blesser, peur de parler des problèmes qu’ils préfèrent nier.
Écouter et parler ! Il reste que le plus grand obstacle à la communication est la tendance toute naturelle de tout être humain de juger les dires ou les actes de l’autre. Le moindre reproche fait mal… et met un peu de poison dans la relation. Ainsi si l’on ajoute toutes les causes externes qui parasitent la communication, (fatigue, stress, télévision (!), enfants difficiles, engagements et occupations multiples, etc…) on comprend combien il importe que, dès les fiançailles, un réel effort soit fait pour apprendre à Écouter et à Parler… puisque toute communication suppose un bon émetteur et un bon récepteur. Écouter, c’est-à-dire accueillir la pensée et le ressenti de l’autre, accueillir en particulier ses sentiments négatifs… accepter en quelque sorte d’être pour lui un lieu de parole, sachant que tout sentiment négatif exprimé et accueilli quitte bien souvent la personne. Écouter c’est aussi percevoir les sentiments, les émotions, les attentes qui sont derrière les mots : entendre derrière le grief exprimé la souffrance qui l’accompagne, ou derrière telle phrase, l’amour qui ne sait pas se dire. Écouter, c’est surtout montrer à l’autre qu’on a compris ce qu’il vit, ce qu’il ressent. Ce qui suppose que l’on sait “entrer dans la peau” de l’autre… (en restant soi !). Ce qui suppose qu’on a acquis cette forme subtile de l’amour, l’empathie, qui va permettre à un mari de comprendre la condition féminine, à une femme de saisir de l’intérieur le vécu de son mari, sans dire trop vite : “les hommes ont de la chance : ils vont à la chasse et rentrent se mettre les pieds sous la table !” Écouter mais aussi Parler, devenir un bon émetteur qui sait dire et redire ces “Je t’aime” qui n’écorchent quand même pas la bouche ! Parler, c’est trouver ces paroles heureuses qui font tellement plaisir : “J’aime quand tu as le cœur au bord des lèvres”. Un peu d’imagination ! Que de fiancés deviennent poètes, qui cesseront de le rester quand ils sont mariés ! Parler, c’est aussi “nourrir” l’autre en lui livrant le meilleur de lui-même : ses aspirations, son idéal profond, les suggestions en lui de l’Esprit-Saint. Homme et femme, il les fit : Une différence qui cesse d’être un obstacle et devient richesse grâce à cette merveilleuse communication qu’on peut justement considérer comme un pont indispensable jeté sur le fossé des différences ou comme le disque dur du couple qui s’enrichit de points de vue différents mais tellement complémentaires. n
Frédérick Mansot ©
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Une richesse à faire fructifier Témoignage
Otto et Jutka Csomor
Nos différences sont
devenues sources de dynamisme elles se présentent. Je peux écouter les autres avec patience, compréhension, compassion, sans juger, sans critiquer. Je suis très intuitive, assez sereine. Le spirituel m’intéresse davantage que le matériel, j’en fais l’expérience en communauté. L’envers de la médaille, c’est que je n’ai pas toujours confiance en moi. Je suis timide, je n’ose pas forcément dire les choses. Mon péché ce sera plutôt une forme d’insouciance, de paresse.
w Otto : Lorsque les différences sont sources de conflit, Dans l’appartement qu’ils occupent au premier étage de la maison d’accueil à l’abbaye d’Hautecombe, Otto et Jutka Csomor savourent le temps de repos dominical avec leurs deux enfants, Barnabas, 14 ans, et Anna Maria, 11 ans et demi. Arrivés en France voici huit ans, ces deux Hongrois, membres de la Communauté du Chemin Neuf, sont au service de l’abbaye à plein temps.
FOi : Comment vivez-vous les différences homme-femme, dans votre couple ? w Otto : La difficulté la plus importante entre nous, ça a
été la confrontation de nos caractères très différents. Un livre intitulé “Les Neuf visages de l’âme”, de Richard Rohr, nous a beaucoup aidés à reconnaître ce problème. En le lisant, nous avons identifié très clairement nos caractères et compris quelles étaient les causes de ces difficultés.
w Jutka : Cette reconnaissance de nos différences a été très positive car elle nous a aidés petit à petit à les accepter. w Otto : Je me souviens de ma surprise quand j’ai lu la description du premier caractère. Je me suis dit : “c’est moi”. De fait, je suis précis, je veux tout faire parfaitement, j’attends des autres qu’ils soient parfaits, et je pose un regard critique sur tout, persuadé d’avoir raison. Mon péché fondamental, c’est la colère, contre tous ceux qui ne sont pas parfaits, et contre le système, que je voudrais idéal. w Jutka :
Pour ma part, je me suis reconnue dans le caractère numéro 9. Je suis effectivement le contraire d’une perfectionniste. Je prends les choses comme
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cela vient de notre difficulté à accepter l’autre tel qu’il est, à lui donner la liberté d’être lui-même. Cela exige un travail intérieur.
w Jutka : Auparavant, je ressentais qu’Otto ne me laissait pas libre et voulait me forcer à changer. Il avait une vision de l’épouse, à laquelle je ne correspondais pas. Cela a été source de conflits entre nous. Pour moi, juger l’autre, cela revient à le mettre dans une boîte. w Otto : Mais si je renonce à juger, pour accepter profondément l’autre comme il est avec son histoire, je peux commencer à l’aimer.
w Jutka : Quand nous sommes prêts à nous libérer des
pensées ou images forgées par nos propres caractères, nous pouvons entrer dans la vraie connaissance de l’autre. C’est un chemin sur lequel nous devons progresser sans cesse.
w Otto : Dans ce livre, nous avons aussi découvert que nos caractères étaient complémentaires, ce qui nous a aidés à progresser, individuellement et ensemble, dans la bonne direction. Je ne peux pas changer de caractère, mais je peux faire effort pour passer de la critique négative du pharisien à une critique positive, paisible. Je peux alors espérer porter du fruit. Car mon perfectionnisme, s’il n’est pas bon en lui-même, peut jouer un rôle important dans le plan de Dieu. Par ailleurs, j’ai pris conscience que ces différences qui me gênaient chez Jutka pouvaient m’aider à changer d’attitude. Par exemple, j’ai appris à prendre du temps, à être moins perfectionniste. w Jutka : De son côté, Otto m’aide aussi à être plus terre
à terre, plus pratique. Ce qui suscite en moi un meilleur équilibre pour notre famille. Par exemple, entre le matériel et le spirituel, la raison et l’intuition. Finalement, la différence, c’est un dynamisme. n
« Vous avez reçu gratuitement… » Mt 10,8
le Pour s femmes
Une fiche pour dialoguer À l’occasion d’un temps en couple, quelques questions pour tester vos relations et relire son histoire. Chacun prendra le temps de répondre personnellement à ces différentes questions avant d’en parler avec son conjoint. Vie de couple Partage : quand nous échangeons qu’est-ce que je
partage le plus volontiers : évènements concrets, pensées, émotions ressenties… ? Qu’est-ce que j’attends que tu me dises pour pouvoir nous retrouver quand nous avons été séparés ? Ai-je un “jardin secret” que je ne te partage pas ?
Sexualité : mon désir n’est pas le même que le tien ? De quelle tendresse ai-je besoin ? Qu’est-ce qui me donne de la joie ? La crainte de la possibilité d’un enfant est-elle présente ? La difficulté d’attendre un enfant change-t-elle mon comportement envers toi ?
Argent : est-ce que je me sens soupçonnée de trop
dépenser ? Ai-je l’impression que tu n’entres pas dans le concret des choses ? Ai-je un droit particulier sur l’argent que je gagne ?
Vie de famille Naissance des enfants :
je n’en finis pas de les mettre au monde. Comment gérer avec toi mon angoisse de mère pour l’accouchement jusqu’au bout de nos enfants ? Quand, pour moi, j’ai le sentiment que tel de nos enfants est entrain de se perdre, et que ce souci tourne à l’obsession, où es-tu pour que je sois sûre que tu prennes cela en compte ? Comment est-ce que je me sers de ta capacité de prendre de la distance ?
Éducation : comment est-ce que je te partage
mon souci de la place de chacun ? Les chagrins ou les difficultés que je ressens pour l’un ou l’autre ? Ai-je mon idée sur ta place de père ?
Vie sociale Travail :
est-ce que je travaille pour mon équilibre ? Parce que tu y tiens ? Suis-je écartelée quand je regarde nos enfants et les passages dans lesquels ils se débattent ?
Vie sociale :
comment est-ce que je vis ta prise de parole en public (en général ou sur certains sujets) ? Quand tu parles avec d’autres est-ce que tu me rends justice des idées ou des initiatives qui sont les miennes ? Est-ce que quand tu te lances dans certaines discussions je cesse d’écouter ?
« Vous avez reçu gratuitement… » Mt 10,8
le Pour s hommes
Une fiche pour dialoguer À l’occasion d’un temps en couple, quelques questions pour tester vos relations et relire son histoire. Chacun prendra le temps de répondre personnellement à ces différentes questions avant d’en parler avec son conjoint. Vie de couple Partage : quand nous échangeons qu’est-ce que je
partage le plus volontiers (évènements concrets, pensées, émotions ressenties…) ? Qu’est-ce que j’attends que tu me dises pour pouvoir nous retrouver quand nous avons été séparés ?
Sexualité : quel est mon désir ? Qu’est-ce qui me donne de la joie ? Et l’enfant ?
Argent : comment est-ce que je vis le fait que ce
soit surtout toi qui gères les dépenses ? Comment est-ce que j’accueille la façon dont tu aménages la maison, dont tu réponds aux sollicitations des enfants ?
Vie de famille Attente et naissance de nos enfants : comment ai-je vécu l’attente de nos
enfants ? Le fait de te sentir prise dans cette relation avec ton enfant et moins disponible pour moi ? Me suis-je senti écarté ou accueilli ?
Éducation des enfants :
comment est-ce que je vis ma place dans l’éducation de nos enfants ? Devant l’intimité ou la complicité que tu as avec eux ou certains d’entre eux ? Ai-je l’impression que c’est à moi de poser la loi dans la famille et que toi tu l’assouplis ou la conteste ? Ou ai-je l’impression que tu attends de moi que je sois celui qui gronde et t’aide à te faire respecter ? Quelle place est-ce que je prends dans l’éducation religieuse, le travail scolaire, les sports ou les loisirs de nos enfants ?
Vie sociale Travail :
quelle est la place de mon travail dans mon identité ?
Vie sociale :
comment est-ce que je vis ta prise de parole en public (en général ou sur certains sujets) ? La révélation en présence de tiers d’idées, projets de toi que je ne connaissais pas parce que je n’y avais pas prêté attention ou intérêt ? Comment est-ce que je vis ton succès ou l’admiration pour toi ?
Amour, mariage et sexualité Le père Jean Chryssavgis, marié et père de famille, professeur de patristique à l’Institut de Théologie Orthodoxe de la Sainte-Croix à Boston revient sur le sens du mariage dans une perspective chrétienne et tente de saisir le mystère de la rencontre de l’homme et de la femme, et de leur épanouissement, à la fois psychologique, physique et spirituel à travers le sacrement de mariage.
L’amour, le mariage et la sexualité nous concernent tous, car
l’amour est la vocation de chacun d’entre nous. En tant que chrétiens, nous croyons que c’est par amour que la création tout entière a été faite. La source et la fin de toute chose est l’amour, car la source et la fin de toute chose est Dieu, et que Dieu est amour (1 Jn 4, 8.16). (…) Dire à quelqu’un : “je t’aime”, c’est faire une déclaration métaphysique ; c’est comme dire : “tu ne mourras jamais !” Conscient de cette intensité de l’amour, les Pères de l’église ne craignent pas de le comparer à l’éros ou à la passion. Denys l’Aréopagite décrit Dieu comme “un maniaque de l’amour”, ardent protecteur de sa création. L’amour est si puissant, qu’une seule expression vraie de cet amour révèle une ouverture qui transfigure le monde entier. Regarder dans les yeux une autre personne avec amour, c’est voir l’âme du monde entier, c’est voir l’image même de Dieu. Un tel amour est un don de Dieu. Mais il demande également qu’on le cultive et qu’on y travaille dur. L’amour a besoin de temps et de finesse, de responsabilité et de respect. C’est un acte qui implique que l’on croît soi-même pour combler l’autre, sans cesse. Au soir de la vie, nous serons jugés uniquement sur le critère de l’amour. Cet amour est plus que de simples sentiments. C’est une décision et un engagement. Si vous voulez aimer, vous devez créer cet amour et non pas attendre que votre époux ou votre épouse vous l’apporte. Dans l’amour et le mariage, Dieu nous présente une merveilleuse occasion de renaître, d’atteindre la maturité. “C’est en effet un grand mystère.” (Ep 5, 32)
Les auteurs chrétiens ont, dès les origines, été mal à l’aise vis-à-vis
de l’amour physique ou sexuel. L’amour physique est un peu considéré comme une forme dégradée de l’amour. (…) Pourtant saint Paul avait clairement dit qu’en devenant une seule chair, l’homme et la femme symbolisaient l’union du Christ et de l’Église. En tout cas, le Christ n’a jamais assimilé le péché au corps, mais aux actes que l’on commet dans son cœur. Pour les chrétiens, “la chair est la charnière du salut” (Tertullien). Aussi, quel dommage que le christianisme – en tant que religion du corps et de la chair, religion de l’incarnation – ait ainsi marqué le corps humain d’une cicatrice permanente ! Ce dont il est ici question, ce n’est pas d’arriver à un consensus avec le corps ou la sexualité, mais de reconnaître leur lien crucial avec les aspects les plus profonds de la nature humaine. La sexualité n’est pas accidentelle ; elle est véritablement essentielle à notre réalité. L’amour sexuel et physique appartiennent au mystère de notre être. Cela ne veut pas dire que sexualité et spiritualité soient la même chose. Mais il y a cependant une correspondance intime entre les deux. Le déni de l’un a son reflet dans la dégradation de l’autre. Sans sexualité il n’y a pas de beauté ; sans beauté, il n’y a pas d’âme ; et sans âme, il n’y a pas de Dieu. “Homme et femme [Dieu nous] a créés” (Gn 1, 26). C’est ce qui nous est dit immédiatement après la création d’Adam et Ève à l’image et à la ressemblance de Dieu. Pour les Pères orientaux, sans Ève, Adam est incomplet. “La femme est faite en pleine communion avec l’homme : partageant chacun de ses plaisirs, de ses joies, chaque bonne chose, chaque chagrin, chaque douleur” (Saint Basile le grand), “partageant avec lui la grâce divine elle-même” (Clément d’Alexandrie). Écrivant
exactement à la même époque que saint Augustin d’Hippone, saint Jean Chrysostome revendique que “l’amour sexuel n’est pas humain ; il est d’origine divine”.
Certes, il est difficile pour quelqu’un de prendre conscience
de la sexualité de son corps sans prendre conscience de la sexualité des corps des autres. Et ainsi, dans l’union du mariage, l’homme et la femme s’offrent l’un à l’autre à l’image de Dieu dans l’autre personne. Cela n’est pas sans lien avec la rencontre qui se produit dans le cas de l’icône. L’iconographie implique un art. Le mariage de la même façon implique un art. L’amour n’est pas simplement un acte ; il est art. Le but de cet art de l’amour – comme dans l’iconographie – est de se transfigurer l’un l’autre, de se voir l’un l’autre comme la manifestation du divin Bienaimé. S’il y a place pour les icônes dans l’Église, il y a place également pour le mariage et l’amour sexuel. Le corps et l’amour sexuel sont semblables à une icône qui ouvre à la beauté divine et à l’amour divin : “bénie est la personne qui est arrivée à un amour et à un désir de Dieu semblables à ceux d’un amant fou pour la bien-aimée, générant le feu par le feu, l’éros par l’éros, la passion par la passion, le désir par le désir” (saint Jean Climaque). Voir l’autre comme icône, c’est voir le monde par les yeux de Dieu. C’est abolir la distance entre ce monde et le monde à venir ; c’est parler, sur cette terre et à cette époqueci, le langage du ciel et du temps à venir ; c’est révéler la dimension sacramentelle de l’amour. Selon une parole apocryphe de Jésus : “le Royaume des cieux est rendu manifeste quand deux personnes s’aiment.” L’icône nous apprend un autre mode de communication, au-delà du mot écrit ou parlé. On nous apprend non pas à regarder les icônes, mais à regarder à travers elles. De même, nous sommes appelés à pénétrer la surface de la personne que nous aimons, et à révéler la profondeur sacrée qu’elle recèle. En fait, le thème de la procréation est directement lié à cette notion d’icône. À moins que l’amour conjugal n’ouvre le couple au-delà de lui-même, à moins que la relation des deux dans le mariage ne reflète la relation de la Trinité, à moins que l’amour du couple ne s’élargisse d’une façon ou d’une autre, l’amour conjugal, de l’icône qu’il est appelé à être, se réduit à une simple idole. Le couple qui s’aime est en tout temps appelé à avancer au-delà du reflet mutuel de l’un dans l’autre ; un miroir n’est pas une icône, mais le reflet de soi-même. Le couple est appelé à devenir une icône de l’Église, une “Église miniature”. Les dimensions de l’Église révèlent les dimensions du couple marié. De même que “nous croyons en l’Église une, sainte, catholique et apostolique”, le couple lui aussi devrait refléter cette même unité, sainteté, plénitude et apostolicité. Cela est important, car l’Église refuse les représentations idéalisées ou romantiques de la vie mariée et de la famille. Ainsi, le couple doit “avoir une progéniture” ; l’amour doit “porter des fruits”. Le paradoxe est là : le couple doit avoir des enfants, même s’il en peut avoir d’enfants.
Certains Pères de l’Église ont interprété les épîtres de saint Paul comme l’affirmation implicite de la supériorité du monachisme sur le mariage (1 Co 7, 8-9). Cependant, si l’on accorde les honneurs à la virginité, il ne s’ensuit pas que le mariage est déshonoré (saint Grégoire le Théologien). Saint Macaire d’Égypte s’exclame : “en vérité, il n’y a ni vierge, ni personne mariée, ni moine, ni laïc ; mais Dieu donne son Saint-Esprit à tous, selon les intentions de chacun”. (…) La pureté intérieure est toujours possible, indépendamment des circonstances extérieures. Saint Siméon le Nouveau Théologien est inflexible sur ce point : “beaucoup considèrent la
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Une richesse à faire fructifier Approfondir
voie monastique comme la plus bénie. En ce qui me concerne, cependant, je ne voudrais placer aucune voie plus haut que les autres, ni louer l’une en dépréciant l’autre. Mais en chaque situation, c’est la vie vécue pour Dieu et selon Dieu qui est entièrement bénie”. Comme nous l’avons vu, dans une relation d’amour, l’autre personne devient le centre d’attraction. Le but est toujours un mouvement vers l’extérieur et au-delà de soimême. La perspective est toujours le Royaume des cieux. Les moines et les moniales ont traditionnellement compris cette vérité au même degré que les couples mariés. Ainsi les pères ascètes nous apprennent que l’amour n’est jamais satisfait ; il est seulement accompli. L’amour n’est pas un acte de satisfaction, mais de don total. L’amour sexuel est pour la gloire de Dieu, non pour la satisfaction égoïste de l’homme. L’amour véritable ne peut avoir d’accomplissement ultime sans la chasteté. Dans l’échelle du Paradis, saint Jean Climaque place la pureté (degré 29) immédiatement avant l’amour (degré 30). Le monachisme n’est donc pas abstention de l’amour sexuel. Il est une autre manifestation de cet amour. Le monachisme ne peut jamais être une extinction ou une diminution de la réponse humaine la plus vitale à la vie. Il y a un élément d’ascétisme dans le mariage, une épuration de l’amour, exactement comme il y a une dimension d’amour dans le monarchisme, une passion pour Dieu. Dans la tradition monastique, les passions sont traitées différemment ; elles sont dépassées par des passions plus grandes. Une seule expérience forte d’amour passionné nous fera avancer beaucoup plus loin dans la vie spirituelle que le combat ascétique le plus ardu. Une seule flamme de pur amour suffit pour allumer un feu cosmique et transformer le monde entier. L’amour n’est pas un problème physique ou matériel. Il n’est pas en premier lieu une affaire sexuelle. Il ne devrait pas être craint comme un tabou, mais reçu comme un mystère sacré ; il ne devrait jamais être dissimulé comme un secret, mais révélé comme un sacrement. Le monachisme comme le mariage, est un sacrement d’amour. Le monachisme, comme le mariage, est un sacrement du Royaume. La vraie dimension des deux est eschatologique. Ainsi l’amour est plus grand que la prière même, il est, en effet, prière. Car l’amour est ce qui définit la nature humaine. Les moines comme les couples mariés doivent les uns comme les autres continuellement lutter pour être ce qu’ils sont appelés à être – rester dans l’enchantement de la flamme vivante de l’amour divin. Comme nous l’avons dit précédemment, l’amour est un don d’en haut ainsi que quelque chose vers quoi on doit tendre ; c’est un point de départ ainsi qu’un aboutissement ; L’alpha et l’oméga de la vie sont la première et la dernière lettre du mot grec signifiant j’aime (agapaô). Cela est vrai pour un moine ou une moniale, comme pour un époux ou une épouse.
Tout sacrement est une transcendance de la division et de l’aliénation. Dans le cas du mariage, chaque personne, chacun
des conjoints est appelé à devenir conscient de la présence divine dans l’autre. Tous deux, mari et femme, doivent percer le rideau de la distance et d mensonge. Quand cela se produit, l’union conjugale est plus forte que la mort, ne pouvant “être rompue par personne”. Dans cette relation, le masculin n’et jamais exclusivement le pôle actif, et le féminin n’est jamais exclusivement le pôle passif. Le fondement de toute relation sacramentelle est que l’homme et la femme sont complémentaires : il y a une mutualité de don et de réception, une rencontre de réciprocité. Aucun des deux ne doit considérer l’autre comme un moyen visant une fin, quelque exaltée ou spirituelle qu’elle puisse être ; Aucun des deux ne doit utiliser cette relation pour quelque but que ce soit où l’autre ne serait pas pleinement et personnellement impliqué comme partenaire et participant actif et coopérant.
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Cela signifie que les partenaires ne devraient pas chercher l’accomplissement par l’autre de leur propre existence, ou une dépendance l’un de l’autre. Je ne peux pas tenir mon époux ou épouse pour responsable de mon vide personnel. À tout moment, j’ai besoin de découvrir la complétude de mon vide en Dieu : c’est Dieu qui me fait savoir que je suis aimée ; c’est Dieu qui me donne le pouvoir d’aimer l’autre. Ici, à nouveau, nous rencontrons le “caractère monastique” de la relation conjugale. Le mariage n’est pas une solution magique aux problèmes de l’existence. Comment pourrait-il y avoir un mariage qui soit à la hauteur de telles attentes ? Est-il étonnant que des mariages échouent, quand on nous dit aujourd’hui que notre partenaire est notre “seconde moitié”, quand nous sommes moins que des personnes entières dans le sacrement ? L’amour personnel implique une pleine dignité et une pleine identité, sans diminution aucune de l’autre personne. L’intégralité présuppose sincérité, et non amabilité. L’amour est un acte de foi aussi bien qu’un acte de fidélité. Mentir, rompre, dire un peu moins que la vérité, est toujours une tentation. (…)
Pour devenir une union sacramentelle complète, l’amour
entre un homme et une femme doit embrasser tous les aspects de leur vie – chaque niveau et chaque potentialité de leur être. Cela inclut l’aspect physique, spirituel, émotionnel, intellectuel de la nature humaine. S’il n’en est pas ainsi, la relation reste inconsommée et inachevée, ni sacrée, ni sacramentelle ; elle devient aussi bien handicapante que frustrante. Cela nous fait mieux comprendre combien il y a peu de mariages – même parmi ceux qui ont été bénis par l’Église – qui soient en fait sacramentels. Cela indique aussi la liaison entre le mariage et la déification, vers laquelle nous sommes tous appelés à évoluer. Ce serait là ma définition de la “sexualité” : vrai achèvement et consommation à tous les niveaux – accomplissement aussi rare que la théosis elle-même, bien qu’aussi noble en tant que tâche et vocation. Si l’un des partenaires se développe (sur un plan ou un autre) au-delà de l’autre ou sur un autre rythme, ce niveau non consommé ou qui n’a pas trouvé de réponse chez l’autre, cette partie restée sans complémentarité, non réalisée, aura toujours tendance à chercher à s’exprimer sous une autre forme ; elle sera incapable de fonctionner normalement et pleinement à l’intérieur du mariage ; Si l’intégrité et la totalité sont les conditions cruciales d’une relation sacramentelle, il en va finalement de même pour la continuité et l’engagement. La capacité de se transformer l’un l’autre demande que l’on s’y consacre, avec patience, jusqu’à ce que les angles aigus des rocs durcis de la relation soient adoucis, jusqu’à ce qu’un champ magnétique soit construit à tous les niveaux ; Alors chaque niveau, l’un après l’autre, se déploie et agit l’un sur l’autre, et libère des potentialités qui ne sont rien moins que divines. Dans ce contexte, la fidélité dans la relation est un reflet de la propre nature de Dieu, longanime et plein de miséricorde.
En dernière analyse, ni le mari ni la femme ne s’approprie ce que l’autre offre. Au contraire, chacun l’offre en retour – en
même temps que son propre être – à la source de toute vie, à Dieu, que chacun de nous vient contempler, et rencontrer, et aimer dans l’autre, exactement comme nous le faisons dans la liturgie eucharistique. L’homme et la femme deviennent le pain et le vin de l’eucharistie. Alors l’amour sacramentel devient bénédiction, conférée par le Créateur à deux créatures qui ont parcouru le même cours de la vie à travers les obstacles ou joies auxquels il a pu les amener. Et c’est ainsi qu’ils entreront, transfigurés, dans le Royaume de Dieu. Extraits d’un article paru dans son intégralité dans la revue SOP n° 275, février 2003
Une richesse à faire fructifier Reportage
Colloque des Orphelins d’Auteuil
La mixité, quand
on en parle En avril 2005, des spécialistes de l’éducation ont échangé points de vues et expériences sur la mise en œuvre de la mixité en milieu socio-éducatif. Leur débat ouvre un champ de réflexion peu exploré. “Garçons et filles en difficulté, quelle mixité ?”, était le thème d’un colloque organisé les 6 et 7 avril derniers par la Fondation des Orphelins d’Auteuil sur le campus de H.E.C. à Jouy en Josas, près de Paris. Question posée dans un contexte pédagogique spécialisé, mais qui a
permis aux 300 personnes rassemblées, issues pour beaucoup de milieux éducatifs, de réfléchir en profondeur sur l’art et la manière de gérer la mixité dans les établissements, dans l’intérêt même des jeunes concernés, tant en vue de leur épanouissement personnel que de leur formation humaine ou relationnelle au sens le plus large. La question de la mixité n’est pas étrangère à la Fondation d’Auteuil. Même si elle n’accueille que 16 % de filles sur 4 000 jeunes de 0 à 20 ans répartis dans une centaine de centres, elle est sollicitée depuis quelques années par les collectivités locales pour ouvrir des établissements mixtes, comme dans la Somme en 2001. Et le lancement d’un vaste chantier de réflexion sur la mixité, dont le colloque d’avril dernier, ouvert largement aux observateurs et intervenants extérieurs, fut le point d’orgue, a pour objet d’anticiper sur une évolution
Jeunes ayant participé au tournage du court-métrage sur la mixité
Le chœur gospel de la Fondation d’Auteuil
d’ores et déjà prévisible. L’innovation tient au principe même d’une réflexion sur ce problème car l’on a glissé, en France, dans la mixité scolaire sans y avoir vraiment pensé, essentiellement pour des raisons économiques, avant que des arguments idéologiques ne viennent s’en mêler. “Mais dans le cas des Orphelins d’Auteuil, explique Denis Poinas, l’un des responsables de ce chantier Mixité, une réflexion préalable s’imposait car les jeunes que nous accueillons sont pour 80 % d’entre eux issus de familles désunies. Beaucoup sont en grande souffrance et ont été témoins ou victimes de violences au sein de leur propre famille. De ce fait, ils risquent de développer une problématique particulière dans la relation garçons-filles et il était de notre responsabilité d’étudier les modalités les plus adéquates de sa mise en œuvre.”
La mixité est généralement reconnue comme une valeur Premier des nombreux enseignements de ce colloque, la mixité est généralement reconnue comme une valeur. Pour Marie-Pierre Pierrelée, ancienne directrice d’établissement secondaire dans la banlieue parisienne, c’est même une “conquête” des femmes qui ont dû attendre 1924 pour être autorisées à se présenter au baccalauréat. Renforcée dans son point de vue par le fait que les filles réussissent globalement mieux que les garçons, et ce du primaire jusqu’aux études supérieures, elle appelle de ses vœux une véritable “égalité de traitement garçons-filles”, estimant que ces dernières sont souvent “déconsidérées à l’école”. Un point de vue auxquels souscrivent peu de pédagogues, pour qui, assimiler mixité à égalité serait par trop réducteur. Xavier Pommereau, psychiatre à Bordeaux, souligne d’ailleurs que les notions de mixité, parité, égalité renvoient à la citoyenneté mais pas à
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l’humanité des personnes qui, elle, “est faite de différences et de complémentarité dans la différence”. Selon lui, le vrai sens de la mixité, “c’est de se compléter dans le partage et dans l’échange”, et il considère toute autre forme de mixité “comme de la garderie, de la ghettoïsation”. C’est précisément cette richesse de l’échange et de la complémentarité qui retient l’attention de tous les éducateurs. “Nous sommes une différence appelée à nous enrichir de la différence de l’autre”, plaide avec enthousiasme Serge Vadelorge, directeur de l’Association Saint-Paul, tandis que Boris Cyrulnik, célèbre neuropsychiatre et auteur de nombreux ouvrages à succès, reconnaît la mixité comme pouvant être éminemment positive, car permettant de s’ouvrir à la différence “qui invite le sujet à une prise de conscience”. Toutefois, il considère “simpliste de dire que la mixité c’est l’avenir”, en se référant à l“expérience des kibboutz en Israël qui “a montré que les femmes y étaient globalement malheureuses”. Les enquêtes déjà réalisées sur des expériences de mixité dans des établissements de la Fondation d’Auteuil font état de remontées plutôt positives. Selon certains enseignants, les garçons semblent “se bonifier”, être “moins gamins” au contact des filles dont la présence “calme” la classe. L’envers de la médaille, c’est que des filles, hors des classes, peuvent être chahutées, insultées ou agressées. “Le problème de la sexualité est sousjacent, fait observer un responsable d’établissement, tout dépend comment la jeune fille est habillée”. Mais au bout du compte, la mixité apparaît comme “une source d’équilibre et d’ouverture”, avec en prime l’irruption de la “tendresse”, source de “réenchantement”. Au bout du compte, la consultation générale des établissements fait ressortir une adhésion globale à ce projet de mixité qualifié de “beau”, car il constitue “une opportunité pour préparer le jeune à son intégration
Les jeunes aussi sont pour. L’organisation de forums leur a permis d’exprimer leurs attentes et leurs difficultés, aussi bien à l’école que dans la vie commune à l’internat. Ils ont pu dire leurs peurs : celle de la relation, de la jalousie, de la grossesse, de l’isolement, de l’attachement, entre autres. Et ont pu travailler à la conception d’un internat idéal qui permette aux garçons et aux filles, à la fois de rester proches les uns des autres, tout en prévoyant des lieux non-mixtes : couchage, salons, terrains de jeux. La valeur numéro qui a recueilli leurs suffrages, “le respect de l’autre”. Un court-métrage recueillant des témoignages de ces jeunes a été projeté lors du colloque. Un jeune y confie avec beaucoup de fraîcheur : “c’est important de rencontrer des filles. La mixité ça permet d’avoir des sentiments”. Des filles osent avouer le désir de bonheur qu’elles portent pour leur avenir : “un père, une mère, des enfants, qui s’aiment”, “donner l’amour qu’on a à ses enfants”. Même si certaines d’entre elles se défendent de trop y croire.
Les garçons sont plus souvent en échec scolaire que les filles La mise en œuvre de cette mixité, pourtant, va-t-elle de soi ? Les auteurs du rapport d’étape de ce chantier se le demandent et ils formulent plusieurs recommandations essentielles : il faut absolument former les adultes à la mixité, organiser cette mixité dans le temps (en délimitant les plages horaires où les garçons et filles sont ensemble ou séparés), l’organiser aussi dans l’espace (locaux spécifiques mixtes ou non mixtes), équilibrer les équipes éducatives dans la composition hommes-femmes, penser et organiser de façon progressive l’ouverture d’un établissement à la mixité. Enfin, dernier point particulièrement délicat, prendre en compte le problème des violences verbales et physiques entre garçons et filles. De fait, la réalité de la mixité vécue au quotidien dans les établissements scolaires ou spécialisés n’est pas toujours conforme à la vision angélique que l’on aimerait en avoir, notamment en ce qui concerne les garçons à l’adolescence, préoccupés d’affirmer leur virilité naissante et de répondre aux jeux de séductions des filles. Les statistiques officielles démontrent qu’à cette étape de leur vie, et surtout dans les milieux les plus défavorisés, les garçons sont plus souvent en échec scolaire que les filles. Par ailleurs, François Sottet, substitut au parquet de Paris, confirme l’“accroissement d’actes de violence à caractères sexuels graves dans des établissements éducatifs”, pouvant s’expliquer par “la faiblesse structurelle ou conjoncturelle des établissements concernés”. Un signal d’alarme qui n’étonne guère nombre d’éducateurs, habitués à gérer conflits et violences chez les jeunes accueillis dans les externats et internats dont ils ont la responsabilité. C’est tout le problème des conditions de mise en œuvre de la mixité pour certaines
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dans la société par l’éducation à la différence”, en l’initiant “au respect de l’autre, de sa culture, de sa religion, de son histoire personnelle, de son identité sexuelle, de son intimité”. Respect non seulement des jeunes entre eux, mais aussi des jeunes à l’égard des adultes et inversement.
Avant d’être une fin, la mixité est un moyen, un levier mis au service des jeunes pour leur permettre d’entrer en relation.
catégories de jeunes ayant des comportements à risque qui est posé.
Pour Jean-Yves Prémont, l’un des responsables du Centre Jeunesse de Montréal au Québec, certains jeunes souffrant de lourdes carences au plan affectif, et dont la sexualité est exacerbée du fait de leurs problèmes, sont susceptibles d’avoir des comportements pathologiques, voire même obsessionnels. Si l’on veut éviter “d’aller au problème” avec eux, insiste-t-il, l’expérience de mixité doit être “très cadrée” : respect de certains ratios filles-garçons, espaces spécifiques, et surveillance exercée par les éducateurs. Le Professeur Jean-Yves Hayez, professeur de pédopsychiatrie à l’Université de Louvain en Belgique abonde dans le même sens quand il évoque la sexualité pathologique de certains jeunes patients même depuis l’enfance, ce qui traduit selon lui un déficit d’amour profond. D’où l’insistance, chez lui aussi, d’un cadre, car se pose pour eux la question de la “non-maîtrise de soi dans la sexualité” pouvant donner lieu à des abus et violences. Ce bémol mis par ces experts à une mixité sans nuage, ne permet-il pas de mieux accepter qu’elle soit un moyen avant d’être une fin. “Un levier mis au service des jeunes, pour leur permettre d’entrer en relation”, suivant la formule de Jean-Yves Prémont, ou “une occasion de transformation”, selon le Professeur Hayez.
La mixité et la loi sont indissociables À l’inverse, la non-mixité peut être bénéfique dans certaines conditions particulières, comme à Montereau (Seine-et-Marne), par exemple, où un local de jour s’est ouvert qui accueille des jeunes femmes et jeunes filles sans papier ni vie sociale. Ici, la non-mixité a été délibérément choisie pour aider ces personnes à vivre des moments de convivialité, “à réussir à dire ‘je’ et à penser à elles”. Dans ce cas, la non-mixité est utilisée comme un sas de protection et de reconstruction identitaire. Nombre d’éducateurs ont conscience des règles à poser avec des jeunes qui vivent la mixité au quotidien dans des internats parfois très voisins. Ils évoquent la violence des jeunes qui doit être “travaillée”, les relations amoureuses qui doivent être “parlées”, afin d’aider à une prise de recul. Pour Serge Vadelorge, directeur de l’Association SaintPaul, “aimer son enfant, c’est lui donner la loi”. Le horsla-loi étant celui qui n’a pas reçu ce don, cet héritage de la loi servant à garantir la vie de l’autre et la mienne. “La mixité et la loi sont indissociables, affirme-t-il, car mixité implique différence, complémentarité, ce qui exige le respect de la personne et justifie l’interdit primordial : ne jamais toucher au corps de l’autre sans son autorisation, sa demande, son désir.” Un interdit w Hors-série N°3 w FOI w
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Jean-Marie Petitclerc, prêtre et éducateur
Les relations sexuelles précoces
peuvent être dévastatrices
Ce qui est difficile à l’âge de l’adolescence, dans la mixité, c’est que le rapport du garçon à la sexualité et le rapport de la fille à la sexualité ne sont pas du tout les mêmes. Je rencontre énormément de jeunes garçons qui ont des relations sexuelles, non pas parce qu’ils pensent que le moment est venu d’incarner dans le registre de la sexualité l’intensité de leurs sentiments amoureux, mais pour quitter, dans le groupe, le statut de celui qui n’est jamais sorti avec une fille. “Dix-huit ans, t’es pas encore sorti avec une fille ? Oh, tu vas avoir des problèmes, la moyenne, c’est 17 ans et deux mois. Oh, tu dois fréquenter les curés ! Fais quelque chose !” Et nous sentons bien qu’une préoccupation forte du garçon est de se rassurer sur sa virilité, et d’être capable de la prouver à ses copains. D’ailleurs, quand j’entends les jeunes du Valdecco parler des relations sexuelles qu’ils nouent avec les filles de la cité, beaucoup me disent : “de toute façon, ce n’est pas avec cette fille-là que j’établirai un projet”. Par contre, la fille fonctionne beaucoup plus dans le registre du prince charmant. “Il m’aime, c’est extraordinaire, il m’a choisie, moi”. Et plus il va y avoir un décalage, parfois, avec la culture de l’autre, plus l’effet prince charmant sera important : “ça va bouleverser ma vie, être fort, ça va mettre du piment”. Effectivement, combien de relations sexuelles précoces comme celles-ci ! Je crois que si l’église est si prudente sur cette thématique des relations sexuelles précoces, c’est que finalement, si l’enjeu, pour le garçon est de se préoccuper de sa virilité, du “comment ça fonctionne”, pour la fille, l’enjeu est complètement romantique : “le grand amour est arrivé dans ma maison”. Et beaucoup de ces relations peuvent être décevantes et parfois même dévastatrices pour certains et certaines de nos adolescents.
“structurant”, pour peu que les règles de vie commune soient dites, expliquées. Ce qui n’est pas toujours le cas dans les familles et les institutions où l’interdit n’a pas bonne presse. Jean-Marie Petitclerc, prêtre salésien, éducateur, auteur connu d’ouvrages consacrés à la violence des jeunes, a une approche voisine quand il explique que la finalité de l’interdit, c’est de “permettre la relation”. Mais il essaie aussi de valoriser l’attitude de respect plus positive - qui allie un certain intérêt à une prise de juste distance. À ne pas confondre pourtant avec la tolérance de ce qui n’est pas à tolérer. “Sinon, on tombe dans l’indifférence”. Un cadre, des limites, des interdits, ces contraintes posées ou imposées ne doivent pas faire oublier la richesse de l’enjeu pour les jeunes, à savoir la découverte de l’altérité, de la complémentarité. C’est peut-être parce qu’elle est à la fois recherchée et redoutée que cette différence, cette altérité, suscite l’angoisse en même temps que le désir. Angoisse de la rencontre avec l’autre et surtout l’autre sexe. Ceci valant autant pour les jeunes que pour les adultes, qui se retrouvent eux aussi “confrontés à leur propre adolescence, à leur propre sexualité, à leurs difficultés dans leurs propres relations intimes”, comme le suggère finement le sociologue Saül Karsz. Tandis que Jean-Marie Petitclerc met en évidence la propension des adultes à rester dans le registre de l’interdit : “je t’interdis parce qu’on m’a interdit”, ou l’inverse “je te permets parce qu’on m’a interdit et que j’en ai souffert”. Dans le petit court-métrage évoqué plus haut, les jeunes de la Fondation ironisent d’ailleurs sur le discours des éducateurs : “Les préservatifs, vous ne parlez que
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de ça, on pourrait aussi parler d’amour” ou bien “faites-nous confiance, croyez en nous, nous en avons besoin”. En tout cas, cette parole des adultes, trop souvent réductrice, maladroite, absente, pour dire la réalité des émotions, des sentiments, peurs ou difficultés dans les relations garçons – filles, ou même pour dire les règles, n’est pas définitivement récusée, si l’on en croit cette jeune fille qui, à la fin de la projection du film lance “mais nous avons des questions à vous poser”. Ce qui laisse penser que ces jeunes ont d’avantage besoin d’écoute, de dialogue de la part des adultes que d’injonctions.
La question de la formation des éducateurs Où l’on touche du doigt toute la question de la formation, de l’accompagnement et de l’encadrement des éducateurs dont certains avouent ne pas être préparés à ce travail de la parole. Fort heureusement, de réelles compétences sont déjà déployées au sein de la Fondation. Nous en avons eu la démonstration avec Dominique Wyttynck, animatrice à Marcel Callo, établissement situé dans l’Oise, qui nous a présenté sa pédagogie d’Éducation à la vie et à l’amour (E.V.A.), parcours de 20 séances d’une heure basé sur l’écoute, le dialogue et la connaissance de son corps, à l’intérieur de groupes de jeunes non mixtes, ce qui permet de court-circuiter les inévitables jeux de séduction ou de conquête entre filles et garçons à cet âge, et “d’aller plus loin”. Objectif, leur apprendre à se connaître en tant que corps sexué, et à connaître l’autre. Mais aussi à poser sur l’amour un regard d’émerveillement. À se découvrir aimable et capable d’aimer. Aider les jeunes à se projeter dans l’avenir en les initiant au choix : “que vas-tu devenir ce week-end en allant en boîte avec X ?”. Un questionnement non moralisateur qui ouvre à la conscience, à la responsabilité, à la liberté. Une expérience emblématique et exemplaire illustrant bien l’exigence portée par la Fondation pour vivre cette mutation vers une mixité réfléchie et conséquente. Cette ambition déclarée de formation humaine et spirituelle, de la part de la Fondation d’Auteuil, a fait dire en conclusion à Mijo Beccaria, “grand témoin” de ces journées, que ce chantier de la Mixité, en prenant en compte “toute la dimension affective et sexuelle de la personne”, répondait bien à la “véritable nécessité éthique de l’éducation”. François Content, directeur général de la Fondation a perçu quant à lui “un immense appel” à la formation des jeunes mais aussi des éducateurs. Appel immense qui est à la mesure de l’attente des jeunes, des parents et des éducateurs. n
P
Par l’effet de la rédemption, tout homme a comme de nouveau reçu de Dieu son propre corps et sa propre personnalité. Le Christ a imprimé dans le corps humain dans le corps de chaque homme et de chaque femme - une dignité nouvelle, considérant qu’en lui-même, le corps a été admis, en même temps que l’âme, à l’union avec la personne du Fils-Verbe. Grâce à la rédemption du corps, naît en même temps que cette dignité une obligation nouvelle dont Paul parle de manière concise mais d’autant plus frappante : “Vous avez été achetés à prix élevé” (1 Co 6,20). Le fruit de la rédemption est en effet l’Esprit-Saint qui habite dans l’homme et dans son corps comme un temple. (…) Le fait que le corps humain devienne en Jésus-Christ, corps de Dieu-homme provoque ipso facto en chaque homme une nouvelle élévation surnaturelle dont tout chrétien doit tenir compte dans son attitude à l’égard de son “propre” corps et, évidemment, à l’égard du corps d’autrui : l’homme à l’égard de la femme, la femme à l’égard de l’homme. La rédemption du corps comporte l’institution dans le Christ et par le Christ d’une nouvelle mesure de la sainteté du corps.
Jean Paul II, Le corps, le cœur et l’esprit
Une richesse à faire fructifier Approfondir
Une femme
Docteur de l’Église ! Monseigneur Guy Gaucher revient sur les enjeux théologiques et ecclésiaux de la proclamation de Sainte Thérèse de Lisieux Docteur de l’Église. Lorsque le 19 octobre 1997, le Pape Jean-Paul II a proclamé sainte Thérèse de Lisieux docteur de l’Église, le journal La Croix a titré : “Un titre honorifique pour la sainte de Lisieux.” Jamais le titre de docteur de l’Église catholique, depuis 2000 ans, n’a été conféré pour honorer quelqu’un. C’est tellement rare : il n’y a que trente-trois docteurs de l’Église et depuis 1970, seulement trois femmes. Jean-Paul II qui béatifie et canonise abondamment (environ 1800 personnes) n’a proclamé qu’un seul docteur : une jeune fille morte à 24 ans, la plus jeune docteur de l’Église, proclamée seulement 100 ans après sa mort (ce qui est très rare). Cet événement, capital dans l’Histoire de notre Église, n’a guère été compris, ne l’est toujours pas. Il faudra sans doute des années pour qu’on se rende compte de la réalité qu’il signifie.
Jamais une femme ! Rappelons que ce Doctorat avait été demandé dès 1932 par le Père Desbuquois jésuite, à la suite d’un important Congrès théologique ayant lieu à Lisieux. Le Pape Pie XI, éminent thérésien (il avait béatifié Thérèse en 1923, canonisé en 1925, l’avait déclarée patronne universelle des missions en 1927) refusera tout net : obstat sexus. Jamais une femme n’avait été déclarée Docteur dans l’histoire du Christianisme. Il a fallu attendre 1970 pour qu’un de ses successeurs, Paul VI, franchisse le pas ouvrant la porte aux femmes. Il en déclara deux docteurs de l’Église : sainte Thérèse d’Avila, espagnole du XVIème siècle et Catherine de Sienne, italienne du XIVème siècle. Étape capitale, fort peu remarquée car depuis 35 ans, il ne semble pas que les théologiens (masculins) aient tenu compte de cette audace de Paul VI. Comment s’en étonner ? Depuis des siècles, le domaine de la théo-logie (une parole sur
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Dieu) a été réservé aux hommes. Seuls ils ont eu accès aux études. Dans leur immense majorité les femmes en ont été exclues. Il n’existait donc que des paroles masculines sur le Mystère de Dieu. En 1973, lors d’une conférence à NotreDame de Paris pour le centenaire de la naissance de Thérèse Martin, le théologien Hans Urs von Balthasar déclarait : “Il est significatif que, depuis le Moyen-Âge jusque dans l’époque moderne, tout un cortège de saintes femmes a silencieusement protesté contre cette théologie masculine (il s’agit du salut éternel) et que, fortes de la hardiesse de leur cœur et d’un accès direct au mystère du salut, elles aient connu une espérance sans limite. Pour se borner aux plus grands noms, mentionnons Hildegarde, Gertrude, Mechtilde de Hackeborn, Mechtilde de Magdebourg, Lady Julian of Norwich, Catherine de Sienne, auxquelles on pourrait sans doute ajouter Catherine de Gênes, Marie de l’Incarnation et même Mme Guyon. Mais la théologie des femmes n’a jamais été prise au sérieux ni intégrée par la corporation. Cependant, après le message de Lisieux, il faudrait enfin y songer dans la reconstruction actuelle de la dogmatique.”1 En effet, Thérèse d’Avila et Catherine n’en savaientelles pas plus sur Dieu que tous les théologiens de leurs temps ? Seulement, toutes ces femmes n’avaient pas les moyens conceptuels pour rivaliser avec les hommes qui fréquentaient les Universités. Quand elles se sont exprimées – par obéissance, comme Thérèse d’Avila et Thérèse de Lisieux – elles l’ont fait avec un langage narratif, symbolique, autobiographique, non moins important que le langage conceptuel. Avec les études importantes sur la “théologie des saints”2, on s’est rendu mieux compte que les saints - et les saintes – ont priorité pour vous dire une parole sur Dieu, car ils en ont l’expérience. Éblouis par le Mystère insondable, ils disent balbutier mais ils en disent plus et mieux que des théologiens en chambre. Urs von Balthasar écrivait qu’il fallait faire la théologie à genoux, dans la prière.
Étienne Thuronyi ©
Étienne Thuronyi ©
Pentecôte
Ces femmes ont vécu à la fois un amour sponsal, virginal, maternel et fraternel (comme sœur). Elles l’ont exprimé à leur manière avec toute l’ardeur de leur sensibilité, de leur affectivité par un langage symbolique, parfois poétique.
Les Saintes Femmes
Le privilège de la féminité dans l’amour de Jésus Ici les femmes ne sont jamais défavorisées, au contraire. On oserait dire qu’elles sont très bien placées avec leur intuition, leur “génie féminin”3, leur complémentarité de l’approche masculine. Avec toutes ses sœurs, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus de la Sainte Face est un exemple éminent de la profondeur de l’amour porté à Jésus. Seul, peut-être, un cœur de femme peut aller très profond dans le mystère de l’Amour miséricordieux de Jésus et du Foyer incandescent de la Trinité. Le Père Léthel, carme théologien, dans sa thèse et des études importantes 4 a pu parler du “privilège de la féminité dans l’amour de Jésus.” Il a exploré avec finesse les apports de saintes femmes aussi différentes que Claire d’Assise, Catherine de Sienne, Jeanne d’Arc, Dina Bellanger et Thérèse Martin. Thérèse de Lisieux est allée très loin dans la découverte de la Miséricorde divine, libérant son époque et la postérité des relents du jansénisme craintif et d’un dolorisme ambigu. Or, la Miséricorde, dit saint Thomas d’Aquin, le prince des théologiens, est la perfection divine centrale, au cœur de toutes les autres. La miséricorde est la clé de lecture de toute l’œuvre thérésienne. Ces femmes ont vécu à la fois un amour sponsal, virginal, maternel et fraternel (comme sœur). Elles l’ont
exprimé à leur manière avec toute l’ardeur de leur sensibilité, de leur affectivité par un langage symbolique, parfois poétique. Mais on a pu montrer qu’il y a équivalence entre les affirmations thérésiennes et les écrits d’un Thomas d’Aquin. Présentes à la naissance et à la mort (Marie de Nazareth au pied de la Croix avec des femmes fidèles), les femmes ont un sens aigu de la corporéité, et donc de l’Incarnation du Verbe. Thérèse écrit 1616 fois le nom de Jésus dans ses écrits et elle a dit : “Heureusement qu’Il s’est fait homme car comment aurions-nous pu aimer un pur esprit ?” Chez elle, le réalisme de l’Incarnation et de l’Eucharistie est total. Quasi toutes ses poésies sont un cri d’amour pour Jésus, même quand elle est dans la nuit de la foi et de l’espérance : “Le Christ est mon amour, Il est toute la vie.” (Poésie n° 26)
Les enjeux de la théologie du Troisième millénaire Certes, l’égalité est totale entre l’homme et la femme créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. La catastrophe de notre société est la mode de l’unisexe qui ne permet plus à la femme et à l’homme de se situer dans la richesse de leur différence sexuelle. Certes aujourd’hui les femmes font de la théologie, sont professeurs, voire doyennes d’Institut Catholique car les portes du savoir, enfin, leur ont été ouvertes. Mais si elles font de la théologie exactement comme les hommes, qu’apporteront-elles ? Quelle richesse d’approfondissement lorsque l’homme et la femme, chacun selon son génie w Hors-série N°3 w FOI w
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Office central de Lisieux ©
Avec toutes ses sœurs, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus de la Sainte Face est un exemple éminent de la profondeur de l’amour porté à Jésus. Seul, peut-être, un cœur de femme peut aller très profond dans le mystère de l’Amour miséricordieux de Jésus et du Foyer incandescent de la Trinité.
Thérèse de Lisieux montrant l’Enfant Jésus et la Sainte Face
propre, mettent en commun théologie et spiritualité. Grâce à Dieu, ceci est en train de naître. “Notre théologie sera inadaptée pour le troisième millénaire si elle n’est pas imprégnée par la sagesse des femmes.” (P. T. Radcliffe) 5 “À ce jour, on est sans doute loin d’avoir exploré tout ce que la féminité peut révéler de la richesse de Dieu, comme nous pensons l’avoir fait à partir de la masculinité” (P. André Gouzes). “Si l’homme et la femme vivent différemment leur être au monde, ils vont aussi à Dieu à leur manière masculine et féminine. C’est cette différence spirituelle qu’il s’agit de mieux entendre, pour que l’Église respire selon toutes ses dimensions.”6
Thérèse ou la science de l’amour Ce que l’Église doit à Thérèse, Jean-Paul II l’a dit dans sa lettre apostolique du 19 octobre 1997, proclamant son Doctorat intitulé La Science de l’Amour divin. Il a mis en valeur son expérience de la vie avec Dieu et l’importance de ce qu’elle a pu en dire, sans faire aucun traité construit. En christologie, en ecclésiologie, en mariologie, sur les fins dernières, elle a innové, puisant sa “science” dans la méditation de la Parole de Dieu, dans l’Eucharistie, dans sa prière. Le Pape évoque ses “éclairs de génie” et écrit : “D’abord, Thérèse est une femme qui, en abordant l’Évangile, a su déceler des richesses cachées avec un sens du concret, une profondeur d’assimilation dans la vie et une sagesse
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qui sont propres au génie féminin. Son universalité lui confère une grande place parmi les saintes femmes qui brillent par leur sagesse évangélique.” (n° 11) Par ailleurs, il a dit : “Elle est un témoin particulier et une maîtresse de vie pour toute l’Église !”. “Carmélite et apôtre, maîtresse de sagesse spirituelle de beaucoup de personnes consacrées ou de laïcs, patronne des missions, sainte Thérèse occupe une place de choix dans l’Église. Sa doctrine éminente mérite d’être reconnue parmi les plus fécondes”.7 Espérons que dans les années à venir, nous allons vraiment écouter l’expérience de ces femmes saintes et mystiques, qui nous ouvrent aux splendeurs du mystère trinitaire. Pensons, par exemple, à l’apport de sainte ThérèseBénédicte de la Croix (Édith Stein), jeune carmélite philosophe et théologienne, morte à Auschwitz. Cette grande intellectuelle avait une forte estime pour la petite carmélite française qui avait quitté l’école à treize ans et demi. Elle souhaitait vivre l’amour du Seigneur avec la même intensité qu’elle.
Laissons le mot de la fin à une femme : “Thérèse de Lisieux est, depuis 1997, docteur de l’Église. En ce sens, elle est plus que jamais du XXème et du XXIème siècle. Il nous faudra donc revenir à elle pour entendre la contribution qu’elle apporte au débat très contemporain concernant la place et la vocation de la femme dans l’Église.”8 Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus de la Sainte Face illustre bien que “Dieu a besoin de tout le génie masculin et de tout le génie féminin pour se dire…”9 n 1. Thérèse de Lisieux, Nouvelles de l’Institut Catholique, 1973, p. 121 • 2. Le P. Urs von Balthasar en fut un des initiateurs avec son célèbre article : Théologie et sainteté, Dieu vivant, n° 12, 1948 • 3. Expression fréquente de Jean-Paul II • 4. Connaître l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance. La théologie des saints, Éditions du Carmel, 1989 5. Je vous appelle mes amis, Cerf, 2000, p. 66. • 6. Éditorial de Christus, Homme et femme dans l’Église, avril 2001, n° 190 • 7. JMJ Paris, Longchamp, 24 août 1997. Soulignons qu’aucun Pape n’a mis en valeur la femme comme Jean-Paul II : cf. son encyclique La dignité de la femme (1988), Lettre aux femmes (1995), L’importance de la femme dans la vie du prêtre, Lettre Jeudi Saint 1995 • 8. Anne-Marie Pelletier, Le Christianisme et les femmes, Cerf, 2001, p. 158 • 9. Panorama, novembre 2001
bibliographie Les chrétiens et l’homosexualité L’enquête
Esther, Judith, Ruth, la mission de la femme Père Pierre Dumoulin
La sexualité selon Jean-Paul II
Coll. Écriture Sainte Éd. des Béatitudes 1999
Yves Semen
Éd. Presses de la Renaissance, 2004, 17 L’auteur revient sur le vaste enseignement de Jean Paul II dispensé lors des audiences générales du mercredi durant les 4 premières années de son pontificat : la théologie du corps par laquelle le Pape reprend à frais nouveau l’enseignement de l’Église sur la sexualité et le mariage. Le but de ce livre est de permettre un accès à cet enseignement peu connu du grand public et qui vient d’être édité dans son intégralité.
Ce livre d’une centaine de pages a pour ambition de proposer une lecture juste et éclairée de textes bibliques abordant la mission de la femme et de nous donner une nourriture spirituelle sur ce thème. Les aventures de Déborah, Esther, Judith et Ruth témoignent du rôle indispensable de la femme dans le salut de l’humanité. Le père Dumoulin nous invite à porter notre regard plus loin, jusque vers la réalisation parfaite de l’idéal féminin dont l’homme porte la nostalgie et que Dieu prévoit de toute éternité.
Femmes de foi et femmes d’Église Lucienne Sallé
Éd. des Béatitudes, Coll. Les petits traités spirituels, série “Bonheur Chrétien”, 2004, 5 Suite à la Conférences de Pékin et à l’engagement personnel de JeanPaul II invitant à approfondir les fondements anthropologiques de la condition masculine et féminine, l’auteur réfléchit sur la relation de la femme avec la foi, en particulier sa sensibilité concernant l’humanité du Christ, et dans un second temps envisage la femme dans l’Église, comment la femme permet à l’Église d’accéder à sa dimension de maison pour chacun des enfants de Dieu appelés à vivre dans la communion à l’autre.
Homme et femme, l’insaisissable différence
Éd. Presses de la Renaissance 2004, 403 p. 22 Claire Lesegretain a rassemblé dans cet ouvrage d’une part les témoignages de chrétiens homosexuels de divers horizons culturels et confessionnels partageant comment ils concilient leur vie intime et leur foi et leur lien avec leur église, et d’autre part l’intervention d’historiens, psychanalystes, pasteurs, prêtres, théologiens… qui éclairent sur les enjeux actuels de la question homosexuelle dans la société et dans l’Église. Une enquête très complète qui permet de bien appréhender la situation actuelle.
Lettre ouverte aux femmes de ces hommes (pas encore) parfaits… Jacques Arènes
Éd. Fleurus, Essais, 2005 143 p. 15
Le Prince charmant et le héros, hommes, femmes : le grand malentendu
Sous la direction de Xavier Lacroix
Éd. du Cerf, 1999
Geneviève Djénati
Né d’un colloque, cet ouvrage regroupe les contributions de spécialistes d’horizon fort divers, allant de l’ethno logue au théologien en passant par le psychologue et le juriste.
Psychologue clinicienne et thérapeute de couple, l’auteur expose sa thèse : deux représentations différentes de l’homme idéal – l’une féminine, l’autre masculine – seraient à l’origine du malentendu entre les sexes. Les trois premières parties du livre, illustrées de nombreux cas, étudient les mécanismes inconscients qui sous-tendent les représentations de l’homme idéal, tandis que la dernière partie propose une galerie de personnages-types parfois féroces.
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Claire Lesegretain
Éd. L’archipel, 2004, 19,95
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L’auteur, psychanalyste, analyse l’incompréhension grandissante entre des hommes qui ont du mal à trouver leurs marques et des femmes, véritables “hommes forts” du foyer au discours parfois amer tout en posant un regard d’espérance sur cette situation. Dans cet entretien avec Vincent Villeminot, il n’hésite pas à s’adresser aux femmes pour les inviter à réintroduire les hommes dans la vie du couple et de la famille.
bibliographie L’amour et la sexualité dans la Bible Pierre Debergé
La confusion des genres Réponses à certaines demandes homosexuelles sur le mariage et l’adoption Xavier Lacroix
Éd. Bayard, Coll. Études, 2005, 155 p., 9,80
L’auteur parcourt toute la Bible depuis les récits de Création jusqu’aux recommandations de Paul à l’égard des femmes, afin de mettre en évidence la modernité et la profondeur du message biblique concernant le domaine de l’amour et de la sexualité. Une écriture vive et claire qui rend au récit biblique toute sa force et sa profondeur.
Homme et femme Il les créa, une spiritualité du corps
Il s’agit pour Xavier Lacroix de donner quelques outils d’analyse pour se situer dans les débats qui ont cours actuellement autour des relations familiales et des revendications dont elles sont l’objet. Dans un langage clair et précis, il rétablit le sens des mots et les distinctions nécessaires entre des réalités différentes, aujourd’hui amalgamées afin de vider les mots comme : famille, parents… de leur sens et de leur nature structurante. L’ouvrage regroupe trois documents, le premier s’interrogeant sur le sens du terme “homoparentalité”, le deuxième revenant sur “le mariage homosexuel”, le troisième enfin présentant des réponses à quelques arguments courants en faveur de l’adoption homosexuelle. Ces trois documents se recoupent mais présentent l’intérêt de traiter chacune des questions de façon complète tout en étant réunis dans un même ouvrage.
Jean Paul II
Éd. Cerf, 2004, 694 p. 29
L’identité masculine en question
L’amour du semblable Questions sur l’homosexualité Sous la direction de Xavier Lacroix
Éd. du Cerf 2001, 225 p. Cet ouvrage regroupe les interventions d’une session organisée par l’ISF de l’Université catholique de Lyon en 1994 qui croisait diverses disciplines : histoire, sociologie, psychologie, philosophie et théologie. Son articulation, à travers la diversité des approches est de viser au dépassement de deux attitudes vis-àvis de l’homosexualité : l’exclusion et l’indifférenciation. Son but est de répondre à la question : “comme trouver une juste parole sur l’irrécusable dissymétrie entre hétérosexualité et homosexualité ?” en distinguant aussi les diverses réalités regroupées sous le terme “homosexualité”.
Vidéo
Anselm Grün
Éd. Mediaspaul 2005, 18
Les catéchèses données par Jean-Paul II de 1979 à 1984, et devenues quasiment introuvables, enfin éditées en un seul volume ! Méditant la Bible et l’enseignement de l’Église, ces catéchèses présentent une vue d’ensemble de la vocation de l’homme, et renouvellent la vision de la vocation chrétienne : mariage et célibat consacré où se déploie la démesure de l’Amour divin et où une anthropologie du corps trouve ses lettres de noblesses.
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Selon l’auteur, moine bénédictin allemand, les Allemands s’interrogent sur leur identité masculine. Mais ce constat n’est-il pas valable pour tous les Européens ? Et le religieux de s’interroger sur la désaffection des hommes par rapport à l’Église. Être pleinement homme, c’est savoir aimer mais aussi se battre, faire face. Or l’Église ne sait pas leur parler et leur propose une spiritualité plus pacifiante qu’exigeante. Dans la masculinité, la lutte et l’amour vont de pair. C’est en tant que lutteur que l’homme est apte à l’amour. L’Église a besoin d’hommes combatifs à l’image des dix-huit figures masculines bibliques présentées dans ce livre. Des hommes qui sont passés par maintes tribulations, sont tombés et se sont relevés, ont osé la vie, nous interpellent et nous lancent des défis, suscitent en nous une spiritualité virile. Des hommes de Dieu qui nous rappellent notre identité masculine. Un ouvrage remarquable, “d’homme à homme”, où les deux sexes trouveront matière à apprendre et à comprendre.
La Bible : Esther Un grand récit de l’Ancien Testament écrit par des biblistes chrétiens et israélites de toutes nationalités, des acteurs prestigieux pour apprendre notre histoire et rêver sur les traces d’une femme au destin extraordinaire. Esther épousera le roi de Babylone, Assuerus, et sauvera le peuple juif de l’extermination. Un très beau film pour tous les âges disponibles en DVD et VHS auprès d’AME 10 rue Henri IV 69287 Lyon cedex 02, tel 04 78 37 45 99, fax 04 78 42 02 41, e-mail ame@chemin-neuf.org
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Mon Bien-aimé élève la voix, il me dit : “Lève-toi, ma bien-aimée, ma belle, viens.” Ct 2, 10