Magazine : Cheval Du Maroc Numéro 10

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A l’occAsion du numéro 50 de clin d’œil mAgAzine, nous Avons sélectionné les meilleurs reportAges pArus depuis lA créAtion de notre supplément ‘‘ chevAl du mAroc ’’. voyAge à chevAl dAns nos Archives !

#10 HIVER

2018 - 2019


« Je serai éternellement reconnaissant à cherif Moulay Abdellah, le président de la Fédération Royale Marocaine des Sports Equestres. C’est grâce à lui que je suis aussi perfectionniste. IL travaille tant qu’il n’arrive pas à dormir. Si c’est un peu tordu, il est capable de tout casser et reconstruire.»

kebir ouaddar

MARRAKECH (Hôtel Selman).Kebir Ouaddar a dédié son existence au cheval, comme une évidence. «En vacances, au bout de trois ou quatre jours, j’ai besoin de voir un cheval, de le sentir, d’entendre le bruit des sabots. C’est toute ma vie. J’espère mourir en regardant un cheval.» PHOTO ABDOU MOKTHARI


kebir Ouaddar : « Je dois tout à Sa Majesté »

KEBIR OUADDAR, PROTÉGÉ DE SA MAJESTÉ LE ROI MOHAMMED VI, EST LE MEILLEUR CAVALIER MAROCAIN DE TOUS LES TEMPS. SA TRAJECTOIRE EST AUSSI FULGURANTE QUE SON DESTIN EST INCROYABLE. LUMINEUX, VIBRIONNANT, SOLAIRE, IL ATTIRE LA LUMIÈRE. RENCONTRE AVEC UN HOMME UNIQUE QUI PARLE AVEC SON CŒUR. SANS CALCUL.


CAEN (Stade Michel d’Ornano).Treizième lors des Jeux Équestres mondiaux, à Caen, en 2014, Kebir s’est hissé définitivement dans la cour des grands. «Notre sans faute dans la seconde manche est encore dans nos mémoires. Et si nous n’avions pas touché bêtement la rivière, nous aurions pu pointer à une merveilleuse quatrième place. Quickly a prouvé, à Caen, qu’il était un crack». PHOTO ERIC KNOLL


sports équestres: kebir ouaddar

PAR JÉRÔME LAMY (À MARRAKECH)

OCTOBRE NOVEMBRE 2015

«K

ebir est un papillon». C’est Noëlle qui parle. Noëlle, c’est madame Ouaddar, cette épouse, dont les parents étaient diplomates à l’Ambassade de France, à Rabat, cette maman rencontrée il y a trente 30 ans dans l’ancien club Al Forsan. Noëlle aimait le cheval avant d’aimer Kebir. Plutôt bonne cavalière, elle montait, à Dar Essalam, en compagnie de Jean-Louis Marin, enseignant à la Fédération Royale Marocaine des Sports Equestres (FRMSE). Le monde est petit, le destin est malin. Noëlle est la terre. Kebir est l’air. Noëlle a su dompter ce papillon, lui offrir la stabilité et lui donner une fille merveilleuse, Soukaina, amour fusionnel de Kebir, qui a décidé de poursuivre ses études à Ifrane pour assouvir son rêve de mettre ses pas dans ceux de son père. A la lumière de la première victoire de la jeune femme dans une compétition internationale, pour sa première année séniors, lors la seconde épreuve du CSI 1* de l'étape du Morocco Royal Tour de Rabat, sur son cheval Reading, on peut dire que la saga Ouaddar n’est pas terminée... Elle a commencé à Aït Ourir, à une trentaine de kilomètres de Marrakech, sur la route de Ouarzazate. C’est là, auprès de parents dévoués et aimants, Khadija et Bejmaa, le puisatier du village, que Kebir a grandi. C’est là que Feu son altesse royale la Princesse Lalla Fatima Zahra, sœur de Feu le Roi Hassan II, est tombée sous le charme du petit Kebir lors d’un déplacement au caïdat d'Aït Ourir, dans la province d'Al Haouz. Déjà, Kebir est pur, lumineux, vibrionnant, solaire. Il n’a pas changé. Une aura irréelle et un charme incandescant sont toujours attachés à ses pas. Kebir est âgé de huit ans. Il attire la lumière, l’attention, la bienveillance. La Princesse Lalla Fatima Zahra propose à Khadija et Bejmaa de prendre en charge l’éducation de Kebir. Et de lui construire un avenir. Le destin s’est invité à la table de la famille Ouaddar. La vie de Kebir bascule. Il pose ses valises, à Rabat, en 1970. Et grandit avec Chérifa Lalla Joumala, Chérif Moulay Abdellah et Chérif Moulay Youssef, les trois enfants de la Princesse et du Prince Moulay Ali. Quand il ne suit pas les cours des missions françaises, il prend la route du sud pour visiter sa famille.

Kebir passe son temps libre entre le golf et l’équitation. Il abandonnera vite la petite balle blanche pour se consacrer à la noblesse du cheval. Il a douze ans , en 1974, quand il participe à sa première compétition, point de départ d’une histoire équine qui rythmera son existence. Sacré champion du Maroc juniors, en 1979, Kebir n’est plus un gentil garçon, bien élevé. C’est un grand espoir de l’équitation du Royaume. Ça n’échappe pas au Prince Moulay Ali, mari de la Princesse Lalla Fatima Zahra, qui décide d’offrir à Kebir un stage, à Chantilly, en France, chez Nelson Pessoa, star brésilienne de l’équitation mondiale. Le Prince Cherif Moulay Abdellah offre à Kebir une jument, Jenny. Avec Jenny, il gagne plusieurs de ses neuf titres seniors de champion du Maroc. Ebloui et ébaubi par son petit protégé, le Prince Cherif Moulay Abdellah, qui adorait monter ses chevaux, décide de mettre les petits plats dans les grands, dans la ferme d’Azemmour. «Moulay Abdellah m’a donné une écurie de rêve» précise Kebir Ouaddar. «J’avais le loisir de travailler avec une soixantaine de chevaux assez exceptionnels. Moulay Abdellah a organisé beaucoup de concours dans la ferme d’Azemmour. Ce monsieur a toujours été un grand homme du cheval.» Et Kebir Ouaddar un cavalier à la trajectoire unique qui honore sa première sélection, - «sans grand succès» précise-til - en équipe du Maroc, à Jerez, en Espagne, au début de l’année 2000, à l’âge de 38 ans. C’est feu la Princesse Lalla Amina, présidente de la Fédération Royale Marocaine des Sports Equestres, également entraîneur de l’équipe nationale du Maroc, qui lui fait cet honneur. Et c’est toujours, à Jerez, qu’il remportera son premier Grand Prix, en 2014. «Depuis ce moment-là, si inoubliable, faire retentir l’hymne marocain sur tous les stades équestres du monde est devenu une vraie obsession» confie Kebir. Entre temps, Marcel Rozier, un des plus grands entraîneurs de tous les temps, véritable second père pour Kebir qui a perdu le sien trop tôt, avait accepté, sur proposition de sa Majesté le Roi Mohammed VI, de veiller aux destinées de la perle du sport marocain et de son cheval, le crack Quickly de Kreisker, considéré comme le meilleur cheval au monde. Kebir, Marcel et Quickly, voilà le ticket gagnant pour les Jeux Olympiques de Rio où l’enfant d’Aït Ourir va entrer dans la grande histoire du sport marocain quel que soit son résultat final. Il deviendra le premier cavalier marocain à participer à une Olympiade. Mais ce tire honorifique ne suffira pas à son bonheur. Il rêve d’un métal, d’une breloque autour du cou, d’une émotion qui traverse l’Atlantique pour déborder sur les plages du Val d’Or et Rose Marie, à Skhirat, et envahir le club équestre Oued Ykem, situé de l’autre côté du Boulevard Prince Moulay Abdellah, dont Noëlle Ouaddar est la présidente.

Kebir se consacrera alors à l’ouverture de son club équestre, qui proposera aussi le couvert et le gîte sur 3 hectares, hérités de son paternel, à quelques encablures d’Aït Ourir. Ce lieu unique dans le monde équestre permettra à Kebir de rendre à la vie ce qu’elle lui a donné. Il veut offrir un horizon aux enfants abandonnés pris en charge, à Aït Ourir, par l’Association SOS Villages d’Enfants. «J’ai investi tout ce que j’ai gagné dans ce projet» confie-t-il. «Les enfants abandonnés, les enfants handicapés, les enfants pauvres sont au cœur de mon entreprise. Je prends mon temps. Je dois ça à mon Roi et à mon pays.» Il dit n’avoir aucune préférence entre le Barça et le Réal, débat qui divise le Royaume. Pas pour ne froisser personne mais pour affirmer sa passion du sport en général et du spectacle en particulier. Il dit aimer Paris et les Champs Elysées avec Noëlle et Soukaina, les femmes de sa vie, à ses bras. Il dit aimer l’été, saison de sa naissance et les films de cow-boys. Il dit aimer courir vite et loin pour s’évader et se vider le corps autant que l’esprit. Il dit aimer les balades en calèche, calèche qu’il a découverte lors de notre séance photos et qu’il a prise pour se rendre de la maison familiale d’Aït Ourir au terrain qui hébergera son futur club équestre. «Le conducteur de la calèche m’a demandé vingt dirhams» raconte Kebir. «Je lui en ai donné cinquante en lui faisant promettre d’acheter des carottes pour les chevaux...» Rencontre unique avec un homme de cœur qui parle avec son âme. Interview singulière avec un papillon qui s’est posé pour vous offrir ce document exclusif. Quelle a été la réaction de vos parents quand feu son altesse royale la Princesse Lalla Fatima Zahra leur a proposé de s’occuper de votre éducation? Mes parents ont réagi de manière très différente. Autant mon père a vécu cet épisode comme un signe du destin, une chance unique et extraordinaire, autant ma mère s’est inquiétée pour moi et pour le vide que j’allais laisser auprès d’elle. Combien de temps vos parents ont-ils réfléchi avant de prendre leur décision? Tout est allé très vite. En deux ou trois jours, à peine, mes parents ont décidé de m’autoriser à prendre mon envol auprès de la famille royale. Ils ont privilégié mon avenir et je les remercie, chaque jour. En tout cas, je peux dire aujourd’hui que même si cette séparation a été dure pour ma maman, elle ne regrette rien. Au contraire...

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sports équestres: kebir ouaddar Quelle relation entretenez-vous avec votre mère, Khadija que vous appelez tendrement «Haja»? Nous pouvons parler de relation fusionnelle. C’est comme si l’éloignement de mes jeunes années avait resserré les liens entre nous. Ma mère est une femme admirable. Je l’appelle chaque matin. Elle me donne la force de me dépasser. Je vais vous faire une confidence. Avant chaque concours, je ressens un besoin de lui parler pour entendre sa voix. Et je l’appelle toujours quel que soit le décalage horaire. Si je n’entends pas ses vibrations, je ne rentre pas dans l’arène. Vous vouez une admiration sans limite à sa Majesté le Roi Mohammed VI... Je dois tout à sa majesté le Roi Mohammed VI. C’est lui qui m’a permis d’atteindre l’élite mondiale. C’est sa confiance qui me guide et me permet de ne fixer aucune limite dans mon évolution. Sa Majesté me donne tous les moyens de travailler dans des conditions uniques. Si je n’y arrive pas, c’est qu’il y a un problème quelque part. Et ce problème, ce sera forcément moi. Le mot clef, c’est la passion... Vous ne pouvez pas imaginer combien sa Majesté est un homme passionné. Il a un sens du détail assez exceptionnel. Il suit mon évolution de très près. Il surveille le classement de ses chevaux. Il me félicite après chaque concours. Si je gagne, c’est très bien. Si je ne gagne pas, il m’encourage encore davantage. Surtout, et on ne le dit pas assez, c’est un très bon cavalier. J’ai eu l’honneur de le voir monter à cheval et je dois dire que ce fut un plaisir extrême. Le soutien de Sa Majesté vous donne encore plus de responsabilités... Je suis une sorte d’ambassadeur du Maroc, à l’étranger, et je l’assume. Véhiculer l’image du Maroc est un grand honneur pour moi. Je dois être à la hauteur. Au lieu de travailler cinq fois plus, je dois travailler dix fois plus pour faire plaisir à mon Roi et à mon pays. On dit que le choc culturel entre le Maroc et la France a été violent pour vous... Plus que la culture française, c’est le climat qui a été un peu difficile. Ce n’est quand même pas un gros effort. Et comme c’est pour mon Roi, rien n’est dur. S’il fallait aller au feu pour lui, j’irais. S’il fallait mourir pour lui, je le ferais. La popularité de sa Majesté le Roi Mohammed VI, en Europe, doit vous remplir de bonheur et de fierté... En France, on entend, en effet, beaucoup de compliments sur notre Roi, sur le Maroc. Ça me touche... Notre Roi aide les gens qui souffrent et permet à notre pays d’avancer économiquement, en devenant leader et moteur sur le continent Africain.

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C’est Sa Majesté qui a convaincu Marcel Rozier, votre entraîneur emblématique, de replonger dans le bain du sport de haut niveau... Il y a quatre ans, Sa Majesté a proposé à Marcel de relever le défi de m’accompagner au sommet du sport équestre mondial. Et je le remercie car mon association avec Marcel Rozier est une idée géniale. Je crois que Sa Majesté aime le sérieux que nous mettons, Marcel et moi, dans toutes les phases de ma préparation. Pouvez-vous nous parler de votre couple avec Marcel Rozier? Je ne voudrais pas rendre jaloux ses enfants mais je considère Marcel comme mon deuxième père. Je le traite comme mon père. Je le respecte énormément. Je lui fais une confiance absolue. Il compte énormément pour moi. Quand je suis loin de lui, il m’appelle chaque jour. Le jour où il ne sera plus là, je ressentirai un vide abyssal, une peine comparable à celle que j’ai connue quand mon père est parti. En fait, vous avez permis à Marcel Rozier de vivre sa seconde jeunesse... On ne peut pas imaginer qu’il fêtera ses quatre vingts-ans, au mois de mars prochain. Dans son esprit, il est resté un jeune homme de dix-huit ans, toujours prêt à plaisanter, à séduire, à rêver. C’est sa dernière ligne droite et il est aussi motivé que si c’était le début de sa carrière. Surtout, il veut remercier Sa Majesté pour la confiance qu’il lui a témoignée. Parfois, on dirait que Marcel Rozier est à moitié marocain tellement il est marqué par son histoire avec le Royaume. Quelles sont les qualités de Marcel Rozier? Dire qu’il a souvent raison est faux. Marcel a toujours raison ! Il a une expérience unique du top niveau mondial. Il sait où il veut aller et il arrive toujours à destination. Il a une aptitude assez phénoménale pour convaincre. C’est un très bon vendeur ! Souvent, il me répète qu’il ne faut pas rater les trains. Il faut saisir l’occasion au bon moment: voilà sa philosophie. Et sa recette est simple: sérieux, détail et travail... Votre humilité est liée à votre éducation... Je n’ai jamais oublié d’où je venais. La simplicité est le plus beau cadeau que mes parents m’ont donné. Pour avancer dans sa vie d’homme et de sportif de haut niveau, il faut avoir la tête sur les épaules. Je n’ai jamais gonflé le torse après avoir gagné un Grand Prix. Ce serait tellement petit.

La clef de votre équilibre, c’est votre femme Noëlle... Effectivement, Noëlle est l’élément qui stabilise ma vie. Derrière chaque couple, il y a forcément des petites histoires et des petits problèmes. Mais nous continuons à avancer et à nous construire. Noëlle est une chance pour moi et ma carrière. Elle s’occupe si bien de notre fille Soukaina... Je suis fier d’avoir une femme et une famille comme ça. Heureusement que ma femme connaît le monde du cheval et ses contraintes. Ça a sauvé mon couple et donné une chance à ma carrière. Le Prince Moulay Abdellah, avec lequel vous avez grandi, est votre modèle autant que votre guide spirituel... Je lui serai reconnaissant jusqu’à la fin de ma vie. C’est grâce à lui que je suis aussi perfectionniste et que j’arrive à toucher l’excellence du très haut niveau. Il m’a appris à prendre soin de mes chevaux, à les sortir nappés, à avoir le goût de la beauté. Quel regard portez-vous sur l’évolution de la filière équine? La Société Royale d’Encouragement du Cheval fait un énorme travail. Omar Skalli, le directeur de la SOREC, est la meilleure personne pour développer le cheval au Maroc et participer à sa promotion. Il est jeune, motivé et talentueux. Surtout, il n’est guidé par aucun intérêt particulier ou personnel. Il est seulement animé par le défi qu’il s’est engagé à relever. Du coup, il prend les bonnes décisions. Et je tiens à le féliciter pour cela. Il se bat pour professionnaliser la filière équine qui doit être une fierté de tout le peuple marocain. Par ailleurs, Omar Skalli a su s’entourer de personnes extrêmement compétentes. Sinon, je tiens à vous féliciter pour votre supplément Cheval du Maroc qui est aussi une force de la filière équine. Ajouter un support sur le cheval au Maroc à votre magazine ambitieux et généraliste est une vraie bonne idée. Ça va permettre de vulgariser, tous les deux mois, les atouts de la filière équine auprès du grand pubic, d’une cible de non initiés. Et les passionnés trouveront leur bonheur. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai accepté de jouer le jeu, avec vous, avec autant de sincérité. Comme vous l’imaginez, je suis tenu à un devoir de réserve et je refuse beaucoup de sollicitations...» u

« sa Majesté le ROI MOHAMMED VI est passionné. Il me félicite après chaque concours. Si je ne gagne pas, il m’encourage davantage. S’il fallait aller au feu pour mon Roi, j’irais. S’il fallait mourir pour lui, je le ferais...»


MARRAKECH (Quartier de l’Hivernage).Kebir Ouaddar, tout sourire, dans une calèche pour les besoins de notre séance photos, aux côtés de Jérôme Lamy (médaillon), le directeur du magazine Clin d’œil.

PHOTOS ABDOU MOKTHARI


sports équestres: marcel rozier

Eternel Marcel Rozier MARCEL ROZIER A PARTAGÉ SES SOUVENIRS DES JO DE RIO ENTRE LA DÉCEPTION AVEC KEBIR OUADDAR ET LE SACRE DE SON FILS PHILIPPE. A 80 ANS, LE MEILLEUR COACH DU CIRCUIT, NOUS A CONFIÉ, EN EXCLUSIVITÉ, SON DÉSIR DE PRENDRE UNE SEMI-RETRAITE INTERNATIONALE. «MAIS JE NE LAISSERAI JAMAIS TOMBER KEBIR.... ON NE LAISSE JAMAIS TOMBER SES ENFANTS» CONFIE-T-IL.

PAR JÉRÔME LAMY (À RABAT)

OCTOBRE NOVEMBRE 2016

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e sport, et les Jeux Olympiques plus encore, sont un formidable accélérateur d’émotions, de passions et de désillusions, un enivrant mélange de dramaturgie, d’euphorie et de folie. Marcel Rozier, jeune homme de 80 ans, bon pied, bon œil, médaille d'argent par équipes aux JO de Mexico (1968) et champion olympique par équipes aux JO de Montréal (1976), a roulé sa bosse. L’entraîneur de Kebir Ouaddar a le cuir aussi tanné que les vieux crocodiles. Il nous confiait d’ailleurs, cet été, avant de s’envoler pour Rio que l’équitation et les Jeux Olympiques lui avaient permis de dîner avec cinq Présidents français: Charles de Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard D’Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac. «Et il convient d’ajouter à cette liste des grands hommes Sa majesté le Roi Mohammed VI que je ne remercierai jamais assez de la confiance qu’il m’a accordée» dit celui qui est sans doute le meilleur entraîneur d’équitation de tous les temps. Marcel Rozier ne pouvait imaginer que l’olympiade de Rio allait l’envelopper dans un tourbillon d’émotions à nulles autres pareilles et le transporter vers un bonheur inégalé. Entre la médaille d’or de son fils aîné Philippe avec l’équipe de France, quarante ans après la sienne, et la première participation à la messe olympique de Kebir Ouaddar, qu’il considère comme son quatrième fils, Marcel a sans doute tiré sa révérence au monde olympique de la manière la plus incroyable qui soit.

#58

Cheval du Maroc.- Quel bilan dressez-vous de la participation de Kebir Ouaddar aux JO? Marcel Rozier.- Il faut situer la performance de Kebir dans la perspective de l’ensemble de sa carrière. C’est assez exceptionnel qu’il ait réussi à se qualifier pour les Jeux Olympiques. Sur l’épreuve, on peut nourrir quelques regrets. Lors du premier parcours, Kebir est dans le vrai. Quickly, notre cheval unique, est au meilleur de sa forme. On aurait pu signer un grand exploit...

On parle de l’âge de Kebir Ouaddar, de celui de Quickly mais on n’aborde jamais la fin de votre carrière tant vous paraissez éternel... Pourtant, je ne le suis pas. Et il va bien falloir que je m’arrête un jour. Avec cette histoire unique qui me lie à Kebir et au Maroc, j’en oublierais presque mon âge. Quand je rencontre Sa Majesté, il me demande à chaque fois mon secret pour rester aussi jeune. Je lui réponds que la passion des chevaux est un vaccin contre le temps.

Peut-on parler de déception? Non, je ne suis pas déçu et il ne faut pas l’être. Il faut mesurer le chemin parcouru sans remettre en cause les qualités du cavalier et du cheval. Kebir a eu un comportement magnifique. Surtout, il a beaucoup appris. Il a appris que les JO demandent plus de concentration que n’importe quelle épreuve. Rien, ni personne, ne doit venir troubler l’athlète. Il ne faut pas laisser venir les gens. Quelques mots mal pesés ou mal choisis peuvent plomber toute une préparation.

Vous aurez 84 ans à Tokyo. Vous abordez votre dernière ligne droite avec Kebir et vous préparez votre jubilé commun au Japon... Vous me parlez de Tokyo mais les JO de Tokyo sont dans quatre ans. Je ne sais même pas dans quel état de santé je serai demain. Je ne sais même pas où je serai après demain. Allez, je vais vous faire une confidence: je ne serai pas avec Kebir, à Tokyo, en 2020. Ça me fait mal de dire ça. Je préfère ne pas y penser mais il faut se rendre à l’évidence. Pour l’instant, je suis en bonne santé. Je suis même toujours le premier, chaque matin, à 6h30, aux écuries. Je suis toujours à l’heure. C’est la vie. C’est comme ça. Mais pour voyager loin, il faut ménager sa monture ! C’est une expression d’actualité pour moi.

Kebir a-t-il bien digéré son élimination? Kebir est un gagneur. Les deux premiers jours après son élimination, il était prostré de douleur. Kebir a su perdre dignement en se projetant sur la prochaine échéance olympique, à Tokyo. Lorsqu’on quitte les JO, on a une seule envie: y retourner. C’est ça être un athlète de haut niveau. Kebir fait partie de ce club fermé. Nick Skelton a été sacré champion olympique, à 58 ans. Justement, c’est l’âge qu’aura Kebir Ouaddar lors des JO de Tokyo, en 2020. C’est de bon augure pour lui ou c’est inquiétant? C’est surtout jouable. Il faudra surtout ne pas lâcher et ne pas faire de bêtises. Il faudra redoubler d’efforts, être encore plus rigoureux au quotidien pour garder le tempo. Malgré son âge, Kebir est un cavalier relativement neuf. Quickly aura, quant à lui, 16 ans à Tokyo... Quickly n’est pas éternel. Dieu seul sait s’il tiendra encore une olympiade ou pas. A cet âge, un ennui de santé est vite arrivé. Il a encore de belles années mais après c’est la loterie.

Si vous nous dites que vous nous annoncez votre retraite, on ne vous croira pas... Vous auriez raison. Il va pourtant falloir que je commence à lever le pied. Je vais devoir me surveiller, faire attention et écouter mon médecin. La répétition des voyages commence à me fatiguer. Et il pourrait m’arriver des soucis. Je ne pourrais donc pas accompagner Kebir à 100%. Comment envisagez-vous la future organisation technique autour de Kebir? Déjà, je ne le laisserai jamais tomber. Je considère Kebir comme mon fils et on ne laisse jamais tomber ses enfants. Et je voue une telle reconnaissance à Sa Majesté le Roi Mohammed VI que je ferai l’impossible pour être là. Je vais continuer à être présent le plus longtemps possible auprès de lui, au quotidien, et ierry, mon fils, pourrait prendre le relais et me succéder. u


EL JADIDA (Hôtel Mazagan Beach & Golf Resort ).«Je ne serai pas avec Kebir Ouaddar, à Tokyo, en 2020» confie Marcel Rozier. «Il va falloir que je commence à lever le pied et écouter mon médecin. Je vais continuer à être présent le plus longtemps possible auprès de Kebir, au quotidien, et Thierry, mon fils, pourrait prendre le relais et me succéder.»

PHOTOS MARWANE ACHARID,


filière équine: omar skalli

Omar Skalli et la SOREC font l’unanimité PAR JÉRÔME LAMY (À RABAT)

AOÛT SEPTEMBRE 2015

O

fficieusement, c’est l’homme le plus important de la filière équine, au Maroc. Omar Skalli est Monsieur Cheval. Aux commandes de la Société Royale d’Encouragement au Cheval (SOREC) depuis 2009, il est le véritable bras armé de l’état sur le monde équin. Son rôle est le développement de l’utilisation traditionnelle et moderne du cheval, la sauvegarde du cheval barbe et la professionnalisation de l’organisation des courses. Son souci permanent est la fidélité aux grandes ambitions et hautes instructions de Sa Majesté le Roi Mohammed VI qui, à l’image de toute la monarchie et du peuple marocain, fait montre d’un attachement indéfectible au cheval. Omar Skalli nous accueille avec une franche poignée de main et un sourire de jeune premier. Il commence par des amabilités, notamment sur la qualité «exceptionnelle» de la photo de Kebir Ouaddar et de son cheval Quickly que nous avons publiée dans le dernier numéro de Clin d’œil. «C’est la préférée de Kebir» dit-il. «D’ailleurs, Il l’a mise sur son profil facebook.» C’est le profil d’Omar Skalli qui nous intéresse. Né à Agadir, en 1974, c’est à Marrakech qu’il a grandi et c’est à Casablanca, au quartier Hermitage, dans le grand Lycée Moulay Abdallah, qu’il a brillamment passé son bac scientifique avec des résultats brillants en mathématiques. Son itinéraire scolaire est calqué sur les mutations professionnelles d’un papa banquier qui a donné à son fils le goût des chiffres et la valeur travail. Le bac en poche, Omar prend la route de la Capitale pour suivre deux années de prépa au Lycée Descartes, à Rabat.

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A l’évidence, il présente déjà les signes extérieurs d’un haut fonctionnaire, en puissance. Omar Skalli réussit le concours d’entrée à l’ESSEC, la grande école de commerce de Paris, celle qui forme les leaders économiques, les capitaines d’industrie et façonne celles et ceux qui peuplent les cabinets ministériels. C’est également dans la finance que Omar Skalli va étaler son talent naissant. Après trois années à l’ESSEC (1993-1996), il va intégrer le cabinet parisien Arthur Andersen où il devient chef de mission. Il est à peine âgé de 25 ans et compte Alcatel, la SNCF ou la RATP parmi ses clients. Quand il rentre au Maroc, en 2000, il débarque flanqué de l’étiquette méritée d’un grand gestionnaire. Cela n’échappe pas à Salafin, société de crédit à la consommation créée par la BMCE, qui lui offre le poste de directeur de développement et une place au directoire. Le défi est permanent. Ça a toujours été un moteur pour Omar Skalli qui ne musarde pas en chemin. Il sort rapidement de son chapeau pas moins de huit nouveaux produits dont le crédit à l’attention des fonctionnaires. Son expertise dans le développement, l’organisation et la gestion sont louées dans les milieux autorisés. Il n’en fallait pas plus pour attirer le regard et l’appétit des chasseurs de têtes. En mars 2009, Omar Skalli est nommé directeur général de la SOREC. Créée juridiquement, en 2003, la SOREC absorbe les activités courses et paris, en 2007. C’est à ce moment qu’elle devient réellement le maillon fort de la filière équine. La première réalisation a été la réussite du transfert des haras nationaux du ministère de l’agriculture, l’administration de tutelle, à la SOREC dans une logique de cohérence et de développement d’activités. «Il était donc urgent de moderniser la SOREC pour trouver les moyens et les outils du développement de la filière» précise Omar Skalli. «La mission, c’est de développer la filière, pas l’entreprise. L’entreprise est au service de la filière. Les dividendes sont donc entièrement réinvestis au service de notre mission. Il n’y a pas de bonne ou mauvaise stratégie, il y a juste une stratégie qui fonctionne».

Rencontre avec un des hauts fonctionnaires les plus brillants de sa génération, un directeur dévoué à la chose publique, au service du cheval, cette grande mission dont il a fait une belle passion. Votre grande mission, c’est de trouver un rôle au cheval Barbe... Quand j’ai pris mes fonctions, il était de coutume de parler d’élevage mais personne ne parlait d’utilisation du cheval. Aujourd’hui, on essaye d’utiliser le Barbe pour tous nos spectacles équestres au grand étonnement des spectateurs et des éleveurs. Nous travaillons tellement le Barbe qu’il se présente devant le public avec des muscles et un poil ras. On essaye modestement de montrer la voie. Quelles sont les qualités du cheval Barbe? Le cheval Barbe jouit d’une réputation d’un cheval équilibré, d’un tempérament calme, intelligent, robuste et sobre. Il est connu également par son courage, sa loyauté et son endurance. Comment encourager l’utilisation du cheval Barbe? Déjà, nous insistons pour que les jeunes cavaliers soient formés sur un cheval Barbe et non sur un cheval de sport acheté en Europe. Un jeune conducteur ne commence pas la conduite avec une voiture de courses mais avec une petite berline... Ensuite, on essaye d’intensifier l’utilisation du cheval Barbe en attelage et en dressage. Au Haras de Marrakech, nous travaillons avec le grand dresseur brésilien Carlos Pinto. Il est persuadé que nous pouvons avoir des résultats, avec le cheval Barbe, en dressage. Notre ambition, c’est de prouver aux Marocains, propriétaires de chevaux ou futurs propriétaires, que le cheval Barbe est le cheval d’avenir. En fait, nous mettons en place une pépinière et nous jouons un authentique rôle d’incubateur. Enfin, il ne faut surtout pas oublier la Tbourida, domaine à fort effet de levier pour l’utilisation du barbe.

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RAREMENT UN DIRIGEANT N’A AUTANT FAIT L’UNANIMITÉ. A LA TÊTE DE LA SOCIÉTÉ ROYALE D’ENCOURAGEMENT AU CHEVAL DEPUIS 2009, OMAR SKALLI A RÉVOLUTIONNÉ LA FILIÈRE ÉQUINE ET OFFERT UNE CRÉDIBILITÉ ABSOLUE À LA SOREC. RENCONTRE AVEC UN HOMME INCONTOURNABLE, UN DIRECTEUR DÉVOUÉ À LA CHOSE PUBLIQUE, AU SERVICE DU CHEVAL, CETTE GRANDE MISSION DONT IL A FAIT UNE BELLE PASSION. CASABLANCA (Hippodrome Anfa).SAR le Prince Moulay Rachid, aux côtés d’Omar Skalli, le directeur de la SOREC, ne rate jamais une occasion de montrer l’attachement de la famille royale au cheval.

PHOTO DR


filière équine:: omar skalli La Tbourida est-elle un sport? C’est un vrai sujet et une bonne question. La Tbourida est un art martial mais ce n’est pas encore un sport. Mais on doit pouvoir réussir un bon mélange à l’image du rodéo ou du sumo qui sont des exemples à suivre avec leurs codes, leur valorisation et leur communication. En tout cas, nous souhaitons créer une nouvelle discipline. Aujourd’hui, on ne crée presque plus de sport. C’est donc un vaste challenge pour nous mais c’est aussi une chance unique de pouvoir laisser une empreinte. Il faut préciser que nous travaillons en parfaite harmonie d’ambition avec Cherif Moulay Abdellah, président de la Fédération Royale Marocaine des Sports Équestres (FRMSE). Il croit fermement en ce projet-là. Vos détracteurs estiment qu’il y a un risque de dénaturer la tradition... La tradition n’a jamais été opposée à l’innovation. Nous pouvons apporter une touche aux costumes, étriers, harnachements…, tout en conservant l’âme de cet art ancestral. Notre objectif est de professionnaliser cet Art Equestre traditionnel et de sécuriser les utilisations pour réduire les risques. A titre d'exemple, les cavaliers tirent trop près de leur visage alors que c’est vraiment dangereux, notre rôle est de les sensibiliser aux bonnes techniques de tirs. Ce serait un bon moyen d’attirer les jeunes des villes vers le monde du cheval... C’est même un devoir pour préserver notre patrimoine immatériel. La Tbourida est intimement liée au Maroc, les rivalités locales sont tellement exacerbées... Mais, on est confronté à l’exode urbain. Les jeunes quittent la campagne pour leur carrière professionnelle. Quand ils reviennent au village, ils achètent des chevaux pour se pavaner mais ils n’ont pas le temps de constituer des troupes de Tbourida. La solution, c’est la création de clubs de Tbourida à mi chemin entre les villes et les campagnes. Il faudrait mettre au point un calendrier avec des rendezvous fixes, dans des stades, afin de donner aux touristes une visibilité sur cet art. S’ils ne croisent pas de Moussems, les touristes n’ont aucune chance d’assister à un spectacle de Tbourida... Vous encouragez donc la professionnalisation de la Tbourida. Non, c’est beaucoup trop tôt. Je voudrais proposer la création d’un véritable carrefour du cheval autour des futurs clubs de Tbourida avec des spectacles, des écoles de Tbourida, des foires du cheval avec la valorisation des produits du terroir agricole et du travail des artisans. Ces clubs pourraient être aussi le point de départ de randonnées de tourisme équestre. On doit fédérer tous les acteurs et les convaincre de s’inscrire dans cette démarche-là. Ce projet est tellement ambitieux qu’on ne peut le réussir seul.

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Pouvez-vous esquisser un bilan de votre stratégie de développement du monde des courses? Les courses sont accompagnées de paris qui sont, à l’heure actuelle, la seule source de revenus de toute la filière. C’est donc peu de dire que ce dossier est classé au dessus de la pile. Quand je suis arrivé à la tête de la SOREC, j’ai décidé de faire un état des lieux de nos cinq cents points de ventes. S’ils étaient tous informatisés depuis 2002, la qualité du réseau n’était pas satisfaisante eu égard à nos ambitions et à l’image de la SOREC. Je ne voulais pas avoir un seul café dans notre réseau où nous n’aurions pas envie d’aller passer un bon moment. Le grand écueil, c’était de faire le lien pari, jeu et gargote... Ce n’est ni notre vocation, ni notre destin. Nous avons donc fait un grand effort sur l’hygiène et la propreté de nos points de ventes. Aujourd’hui, souvent, ce sont les meilleurs cafés dans les quartiers. Le Maroc est même un des rares pays en croissance dans le secteur des courses... Aujourd’hui, la SOREC est le douzième opérateur mondial dans le domaine des paris mutuels. En 2009, nous pointions à la seizième place. Si nous profitons également du déclin des autres opérateurs, nous sommes de plus en plus performants dans la qualité technologique de la captation des courses, l’automatisation du fichier des partants ou les contrôles antidopage. Nous faisons aussi beaucoup d’efforts concernant la traçabilité ADN des chevaux à l’aide de puces électroniques, domaine dans lequel nous travaillons avec l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II. Nous sommes aussi très actifs dans le secteur de la formation des commissaires où nous travaillons avec France Galop. C’est un réel investissement mais c’est indispensable pour figurer dans la cour des grands... Désormais, de nombreuses courses, organisées au Maroc, seront diffusées sur Equidia. C’est une belle reconnaissance pour le travail de la SOREC... Nous sommes effectivement très fiers. Désormais, le Maroc est rentré dans le club des pays qui comptent sur la scène des courses hippiques. Du coup, cela donne envie aux éleveurs européens de venir courir, au Royaume. Il y a quatre ou cinq ans, cela n’était pas envisageable. L’augmentation de la fréquence des retransmissions sur Equidia est un bon curseur de notre développement. Mais ce n’est pas le seul. En 2011, une de nos courses, le Grand Prix Mohammed VI, a été, pour la première fois de l’histoire, labellisée groupe 3 au niveau international. Désormais, sept courses sont classées «Blade Type». Avec 600 courses, le Maroc est le second pays le plus important au nombre d’épreuves de pur-sang arabes. Par ailleurs, nous avons créé une journée internationale du pur-sang anglais qui rencontre un vif succès auprès des entraîneurs et propriétaires européens.

Quels leviers pouvez-vous utiliser pour aider les éleveurs marocains à être encore plus performants face à la concurrence? Chaque détail est important dans l’élevage d’un cheval: le premier mois de vie, le premier entraînement. Un cheval, c’est comme un sportif de très haut niveau, il a de très grandes qualités au départ mais il ne deviendra pas forcément une grande star. Par conséquent, nous menons deux actions pour vulgariser les techniques d’élevage. De prime abord, nous organisons des journées portes ouvertes des haras nationaux. Les éleveurs sont alors en contact direct avec des spécialistes reconnus et peuvent échanger sur des thèmes aussi importants que le débourrage, l’éthologie, le croisement, la gestation. De second abord, nous organisons des caravanes de sensibilisation à destination des éleveurs. Nous organisons vingt stations dans tout le Royaume pour aller à la rencontre des éleveurs. Notre caravane se déplace, sous forme de village, traitant de différentes thématiques comme l’alimentation, la reproduction ou la vaccination. Nous réfléchissons également à des actions pour approfondir l’accouplement génétique et travailler sur les meilleurs croisements possibles. Est-ce que vous proposez des formations aux éleveurs? Nous sommes en première ligne dans le domaine de la formation. Nous œuvrons avec l'Office de la Formation Professionnelle et de la Promotion du Travail (OFPPT) et l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II au sein duquel nous allons ouvrir une clinique équine. Ce sera un véritable CHU vétérinaire ouvert aux éleveurs. On a été confronté à un manque de vétérinaires formés et on a dû trouver une solution rapide. Ainsi, nous avons signé des conventions avec des vétérinaires privés dans tout le Maroc au terme de séminaires afin de travailler sur la proximité éleveurs/vétérinaires. Ainsi coiffés du label SOREC, ces vétérinaires ont uniformisé la qualité des soins et les prix pratiqués. Vous êtes également présent aux côtés des éleveurs sur certaines ventes aux enchères... En accord avec les éleveurs, nous achetons des étalons. Nous importons également au Maroc de la semence de bons étalons de pur-sang arabes afin de donner aux éleveurs le maximum de chances lors des saillies d’insémination artificielle. Nos concurrents ont beaucoup d’avance concernant l’élevage. On doit donc rattraper notre retard... En revanche, vous êtes au premier plan dans le domaine de l’élevage de pur-sang arabes... C’est normal car nous avons commencé cette activité dans les années quatre-vingt. Et comme nous organisons 600 courses par an, nous sommes forcément parmi les leaders. u


CASABLANCA (Hippodrome Anfa).- La complicité entre Omar Skalli, Aziz Akhannouch, le Ministre de l'Agriculture et de la Pêche Maritime et Azzedine Sedrati, grand éleveur du Royaume, propriétaire d’une belle écurie de courses, est une des explications de l’essor des courses hippiques au Maroc. Le directeur de la SOREC travaille aussi en parfaite harmonie d’ambition avec Cherif Moulay Abdellah, président de la FRMSE (ci-contre), pour le développement de la Tbourida (ci-dessous).

PHOTOS DR


courses: m’hamed karimine

M’hamed karimine vers les sommets PAR JÉRÔME LAMY (À TIFLET)

FÉVRIER MARS 2016

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’il avait été aviateur, il aurait été commandant de bord. S’il avait été militaire, il aurait été général. M’hamed Karimine a un seul dessein et un unique destin, celui d’être numéro un. Dans sa jeunesse, il s’essaye au basket et force les portes de l’équipe juniors du Maroc aux cotés d’un certain Salaheddine Mezouar. Ancien membre de l’Union Marocaine des Etudiants, il se lance dans la tambouille politique et accroche, dès 1997, la présidence du conseil communal de Bouznika. Il sera réélu à quatre reprises maire de la ville phare de la province de Benslimane, cas unique dans les annales des élections locales du Royaume. «Si je n’avais pas été élu maire, j’aurais démissionné très rapidement du conseil» dit-il. M’hamed Karimine, c’est d’abord une présence, une stature avec ses épaules de joueurs de rugby, un charisme, une poignée de main bien franche. C’est un peu la main de fer dans un gant de velours. M’hamed Karimine n’a jamais avancé masqué ou étouffé ses ambitions. Ce n’est pas le genre de la maison. «Si je suis numéro 2, je ferme les écuries» lance-t-il. «Je suis têtu et je vais aller beaucoup plus loin...» Originaire des terres de Tnine Chtouka, celles de son papa Ahmed, véritable berceau des courses de chevaux entre Casablanca et El Jadida où sa maman, Fatima, a grandi, M’hamed a toujours vu très loin et très grand.Quand son père est une référence comme producteur animal et végétal (ovin et bovin, huile d’olive et céréales notamment), M’hamed s’imagine dans le monde de la pharmacie. Diplôme en poche, il rentre en 1988, alors âgé de 30 ans, au Maroc où il n’ouvrira jamais d’officine. Le décès prématuré de son papa l’oblige à reprendre l’affaire familiale.

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La lourdeur de la succession le contraint non seulement à renoncer à la pharmacie mais aussi à fermer l’écurie de courses dont son père, président de la société des courses de Casablanca, avait fait sa grande passion. Mais M’hamed est épris des chevaux. C’est un fervent. Il reprend naturellement le chemin des écuries. En 2009, il décide d’élever une poulinière de barbes et arabe-barbes, à Bouznika. Tamin, un barbe, devient même champion du monde avant d’être vendu à la SOREC pour devenir un étalon. En 2010, Ahmed Bentouhami, directeur général de l’Office National de Sécurité Sanitaire des produits alimentaires, le traîne chez Azzedine Sedrati. «Mon ami Ahmed a acheté une poulinière, moi deux...» dit M’hamed, l’excessif. «C’était mon premier contact avec les chevaux de courses» . Ce ne sera pas le dernier. En 2013, Fatima, la maman souffrante, exprime à son fils sa nostalgie des chevaux de courses et lui souffle à l’oreille l’idée assez folle de reprendre la casaque du papa. «En voulant lui faire plaisir, je me suis fait plaisir» résume-t-il. M’hamed prend la direction de la SOREC où il réserve une casaque orange avec une toque citron. Sa requête est déclinée. Ces couleurs appartiennent à un certain Ahmed Karimine, feu son papa. «Une toque appartient à son propriétaire à vie» explique M’hamed qui a obtenu gain de cause en déclinant son identité. Porté par la fierté de faire vivre la mémoire de son papa, il signe son entrée dans le monde des courses. Et si cette démarche relève d’une motivation affective et de la fidélité à une histoire familiale, elle est néanmoins le résultat d’une vraie réflexion nourrie par la présence d’Omar Skalli à la tête de la SOREC et par la vision de développement de ce dernier. «J’ai mis les pieds dans le milieu des courses à un excellent moment» confirme-t-il. «Omar Skalli avait eu le temps d’affiner sa stratégie pour diriger la SOREC et développer le secteur des courses. Il a fait un travail exceptionnel. Nous sommes passés d’un amateurisme moderne à un professionnalisme jusqu’au bout des ongles. La SOREC a fait ce qui n’a jamais été fait pendant 50 ans. Cette équipe, que j’appelle la dream team, est dans une logique de développement et d’accompagnement de développement. En tout cas, le talent d’Omar Skalli est évident. C’est un super manager, un homme de dialogue.»

Pour l’instant, c’est la filière équine qui en profite et notamment le domaine des courses que M’hamed Karimine a beaucoup analysé. Il ne lui a pas échappé que l’élevage était l’alpha et l’omega de la réussite d’une écurie. «Pour réussir, il faut produire» dit-il. «Comme je possède une certaine expertise dans le domaine des ovins et bovins, l’élevage ne m’a jamais fait peur.» Doux euphémisme, au contraire, ça le passionne. M’hamed avance dans le monde des courses sur deux jambes. Avec la première, il achète sur le marché français pour être compétitif à court terme. Avec la seconde, il travaille son propre élevage, à Bouznika où il possède un centre d’insémination artificielle très moderne et prépare des lendemains qu’il annonce chantants. Il est passé de 30 poulinières, il y a 3 ans, à 200 aujourd’hui ! Grand spécialiste des ressources humaines, il sait aussi s’entourer pour mieux déléguer notamment auprès de Simohamed, son indispensable homme de confiance. «Je travaille avec les meilleurs» dit M’hamed. «Hassan Mousli, éleveur français d’origine syrienne, est un des mes collaborateurs de grande valeur. Hassan détient la meilleure génétique du pur-sang arabe. Acheter un cheval chez Hassan Mousli, c’est unique et inaccessible. Il vend seulement à l’Emir du Qatar, de Dubaï ou de Bahreim. Je suis son seul client normal.» Karimine, normal? Pas exactement l’idée qu’on a eu après la visite de son centre d’entraînement assez exceptionnel dans la région Tiflet. Pour trouver l’écurie Karimine, il faut quitter l’A2, à hauteur de Tiflet et prendre la N6 en direction de Khemisset. Après quelques kilomètres pittoresques, il faut s’enfoncer dans la somptueuse forêt d’eucalyptus qui s’étend sur 2000 hectares. Là, point de route goudronnée, juste une piste de campagne qui pourrait décourager les moins téméraires. «Je ne suis pas sûr d’aménager la piste car ce lieu n’est pas un camp de vacances et n’a pas vocation à accueillir des visiteurs» dit-il. «L’important, c’est le bien-être du cheval.» Ils sont au paradis. Outre le calme apaisant et le bienfait des senteurs d’eucalyptus qui purifient les poumons avec la chaleur, ils bénéficient de 106 boxes, d’un marcheur de huit places, d’un marcheur dans l’eau et de quatre pistes uniques d’entraînement de 2000 à 2500 m. «Si on remplace les eucalyptus par des pins, on est à Chantilly...» u


TIFLET (Écuries d’entraînement Karimine).«Si je suis numéro 2, je ferme les écuries» lance M’hamed Karimine pour mesurer son ambition. «Je suis très têtu et je vais aller très loin...»

M’HAMED KARIMINE EST ENTRÉ DANS LA LUMIÈRE APRÈS AVOIR REPRIS LA CASAQUE DE FEU SON PÈRE AHMED EN 2014. EXPLICATIONS D'UNE TRAJECTOIRE ÉBOURIFFANTE ET STUPÉFIANTE... «SI JE SUIS NUMÉRO 2, JE FERME LES ÉCURIES» LANCE-T-IL.

PHOTO M’HAMED KILITO


courses: kamal daissaoui

La saga Daissaoui DANS L’ÉCURIE DAISSAOUI, IL FAUT COMPTER AVEC TROIS CASAQUES, CELLE DE KAMAL, CELLE DE SON ÉPOUSE RACHIDA, SUR LES CHAMPS DE COURSES DEPUIS DEUX SAISONS, ET LA DERNIÈRE, CELLE DU FISTON, OMAR. GRAND ÉLEVEUR MAROCAIN, KAMAL DAISSAOUI A RENOUÉ LE FIL DE SES ORIGINES DE OULED HADDOU ET DE SA PASSION ANCESTRALE DU CHEVAL.

PAR JÉRÔME LAMY (À BIR JDID)

FÉVRIER MARS 2016

K

amal Daissaoui sait faire la différence entre ses deux passions: la politique et le cheval. «La politique, c’est une manière de permettre à mes rêves d’étudiant de survivre au temps qui passe» dit-il simplement. «C’est purement magnanime, tourné vers les autres alors que le monde des courses m’offre des joies plus personnelles, plus intenses, plus familiales, plus claniques, plus passionnelles.» La passion du cheval, c’est à Ouled Haddou, à Casablanca où il est né en 1955, qu’il l’a contractée. «La tribu des Haddaouis est réputée pour son amour du cheval» précise Kamal. «Et comme le dit une chanson populaire, chaque Haddaoui doit avoir un cheval.» Kamal aura attendu de nombreuses années pour être à la hauteur des incantations populaires. Ça lui aura laissé le temps d’être digne des ambitions et des espoirs que son papa Bouchaïb, postier de métier, et sa maman Aïcha plaçaient en lui. Car le petit Kamal a très vite montré beaucoup de dispositions pour les études et les mathématiques. «On dit que les Marocains sont forts en mathématiques; je ne sais pas si c’est vrai, toujours est-il que j’ai été matheux» confie Kamal dont le physique sérieux et les petites lunettes cerclées sur le nez ne lui permettent pas de tromper son monde. Après un bac scientifique au Lycée Moulay Abdellah, à Casablanca, en 1973, il s’envole pour ClermontFerrand où il réussit brillamment son deug à la fac de sciences. Il en profite pour goûter la chaleur humaine des Auvergnats et tâte du ballon rond, lui, le Wydadi pur jus, au Clermont Foot.

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Après un crochet par une licence informatique à Toulouse où il croisera la route d’un étudiant docteur en chimie, Tariq Kabbage, l’ancien maire d’Agadir, il termine son expérience française, à Nice. Sur la Riviera, il devient le premier marocain docteur es-sciences informatique. Chercheur universitaire en informatique à l'Université de Nice-Sophia, il donnera des cours trois années durant de 1980 à 1982. Il rentrera ensuite au Maroc, à Casablanca, à l'Ecole Hassania des travaux publics pour y enseigner sa matière favorite jusqu'en 2005. Il avait trop de talent et d’énergie pour s’en contenter. En 1986, il fonde, avec des enseignants chercheurs, l’Ecole Marocaine de Sciences de l’ingénieur (EMSI) qu’il préside aujourd’hui. La première antenne est lancée à Casablanca, en 1986. Suivront l’EMSI Rabat, en 1996 et la petite dernière, née en 2006, à Marrakech. C’est d’ailleurs là que nous l’avons rencontré pour parler de son addiction au cheval qui n’est pas beaucoup plus ancienne. A la mort de son père, feu Bouchaïb, en 2003, Kamal a engagé une réflexion sur l’avenir de la ferme familiale, située à Bir Jdid, village verdoyant, équidistant de Casablanca et El jadida, surnommé la Normandie du Maroc. «Mon père élevait des vaches, et moi, je ne sais pas faire» confie Kamal. Pour renouer le fil de ses origines, Kamal a décidé d’assumer sa passion ancestrale du cheval à Bir Jdid, une des capitales du cheval avec ses terres sablonneuses propices à l‘éclosion des meilleurs jockeys du Royaume. Kamal ne s’est jamais engagé à moitié, ni dans ses études, ni dans sa vie professionnelle. A Bir Jdid, au Haras de l’Atlas, situé entre la forêt et la mer, il a mis les petits plats dans les grands. Pas pour lui ou son égo, son bureau étant pour le moins sommaire derrière le poste de procréation artificielle, mais pour ses cent chevaux qu’il surveille comme la prunelle de ses yeux à l’image des champions Cobalt de Carrere ou Djouldia de Faust, installés au calme, dans un box à droite, après l’entrée. Et s’il plonge dans le monde des courses, ce sera la tête la première. En 2009, il achète sa première jument pour commencer l’élevage. Il se documente sur la généalogie, les croisements, l’arborescence des chevaux. «C’est passionnant» assure-t-il. «Et je peux même dire que c’est très scientifique.»

Rien d’étonnant donc que Kamal flirte avec l’excellence. Dès sa première vente aux enchères Arcana, à Deauville, toujours en 2009, il tire le gros lot. La chance s’appelle Rudy des Viallettes, pur sang arabe acheté à Bertrand de Watrigant. Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître. Le fils de l’illustre Dormane et de Hourmane des Vialettes donnera beaucoup de bonheur au clan Daissaoui avec une première victoire pour son premier engagement à Rabat et deux secondes places, lors du mythique GP Mohammed VI (2010 et 2011). La saga Daissaoui peut commencer. Kamal ne regrette pas son cheminement naturel vers les courses. «Les performances de Rudy des Vialettes nous ont donné envie d’acheter encore, et c’est l’engrenage...» avoue Kamal. «Dénicher un bon cheval, une perle rare, c’est beaucoup de chance et un peu de savoir-faire» . L’inverse est également vrai. D’autant que Kamal peut compter sur l’aide de ses fils Mehdi pour l’élevage et Mohammed (25 ans), qui, avant de s’envoler pour suivre un MBA aux Etats-Unis, accompagnait son paternel aux ventes aux enchères, en France. «Il faisait beaucoup de statistiques sur internet notamment sur les procréations de la mère» précise Kamal. «En tout cas, je leurs dois une fière chandelle.» Le clan de Bir Jdid assume sa différence jusque dans le nombre de casaques. Dans l’écurie Daissaoui, il faut compter avec trois casaques, celle de Kamal, bien sûr, engagée depuis six ans, celle de son épouse Rachida, sur les champs de courses depuis deux saisons, et la dernière, celle du fiston, Omar, étudiant en master logistic. Pour la petite histoire, c’est Rachida qui a remporté le Grand Prix Moulay El Hassan, en 2014, sur Aristote du Croate, casaque blanche à étoiles rouges, en coiffant sur le poteau Udallan, casaque rouge à étoiles blanches, dont le propriétaire n’est autre... que son mari Kamal. Car Kamal n’a pas fait le grand saut tout seul: Rachida lui a tenu la main, bien fort. L’élégante Rachida et le brillant Kamal forment un couple fusionnel, en politique comme aux courses. Elle l’a suivi, soutenu et encouragé dès la première heure. «Lors des ventes aux enchères, elle ne m’a jamais dit ‘ n’achète pas trop’» sourit Kamal. «Le fait de ne rien dire est un début de complicité, non? En revanche, je ne sais pas où mon épouse a attrapé le virus du cheval... u


BIR JDID (Haras de l’Atlas).L’élégante Rachida et le brillant Kamal forment un couple fusionnel, en politique comme aux courses. Elle l’a suivi, soutenu et encouragé dès la première heure. «Lors des ventes aux enchères, elle ne m’a jamais dit ‘ n’achète pas trop’» sourit Kamal. «Le fait de ne rien dire est un début de complicité, non?»

PHOTO ABDOU MOKTHARI


courses: ismaïl nassif

Ismaïl Nassif, le sage PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ DES COURSES DE CASABLANCA ET PROPRIÉTAIRE D’UNE ÉCURIE, ISMAÏL NASSIF VÉHICULE UNE IMAGE NOBLE ET ÉLÉGANTE DES HIPPODROMES. DÉPOSITAIRE DE L’HISTOIRE SÉCULAIRE DES COURSES MAROCAINES, IL A AUSSI UNE VISION D’AVENIR QUI PÈSE DANS LA FILIÈRE ÉQUINE.

PAR JÉRÔME LAMY (À MOHAMMEDIA)

OCTOBRE NOVEMBRE 2016

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ous n’allez pas me faire rater ma partie de golf!» Ismaïl Nassif avait été clair. On ne touche pas au sacré. C’est donc après un de ses parcours quotidiens sur les greens du Royal Golf de Mohammedia que nous l’avons rejoint pour parler de sa vie et des courses de chevaux. Ça tombe bien, les deux sont liées chez cet homme à la sagesse infinie, président de la société des courses hippiques de Casablanca, qui ne compte pas les heures passées dans son bureau du quartier des Roches Noires de la Capitale économique, celui de sa société d’importation de bois, Ismawood. La sagesse est d’ailleurs le mot qui qualifie le mieux celui qui vient de franchir la cap de huit décennies. C’est aussi le mot qui revient le plus souvent dans la bouche de ceux que nous avons interrogés à son sujet. C’est Ahmed Tariq, éleveur et propriétaire d’une écurie de courses, qui résume le mieux le sentiment général. «Ismaïl Nassif est le grand sage des courses marocaines» précise-t-il. «Il va aux courses d’une manière noble, très rare aujourd’hui. C’est un gentleman. Il fait preuve d’élégance, de sportivité. Il aborde les courses pour satisfaire son amour des chevaux et non pour rentabiliser un investissement.» Déjà, lorsqu’il pratiquait le tennis au Racing Universitaire de Casablanca, seul le plaisir comptait. «Je n’ai jamais cherché à atteindre un classement» confirme-t-il. En abandonnant les balles de tennis pour les petites balles de golf, il changera un peu son fusil d’épaule, jeu de mots assez facile pour un homme qui voue également une passion séculaire à la chasse. Il compilera quelques tournois, le temps d’atteindre un handicap 15. Mais ça lui passera vite.

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En revanche, la passion des chevaux est venue très tôt dans sa vie. Elle n’est jamais partie. Plongé dans son passé joyeux, Ismaïl Nassif nous parlera de sa naissance dans la médina de Marrakech, Derb Habib Allah, dans le beau quartier Mouassine. Il nous parlera de son enfance dans les 700 hectares de la ferme familiale de Safi où il a appris à monter les chevaux à cru «en s’accrochant à la crinière» précise-t-il. De Haj Bouchaïb, ce père agriculteur, il attrape le virus de la nature surtout que le décès précoce, sur la route d’Essaouira, de ce frère aîné trop vite parti l’a rapproché de son papa et de ses activités. Et éloigné de l’école. Du coup, il ne quittera Safi qu’à 27 ans pour poser ses valises à Casablanca en 1961. Après une expérience réussie dans une société d’Etat, il se lancera avec succès sur le chemin escarpé de l’entreprenariat dans le domaine du bois. Fondateur de COMAR Bois - dont il est toujours actionnaire et qu’il dirigera jusqu’en 2002-, il connait aujourd’hui de jolis résultats à la tête de son dernier bébé Ismawood.. Entre le bois et les chevaux, il s’est toujours partagé. Et regrette que la seconde activité ait souffert de son implication dans la première. Surtout quand les mêmes employés passaient d’une structure à l’autre et pouvaient semer le désordre partout, au gré des humeurs et des conflits. Ismaïl ne compte plus les fois où il a dû rebâtir un élevage, reconstruire les écuries, repartir de zéro avec du nouveau personnel. «Ça fait partie du charme, de l’histoire d’une vie» dit celui qui est venu aux courses par hasard. Car, si ses filles Nadia et Ghizlane s’adonnaient aux sauts d’obstacles - Nadia fut même championne du Maroc cadettes - rien ne le prédestinait à fréquenter les champs de courses. C’est un ami, M. Membrives, propriétaire de quelques chevaux, qui le motive à acquérir son premier arabe-barbe, Voix lactée. Surtout, il lui présente Pierre Pélissard, propriétaire, grande figure des courses marocaines. Le courant passe si bien qu’Ismaïl achète quatre juments à Pélissard. Sans écurie, il s’associe avec le propriétaire d’une ferme à Sidi Bettach, près de Ben Slimane. Mauvaise pioche, les trois-quarts des chevaux sont frappés de septicémie.

Il finira par louer une ferme à Bouskoura et transfère la dernière jument. «Je m’en souviens comme si c’était hier» confie-t-il avec émotion. Il se rend à Ivry où il achète deux chevaux SaintEpain et Scoumoune, qui porte mal son nom, puisque l’écurie Nassif gagne ses premières courses. Et une marque de fabrique : celle du pur-sang anglais, qui fait battre le cœur d’Ismaïl Nassif. «Je sais que tout le monde n’est pas d’accord avec moi mais je n’aime pas importer» confie celui qui voue une reconnaissance infinie à Feu Sa Majesté le Roi Hassan II. «C’est Sa majesté qui a montré la voie pour les courses de chevaux de pur-sang anglais» dit-il. «Lyazidi était également très présent. Moi, modestement, j’ai essayé de suivre le mouvement.» Il fera mieux que ça. Il gagnera beaucoup de courses «mais pas de Grand Prix» précise-t-il. Il sera même élu Président de l’Association Marocaine des pur-sang anglais. Il l’est d’ailleurs toujours à la tête d’un mandat où il n’a eu de cesse de promouvoir le développement de l’élevage. «Le regretté Jean-Pierre Laforest, ancien directeur du Haras Royal m’a beaucoup aidé» glisse-t-il. Surtout, il a pris la succession de Feu Ahmed Karimine - le père de M’hamed - à la présidence de la société des courses de Casablanca. «Avec Feu Ahmed, nous avons essayé de faire bouger les choses» se souvient Ismaïl. «Nous avons notamment construit la grande tour sur l’hippodrome de Casablanca-Anfa ainsi que les installations pour les paris. Pour être sincère, je suis assez nostalgique de cette époque. Quand je vois M’Hamed Karimine aux courses, j’ai l’impression de revoir son papa. C’est son portrait craché. Il est aussi droit que lui. Et surtout, il est aussi fonceur que lui... » Ismaïl Nassif a moins d’ambitions. Avec son écurie de cinquante chevaux basés à Casablanca, il vise seulement les premières places sur le podium du plaisir. «Je n’ai presque rien acheté, c’est ma fierté» avoue-t-il. «90% de mes chevaux sont nés et élevés chez moi...» Son entraîneur est aussi un produit du cru. Larbi Charkaoui était apprenti chez le mentor d’Ismaïl, Pierre Pélissard. «Larbi est bien chez moi, je ne lui mets pas beaucoup la pression» rigole Ismaïl. «C’est surtout une manière de donner un sens à l’histoire». u


PHOTOS DR

CASABLANCA (Hippodrome Casablanca-Anfa).Ismaïl Nassif, qui salue avec révérence SAR le Prince Héritier Moulay El Hassan lors de l’inauguration du Grand Prix Sa Majesté le Roi Mohammed VI, en 2014, voue une reconnaissance infinie à la famille royale et à Feu Sa Majesté le Roi Hassan II. «C’est Sa Majesté qui a montré la voie pour les courses de pur-sang au Maroc» dit-il. Il affiche également une proximité et une complicité avec Omar Skalli (médaillon, ci-dessus), le Directeur Général de la SOREC.


courses: ahmed tariq

Ahmed Tariq, thérapie cheval PAR JÉRÔME LAMY (À MARRAKECH)

JUILLET AOÛT 2018

L

es uns à Bir Jdid, les autres à Khemisset et Ahmed Tarik, seul à Marrakech: voilà une photographie instantanée de la carte des propriétaires de chevaux de courses marocaines qui colle à la réalité. Celle de Ahmed Tarik ne doit rien au hasard. S’il cultive sa différence dans la Ville Ocre, c’est parce que son papa, Mustapha, grand serviteur du Royaume, a été un gouverneur de Marrakech très respecté entre 1974 et 1986, une longévité de 12 ans qui constitue un record inégalé pour pareille fonction. Parler de Mustapha Tarik, ce n’est pas seulement évoquer sa carrière administrative, son passage remarqué au Ministère de l’intérieur où il géra les affaires sahariennes ou sa distinction comme Officier de la légion d’honneur décernée par l’ancien Président de la République Française Valéry Giscard d'Estaing, en 1981, pour ses actes de bravoure lors du tremblement de terre d’Agadir, en 1960, c’est aussi se plonger dans le monde des courses marocaines des années 1970. A cette époque, si quelques éleveurs français essayent de tirer leur épingle du jeu, ce sont le Haras Royal Les Sablons et l’écurie Tarik qui affichent une domination sans contradiction sur les courses du Royaume. «Mon père a remporté tous les Grands Prix» confirme Ahmed Tarik sans masquer une pointe d’admiration. Ahmed tariq n’avance pas semblables ambitions. A lui la passion, aux autres la pression. «Le stress, c’est pour mon frère» glisse Ahmed dans un sourire. C’est en effet Driss, Président de l’Association des chevaux anglo-arabes au Maroc, qui a repris le damier jaune et noir de l’écurie familiale, nommée Belfakir. «Depuis le décès de mon père, ma maman Zoubida se tient éloignée des courses» confie Ahmed.

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Il a retrouvé le chemin des écuries après une longue maladie qui a failli l’emporter. Ahmed Tariq a subi une laryngectomie (ablation totale du larynx) en septembre 2013. Il avait le choix entre la voix et la vie. Il a choisi la vie. Surtout, Ahmed a décidé de vivre avec les chevaux. Deux ans, presque jour pour jour après son opération, il lance son écurie à la casaque verte et aux épaulettes blanches. Il l’installe à Marrakech, route de l’Ourika (km 10), au sein d’une maison d’hôtes éponyme. Il a perdu quarante kilos avant l’opération. Aujourd’hui, il en a repris vingt. Il a retrouvé la parole. Il a d’abord appris à parler aux chevaux avec les yeux avant de causer avec les hommes par le ventre. «Parler aux chevaux a été ma meilleure thérapie» dit-il. Pour parler avec l'oesophage, il faut avaler de l'air et le sortir pour émettre des sons comme un ventriloque. «Et j’ai progressé ensuite syllabe après syllabe» dit Ahmed qui parle surtout si joliment avec les yeux dont la pureté du regard rappelle celui d’un enfant ébahi par le monde. La tumeur est un lointain souvenir. «Le cheval m’a sauvé la vie» dit-il pudiquement. «Après l’opération, j’ai perdu ma voix. Du coup, professionnellement, je ne pouvais plus assumer les mêmes responsabilités» poursuit celui qui fut le plus jeune directeur de banque au Maroc, en 1993, au sein du réseau Wafa Bank et qui dirigea une grande société de bois. Ahmed profite de chaque instant. «Je voulais construire une écurie à taille humaine, guidé par la passion et le bonheur de participer, être là au milieu des éleveurs et propriétaires» assure-til. «Même si je ne gagne pas, au moins j’assiste aux courses. C’est ça le plus important.» Aujourd’hui, Ahmed Tarik a trouvé sa voie, à Marrakech, dans la promotion immobilière et dans le secteur du tourisme où le Domaine Tarik, qui s’étend sur 20 hectares, route de l’Ourika, entre les orangers, les oliviers, les écuries et les neuf suites (de 25 à 70 m2), commence à se tailler une jolie réputation. Mais c’est dans le monde des courses qu’il puise sa respiration de bonheur à l’image d’un merveilleux doublé réalisé, en juin 2017, dans un Groupe B réservé aux pur-sang arabes avec la victoire de Danakil et la seconde place de Chahine. Voilà pourquoi le cheval a été la meilleure rédemption pour Ahmed Tarik. Loin de ses démons de jeunesse et sa vie de jet-setteur.

C’est aussi le fil d’une histoire familiale qui se noue. Le papa Mustapha Tariq fut orphelin à l’âge de sept ans. C’est son grand-père Bouchaïb, éleveur de la région d’El Jadida, qui lui a inoculé la passion du cheval. Et aujourd’hui, ce sont les frères Ahmed et Driss qui perpétuent la tradition familiale. «L’élevage, c’est dans les gènes» confirme Ahmed dont l’écurie, située au km10 route de l’Ourika, compte une quarantaine de montures entre les chevaux d’élevage et les chevaux de courses. «Mes premiers poulains anglo-arabes commenceront à courir en janvier 2019. Ce sera un moment fort dans ma carrière. Et je viserai le podium. Je me suis lancé un grand défi : prouver qu’il est possible d’élever des pur-sang anglais et des angloarabes, à Marrakech. Personne ne l’a fait.» Exception dans le monde des courses, Ahmed Tarik cultive sa différence. Mais l’inauguration de l’hippodrome de Marrakech a changé son quotidien et l’autorise à espérer passer du rêve à la réalité. «Avant, j’entraînais mes chevaux dans mon domaine sur une piste labourée» précise Ahmed. «Désormais, quatre fois par semaine, les chevaux vont courir à l’hippodrome. Ils bénéficient aussi d’une meilleure récupération.» Il faut savoir que l’histoire de l’hippodrome de Marrakech est aussi intimement liée à celle de son papa... Feu Mustapha, grand visionnaire, avait très vite imaginé, dès le début des années 1980, que l’hippodrome de Marrakech pourrait devenir un incroyable centre d’entraînement international pour les écuries européennes. Aujourd’hui, c’est son fils Ahmed qui reprend le flambeau de ce combat. «En hiver, il fait si froid en Europe, que les chevaux peuvent difficilement sortir s’entraîner» dit Ahmed. «On possède des infrastructures hôtelières exceptionnelles à Marrakech.» Ahmed Tarik ne manque pas d’idées. Et croit à la théorie du ruissellement. «La venue d’écuries européennes donnerait envie à nos jeunes éleveurs marrakchis de se lancer dans le monde des courses et relèverait le niveau de l’hippodrome de Marrakech» lance Ahmed. Il a une autre marotte dont il fait également un combat militant: les courses en nocturne à Marrakech. «C’est une chance incontestable d’attirer un nouveau public vers les courses» s’enflamme Ahmed qui veut placer Marrakech sur la carte des grandes destinations de courses. u


MARRAKECH (HIPPODROME).Installé sur une butte qui domine l’hippodrome de Marrakech, Ahmed Tarik fait un rêve: l’avènement des courses en nocturne à Marrakech. «C’est une chance incontestable d’attirer un nouveau public vers les courses» s’enflamme Ahmed.

HOSPITALISÉ EN 2013, PRIVÉ DE LA VOIX SUITE À UNE GRAVE MALADIE, AHMED TARIK A MONTÉ UNE ÉCURIE DE COURSES, DEUX ANS PLUS TARD POUR SOURIRE À NOUVEAU À LA VIE. A MARRAKECH, LOIN DE LA CONCURRENCE, IL CULTIVE SA DIFFÉRENCE. IL HONORE AUSSI LE SOUVENIR DE SON PAPA MUSTAPHA, GRAND SERVITEUR DU ROYAUME ET FIGURE EMBLÉMATIQUE DES COURSES DANS LES ANNÉES SOIXANTE-DIX. ET SURTOUT, CET HOMME RAFFINÉ MISE SUR LE FUTUR RAYONNEMENT INTERNATIONAL DE L’HIPPODROME DE MARRAKECH.

PHOTO ABDOU MOKTHARI


courses: zineb briouil

Zineb Briouil brûle les étapes PAR MARYEM LAFTOUTY (À RABAT)

AVRIL MAI 2017

L

a filière équine marocaine ne pouvait rêver meilleure ambassadrice. En fait, Zineb Briouil, la jeune jockey révélation de l’année 2017, est une publicité grandeur nature. Avec son sourire et ses succès, elle est le symbole de la qualité du travail de la SOREC dans le développement de la filière équine et dans la valorisation des métiers du cheval. Plus qu’un métier, jockey est une vocation pour Zineb Briouil. C’est Bouchra Marmoul, première femme à pratiquer ce métier d’hommes, qui a ouvert la voie. Zineb a suivi le mouvement. Elle l’a amplifié. Elle ne s’est pas contentée de pratiquer un sport d’hommes: elle les a battus plusieurs fois. Avec l’art et la manière ! Aussi paradoxal que cela puisse paraître, son premier exploit n’est pas une victoire mais une cinquième place, au GP Moulay El Hassan, lors du Meeting international des courses de pursang, sur Alranger, en novembre dernier. Quand on l’a rencontrée, la jeune femme était encore auréolée de ses succès pour l’écurie Lyazidi, à Casablanca, sous un déluge dantesque, sur Bouderra ou à Meknès, sur Aïn Aouda et pour l’écurie Sedrati, à El Jadida, sur Il Wala, lors d’une épreuve réservée aux jeunes jockeys et apprentis. «Son secret, c’est le courage et la persévérance» a confié son entraîneur, David Bouland, responsable de la formation des jockeys à l’Institut National du Cheval Prince Héritier Moulay El Hassan.

#72

Zineb, qui a intégré l’Institut comme soigneuse d’équidés, n’a rejoint l’école de jockeys que lors de sa deuxième année. En juin, elle finira son cursus et deviendra ainsi la première femme jockey diplômée ! «Zineb a un contact inné avec le cheval, qui lui permet de bien maîtriser sa monture» dit David Bouland. «Une fille est naturellement beaucoup plus douce avec un cheval, ce qui augmente le rapport de confiance entre les deux. La monture devient plus facile à manier. Elle se démarque par son acharnement et son refus de l’échec face à des adversaires de sexe opposé plus aptes physiquement.» En tout cas, Zineb Briouil, dont le modèle est Jawad Khayat, est assurément la révélation de l’année 2017. Très sollicitée par plusieurs écuries, Zineb maintient sa confiance à l’écurie Lyazidi qui lui a donné sa chance et à son propriétaire, Harb Lyazidi qui la considère comme sa fille. Normal, Zineb est née en 1998, à la ferme Lyazidi, sur la route de Aïn Aouda, à Rabat où son père, M’Barek, travaille depuis son plus jeune âge. Cadette d’une famille de quatre filles, elle suit les traces de son père, lui-même ancien entraîneur... de sauts d’obstacles et dont le frère Bou Amer a terminé avec succès une carrière de jockey de 12 ans, en Arabie Saoudite. Chez les Briouil, le cheval n’est pas une passion, c’est un héritage qu’on se transmet. «J’ai commencé à monter à l’âge de 9 ans» dit Zineb. «Mon père m’a appris de la façon la plus naturelle. Puis j’ai récolté les fruits d’une expérience de longues années passées à entretenir et à entraîner les chevaux». Au début de sa carrière, Zineb était spécialiste de sauts d’obstacles. «Mon père a été mon premier entraîneur» dit celle qui reçoit, à neuf ans, le «premier degré», décerné par SAR Feu la Princesse Lalla Amina, diplôme que Zineb conserve fièrement comme un premier passeport dans le monde du cheval. «Zineb a grandi entre les chevaux» confie le papa. «Il est presque naturel que la relation entre ma fille et l’animal soit si exceptionnelle. J’ai encouragé Zineb à devenir jockey. Elle m’a toujours dit qu’elle était le garçon de la maison et qu’elle pouvait faire les choses tout aussi bien qu’un homme».

Elle fait même mieux, semant la terreur dans les stalles de départ et faisant taire les mauvaises langues. «Au début, avant chaque course, en préparant ma monture aux côtés de mes adversaires masculins, j’entendais : ‘Ce n’est qu’une fille, elle ne pourra pas gagner’» avoue Zineb avec le sourire. «Il fallait que je leur prouve qu’ils avaient tort, et qu’une fille peut tout aussi bien monter à cheval qu’un garçon. J’ai puisé une partie de ma force dans ces commentaires pour relever le défi.» Elle ne voyait pas que le papa, lui, baissait la tête. «J’avais tellement peur pour Zineb que je fermais les yeux quand je la voyais dans les boîtes de départ» confie M’Barek qui a toujours dit à sa fille qu’elle serait une excellente jockey. Aujourd’hui, il ouvre les yeux et compte les victoires. Surtout, c’est lui qui entraîne sa fille quand elle ne suit pas les cours de David Bouland, à l’INC Prince Héritier Moulay El Hassan, c’est à dire une semaine sur deux. «Ce n’est pas plus dur d’entraîner sa fille» précise M’Barek, devançant la question. «Au contraire, un seul regard suffit pour se comprendre.» En tout cas, Zineb met tous les atouts de son côté. Quand elle n’est pas à cheval, elle travaille sa condition physique. Elle court trente minutes après chaque entraînement, sous les encouragements de son papa, soit seule, soit en tenant un poulain. Elle pèse entre 39 à 40 kg et veille à ne jamais dépasser cette barrière. «Il faut garder le poids» ditcelle qui n’oubliera jamais sa première victoire, en 2015, sur l’hippodrome Souissi, à Rabat où elle s’entraîne en alternance avec la Ferme Lyazidi et sa piste de 1200 mètres. Elle n’oubliera jamais non plus un accident à Khemisset qui continue à la hanter. «Ma jument était très nerveuse» se souvient-elle. «Elle refusait que je la monte. En avançant vers les couloirs, elle a marché sur une pierre et s’est fracturé la jambe. Je m’en suis toujours sentie coupable. Je m’étais même juré de ne plus remonter. J’ai refusé les entraînements pendant 15 jours». Heureusement, l’aide psychologique d’un père bienveillant a prolongé l’aventure équine de la jeune fille. Pour le plus grand bonheur des amoureux des courses marocaines.... u


APPRENTIE JOCKEY À L’INSTITUT NATIONAL DU CHEVAL PRINCE HÉRITIER MOULAY EL HASSAN, ZINEB BRIOUIL EST LA GRANDE RÉVÉLATION DES COURSES MAROCAINES. LA PETITE PROTÉGÉE DE L’ÉCURIE LYAZIDI N’A PAS ATTENDU DE DEVENIR LA PREMIÈRE JEUNE FEMME DIPLÔMÉE POUR S’IMPOSER DEVANT LES MEILLEURS JOCKEYS DU ROYAUME.

PHOTO DR

CHANTILLY (FRANCE).En lever de rideau du mythique Prix de Diane 2018, Zineb Briouil s’est adjugée Les Longines Future Racing Stars. Pour sa première monte en France, la nouvelle star a réussi un exploit retentissant en s’imposant sur Beaupréau (Mr Sidney)


courses: abderrahim faddoul

Faddoul, la référence LANCÉ PAR JEAN DE ROUALLE ET FORMÉ PAR PASCAL BARY, ABDERRAHIM FADDOUL EST LE MEILLEUR JOCKEY MAROCAIN DU MOMENT. ET UNE DES ATTRACTIONS DES COURSES HIPPIQUES AU ROYAUME. « IL EST TRÈS GÉNÉREUX ET TRÈS DÉTERMINÉ. PLUS IL AFFRONTERA LES MEILLEURS JOCKEYS EUROPÉENS, PLUS IL PROGRESSERA » CONFIE PASCAL BARY.

PAR JÉRÔME LAMY (À RABAT)

JUIN JUILLET 2016

I

l flotte comme une atmosphère de banlieue chic sur Hay el Fath, un quartier paisible du Sud de Rabat, lové à six kilomètres du centre ville de la capitale marocaine. Il faut descendre la route côtière en direction de Harhoura, et tourner le dos à l’océan, en prenant à gauche, à hauteur du grand rond-point de Hay el Fath. C’est là qu’Abderrahim Faddoul, le jockey marocain le plus en forme du moment, premier choix de l’écurie Jalobey Racing, l’une des écuries les plus en vue du Royaume, nous avait donné rendez-vous. On a remonté, en sa charmante compagnie, l’avenue Hay el Fath sur quelques centaines de mètres que nous avons volontiers parcourus à pied, tant le quartier surnommé Rabat la douce, invite à la flânerie. Abderrahim a insisté pour nous offrir un thé à la menthe, chez lui, pour une immersion dans son quotidien. L’hospitalité marocaine ne s’arrête pas aux hippodromes.... Pénétrer dans l’intimité d’un grand sportif est toujours un grand voyage. Chez Abderrahim, dans son chaleureux 3 pièces, c’est un voyage au pays des souvenirs et des trophées. Le nombre de sous-verre immortalisant ses victoires lève notre dernier doute: nous sommes chez un champion.

#74

Pourtant, Abderrahim, 1m55 pour 51 kg, a commencé à monter assez tardivement. Né en 1993, entre Casablanca et El Jadida, à Bir Jdid, petite ville surnommée la Normandie marocaine, la terre des jockeys - «c’est à côté de chez moi mais je n’ai jamais eu l’occasion de la visiter» dit-il -, il promène son enfance à travers les exploitations agricoles du papa. Et regarde avec envie Kacem, son frère, qui monte à cheval chez son ami Aziz Ibba, l’oncle du jockey réputé Khalid Ibba. C’est chez Aziz qu’il enfourche sa première monture. Il a quatorze ans. Cette expérience change sa vie. Il arrête l’école malgré l’inquiétude de ses parents. Il devient palefrenier. «C’est une des plus belles périodes de ma vie» confie Abderrahim. «Ce que j’ai appris à cette époque en lavant les écuries, en sortant les chevaux l’après-midi, en les tenant en main, en participant aux débourrages, me sert encore aujourd’hui dans mon métier de jockey.» A 15 ans, il quitte Bir Jdid pour rejoindre son frère, Kacem, à Casablanca qui œuvre pour l’écurie de Zakaria Hakam. Là, il fait une des rencontres les plus importantes de sa carrière. En croisant le chemin de Larbi Cherkaoui, un des meilleurs entraîneurs du Royaume, il devient un autre garçon. Larbi croit en Abderrahim comme le ciel bleu croit au soleil. «Il m’a fait monter très vite à l’entraînement» confirme Abderrahim. «C’est Larbi qui m’a appris les rudiments du métier. Je ne lui dois pas tout mais beaucoup.» Rien d’étonnant qu’Abderrahim porte actuellement, régulièrement, les couleurs de l’écurie d’Ismail Nassif dont l’entraîneur principal est un certain... Larbi Cherkaoui. «Après Jalobey Racing, Nassif est ma deuxième écurie» précise Abderrahim Faddoul qui porte aussi occasionnellement les couleurs des écuries Sedrati et Karimine. En tout cas, Larbi Cherkaoui fait tellement bien son travail que Sharif El Alami, le propriétaire de Jalobey Racing, propose un contrat d’apprenti au jeune Abderrahim, alors âgé de 16 ans. «C’est la deuxième grande rencontre de ma carrière» assure-t-il. «En tout cas, je remercie Sharif El Alami de la confiance qu’il m’a accordée».

Pour Faddoul, confiance rime avec chance. Il a l’aubaine de rencontrer les plus grands spécialistes internationaux, à l’image de Jean de Roualle. Entraîneur mythique, vainqueur du Prix de Diane avec Caerlina, c’est lui qui a façonné Abderrahim, chez Jalobey Racing. C’est Jean de Roualle qui le lance pour sa première course, un Derby des apprentis, en 2011, à l’hippodrome de Casa-Anfa. Agé de 17 ans, Abderrahim prend une belle troisième place. Il prend surtout la direction de la France et de Chantilly où l’attend un autre monstre sacré, Pascal Bary, qui a eu sous sa responsabilité la jument mythique Divine Proportions montée par Christophe Lemaire. A son contact et à ceux de jockeys comme Stéphane Pasquier, Abderrahim boit du petit lait. Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est en France, en 2013, à Cagnes, lors du championnat de la Mediterranée du pur-sang arabe qu’il remporte sa première course (1500m), sur Djarnizam Maamora (Jalobey). Il rentre au Maroc auréolé de cet exploit. Il ne bombera pas le torse pour autant. Il coiffera surtout ses adversaires sur le poteau en compilant les victoires en Grand Prix, à commencer par le Grand Prix Moulay Hassan 2011, sur le pur-sang anglais Billabong (Jalobey). Pascal Bary ne masque pas son enthousiasme. «Abderrahim est le meilleur jockey marocain» assure-t-il. «Il a une capacité d’écoute assez incroyable. C’est une éponge. Il est respectueux, très généreux et très déterminé. Plus il affrontera les meilleurs jockeys européens, plus il progressera. En tout cas, c’est un plaisir de l’accueillir chaque année, à Chantilly, pendant quatre mois.» Abderrahim reçoit ces louanges avec la modestie qui est sa signature. «Le meilleur? Je ne sais pas...» hésite-t-il. «Je suis parmi les meilleurs. On ne compte pas plus de 10 jockeys de haut niveau, au Maroc. Mais, ça va changer. L’École des Jockeys de l’Institut National du Cheval fait un super travail avec les élèves. J’adore leur donner des conseils. Je leur rappelle toujours que j’ai progressé en regardant pendant des heures des vidéos du jockey Olivier Peslier qui est la référence absolue dans l’art d’attaquer au bon moment. J’aimerais lui ressembler». u


RABAT.- Abderrahim Faddoul attend la relève avec impatience. «L’École des Jockeys de l’Institut National du Cheval fait un super travail avec les élèves» dit-il. « J’adore leur donner des conseils. Je leur rappelle toujours que j’ai progressé en regardant pendant des heures des vidéos du jockey Olivier Peslier qui est la référence absolue dans l’art d’attaquer au bon moment»

PHOTO JEHAD ABDELLAH


élevage: karim benlafkih

Karim Benlafkih, gentleman éleveur PAR JÉRÔME LAMY (À MARRAKECH)

AOÛT SEPTEMBRE 2015

Q

uand on lui a demandé de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie sur la planche de notre séance photos, Karim Benlaih a eu cette réponse singulière et tellement sincère. «Peu importe mon image, peu importe mon apparence, je ne vois que les chevaux, l’essentiel, c’est eux» a-t-il lancé en retoquant une image pour une ligne du dos imparfaite, en zappant une autre pour une encolure pas assez musclée. Homme d’affaires respecté dans le domaine du thé - le Groupe Benlaih qui commercialise le é Violon compte parmi les leaders du marché marocain -, féru d’art, collectionneur généreux décoré par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Karim Benlaih appartient au cercle très fermé des grands éleveurs du pur-sang arabe pur Égyptien, pas seulement au Maroc ou sur la scène arabe, mais dans le monde entier. Il appartient également au rang des personnes à la parole rare. Il est d’une discrétion absolue dans les médias marocains. «Ce sont les chevaux qui méritent la lumière, pas moi» glisse-t-il. N’empêche, on a néanmoins réussi, sinon à percer, tout au moins à éclaircir le mystère Benlaih. Il faut descendre jusqu’à Tafraout, à 180 kilomètres, au sud d’Agadir, pour comprendre son histoire. C’est dans cette vallée que les Chleuhs cultivent les céréales et les arbres fruitiers, les amandiers surtout. C’est là-bas en plein cœur du pays berbère que feu son père Haj Ahmad a appris le sens du commerce du thé, des épices et la valeur du travail.

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Né à Casablanca, au début des années 1960, Karim est forcément tombé dans la marmite. Pas seulement celle des affaires mais aussi celle de la passion animale inoculée par un paternel adorateur de la faune. A l’âge de 12 ans, son père lui offre son premier cheval. Il s’appellera, Ayour (NDLR: la lune).«Je suis parti moi-même le chercher dans le souk, à Settat» confie Karim avec une douce nostalgie. Le poulain trouvera ses repères dans le jardin de la grande bâtisse familiale du quartier de l’Hermitage, à Casablanca, au milieu des chiens et des oiseaux. «Le père de Karim possédait une collection assez exceptionnelle de perruches: perruches à col bleu, à tête de prune ou pourpre, à collier jaune, à croupion rouge» précise Sandra, l’épouse de Karim. Ça n’empêchera pas Karim de prendre son envol. Après une première scolarité à l’école Subrini, à Casablanca, le jeune Karim, âgé de 16 ans, pose ses valises à Verneuil-sur-Avre, en Haute-Normandie française où il passera ses années lycée à l’École des Roches. Lieu emblématique de pédagogie active inspirée du modèle anglo-saxon où les élites étrangères, et notamment la famille royale danoise, avaient leurs habitudes, l’École des Roches favorise la découverte du sport et de la nature sur un domaine de soixante hectares. «Je faisais de l’équitation quatre à cinq fois par semaine» se souvient Karim. «Je suis un cavalier depuis toujours.» C’est aussi un excellent élève qui obtient le bac, en 1978, et une licence en économie, à Casablanca, où il est revenu près des siens et près de sa faune. Karim est programmé pour une carrière au Maroc, au sein de l’entreprise familiale. L’immobilier, les plantes, les épices et surtout la commercialisation du é Violon baliseront sa vie professionnelle. Pour rompre avec le business du quotidien, c’est auprès de ses chevaux, à Marrakech que Karim Benlaih trouve la quiétude. Quand il prend le petit chemin de terre balisé qui coupe la route d’Agadir aux premières lueurs de la ville Ocre et qu’il franchit le portail de Ménara Stud, sa magnifique ferme posée à la lisière d’une oliveraie de dix hectares, Karim observe un rituel immuable, identique à chaque passage.

Il laisse Boujemaa, son homme de confiance, s’occuper de l’intendance avec Sandra, son épouse. Et effectue le tour du propriétaire dont il goûte chaque seconde. «Je ne rentre jamais, en premier» confirme-t-il. «Je dois d’abord voir les chevaux, les caresser, les embrasser, les sentir. Je dois vérifier leur état de santé, leurs blessures. Après je peux retrouver ma famille. Je suis tranquille. Je dors bien.» Au milieu de ses pur-sang, Karim est comme un jeune homme. S’il affiche une cinquantaine bien entamée, il possède un corps svelte et élancé qui témoigne d’une vie où les excès ont laissé leur place au régime huile d’olives bio, pain complet et citrons pressés, le matin. C’est ainsi qu’il nous a accueillis, à Marrakech... Achetée il y a quinze ans, la ferme Ménara Stud est le temple du pur-sang arabe pur Égyptien. Quatre employés à plein temps, trois pour la nourriture, un pour l’entraînement, s’affairent autour des 50 chevaux, dont quarante-huit purs Égyptiens - «importés de France, d’Italie et d’Allemagne mais aussi achetés au Maroc où on peut trouver de beaux spécimens» dit Karim -, répartis dans 15 paddocks. «Depuis dix ans, je suis impliqué dans l’élevage du pur sang arabe et ce n’est que depuis deux ans que je suis spécialisé dans l’Égyptien pur» confie Karim. «Un Égyptien, c’est le symbole de pureté, de rareté. On peut suivre son histoire sur six générations.» Et Karim de jeter les bases d’un vrai débat de puristes. «C’est une démarche totalement différente de celle qui consiste à faire les meilleurs croisements possibles dans la quête d’une beauté absolue mais fabriquée.» Avec son frère Mustapha et Youcef Laghzal, il organise régulièrement des Farm Tours and Conferences (conférences internationales du pur-sang arabe) au cours desquelles le Docteur Hans Nagel, président de la World Arabian Horse Organization, est un interlocuteur privilégié. A la question de l’échelle de difficultés entre l’élevage d’un pur sang arabe et la fabrication d’un bon thé, Karim Benlaih n’a pas hésité. «Quand on rate une étape dans l’élevage d’un cheval, c’est foutu» dit-il. «Alors qu’un thé, on peut toujours le rattraper...» u


HOMME D’AFFAIRES RESPECTÉ DANS LE COMMERCE DU THÉ, AMOUREUX ET COLLECTIONNEUR D’ART RENOMMÉ, KARIM BENLAFKIH APPARTIENT AU CERCLE TRÈS FERMÉ DES GRANDS ÉLEVEURS DE PUR-SANG ARABES, SPÉCIALISÉ DANS L’ÉGYPTIEN, À TRAVERS LE MONDE. PERSONNAGE DISCRET, À LA PAROLE RARE ET PRÉCIEUSE, IL A ACCEPTÉ DE PARTAGER SA PASSION ÉQUINE

MARRAKECH (FERME MENARA STuD).Karim Benlafkih est un grand puriste. «un pur-sang arabe égyptien, c’est le symbole de pureté, de rareté» dit-il. «On peut suivre son histoire sur cinq ou six générations. C’est une démarche totalement différente de celle qui consiste à faire les meilleurs croisements possibles dans la quête d’une beauté absolue mais fabriquée.»

PHOTO ABDOU MOKTHARI


arts équestres: Sadek El Bahjaoui

Cavalier et artiste à la fois PAR DIMITRI FERREIRA (À CASABLANCA)

AOÛT SEPTEMBRE 2017

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a France, la Russie, Hong-Kong, le Japon, la Turquie, la Suisse, les Émirats arabes unis... Le terrain de jeu de Sadek El Bahjaoui n'a jamais eu de frontière. Mais cet artiste équestre qui a longtemps semé son talent aux quatre coins du monde préfère désormais le cultiver sur ses terres. Sans doute parce que sa passion l'a contraint à quitter le Maroc alors qu’il n'avait que 9 ans. «Depuis ce jour, j'ai toujours su que je rentrerais au Maroc après avoir fait mes armes à travers le monde» confie-t-il. «J'ai constamment eu envie de transmettre, de créer, d'impulser et de faire rayonner la beauté de mon pays à travers toutes ses formes d'art». En fait, lorsqu'il quitte le Maroc pour la première fois, Sadek s'est déjà éloigné de sa famille depuis trois ans. Dès l'âge de six ans, il a décidé de suivre deux de ses frères aînés partis travailler à une cinquantaine de kilomètres de Marrakech (sa ville d'origine), dans un centre équestre basé à Ouirgane. Durant ces trois années, il s'est soumis à leurs côtés à un apprentissage à la voltige, au dressage, au travail à pied et à l’acrobatie. Mais en 1991, quand le propriétaire du centre a décidé de rentrer en France, la plupart des membres se sont dispersés. Toutefois, la rigueur de Sadek a rapidement été récompensée, puisque c'est cette année là, qu'il quitte le Maroc avec ses deux frères et intègre à Paris, l'Académie Fratellini, un centre d'art et de formations aux arts du cirque. Un an plus tard, il rejoint même l'un de ses frères dans le sud de la France. Sadek intègre alors une formation, et à 11 ans, il découvre l'école.

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Cela ne l'empêche pas de continuer à alimenter sa passion, le jeune écolier aidant son frère durant les week-ends et les vacances. Puis 1999 marque un tournant dans sa carrière. Sadek est en effet repéré par Bartabas, le célèbre fondateur du théâtre équestre Zingaro et metteur en scène de génie. «Ma rencontre avec Bartabas fut enrichissante au niveau artistique et équestre», explique-t-il. «Il a révolutionné le spectacle équestre. C'est vraiment une référence.» C'est ainsi qu'à seulement 17 ans, Sadek intègre une des compagnies les plus prestigieuses au monde et participe durant trois années à une tournée à travers l'Europe. Une expérience qui lui donne la volonté et le courage de se lancer dans l'élaboration de son premier numéro : le Guerrier rêveur, un numéro de voltige orientale qui va connaître un franc succès sur les plus belles scènes européennes. Et si la suite de cette expérience le conduit vers une nouvelle collaboration et une nouvelle tournée de trois ans avec Bartabas, son envie de rentrer au Maroc se fait de plus en plus pressante. Ainsi, en 2010, après avoir acheté trois chevaux, il décide d'entamer une carrière solo et se rend au Salon du Cheval d'El Jadida. En ce jour d'octobre, Sa Majesté le Roi Mohammed VI est présent dans les tribunes et assiste à différentes représentations. Ébloui par celle de Sadek, il le fait appeler et lui demande de monter dans sa loge. Sadek croit tout d'abord à une blague.Informé de ses projets d'avenir, le Souverain lui propose son soutien. L'artiste Marrakchi n'a qu'une idée en tête : rentrer au Maroc pour y former de jeunes marocains à l'art équestre et la voltige. «Les choses se sont vraiment accélérées suite à ma prestation au Salon du cheval d'El Jadida et ma rencontre avec Sa Majesté le Roi Mohammed VI» explique-t-il. «L'institution de la SOREC a cru en ce projet et l'a financé.» Pendant six mois, Sadek sillonne ainsi les différentes régions du Maroc à la recherche de jeunes capables d'intégrer son programme. Il en sélectionne six (âgés entre 15 et 30 ans) dont trois cavaliers débutants et trois acrobates.

Accompagné de dix chevaux barbes et arabes barbes, il se produit ensuite avec son équipe aux 4e et 5e éditions du Salon du Cheval d’El Jadida (2011 et 2012) où il présente deux créations: Jemaa El Fnaa et Bladi. Le succès est au rendez-vous mais Sadek préfère passer la main et s'écarter du projet. «La SOREC continue de le mener à bien avec sa vision institutionnelle» se réjouit celui qui devient consultant équestre, suite à sa rencontre avec Abdeslam Bennani Smires, cavalier nternational de sauts d’obstacles et propriétaire du Selman Marrakech, un hôtel de luxe de la ville rouge. «Nous nous sommes rencontrés grâce à un ami d'enfance, explique Sadek. «Notre passion commune pour le cheval nous a naturellement rapprochés. Nous sommes devenus de vrais amis et avons décidé de collaborer au sein de l’hôtel Selman.» Tombé sous le charme de ce magnifique endroit qui abrite notamment deux somptueuses écuries où logent des pur-sang arabes paradant en liberté dans les jardins, Sadek y installe alors sa cavalerie en résidence. Au Selman, il propose toujours des expériences exclusives autour du cheval. Il assure également la fonction d'entraîneur de la Gendarmerie royale, tout en trouvant suffisamment de temps pour partager sa passion avec son fils, Ismaêl, lequel a fait sa première apparition sur scène pour l'inauguration de l'institut du cheval Moulay El Hassan de Rabat (en 2013), alors qu'il n'avait que 11 mois et ne savait pas encore marcher... Pas d’inquiétude, la relève est déjà assurée ! Bien sûr, Sadek continue de se produire en spectacle avec ses chevaux lors de galas ou d’événements privés. Baptisé Symphonie Équestre, le dernier en date a été organisé au début du mois de juillet, à Rabat, avec l'Ambassadeur de France Jean-François Girault et son épouse Marie-Cécile Tardieu. Sadek poursuit la préparation de trois nouvelles créations d'origines différentes (Cheval d'orient, Danse avec les chevaux et Fantaisies équestres) qu'il va proposer au Selman, avant de se lancer dans une tournée internationale, à partir de 2019. Sans frontières. u


SADEK EL BAHJAOUI NE RISQUE PAS DE CHÔMER AU COURS DES PROCHAINS MOIS. LE CÉLÈBRE ARTISTE ÉQUESTRE MAROCAIN VA PROPOSER TROIS NOUVELLES CRÉATIONS À L'HÔTEL SELMAN MARRAKECH. IL DEVRAIT MÊME SE LANCER DANS UNE TOURNÉE. L'OCCASION POUR NOUS D'EFFECTUER UN RETOUR SUR SA CARRIÈRE, DE SES DÉBUTS JUSQU'À SA RENCONTRE AVEC SA MAJESTÉ LE ROI MOHAMMED VI, EN PASSANT PAR SA COLLABORATION AVEC LA SOREC.

PHOTO DRISS BENMALEK

EL JADIDA (Salon du Cheval).Sadek El Bahjaoui partage sa passion avec son fils, Ismaêl, lequel a fait sa première apparition à l’âge de 11 mois, alors qu’il ne savait pas encore marcher....


ecole des arts équestres

Une école très unique RÉINSERTION SOCIALE, DÉVELOPPEMENT ARTISTIQUE, PROMOTION DE L'UTILISATION DU CHEVAL BARBE, L'ÉCOLE DES ARTS ÉQUESTRES DE MARRAKECH S’EST RAPIDEMENT TAILLÉE UNE RÉPUTATION QUI DÉPASSE LES FRONTIÈRES DU ROYAUME.

PAR IMANE CHARHADDINE (À MARRAKECH)

OCTOBRE NOVEMBRE 2015

L

e Haras National de Marrakech rayonne aujourd’hui sous une étoile particulière : celle d’une mise en place d’une infrastructure académique pour les arts équestres. Projet des plus ambitieux, l’école du spectacle équestre du Haras National de la ville rouge est aujourd’hui une niche qui interpelle plus d’un intervenant. Normal qu’on lui offre tous les moyens nécessaires pour faire proliférer son excellence. Entre la Société Royale d’Encouragement du Cheval (SOREC), l’Association Marocaine d’Aide aux Enfants en Situation Précaire (AMESIP) et les intervenants sportifs, artistiques et éducatifs de premier plan, l’école dédiée aux Arts Equestres joue un double rôle artistique et social qui force l’admiration. L’école des Arts Equestres a pour ambition de créer une dynamique socio-économique autour du cheval barbe, en initiant le jeune public, en contribuant à la réinsertion de jeunes en situation difficile, d’où la précieuse collaboration avec l’AMESIP. «On ouvre aussi nos portes aux jeunes qui ne sont pas en difficultés» précise Khalil Réda, responsable de l’école et fondateur de l’école des Arts Équestres des Frères Réda, à Namur, en Belgique, en 1992, avec son frère Chkinbo. «L’idée d’un mélange des jeunes d’horizons différents autour du cheval est une belle idée. L’objectif, c’est de créer un vrai centre de formation marocain des arts équestres reconnus à l’étranger.»

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Celui qui se félicite de son retour au Maroc pour semblable projet ne manque pas d’ambitions: «on peut devenir une référence pour Bartabas, Cavalia et Apassionata, les trois grandes troupes mondiales de spectacles équestres.» Et le docteur Chakdi, brillant directeur du Haras National de Marrakech de préciser : «Plusieurs jeunes ont déjà réussi leur réinsertion sociale en trouvant du travail ici ou même à l’étranger» se félicite-t-il. «A ce moment-là, notre mission est remplie. L’école leur a donné des atouts, de la visibilité mais surtout la confiance en un nouveau démarrage. Il faut savoir que nous travaillons l’esprit autant que le corps puisque nous dispensons des cours de langues étrangères et des cours d’expression scénique comme au théâtre.» Ce n’est pas Chakir Sahar qui dira le contraire. Acrobate ambulant de la célèbre Place Jemaa Elfna, élève des arts équestres de Marrakech, il est aujourd’hui une des figures de proue de la grande troupe Cavalia, basée à san Francisco, aux Etats-Unis et à Winnipeg, au Canada. «Son exemple est une récompense et un moteur pour aller plus loin» confie le Docteur Chakdi. «Il faut savoir que pour lancer l’école, nous sommes allés recruter Place Jemaa Elfna où les qualités des acrobates sont reconnues dans le monde entier. Souvent, on me demande pourquoi l’école des arts équestres est basée à Marrakech, non pas ailleurs dans le Royaume. Voilà la réponse !» Et si l’acrobatie est la signature de l’école, elle a pour ambition de servir de vitrine qui permettra à la fois une avancée pour le rayonnement international du Royaume en matière de spectacle équestre, et une mise en valeur du cheval barbe et de l’arabe barbe, races locales constituant une fierté identitaire. Les apprentis de l’école sont recrutés suite à une présélection de l’AMESIP; une fois recrutés, ils sont sous l’orientation pédagogique d’une équipe aux compétences reconnues : Khalil, Eric, Gilles et Ali. Ces mentors permettent aux jeunes apprentis de maîtriser à la fois le dressage, la voltige et la liberté, à travers des stages et des activités régulièrement amorcés, à la fin desquels chaque apprenti choisit son orientation et en fait une spécialité.

La double dimension artistique et sociale donne à l’Ecole une envergure mais aussi une adhésion externe de différentes parties prenantes. La réinsertion sociale ne devient plus une finalité en soi, mais un moyen de redonner espoir à une tranche sociale de la population ne croyant plus aux horizons d’un quelconque avenir. Formée actuellement de six membres et quatre aspirants, la troupe de l’Ecole des Arts Equestres du Haras National de Marrakech sera présente au Salon du Cheval 2015. Un spectacle dont les préparations remontent à plus d’un an réjouira donc le public sur place, mettant en avant l’apprentissage et les performances artistiques de chaque membre de la troupe. On découvrira un spectacle dont le réalisateur est Gilles Audejean, le costumier Laurent Lamoureux et dont l’encadrement général est assuré par le professionnel Khalil Réda. Et comme la sécurité et la régularité des enchainements sont des indéfectibles priorités, le réalisateur Gilles Audejean a imaginé un spectacle à numéro introductif, dont les modalités sont à caractère évolutif alternant à la fois voltige classique et cosaque. Une double piste a été prévue en guise d’équipements de logistique (13 mètres sur 22 mètres) permettant d’exalter le public avec une chorégraphie où musiques et figures se conjugueront en toute authenticité. «C’est avant tout un numéro évolutif, aux perspectives intéressantes, qui pourra servir de base pour de nouveaux spectacles» confie Gilles Audejean, directeur artistique, respecté en France. L’inauguration du nouvel hippodrome de Marrakech ne manquera pas de jouer le rôle d’un miroir grossissant et d’un incubateur. «Dans ce même lieu unique, on va réunir un pôle équestre qui sera la vitrine de toute la filière» précise le docteur Chakdi, avec impatience et gourmandise. «On retrouvera non seulement l’école des arts équestres, mais aussi une école de poneys, un club de tourisme équestre, une académie de Tbourida et un centre de trek». Histoire de donner naissance aux carrefours du cheval que le directeur général de la SOREC, Omar Skalli, appelle de ses vœux... u


CAEN (Stade Michel d’Ornano).A Caen , lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Équestres Mondiaux, en 2014, la troupe des arts équestres de Marrakech a fait l’unanimité. PHOTO ERIC KNOLL


sous le sabot

PAR JÉRÔME LAMY (À SKHIRAT)

Hervé Renard à cheval avant le Mondial !

JUILLET AOÛT 2018

Accompagné de sa fille Candide, une cavalière confirmée, Hervé Renard a vécu une belle première expérience à cheval, quelques jours avant le Mondial en Russie, avec Kebir Ouaddar et Marcel Rozier. Passionné d’olympisme, le sélectionneur des Lions de l’Atlas a beaucoup échangé avec le meilleur cavalier marocain de tous les temps qui a participé aux derniers JO de Rio.

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PHOTO JEHAD ABDELLAH



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