Cambodge Mag novembre 2017

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CAMBODGEMAG # 2 | Novembre 2017

www.cambodgemag.com

DOSSIER

FORTE CROISSANCE DES INVESTISSEMENTS DIRECTS CHINOIS

Économie

L'énergie au Cambodge

Société 5 clés pour mieux comprendre la nouvelle jeunesse dorée

Interview Eva Nguyen Binh Ambassadrice de France au Cambodge

CAMBODGEMAG 12 000 RIELS

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9 000

Citoyens français au Cambodge Source: Ambassade française au Cambodge

400

Entreprises française au cambodge Source: Direction Générale du Trésor

256 805

Touristes francophones en 2016 Source: Ministère du tourisme au Cambodge

300 000

Diaspora cambodgienne en france Source: France Diplomatie

Cambodge Mag est un site internet et un magazine papier trimestriel visant à promouvoir la langue, la culture et la société française au Cambodge à travers du contenu original, des images et des articles économiques, culturels et sociaux dans le Royaume. www.cambodgemag.com

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DIRECTEUR DE PUBLICATION

ÉDITO

Thalias Co. Ltd, Arnaud Darc

DIRECTION ARTISTIQUE Jean-Baptiste Carraro

DIRECTION MARKETING Céline Troeung

COORDINATION DU PROJET Clémence Fournier

RÉDACTEUR EN CHEF  Christophe Gargiulo

JOURNALISTES Eléonore Sok-Halkovich

par Christophe Gargiulo, rédacteur en chef

Alain Gascuel Allan Michaud

CONTRIBUTEURS Jean Bertolino, Pascal Medeville, Jean-Michel Filippi Jean-Benoît Lasselin Jean-Luc Fitte

REMERCIEMENTS Agence Kampuchea Presse CCIFC Eurocham Cambodia Institut français du Cambodge Institut Pasteur www.realestate.com.kh

IMPRIMEUR  Image Printing

MAGAZINE ENREGISTRÉ AU MINISTÈRE DE L'INFORMATION 370 Mol.PrK 16 Septembre 2017

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ous avez entre vos mains le deuxième opus du magazine CambodgeMag dans sa version papier trimestrielle. Patrimoine,

économie, aventure, France et jeunesse sont au menu de cette deuxième mouture avec une interview exclusive de la Ministre de la Culture Madame Phoeurng Sackona, de l’Ambassadrice de France au Cambodge, Madame Eva Nguyen Binh et, pour la rubrique parcours, un entretien avec l’énergique Ratana Phurik-Callebaut, Directrice d’Eurocham. Pour un sujet dont on parle tant et qui suscite bien des commentaires, les investissements chinois, le magazine propose un historique et une synthèse des différents domaines majeurs d’intervention de la Chine dans le royaume. Un peu d’aventure et de société avec un voyage écologique vers les Cardamomes, et un dossier original en cinq clés sur la jeunesse d’aujourd’hui au Cambodge. Les rubriques habituelles, tour de table, gastronomie, chroniques, plume aux lecteurs, musique et littératures restent au rendez-vous avec, également, le Studio Images de l’IFC en invité, sans oublier les plumes élégantes des chroniqueurs

Jean-Michel Filippi, Pascal Medeville et Jean Bertolino. 2018 sera l’année du développement du magazine avec de nouveaux partenariats culturels et économiques et aussi l’intégration dans le groupe Thalias. Un grand Merci aux lecteurs et fans de la version en ligne qui ont permis de porter le nombre de lectures mensuelles à plus de 230 000. Merci également à l’équipe, journalistes, contributeurs, graphistes et coordinateurs, et les sponsors qui ont permis à ce deuxième numéro de voir le jour.


N° 13, Street 337, Khan Toul Kork, Phnom Penh, Cambodia. managed by almond Group

Civis Expatriates est une initiative citoyenne, un espace de conversation et d’information pour les Français du Cambodge.

Pour plus d'informations sur les prochains évènements, veuillez contacter : civis.expatriates@gmail.com

Facebook/CivisExpatriates www.cambodgemag.com

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SOMMAIRE

DOSSIER

28. Forte croissance des investissements directs chinois

L’aide et l’investissement chinois au Cambodge croient de façon exponentielle ces dix dernières années au point que l’Empire du Milieu est devenu le premier partenaire du Cambodge en termes d’investissements directs.

LE REGARD DE 8. Kim Hak PARCOURS-ENTRETIEN 10. Ratana Phurik-Callebaut INNOVATION 13. KamasK ÉCONOMIE 14. L'énergie au Cambodge

CAMBODIA AIRPORTS 22. Responsabilité sociale et performance économique PHOTOGRAPHIE 18. Cueillette de lotus FOCUS 20. Phoeurng Sackona, Ministre de la Culture et des Beaux-Arts

INITIATIVE 24. Les grands-mères à l'eau

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HISTOIRE 36. Une cité sortie de l'oubli

ARCHIVES 26. Les jeunes d'aujourd'hui et le Cambodge de 1980 RETRAITE 33. Douceur de vivre à Battambang

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SANTÉ 34. Une histoire de dengue

TRADITION 38. La fête des génies


MUSIQUE 44. Krom

PRODUIT DU CAMBODGE 58. L'herbe à paddy GASTRONOMIE 60. La résidence LIVRE 45. Meyer Saramani, danseuse Khmère

CHRONIQUE 61. La courtoisie Khmère

DESTINATION 47. Les Cardamomes

VIVRE AU CAMBODGE 62. Vivre en Borey

SERVICE 50. Choisir son logement au Cambodge

VIE CULTURELLE-PRATIQUE 64. L'Institut français du Cambodge

NATURE 52. Revoir des tigres au Cambodge ? PHOTOGRAPHIE 54. Studio Images URBA CHRONIQUE 55. Au pays des quatre mille îles SOCIÉTÉ 40. 5 clés pour mieux comprendre la nouvelle jeunesse dorée cambodgienne DANS L'ATELIER DE 42. Romcheik Pram

TOUR DE TABLE 56. Un air de Tokyo RECETTE 57. Nom Pajok

VIE CULTURELLE-PORTRAIT 66. An Sopoi CULTURE-INTERVIEW 68. Eva Nguyen Binh, Ambassadrice de France au Cambodge PLUME AUX LECTEURS 70. Caroline Pheng INFOS PRATIQUES 71. Informations utiles et pratiques

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L E R E GA R D D E

Kim Hak et les par ElĂŠonore Sok-Halkovich 8

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« Left behind » (« Abandonnés »), exposée au Centre Bophana jusqu’au 19 novembre, crédit photo Kim Hak Portrait de Kim Hak, crédit photo Eléonore Sok-Halkovich

Une paire de tongs, une chaise sous un rayon de soleil, un couloir vide. Dans

la série « Left behind » (« Abandonnés »), exposée au Centre Bophana jusqu’au 19 novembre, Kim Hak documente la fin d’un monde. Celui du White Building, logement collectif emblématique de la Nouvelle Architecture Khmère, conçu par Lu Ban Hab en 1963, supervisé par Vann Molyvann et réduit en poussière en septembre dernier. Ces clichés racontent le quotidien des habitants ; peintres, danseurs, artisans, couturiers, coiffeurs, enfants… « C’était un endroit très spécial pour la communauté artistique, j’ai été profondément affecté par sa destruction », confie Hak, 36 ans. À l’instar de la série « Drip » (« Goutte ») qui figeait dans le temps les vestiges des villas képoises, ce travail traite les objets inanimés comme autant de particules de mémoire. Un thème qu’il explorait déjà dans sa première série « ON » en 2010, mettant en scène de jeunes Cambodgiens dans des lieux de la capitale chargés d’histoire. Cet attachement lui vient sans doute de ce petit paquet soigneusement ficelé, qu’il conserve sur la table, au centre de son studio du boulevard Monivong. Il contient des photos de famille, sourires sépias, pique-nique à Angkor Wat, souvenirs émouvants d’un autre temps, sauvegardés par sa mère qui les avait enterrés sous une bûche dans son village de Battambang, à l’approche des Khmers Rouges. En esthète, un poil fétichiste, Kim Hak a récolté tous les objets immortalisés en images dans « Left behind » et les conserve dans une petite pièce attenante à son studio. www.cambodgemag.com

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PA R C O U R S - E N T R E T I E N

RATANA

PHURIK-CALLEBAUT

De voir le pays évoluer reste un grand privilège texte et photographie Christophe Gargiulo

LE

mot chance est un qualificatif récurrent dans les propos de la directrice exécutive de la Chambre de Commerce Européenne EuroCham : La chance d’avoir échappé au génocide alors qu’elle était partie du royaume toute enfant pour des vacances en France, la chance de poursuivre une carrière dans un domaine qui la passionne, la chance d’avoir une double culture, et la chance d’avoir pu redécouvrir le pays de ses racines lors de son retour, il y a 14 ans. Derrière des yeux et un sourire plein d’Asie, se dévoile aussi une femme élégante, déterminée, ambitieuse dans le sens noble du terme, pleine de ferveur et très lucide sur son milieu professionnel.

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CM : Quelques souvenirs de votre enfance et sur votre famille ? Je suis née à Phnom Penh, je suis partie juste avant les évènements de Phnom Penh, je n’avais que deux ans, j’ai eu un peu de chance, nous étions partis pour des vacances et puis nous avons dû rester à Paris. C’est là où j’ai grandi, où j’ai fait mes études. Mon grandpère faisait partie de cette classe privilégiée, mes parents, malheureusement sont restés ici. Ils avaient des affaires, moi je suis restée là-bas avec mes grands-parents et ma famille proche m’a élevée. Je n’avais aucun souvenir du Cambodge, pour être honnête, et je n’avais aucun désir de retour, à cause de la perte de ma mère, mes grands-parents ne voulaient pas du tout que je revienne ici. En grandissant, j’apprenais ce qui se passait car mon grand-père était l’un des fondateurs du mouvement FNLPK (Front National de Libération du Peuple Khmer) avec des exilés comme lui. J’étais donc au courant mais cela ne m’intéressait pas du tout. Le retour au pays n’a pas été un choix, cela a été un hasard. CM : Vous avez donc grandi comme une française ? J’ai grandi en France, je parle et pense probablement comme une française. Mais je me suis toujours sentie quelque part un peu différente. J’étais aussi élevée dans la tradition, dans une culture cambodgienne, bouddhiste.

Mon grand-père était très francophile donc je pratiquais peu la langue khmère. J’arrivais à la comprendre mais ne la parlais pas suffisamment bien. CM : À propos de votre scolarité, de vos études, de votre vie d’étudiante ? J’ai suivi une scolarité classique. J’ai fait une terminale scientifique, suivi ensuite une formation supérieure, en économie et commerce avant un DEA d’économie industrielle. J’ai continué en doctorat mais après cinq ans, j’ai choisi d’arrêter car l’actualité remettait en cause mes recherches. J’ai fait mes études à Paris I Panthéon Sorbonne. Un très bel environnement donc. La vie parisienne était pas mal, je n’ai pas ressenti d’ostracisme. Je vivais dans le quartier asiatique, dans le 13éme. J’étais plutôt heureuse. CM : Vos premières expériences professionnelles ensuite ? Ensuite, j’ai rencontré la personne qui est devenue mon mari. Je l’ai suivi en Suisse. Je préparais mon doctorat et il faisait son


service militaire civil à l’ONU. J’ai commencé à travailler là-bas dans une banque privée. J’étais gestionnaire de fortune. C’était mon premier travail. Oui, c’était un peu stressant. C’était drôle, c’était impressionnant, c’est un autre milieu. La Suisse est aussi, quelque part, un autre monde. J’ai eu beaucoup de chance. Je n’étais pas toute jeune non plus, j’avais 26 ans, en fin de doctorat. A ce moment, j’ai quand même décidé de passer un diplôme professionnel d’expertise en analyse financière (CFA), prestigieux et très reconnu dans le milieu financier, une grande satisfaction personnelle mais encore un stress supplémentaire… CM : À propos de votre retour au Cambodge ? Mon mari a ensuite eu une proposition pour aller au Cambodge monter un projet pour la CNUCED (organisme ONU pour le commerce et le développement). Je n’avais alors aucune envie de revenir, mais cela a été un peu le déclic. Je me suis dit que c’était le moment ou jamais. C’était en 2003. En

arrivant, miracle, je me suis senti comme à la maison. C’est comme si je revenais chez moi. Le Cambodge recommençait à s’ouvrir, des gens revenaient progressivement mais c’était tout juste le début. Je n’avais aucune crainte, je ne m’attendais en fait à rien. C’est peut-être cela qui a créé le coup de foudre. J’arrivais aussi dans des conditions vraiment privilégiées. Nous arrivions pour un projet de quatre ans. Nous aurions pu repartir si cela n’avait pas marché. J’avais quitté un travail assez prestigieux et bien payé, je n’avais plus grand-chose à me prouver. Pour moi, c’était une pause intéressante. CM : Qu’est-ce qui vous a plu en revenant ? Difficile de définir ce qui m’a le plus plu, je crois que c’était simplement l’ambiance, aussi parce qu’il y avait tout à faire. Les exilés, traumatisés, avaient l’habitude de dépeindre le Cambodge comme un paradis qui était devenu un enfer. Lorsqu’on arrive, effectivement, on sent que tout est à faire, mais il y a tout de même encore cette espèce de douceur de vivre, cette gentillesse des gens. Je suis arrivée avec mon premier enfant qui avait alors trois mois. J’étais là avec mon diplôme d’analyste financier et mon doctorat, évidemment, j’avais envie de faire quelque chose mais ce n’était pas facile. À l’époque il n’y avait pas encore de grande banque, on allait chercher du cash à la banque comme ça quoi… donc je ne cherchais pas vraiment grand-chose, j’ai donc profité de mon fils pendant un an. CM : Vous avez ensuite intégré la Chambre de Commerce et d'Industrie Franco-Cambodgienne Puis il y a eu une opportunité, la directrice de la Chambre de commerce française, Eléonore Richardson, a rencontré mon mari, lui a fait part de son départ, et lui a demandé si le poste pouvait m’intéresser. C’est comme cela que je me suis retrouvée à la Chambre de Commerce et d'Industrie Franco-Cambodgienne. Directrice d’abord à mi-temps puis à plein temps. C’était

intéressant car, dans ce milieu des expatriés, tout le monde avait une histoire. Je ne rencontrais pas de gens ordinaires. Ils avaient tous avec eux l’histoire qui les avait tout simplement amenés au Cambodge, c’était des aventuriers, avec des méthodes parfois un peu surprenantes par rapport à ce que j’avais rencontré au préalable. Ce furent des rencontres très riches. Je suis restée aujourd’hui encore assez proche de quelques-uns de ces gens qui à l’époque étaient des pionniers, à leur façon. CM : Quels étaient les challenges ? L’un des premiers challenges à la chambre de commerce était que le Cambodge n’existait à l’époque pour personne. Il fallait remettre le pays sur une carte. Par contre, nous faisions partie du réseau de l’union des chambres de commerce françaises à l’étranger. Cela nous a beaucoup aidés. Nous avons reçu une certaine attention, des conseils, de l’aide, et un peu de financement. Cela a été utile, salvateur même. Nous n’étions que deux, j’étais seule avec Virath qui est toujours avec nous aujourd’hui. Nous avions quelques stagiaires très motivés, souvent venant de famille de khmers de France. Nous avions aussi la chance d’avoir le soutien de Jean-Daniel Gardère qui avait une forte motivation. Ce furent trois très belles années. CM :  Après avoir quitté la chambre de commerce, quelle nouvelle étape ? Après cela, j’étais un peu fatiguée car c’est très prenant. J’avais envie de faire autre chose, peut-être de revenir un peu à la finance, le Cambodge se sophistiquait un peu, on m’a offert de devenir partenaire dans un « private equity fund », grâce à mon diplôme de CFA. J’y suis restée un an. C’était passionnant. Par contre, le pays n’était pas encore prêt pour une structure de ce genre. Le fonds d’investissement était calqué sur les fonds américains, et les entreprises ici commençaient à peine à tenir des comptabilités. C’était compliqué, et puis il y a eu la crise financière. Nos principaux partenaires se sont retirés. J’ai eu de la chance car j’ai eu la meilleure partie qui était la mise en place. Nous voulions lever cent millions de dollars, avec des projets minimum de cinq millions, le pays n’était juste pas encore prêt. CM : Ensuite, après cette expérience ? Après cela, j’ai fait une pause pour avoir mon deuxième enfant. Je suis ensuite rentrée chez DFDL comme consultante au niveau régional. Je suis restée cinq ans. Ce furent aussi de très belles années. www.cambodgemag.com

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PA R C O U R S - E N T R E T I E N

J’aimais le milieu des investisseurs, des entrepreneurs, la stratégie. Après DFDL, on m’a sollicitée pour prendre la direction d’EuroCham. Je pense que c’est parce que j’avais gardé de très bonnes relations avec les membres de la chambre française. Ils connaissaient mon intérêt pour ce type d’activité professionnelle. CM : Pas de difficultés à travailler dans des milieux très masculins ? Ce n'est pas difficile de travailler avec des hommes. J’avais l’expérience du milieu bancaire, c’est un milieu très masculin. Il faut juste ne pas s’offusquer de quelques blagues un peu déplacées parfois, ce n’  est pas un gros problème. Les gens ici sont ouverts, cela compense une certaine liberté de langage. Surtout dans le milieu français, les gens sont assez directs, assez honnêtes dans leur approche. CM : À propos de vos rapports professionnels avec les Cambodgiens ? Mes premiers contacts avec les cambodgiens furent un peu compliqués, mais ça va… je me sens très cambodgienne dans un sens, mais aussi très française, dans ma mentalité, dans ma façon de m’exprimer, et de voir les choses. J’ai eu la chance de ne pas trop me poser de questions sur mon identité. J’ai aussi rencontré beaucoup de gens comme moi. J’étais pendant un temps assez impliquée dans l’association Anvaya, j’étais vice-présidente de l’association des khmers de l’étranger. J’ai participé au développement de l’association à ses débuts. C’était quelque part comme une famille. Rencontrer autant de gens avec cette double culture comme moi, très attachée aux deux, avec un attachement au pays assez viscéral, cela m’a renforcée dans cette double identité, de façon positive, sans exclure l’une ou l’autre. CM : Comment se passe votre embauche chez EuroCham ? J’étais hésitante pour joindre EuroCham, car je savais qu’il y aurait beaucoup de travail, cela demande beaucoup d’implication. Le milieu des chambres de commerce est assez particulier. D’un côté, il y a des membres, qui sont demandeurs, extrêmement dynamiques, qui sont en fait le cœur de la chambre de commerce et, de l’autre côté, il y a une équipe salariée. La perception des deux côtés est parfois un peu compliquée. Il y a beaucoup de parties prenantes. Avec l’Europe, c’est encore plus compliqué. Je me suis dit que cela pourrait être éprouvant, mais c’était un beau challenge. Il y a avait un financement 12

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européen, je n’en avais pas à la Chambre de commerce française. Finalement je me suis laissé convaincre, et je pense avoir pris la bonne décision. CM : Parlez-nous un peu de votre arrivée à EuroCham et d’EuroCham en elle-même La première chose en arrivant à EuroCham a été de recruter. Il y avait tout à faire. Au début nous avions beaucoup de stagiaires et très peu de permanents. Aujourd’hui nous sommes une quinzaine de permanents, parfois un peu plus avec les stagiaires. L’idée d’EuroCham venait de Dominique Catry, qui était président de la CCI à l’époque. Il a fondé EuroCham, il en est devenu président, avant même qu’il y ait ce financement. EuroCham est une Chambre de commerce européenne avec des chapitres nationaux, créée par la Chambre de commerce française, BritCham et la Chambre allemande. Maintenant nous avons NordCham, et le chapitre italien. C’est une belle diversité, la Chambre de commerce française représente toutefois encore 50% de nos membres. Nous avons la chance d’avoir ce programme de soutien aux PME européennes. Notre vocation est d’améliorer la balance commerciale entre l’Union Européenne et le Cambodge, l’UE est le premier marché à l’export, mais en termes d’investissement, elle ne représente encore que 4 à 5%, c’est encore trop peu. Nous sommes là aussi pour fournir une aide à l’implantation. Pour une entreprise qui se présente, petite ou grande, nous allons fournir des conseils et des services. Nous proposons toute une série de prestations. Nous avons une équipe de professionnels, de très bons analystes, avec une base de données conséquentes grâce à nos connections. Nous avons aussi un business center pour ceux qui viennent en prospection et ne souhaitent pas s’installer dans l’immédiat. CM : Quels sont les challenges ? Le gros challenge est d’attirer des grandes entreprises.  Nous aimerions avoir des investissements de la même taille que ceux des japonais. Nous avons quelques gros investissements avec Vinci ou Total, mais il y besoin d’une plus grande diversification. Le Cambodge est un pays adapté à l’entreprenariat. C’est un pays très ouvert, c’est très facile de monter une société, c’est assez facile au niveau des permis de travail. CM : Parlez-nous du Livre Blanc… C’est un projet phare qui s’inscrit dans notre politique de dialogue constructif

avec le gouvernement. Le Livre blanc est un ensemble de recommandations faites à partir des requêtes du secteur privé. Nous avons dans notre équipe de fins spécialistes du Cambodge, qui ont fait un travail remarquable. Nous sommes là pour engager le dialogue, créer une plateforme de discussion riche entre le secteur privé et le gouvernement. Cela existait déjà avec les forums entre gouvernement et secteur privé, mais cela était peut-être moins accessible. Nous avons travaillé dur pour adapter notre approche, pour ne pas être pris pour des donneurs de leçons. Nous avons eu de la chance d’être bien perçus. Nous avons parmi le conseil d’administration des gens qui sont là pour rester, donc, avec une vision à long terme. Ils voient le potentiel, savent que ce n’est pas facile. Nous ne faisons pas de lobbying, nous défendons les intérêts d’un secteur, le gouvernement s’est montré très ouvert et beaucoup de ministères nous ont accueillis très favorablement. Le premier Livre Blanc l’année dernière a été bien perçu et il y a eu un retour très positif, c’est une grande fierté. CM : Comment se passe la journée de la directrice d’EuroCham ? Une journée chez EuroCham est une journée très longue, mais c’est passionnant. Il y a beaucoup d’aspects différents dans ma mission : la promotion active du Cambodge à l’étranger, c’est aussi un business club qu’il faut animer. Nous avons choisi de faire beaucoup d’évènements, cela prend du temps. Il reste beaucoup de choses à mettre en place, on ne s’ennuie jamais. CM : Vos ambitions ? La principale est de contribuer à changer la perception du Cambodge depuis l’étranger. Le pays a beaucoup changé, il y a eu des progrès mais il n’y a pas encore suffisamment de visibilité sur ce pointlà. Cela me plait de pouvoir poser ma pierre, de participer au développement, de voir le Cambodge évoluer reste un grand privilège. CM : En dehors du travail ? J’élève mes enfants, et cela prend aussi beaucoup de temps, mais le fait de pouvoir les élever ici est un privilège. Autrement, je fais un peu de sport, j’adore la littérature, quand j’étais plus jeune, j’écrivais, j’ai même passé le concours général de français. Quant à la France, elle ne me manque pas, mes amis me manquent mais j’adore la vie que j’ai ici.


I N N OVAT I O N

le KamasK

Veasna Srey, Co-fondateur de KamasK

texte et photographie Eléonore Sok-Halkovich

VV

ous

l’avez peut-être aperçu sur le nez de propriétaires de deux roues, KamasK, ce masque coloré à l’allure

futuriste, c’est lui : Veasna Srey, un francocambodgien de 38 ans. L’idée est d’abord née d’un impératif ; férus de vélo, sa compagne et lui souffraient de la pollution entraînée par le boom de l’automobile. Les masques anti-pollution vendus en Europe dans les magasins spécialisés sont trop chers à importer. Veasna se lance dans la fabrication d’un prototype : il imagine un tissu respirant, des accroches ajustables et un filtre à charbon de bois capable de retenir les particules fines. Introuvables au Cambodge, il débusque ces matériaux en Chine et décide de passer commande d’un premier lot, qu’il assemble et fait tester à ses proches. Et ça marche ! KamasK séduit les expats et cette nouvelle génération de jeunes urbains qui commence à développer une conscience écolo. Si les matériaux proviennent de Chine et Taïwan, la main d’œuvre est locale - et responsable - les pièces étant montées dans l’atelier de couture de l’association Pour un Sourire d’Enfant (PSE). Originaire de Battambang, Veasna est né en 1979, alors que les combats entre les forces vietnamiennes et les Khmers Rouges font rage. Sa famille se réfugie dans un camp à la frontière thaïlandaise avant de s’envoler pour la France. À 7 ans, il découvre le froid et une nouvelle vie dans une cité de Béziers. Son père, ingénieur des Ponts et Chaussées se reconvertit en * crédit photo Facebook/KamasK.Cambodia

dépanneur électroménager. « Il savait tout réparer : on récupérait les radios et téléviseurs jetés pour leur donner une seconde vie, notre salon ressemblait à un atelier ! », raconte-til. Le petit garçon imite papa et démonte son premier camion électrique à 9 ans. Il se dirige donc naturellement vers un Bac S en Sciences de l’Ingénieur, puis obtient un BTS en conception de produits industriels. Veasna passe alors aux avions, dessine des pièces d’Airbus A380, des portes de Boeing 787, travaille à Toulouse puis à Montréal. En 2014, il décide de faire un long voyage en Asie, avec escale au Cambodge, malgré les réticences de sa mère, dont les souvenirs renvoient aux êtres chers disparus. Pour lui, c’est un choc : « Je retrouvais des sensations familières, le parfum du champa, la terre rouge », se remémore-t-il. Le créatif découvre aussi une scène entrepreneuriale dynamique, ce qui l’encourage à poser ses bagages en mars 2016. À la tête de sa start-up, Veasna vend aujourd’hui entre 100 et 150 masques par mois, et fourmille de milles autres idées. Il a conçu un jeu de Mölkky (des quilles finlandaises) en khmer, monté des moteurs électriques sur des vélos, créé des meubles, et s’apprête à faire pousser des tomates bio… « KamasK c’est une solution, mais ça ne résout pas le problème de la pollution, pour cela il faut faire évoluer les comportements », confie celui qui rêve d’ouvrir un magasin concept où mener à bien tous ses projets. « Il ne manque plus qu’un partenaire ou un business angel », sourit-il. Avis aux amateurs !

*

LES KAMASK,

entre $12 et $14, sont disponibles dans plusieurs points de vente de Phnom Penh. Plus d’infos sur le site www.kamask.com ou la page Facebook/KamasK.Cambodia.

www.cambodgemag.com

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ÉCONOMIE

L’ENERGIE

au

Cambodge texte et photographies Alain Gascuel

L'

accès à une énergie bon marché et de bonne qualité reste un élément décisif pour

encourager les investisseurs à s'installer dans le royaume. En 2017, la couverture du réseau électrique cambodgien n'atteint que 55% des habitants avec une large disproportion entre les grandes agglomérations et les provinces. Il n'est pas rare d'ailleurs que les habitants et petits entrepreneurs des villes et villages éloignés aient recours à des méthodes archaïques pour s'éclairer ou faire fonctionner leurs équipements ménagers ou professionnels. Malgré une augmentation de la production électrique sensible ces dernières années, le Cambodge reste largement en souscapacité de production électrique. Les coupures de courant restent aussi fréquentes à Phnom Penh durant la saison sèche. Au Cambodge, la distribution d’électricité est structurée autour de l’Autorité pour l’Electricité au Cambodge (EAC) et de l’Electricité du Cambodge (EDC). Ce dernier est présent essentiellement dans les grandes villes. Dans les zones rurales, l’EAC s’appuie sur un réseau de 300 petits entrepreneurs ruraux, qui reçoivent des licences pour produire et/ ou distribuer de l’électricité dans une zone attribuée. Ces entrepreneurs ruraux offrent généralement un service limité. Ils n’opèrent que dans les zones densément peuplées et, dans de nombreuses régions, l’électricité est disponible seulement quelques heures en soirée. Les tarifs sont élevés : un kWh coûte entre 0,5$ et 1$. Cela représente un coût trois à six fois plus élevé qu’en France. Pour pallier à ces déficiences, le gouvernement s'est fixé plusieurs objectifs ambitieux, 14

CAMBODGEMAG | Novembre 2017

comme l'explique Ty Norin, président de l’EAC (Electricity Authority of Cambodia - Autorité pour l’Electricité au Cambodge) : • Il s'agit de fournir, à travers le réseau national, une électricité de qualité (puissance régulière et permanente) à des tarifs modérés, à l'ensemble des villages d'ici 2020 et à 70% de tous les ménages ruraux d'ici 2030. • Répondre aux besoins immédiats et s'adapter aux prévisions : avec une croissance économique de 7 % par an, la consommation nationale est susceptible d'augmenter de plus de 18% par an. À ces objectifs prioritaires s’ajoutent : • La nécessité pour le Cambodge de devenir totalement indépendant de l’énergie importée. Les importations d’électricité du Vietnam et de Thaïlande (80% de la consommation en 2006), sont passées respectivement à moins de 15% et 5% en 2017 grâce aux centrales hydroélectriques et aux centrales à charbon. • L'objectif pour le Cambodge de devenir exportateur d’énergie.


Les barrages hydroélectriques

Avec le Mékong et ses affluents, le Cambodge dispose d’énormes réserves d’énergie hydraulique renouvelable et non polluante. Parmi les barrages qui contribuent à l’approvisionnement du réseau, citons : Kirirom 1 (12 Mw), Kamchay (195 Mw); Kirirom 3 (18 Mw), Stung Atay (120 Mw), Stung Tatay (246 Mw), Lower Russey Chrum, (338 Mw), et enfin Lower Sesan 2, de loin le plus gros ouvrage construit au Cambodge avec une pleine capacité de 400Mw, mis en service en septembre dernier. Les barrages fournissent plus de 60% de l’électricité produite au Cambodge. Cependant ces infrastructures ont leurs détracteurs qui avancent les déplacements des populations riveraines, la perturbation des écosystèmes et des migrations de poissons, et l’influence de ces barrages sur les crues et décrues du Tonle Sap. Ces arguments sont avancés en particulier contre le projet laotien de Don Sahong, et auraient provoqué l’arrêt du projet de barrage d’Areang dans les Cardamomes. Discussions et controverses ne sont pas près de s’éteindre puisqu’on reprend deux énormes projets : Stung Treng (900 Mw) et Sambo (2 600 Mw). Toutefois, ces barrages rendraient le Cambodge indépendant de toute importation avancent ses partisans et, gérés en BOT (Build – Operate – Transfert), ils ne coûteraient donc rien.

Les centrales à charbon

Construction du barrage de Sre Ambel

sur la route de Stung Hav. La localisation a été bien étudiée : ces centrales sont proches de la côte, et le charbon en provenance d’Indonésie est facilement débarqué à proximité. Ces centrales sont hors de l’agglomération, et la pollution est chassée par les vents dominants vers une zone très peu habitée. Elles sont aussi proches des grands centres de consommation : l’agglomération de Sihanoukville et ses environs, et les Zones Economiques Spéciales. Les puissances respectives sont de : 100 Mw pour la centrale dite « malaisienne », 240 Mw pour la centrale dite « chinoise », et 135 Mw prévus pour « Sihanoukville3 ». En 2016, les deux centrales en service ont produit 2,376 Gw.

Énergies nouvelles

Selon l’étude du cabinet de consultants « Innovation, Energie, Développement» , les énergies renouvelables au Cambodge, mini-réseaux hydrauliques, mini-réseaux photovoltaïques, miniréseaux diesel, hybride solaire/diesel, biomasse, stations solaires… ne devraient couvrir en 2030 que 5,2% des besoins des villages, et moins de 1% pour ceux des foyers.

L’énergie

solaire au Cambodge

L'énergie thermique : c’est une énergie peu onéreuse, et permanente, susceptible de relayer les centrales hydroélectriques si l’eau vient à manquer en saison sèche. Il existe deux centrales au charbon au Cambodge, près de Sihanoukville, situées

À Bavet, une centrale solaire de 10 Mw, la première à être reliée au réseau cambodgien, sera construite par une entreprise de Singapour, Sunseap Energy. Elle fournira le quart de la consommation de Bavet. Le financement, 9,2 millions de dollars, sera assuré par la Banque Asiatique de Développement, par un fond canadien

et par un investisseur privé. Electricité du Cambodge, prévoit un parc d’énergie solaire produisant 100 Mw (y compris Bavet), réalisable en deux phases. En 2017, l’énergie solaire est encore peu développée au Cambodge : seulement 10 à 20Mw au total, indique le ministère des Transports et de l’Energie. Les raisons de ce sous-développement sont simples : le coût de l‘investissement, 4 à 12 000$ pour une habitation privée, plusieurs millions de dollars pour une grande entreprise, avec une rentabilité effective à partir de 3 à 5 ans dans les conditions les plus favorables. Le concept de l'énergie solaire et de ses avantages n'est pas ou encore trop peu assimilé. Il semblerait que les coûts d'installation et de la connexion au réseau restent un frein à cette alternative. Cependant, le solaire progresse légèrement. Les arguments en sa faveur sont évidents : le prix des panneaux solaires a beaucoup baissé et, pour le long terme, cette énergie est indéfiniment renouvelable. Le solaire ne provoque aussi aucune destruction de l‘environnement et ne pollue pas. Il est aussi possible d'alimenter les utilisateurs isolés. Les inconvénients sont faibles : il y a des jours, et des périodes sans soleil ? Les centrales au charbon peuvent y remédier. Le gouvernement est décidé à le favoriser avec la construction de cette centrale solaire à Bavet, avec l'appui d'organismes internationaux comme l’AFD, l’Union Européenne, la Banque mondiale et l’ADB.

Le pétrole

La grande aventure du pétrole a commencé il y a 50 ans, elle a été décevante. Dès les années 1970, la société française Elf avait foré deux puits dans les eaux cambodgiennes, sans succès. En 1993, dans un Cambodge en pleine renaissance www.cambodgemag.com

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ÉCONOMIE

Raffiner

l’idée est reprise. L’Autorité Nationale du Pétrole est créée, on attribue des blocs à des compagnies exploratrices, et en deux ans quatre puits sont forés par Campex, Enterprise Oil, et Premier. Chaque forage, au-dessus de 40 à 70 m d’eau, coûte alors entre sept et dix millions de dollars. Trois puits obtiennent des « traces très encourageantes », des études sismiques sont réalisées, et l’optimisme amène Enterprise Oil à inviter des journalistes en 1996 à visiter son bateau de forage dans le Golfe de Thaïlande. Les choses vont moins bien ensuite : le Cambodge et la Thaïlande se disputent au sujet de la délimitation des eaux territoriales et sur le partage des découvertes éventuelles et, surtout, les compagnies qui se sont lancées dans l’exploration : Mitsui, Conoco, Chevron, BP, Shell, Idemitsu et autres ne trouvent pas de gisements exploitables, tant pour le pétrole que pour le gaz. Les raisons techniques fournies par M. Men Den, géologue et directeur de la CNPA - Cambodia National Petroleum Authority - : le sous-sol est très fragmenté et il est difficile de trouver des « poches » de petites dimensions. Il faut beaucoup de forages pour les atteindre. D’autre part, il s’agit d’un pétrole visqueux, coûteux à extraire, et donc probablement peu compétitif sur le marché mondial. Pour ces raisons, l’enthousiasme pour le pétrole cambodgien a sensiblement baissé. Pourtant, cette année, l'entreprise de Singapour KrisEnergy a racheté les droits de forage de Chevron dans le bloc A. Selon KrisEnergy, le projet de phase 1A verrait une installation minimale, sans pilote, avec une plate-forme de tête de puits de 24 fentes. Il est estimé que cette plateforme produirait quotidiennement jusqu'à 30 000 barils de fluides. Le pétrole produit à partir de la phase 1A du développement d'Apsara sera transféré à travers un pipeline de 1,5 km et stocké dans un navire de flottaison, de stockage et de déchargement amarré en permanence. 16

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Ces espoirs de découvertes justifient en partie la construction d’une raffinerie d’une capacité de cinq millions de tonnes par an, pour un coût total de 1,67 milliard de dollars. L’entreprise chinoise Sino Great Wall doit terminer la première phase, deux millions de tonnes de capacité, sur 80 hectares près de Sihanoukville (Prey Nup), en 2019. Le coût est de 620 millions de dollars. En attendant de pouvoir raffiner du pétrole cambodgien, elle sera approvisionnée par du pétrole en provenance d’Iran ou d’Irak, et devrait contribuer ainsi à faire baisser le prix des carburants localement.

L’énergie Bio

L’idée de la biomasse : utiliser des produits naturels, le gaz produit par la fermentation de certains produits. Il y a eu des essais à petite échelle au Cambodge, à partir du manioc, de la canne à sucre. Certaines rizeries l’utilisent… On a pensé aussi au biofuel, au jatropha, une noix dont le jus peut servir de carburant. Toutefois, les utilisations restent confidentielles et limitée pour l'instant à quelques projets pilotes.

L’énergie nucléaire

Pour le président de l’EAC, Ty Norin, le Cambodge n’est pas prêt pour produire de l'énergie nucléaire, il n’a pas l’expertise nécessaire, ce serait une aventure trop coûteuse. Une idée a eu ses partisans : laisser au Vietnam qui a projeté de construire six centrales (la première en 2019), l’acquisition de la technologie, les investissements et les risques de l’énergie nucléaire, et lui acheter ensuite une électricité bon marché. Ce projet n’a pas eu de suite car le Vietnam a renoncé à ses projets nucléaires. La Russie a également proposé au Cambodge de l’aider en matière de formation et de recherche. Le Premier ministre russe Medvedev a signé en 2016 à Phnom Penh un mémorandum de coopération avec le Cambodge. Il ne s’agirait bien sûr que de nucléaire civil, qui serait agréé et inspecté par l’IAEA (International Atomic Energy Agency). Il s’agirait pour commencer d’une centrale de recherche et de formation. Il n’empêche : selon la plupart des décideurs cambodgiens en matière d’énergie, pour avoir à la fois l’abondance et l’autonomie, l’avenir de l'énergie au Cambodge à long terme resterait l’hydro-électricité et le solaire.

“ Ces espoirs de découvertes justifient en partie la construction d’une raffinerie […] coût total de 1,67 milliard de dollars ”


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P H OTO G R A P H I E

CUEILLETTE DE LOTUS

PROVINCE DE KAMPONG SPEU Le lotus est une fleur sacrée au Cambodge, on peut consommer ses graines et en tirer un fil plus fin que la soie. Les pétales sont utilisés pour la cuisine ou pour la décoration des plats. Le pistil est utilisé séché pour les tisanes Les feuilles servent à la cuisson de certains plats et parfument à merveille. Les racines et le pédoncule du lotus sont aussi consommés au Cambodge pour en faire des sautés, des soupes ou des salades. photographie Sayon Soun

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FOCUS

Gravir les échelons… En 1981, la jeune étudiante originaire de Pursat termine sa scolarité à Phnom Penh et part vers la Russie pour préparer un Master de Sciences. C’est durant ces années à Moscou que lui viendra alors sa passion pour la langue française : « Ma mère m’avait déjà enseigné l’amour des livres. Alors étudiante en Russie, j’avais entrepris de lire les grands auteurs classiques français. Mais, j’avais à disposition des versions traduites en russe et, même si les histoires me plaisaient, j’avais envie de lire ces ouvrages dans leur version originale », explique-t-elle. En 1993, alors enseignante à l’Institut de Technologie, l’établissement reçoit l’appui de l’aide française et permet alors à Phoeurng Sackona de partir préparer son DEA et son Doctorat à Dijon. En 1991, elle aura eu son premier enfant, sa fille Nipoan, c’est donc en famille qu’elle part étudier à nouveau dans un pays étranger à l’Ecole Nationale Supérieure de Biologie Appliquée à la Nutrition et de l'Alimentation. Ce sera l’occasion de peaufiner sa maitrise de la langue française, une langue qu’elle qualifie d’ouverture, et de découvrir un pays dont la réputation en matière de préservation des monuments et des arts résonne au-delà des frontières. De retour dans le royaume, elle gravit les échelons : la direction de l’Institut de Technologie en 2003, le Secrétariat d’Etat en 2008 et le ministère en 2013. Elle succède à Him Chhèm qui devient chargé des missions spéciales au gouvernement. « Ma première mission en franchissant les portes du ministère a été de mettre en place un programme de renforcement des compétences du personnel. Ensuite, il a fallu s’attaquer aux dossiers de l’UNESCO, et c’est un énorme travail », raconte-t-elle.

Phoeurng Sackona

Restaurer un monument, c’est aussi préserver notre culture et notre identité khmères texte et photographie Christophe Gargiulo

A

va n t de devenir Ministre de la Culture et des Beaux-Arts en septembre 2013, Madame Phoeurng

Sackona aura déjà occupé de nombreux postes à responsabilité : Secrétaire d’Etat de 2008 à 2013 au sein du Ministère de l’Education, en charge de la recherche et de la coopération avec les pays francophones, elle aura aussi effectué une longue carrière à l’Institut de Technologie, comme enseignante d’abord et directrice ensuite. Titulaire d’un DEA de microbiologie et Docteur en Biologie Appliquée à la Nutrition et à l'Alimentation, rien ne la destinait donc à devenir la première dame de la culture dans le royaume, si ce n’est un attachement indéfectible à son pays et le désir de préserver l’art et l’identité khmers. Hyperactive derrière un calme et une sérénité bien asiatiques, la ministre qui est parvenue récemment à inscrire le temple de Sambor Prey Kuk à l’UNESCO, a accepté de livrer, en français, quelques-unes des étapes qui l’ont amenée à cette fonction, ses difficultés, ses joies et ses satisfactions. 20

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Inscription à l’UNESCO, patrimoine matériel et immatériel… Il y a en effet deux

grands types de dossiers pour l’UNESCO, les demandes d’inscription au patrimoine matériel et celles concernant le patrimoine immatériel. La première catégorie est la plus lourde, elle représente plusieurs années de travail et l’intervention de plusieurs ministères. Cela concerne principalement les monuments et les villes. La deuxième, qui vise à préserver des disciplines ou des pratiques folkloriques et artistiques dans de nombreux domaines est moins lourde en termes de repérage et d’identification mais revêt un caractère plus urgent car il existe peu de documentation et le savoir


« Je crois que c’est important d’encourager les nouvelles réalisations, les initiatives culturelles, grandes ou petites »

Phoeurng Sackona, Ministre de la Culture et des Beaux-Arts du Cambodge

précieux de ces arts repose sur les hommes. Pour quelques-unes de ces disciplines, le Chapey Dong Veng par exemple, les maîtres sont peu nombreux et très vieux. Si le public peut croire que l’inscription au patrimoine est une inscription fastidieuse certes, mais peu risquée et forcément acquise en raison du besoin évident du royaume en termes de préservation du patrimoine, la réalité est quelque peu différente. « Prenons l’exemple de la récente inscription du temple de Sambor Prey Kuk, il nous a fallu cinq ans pour parvenir à ce résultat. C’est un travail titanesque, le dossier représente plusieurs milliers de pages », explique la ministre, précisant que : « il faut d’abord un descriptif, l’intervention de topographes, d’ingénieurs, de géomètres, d’archéologues, de professionnels du tourisme, et de législateurs. Ces intervenants proviennent de différents ministères, parfois de l’extérieur, il faut donc coordonner tout cela, et cela peut être long. Ensuite, une fois que le dossier est estimé prêt à être soumis, nous l’envoyons et devons ensuite répondre aux nombreuses questions qui nous serons posées concernant cette demande ». Et l’inscription de Sambor Prey Kuk fut effectivement l’illustration d’un dossier difficile. Pas ou peu de documentation ancienne concernant ces vestiges préangkoriens, pas d’accès routiers et des exigences drastiques de l’UNESCO quant à la garantie d’un

programme touristique qui n’affectera pas les programmes de conservation… Mais, « Une fois que le résultat est annoncé et que celui-ci est positif, c’est une satisfaction immense, une vraie joie, la sensation d’avoir accompli quelque chose en faveur du patrimoine et de là, de la préservation de notre identité », s’exclame Phoeurng Sackona avec un grand sourire. « Récemment, nous avons discuté avec le gouvernement pour inscrire des villes au patrimoine de l’UNESCO (Kratié, Kampot et Battambang), ce sera un nouveau challenge car nous n’avons pas encore d’expérience. Il nous faudra bien sur travailler étroitement avec le Ministère du Tourisme », conclut-elle. Avec Sambor Prei Kuk, le Cambodge compte aujourd’hui sept enregistrements réussis auprès de l’UNESCO. Le site historique d’Angkor a été inscrit comme un patrimoine mondial en 1992 ; la danse Preah Reach Troap (Ballet royal) et Lakhon Sbèk Thom (théâtre d’ombres) ont été proclamés chefsd’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité, respectivement en 2003 et 2005 ; le Temple de Preah Vihear a été enregistré sur la Liste du patrimoine mondial en 2008 ; Teanh Prot (tir à corde), un jeu récréatif populaire, a été reconnu comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2015 ; et le Chapei Dang Veng, un style musical khmer, a été inscrit en 2016 sur la Liste du patrimoine culturel immatériel.

Représentation… Parmi les nombreuses

occupations de la ministre figure aussi la représentation. Pour chaque inauguration, célébration ou évènement culturel, elle met un point d’honneur à être présente. « Les relations publiques et ma présence lors d’évènements culturels sont quelques-unes des obligations de notre fonction, mais je m’y prête volontiers car je crois que c’est important d’encourager les nouvelles réalisations, les initiatives culturelles, grandes ou petites. Il y a des associations qui travaillent dans notre domaine, de près ou de loin, et je tiens à leur montrer ma satisfaction », explique-telle.Quant à sa mission de ministre et les satisfactions qu’elle en retire, le leitmotiv reste le même : « Restaurer un monument et le préserver est un acte de mémoire et d’identité, il faut que les jeunes générations connaissent notre histoire ancienne et, notre pays a une culture millénaire immensément riche, il faut documenter, préserver, encore et encore, c’est très important pour nos jeunes qui vivent de plus en plus dans un contexte de mondialisation », déclare-t-elle. Quant à savoir s’il y a un peu de place pour les loisirs et la vie familiale dans un emploi du temps de ministre : « J’arrive à me détendre un peu, Je lis beaucoup, je fais un peu de point de croix, et essaye de passer un peu de temps avec ma fille, c’est important », conclut-elle, avec un grand sourire. www.cambodgemag.com

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CAMBODIA AIRPORTS

RESPONSABILITÉ SOCIALE ET

PERFORMANCE ÉCONOMIQUE

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our Cambodia Airports, le concessionnaire du réseau des 3 aéroports internationaux du Cambodge depuis 1995, la responsabilité sociale et environnementale est une composante essentielle de son projet d’entreprise.

Filiale cambodgienne de VINCI Airports - premier opérateur mondial privé d’aéroports avec 35 aéroports et plus de 130 millions de passagers accueillis en 2016  -, Cambodia airports a mené de front une stratégie de développement, avec des résultats particulièrement visibles comme en témoigne la croissance exponentielle du nombre de passagers (plus de 7 millions de passagers en 2016 marquant un doublement du trafic sur les 5 dernières années) et la modernisation des installations aéroportuaires (à travers notamment un programme d’investissement de plus de 100 millions de dollars achevé début 2016), et le déploiement d’une ambitieuse politique RSE (responsabilité sociale des entreprises). « Le métier de concessionnaire prédispose à une réflexion sur le temps long et à penser nos actions au regard d’enjeux globaux, avance Éric Delobel, le Directeur général de Cambodia Airports, car nous développons et opérons des infrastructures sur plusieurs décennies. Il nous faut donc être capable d’anticiper les défis futurs, d’en mesurer les enjeux économiques et sociaux, et d’y répondre concrètement ». Dans le cadre d’une récente visite de l’aéroport de Siem Reap par l’Ambassadrice de France, Madame Eva Nguyen Binh, et d’une rencontre avec la communauté française des affaires , le Directeur général a présenté les 3 axes de la politique RSE de Cambodia Airports.

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Un programme pluri-annuel de fouilles

Partager les fruits de la croissance au sein de l’entreprise

Cambodia Airports a été l’une des premières entreprises au Cambodge à offrir à ses salariés (plus de 1600 employés) ainsi qu’à leur famille une couverture médicale et des soins de qualité en s’associant avec des partenaires reconnus. Des campagnes de prévention des maladies et des risques (rage, maladies cardio-vasculaires, le port du casque sur les chantiers ou en moto…), et de sensibilisation à l’hygiène de vie sont d’autre part régulièrement menées. L'entreprise est aussi pionnière dans le partage des fruits de la croissance. Depuis 2015, a été mis en place un plan d’épargne salariale appelé Castor International spécialement conçu pour les employés du groupe VINCI dans ses filiales à l’international. Les salariés de Cambodia Airports peuvent ainsi y souscrire à travers l’achat a titre préférentiel d’actions du groupe VINCI et bénéficier d’un abondement de l’employeur. Enfin, pour favoriser l’évolution des carrières, l’ensemble du personnel, outre les formations obligatoires, est encouragé à suivre les formations élaborées en particulier par la VINCI Airports Academy, qui sont individualisées et dispensés soit en ligne soit en présentiel à travers des


archéologiques préventives à l’aéroport de Siem Reap

modules couvrant les différents métiers exercés par un concessionnaire aéroportuaire (sécurité, opérations, commercial, technique, gestion…). Philippe Araujo qui est en charge notamment des Ressources Humaines chez Cambodia Airports précise à ce titre que « plus de 1100 employés ont été formés par ce biais pour un total de plus 10000 heures de formation ». L’environnement au coeur des projets de développement aéroportuaire

Le respect de l’environnement est l’un des 3 piliers de la politique RSE de Cambodia Airports aux côtés des actions relevant du champ social et du champ sociétal et constitue un des leviers de sa performance globale À Siem Reap par exemple, un territoire riche en sites archéologiques, la protection et la préservation du patrimoine est une problématique présente dans l’ensemble des programmes de développement. Cambodia Airports conduit ainsi des fouilles archéologiques préventives, en collaboration avec l’Autorité Apsara et l’Inrap (l’Institut national des recherches archéologiques préventives), avant le démarrage de tous travaux d’extension. Ces opérations poursuivent 2 objectifs clés : d’une part, favoriser la conciliation des contraintes d’aménagement avec la

problématique scientifique et les exigences du développement touristique, économique et social de la région de Siem Reap et, d’autre part, partager les compétences des archéologues français de l’INRAP avec leurs homologues cambodgiens. Autre illustration à l’aéroport de Sihanoukville, avec la conduite d’une étude sur les potentiels impacts environnementaux liés aux travaux d’allongement de la piste que le concessionnaire projette de réaliser en 2018 après les études préalables lancées début 2017. Par ailleurs, les aéroports internationaux de Phnom Penh et de Siem Reap (et bientôt de Sihanoukville) sont équipés depuis fin 2016 de stations de traitement des eaux usées. Elles utilisent un système par centrifugation des boues résultantes du traitement des eaux usées, une technologie de dernière génération qui permet, d’un côté, de recycler les déchets organiques issus de ce traitement pour les réemployer en engrais et, de l’autre, d’acheminer l’eau propre vers un bassin de stockage pour pouvoir la réutiliser en saison sèche aux fins d’arrosage des espaces verts de l’aéroport. À l’échelle du réseau mondial des aéroports de VINCI Airports, qui opèrent des plateformes dans 10 pays et sur 3 continents, la politique environnementale est considérée comme un levier de performance à part entière. Dans cette perspective, et en parallèle de la certification Airport Carbone Accreditation (ACA) de tous les aéroports du réseau, un système de gestion environnementale visant l’amélioration continue pour réduire leur impact carbone doit se matérialiser par leur prochaine certification ISO 14001. Comprendre les enjeux sociétaux et accompagner les communautés

Éric Delobel a la conviction que la réussite des projets menés par Cambodia Airports est intimement liée à leur utilité publique dans un sens large. Un constat qu’illustre l’exemple du soutien apporté aux Artisans d’Angkor. Cette entreprise sociale mixte occupe une place majeure dans le domaine du commerce équitable du Royaume. Implantée à Siem Reap, elle participe de la renaissance des arts et de l’artisanat khmers (de la soie, des sculptures en bois et de la pierre…), et a fondé un modèle économique unique reposant sur la formation des artisans et la création

La réussite des projets menés par Cambodia Airports est intimement liée à leur utilité publique”

Une politique RSE autour de 3 volets : social, environnemental, et sociétal (à l'exemple du partenariat historique avec Les Artisans d'Angkor)

d'emplois à proximité de leurs lieux de vie. En assurant ainsi des revenus pour plus de 1300 artisans et des milliers de familles, Artisans d’Angkor a contribué à la vitalité du milieu rural. L’activité du réseau des aéroports internationaux du Cambodge est un moteur durable et primordial de son développement socio-économique

Dans une étude réalisée en 2015, les chiffres viennent étayer le fait que le réseau des aéroports internationaux constitue un moteur durable et primordial du développement socio-économique du Cambodge. Pour le PIB du pays, leurs activités et celles qu’elles génèrent y contribuent à hauteur de 17% pour un montant de 2.7 milliards USD. Sur le plan de l’emploi, ces activités représentent plus de 1.7 millions d’emplois, soit 27% de la population active. www.cambodgemag.com

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I N I T I AT I V E

LES

GRANDS-MÈRES

À L’EAU

texte et photographie par Eléonore Sok-Halkovich

Rin, 72 ans

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CAMBODGEMAG | Novembre 2017

Quatre femmes âgées vêtues de sarong entrent dans le vestiaire et

ressortent en leggings et tee-shirts colorés. À petits pas, elles se glissent dans l’eau bleue de l’immense centre aquatique du Fantastic Water Park. Des mamies à l’eau, une image banale en Europe, mais pas ici au Cambodge, où de nombreuses personnes ne savent pas nager, encore moins les femmes, encore moins âgées. « Il ne me serait jamais venu à l’esprit d’aller à la piscine ! », s’exclame Rin, 72 ans, la cheffe de bande au sourire espiègle, qui lâche sa frite pour nous montrer comment elle a appris à barboter sur le dos. Rin, Morn, Vary et Sim font partie du « Grannies program » de l’ONG Cambodian children's fund (www.cambodianchildrensfund.org/). Installée dans le quartier défavorisé de Steung Meanchey, cette organisation qui vient en aide aux enfants de l’ancienne décharge, a décidé en 2012 de se pencher aussi sur le cas des aînés.

Nombre de femmes ayant perdu leurs familles vivent dans l’isolement, ou ne sont pas soutenus par les enfants qui euxmêmes s’occupent de leur survie. Comme yeay Morn, 94 ans, qui a perdu son mari et deux de ses sept enfants durant la guerre. Elle vit avec avec une de ses filles, chiffonnière, et ses quatre de ses petitsenfants. Ce matin, elle se laisse balader avec plaisir dans sa bouée, sous les jets d’eau de ce décor de conte de fée. Quelques heure d’évasion, d’insouciance, de retour à l’enfance. « Je m’amuse bien, et depuis que je fais un peu d’exercice, je me sens en meilleure forme », confie cette femme dont le visage parcheminé et le corps voûté racontent une vie de dur labeur. Le programme compte 66 aïeules, âgées de 53 à 106 ans, et 3 papis. En échange d’un peu d’argent, de sacs de riz, ainsi que d’un accès aux soins, elles sont chargées de jouer les modèles pour les jeunes de la communauté, de transmettre savoirs et histoires, pour renforcer les liens intergénérationnels.  Différentes activités leurs sont proposées ; séances de gymnastique, cours d’alphabétisation - certaines de ces mamies ont appris à écrire leur nom pour la première fois - et sorties en villes. Dernièrement, les vieilles dames ont découvert Starbucks !


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ARCHIVES

LES JEUNES

D'AUJOURD'HUI ET LE CAMBODGE DE

1980

textes fournis par l'ONG Anjali House, photographies John Burgess

Pendant longtemps, nous avons vécu l’enfer. Nous avons essayé de vivre avec. Nous avons prié Dieu chaque jour. Nous lui avons raconté notre chagrin. Nous avons besoin de son aide. Nous avons besoin que Dieu nous sorte de l’enfer. Nous souffrons tant. Nous sommes tellement énervés. Nous ne voulons plus vivre en enfer. Nous n’avons jamais connu la liberté, nous ne mangeons jamais à notre faim, nous ne nous reposons pas quand nous sommes fatigués. Nous n’avons pas de maison où vivre. Nous vivons dans la peur. Nous devons travailler du lever au coucher du soleil. Nous n’avons pas 26

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Trois jolis textes commentaire

sur photo d'archives, dont un poème, écrit par des adolescents cambodgiens de l'ONG Anjali House, lors de l'exposition « Renaissance du Cambodge – Un an après les Khmers Rouges » qui s’est tenue à Siem Reap, et pour laquelle l'ONG a souhaité recueillir les impressions des jeunes d'aujourd'hui concernant cette période de l'histoire du Cambodge.

le temps de faire autres choses. Si nous voulons essayer, ils ordonnent « Tuez-les ». Ils sont les Khmers Rouges. Ils n’ont pas de cœur. Ils détruisent notre humanité. Ils nous apprennent à tuer, à haïr les intellectuels. Ils apprennent aux enfants à tuer leurs parents. Ils sont comme le diable. Parfois, ils nous exécutent sans raison. S’ils ont décidé que c’était notre heure, nous ne pouvons pas les implorer. Nous ne pouvons nous enfuir. Nous ne pouvons protester. Il n’y a qu’un chemin, s’asseoir et les laisser nous tuer. Nous devons les suivre et découvrir l’endroit où nous allons mourir. Savez-vous combien nous avons souffert ? Mais maintenant

nous sommes libérés de l’enfer. Nous sommes tellement heureux. Nous y avons échappé, nous sommes en vie. Cela ne se reproduira jamais. Nous ne voulons plus y retourner. Nous savons que nous pouvons vivre heureux, que nous pouvons être libres, que nous pouvons manger autant qu’on veut. Personne ne nous empêchera d’être libres. Personne ne nous tuera. Personne ne nous mettra en joute pour nous forcer à travailler. Mais nous n’oublierons jamais ce cauchemar, jusqu’à notre mort.

Chy, 17 ans.


Je pense que cette photo a été prise après la guerre. Des personnes ont perdu leur mère, leur père, leur sœur, leur frère, leur tante, leur oncle et d’autres membres de leur famille. Je pense que leurs mères et leurs pères sont morts pendant la guerre et qu’ils essayent de survivre en travaillant après la guerre. J’ai de la peine et je suis triste, car je ne sais pas comment ils ont vécu après la guerre ou pendant le temps du Pol pot. Je veux les encourager à se battre pour vivre. Ne pas pensez au passé et tournez-vous vers l’avenir, faire de ton mieux, entraidez-vous les uns les autres pour vivre. Soyez une bonne personne et vous réussirez dans l’avenir.

Soknang, 19 ans. Char abandonné Je veux savoir pourquoi Sur mon vieux vélo Sous le soleil, sans chaussure. Un petit sac de riz et un tapis. Pas d’école. Où dois-je aller ? Que puis-je faire? Je vois un tank. Mes larmes coulent. Je pense au passé. Je pense à la guerre. Ma famille. Mon pays. Ma vie de souffrance. Je veux savoir. Je veux comprendre. Qu’avons-nous fait de mal ? Pourquoi devez-vous tuer ? Pourquoi devez-vous nous punir ? Je veux savoir pourquoi.

Eung Sok Buntha, 17 ans. www.cambodgemag.com

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D OSS I E R

FORTE CROISSANCE

des investissements directs CHINOIS par Christophe Gargiulo

L’

aide et l’investissement chinois au Cambodge croient de façon exponentielle ces dix dernières années

au point que l’Empire du Milieu est devenu le premier partenaire du Cambodge en termes d’investissements directs avec des participations principalement axées sur l'agriculture, les mines, les projets d'infrastructure, les barrages hydroélectriques le secteur du textile et, plus récemment, dans les secteurs de la construction et du tourisme. Depuis 1994, les investissements chinois directs dans le royaume totalisent 16,2 milliards de dollars américains. Mais, la Chine est

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aussi le premier partenaire pour l'aide au développement en décaissant plus de 200 millions de dollars par an depuis 1992 en prêts de concession et subventions. En plus de cette substantielle aide au développement, la Chine fournit également une aide considérable au développement des Forces Armées Royales cambodgiennes avec la distribution de matériel militaire, de camions, d’hélicoptères, et d’équipements médicaux. Critiquée par certains en raison de la réputation de la Chine de ne pas s’embarrasser de rhétorique démocratique, et de vouloir créer un état vassal avec le Cambodge prêt à servir les

intérêts de ce grand partenaire sur les questions délicates de la Mer de Chine avec l’ASEAN, les milieux d’affaires cambodgiens accueillent la Chine les bras grand ouverts, la diplomatie occidentale montre quelque inquiétude face à cette hégémonie grandissante, tout en soulignant que le phénomène n’affecte pas que le Cambodge mais aussi l’Europe, l’Afrique et d’autres pays d’Asie, et la communauté d’affaires expatriée concède qu’il faudra bien s’adapter face à cette montée en puissance irréversible, reconnaissant également que « tout n’est pas forcément négatif avec la Chine ».

Histoire, rapprochement et intérêts communs La Chine s'est longtemps intéressée au Cambodge. Lorsque

l'Amérique a soutenu le général Lon Nol, qui a pris le pouvoir en 1970, la Chine a soutenu ses adversaires : Norodom Sihanouk, le roi déchu, et les Khmers Rouges, qui ont renversé le gouvernement Lon Nol en 1975. La Chine a continué à soutenir les Khmers Rouges même après l'intervention vietnamienne. Mais, une fois qu’ Hun Sen a consolidé le pouvoir dans les années 1990, la Chine a commencé à le courtiser assidûment. Auparavant méfiant face aux appels du

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7,5 milliards de dollars en centrales hydroélectriques investis par la Chine au Cambodge


pied du géant chinois, le Premier ministre déclarait quelques années plus tard que la Chine était « l'ami le plus digne de confiance » de son pays. L'actuel président chinois, Xi Jinping, lors de sa visite dans le royaume en octobre 2016, qualifiait Hun Sen « d’ami à toute épreuve ». Les raisons de ce rapprochement spectaculaire ? Pour le Cambodge, l'avantage le plus évident est économique : l'investissement étranger direct reste l’une des principales forces motrices du développement économique du Cambodge. La Chine, le Japon, la Corée du Sud et les pays de l'Asean sont les sources de l'afflux d'investissements directs étrangers dans le royaume. Mais la Chine, premier investisseur direct, est aussi un précieux donateur et sa générosité permet d'acheter et de construire des choses que le Cambodge ne pourrait pas se permettre autrement. Phay Siphan, un porte-parole du gouvernement, déclare : « Sans aide chinoise, nous n'irions nulle part ». Le Cambodge utilise également la Chine comme une haie contre l'Occident. La contribution chinoise n'est souvent assortie d'aucune condition, contrairement à la plupart des dons occidentaux, qui sont souvent liés à la « conduite » du gouvernement. Lors de la crise de 1997, les donateurs occidentaux ont suspendu l'aide. La Chine l'a boostée, permettant ainsi de faire un pied de nez aux protestations occidentales, au grand dam des USA qui cherchaient à retrouver leur influence stratégique dans la région. Et ce type de politique perdure aujourd’hui alors que la tension est palpable avec les élections prochaines, et la probable disparition du principal parti d’opposition. Il y a aussi des avantages stratégiques pour les deux partenaires. La proximité avec la Chine aide à désamorcer les revendications antivietnamiennes, quant à la Chine, elle obtient une procuration au sein de l'Association des Nations de l'Asie du SudEst (ASEAN). Le Cambodge a maintes fois empêché l'ASEAN de faire des déclarations critiquant les revendications territoriales de la Chine dans la mer de Chine méridionale, même si elles sont en conflit avec celles de plusieurs autres membres de l'ASEAN. L’ampleur de la présence de la Chine et l’abondance de ses investissements directs semblent déterminés à la fois par des raisons purement économiques, mais aussi des raisons stratégiques et géopolitiques.

Énergie et Infrastructures

Dans sa stratégie de conquête-partenariat, la Chine considère son approche dans un environnement économique global. Si les conditions d’investissement dans le royaume sont particulièrement incitatives pour les étrangers, restent les obstacles du manque d’infrastructures, et de l’énergie, encore trop peu disponible et trop chère à celle des pays voisins. Pour y remédier, la Chine a choisi d’intervenir en amont en investissant dans l’énergie et les infrastructures, pour le plus grand bonheur du gouvernement royal. La Chine est, sans surprise, devenue le premier investisseur étranger dans le secteur de l'énergie au Cambodge, avec un capital cumulé de plus de 7,5 milliards de dollars en centrales hydroélectriques et environ 4 milliards de dollars en centrales électriques au charbon. Le ministre cambodgien des Mines et de l'Energie, Suy Sem, estime que les investissements chinois dans le développement de centrales hydroélectriques et de lignes à haute tension permettent au Cambodge de se créer une nouvelle histoire. « Le développement énergétique est très important pour le Cambodge », confie le ministre. « Les investissements chinois dans le développement des sources d'énergie électrique sont comme la création d'une nouvelle histoire pour le Cambodge », indique-t-il. En raison de la guerre civile, le Cambodge disposait de peu d'électricité par le passé, rappelle-t-il. La guerre a pris fin définitivement en 1999 et le développement des infrastructures, notamment de l'énergie électrique, a démarré de zéro. Suy Sem rappelle que dans le cadre de la coopération avec la Chine, toutes les centrales hydroélectriques au Cambodge sont le fruit à 100% d'investissements chinois, à l'exception du projet de Sésan Krom II qui est mené par une joint-venture composée d'entreprises chinoise, cambodgienne et vietnamienne. « Le secteur énergétique du Cambodge dépend des investissements chinois, sinon, la proportion des régions ayant l'accès à l'électricité ne pourra pas atteindre le niveau que l'on a aujourd'hui », indique Suy Sem, appelant les investisseurs chinois à aider son pays à construire davantage de barrages hydroélectriques, de centrales au charbon, de lignes à haute tension, ajoutant que les besoins en électricité progressaient annuellement d'environ 20%. Parallèlement, Suy Sem

confie apprécier le savoir-faire, l'expérience et l'assiduité au travail des ouvriers et des techniciens chinois travaillant dans les installations hydroélectriques au Cambodge. « Aucun projet n'a été achevé au-delà des délais prévus. Certains l'ont même été avec un semestre d'avance », rappelle-t-il, ajoutant : « …Je pense que sans les Chinois, ces projets n'auraient pas été aussi faciles à accomplir et que les coûts de construction auraient été plus élevés ». Selon Suy Sem, les sept centrales hydroélectriques et des lignes de transmission de courant du Cambodge sont nées de l'initiative la « Ceinture et la Route ». Il propose d'ailleurs que cette coopération dans le cadre de l'initiative se poursuive, « …car notre développement de lignes de transmission de courant couvre 72% des villages au Cambodge et pourrait tous les couvrir d'ici 2020 », conclut-t-il. Environ 70% des routes et des ponts construits ces dix dernières années dans le royaume ont été financés par la Chine, avec des prêts ou des subventions pour leur financement totalisant environ deux milliards de dollars, rapporte le ministre des Transports, Sun Chanthol. Avec une bonne dizaine de ponts et plus de 2000 kilomètres de route construits par l'aide au développement chinoise, le développement des infrastructures a considérablement amélioré l'accès aux marchés, en particulier pour les agriculteurs, et la desserte de la capitale vers les provinces. Alex Loo, consultant et directeur du développement commercial de SC Capital Co., Ltd., explique : « L'investissement chinois procure aux '' petits '' pays de l'Asie du Sud-Est un changement sans précédent pour les aider à devenir des destinations d'exportation chinoises et de tourisme plus conséquentes. La Chine consentira des prêts d'infrastructure de dix milliards de dollars en Asie du Sud-Est ces prochaines années, en mettant également l'accent sur l'infrastructure, l'énergie, les finances, l'immobilier et les transports. Et cela reste une logique politico-économique de bonne guerre, la Chine resserre ses liens, et sécurise les investissements de ses nationaux : à quoi bon investir si la desserte ou même les accès directs routiers sont négligés ? L'investissement chinois ces prochaines années continuera donc probablement d'être un contributeur majeur au développement des infrastructures du Cambodge ».

Secteurs traditionnels

Les investissements traditionnels chinois au Cambodge sont principalement motivés par des conditions économiques www.cambodgemag.com

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D OSS I E R

favorables, un accès au marché facilité, de faibles coûts de main-d'œuvre et des ressources naturelles. Si les entreprises publiques chinoises se concentrent sur les centrales hydroélectriques et les ressources naturelles, les entreprises privées concentrent leurs investissements sur l'industrie du vêtement et le secteur du tourisme. La participation de la Chine au Cambodge a ainsi contribué au secteur du vêtement avec plus de 3 000 entreprises, qui constituent l'épine dorsale des exportations cambodgiennes, représentant 80% de toutes les exportations et employant environ un demi-million de travailleurs, et contribuant à hauteur de 2% du PIB cambodgien depuis 1995. Le Cambodge bénéficie d'accords commerciaux préférentiels et d'un accès au marché mondial, en particulier vers les États-Unis et l'Union européenne et, en tant que membre de la communauté économique de l'ASEAN, les entreprises chinoises qui investissent au Cambodge peuvent exporter leurs produits sur l'ensemble du marché de l'Asean, qui compte plus de 620 millions d'habitants. Il existe aussi 30 projets d'investissements chinois liés à l'agriculture et à l'agro-industrie, couvrant environ 237 406 hectares de terres, dans lesquels 21 projets sont en cours sur 173 904 hectares. Jusqu'à présent, seulement 42 081 hectares ont été cultivés et les plantations d'hévéas consomment la plus grande partie des terres cultivées. En outre, il existe sept projets d'investissement chinois dans le secteur du riz pour une capacité de production de 669 816 tonnes par an. La Chine a également investi dans la construction de la zone économique spéciale de Sihanoukville, la première zone économique spéciale financée par le gouvernement chinois en Asie. Le Cambodia International Investment Development Group et Jiangsu Taihu Cambodia International Economic Cooperation Investment co-gèrent le projet. Il y a au total 108 entreprises situées dans la zone avec un capital d'investissement total de plus de trois milliards de dollars. Ailleurs, les 23 entreprises qui investissent dans l'industrie minière pour le minerai de fer et l'or, dix viennent de Chine. En 2016, il y avait deux projets d'investissement chinois dans l'extraction de granit dans la province de Kratie. 30

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Le textile compte plus de 3 000 entreprises, qui constituent l'épine dorsale des exportations cambodgiennes, représentant 80% de toutes les exportations et employant environ un demi-million de travailleurs

Construction et Immobilier… Néoimpérialisme, invasion… les expressions sont parfois dures à l'égard de ces investissements chinois dans le royaume, qui s’accélèrent, grandissent, et vont encore accélérer et grandir, de façon spectaculaire. Si la tendance statistique persiste, le Cambodge devrait devenir le pays d'Asie du Sud-est à accueillir le plus d'investissements immobiliers chinois en 2018. En 2017, les investissements immobiliers en provenance de Chine atteindront 80 milliards de dollars US dans le monde. Les demandes - requêtes d'achat d'immobilier provenant de Chine via le site Juwai.com ont augmenté globalement de 26% en 2017. Les acheteurs chinois ont le taux de croissance le plus rapide parmi les acheteurs immobiliers internationaux. D’ici 2020, le nombre de transactions immobilières par des acheteurs chinois à l’étranger devraient atteindre 220 milliards de dollars… un chiffre qui donne le vertige et explique pourquoi ces promoteurs chinois deviennent tant courtisés. Les requêtes concernant directement le Cambodge ont augmenté de plus de 300% alors que les Philippines et le Vietnam ont augmenté respectivement de 130% et 60% au premier trimestre 2017, par rapport à la même période l'an dernier. M. Sunny Soo, directeur général chez Keystone Property Consultants Co., Ltd., convient que le Cambodge propose une politique économique solide et de plus grandes facilités d'installations pour les investisseurs chinois, par rapport aux pays voisins.

Laurence Hamilton, vice-président de NC Max World Co., Ltd, une société de promotion immobilière détenue par des Japonais et opérant dans le royaume déclare : « la demande d'investissement des hommes d'affaires chinois est guidée par une réglementation stricte sur les marchés monétaires chinois, ce qui a amené de nombreux investisseurs chinois à rechercher des débouchés immobiliers à l'étranger si possible ». Le Cambodge se montre particulièrement favorable en raison de l'utilisation du dollar américain. Bien sûr, le taux de croissance du PIB au Cambodge, le plus élevé dans la région, est aussi un facteur déterminant pour encourager l'afflux de capitaux extérieurs. Il existe aussi un certain effet de nouveauté, jusqu'à récemment, investir dans des propriétés à l'international était impossible pour de nombreux Chinois. Parmi les raisons « hors rentabilité » qui poussent les Chinois à chercher de l'investissement hors de leurs frontières figurent une certaine recherche de qualité de vie, le besoin d'une résidence hors de Chine, le dépaysement et aussi la volonté d'éduquer leurs enfants hors de la Chine. Même si l'Asie du Sud-Est n'est pas l'investissement immobilier étranger le plus important pour les Chinois, la région reste le marché en développement le plus rapide du monde, générant aussi des rendements bien plus élevés que sur les marchés déjà développés. M. Hamilton ajoute : « bien que les marchés des secteurs tertiaires d'Europe et des États-Unis restent des véhicules forts pour les investisseurs chinois, une grande partie de ces


investissements directs étrangers s'est déplacée vers les économies en développement de l'Asie du Sud-Est au cours des dernières années. Les marchés en développement ont généré des rendements beaucoup plus élevés que sur les marchés développés, avec beaucoup moins de risques… alors que certaines destinations étaient parfois diabolisées… surtout le Cambodge en raison de son passé tragique et d'une reconstruction qui a tardé à démarrer » Tourisme… Le gouvernement royal fait clairement par de son intention d’attirer deux millions de touristes chinois d’ici 2020. Ils sont actuellement aux alentours de 900 000. Et, ce n’est un secret pour personne, les investisseurs chinois dominent le marché immobilier de la station balnéaire de Sihanoukville avec l'objectif de transformer la province en une « ville touristique chinoise ». Sihanoukville était auparavant connue comme une plaque tournante pour les investisseurs européens qui représentaient 75% de l'investissement total de la province. Cependant, avec l'afflux récent d'investissements chinois, cela change rapidement, les Chinois détenant maintenant 65% du total. Les casinos, les condominiums et les complexes hôteliers

“ Sihanoukville était auparavant connue comme une plaque tournante pour les investisseurs européens ” sont les principaux centres d'intérêt des investisseurs chinois. Grâce à l'amélioration de l'infrastructure et au potentiel économique et touristique grandissant de Sihanoukville, de grands projets chinois tels que Blue Bay et The Seagate Suites ont choisi cette province côtière pour accueillir leurs développements. Située dans la zone privilégiée de Victory Beach, et couvrant une superficie de 4 126 mètres carrés, la Seagate Suite, par exemple, est le premier du genre, le plus grand projet de développement à usage mixte de Sihanoukville. Lancé en juin 2017, les 45 étages du Seagate Suite devraient être terminés d'ici décembre 2020. Eam Eab, chef de projet de The Seagate Suite, décrit Sihanoukville comme la « perle précieuse du Cambodge dont la plupart des investisseurs veulent faire partie ».

M. Eam croit que la province n'est pas seulement une destination de choix pour le tourisme, mais qu'elle offre également des opportunités lucratives aux entreprises. « Après Phnom Penh, nous prévoyons que

comme la plage d'Otres, a grimpé jusqu'à 1 100$ le mètre carré, à partir d'un prix initial d'environ 700 dollars. Les propriétés locatives ont également connu une augmentation écrasante des prix, les prix

Projet de développement touristique à Sihanoukville par un pool d’entreprises privées chinoises

Sihanoukville sera la deuxième plus grande ville en termes de tourisme, de commerce et d'infrastructures », a-t-il déclaré. Pendant ce temps, un autre projet clé dans la province, Blue Bay, est développé par le développeur chinois Shu Jian Tian Yu Development. Avec un investissement de 200 millions de dollars du promoteur en 2016, le projet de condominiums de luxe devrait être achevé pour ses acheteurs et ses résidents d'ici décembre 2019. Chen Li, directeur des ventes de Blue Bay, convient également que Sihanoukville est un lieu d'investissement privilégié, mais en attribue une grande partie au développement du Cambodge dans son ensemble. Mme Chen estime que « la stabilité politique du Cambodge, la croissance annuelle moyenne du PIB de 7% et le développement de l'initiative One Belt, One Road ont encouragé Blue Bay à investir à Sihanoukville ».En Juin dernier, les représentants d'un consortium basé en Chine avaient déclaré qu'ils envisageaient de créer un centre de villégiature international de trois milliards de dollars US dans la province. Un représentant de l'Union East Silk Road, l'une des sociétés d'investissement du jointventure dans ce projet baptisé Cambodia Golden Silver Gulf Resort, avait déclaré que la station couvrirait 337 hectares de terrain. Cependant, l'un des effets de l'afflux d'investissements chinois dans le secteur immobilier de Sihanoukville est que les prix des terrains dans la province ont explosé. Le prix des terrains près des zones côtières,

des appartements ayant doublé par rapport à ce qu'ils étaient il y a quelques années. En conséquence, de nombreux investisseurs locaux et européens ont envisagé de déménager dans des régions du Cambodge où les prix des terrains sont plus abordables, comme à Kampot. Norn Thim, le directeur des ventes et de la location de Sihanoukville Property, a exprimé quelques inquiétudes quant à l'afflux d'investissements chinois à Sihanoukville. M. Norn craint qu'à l'avenir, seuls des investisseurs chinois puissent contrôler l'ensemble du secteur immobilier à Sihanoukville, ce qui monopoliserait le marché. Les investissements chinois sont devenus une composante majeure du paysage économique du royaume, et il est peu probable que la tendance s’infléchisse. Si leurs interventions dans les domaines du développement hydroélectrique et des infrastructures ont apporté leurs lots de problèmes avec les communautés locales directement touchées par ces grands travaux, la contribution vers l’indépendance énergétique du royaume et une meilleure connectivité est incontestable. Idem pour le tourisme, si l’apport de devises est une bonne chose, la conduite des touristes chinois et leur propension, pas toujours vraie, à savoir que les chinois effraie parfois les professionnels habitués à des clientèles moins envahissantes. « L’ami le plus digne de confiance » a aussi ses défauts. crédit photos Christophe Gargiulo, ILO, Jonathan Kos Read et Rodéric Eime www.cambodgemag.com

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RETRAITE

DOUCEUR DE VIVRE À BATTAMBANG par Christophe Gargiulo, photographie James Antrobus

Petit café dans le centre de Battambang

B

attambang, la ville au charme encore français, la ville où le temps semble s'écouler paresseusement… La

deuxième ville du Cambodge, en termes d'habitants (environ 250 000), est située au Nord-ouest du pays, c'est un endroit accueillant, encore loin de l'agitation touristique des autres grandes villes du royaume. À Battambang, personne ne semble pressé : se promener, prendre un verre, ou rencontrer du monde semblent être des passe-temps populaires… En ville, les gens, les expatriés, parlent librement, du dernier restaurant qu'ils ont aimé, de la dernière galerie d'art qui vient d'ouvrir, de la classe de yoga. À Battambang, le temps passe moins vite, il y a une vraie brise de nostalgie, une douceur de vivre presque indochinoise… un autre monde, bien loin de l'effervescence de Phnom Penh… Ces dix dernières années, il y a eu quelques

changements, de nouveaux business ont ouvert, quelques vieux bâtiments français ont été restaurés, d'autres ont disparu mais, en dehors des routes, il y a peu d'infrastructures nouvelles. Vous pouvez vous promener d'un bout du centreville à l'autre en trente minutes environ, longer les allées pavées bordant les rives de la rivière Sangker, qui traverse le milieu de la ville. Les parcs, le long des berges de la rivière, restent bien entretenus et sont un endroit de rencontre et de loisirs pour les citadins, ils viennent y jouer avec leurs enfants sur les terrains de jeux, rencontrer leurs amis, profiter des bancs ombragés, ou tout simplement faire un peu d'exercice. Plusieurs énormes demeures néoclassiques avec des entrées imposantes, ornées de colonnes spectaculaires, et de balcons extravagants, sont dispersées autour de la ville, vestiges de l'époque où le Cambodge était un protectorat français. La plupart des bâtiments dans le centre-ville sont âgés d'au moins cent ans. Au rez-dechaussée de ses bâtisses du souvenir, on y trouve des commerces, des restaurants, des cafés. La ville abrite aussi une université des arts, qui a attiré des artistes venus de tout le pays. Les nombreux temples anciens situés dans la campagne sont assez semblables aux fameux temples de Siem Reap, mais ils accueillent très peu de visiteurs. Explorer les ruines sans se heurter à des foules de touristes est une expérience unique. Wat Ek Phnom, situé à seulement treize kilomètres de Battambang, est le temple en ruines le plus visité dans la région. À l'image du Cambodge dans son ensemble, le coût de la vie à Battambang est assez faible. La location d'une maison est particulièrement bon marché. Louer une maison de style moderne coûtera de 200 à 400$ par mois. Un deux-pièces ou un petit appartement meublé, avec une piscine commune, et la plupart des charges coûteront moins de 280$ par mois. Les expatriés vivant là-bas indiquent tous que leur plus grosse dépense de logement est l'électricité, au moins 80$ par mois. Battambang n'est pas une ville très étendue et il n'est pas vraiment nécessaire de posséder une moto et, en cas de besoin, une course en motodop ou tuktuk dans la ville dépasse rarement 1$. L'aéroport le plus proche se trouve à Siem Reap, à environ trois heures de distance. Il existe des lignes régulières de bus, vans ou taxis qui desservent Phnom Penh ou Bangkok depuis Battambang. Beaucoup d'expatriés se sont installés ici après avoir vécu d'abord dans une autre ville asiatique. Le passage à une communauté relativement petite nécessite des ajustements, et acquérir de l'expérience dans une zone plus peuplée peut rendre l'adaptation plus facile, ou plus difficile… Et, pour conclure, Battambang est une ville avec un taux de criminalité très faible, autre argument pour privilégier cette destination pour ceux qui aiment le calme et la douceur de vivre. www.cambodgemag.com

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SANTÉ

UNE HISTOIRE LA DENGUE, aussi appelée « grippe tropicale », est une maladie virale transmise à l’homme par des moustiques principalement du genre

Aedes. L’incidence de la dengue progresse actuellement de manière très importante, et l’inscrit aujourd’hui aux rangs des maladies dites « ré-émergentes ». L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime à 50 millions le nombre de cas annuels, dont 500 000 cas de dengue hémorragique qui sont mortels dans plus de 2,5% des cas. Deux milliards et demi de personnes vivent dans des zones dites à risque. Une maladie d’origine tropicale…La dengue sévit principalement dans l’ensemble de la zone intertropicale. Longtemps limitée à l’Asie du Sud-est, elle ne cesse de s’étendre à l’Océan Indien, au Pacifique Sud, aux Antilles françaises, et à l’Amérique Latine. Transmission… Le moustique Aedes aegypti, ou moustique tigre, est le principal vecteur de la dengue. Le virus se transmet à l’homme par la piqûre des femelles infectées. Après une incubation de 4 à 10 jours, un moustique infecté peut transmettre le virus tout le reste de sa vie. L'être humain infecté est le principal porteur du virus; il permet sa prolifération et sert de source de contamination pour les moustiques qui ne sont pas encore infectés. Les sujets infectés par le virus de la dengue peuvent transmettre l’infection (pendant 4 à 5 jours et au maximum 12 jours) par l’intermédiaire des moustiques du genre Aedes après l’apparition des premiers symptômes. Aedes aegypti vit en milieu urbain et se reproduit principalement dans des conteneurs produits par l’homme. Contrairement à d’autres moustiques, il se nourrit le jour, avec un pic d’activité tôt le matin et le soir avant le crépuscule. Pendant chaque période où elle se nourrit, la femelle pique de multiples personnes. Aedes albopictus, vecteur secondaire de la dengue en Asie, s’est propagé en Amérique du Nord et dans

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plus de 25 pays européens. Cette espèce a une très grande faculté d’adaptation et peut donc survivre dans les régions plus tempérées et plus fraîches de l’Europe. Sa propagation est due à sa tolérance aux températures en dessous de 0°, à sa possibilité d’hiberner et à sa capacité de s’abriter dans des micro-habitats. La dengue classique… La dengue « classique » se manifeste brutalement après deux à sept jours d’incubation par l’apparition d’une forte fièvre souvent accompagnée de maux de tête, de nausées, de vomissements, de douleurs articulaires et musculaires et d’une éruption cutanée ressemblant à celle de la rougeole. Au bout de trois à quatre jours, une brève rémission est observée, puis les symptômes s’intensifient - des hémorragies conjonctivales, des saignements de nez ou des ecchymoses pouvant survenir avant de régresser rapidement au bout d’une semaine. La guérison s’accompagne d’une convalescence d’une quinzaine de jours. La dengue classique n’est pas considérée comme une maladie sévère comme l’est la dengue hémorragique.

Les complications - la dengue hémorragique… Chez certains patients,

le tableau clinique de la maladie peut évoluer selon deux formes graves : la dengue hémorragique puis la dengue avec syndrome de choc qui est mortelle. La forme hémorragique de la maladie, qui représente environ 1% des cas de dengue dans le monde, est extrêmement sévère : la fièvre persiste et des hémorragies multiples, notamment gastro-intestinales, cutanées et cérébrales, surviennent souvent. Chez les enfants de moins de quinze ans notamment, un état de choc hypovolémique peut s’installer (refroidissement, moiteur de la peau et pouls imperceptible signalant une défaillance circulatoire), entrainer des douleurs abdominales, et provoquer la mort. Epidémiologie… La dengue est aujourd’hui considérée comme une maladie réémergente. Avec la globalisation

Le ministre de la Santé, M. Mâm Bunheng déversant la protection contre la dengue

de l’économie et l’augmentation des échanges des biens et des personnes, elle tend à gagner de nouvelles zones géographiques, se développe de plus en plus dans des environnements urbains, et provoque des épidémies de plus grandes importances. Les formes graves de dengue sont de plus en plus fréquemment observées lors des épidémies récentes. Moyens de lutte… Il n’existe aujourd’hui pas de traitement spécifique pour combattre cette maladie, mais de nombreuses études multidisciplinaires sont en cours. Les moyens de lutte existants sont le contrôle des moustiques vecteurs dans les zones concernées et la protection individuelle contre les piqûres de moustiques : éviter que les moustiques n’aient accès aux gîtes larvaires par une gestion et une modification de l’environnement; éliminer correctement les déchets solides et enlever les habitats créés par l’homme; couvrir, vider et nettoyer toutes les semaines les conteneurs pour la conservation de l’eau domestique; épandre des insecticides adaptés sur les conteneurs


DE DENGUE

de l’Abate dans une cuve lors de la journée mondiale de

pour la conservation de l’eau à l’extérieur; prendre des mesures de protection des personnes et du foyer par la pose de moustiquaires aux fenêtres, le port de vêtements à manches longues, l’utilisation de matériels imprégnés d’insecticide, de spirales et de pulvérisateurs; améliorer la participation et la mobilisation des communautés pour une lutte antivectorielle durable; en cas d’urgence épidémique, les mesures de lutte antivectorielle comprennent également l’épandage et les pulvérisations d’insecticides; contrôler et surveiller activement les vecteurs pour déterminer l’efficacité des interventions de lutte. La prise en charge repose sur un traitement symptomatique à base de médicaments contre la fièvre et la douleur. Cependant, la dengue pouvant évoluer vers une forme hémorragique, la prise d'antiagrégants comme l'aspirine est à proscrire. La prévention collective repose sur la lutte contre les moustiques vecteurs (extermination, chasse aux eaux stagnantes…) et sur les mesures

de protection préventives individuelles contre les piqûres de moustiques (moustiquaire, répulsif…). Vaccination… Fin 2015 et début 2016, le premier vaccin contre la dengue, Dengvaxia (CYD-TDV ), mis au point par le laboratoire Sanofi Pasteur, a été enregistré dans plusieurs pays en vue d’une utilisation chez des personnes âgées de 9 à 45 ans vivant dans des zones d’endémie.  L’OMS recommande aux pays d’envisager l’introduction du vaccin contre la dengue CYD-TDV uniquement dans les zones géographiques (nationales ou infranationales) où les données épidémiologiques indiquent une forte charge de morbidité due à cette maladie. Les recommandations complètes peuvent être consultées dans la note de synthèse de l’OMS sur le vaccin contre la dengue : www.who.int/wer/2016/wer9130.pdf?ua=1 Cambodge… Les cas de dengue atteignent normalement leur maximum dans le Royaume pendant la mousson. Cependant, les choses semblent être différentes et sont observés un grand nombre de cas de dengue signalés avant même le début de la saison des pluies. Le Cambodge est unique en ce qui concerne la dengue. Tous les cinq ans, il semble y avoir un pic de cas de dengue et de décès et les statistiques ne mentent pas. En 2007, 407 personnes sont mortes de la dengue hémorragique et près de 40 000 cas ont été signalés par le Centre national de parasitologie, d'entomologie et de lutte contre le paludisme. En 2008, le nombre de cas et de décès a chuté de façon spectaculaire avec 9 200 cas de dengue et 65 décès. En 2012, cinq ans après 2007, le Centre a signalé 183 décès et 41 716 cas. En 2013, les cas ont chuté, 17 491 personnes infectées et 59 morts ont été enregistrés. Par contre, le nombre d'infections et de décès a chuté de manière spectaculaire au premier semestre 2017 par rapport à la même période de l'année précédente,

La Cambodge est unique en ce qui concerne la dengue” indique un communiqué du Centre national de parasitologie entomologique et antipaludique. Le nombre d'infections dues à la dengue dans les six premiers mois de l'année est tombé à 1 133, contre 2 447 au cours de la même période en 2016. Le ministère de la Santé utilise des pastilles de téméphos, commercialisées sous le nom d'Abate, dans des contenants d'eau pour tuer la larve des moustiques vecteurs de la dengue. L'utilisation d'Abate, cependant, doit être suivie d'un programme d'éducation sanitaire sur l'utilisation correcte du larvicide, avec des intervalles entre les applications dans l'eau expliquées dans un langage simple pour assurer leur efficacité. Bien qu'il y ait peu de doutes quant à l'efficacité du téméphos dans le contrôle des sites de reproduction d'Aedes, il y a cependant un manque de statistiques au Cambodge pour démontrer une réduction sensible de la transmission de la dengue avec l'utilisation de ce larvicide particulier. sources Institut Pasteur - OMS - Centre National de Parasitologie, crédit photo AKP-Sanofi Pasteur

Nombre d'infections dues à la dengue, au cours de la même période, en :

201 7

1 133 infections 201 6

2 447 infections

www.cambodgemag.com

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H I STO I R E

Une cité sortie de l’oubli par Jean-Michel Filippi

Sambor Prey Kuk

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ors Angkor, point de salut. Qu’on y réfléchisse

un moment, n’importe quel ouvrage un tant soit peu érudit sur le Cambodge se fera un devoir de vous diviser l’histoire du pays en : PRÉ  ANGKORIEN, du début de l’ère chrétienne à l’année 802 date à laquelle les capitales de l’empire se trouveront dans la région d’Angkor. ANGKORIEN, de l’année 802 à l’abandon d’Angkor en 1431. POST ANGKORIEN ANGKOR, de la chute d’Angkor à… aujourd’hui. Objet de toutes les attentions dès le début du protectorat français, Angkor allait devenir le pivot de l’histoire du pays. Il y a bien sûr l’avant et l’après, mais Angkor se taille la part du lion. Mais que sait-on des autres périodes de l’histoire du Cambodge ?

Au début était le Funan… On nous enseigne que les débuts de l’histoire du Cambodge se confondent avec un royaume dénommé Funan. Tout ce que nous savons du Funan provient de sources chinoises d’époques différentes et souvent contradictoires. On tombe néanmoins d’accord sur le fait que ce royaume côtier se trouvait au cœur d’un réseau commercial florissant et entretenait des ambassades, notamment avec la Chine. Quant au terme Funan, selon Georges Coédès, il s’agit vraisemblablement de la transcription chinoise du terme Khmer Phnom (montagne). Le terme de Funan allait progressivement disparaître des chroniques chinoises à partir du 6ème siècle. Selon les mêmes sources, une guerre eu lieu au début du 6ème siècle et le Funan allait être conquis par un royaume vassal situé plus au nord, le Chenla. On pourrait s’arrêter là et continuer à nous reposer sur les seules chroniques chinoises, il suffit de fermer les yeux et d’imaginer des armées en ordre de bataille, des victoires, des soumissions, la grandeur du Chenla et de sa capitale Isanapura (Sambor Prey Kuk)… Cette belle vision romantique a ses limites. Un des grands craquements silencieux de l’histoire du Cambodge se produisit en l’année 611 de notre ère quand fut gravée la première inscription en langue khmère : la stèle d’Angkor Borei. L’alphabet est identique à celui des stèles en Sanscrit, mais la ressemblance s’arrête là car la distance linguistique du Khmer au Sanscrit équivaut à peu près à elle qui existe entre le Français et le Chinois. Pour les huit siècles à venir, nous disposerons d’inscriptions en Sanscrit, en Khmer, ainsi qu’en deux langues mais, précision essentielle, jamais bilingues. La majesté des dieux s’exprime en Sanscrit,


la condition humaine en Khmer : une inscription évoquera de la grandeur de Shiva en Sanscrit et quelques lignes plus bas, en Khmer, nous dira qui a donné combien pour construire le temple. L’interprétation de ces inscriptions n’est pas toujours aisée mais elles nous donnent des renseignements entièrement nouveaux eu égard aux chroniques chinoises. Une nouvelle capitale… Contrairement à ce qu’affirment les sources chinoises, le Chenla n’a certainement pas conquis militairement le Funan.

à Sambor Prey Kuk, le terme de Ponh est totalement absent. Autre phénomène remarquable, le bouddhisme très présent dans le Funan est quasiment absent du Chenla ou la tonalité religieuse est fondamentalement shivaïte. Pendant plus d’un siècle, un centre politique majeur apparaît donc dans la région de Kompong Thom. S’agitil d’un nouveau royaume ? Qu’est donc ce Chenla des sources chinoises ? En fait un ensemble de nouvelles capitales qui ne sont pas toujours identifiées. Une chose

En réalité, à partir du 6ème siècle on est sûre : le roi Isanavarman I règnera de assiste à un lent déclin du Funan et à un 606 à 637 et sa capitale s’appelle Isanapura, mouvement vers le centre nord du territoire plus connue sous le nom khmer de Sambor du Cambodge actuel. Ce déclin est Prey Kuk. Un passage de l’histoire des probablement dû à des Souei évoque Y Che Ma modifications des routes (transcription chinoise “ Le Chenla n’a maritimes et à une d’Isanapura) « qui compte baisse subséquente des certainement pas plus de 20.000 familles ». activités commerciales. signifie « la conquis militairement Isanapura En fait la scission ville de Isanavarman », remonte à bien plus loin. le Funan ” mais Sambor Prey Kuk ? Michael Vickery a mis en En fait, le nom est valeur des différences entre la région côtière vraisemblablement donné au lieu par (Funan) et l’intérieur du pays (Chenla) la population locale. Les bienheureux qui vont bien au-delà des politiques de 2 que l’exactitude grammaticale n’a pas royaumes prétendument rivaux. contaminés ne se gênent pas pour traduire Ainsi, le terme « Ponh » relève de la « Le temple dans/de la forêt luxuriante »… hiérarchie khmère traditionnelle et est Oui il s’agit bien de forêt abondante, attesté par les inscriptions uniquement mais ou diable sont-ils allés chercher le dans les régions côtières. Il désigne un chef temple ? Jusqu’à nouvel ordre Kuk signifie de clan qui gère la terre de la communauté « cavité du foyer », par extension « four », « sans pour autant la posséder ; le statut de forge » et… « prison »; il désignerait aussi un Ponh ne peut en aucun cas être transmis arbre. Je proposerais « Les forges de la forêt de père en fils, mais est légué au fils de abondante », d’autant plus que l’ethnie Kui, la sœur. A cette matrilinéarité côtière va spécialisée dans le travail du fer, est très s’opposer l’émergence du terme indien présente sur les lieux. L’art et l’architecture « Varman » à l’intérieur du pays. Or ce terme khmère ne se lassent pas de nous habituer suppose une transmission patrilinéaire. Le à des ensembles grandioses conçus dans passage de l’un à l’autre laisse supposer une des durées très brèves et ce qui nous reste accumulation de richesses et une volonté de Isanapura ne déroge pas à la règle : plus de les léguer à sa famille immédiate. Ainsi de 140 temples en brique, pour la plupart

dédié au dieu Shiva dont, pour la première fois, des structures octogonales. Le tout se divise en trois ensembles. La partie la plus ancienne, groupe Nord ou se trouve le Prasat Sambor et groupe sud, remonte au règne de Isanavarman I au 7ème siècle. Le groupe central leur est postérieur de plus d’un siècle. Dans la nouvelle capitale émerge un art royal nouveau où vie et mouvement dominent. Précision anatomique et humanité émanent de la statue emblématique de Sambor Prey Kuk : Durga terrassant le démon buffle ; l’original se trouve au musée national, mais une copie a heureusement été installée dans un temple du groupe sud. C’est ce mouvement et cette vie que l’on retrouve dans les superbes linteaux en grès dont la fameuse « danse de Shiva ». De sa capitale Sambor Prey Kuk, sur quel territoire Isanavarman I exerça-til son autorité ? L’inscription en langue sanscrite K 80 l’évoque comme « Le souverain victorieux de trois rois et protecteur de trois cités » et les chroniques chinoises ne sont évidemment pas en reste. En fait, la région ou l’autorité d’Isanavarman était la plus forte correspondait aux provinces actuelles de Kompong Thom et de Prey Veng, ce à quoi il faut ajouter une partie de la région de Kampot, ainsi qu’une partie du Nord-Ouest du Cambodge actuel, ces deux dernières régions étaient placées sous administration de ses deux fils, dont Bhavavarman qui allait lui succéder. Là encore, la tonalité des inscriptions vient à point nommé modérer l’enthousiasme des chroniques chinoises : en dehors de sa région centrale, l’autorité d’Isanavarman I était plus symbolique que réelle en ce qu’elle reposait sur des jeux d’alliances avec des potentats locaux autonomes. Sambor Prey Kuk conservera une importance partielle après le règne de Isanavarman I jusqu’au 8ème  siècle. À partir de 802, le centre de gravité de l’histoire cambodgienne se déplacera dans la région d’Angkor pour le rester jusqu’en 1431. Sambor Prey Kuk est tombé dans un oubli d’où il a été épisodiquement tiré à l’époque du protectorat français et bien évidemment avec son inscription par l’UNESCO sur la liste du patrimoine mondial. Cet évènement devra permettre de reconsidérer l’importance de ce grand moment de l’histoire cambodgienne. crédit photos J-M Filippi et W.Commons www.cambodgemag.com

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TRADITION

LE SANG, LA FOULE ET LES POSSÉDÉS

e

par Samuel Bartholin

n clôture de 15 jours de festivités autour du Nouvel an lunaire, se tient

la « fête des génies », impressionnante cérémonie collective de possession, profondément liée à l’identité et aux traditions sino-khmères. Au cours de ce rituel de « réajustement » des rapports entre les esprits et les hommes, dans cette période annuelle de transition, des médiums entrent en transe à une heure donnée, se disant habités par les personnages mythiques du panthéon chinois (dieu de la guerre, déesse de la compassion…). Vêtus d’habits de cérémonie, les possédés, yeux révulsés, se livrent à des démonstrations de force, se mutilant pour certains la langue, les joues ou le torse, au milieu du bruit assourdissant des pétarades et des tambours. Aujourd’hui, la principale concentration de médiums au jour J a lieu à Takmao, dans un temple situé non loin du Bassac, à dix kilomètres au sud de la capitale. Avant-guerre, ceux-ci marchaient en un nombre bien plus imposant jusqu’au cœur de la ville. « Dans les années 1950, les rues étaient bloquées, et ils défilaient par centaines jusqu’au Palais royal », explique Léo Phiv, dentiste chinois de 72 ans, et figure de la communauté francophone de Phnom Penh. « Les médiums se coupent la langue et s’entaillent les joues, afin de couvrir de leur sang des papiers marqués d’idéogrammes : les gens accrochent ensuite ces papiers à leur porte afin d’éloigner les mauvais esprits », 38

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précise encore Léo, dont le père dirigeait à l’époque une pagode chinoise. « Le sang sert aussi à laver les mauvaises actions de l ’année écoulée », nous explique Heang, honorable père de famille qui accompagnait ce jour-là son fils cadet possédé par l’esprit de la déesse Kouan Yin. Durant les années sombres du Cambodge, cette pratique avait disparu, à l’instar de toute la vie sociale des Chinois du Cambodge. La communauté, souvent urbaine et commerçante, avait été particulièrement touchée par les persécutions du régime de Pol Pot. « C’est à partir de 1992 que les choses ont commencé à renaitre, et que notre association a rouvert ses portes », explique Taing Eak Shing, qui fut secrétaire général de l’Association des Chinois du Cambodge. La fête des génies a pu alors aussi reprendre ses droits. Ce rituel fascinant s’est maintenu depuis lors chaque année. Des fragrances violentes et mystiques, une kermesse dantesque, aux portes de la capitale et de son apparent vernis d’« occidentalisation ». crédit photos Simon Terrassier, Nicolas Pollet, Céline Ngi et Samuel Bartholin


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SOCIÉTÉ

5

CLÉS

POUR MIEUX COMPRENDRE

la nouvelle jeunesse

DE LA CAPITALE CAMBODGIENNE

d

epuis que la génération Z des couches supérieures a envahi les rues de Phnom Penh, le

Royaume prend un nouvel élan. Le paysage social est en mutation, ses codes sociaux aussi. L’exemple est donné. Tour d’horizon du style de vie du gratin de la classe moyenne du nouveau Cambodge. La génération X n’est plus « les jeunes », elle a cédé sa place, elle est maintenant active. Vous la fréquentez sûrement au travail ou dans vos loisirs. Les jeunes de la nouvelle vague désignent à présent l'ensemble des Cambodgiens nés à partir de 1995 et qui ont grandi avec Internet et ses réseaux sociaux à haut débit. Comme la précédente, la génération Z est hyper connectée. La seule différence est l’inné, Z n’a pas eu besoin d’apprendre à se servir d’Internet et de ses outils, la quête d’identité de cette nouvelle société est ailleurs. Cafés, fac et sorties… Ca y est, c’est la vie, la vraie, celle qu’ils, ou elles, ont attendu patiemment derrière les murs de photos Instagram ou Line, derrière les écrans de télévision à savamment étudier ce qu’est demain à travers une « telenovella » coréenne. Pas plus différent que n’importe quel autre enfant de la classe moyenne supérieure, le jeune cambodgien issu de la génération Z a tout de même une chance que ses aînés n’ont pas eue : l’accès à un style de vie aux standards internationaux. La fin des années 2000 a ouvert les portes aux investissements de masse au Cambodge. Le pays est prêt et la demande forte. Mais à présent, consommer ne 40

DORÉE

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par Jean-Benoît Lasselin

suffit plus, il faut mieux consommer, consommer doit avoir un sens, s’inscrire dans une direction, un idéal. Acheter pour acheter ne fait plus parti des codes, l’acte d'achat n'est plus social mais identitaire. La priorité nationale donnée à l’éducation a été accompagnée par les attentes différentes des couches supérieures de la classe moyenne. Autour des universités ont fleuri des lieux de convivialité qui sont, comme partout ailleurs, les ciments territoriaux des groupes sociaux et de leurs codes (l’université elle-même étant au centre de cette articulation sociale). Être étudiant ne veut plus dire porter l’espoir de toute une famille ou communauté pour des lendemains qui chantent, les couches supérieures s’affirment et se réalisent. Certes, Z doit se conformer aux exigences et aux traditions familiales, mais il sait composer avec, il n’est plus l’émanation des attentes familiales mais l’une de ses composantes, qui donne son avis et sait créer des ponts entre les générations. Z sort avant, entre et après son temps universitaire. C’est là qu’il va tester ses acquis identitaires, les confronter, les jauger à la réalité. Et encore une fois, les années 2000 sont passées par là, Z traîne de moins en moins dans les lieux publics, dans des parodies de boîte de nuit ou au karaoké, ni sur le bord des voies principales de la capitale, Z consomme mieux et le partage. L’acte de consommation s’accompagne quasi systématiquement d’un témoignage public. Et si la communauté ne valide pas, Z ajustera en conséquence. De nombreuses marques grand public en paient aujourd’hui les frais car elles n’ont pas vu Y grandir et

c’est aujourd’hui Z qui leur glisse entre les doigts. Z boit des cafés en terrasse entre deux cours et discute du film qui va être choisi pour ce soir ; et si vous avez raté la conversation, le résumé est sûrement sur SnapChat. Le smartphone… Essayer de comprendre cette génération passe par l’étude de ses comportements en ligne. En 2017, 44% des utilisateurs de Facebook au Cambodge font partie de la génération Z, et plus de 70% de l’utilisation concerne des activités culturelles. La même année, plus de la moitié des utilisateurs d’Instagram dans le Royaume est issue de la génération Z (source http://geeksincambodia.com/ cambodias-2017-social-media-digitalstatistics/). Z a un téléphone dans la main en permanence, sa vie est sur les réseaux sociaux. Z alimente la société d’aujourd’hui par les choix dont il est acteur et il vous demande d’en être le témoin actif. De nombreux observateurs reprochent à cette génération de n’être qu’un consommateur qui construit son identité publiquement sans aller au fond des choses en passant son temps à « brasser » de l’information sans comprendre parce que seule l’image publique compte. Z irait donc au cinéma plutôt que d’aller voir un film ? Il ne faut pas s’y tromper, le smartphone n’est qu’un média certes, mais surtout une lame à deux tranchants : si Z attend de vous une validation de ses activités quotidiennes, il n’attend pas de vous une adhésion. Z construit son environnement, et le téléphone portable en est le principal filtre : si ce que je fais n’a pas de sens pour toi, c’est


que tu ne comprends pas qui je suis (écho à l’expression populaire de la génération Y en France : « les vrais savent » - comme quoi, nous ne sommes pas si éloignés). Les grands frères et sœurs de la génération Y avaient un téléphone portable et un profil Facebook, marqueur de modernité et d’activité dans le système monde. Y était un utilisateur actif, Z ne veut pas être un simple compte, le marché lui demande plus qu’être actif, il lui demande d’être créatif. Le smartphone n’est donc plus un indicateur de statut social, il est un outil d’activité productrice. Z ne publie pas comme Y, il illustre, le smartphone est l’outil de publication et d’accès à son portfolio. Si l’on s’y penche de plus près, les relations sociales de Z sont beaucoup plus tournées vers la création et l’alimentation d’une conscience globale : oui le smartphone récent et de marque est important, mais il faut lui donner du sens fonctionnel. X et Y possèdent, Z utilise. L’échec des centres commerciaux ou le nouveau Phnom Penh de Z… Après plus

de 205 millions de dollars d’investissement et 18 mois de construction, l'Aeon Mall de Phnom Penh a ouvert ses portes en Juillet 2014. X et Y ont adoré, Z a été déçu. X et Y avaient l’habitude d’un centre commercial peu soigné, sans agencement ni expérience client. L’acte d’achat se suffisait à luimême, le produit prévalait sur le reste, bref, on s’équipait, il fallait avoir. Z a intégré la disponibilité depuis qu’il marche et qu’il peut tendre son bras au supermarché, Z ne connait pas la rupture de stock et l’attente qui l’accompagne. Les jeunes cambodgiens de la capitale recherchent une expérience avant tout, car ils doivent nourrir un style de vie, ils doivent montrer à la communauté qu’ils sont au - devant, qu’ils ne sont pas de simples Y. C’est ce qui explique la rénovation presque terminée du Sorya Mall ou les fermetures successives à l’Aeon Mall de marques ayant pourtant pignon sur rue. Le produit a prévalu sur l’expérience, et ça ne marche plus. Z regarde aujourd’hui avec un œil perplexe l’ouverture de l’Exchange Square et de ses futurs frères. Oui, Z n’a pas encore un grand pouvoir d’achat, mais il est le client de demain, le client qu’il faut aujourd’hui convaincre. Non, Z n’a pas vraiment envie de passer ses après-midi au centre commercial. Il lui préfère les petites boutiques au charme sûr, à l’identité authentique et au produit

original, presque non conventionnel, ce qui explique la montée en gamme du quartier de Tuol Tom Poung et de ses petites initiatives commerciales. Z chine, il fouine et il veut pouvoir le montrer : il ne va pas où les autres générations vont, parce qu’il veut mieux, véritable et affectif.

L’importance de la tradition et de la culture khmère… Même si Z a grandi avec

des médias et des technologies à l’utilisation plus mature et sophistiqués et ses prédécesseurs, l’individu de cette génération ne se déracine pas car la culture reste le pilier principal, elle donne un sens au progrès, elle reste la structure principale des attentes de chacun, elle a une valeur exploitable. Encore une fois, Y a pu montrer des moments de faiblesses en se laissant envahir par une pseudo-culture internationale faite de langue anglaise et de soumission à une culture occidentale fantasmée. Cependant, la nouvelle génération a retrouvé le goût des choses, bien qu’à grand renfort de campagnes de communication (parfois grossières, à la limite de la xénophobie), parce que Z n’a pas connu l’instabilité et l’incertitude, pour Z, le Cambodge a tout suite eu une texture, une réalité et un savoir qu’il utilise comme terreau pour faire pousser son réel. La culture khmère met un point d’honneur au respect des célébrations du calendrier lunaire, Z le sait, car ses jeunes années ont été rythmées par cela, donc cela fait partie de lui ; simplement les codes changent, Z ne se satisfait pas de simplement répéter, il veut comprendre les origines des choses, les confronter pour mieux les perpétuer et en extraire l’essence, car cela, encore une fois, l’enrichit. Z va aux mariages de ses aînés, mais il sait que certaines choses appartiennent au passé : Z se mariera pour lui, s’il se marie, car Z veut un mariage fait d’amour mais aussi de deux individus. Z saura dire non, car il a fait des études, il a voyagé, il a échangé des idées et ses visions du futur. Même si cette génération porte demain, il ne la soutiendra pas comme Y car Z veut créer du sens, être khmer n’est plus un simple étendard, c’est une vision pleine de sens. Bref, une nouvelle identité… La génération Z porte une nouvelle fierté d’être khmer. Ses membres atteignent l'âge adulte, et vont donc vouloir accéder à un marché du travail qui leur correspond, une arrivée qui peut perturber X, aujourd’hui à la tête des entreprises actuelles, et à Y qui

pensait avoir inventé un monde nouveau et qui vient à peine de se faire une place dans le monde professionnel. Z sait qu’il peut entreprendre, qu’à l’inverse de X et Y, ce n’est pas son diplôme qui fera de lui un bâtisseur, mais sa conscience du monde, ses capacités à s’adapter et se remettre en question, parce qu’il l’a vu, entendu et débattu. Les jeunes de Z n’ont pas suivi les traces et diplômes des grands pour s’immerger dans la société, parce que le digital a pris le dessus, il est le nouveau coach. Les diplômes feront plaisir aux parents, mais ils ne seront pas l’accélérateur de son développement. Z ne met pas de frontières entre la vie réelle et la vie digitale tant internet a joué un rôle‐clé dans son éducation. Finalement, travailler à du sens, est source de satisfaction, que ce soit en communauté ou en réseau, de préférence dans un café plutôt que dans un bureau, loin des tentatives de mimétisme de X et Y. Le réseau de restauration Brown accueille plus de 2000 étudiants par jour à Phnom Penh dans ses cafés. Ces nouvelles marques sont des éléments fondamentaux de la nouvelle identité khmère parce qu’elle est une initiative d’entrepreneurs khmères, avec une vision pour le Cambodge, une nouvelle énergie pour le mode de vie local avec une sélection de produit à l’image des couches supérieures de la classe moyenne : cambodgienne, multiculturelle et inspirée. Le personnel communique principalement en khmer, les menus sont une fusion consciente de gastronomie mondiale et des goûts locaux. Pas « Hey ! » ou autre « Hello », nous sommes au Cambodge et ces simples détails sont un changement radical de comportement. L’étranger est intégré dans un réel décomplexé, demain sera Cambodgien. La jeunesse privilégiée de la génération Z vient nous bousculer par sa spontanéité, sa capacité à convaincre, à avouer ses torts et l’inspiration qu’elle a pour demain. Z ne veut plus d’un Cambodge « singapourisé », elle veut du respect qui se mérite, un mode de vie qui a du sens, être un exemple d’enrichissement pour construire demain. Z sait que l’on compte sur elle, mais Z ne se laissera pas faire comme X ou Y car Z développe ses propres codes, elle sait choisir et fera de son entrée sur le marché du travail un tremblement de terre et de son pouvoir d’achat une arme de second choix car sa force réside dans le fait qu’elle est la prochaine vitrine du Royaume. Z, à toi de jouer, Phnom Penh t’attend ! www.cambodgemag.com

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DA N S L' AT E L I E R D E

ROMCHE

R

Mil Chankrim et ses aquarelles

texte et photographies par Eléonore Sok-Halkovich

Romcheik 5, c’est d’abord un

lieu, situé de l’autre côté de la rivière dans la ville-incubatrice de talents : Battambang. Un espace organique où les quatre maisonnettes en bois d’origine se sont mélangées avec le béton d’un bâtiment de trois étages, et une nouvelle aile est en construction afin de créer un véritable petit « musée de campagne ». Romcheik 5, ce sont 4 artistes, un jeune manageur et Alain Troulet, ex-haut fonctionnaire ayant tout plaqué pour l’amour de l’art. « J’ai d’abord rencontré Seyha en 2011, il peignait dans la rue et ses toiles m’ont tout de suite impressionné », raconte-t-il. Ici, les quatre amis vivent avec leurs familles, travaillent et exposent. Dans l’entrée, le visiteur est accueilli par une série de Hour Seyha ; dont une toile presque pointilliste, composée de milliers de virgules multicolores se bousculant pour

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atteindre un tuyau de chantier bleu. « Le tuyau représente la Thaïlande et les spermatozoïdes tous les Cambodgiens qui n’ont qu’un but : partir y travailler », lâche Seyha, 26 ans, avec son air mystérieux et prophétique. Car Romcheik 5 c’est aussi une histoire commune ; ces jeunes hommes ont d’abord usé leurs bras en Thaïlande, après avoir été mis à disposition de « passeurs » par leurs familles très pauvres. Une fois expulsés et reconduits à la frontière, ils se sont retrouvés dans le même centre d’accueil, avant d’être placés dans l’ONG Phare Ponleu Selapak où ils ont reçu une formation en arts visuels. Un formidable tremplin qui leur a ouvert les portes d’une carrière inimaginable. Mil Chankrim, 26 ans, a trouvé sa voie dans l’aquarelle. Ses dessins sont époustouflants : dans la forme de ces corps longilignes et cabossés, il y a du Egon Schiele. Sa série sur « Les veuves » retranscrit la solitude des vieilles âmes errantes qu’il a côtoyées dans son enfance, lui l’orphelin. « Mes dessins

Une toile du peintre Hour Seyha


“ […] à fleur de peau,

ils racontent leurs maux et ceux de leur environnement, loin des effets de mode ”

Une sculpture de l'artiste Bor Hak

racontent mes expériences, les exprimer me soulage d’un poids », confie-t-il derrière sa mèche, ému. Dans le jardin, Bor Hak, 28 ans, lisse la peau de sa sculpture : une figure qui se masque les yeux de la main. Une attitude similaire à d’autres de ses créations ; oreilles bouchées, totem borgne, l’œil percé de clous. « Il y a beaucoup de choses qui vont mal au Cambodge », explique-t-il, son discours contrastant avec son grand sourire. Dessin, sculpture, impression sur feuille, ce touche-à-tout s’est aussi lancé dans les films d’animation et donne désormais cours dans son ancienne école.

EIK PRAM À l’étage, je croise Nget Chanpenh, 25 ans, allure nonchalante. À 10 ans il était gardien de vache en Thaïlande, à 12 il tenait son premier pinceau. « J’ai commencé à peindre ma famille », raconte-t-il, en montrant ses tableaux. Des visages comme aplatis, en très gros plan, sur des fonds colorés, et de nombreux autoportraits, comme cette œuvre intitulée « Le fossé » où une frontière de couleur le sépare de ses parents. En mal de père, incompris, révolté, il y a aussi cette puissance cathartique dans son travail. C’est ce qui fait de Romcheik 5 des artistes uniques ; à fleur de peau, ils racontent leurs maux et ceux de leur environnement, loin des effets de mode, offrant de brillantes visions, intimes et universelles.

Nget Chanpenh devant ses toiles, à gauche « le faussé »

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MUSIQUE

LE BLUES DU MÉKONG

et l’envie de FRANCE

Le Blues du Mékong n’est pas une variante de blues classique avec des sonorités asiatiques, c’est un style

récent, personnel, khmer, construit au fur et à mesure des six années d’existence du groupe Krom… », explique Christopher Minko, le guitariste australien installé depuis plus de vingt ans au Cambodge, et fondateur du trio qui réunit les sœurs Chamroeun et lui-même. Devant son café qu’il tripote avec ses doigts jaunissant ornés d’ongles trop longs à la recherche d’une cigarette, l’australien n’en finit pas d’expliquer sa démarche musicale puriste, aux antipodes de la musique hamburger déversée sur les ondes. « Nous sommes un groupe acoustique, une guitare, une contrebasse, parfois un saxophone et, surtout, la voix magique de Sophea. C’est tout, si nous nous encombrons avec d ’autres sonorités, ce ne sera plus Krom », explique-t-il, ajoutant que « les textes de KROM abordent beaucoup de problèmes sociaux, le trafic humain, les villes du péché, la solitude ». Un style encore peu à même d’attirer les majors de l’industrie musicale, mais qui a fait son chemin sur la scène musicale de Phnom Penh, en Thaïlande, et qui le fera peut-être un jour en France… le secret ? La voix magique de Sophea, explique Minko qui, décidemment, ne tarit pas d’éloges sur celle qu’il souhaite voir accéder au statut d’artiste international. Et la voix magique se décide enfin à arriver, timide, souriante, et les yeux

brillants lorsqu’il s’agit d’évoquer l’aventure Krom. « Au départ, je suis une danseuse de folklore khmer, j’ai grandi dans le White Building et j’ai travaillé dur pour m’en sortir, j’ai fait beaucoup de scène, j’enseigne aussi, mais la passion de la musique m’est venue avec la naissance de Krom et Christopher qui a une méthode de travail qui me convient », raconte-t-elle, expliquant que leur méthode consiste à confier une ligne de guitare à la jeune chanteuse qui cherchera ensuite le type de voix, les tonalités et les paroles en khmer, avant de passer aux premières 44

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Sophea Chamroeun

répétitions, d’enregistrer, et de réenregistrer jusqu’à ce que les deux compères musicaux soient d’accord sur une version finale. « Une chanson peut ainsi prendre du temps, parfois plusieurs mois avant que nous soyons satisfaits du résultat », expliquent-ils de concert. Et la France dans tout cela ? « J’y étais il y a quelques semaines avec la troupe d’AMRITA Performing arts pour les Soirées Lyriques de Sanxay… je dansais avec mes collègues de la troupe, pour l’opéra de Mozart : La Flute enchantée… », raconte Sophea ajoutant : « …j’aimerais y retourner, je n’ai pas eu le temps de visiter mais les quelques endroits comme Bordeaux et La Rochelle, que j’ai pu rapidement visiter m’ont beaucoup impressionnée ». Pour Minko, l’envie de France est plus professionnelle : « Krom est à un stade où il est impératif de se tourner vers l’international. Après trois albums et un quatrième en cours, et quelques petites tournées ici et dans la région, Sophea a besoin d ’une audience plus exigeante, de se confronter à un autre public, c’est indispensable pour qu’elle puisse s’évaluer, prendre confiance et, je le souhaite, devenir une artiste de haut niveau. La France est le pays des arts, de la culture populaire, il y a aussi une communauté cambodgienne qui serait probablement fière de voir Sophea sur

scène, dans un style khmer, mais unique », quelques raisons pour que le blues du Mékong ait résolument envie de France… texte et photographie Christophe Gargiulo

Pour écouter Krom : www.youtube.com/user/themekongsessions

Roland Théodore Emile Meyer, auto-portrait


LIVRE

SARAMANI, DANSEUSE KHMÈRE,

PAR ROLAND MEYER par Christophe Gargiulo

à

la fin du 19ème siècle,

un jeune français rêve de paradis tropical. Alors enfant, les livres d’aventures contant la découverte des villes perdues dans les jungles denses de l'Asie du Sud-Est alimentent son imagination. Très vite, l'envie de voyager et de partager ses découvertes devient irrésistible. Roland Théodore Emile Meyer nait à Moscou le 10 juillet 1889. Ses parents

s'installent à Paris où, après ses études, il s'inscrit au service colonial indochinois en 1908 à l'âge de 19 ans. Meyer sert pendant trois mois à Saïgon en tant que conseiller du cabinet du gouverneur général Paul Beau. Lors de son installation au Cambodge en 1909, Meyer choisit de s'assimiler à la culture autochtone qui l'entoure, d'apprendre la langue locale, les coutumes, la religion et même d'installer sa maison parmi les Khmers à l'extérieur du quartier français. Meyer devient un exemple rare de visiteur devenu « local », à la grande surprise de certains de ses collègues bien plus « coloniaux ». En 1912, Meyer publie « Cours de cambodgien », le premier livre à enseigner la langue khmère aux francophones. À Phnom Penh, Meyer rencontre ceux qui, comme lui, admirent et respectent profondément l'héritage de la grande civilisation qui les entoure. Son petit cercle d'amis compte des membres fondateurs de la Société

d’Angkor. Parmi eux, Jean Commaille, premier conservateur du site d'Angkor; Henri Marchal, le deuxième conservateur d'Angkor qui a repris les fonctions de Commaille lorsqu'il a été assassiné par des voleurs; et Charles Gravelle, directeur de la Banque d'Indochine et écrivain passionné lui aussi - tous des hommes dont l'influence est encore perceptible de nos jours. George Groslier, de deux ans plus âgé que Meyer, arrive à Phnom Penh en 1910. Les deux jeunes hommes sont captivés par un vestige vivant des anciens temps Khmers : les danseuses sacrés qui dansaient et vivaient au palais royal. De retour en France en 1913, Groslier publie « Danseuses Cambodgiennes, Anciennes et Modernes », la première étude de cette tradition artistique sacrée. Cependant, l’expérience et la vision de Meyer de cet art et des danseuses royales vont encore plus loin dans la description, et même l’intimité de ces artistes royales. Meyer conte élégamment et avec moult détails et réalisme une romance interdite entre une danseuse royale du palais, nommée Saramani, et un garçon français venu en Indochine à la recherche de son destin. Le garçon, comme Meyer lui-même, " est devenu Khmer " et a adopté le nom khmer Komlah, qui signifie célibataire. Par le biais de Saramani et de sa famille, Meyer propose une jolie ballade au pays de l'amour et de la vie dans le Cambodge colonial. Meyer aura pris des notes pendant dix ans avant de se mettre à l’écriture de ce roman dans lequel il est difficile de faire la part entre la fiction et la réalité tant le personnage masculin a des traits communs avec son auteur alors que la vision populaire, plutôt idyllique, de la vie des danseuses y est largement fissurée… Récemment, Jean Courtois, âgé de 69 ans et résidant à Nantes, déclarait qu'il était le fils de Marcelle " Evelyne " Meyer, la plus jeune fille des quatre enfants du couple, et Louis Courtois, administrateur français en Indochine. Sur le certificat de naissance de sa mère, qu’il a fourni à la presse locale, les noms de ses parents sont écrits : Roland et Saramani. Courtois a lu le livre de son grand-père et est devenu curieux au sujet de sa famille franco-cambodgienne. Depuis sa retraite en 2009, sa femme et lui ont fait des recherches sur Meyer, mais n'ont jamais été en mesure de découvrir sa vie après avoir servi au Laos. www.cambodgemag.com

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D E ST I N AT I O N

Ecotourisme dans les CARDAMOMES par Christophe Gargiulio

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LES

Cardamomes, (Chuor Phnom Krâvanh) sont une chaîne de montagnes, relativement isolée, située dans le sud-ouest du Cambodge et l'est de la Thaïlande. Ce massif abrite l'une des forêts les plus vastes et les moins explorées d’Asie du Sud-Est, elle est séparée des autres forêts tropicales de la région par le grand plateau de Khorat au nord. Le climat humide des montagnes a permis à une riche variété de faune de prospérer, il est estimé qu’elles abritent plus de cent mammifères comme le léopard, le dhole, le gaur, le banteng, l'ours malais, le gibbon le Serow de Sumatra, le pangolin de Sunda… Les Cardamomes furent aussi, avant qu’il ne disparaisse, le refuge du seigneur de la jungle : le tigre d’Indochine. Aujourd’hui, 62 espèces qui vivent dans les Cardamomes, y compris les amphibiens, sont menacées de disparition. Les menaces à la diversité biologique de la région comprennent la perte d'habitat due à l'exploitation forestière illégale, au braconnage d'espèces sauvages, et aux incendies de forêt causés par l'agriculture sur brûlis. photographies Allan Michaud & YAANA Ventures www.cambodgemag.com

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D E ST I N AT I O N

“ Le nouveau projet de Bill Bensley,  […] ouvrir un village de tentes de luxe ”

uverture à l’écotourisme

Les Cardamomes sont encore une destination touristique émergente et beaucoup voient cette activité comme une alternative à la répression du braconnage, difficile à éradiquer par une stricte application de la loi, dans cette région. L’ONG Wildlife Alliance gère plusieurs projets dans les Cardamomes. L’un d’entre eux est un projet d'écotourisme communautaire, Chi Phat Community Based Ecotourism (CBET), dans le village de Chi-Phat. Auparavant, communauté d'exploitation forestière et de chasse, les villageois gagnent 48

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« Eco-tente » de Botum

à présent un revenu durable grâce à des séjours en famille d'accueil proposant aussi des randonnées de plusieurs jours avec guide sur des sites naturels et culturels, des excursions en VTT, en bateau et l’observation d'oiseaux. Wildlife Alliance exploite également une station de relâche de la faune. Ce sont leurs principaux sites de lâcher d'animaux sauvés du commerce illégal d'espèces sauvages au Cambodge. La station a été ouverte aux touristes en décembre 2013, offrant aux clients un aperçu du fonctionnement d'un site de réhabilitation et de relâchement de la faune, tout en étant hébergés dans les chalets de la jungle. Les activités offertes peuvent inclure l'alimentation de la faune résidente, la randonnée dans la jungle, le repérage radio et la mise en place de pièges photographiques pour surveiller la faune relâchée. WAR Adventures Cambodia propose également un large éventail d'activités dans la jungle profonde allant de la randonnée en famille à l'aventure de type survie dans la région de Sre Ambel, dans le Sud-ouest des montagnes. Votre séjour sauve la forêt… Avec ce slogan, Cardamom Tented Camp – Camp de tentes des Cardamomes illustre une

initiative réunissant le groupe Minor, YAANA Ventures et l’ONG Wildlife Alliance qui offre des forfaits aux amateurs d'aventure tranquille et désireux de participer au travail de conservation. Cette initiative récente est née du souci concernant une concession de 18 000 hectares, appelée Botum Sakor, susceptible de tomber entre les mains des bûcherons, des braconniers et des dragueurs de sable. Cette zone de terre abrite des habitats de plaine et côtiers immaculés, qui relient les corridors de la faune aux montagnes. « Le camp de tentes des Cardamome et son exploitation aideront à préserver la forêt... ce n’est pas gagné, mais nous espérons que chaque visiteur puisse nous aider, d’une part à financer le programme de conservation avec son séjour, d ’autre part à témoigner ensuite de la viabilité de ce type d’initiative, destinée à monter qu’une activité d ’écotourisme bien gérée est une réelle solution contre le braconnage et la déforestation », déclare Willem Niemeijer, PDG de YAANA Ventures, la société de tourisme durable impliquée dans la création du projet, précisant également que la totalité des bénéfices récoltés seront réinvestis localement. « L'éco-camp est équipé de neuf tentes confortables de type safari, une importance particulière a été accordée au maintien


d’une empreinte environnementale la plus faible possible pour servir de modèle et promouvoir le tourisme durable », explique Allan Michaud, le documentariste de la vie sauvage au Cambodge, qui se retrouve aux commandes du projet. Au programme des activités proposées : des randonnées guidées par les gardes forestiers de Wildlife Alliance à travers les anciens sentiers de braconnage et d’exploitation forestière, trekking au sein de la forêt dense avec la possibilité d’observer macaques, éléphants, pangolins, blaireaux et gibbons, et visite des postes de garde forestiers qui conservent toute une variété de pièges confisqués, et des fusils de chasse. Après la randonnée, il sera possible de remonter la rivière Preak Tachan en kayak jusqu’au camp de tentes. Les invités ont aussi la possibilité de joindre une patrouille de rangers sur un itinéraire différent pendent leur séjour. Chaque forfait proposé inclut le petit-déjeuner, le déjeuner et le dîner au restaurant au bord du fleuve permettant aux invités de découvrir l’environnement par eux-mêmes ou en petits groupes, ou simplement de se prélasser près du quai flottant du campement, avec des jumelles qui permettront d’observer des centaines d'espèces d'oiseaux. Tentes de luxe et empreinte Bensley. Présenté comme un sanctuaire privé entouré des jungles et cascades du Cambodge, le nouveau projet de Bill Bensley, l'architecte basé à Bangkok et spécialisé dans les gîtes et hôtels de luxe exotiques, projette d'ouvrir un village de tentes de luxe situé à seulement deux heures et demie de Phnom Penh et deux heures de Sihanoukville, dans une région « peu peuplée et connue pour ses troupeaux d'éléphants sauvages, ses gibbons et ses cascades », indique la brochure. En fait, le village de tentes sera ouvert à Tmor Rung dans les Cardamomes. Prévu pour ouvrir au troisième trimestre 2018, en partenariat avec la fondation Shinta Mani, ONG affiliée à l'entreprise hôtelière solidaire du même nom, ce projet entend définir une nouvelle norme en matière de tourisme de luxe au Cambodge. La Fondation Shinta Mani déclare qu'elle souhaite devenir un chef de file en matière de tourisme responsable. Survoler les Cardamomes. Wildlife Alliance propose un programme de deux jours et une nuit destiné à une clientèle aisée. Le programme de deux jours commence par un tour en hélicoptère en surplombant

toute l’étendue des Cardamomes. C’est ici que Wildlife Alliance a pu intercepter les trafiquants d’espèces sauvages et protéger ce site d’exploitation forestière. L’hélicoptère se pose ensuite sur un haut plateau surplombant la forêt, avec les hurlements des gibbons en fond sonore. C’est une expérience unique…

Remonter la rivière Preak Tachan en kayak jusqu’au camp de tentes

PRATIQUE : • Communauté de Chi Phat, province de Koh Kong.

Tél : +855 (0)92 720 925 / +855 (0)35 500 0068

Email: chiphatbooking@gmail.com

Site web : www.wildlifealliance.org/eco-tourism-chi-phat/

• ONG Wildlife Alliance

Tél : +855 (0)23 211 604 / +855 (0)23 211 672

Site web : www.wildlifealliance.org/wildlife-release-koh-kong/

• Camp de tentes des Cardamomes

Bureau No. 25D, rue 294, Sangkat Tonle Bassac, Phnom Penh

Tél: +855 (0)23 215 970 / +855 (0)883 973791

Email: sales@cardamomtentedcamp.com

Site web : www.cardamomtentedcamp.com/

• Cardamom Mountain Resort

Tél : +855 (0)92 786 047

Email : kardamom.hans@gmail.com

Site web : cardamommountainresort.com

• Shinta Mani Wild - The Bensley Collection - A Private Nature Sanctuary

Email : wild@shintamani.com

Site web : www.shintamani.com/wild.php

www.cambodgemag.com

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SERVICE

CHOISIR

SON LOGEMENT

AU CAMBODGE

V Vous allez habiter au Cambodge, et vous cherchez un logement. On peut

dire d’une façon très générale : « pas de problème », l’offre est considérable, dépasse de loin la demande, qu’il s’agisse de louer ou d’acheter, qu’il s’agisse de logements anciens ou de constructions neuves, et quels que soient vos moyens. Fin 2016 on comptait à Phnom Penh 791 constructions de 5 à 40 étages, huit dépassant 40 étages et 134 borey (quartiers avec villas ou appartements) et les permis de construire sont encore en augmentation.

Choisir un logement ?

Toutes les formules sont à disposition. La meilleure c’est une heureuse combinaison de réponses à vos divers souhaits. Les critères qui déterminent le choix d’un logement sont très différents d’un demandeur à un autre : La surface : vous êtes seul, ou bien vous êtes deux, ou encore vous avez 5 enfants, ce n’est pas la même surface, ni le même nombre de pièces, c’est évidemment un critère fondamental. La localisation : vous voulez un quartier flatteur, une adresse plutôt prestigieuse, ou bien vous souhaitez vous loger au meilleur prix, ou bien près de votre lieu de travail… c’est très différent. Le quartier le plus recherché, c’est Boeung Keng Kang 1,45 % du marché, avec des ambassades, des ministères, des ONG, des écoles, des magasins, des restaurants… Naturellement si vous souhaitez un étage élevé, sur les quais, avec une belle vue très étendue sur le Tonle Sap et sur les Quatre Bras, ce sera trois fois plus cher au moins. 50

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par Alain Gascuel

Autres quartiers recherchés : Tonle Bassac, Toul Tumpong, Psar Derm Thkov… Mais vous pouvez préférer une villa avec un jardin et une piscine… Entre ces formules de luxe et un appartement modeste, une guesthouse dans un quartier éloigné, une chambre chez l’habitant, il existe une gamme complète de surfaces disponibles. Les nombreuses tours qui poussent partout à Phnom Penh offrent de grandes vues panoramiques, des terrasses… mais il existe aussi de jolies maisons avec jardin que l’on ne devine pas à partir de rues discrètes… Ne vous décidez pas trop vite ! Le logement lui-même : l’aspect extérieur, l’escalier d’un immeuble sont souvent peu engageants. Les ascenseurs restent très rares dans les constructions anciennes. Il faut évidemment veiller à l’équipement : bonnes arrivée et évacuation de l’eau, éclairage, climatisation, eau chaude, et bonnes connections pour le téléphone, la télévision et pour votre ordinateur. Ameublement, décoration : il faut vérifier tout cela pratiquement. S’assurer que le logement n’est pas inondé en cas de forte pluie, qu’il reste facilement accessible. Il est recommandé de s’assurer, responsabilité civile, incendie, vol… Il existe plusieurs compagnies d’assurance professionnelles. Parking et transport : c’est important. Si vous ne pouvez pas garer commodément votre voiture, ou même votre moto, et de façon sûre, non seulement là où vous habitez mais aussi à votre lieu de travail, ce sera une gêne, une inquiétude quotidienne. La question du parking est directement liée à celle du transport, de la distance de votre lieu de travail, du moyen de transport le plus approprié : à pieds, à moto, à vélo, en tuk-tuk, en bus, en voiture, en voiture avec chauffeur… il y a là un critère tout à fait important dans le choix d’un logement, qui ne se voit pas avec évidence lors d’une première visite,

qu’il faut prendre très soigneusement en considération avant de se décider. L'environnement : il faut penser évidemment au bruit, à la pollution, à l’aération, à l’ensoleillement, à la vue… aux voisins. Ces critères-là sont assez faciles à évaluer en visitant un logement. Mais il faut penser aussi pour votre famille à la proximité des écoles, à celle d’un marché et des boutiques.

Louer ou acheter ? Louer : est assez facile. À Phnom Penh en particulier l‘offre est considérable, logements anciens, et grand nombre de constructions neuves. On compte plus de 50 agences officielles, les unes « de quartier », d’autre couvrant la ville, et certaines ont de bonnes connections en province. Ces agences, ou même des particuliers, vous proposeront quantité de logements correspondant autant que possible à vos souhaits – et même des enfants iront pour vous en exploration ! Un large éventail de solutions s’offre à vous : logements à prix minimal pour backpakers, colocations, appartements à tous les prix – de 50 ou 150$ par mois à 800, 1200$ et bien audelà ; chambres d’hôtel pour une longue durée, appartements en condominium, villa avec jardin et piscine, ou encore « serviced appartment ».


D’une façon générale si l’affaire se fait le propriétaire rémunère l’intermédiaire, en général une agence, à hauteur d’un mois de location. Naturellement il y a un contrat, qui indique quel bien est loué, à quel tarif mensuel, si ce tarif comprend ou non l’eau, l’électricité, le parking… Et naturellement, le propriétaire demande une caution (par exemple l’équivalent de trois mois de location), qui sera rendue à la fin de la location si rien n’a été détérioré. S’il y a détérioration – inondation, vitre brisée – les frais reviennent au fautif. Le montant de la location dépend aussi de la durée du contrat, les propriétaires préfèrent naturellement louer pour une longue durée. Acheter : la loi autorise les étrangers à posséder un bien immobilier en pleine propriété, à vie, y compris hypothèque et succession. Mais avec une restriction : un étranger ne peut pas être propriétaire à 100% au niveau du sol : 40% seulement, au maximum, en créant avec une entité cambodgienne une Land Holding Company. Certaines agences cambodgiennes et internationales réalisent toutes les démarches. Attention : il existe deux sortes de titres de propriétés : le soft et le hard. Le soft est un titre légal, mais le bien n’est pas « cadastré », c’est-à-dire sans relevés précisément décrits. Le « hard », cadastré, comporte un plan avec des relevés précis, un document inattaquable. Les achats entre Cambodgiens se font le plus souvent en soft (la plupart des titres de propriété anciens ont été détruits). La transaction, avec un graphique et les dimensions du bien, est signée par le vendeur, l’acheteur et par le chef de village qui réalise le document et le transmet au niveau du quartier (sangkat). Le nouveau propriétaire est tenu en principe de passer en hard à ses frais, mais le plus souvent il préfère attendre le cadastrage officiel, gratuit, qui est en cours dans tout le Cambodge. La formule soft suscite bien des contestations, des querelles interminables, surtout dans les provinces, quand il s’agit de passer à la formule hard. Les étrangers évidemment préfèrent acheter en « hard » qui les met à l’abri des contestations. S’ils achètent en soft, ils pourront passer en hard mais à leurs frais, environ 4% de la valeur du bien. Les démarches sont assurées par l’agence immobilière qui s’assure de l’authenticité des titres, et si besoin faire intervenir un avocat.

Les prix…  ils ont beaucoup monté

[…] l’offre est considérable, dépasse de loin la demande, qu’il s’agisse de louer ou d’acheter […] ”

depuis quelques années, sous l’effet d’une forte demande et de la croissance continue de l’économie cambodgienne. Ce n’est donc peut-être pas la meilleure période pour acheter. Et encore moins, dit-on, pour spéculer, revendre avec profit sur le court ou moyen terme, parce que, avec l’important surplus de l’offre face à la demande il pourrait y avoir une « bulle », les propriétaires pourraient baisser les prix pour attirer rapidement des acheteurs. Faut-il craindre une « bulle » ? On observe que certaines grandes constructions, des tours, restent inachevées en attendant que des acheteurs apportent les moyens financiers qui permettront de les terminer. Le risque de surabondance est bien là, surtout pour la catégorie « A », la meilleure qualité. Et pourtant on continue à construire ! Les investissements dans ce secteur ne faiblissent pas. Sur le long terme en revanche les professionnels sont plus optimistes : le Cambodge est situé au centre d’une région très dynamique, il a un potentiel de développement considérable, sa croissance économique devrait se poursuivre aux environs de 7% par an, les investissements continuer à y contribuer, les demandes de bureaux et de logements devraient rester fermes.

Trouver un logement au Cambodge, une offre encore abondante, variée et accessible

On trouvera beaucoup d’informations, y compris pour les villes de province, dans les publications de Bonna Realty Group. Tél : 023 861 999 Sources Un Peach, Bonna Realty Group; mensuel Cambodge Nouveau; Guide du Tourisme au Cambodge www.cambodgemag.com

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N AT U R E

LE DERNIER TIGRE DES CARDAMOMES 2009 , Phnom Penh. Lors d’une conversation avec Nick Marx, le baroudeur qui connait

la faune cambodgienne comme sa poche, la disparition du tigre dans le royaume est évoquée. « Ils les ont tous tués, il n’en reste plus un seul, peut-être un vieux mâle solitaire traine-t-il dans les Cardamomes, mais cela risque de ne pas durer longtemps », explique le vieux Nick, un peu dépité. Il adore les tigres, c’est lui qui, au sein de l’ONG WildLife Alliance s’occupe des quatre félidés pensionnaires de la réserve naturelle de Phnom Tamao. Un vieux mâle dans les Cardamomes… et si j’essayais de le filmer ? Sur les traces du Vieux… Avec Hong

Seiha, un Cambodgien francophone qui travaille chez Apsara TV, et dont les parents vivent dans un petit village des Cardamomes, nous organisons rapidement une petite expédition de tournage, un peu comme des amateurs, pas de caméra trappe, pas de GPS, pas de 52

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par Christophe Gargiulo, photographie Allan Michaud

plan précis de tournage. Nous irons camper près de son village, là où les habitants disent avoir entendu un tigre s’approcher une nuit près de l’enclos des vaches. Nous partons en moto, une vieille 125 cc qui perd ses cale-pieds et qui nous emmène dans son village après quelques heures boueuses et cahoteuses sur les chemins parfois totalement inondés de la forêt des Cardamomes. Accueillis dans la chahute familiale, le père de Seiha entreprend de nous raconter avec moult détails cette fameuse nuit ou le fameux tigre se serait approché du village. « nous l’avons entendu arriver, et les vaches se sont affolées, nous sommes sortis et il s’est enfui », explique-t-il, mimant l’approche du tigre et l’affolement des villageois. Je deviens un peu septique, un tigre qui chasse la nuit est en général silencieux pour ne pas alerter ses proies, comment ont-ils pu l’entendre s’approcher ? Peu importe, nous irons interviewer quelques-uns des villageois. Tard dans la soirée, je demande à pouvoir dormir dans le hamac sous la tonnelle extérieure. Nous sommes en pleine mousson, il fait chaud et humide. « Surtout pas, c’est dangereux, il y a aussi des léopards et des serpents, dors à l’intérieur », me dit Seiha. Septique au sujet du tigre, je me laisse facilement convaincre au sujet des serpents, et même au sujet des léopards car il est certain qu’il en reste quelques-uns dans la région, et je passe la nuit dans le cabanon. Le lendemain, nous aurons droit à la même version,


inlassablement. Un ancien du village est plus précis, mais sa description date des années cinquante alors que, pratiquement chaque semaine, une vache se faisait dévorer par le seigneur de la jungle… Mais, personne ne peut nous montrer de traces du vieux mâle qui errerait dans les Cardamomes, ni même le décrire précisément. Le jour suivant, nous remontons très lentement et silencieusement, pleins d’images de tigre bondissant dans la tête, la piste qui part du village vers la forêt. Pas trop rassurés, même s’il est peu probable que l’histoire soit totalement authentique, il n’est pas totalement impossible que le vieux mâle, ou même un léopard se soit approché du village. La quête restera vaine et nous décidons de repartir sur Phnom Penh le lendemain matin. Pas de tigre, mais quelques belles images de forêt et d’un village isolé que les pyjamas sino-vietnamiens et les sacs en plastique n’ont pas encore envahi et dénaturé. Filmer enfin des tigres… Nouvelle conversation au retour avec Nick qui, c’était à prévoir, rigole pas mal de notre expédition gamine et naïve et nous explique : « les Khmers appellent tous les félidés et les ours par des variantes du mot khlak, et cela prête à confusion. Il y a sûrement eu un léopard qui s’est approché, mais je ne crois pas à leur histoire de tigre », explique-t-il. Mais je veux filmer un tigre au Cambodge ! Je l’ai promis à une chaine de télévision locale. Nick me propose de me faciliter la vie en me laissant tourner dans la réserve de Phnom Tamao. C’est là et uniquement là qu’il sera possible de faire des images de tigre. Pendant une semaine, avec Allan Michaud, cette fois-ci, nous suivrons la vie des tigres dans leurs espaces assez vastes de la réserve. Nick nous a obtenu la permission de filmer depuis la zone de sécurité qui permet de coller les objectifs entre les maillons du grillage et d’avoir de belles images… Ce n’est pas un vieux mâle des Cardamomes mais le jeune tigre Areng, né dans la réserve, qui s’habituera à ma présence et viendra se laisser caresser fréquemment, et tentera à plusieurs reprises de jouer en balançant des coup de patte dans ma direction, sur le grillage, sans intention belliqueuse, mais avec des coups suffisamment violents et sonores pour se rappeler que c’est un grand fauve carnivore d’abord dont la puissance, même à travers un grillage peut occasionner quelques mauvaises surprises, même avec l’intention de jouer. Areng (cf. photo à gauche) sera la vedette du documentaire, et le vieux tigre des Cardamomes ne vivra qu’à travers ces quelques témoignages impossibles à vérifier. Dommage, les années passant, il faudra abandonner l’idée de le filmer un jour, tout comme celle de pouvoir filmer un tigre à l’état sauvage au Cambodge. Les chiffres du Fonds Mondial pour la Nature concernant la population de tigres d’Indochine deviennent de plus en plus alarmants chaque année. On parle de moins de dix individus dans une zone située entre le Vietnam et le Cambodge. La dernière image d’un tigre à l’état sauvage, dans le Mondolkiri, date de 2007.

Les revoilà… De nouveaux témoignages surgiront

lors d’un tournage dans le Ratanakiri, chez les Kavet en 2013. Dans leur village, alors que je leur montre les images d’Areng, un chasseur s’approchera et me dira haut et fort avoir vu un tigre dans la forêt quelques mois auparavant. Deux autres chasseurs s’approcheront pour confirmer. Mais, tout comme l’histoire du vieux félin des Cardamomes, pas de trace, pas de description précise. Petite lueur d’espoir quelques jours plus tard, alors que notre petite équipe de tournage suit les tapeurs de résine du Dichterocarpus dans les savanes sèches, nous trouvons des traces et des excréments qui ressemblent à ceux d’un félin « léopard », nous dira le jeune scientifique qui nous accompagne. Au moins, ceux-là, on sait qu’il en reste quelques-uns. Mais tout comme son cousin-rival le tigre, l’alerte est aussi lancée concernant la population de léopards dans le royaume, lui aussi pourrait disparaitre… Réintroduction des tigres au Cambodge… Ils les ont tous tués… cette phrase de Nick qui semblait un peu outrancière en 2009, se confirme tristement en avril 2016 : « Aujourd'hui, il n'y a plus de populations reproductrices de tigres au Cambodge, et ils sont donc considérés comme fonctionnellement éteintes », déclarait le Fonds Mondial Pour la Nature dans un communiqué. Cette même ONG de conservation pousse aujourd’hui le gouvernement à valider et mettre en œuvre un plan de réintroduction des tigres au Cambodge, dans la région du Mondolkiri. Le Cambodge ne serait certainement pas pionnier en la matière. Pourtant, si l'Inde, le pays d’où seraient importés les spécimens destinés à être relâchés, peut se targuer d'avoir réussi à sauver et même accroître ses populations de tigres, les expériences conduites en Indonésie pour le tigre de Sumatra, sont bien moins concluantes, tout comme la plupart des programmes de réintroduction de prédateurs en Asie. Vrai que le projet cambodgien n'est pas impossible techniquement, à la condition d'avoir suffisamment de financements, beaucoup de financements, une gestion rigoureuse des espaces et une vigilance toute particulière à l'encontre des contrebandiers. Le projet semble à haut risque. Les tigres ont besoin d'espaces, de beaucoup d'espaces, certains individus couvrent des distances allant jusqu'à deux cent kilomètres par semaine. Se pose aussi le problème des proies. Si le tigre n'a pas suffisamment de quoi chasser, il s'approchera des villages, attaquera le bétail et rencontrera probablement son principal ennemi : l'homme. Quels seraient aussi les moyens mis en œuvre pour décourager la chasse illégale alors que cette pratique, liée au gout immodéré des chinois pour les organes de tigre sauvage, a conduit à la disparition du félin dans le royaume et qu'aucune mesure, aucun programme n'ont pu empêcher le braconnage du tigre ? En 2007, les Chinois payaient jusqu'à huit mille dollars pour un tigre abattu. Cela représentait une dizaine d'années de salaire pour un petit chasseur. Quels arguments pour contrer cette tentation ? www.cambodgemag.com

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P H OTO G R A P H I E

Pich Heng Darith, ARTISTE DU STUDIO IMAGES URBA

par Bernard Millet, Attaché Culturel-Directeur Délégué

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L

e renouvellement du partenariat entre l’Institut français du Cambodge et Cambodia Airports a permis d’élargir le

programme de formation à la photographie, Studio Images, aux étudiants de l’Université Royale des Beaux-Arts (URBA) qui constitue un groupe Studio Images URBA pour lequel un cursus spécifique est proposé, favorisant ainsi l'émergence d'une nouvelle génération de photographes cambodgiens particulièrement créatifs. Pich Heng Darith, actuellement élève du Studio Images URBA, fait partie de ce groupe d'étudiants de l'URBA qui, par son approche singulière de la photographie, tente une mise en abyme de sa pratique. Photographiant ses propres images plongées dans un aquarium, il met scène son imaginaire où le réel se confond avec le rêve, où les lieux se perdent dans la représentation de leur souvenir. Le Studio Images a également permis de découvrir des photographes talentueux comme Sayon Soun (en double page 18-19).


CHRONIQUE

AU PAYS DES QUATRE MILLE ÎLES par Jean Bertolino

En revoyant sur Facebook des photographies sur la région de Khone, j'ai revécu le merveilleux voyage que nous avions effectué dans la région de Champassak, à Wat Phou, un temple angkorien réputé et dans cette vaste étendue d’eau du Mékong qui s’étale comme une mer intérieure avant de se resserrer d’un coup pour s’engouffrer dans le ravin de Khone et déferler jusqu’à Stung Treng au Cambodge. Ce lieu amphibie a été baptisé Si Phan Don par ses habitants ou « le pays aux quatre milles îles ». Nous y étions il y a quelques années. Le tourisme de masse n’avait pas encore contaminé ces lieux magiques. Seuls des routards peu fortunés venaient s’y prélasser en fumant des joints aux douces heures de la journée devant un fleuve brillant comme de l'or pur. Les îliens étaient d’une gentillesse attendrissante. Notre pirogue en longeant leurs rivages était saluée par les sourires des adultes et les cris de joies de petits baigneurs qui nous envoyaient des baisers. Qu’est devenu aujourd’hui ce fragment de paradis terrestre ? A-t-il résisté aux hôtels de luxe et aux tours opérateurs ? Il est des lieux,

comme celui-ci, qui devraient être classés zone protégée puis, maintenus à l’abri des masses vacancières et de leur argent corrupteur. Ainsi, seuls les gens peu soucieux de confort mais respectueux des sites et des us et coutumes pourraient y avoir accès. Je sais que cette réflexion est un tantinet élitiste. Faudrait-il nonobstant, au nom d’une équité ambiguë, se résoudre à voir disparaître nos derniers édens ? Non ! Non et non ! Les gavés de la terre ont déjà suffisamment d’endroits où se prélasser. Il vaudrait mieux ne pas les laisser venir souiller ces terres encore pures. Vivaaaa! Note : Si Phan Don est un archipel fluvial de la province de Champasak, au sud du Laos. Le Mékong traverse la province et, juste au-dessus de la frontière cambodgienne, se trouvent les chutes et rapides de Khone. Durant l'occupation française, un chemin de fer fut construit pour contourner cet obstacle. Ces nombreuses îles, où le Mékong fait à peine dix kilomètres de large, sont pour la plupart inhabitées, mais la plus importante mesure 18 km de long sur 4 km de large et accueille un village de paysans.

Pour visiter Si Phan Don : www.amica-travel.com

www.cambodgemag.com

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TO U R D E TA B L E

Six grandes tablées, des banquettes en skaï,

SUMIBI YOKOCHO

un bar en bois et des posters vintage partout sur les murs. La déco entretient l’ambiance des Yokocho, charmantes allées de barbecues des grandes villes du Japon. Ouverte il y a trois ans, la gargotte est une des plus anciennes de « Little Tokyo », ce quartier japonais au sud de la rue 63. Pour picorer : du kimuchi, version nipponne du « kimchi » coréen, et des feuilles d’algues nori craquantes. La spécialité ici c’est la viande : je commande une assiette de Negi sio et un Special kalbi, de la langue de bœuf à l’ail, Quand j'ai envie et des morceaux désossés, de retrouver des saveurs importés des Etats-Unis. Grillées au feu de bois, les japonaises je viens ici ” tranches crépitent sous des cheminées qui évacuent fumée et odeur. La viande arrosée de citron et d’ail est tendre et fondante. On l’accompagne d’une marmite de riz frit façon bibimbap; le jaune d’œuf crépite lorsqu’on le mélange avec le riz, les oignons nouveaux et les miettes de porc. C’est délicieux. Sur le mur, une formule « all you can drink » offre bières, cocktails et whiskies, pour 6$ les 60 minutes. Je passe mon chemin, préférant commander un saké, comme la clientèle principale, japonaise et chinoise, sur les conseils du serveur. Le breuvage doucereux réchauffe le corps. Arrivent enfin les cinq coquilles Saint-Jacques macérés dans une sauce au miso, légèrement sucrée et pimentée. « Quand j’ai envie de retrouver des saveurs japonaises je viens ici », confie Katsu, un habitué originaire de Tokyo. Au fur et à mesure de la soirée, bercée par le folk japonais, la voix de Katsu et les verres de Sapporo, je m’imagine dans un estaminet de la mégalopole. En quittant les lieux, ce ne sont pas les enseignes environnantes qui me contredisent; l’Akata Shokudo, Fuwari Japanese cake, Tanabata bar ou encore le « Jap pet shop », complètent le décor.

Un air de Tokyo

Adresse : No 81,Street 63, Sangkat Tonle Bassac, Khan Chamkarmon texte et photographies par Eléonore Sok-Halkovich

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PAJO M O OU

K

N

RECETTE

SOUPE DE NOUILLES KHMÈRE par Christophe Gargiulo

Plat traditionnel par excellence, la soupe de nouilles est un grand classique de la cuisine cambodgienne populaire. La recette proposée décrit les trois étapes, préparation des viandes et bouillon, des ingrédients et la préparation des nouilles. Le dosage dépend aussi du goût de chacun, « thyme, thoy ».

INGRÉDIENTS : • • • • •

1 poulet entier 5 filets de poisson-chat 1 cuillère à soupe Prahok (pâte de poisson fermentée) 1 tasse de sauce de poisson 1 tasse de lait de coco

• • • • • •

1 tasse d'herbe de citron haché 10 gousses d'ail 2 cuillères à soupe de rhizomes marinés 10 feuilles de combava 1 cuillère à soupe de curcuma en poudre 1 pincée de sel

• • • • • •

1 cuillère à café de sucre non raffiné 5 piments rouges frais 1kl de nouilles fraiches 200g de germes de soja 100g de haricots longs 2 concombres

PRÉPARATION : 1 • Utiliser un grand faitout et porter un litre d'eau à ébullition puis ajouter le poulet entier et laisser cuire lentement. Une fois que le poulet est bien cuit, le sortir de l'eau, mais ne pas vider le bouillon. Laissez le poulet refroidir. Ajouter les filets de poisson-chat au bouillon, laisser cuire puis retirer et placer ensemble avec le poulet cuit. Laissez refroidir bouillon, poisson et poulet. Décortiquer poulet et poisson puis broyer, au mixer ou au pilon, mettre de côté ensuite. 2 • Hacher la citronnelle, l'ail et le rhizome et broyer. Ajouter la poudre de curcuma après broyage.

Réchauffer lentement le bouillon et ajouter les deux mélanges. Assurez-vous de surveiller le niveau de la cuisson et remuer de temps en temps.

Si les nouilles ne sont pas correctement drainées, elles seront trop pâteuses et ne s’imprégneront pas des saveurs des ingrédients.

Broyer le Prahok, ajouter dans le bouillon.

Avec un pilon, broyer les piments frais et rajouter un peu de sel.

Ajouter ensuite les feuilles de lime kafir, la sauce de poisson, le sel, le sucre et le lait de coco.

Préparer ensuite votre mélange final dans l'ordre suivant : les légumes, les nouilles, la soupe, le piment et le sel.

3 • Porter l'eau à ébullition, puis ajouter les nouilles. Une fois que les nouilles sont cuites, égoutter et rincer à l'eau froide. Pour séparer les nouilles en bouquets individuels, les tremper dans l'eau froide lors de la manipulation et placer les nouilles en bottes dans un panier pour un bon drainage. www.cambodgemag.com

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PRODUIT DU CAMBODGE

M’ÂM,

l’herbe à paddy par Pascal Medeville, photographies Christophe Gargiulo

vous avez eu l’occasion de

déguster au Cambodge une

largement cultivée, mais on trouve encore sur les marchés de Phnom Penh des bouquets de m’âm sauvage, cueilli dans les rizières. Cette herbe est utilisée dans la cuisine de nombreux pays, en particulier dans le sud du Vietnam (le nom vietnamien est « ngò ôm »), par exemple dans la soupe de poisson « canh chua », ou encore en Thaïlande (le nom thaï est « phak khayaeng »), notamment dans la région d’Isan, où elle entre dans la composition du « nam phrik », l’une des sauces pimentées typiques de la Thaïlande. On trouve aussi l’herbe à paddy en Chine du Sud, où elle est surtout utilisée en pharmacopée, ainsi qu’à Taïwan, au Japon, dans le subcontinent indien et jusqu’en Australie. L’ambulie aromatique possède une saveur tout à fait particulière, qui évoque à la fois celle du cumin et celle d’un citrus. Elle est appréciée pour son parfum puissant qui se dégage quand les tiges sont cassées entre les doigts avant d’être ajoutées à la soupe. Certains restaurants vietnamiens la proposent en accompagnement avec la fameuse soupe de nouilles « pho », et j’ai même eu l’occasion de la déguster sous forme de coulis en accompagnement d’une aile de raie du Mékong pochée tout à fait succulente préparée par Franck Sampere, le chef français du restaurant Open Wine. Outre ses qualités culinaires, le « m’âm » est également apprécié pour ses nombreuses vertus médicinales. D’après le Dictionnaire des Plantes utilisées au Cambodge de Pauline Dy Phon, en pharmacopée cambodgienne, les rameaux et les feuilles entrent dans la préparation d’un remède antispasmodique et contre les convulsions. En usage externe, avec des cendres de bois et du sel, on confectionne avec les rameaux et les feuilles un cosmétique pour les soins du visage.

« soupe aigre vietnamienne » (sâmlâ m’chur yuon), ou encore une « soupe aigre aux liserons d ’eau » (sâmlâ m’chur trâkuon), peut-être aurez-vous remarqué, parmi les nombreuses herbes utilisées pour aromatiser le plat, des tronçons d’une herbe aux rameaux vert-blanchâtre et aux petites feuilles vertes allongées, finement dentelées, avec une nervure centrale bien marquée, et disposées en bouquet de deux ou trois sur toute la longueur du rameau. Il s’agit de ce que les Cambodgiens appellent le « m’âm », ou parfois « m’âm dei ». Cette herbe aromatique est connue en français sous le nom d’ambulie aromatique, ou encore « herbe à paddy » (cette dernière appellation est la traduction littérale du nom anglais de la plante : rice paddy herb). Le nom scientifique du m’âm est Limnoliphila aromatica, synonyme de Limnophila chinensis subsp. aromatica. Le nom anglais d’« herbe à paddy » vient du fait que cette plante pousse à l’origine dans le milieu humide des rizières. La plante est aujourd’hui Jeune cuisinière d’un petit restaurant de rue, utilisant l’herbe à paddy 58

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OUVERT POUR LE PETIT-DÉJEUNER, DÉJEUNER ET DINER

www.cambodgemag.com

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GAST R O N O M I E

LA RÉSIDENCE

ÉCRIN D’ÉLÉGANCE

S

amedi soir, 19h30, premier dîner dans ce haut lieu de la gastronomie française à Phnom Penh. Accueillis

par les aimables sampeah des serveuses, nous sommes placés près de la baie vitrée où coule une cascade. Les abat-jours diffusent une lumière veloutée sur les

tables aux tons crème dans un ensemble raffiné, avec, délicieux détail, des serviettes pliées dans un style digne de l’architecture en V de Vann Molyvann. À la lecture du menu, je salive à l’évocation des poissons méditerranéens, de la page entière consacrée au foie gras, des classiques et des mijotés de grand-mère. Ne sachant où donner de la tête, je passe une commande stratégique ; terre en entrée, mer en plat, et un Bordeaux. Mon marbré de foie gras aux algues et son chutney oriental font 60

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leur entrée (cf.photo gch.). La texture est ferme, la force du foie est équilibrée par la note d’algue, et adoucie par le chutney : un régal. Je jalouse l’assiette de mon voisin : un duo de la mer, tartare de thon rouge et loup de mer avec gelée de ponzu et navet glacé (cf.photo dte.). Frais, doux, très doux. Je me réserve pour le plat que j‘ai choisi pour son originalité : un kimono

de rougets farcis à la crème de petits pois, lasagnes de légumes et sa sauce balsamique à l’ail. Un clin d’œil du chef Takeshi Kamo à son pays natal, lui qui a fait ses classes dans des tables étoilées françaises et suisses. Lorsque l’assiette arrive, l’esthétisme nippon saute aux yeux : les rougets sont présentés sous forme de canapés, sertissant la verte purée, le tout enroulé par des tiges de ciboulette, tandis que les lasagnes, rondes, sont ponctuées de virgules rouges de crème tomate et de salade. Visuellement c’est magnifique. La cuisson est parfaite, l’alliance du poisson et des pois est agréablement surprenante. Arrive ensuite l’heure cruciale des desserts ; la note sucrée, la dernière

impression. Là encore, je choisis le moins commun : une crème brûlée à l’hibiscus et sa glace au gingembre. Sous ma cuillère, la croûte se casse avec ce bruit

caractéristique. La crème n’est pas colorée par le rose hibiscus comme je l’imaginais. Puis, surprise : elle contient des morceaux que je n’identifie pas tout de suite. Ce sont en fait les fameuses fleurs d’hibiscus, entières. Mon voisin, grand amateur de chocolat voit son fondant s’ouvrir sur un généreux coulis couleur ébène et vert du thé matcha, le chocolat est agréable, mais les glaces à la vanille et au gingembre sont tout simplement savoureuses. En conclusion : cadre élégant, service impeccable, dîner agréable, note à la hauteur du prestige et de la qualité de l’établissement et, surtout, une recherche esthétique tout-à-fait remarquable pour chacun des plats.

texte et photographies par Eléonore Sok-Halkovich


CHRONIQUE

COURTOISIE…

par Thierry Descamps

A

ujourd’hui, nous allons aborder les règles de courtoisie

et notamment, très important, le salut khmer. Cela consiste à joindre les mains paumes contre paumes. C’est tout simple. On les porte un peu négligemment à hauteur du menton pour saluer M. ou Mme Tout-le-Monde. A hauteur du nez pour des personnes plus âgées, surtout les dames. À hauteur du front avec une inclinaison du buste pour un bonze. Mais surtout vous ne faites pas la bise à une dame (sauf si elle vous le propose), à plus forte raison si vous ne la connaissez pas. Ma réputation a failli être gravement écornée la première fois que j’ai rencontré

l’épouse khmère d’un ami français installé depuis de nombreuses années. Il m’invite chez lui. J’arrive à l’heure (un exploit) chaussures bien cirées et vêtements sobres et de bon goût. Je sonne et Theary en personne vient m’ouvrir. Les présentations sont un peu hésitantes vu que la jeune femme ne parle que le Khmer et que mon niveau était alors à peine celui d’une classe maternelle. Encouragé par le bon accueil et après m’être débarrassé des fleurs, je commets l’irréparable. J’entreprends un mouvement qui ne laisse aucun doute sur mes intentions : je vais lui faire la bise ! Elle fait un bond en arrière et part se réfugier dans la cuisine. On ne la verra plus de tout le repas. Je me doute que j’ai fait une boulette et je m’en ouvre à mon hôte qui a cette réplique lapidaire : « t’es pas un peu con, non ? ». Et c’est seulement là que je me

rappelle le passage consacré au bisou dans d’une marque de respect. Du coup je me mon manuel du savoir­vivre à l’usage des suis mis à appeler tout le monde « bong » rustres et des malpolis au Cambodge. Je même les enfants (?). C’est Yonn, le bras me promets de me rattraper et je ne ferai droit d’un ami, qui m’a éclairé. Comme que m’enfoncer plus gravement encore maintenant on se connaît bien et que je dans l’horreur et l’abjection. crois qu’on s’apprécie je lui ai demandé La seconde fois, la maîtresse de maison d’arrêter de me donner du « Monsieur m’ouvre à nouveau le portail et me tend la Thierry » et de m’appeler simplement par main par sécurité. mon prénom. Il Elle n’avait pas “ Encouragé par le bon m’a expliqué qu’il prévu que le ne pouvait tout accueil […] je commets pervers que son simplement pas y mari s’obstinait à l'irréparable ” arriver parce que inviter lui ferait j’étais plus âgé que un baisemain ! Je ne sais pas ce qui m’a pris. lui et l’ami de son patron. Je suis donc Silence gêné, incompréhension mutuelle devenu « bong » (oncle) et lui « paoun Yonn » et malaise persistant ; la pauvre Theary (neveu). Tout le monde est content. redoutant probablement que je me laisse Au restaurant, dans les transports ou au aller à d’autres comportements incohérents marché, les khmers font l’effort, dès qu’ils ou franchement répréhensibles si son mari le peuvent, de parler anglais. Le problème nous laissait seuls pour aller chercher c’est que nos accents varient (to say the l’apéro. least). Entre mon patchwork texan/ Depuis j’ai arrêté mes excentricités et londonien avec une pointe de sud af ’ et nos relations sont au beau fixe. Il y a plein la « french touch » de mon ami Roger, il y a de petits trucs à faire (ou ne pas faire) pour un abyme. Donc nos interlocuteurs font se comporter correctement. Ne jamais ce qu’ils peuvent mais ça peut entraîner toucher ou pire, tripoter, la tête d’un enfant. des confusions. Et comme la « face » est Je ne sais plus pourquoi mais c’est verboten ! primordiale chez les khmers, ils ne vous Toujours se déchausser pour entrer chez diront jamais qu’ils n’ont pas compris mais les gens sauf bien entendu si les convives feront « pour le mieux ». Le plus simple, si sont en majorité occidentaux. Prendre les vous le pouvez, est d’apprendre le khmer. objets qu’on vous tend à deux mains. Pareil Comme çà, si on vous amène du poisson quand vous remettez quelque chose à à la place de vos nouilles vous ne pourrez quelqu’un. Si vous déjeunez ou dînez, avec plus ronchonner mais ne pourrez-vous en une dame, ne pas vous ruer sur l’addition. prendre qu’à vous-même. Il était de tradition que la note soit remise Crédit photo ND Strupler à votre invitée pour qu’elle puisse vérifier les comptes. Ne vous inquiétez pas. Après un regard de principe (ou pas) elle vous laissera payer volontiers.

Il y a aussi autre chose que la courtoisie ;

Les règles simples de bon voisinage et du « vivre ensemble » comme on dit maintenant dans ce qui était chez nous. Deux exemples : J’entendais les gens s’apostropher à coups de « bong » par ci, « bong » par là. Ça sonnait bien et j’ai compris que c’était un salut amical doublé www.cambodgemag.com

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V I V R E AU C A M B O D G E

Jardins d’enfants à Peng Huot

Habitations à Peng Huot, avec différents standards de logements, et une certaine uniformité

A

Borey

L’IRRÉSISTIBLE  du

texte et photographies par Christophe Gargiulo

ctuellement largement utilisé dans le langage populaire pour désigner ces villes-villages résidentiels qui fleurissent

aux alentours de la capitale, le borey n’est pourtant pas un concept nouveau, qui serait né de la fièvre immobilière qui s’est emparée de la capitale, et du besoin des Cambodgiens de pouvoir s’installer dans des agglomérations fonctionnelles, avec de grands espaces propres, avec peu de circulation et sécurisés. Le mot borey était déjà utilisé dans les temps anciens pour désigner un pays, un royaume ou une province. Origines et concept… C’est l’honorable Samdech Chuon Nath, moine bouddhiste, connu pour son érudition et ardent promoteur de la langue khmère, qui intégra le terme dans son premier dictionnaire khmer publié à l’époque du protectorat français. Il définissait alors une province, ville, un lieu-dit. Le concept lui-même évolua pendant cette période alors que les Français firent construire des logements pour des travailleurs de la distillerie SKD (Société Khmère des Distilleries) en 1929 le long de la route nationale 6. Les habitations avaient un style hybride, franco-khmer, les travailleurs de la distillerie pouvaient les occuper gratuitement et devaient assurer la maintenance du groupe d’habitations, le nettoyage des rues et des égouts. La gestion du quartier était communautaire avec pour seule autorité celle du chef de village. Le

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attraction

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système fonctionnait plutôt bien, le borey était sécurisé et l’esprit communautaire prévalait. Mais, il s’agissait plus d’un quartier de travailleurs d’une même usine que d’un espace résidentiel. Si le borey d’aujourd’hui présente quelques similitudes avec le concept des années du protectorat, les promoteurs immobiliers ont développé aujourd’hui une vision plus proche d’une version urbanisée et moderne d’un grand village. Cette vision du borey s’est amorcée il y a une dizaine d’années alors que le besoin de construire des maisons à des prix abordables dans la banlieue de la capitale, devenue bien chère, se faisait sentir. Le mouvement s’est vite emballé alors que le concept obtenait la faveur des Cambodgiens qui ont pu s’installer, sans exploser leur budget, dans un environnement agréable et ont aussi vu fleurir commerces et petits restaurants à l’intérieur et autour du Borey. Il y a aujourd’hui 85 boreys dans les alentours de Phnom Penh, majoritairement occupés par des Cambodgiens. Borey Peng Huoth… Fondé en 2005 par deux frères sino-khmers qui ont senti le vent venir, le Groupe Borey Peng Huoth, qui comprend Borey Peng Huoth, Borey Peng Huoth Construction et Borey Peng Huoth Shopping Centre commercial est devenu aujourd'hui l'une des plus importantes sociétés de développement immobilier au Cambodge qui s’étend à présent bien au-delà de la simple construction de boreys. Le borey Peng Huot, situé dans le district de Chhbar


Ampov, à quelques minutes de route du Pont Monivong, est un véritable méga complexe résidentiel englobant plusieurs boreys de style et de prix différents, avec des appellations assez pompeuses telles The Star Jumeirah, The Star Premier, The Star Emerald II, The Star Quateria…17 boreys au total sont construits dans l’ensemble Peng Huot, et ce n’est pas fini. Visite à Dreamland… Pour le résident de Phnom Penh qui franchit pour la première fois le portail aux allures orientales du borey Peng Huot, la surprise est de taille. Loin de la capitale bouillonnante et bruyante qui peine à gérer le traitement de ses ordures, les avenues du borey sont larges, plantées d’arbres et de fontaines, aucun détritus ne traine, la circulation est minime. Sur l’avenue principale, plusieurs entrées qui dirigent vers les « sous-boreys ». A l’intérieur de l’un d’eux, nous ne sommes plus à Phnom Penh mais dans une « dreamland » édulcorée, avec des maisons uniformes certes, mais d’architecture aux tons occidentaux, plutôt agréable, un parc pour enfants à droite, un club de sports à gauche, des rues secondaires propres parcourues par des petites mains de l’entreprise qui gère la maintenance, des vigiles qui circulent Entrée d'un Borey à Phnom-Penh et vérifient les « bons comportements », des caméras de surveillance tous les trente mètres, “ les plus modestes […] il y a un petit air de dont les loyers oscillent Bienvenue à Gattaca dans ce quartier. entre 280$ et 350$ ” Il existe plusieurs types d’habitations, les plus modestes avec un seul étage, deux chambres et dont les loyers oscillent entre 280$ et 350$. Un peu plus loin, une zone copiée collée avec le même type d’habitations, mais avec deux étages, et des prix aux alentours de 600$. Sortons du petit borey pour reprendre l’avenue principale. Sur la droite, un mall en construction, puis le bureau de vente avec les maquettes grandioses du futur projet Euro Park. À gauche, quelques Le projet pharaonique d’Euro Park au Borey Peng Huot maisons qui n’ont plus rien à voir avec les petits ou moyens budget. Des villas colossales légèrement inspirées du « château » qui trône sur l’avenue Norodom. Au bout de l’avenue, un nouveau complexe est en plein chantier. Là, les promoteurs ont choisi de reproduire un petit Venise avec ponts en arcade, gondoles…de belles affiches vantent le mérite du borey

qui permet à la classe moyenne de vivre dans un environnement paradisiaque, et clinquant de préférence, pour un budget raisonnable… Les frères Peng Huot ont pensé à tout. Résidents… Majoritairement prisé des Cambodgiens, le borey semble s’attirer la faveur des étrangers avec un leitmotiv récurrent : la circulation, le bruit et la pollution de Phnom Penh qui rendent certains quartiers de la capitale difficiles à vivre. « …C’est un peu uniforme ici, mais c’est propre, c’est sécurisé et surtout, il n’y a pas de bruit…», s’exclame Hans, un allemand qui a décidé de louer dans le borey The Star Platinum Mercurean. «…je travaille dans une entreprise située à Chhbar Ampov, j’ai des enfants, le borey est idéal, plus sûr et plus agréable pour une famille… le parc est à deux pas, il commence à y avoir des petites épiceries avec des prix honnêtes, il y a une école internationale, c’est très vert, je n’ai plus du tout envie de retourner dans Phnom Penh, j’ai trouvé l’endroit idéal pour moi et ma petite famille…», explique Rosalia, originaire des Philippines, qui loue avec son mari un F3 dans le même endroit. Peter est Néo-Zélandais et vient d’emménager : « le seul inconvénient est l’accès à Phnom Penh en heure de pointe, il faut partir tôt, mais c’est le seul petit problème, tout le reste me convient parfaitement, en particulier le calme, C’est un peu mort le soir mais la ville n’est pas si loin, donc ce n’est pas si gênant que cela », déclare-t-il. La classe moyenne cambodgienne a peut-être trouvé son modèle idéal de résidence avec le borey qui présente à l’évidence des avantages pour la vie familiale, De surcroit, les premiers prix oscillent entre 65 et 80 000$ et les promoteurs offrent des facilités de paiement proches d’un système de location-vente, sans apport. Cela rend l’accès à la propriété plus abordable pour une population jeune. Dix ans après les premiers boreys qui sont sortis de terre, la demande est toujours forte et la structure se complète vers l’idéal avec des investisseurs qui se pressent vers cette nouvelle clientèle en construisant magasins, restaurants, malls, structures de loisirs et établissements de soins à l’intérieur ou à proximité immédiate des boreys. Ce sont des besoins pour lesquels le modèle idéal pêche encore quelque peu, mais pas pour longtemps au vu des nombreux chantiers qui parsèment Peng Huot – Gattaca ou Portmeirion ? Penh Huot : www.penghuoth.com/en/ www.cambodgemag.com

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V I E C U LT U R E L L E - P R AT I Q U E

Ouvert en 1990, avant que l’Ambassade ne se réinstalle

O L’INSTITUT FRANÇAIS DU CAMBODGE : Faire à nouveau connaissance… texte Equipe de l’Institut français du Cambodge photographies Christophe Gargiulo

Un lieux d'exposition pour les artistes locaux et internationaux

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au Cambodge, connu de beaucoup de Cambodgiens et d’expatriés, l’Institut français du Cambodge est un lieu un peu particulier. Particulier car, tout en étant un service de l’Ambassade, il est un lieu ouvert destiné à accueillir du public. Il conviendrait d’ailleurs de parler de publics plutôt que de public car les missions et domaines d’intervention de l’Institut sont larges et variés. Une petite visite guidée s’impose pour prendre la mesure de la diversité des missions de l’IFC. Entrons dans l’Institut dont l’accès est libre du matin 8h00 (6h00 pour le Centre de langues !) à tard le soir en fonction des événements. Le premier espace auquel on accède est le bar. Lieu de convivialité et d’échanges, de programmation et de partage culturel, l’IFC possède un bar et un restaurant qui en font un lieu de vie à part entière et jouent un rôle important à l’occasion des événements. Le restaurant, de par sa décoration, ses ouvrages en libre consultation consacrés à la gastronomie et au vin et sa cuisine française se veut également une vitrine de l’art de vivre à la française. Le jardin, dans le prolongement, accueille, la semaine et les week-ends, lycéens, étudiants, familles avec enfants venus profiter du calme des lieux et d’un peu de verdure. Il est aussi une scène toute naturelle pour les spectacles et performances que l’IFC accueille tout au long de l’année dans le cadre de sa programmation culturelle qui fait une large place aux arts visuels et au spectacle de rue : cirque avec notamment l’URBA et Phare Ponleu Selpak, danse contemporaine, concerts avec la chanson française traditionnelle, le jazz, le rock mais bien entendu des artistes cambodgiens car l’Institut se veut le promoteur des artistes locaux et se montre attentif au public cambodgien. Donnant sur le jardin, la galerie est le lieu où sont organisées les expositions. De peinture comme celle, récemment, du grand artiste cambodgien Sopheap Pich, de photographie comme celle consacrée aux photos du Ballet royal prises par George Groslier, d’installations de films et vidéos avec Christian Milovanoff et Ange Leccia en 2017. Montons à l’étage, le long du bâtiment de la médiathèque qui donne sur la rue. La salle de cinéma, entièrement numérisée et refaite avec l’aide du CNC est l’une des meilleures de la ville. La programmation, qui avoisine les 80 films à l’année, alterne les classiques français (Le salaire de la peur, l’homme de Rio), internationaux (Paris Texas), régionaux (rétrospective Apichatpong Weeresethakul en 2017) et cambodgiens


Les jardins de l'IFC

Le centre de langues

Étudiante à la médiathèque

Le bar-bistrot

ou consacrées au Cambodge (Diamond Island de Davy Chou, Les Pépites). Des projections sont également régulièrement organisées en plein air comme il est prévu de le faire début 2018 pour un panorama du cinéma cambodgien du Sangkum à nos jours. La cinémathèque est également utilisée pour des spectacles, en particulier de danse contemporaine en petit format (solo, duo) et surtout pour des conférences organisées dans le cadre du « débat d’idées » qui est également un axe important de la programmation de l’IFC. Ces conférences traitent d’anthropologie et d’histoire (Cycle IRASEC, EFEO), de santé (Cycle Institut Pasteur), de droit et de professions juridiques, de média et métier de journaliste, de politique internationale et géopolitique (interventions récentes de l’ex-Sherpa et conseiller diplomatique de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, Jean-David Levitte, du secrétaire perpétuel de l’Académie française, Hélène Carrère d’Encausse).

la plus grande bibliothèque d’ouvrages en français de l’Asie du Sud Est, accueille tous les publics : élèves et étudiants (ceux qui apprennent le français à l’IFC y ont accès gratuitement), membres des communautés francophones. Elle s’adresse aussi à tous les âges, les tout petits ayant leur coin dédié avec des ressources audiovisuelles et un atelier de contes pour enfants. Avec 25 000 ouvrages et plus de 30 000 visiteurs par an, c’est un lieu fréquenté où l’on vient lire, emprunter mais également travailler au calme et, à l’étage, bénéficier des ressources documentaires et numériques notamment liées à l’apprentissage du français. La médiathèque devrait par ailleurs bientôt ouvrir son artothèque et permettre ainsi l’emprunt d’œuvres artistiques.

occupe le côté droit de la façade principale vue depuis la rue. Opérant dans une logique de service public (l’abonnement annuel va de 2 à 20 USD), la médiathèque, qui est

Franchissons l’accueil et sortons sur la rue. En face se dresse le Centre de

Le débat d’idées nous invite à accéder à la médiathèque qui, sur deux étages,

À proximité, la Librairie Carnets d’Asie

vient compléter l’offre de lecture de la médiathèque en proposant une très large gamme d’ouvrages consacrés au Cambodge et à l’Asie. Partenaire historique de l’Institut, la librairie est régulièrement associée aux événements en lien avec le livre et la lecture. langues de l’Institut. Nous pénétrons dans le bâtiment dont le rez-de-chaussée

a été entièrement refait. Il est partagé en bureaux (dont la salle des enseignants qui sont une quarantaine, le secrétariat et les espaces dédiés au travail et à l’étude). Dans les étages se trouvent les 18 salles de cours qui, chaque années, voient passer environ 5 000 étudiants sur les différentes sessions de cours et d’examens du DELF-DALF. Le Centre de langues propose, outre les cours de français, des cours de khmer. Il recrute des enseignants, locaux et locuteurs francophones natifs, diplômés et possédant des compétences particulières (FLE, français langue étrangère, FOS, français sur objectifs spécifiques et universitaires, jeune public, TICE). Par son action, le Centre de langues œuvre à maintenir une présence francophone dans un pays, certes lié historiquement avec la France, mais situé en Asie du Sud-Est, et membre de l’ASEAN. Cette visite de l’Institut, nous vous souhaitons de la faire vous-même, à votre rythme et en fonction de vos goûts et intérêts en nous rendant visite au numéro 218 de la rue 184. Au plaisir de vous y voir ! Site web de l'IFC : www.institutfrancais-cambodge.com/ www.cambodgemag.com

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V I E C U LT U R E L L E - P O R T R A I T

An Sopoi,

LE TURBULENT TOUCHE-À-TOUT texte et photographie par Christophe Gargiulo

[…] je crois que j’aimerais savoir pourquoi mon père m’a traité de la sorte ”

à Kandal il y a 37 ans, An Sopoi grandit au sein d’une famille assez pauvre, d’un

père infirmier et d’une mère qui vendait des pâtisseries. Ils sont six enfants, quatre filles et deux garçons. Avec un père difficile, qui le traite de « face de c… », An Sopoi confie volontiers que son enfance n’a pas été vraiment heureuse, qu’il se sentait un peu comme la bête noire, le vilain petit canard, le mal aimé de la famille. Quant à sa rencontre avec la langue française, elle aura lieu très tôt… « J’ai commencé à apprendre le français à l’âge de 7 ans, à l’initiative de mon père qui me faisait prendre des cours avec les enfants des médecins. Il voulait que je sois comme les Français, c’était une référence pour lui. Mais, à cette époque-là, j’étais turbulent, et mon père devait souvent m’enfermer à la maison pour que je cesse de faire des bêtises… fuguer, vivre dans la rue… Il a vite fallu me renvoyer à Kandal, au lycée Jayavarman VII. Là-bas, le français y était enseigné, mais le niveau n’était pas très bon ». C’est en 1998 que le jeune homme retourne dans la capitale et s’inscrit aux cours de l’Institut Français. « Tous les élèves rigolaient car j’avais un accent provincial », confie-t-il alors que son père insiste ensuite pour qu’il devienne médecin. 66

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Las, il ratera le concours à quatre reprises et s’orientera alors vers le département d’études francophones au sein de l'Université Royale de Phnom Penh. Il en profitera pour s’adonner en même temps à sa passion, la musique, et montera le groupe Vealsere, première formation de musique fusion mélangeant les influences khmères et occidentales. Viendra ensuite le groupe Tom Tom, plus rock et plus engagé, avec des chansons en français, qui connaitra lui aussi un petit succès d’estime. Ironiquement, la faculté de médecine, cette institution dont il n’avait jamais réussi à franchir les portes, lui offre un travail d’enseignant en langue française. Il accepte, mais au même moment le Service de Coopération et d’Action Culturelle (SCAC) de l’Ambassade de France lui propose le poste d’attaché audio-visuel. La proposition financière est plus intéressante que la faculté et le jeune homme acceptera. Ce sera le début d’une belle carrière au sein de la représentation française. Il sera l’homme de la radio 103 FM, celui qui traduit et double les séries françaises en langue khmère pour la télévision d’état cambodgienne, qui joue les ingénieurs du son, filme, enregistre et monte tous les évènements de l’Institut français, produit les spots TV et radio de l’établissement. Si le travail le passionne, la tâche n’est

pas si facile. Le département cinéma du ministère de la Culture cambodgien est pointilleux sur les traductions et An Sopoi doit jongler entre les subtilités des deux langues pour garder l’humour français d’une production, l’Astérix de Chabat par exemple, sans offusquer la sensibilité et la susceptibilité khmères dans sa traduction. À partir de 2008, il s’occupera du cinéma itinérant, un divertissement très populaire dans les provinces, avant que le programme ne s’arrête en 2013. C’est aussi cette année-là qu’il se marie, « tentant par tous les moyens de ne pas reproduire le schéma paternel, mon père était dur mais aussi volage, et cela était aussi dans ma nature, mais je me contrôlais », déclare-t-il. An Sopoi devient ensuite intendant général, celui qui gère tous les petits soucis de l’Institut, assure la maintenance et dirige les équipes d’entretien. Il trouvera le temps de co-réaliser le film Chhem, Mon Fils, tout en interprétant le rôle principal. Chhem, Mon Fils est un drame tentant d’aborder les profondes, mais trop discrètes, souffrances des enfants des survivants du régime khmer rouge. « Quelque part, je me suis reconnu dans ce scenario, dans ce portrait tourmenté et finalement triste de cet homme qui cherche à comprendre… il veut savoir pourquoi il souffre, je crois que j’aimerais savoir pourquoi mon père m’a traité de la sorte… ».


Bar à salades, entrée, plat principal, dessert, un verre de vin et café ou thé

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C U LT U R E - I N T E R V I E W

LE PATRIMOINE

fait aussi partie de

L’AVENIR

Interview avec Madame Eva Nguyen Binh, Ambassadrice de France au Cambodge, à propos des interventions de la France et de sa contribution à la sauvegarde et à la préservation du patrimoine cambodgien. Qualifiant le patrimoine du royaume de particulièrement riche et puissant, la diplomate livre quelques précisions quant à la politique culturelle de la France dans ce domaine, des programmes et initiatives qui ne sont pas toujours bien connus du public.

CM : Parlez-nous de votre action vers la préservation et la restauration des temples Avec le Japon, nous partageons la présidence du CIC-Angkor (Comité International de Coordination pour la sauvegarde et le développement du site historique d’Angkor). Le CIC-Angkor est une structure de coordination de l’assistance offerte par différents pays et institutions, et notre rôle est de veiller à la cohérence et à la qualité des actions menées en matière de rénovation et de préservation de patrimoine à Angkor, et de gestion durable du site. CM : Pourquoi la France partage-telle cette présidence ? Le rôle de la France est légitime. Nous sommes présents dans le domaine du patrimoine depuis en particulier 1902 avec l’ouverture au Cambodge de l’Ecole Française d’Extrême Orient et, lorsque la paix est revenue, nous avons participé à la création de l’autorité Apsara et du CIC-Angkor. 68

CAMBODGEMAG | Novembre 2017

par Christophe Gargiulo

CM : Comment cela fonctionne-t-il ? Le CIC-Angkor se réunit deux fois par an, en session plénière et en session technique. Des experts siègent au CIC, dont le mandat est d’examiner toutes les questions techniques et d’orienter la mise en œuvre des projets. Des réunions sont organisées régulièrement entre la France, le Japon, le gouvernement royal du Cambodge et l’UNESCO pour examiner les questions relatives au CIC-Angkor. CM : Êtes-vous satisfaite ? C’est une structure qui fonctionne bien, je dirais même qu’elle sert de modèle de réussite car nous avons été sollicités par le Premier Ministre pour dupliquer notre méthode de travail en étendant le périmètre des programmes du CIC à la zone du temple de Sambor Prey Kuk, qui vient d’être inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. CM : Parlez-nous de l’Ecole Française d’Extrême Orient L’Ecole Française d’Extrême Orient est une institution financée à 100% par la France. L’EFEO est née en 1898 et recouvre un corpus de connaissances toutà-fait incroyable sur le patrimoine matériel et immatériel de l’Asie. Les chercheurs


Madame Eva Nguyen Binh, Ambassadrice de France au Cambodge avec Cambodge Mag

qui y travaillent n’interviennent pas seulement dans la rénovation des temples ou de la statuaire, mais aussi dans des disciplines comme l’étude de la céramique ancienne, les écritures, les langues et bien d’autres… L’EFEO a aussi une vocation de formation afin de permettre à terme que les Cambodgiens puissent prendre le relais. L’école forme, par exemple, des tailleurs de pierre sur les chantiers de rénovation des temples. CM : Le public connait-il bien l’EFEO ? Les chercheurs de l’EFEO communiquent bien dans leurs disciplines respectives. Globalement, l’EFEO mérite de la visibilité pour le travail exceptionnel réalisé en faveur du patrimoine du Cambodge, toutes disciplines confondues. CM : Vous semblez apprécier leur travail J’avais rencontré Pascal Royère en 2003 alors qu’il poursuivait ses recherches sur le Baphuon et, effectivement, ce sont des souvenirs qui marquent face à ces chercheurs, souvent discrets, mais ô combien passionnants. CM : À propos de l’INRAP ? L’INRAP (Institut national de recherches archéologiques préventives) est un établissement public français qui apporte de l’expertise et du conseil en amont. Lors de la construction ou l’extension de grands ouvrages d’infrastructure, comme par exemple l’aéroport de Siem Reap, ils sont consultés pour des fouilles, des diagnostics, des expertises. Localement, l’établissement travaille de concert avec le Ministère de la Culture et des BeauxArts du Cambodge.

l’EFEO mérite de la visibilité pour le travail exceptionnel réalisé en faveur du patrimoine du Cambodge” CM : D’autres projets en cours ? Nous participons via l’AFD (Agence française de Développement) actuellement à une réflexion avec l’UNESCO sur le projet des « Villes secondaires » pour Kratie, Battambang et Kampot. Ce sont des villes qui ont un patrimoine intéressant et pour lesquelles une intervention de rénovation et préservation sera aussi bénéfique pour le tourisme. CM : Des satisfactions dans ce domaine ? Nous avons récemment organisé les Journées du Patrimoine et avons rencontré un beau succès, avec l’ouverture de onze sites à Phnom Penh et Siem Reap. Beaucoup de jeunes Cambodgiens se sont déplacés et je crois qu’il était intéressant pour eux de voir leur ville un peu différemment. Ce genre de manifestation culturelle est important, cela permet de voir comment le patrimoine s’intègre dans le paysage urbain. Le patrimoine n’est pas que le passé, c’est aussi une richesse pour l‘avenir. www.cambodgemag.com

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P L U M E AU X L E C T E U R S

Cambodge Mag donne la plume à ses lecteurs sur le thème «  Aimer le Cambodge », le but étant de recueillir les impressions de ceux qui visitent régulièrement le Cambodge, qui y sont nés ou qui se sont installés durablement. Aujourd'hui, rencontre avec Caroline Pheng...

pays qui est le mien. La création de mon Association Khsaé, pour une Ostéopathie Humanitaire Solidaire & Collaborative sur le principe de financement participatif de mes patients en France, a donné naissance à la mission humanitaire que nous avons réalisée l'année dernière avec mon amie d'enfance Magali Chhuon (Ostéopathe Franco-Khmère) dans différentes ONG à travers le Cambodge. Par cela, j'ai ensuite envisagé de ne plus quitter mon Pays en y réalisant une alternance de vie avec la France. J'aime le Cambodge, ce pays est en moi. Il offre la possibilité de réaliser des projets de cœur, tout en participant à sa reconstruction.

« Nous n'héritons pas de la terre de nos parents, nous l'empruntons à nos enfants »

CM : Vivez-vous au Cambodge ? Venez-vous souvent ? Je suis franco-khmère (Cone Kat Khmère : enfant coupémétisse) née à Paris et vivant à Aix en Provence. J'ai le plaisir d'exercer mes activités professionnelles et humanitaires dans mes deux pays, la France et le Cambodge. CM : Quelles sont vos activités professionnelles ? Je suis ostéopathe depuis 2010 en alternance une semaine par mois dans mon Cabinet de Paris et le reste du temps dans un Centre médical à Aix En Provence. J'ai décidé d'ouvrir un Cabinet d'Ostéopathie à Siem Reap, et d'exercer aussi au Cambodge. Cela me permet de me consacrer à mes activités humanitaires en parallèle. Cette Antenne Ostéopathique restera ouverte au Cambodge quand j'alternerai avec la France, et les ostéopathes me remplaçant durant mon absence resteront au service de différentes ONG partenaires de mon projet. CM : Pour quelles raisons aimez-vous le Cambodge ? Après la réalisation du documentaire de mon frère Mathieu Pheng, « L'absence » produit par Rithy Panh et Bophana Production à Phnom Penh, sur l'histoire de notre famille, mon père m'a fait découvrir le Cambodge après trente ans d'exil! J'ai découvert ce 70

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CM : Quels sont vos Loisirs ? J'aime les voyages et je suis sportive. Je pratique la danse moderne, classique, l'équitation, le trapèze volant. Je suis professeur de Zumba et Championne de Voltige équestre en équipe 2012. Je suis ostéopathe au Shake up Studio Centre Sportif et de Danse à Aix En Provence et je suis Ostéopathe Equin (pour les chevaux). CM : Que souhaiteriez-vous pour l'avenir du pays ? « Nous n'héritons pas de la terre de nos parents, nous l'empruntons à nos enfants ». Je souhaiterais que les enfants ne soient plus maltraités et que le trafic sexuel n'existe plus en ce Monde. J'aimerais que les enfants Khmers de demain vivent au Cambodge aussi pleinement que mon père avant la guerre. CM : Une anecdote du Cambodge à raconter ? C'est à Kampot que je me suis faite tatouer au bambou, béni à la feuille d'or par un Chamane. Je ne sais pas exactement ce que mon tatouage de protection signifie mais je ressens bien que mon pays me protège ! Email : pheng.contact@gmail.com Téléphone : 07 12 48 46 05


I N F OS P R AT I Q U E S

DÉCALAGE HORAIRE

d’Océanie, mais il sera exigé si vous avez

+ 6h en été par rapport à la France.

effectué un séjour préalable en Afrique ou en

+ 5h en hiver par rapport à la France.

Amérique du Sud. Il est fortement conseillé d’être vacciné contre la rage.

SE DÉPLACER La circulation dans Phnom Penh est un challenge

VISA

fortement déconseillé sauf à être un excellent

Le visa d’entrée est obligatoire. Il peut être délivré

conducteur et un habitué des rues de la capitale.

aux aéroports internationaux de Phnom Penh et

Pour ceux qui se rendent pour la première fois au royaume du Cambodge, il est recommandé de

Pour vous déplacer dans la ville, consultez

de Siem Reap par les services de l’immigration,

notre version en ligne : www.cambodgemag.

sous trois conditions : paiement d’une taxe de

com/2017/07/cambodge-transports-choisir-

35$ pour un visa de tourisme (valable 30 jours),

prendre quelques précautions pour rendre le séjour plus agréable et aussi éviter d’éventuelles déconvenues.

entre.html. Les autres destinations touristiques

une photo d’identité (de format 4 x 6 cm), un

du pays sont bien desservies, par route, air, et

passeport d’une durée de validité suffisante

même train, renseignez-vous auprès de votre

(six mois au minimum). Il est possible d’obtenir

agence de voyage ou votre hôtel.

un visa de tourisme électronique (e-visa) via internet à l’adresse : http://evisa.mfaic.gov.kh.

ALIMENTATION

ÉLECTRICITÉ AU CAMBODGE

Dans ce cas, le visa est de 40$. Les personnes

230V, 50Hz. Prises de type A (2 fiches) et C

entrant au Cambodge, munies d’un visa de

(comme en France, sans prise de terre). Par

tourisme, via l’aéroport de Siem Reap, sont

précaution, mieux vaut se munir d’un adaptateur.

tenues de séjourner au minimum 24 heures dans

Ne boire que de l’eau en bouteilles et éviter

le pays avant de repartir à l’étranger. Attention

les fruits et légumes crus. Il y a beaucoup de

LANGUES PARLÉES

de ne pas dépasser la limite de séjour autorisée

restaurants de rue et de marché au Cambodge,

Le Khmer. L’anglais est parlé dans les grandes

par le visa. En cas de dépassement, il vous sera

si vous souhaitez tenter l’expérience, il est

villes et la plupart des hôtels. Beaucoup de

demander de payer 10$ par journée de séjour

préférable d’inspecter rapidement l’hygiène

Cambodgiens de la génération d’avant-

supplémentaire et, s’il s’agit d’une situation

des lieux et la fréquentation, s’il y a beaucoup

guerre parlent le français.

irrégulière sans motif valable et qui dure depuis

de monde, cela veut dire que le restaurant est

plusieurs semaines, les sanctions peuvent être

populaire, que les clients sont satisfaits et en

MONNAIE

plus bien plus lourdes. Pour les autres visas :

bonne santé.

La monnaie officielle du Cambodge est le riel

www.cambodgemag.com/2017/07/cambodge-

même si le dollar américain est, en réalité, encore

magazine-tout-savoir-sur-les.html

CLIMAT

la première monnaie du pays. Les riels sont

Le Cambodge est sous l’influence d’un

utilisés pour les petits achats, le reste se paie

climat tropical à saisons alternées. Les pluies

en dollars américains. Il est possible de changer

s’échelonnent de mai à novembre. Près de 80 %

les dollars et euros en riels dans les banques,

des précipitations de l’année tombent durant la

dans les bureaux de change, dans quelques

saison des pluies, causant d’importantes crues

hôtels... Les cartes de crédit sont acceptées

du Mékong. Les températures s’échelonnent de

dans les grands hôtels, les grands magasins et

25-30° (en saison sèche) à plus de 35° (en saison

les restaurants de luxe. Il existe maintenant de

des pluies). Les mois d’avril et mai, cumulant

nombreux distributeurs automatiques où il est

chaleur et humidité peuvent être assez difficiles,

possible de retirer de l’argent.

pensez à vous hydrater et éviter les heures trop

CONTACTS UTILES Police : 117 ou 118 Samu : 119 Hôpital Calmette (Phnom Penh) +855 23 42 69 48

chaudes, de 11h à 15h. La meilleure période

TÉLÉPHONE

pour voyager est de novembre à mars.

De la France vers le Cambodge, composez le 00 855 +le numéro à 8 chiffres.

Institut Pasteur du Cambodge +855 23 42 60 09

Samu de l’hôpital Provincial de Siem Reap

COMPORTEMENT

Du Cambodge vers la France composez le

Les touristes doivent se conformer aux

00 33 + numéro (sans le 0 initial).

Naga Clinic (médecin francophone)

locales et accepter la présence d'une escorte

VACCINATIONS - SANTÉ

ou +855 11 811 175 (urgences)

pour certains sites dans le nord (mines).

Paludisme : Un traitement antipaludéen est

Cabinet Médical Français

Le Cambodge a aussi ses exigences : se

conseillé. La dengue est présente au Cambodge.

+855 12 634 115

déchausser à l'entrée des pagodes, éviter

Il est donc recommandé aux voyageurs de

Cabinet Médical Procare

de toucher la tête des enfants, ne pas

se prémunir contre les piqûres de moustiques.

+855 61 828 410

s'énerver en public. S’il y avait une certaine

Il est également conseillé d’être à jour des

tolérance vis-à-vis de la consommation de

vaccinations usuelles en Europe (tétanos,

drogues douces, la répression s’est fortement

typhoïde, hépatites...). Le vaccin de la fièvre

+855 92 993 502

accentuée depuis janvier 2017 et, les peines

jaune n’est pas obligatoire pour les touristes

Consul honoraire à Sihanoukville

peuvent être très lourdes.

venant d’Europe, d’Amérique du Nord ou

+855 966 495 960

recommandations des agences de voyages

+855 63 76 11 19 +855 23 211 300

Consul honoraire à Siem Reap

www.cambodgemag.com

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