Revue Jules Verne n° 36 - A la vie à la mort !

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À la vie, à la mort !

R EVUE J ULES V ERNE

ÉDITIONS DU

CENTRE INTERNATIONAL JULES VERNE

HIVER 2012-2013




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3 ars 201 -7 légal : m Dépôt 8-2-901811-52 7 9 : EAN 13 0€ ublic : 1 te au p adhérents n e v e ux ix d ment a ires - Pr iteurs. xempla ssuré gratuite mbres bienfa e 0 5 5 a e Tirage : la revue est insi qu’aux m ekiss -Paul D e de on a n ic ti a v a r s Je e ti s r o a Le 6, p e leur c que en 199 à jour d gagent fondée e u v ue n’en mars 2013. e v R e r la s , ées dan auteurs s exprim auteurs. © les n io in p urs Les o é de le nsabilit o p s e r la

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R evue J ules V erne à LA VIE à LA MORT Hiver 2012-2013

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éditions du

Centre international Jules Verne


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SOMMAIRE

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Dossier : À la vie, à la mort !

sous la direction d’Alexandre

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Editorial > Alexandre tarrieu

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Une mort omniprésente > Didier Lafargue

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L’effacement du monde > Francis Marcoin Le suicide > Philippe Lanthony

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Tarrieu

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Hantologie vernienne > Daniel Sangsue Les fins du monde de Jules Verne > Jacques Crovisier

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Laisser filer le temps > Alexandre Tarrieu

69

Un Jules très honoré, l’autre non > Jean-Pierre Picot

89 Du tarissement de l’âme à la dissolution du corps > Carmelina Imbroscio 96

Encre noire et humeur claire > Avec André Chabot

Mais encore ?

Les rubriques de la Revue Jules Verne 106

Une Artiste à l’œuvre : « Oiseau de bel augure » > Marc Sayous

108

Rencontres internationales 2013 : « Rencontrer P.-J. Hetzel » > Dialogue avec Renoir Bachelier et Patrice Soulier

114

Cabinet de curiosités : « Autour du monument d’Amiens » > Philippe Burgaud

118

Les Chroniques verniennes : Les Mille yeux d’Alexandre Tarrieu | Dictionnaire des personnes citées… > Alexandre Tarrieu

128

Le Verne est-il encore vernal ? > Claude Lepagnez In Mémoriam > Volker Dehs


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Alexandre TARRIEU

À la vie, à la mort ! Revue Jules Verne n° 36

Un

éditorial discutable mais assumé

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La croyance en l’au-delà découle vraisemblablement de cette angoisse. L’homme a besoin de se rassurer par un arrière-monde. Platon dans le Phédon proclame : « Philosopher, c’est apprendre à mourir ». La patrie du philosophe est le ciel des Idées que la mort permet d’approcher. Ce à quoi Spinoza répond que la philosophie est « une méditation non de la mort, mais de la vie » (Éthique). L’homme en méditant la mort se condamne à l’impuissance et à la tristesse. En un mot : la mort est une pensée inutile.

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Pour Epicure, il n’y a aucune raison de craindre la mort : puisque l’âme est le siège de la sensibilité, lorsque l’on meurt, il n’y a que fin de la sensibilité. Jankélévitch va plus loin en observant qu’en réalité dans la mort de l’autre, c’est notre propre mort que l’on aperçoit…

À la vie, à la mort !

ichat au XVIIIe siècle définit la Vie comme « l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort ». Mourir est donc plus facile que de vivre… La mort n’est-elle qu’un simple fait biologique ? Vercors dans Qu’est-ce que la vie ? précise, si besoin est, que le seul animal à savoir qu’il doit mourir, est l’homme : c’est la tragédie de la Mort, cette tragédie qui représente la Mort comme l’événement négatif de la pensée, une angoisse. Cette angoisse incarnée en nous de la Mort, n’est-elle pas, en vérité, l’affirmation forte du fait de vivre ?


Alexandre Tarrieu

Décrire la mort : Dans la tradition des danses macabres qui ont suivi les grandes pestes du Moyen-âge, on ne répugne à aucun détail : « La chair dévorée et pourrie », les os devenus « cendre et poudre’’ écrit Villon (Épitaphe). « Je n’ai plus que les os, un squelette je semble », dit Ronsard (Derniers vers). L’art baroque se plaît à donner la mort en spectacle, évocation réaliste que l’on peut voir encore au XXème chez Albert Cohen lorsqu’il évoque sous le visage radieux de ses personnages le cadavre futur (Belle du seigneur). Au XVIIème et XVIIIème, elle devient elliptique n’étant plus évoquée que par euphémismes ou périphrases : « La Faucheuse », « le dernier souffle »… Thème lyrique de la poésie, elle est inévitable et toute puissante : « C’est le but de notre carrière » (Ronsard), « Le port commun » (Maynard, Odes à Alcippe) ; elle est imprévisible mais donne des avertissements si elle peut trancher brutalement le fil de la vie (Chénier, La Jeune Captive) ; elle est cruelle : (Hugo, Pauca meae ; Bossuet, Oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre). Lamartine, Hugo, Proust voient dans la séparation provoquant la fin de l’amitié, l’expression du regret des morts. Mais il y a une solution à ce désespoir car l’amour est plus fort que la mort nous disent Tristan et Iseut, Chatterton et Kitty Bell (Vigny), La Mort des amants (Baudelaire)… Pour Bossuet ou Pascal, la mort souligne la vanité de la vie. Chez les Romantiques, elle peut être une consolation, une délivrance (Keats : « La mort suprême récompense de la vie »). Chez Lamartine et Hugo, elle peut apporter des espoirs surnaturels (Mors) et même une évasion, une seconde naissance (Baudelaire : La Mort : « Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte […] Plonger… Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau »).


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Balzac nous paraît (mais cela n’engage que nous) exprimer les plus belles morts dans celle de ses personnages, en particulier l’effondrement momentané de Vautrin ou la mort de Lucien, bien que l’on ne puisse être indifférent aux visions de la mort par Castaneda ou Dylan Thomas. Pour Jules Romains, il y a forcément survie de l’esprit, métempsycose, du moins, survie de l’esprit du Groupe (avec un grand G) (cf. l’unanimisme de Romains dans Mort de quelqu’un et l’admirable meurtre de Leheudry par Quinette). Chez Proust, l’esprit survit à travers l’œuvre (cf. la mort de Bergotte).

À la vie, à la mort !

Percevoir la mort : Montaigne dans le récit de sa chute de cheval dans les Essais remarque qu’elle est beaucoup moins effrayante qu’il ne le croyait. Cyrano de Bergerac (Les Etats et Empires de la lune) et Maeterlinck (La Mort) n’y voient qu’un pur néant.


Un Éditorial discutable

Pascal, Bossuet, Claudel, Bernanos, Mauriac, tous auteurs chrétiens, voient dans la Mort l’assurance d’un accès à la vie spirituelle. Elle prouve la vanité de l’homme sur terre, justifie la Providence en même temps qu’elle offre un espoir surnaturel qui incite à vivre religieusement. Chez les athées, elle prouve l’absurdité du monde (Malraux, Camus, Sartre…), l’inexistence de la Providence, de Dieu (Dostoïevski : La mort des enfants, les frères Karamazov ; Camus : La Peste ; Tolstoï : La mort d’Ivan Illich). Tous ces aspects, vous l’aurez compris, se retrouvent chez Jules Verne, même dans les contradictions que le sujet provoque. Il y a mort et renaissance (Nell des Indes Noires), chemin initiatique (la mort de Bathory, Mathias Sandorf, celle de Bridget Morgaz, Famille Sans-Nom), la mort incarnation d’une symbolique littéraire (Martin Paz/Sarah, Tristan et Iseut), le suicide d’Hatteras dans la version originale du roman (la plus belle des morts nous a dit Julien Gracq, Revue Jules Verne n°10), suicide logique puisqu’il a atteint son but. « La Mort ne détruit pas, elle ne rend qu’invisible » (Mathias Sandorf). Elle est invisible mais elle plane sur les noces de Sava Thorental comme sur celles de Myra Roderich (Le Secret de Wilhelm Storitz). C’est aussi la virginité à perdre… le viol possible… Enfin, les Voyages extraordinaires n’incarnent-ils pas simplement la Mort… et la Vie ? C’est une humanité où la science se veut souvent maléfique, dans le but de détruire l’humanité (Robur, Nemo…). Aïe, je sens que j’en froisse certain ! Et pour froisser plus loin (n’oubliez pas de revenir au titre de cet éditorial…), rappelons que le dernier des ouvrages de Verne, Edom, est une fin de l’humanité (et une renaissance aussi)… « La Mort est quelquefois tout un art de vivre. » (Renaud Séchan). eee

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Ă€ la vie, Ă la mort !



Didier LAFARGUE

À la vie, à la mort ! Revue Jules Verne n° 36

Une mort omniprésente dans un univers de démesure L

1 Michel Strogoff, Deuxième partie, Chapitre IX.

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Il arrive cependant que l’écrivain donne à la mort un caractère plus neutre dans le rôle qu’il lui accorde dans sa présentation des diverses régions du globe. Il se peut même que les tribulations connues par les héros au sein de celles-ci en donnent une vision directement générée par les terres parcourues. Ainsi en est-il dans Un hivernage dans les glaces où Louis Cornbutte et ses compagnons sont sauvés des mutins par l’intervention providentielle des ours blancs, lesquels leur font échapper in extremis à une défaite irrémédiable : « Sans ces bêtes-là, nous étions perdu ! Vraiment ! Ils sont venus à notre

À la vie, à la mort !

’environnement dans lequel nous plonge l’écrivain frappe souvent par son caractère fantastique et grandiose. Aussi est-il normal que ce trait se fasse sentir par un évènement aussi tragique que la mort. Celle-ci survient pour nous faire prendre conscience du caractère formidable de l’univers au sein duquel ses héros sont de plain-pied plongés. Telle est la mort de l’innocent dont la douleur est l’occasion pour le lecteur d’appréhender avec angoisse le monde qui lui est proposé. C’est le sort réservé à Nicolas Pigassof, voué à la mort atroce que lui font subir les Tartares dans Michel Strogoff : « Adieu, amis, murmura-t-il. Je suis content de vous avoir revus ! Priez pour moi !... »1. C’est aussi la mort du jeune garçon dans Les cinqcents millions de la Bégum, victime des gaz mortels de la sinistre cité de Stahlstadt, évènement bien propre à nous faire prendre toute la mesure du monde inquiétant où évoluent les personnages.


Didier Lafargue

secours ! Remercions donc la Providence ! »2. C’est la mort salvatrice bien faite pour exprimer la puissance détenue par la nature à l’encontre des volontés humaines. Elle prend chez notre écrivain un caractère très simple et l’image de ces mammifères lui donne un aspect presque mythologique. Mais l’influence exercée par la Nature, dont Jules Verne s’est tant plu à nous donner le plus riche spectacle, ne trouve pas de meilleures images que dans l’enterrement sous-marin décrit dans Vingt mille lieues sous les mers. C’est au fond de l’océan même, dans cet univers avec lequel fait corps le Nautilus du Capitaine Nemo, que lui et ses hommes ont choisi d’organiser les obsèques de leur camarade. « Le capitaine Nemo et les siens venaient enterrer leur compagnon dans cette demeure commune, au fond de cet inaccessible océan ! »3. N’est-ce pas le meilleur moyen de rendre hommage à cette partie de la Création que de choisir d’y reposer pour l’éternité ? Dans une attitude d’humilité, la foi dans le Tout-puissant est toujours exprimée. « Le capitaine Nemo, les bras croisés sur la poitrine, et tous les amis de celui qui les avait aimés s’agenouillèrent dans l’attitude de la prière… ». Ainsi la mort chez Jules Verne ne se départit-elle jamais d’une attitude spirituelle. La mort, conséquence de l’inconscience des hommes Le monde créé peut cependant détenir un sens autrement plus inquiétant si notre âme s’y laisse trop séduire. Plusieurs héros de Jules Verne ont en effet été subjugués par l’environnement dont ils tentaient de se rendre maître. À dessein, notre romancier oppose le simple ingénieur gardant le sens des réalités, et dont l’exemple le plus abouti est Cyrus Smith dans L’île mystérieuse, au brillant savant 2 Un hivernage dans les glaces, Chapitre X. 3 Vingt mille lieues sous les mers, Chapitre XXIV.


4 Les Cinq-cents millions de la Bégum, Chapitre XVIII.

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dont le génie a entraîné chez lui le désir de dominer les éléments naturels. Dans un texte écrit au début de sa carrière, Jules Verne a voulu illustrer ce travers par l’intermédiaire de son personnage Maître Zacharius. Ce génial horloger a cru que, parce qu’il avait acquis la suprême maîtrise dans la construction des montres, il pouvait s’égaler à Dieu. À l’image de Faust pactisant avec Méphisto, il tenta de s’accorder avec le Temps, y laissant et sa vie et son âme. Ainsi, nombre de protagonistes mis en scène par l’écrivain ont connu ce destin vers les quel les a entraînés leur volonté de faire corps avec leur monde. Tel est le cas de Silfax dans Les Indes noires, ce pénitent qui s’était imaginé être le possesseur des immenses gisements de charbon dont il avait fait la découverte. Tentant dans un acte de folie d’en provoquer la destruction, il disparut définitivement au sein du lagon en occupant le centre. C’est aussi le sort réservé à l’homme déséquilibré introduit dans la nacelle du ballon de Un drame dans les airs. Obnubilé par la conquête du monde aérien, il n’avait de cesse de vouloir s’élever toujours plus haut. Tel Bellérophon tentant de s’élever jusqu’à l’Olympe, il finit précipité dans le vide, victime de son orgueil. Le même pêché causa la perte de l’ingénieur Robur. Existe à ce sujet un saisissant contraste entre le personnage dépeint dans Robur le conquérant et celui apparaissant dans Maître du monde. Parce que sa machine, en lui faisant dominer mer, terre et ciel, avait généré en lui le désir de toute puissance, elle fut détruite par les éléments, entraînant son inventeur dans sa chute. Ce caractère fantastique de la mort concerne aussi celle de Herr Schultze, le tyran de la cité de l’acier dans Les Cinq-cents millions de la Bégum. Brutalement pétrifié par la substance mortelle réservée à ses ennemis, un verre grossissant le fait paraître gigantesque aux deux héros, tel un Titan foudroyé par les dieux. « Le roi de l’Acier était devant sa table, tenant une plume de géant, grande comme une lance, et il semblait écrire encore »4.


Une Mort omniprésente

Une mort grandiose et irréelle Il s’en faut de beaucoup néanmoins que notre échéance suprême ait toujours ce caractère tragique chez Jules verne. Ce dernier a su en effet lui conférer toute sa noblesse dans la mesure où reste étroit son rapport avec le monde décrit par l’écrivain. Précisément la mort du vieux Jean Cornbutte dans Un hivernage dans les glaces survient dans son bateau pris dans les glaces du nord, alors même que fait rage le combat entre ses amis et les mutins. Le plus célèbre personnage imaginé par le romancier, le capitaine Nemo, connaît lui aussi une mort édifiante dans L’île mystérieuse. Entouré par des hommes dévoués, il meurt au terme d’une vie entreprenante et agitée, en toute conscience de ses torts et de ses faiblesses. Le cadre magnifique dans lequel sont vécues ses dernières heures, est celui de son sous-marin. Par ses richesses propres à susciter les rêves les plus merveilleux, il ne peut que grandir davantage le personnage tout en suggérant la beauté de l’autre monde. « Je désire ne pas avoir d’autre tombeau que le Nautilus. C’est mon cercueil, à moi ! Tous mes amis reposent au fond des mers, j’y veux reposer aussi. »5. Mais c’est dans Le Sphinx des glaces que le thème prend chez l’écrivain un tour particulièrement mystique. Effectivement, l’Odyssée des marins engagés dans les mers de l’Antarctique connaît sa conclusion une fois mis en présence d’un gigantesque massif rocheux se révélant être un puissant aimant causant la 5 L’Île mystérieuse, Troisième partie, Chapitre XVII.


perte de tous les navires construits pour partie en métal. Telle est la fin connue par Arthur Gordon Pym, le héros d’Edgar Allan Poe prétexte à l’intrigue du roman, celle d’un être qui a finalement voulu vivre son rêve jusqu’au bout. Surtout aboutit là la quête de son compagnon Dirk Peters qui, après avoir découvert son corps, se laisse mourir près de lui. « Qui donc a jamais voulu admettre que des navires pussent être irrésistiblement attirés par une force magnétique, leurs ligatures de fer larguant de toute part, leurs coques s’entrouvrant, la mer les engloutissant


Didier Lafargue

dans ses profondeurs ? »6. La mort, dont Jules Verne donne là l’image, s’assimile à la connaissance, en ce sens que, outre que l’aboutissement qu’elle représente n’en donne que plus de valeur aux espaces parcourus par les navigateurs, elle débouche sur une vérité dévoilée. Au-delà de toutes ces images qu’il a voulu donner de notre fin ultime, on réalise en définitive que la véritable mort à laquelle nous convie l’écrivain est la mort symbolique. À l’image du Pôle Sud du Sphinx des glaces, jamais atteint mais dont le désir demeure latent chez les personnages, c’est le monde d’après la mort qui garde sa fascination. Au-delà de la Terre et de son caractère de finitude, le Ciel, autrement dit la renaissance de l’âme, est comme une promesse dans l’œuvre de Jules Verne. En faisant en sorte que la mort colle au monde créé présenté par notre auteur, il nous invite à nous confronter avec tout l’univers pour mieux trouver la lumière en nous-même.

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6 Le Sphinx des glaces, Deuxième partie, Chapitre XV.




Francis MARCOIN

À la vie, à la mort ! Revue Jules Verne n° 36

L’Effacement du monde ous savons que toute aventure vernienne conduit vers son effacement. En tout lieu est un volcan intérieur qui finit par exploser. Curieux paradoxe d’une œuvre si abondamment chargée, si riche en objets, en personnages et en découvertes, et qui va presque toujours vers le rien. Qui y va de plus en plus décidément dans les derniers romans que la mort a laissés inachevés, poursuivis et même réécrits par le fils, Michel. Cette intervention, quand elle a eu lieu, semble n’avoir rien retiré de cet appel de l’anéantissement, particulièrement sensible dans Les Naufragés du Jonathan que de nombreux lecteurs de l’époque refusèrent de reconnaître comme venant de l’auteur des Voyages extraordinaires. À raison pourrait-on croire, puisque Michel Verne a profondément modifié le texte de son père, primitivement intitulé En Magellanie et aujourd’hui réédité sous ce titre ; à tort puisque loin d’affadir le propos et de flatter le public avec une fin heureuse, il lui donne sa pleine consistance et conclut de manière forte et significative. En effet, Jules Verne s’arrêtait sur un apaisement trouvé dans la rencontre tardive du Kaw-djer avec Dieu, et son héros triomphait en faisant fonctionner un phare qui apportait la lumière jusqu’au bout du monde ; au contraire Michel Verne l’exile sur un îlot désertique où il décide de disparaître, abandonnant ses pouvoirs à son fils après lui avoir ordonné dans une lettre de l’effacer de sa mémoire. Singulier et passionnant règlement de compte par fiction interposée. On a pu lire l’œuvre de Jules Verne à la lueur du rapport conflictuel qu’il entretenait avec son père1. Tout se passe comme

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1 Christian Chelebourg, Poétique de l’imaginaire. Construction du texte et construction de l’imaginaire dans les Voyages extraordinaires de Jules Verne, thèse pour le doctorat, université de Bourgogne, 1994.


si cette histoire s’était transmise à la génération suivante. Mais si l’on peut reprocher au fils d’avoir souvent « dénaturé » l’œuvre vernienne, pour répondre aux injonctions de son éditeur comme du reste l’avait fait son père, on peut penser aussi qu’il en a préservé une certaine ligne de pente, qu’il l’a même poussée dans ses derniers retranchements comme le prouve ce livre si angoissant qu’est L’Éternel Adam, presque tout entier de sa main, et après lequel plus rien ne semble pouvoir être écrit. Le phare, la tombe C’est la fin de En Magellanie qui est en contradiction avec l’œuvre, non celle des Naufragés du Jonathan, bien supérieure à notre avis. Ou alors il faut dire que le pessimisme que l’on a attribué au dernier Jules Verne ne vient que de Michel. Ce qui serait, non sans raison, accorder une grande valeur au texte apocryphe, à condition de penser qu’on puisse clairement l’opposer à un texte « authentique ». Mais où serait le vrai texte d’un Jules Verne toujours sous tutelle ? Il reste qu’on ne peut dans le même temps reprocher à Michel d’avoir ajouté de la facilité et de la noirceur à un texte primitif qui, même sur le plan du style, ne présente pas une qualité particulièrement distinctive, et cela même si quelques beaux passages ont été intempestivement supprimés.


Ce roman sans grande portée apparente vit aussi sous le régime de la contradiction entre l’ombre et la lumière. Le titre donné à 2 « Nautilus et Bateau ivre », recueilli dans Mythologies, Seuil, 1957.

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Il reste aussi que ce pessimisme ne vient pas de Michel seulement : tous les lecteurs ont remarqué le caractère particulièrement sombre du Phare du bout du monde, paru en 1905 dans Le Magasin et qui fait le lien avec En Magellanie écrit en 1897-1898 et commencé quelques années plus tôt selon Michel. Dans ce roman en principe revu par Jules Verne, seule la catastrophe peut arriver. Et puisque aucun signe ne l’annonce, on se croit tenu de noter cette carence. Nous serions devant un roman d’aventures parmi d’autres si le livre des gardiens ne distillait dès le début une inquiétude née de cette absence de danger apparent. Aucun incident dans les premières pages, mais l’accumulation des détails sécuritaires fait augurer quelque chose qui ne saurait manquer d’advenir. Il n’y a pas à craindre que notre île s’en aille par le fond et son phare avec, écrit l’un des gardiens, comme pour se rassurer. Curieuse observation, qui se prolonge avec cette insistance à détailler les mesures de protection, à énumérer les provisions. Nous pourrions n’y voir, avec Roland Barthes, qu’un goût paradoxal du confort, manifesté dans des situations qui inviteraient plutôt à se passer des commodités ordinaires2. S’enclore et s’installer, certes ; meubler, dénombrer, nommer, cela se donne à lire et avec ostentation : se vérifie bien la tentation sans cesse retrouvée de limiter le monde, de retourner dans l’œuf ou dans le coquillage initial, mais selon un mouvement qui n’est pas de possession « bourgeoise » et bien plutôt de protection. Protection non seulement peureuse mais habitée par la certitude de son inefficacité dans un espace qui semble faire disparaître les choses. L’île est déserte, comme la mer dont l’immensité n’est qu’un néant.


L’Effacement du monde

l’adaptation cinématographique qui en a été réalisée par Kevin Billington en 1971, The Light at the Edge of the World, semble annoncer une glorification du progrès qui apporte cette lumière dans les contrées les plus perdues, comme y insiste le narrateur dans les premières pages du livre. Or ce film prend une dimension ténébreuse qui étonne le spectateur convaincu de l’optimisme du génie vernien. Le phare lui-même devient un objet paradoxal, une sorte de prison intérieure alors que dans la perspective d’une lecture de l’imaginaire, il devrait désigner la certitude et la clarté. Dans La Chartreuse de Parme la tour de la prison est un de ces « points hauts » où se plaît le héros stendhalien, et Fabrice Del Dongo y est plus libre et plus lui-même que dans la vie courante. Même dans les dernières pages des Naufragés du Jonathan, marquées par le pessimisme de Michel Verne, le doute est encore permis : si le Kaw-djer, comme le capitaine Nemo, ne veut plus être personne aux yeux du monde, il semble conserver son intégrité dans un univers désertique, près de ce monde mort de l’Antarctique. Il a choisi ce qu’il appelle lui-même sa cellule et qui sera sa tombe ; mais aussi, « debout comme une colonne hautaine au sommet de l’écueil, tout illuminé des rayons du soleil couchant », il est comme un phare, incarnant la liberté et une forme d’immortalité : « quand bien même la terre abolie s’en irait dispersée dans l’infini cosmique, l’œuvre du Kaw-djer ne périrait donc pas ». Cette conclusion reprend l’image du premier chapitre, présente avec des variations dans les deux versions de l’histoire : le Kaw-djer se hissait sur un promontoire où il se dressait comme une statue, dominant un vaste panorama inhabité et ne pouvant résister au désir « de planer, pour ainsi dire, au-dessus de ces étranges territoires ». Cette dernière image de Jules Verne n’est pas reprise par Michel qui accentue l’aspect désertique de la région mais insiste sur l’enthousiasme sacré du personnage devant cette dernière parcelle de globe n’appartenant à personne. Cet enthousiasme a quelque chose de païen qui se retrouvera dans les dernières pages des Naufragés du Jonathan : si Michel supprime la rencontre avec Dieu et s’il programme la disparition du père, il replace en même temps ce dernier dans une continuité cosmique. « Nous mourons, mais nos actes ne meurent pas ». De la même façon, l’œuvre vernienne continue d’exister, le fils


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En revanche, il a conservé une autre scène où le Kaw-djer, à nouveau grimpé sur une hauteur, est cette fois-ci attiré par le vide et prêt à se suicider. Scène rapide, mais scène aussi « culminante » que le sommet où se dresse

À la vie, à la mort !

s’étant confondu avec le père qui déjà, de son vivant, lui dictait ses derniers textes, ce qui n’est pas pour rendre les choses plus claires. Ce fils qui, quelquefois, modifie ces textes sans raison, inversant des lignes ou des paragraphes sans que soit changé le sens, et comme s’il s’agissait surtout que soit intimement mêlées les deux signatures. Celui qui s’efface, c’est donc lui qui a repris le flambeau mais qui intervient au moins une fois de manière malencontreuse en supprimant le deuxième chapitre de En Magellanie, ce très beau voyage d’un Indien vers la mort, dans la chaloupe du Kaw-djer, les plus belles pages peut-être du roman de Jules Verne, qui font penser à Dead man de Jim Jarmush. Michel pouvait pourtant y trouver la confirmation d’une spiritualité païenne chez des indigènes que son père observait avec empathie même s’il s’obligeait à tempérer son propos par un éloge des missionnaires catholiques dont l’arrivée nous semble rompre la puissante suggestion de ce passage.


Francis Marcoin

le personnage, car le geste du suicide est sans doute le moins tolérable dans une fiction adressée à la jeunesse. Aussi, malgré la tentation du nihilisme, le Kaw-djer sera un phare au bout de la vie, aux limites de l’existence, comme si la géographie ne faisait que figurer le temps, et comme si le Pôle, où sont restés tant de voyageurs et d’explorateurs, représentait l’ultime domaine, le Paradis vernien, où Michel conduit son père. Cet apaisement ne se donne pas à lire dans Le Phare du bout du monde, et même si le bon gardien finit par triompher des pirates, il reste un fond d’amertume dû peut-être au fait qu’en 1905, quand paraît le roman, ce phare a cessé de fonctionner et que sa ruine a déjà commencé. Curieusement, dans une phrase où Daniel Compère voit un véritable concentré de l’imagination vernienne et la matrice des récits à venir, Jules Verne avait rapproché le phare d’un volcan : « Ce continent nouveau n’était qu’une île, ou plutôt un volcan dressé comme un phare au pôle boréal du monde »3. Ce qui semble devenu impossible à tenir, c’est la position de maîtrise, comme on le lit dans Maître du monde, un titre en totale contradiction avec le contenu de ce très beau roman désespéré qui fait suite à Robur le Conquérant. L’inspecteur principal Strock, pourtant possédé du « démon de la curiosité », évolue de manière distraite dans un monde qu’il ne regarde plus. Quand

3 « Les Anglais au Pôle Nord selon Jules Verne », dans Le Rocambole n° 15 : Les Aventuriers du Pôle Nord, été 2001.


on ne l’anesthésie pas avec de puissants narcotiques ou quand il ne voyage pas de nuit, il s’endort de lui-même d’un sommeil profond et ne voit rien des fonds marins ou des pays traversés. Il lui faut beaucoup de temps pour résoudre un mystère que l’auteur a éventé dès le départ, et Robur lui-même semble « fonctionner » dans un délire de puissance qui tourne à vide, qui ne s’exerce jamais et qui se traduit par des déplacements incohérents dans toute l’Amérique, sillonnée en long, en large et en travers.

4 Philippe Bonnefis. « La Mécanique des chutes », Jules Verne 3. Machines et imaginaire, Revue des lettres modernes, Minard, 1980.

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Curieusement, la machine de Robur est peut-être la seule véritable invention de Jules Verne, en ce qu’elle n’existe toujours pas aujourd’hui et qu’elle combine toutes les autres, le sousmarin, l’automobile et l’aviateur, c’est-à-dire l’avion. Mais loin de « l’Albatros » romantique du premier Robur, elle se nomme « l’Épouvante » et ne suscite aucun enthousiasme. Son mécanisme est inconnu, et tout est expliqué par l’électricité, sorte de principe magique bien commode qui permet à l’auteur de ne pas s’embarrasser de considérations pratiques. « L’Épouvante » est plutôt une sorte de tombeau roulant, volant et plongeant, le tombeau de Robur. L’aviateur, c’est aussi la victoire du plus lourd que l’air : dans Robur le conquérant le ballon était vaincu et détruit. Mais Robur n’a pas été reconnu ; comme Jules Verne peut-être, ignoré par l’Académie française, il a été rejeté par le WeldonInstitut et s’est laissé envahir par le ressentiment. Les assemblées

À la vie, à la mort !

Les moments les plus forts de Maître du monde sont ceux qui nous reconduisent comme pour un pèlerinage sur un territoire connu et maintes fois sillonné, celui des lacs américains, Saint Clair, Ontario, Érié, le territoire de Chateaubriand et de Cooper, évoqué dans Une ville flottante. Et voici pour la dernière fois les cataractes du Niagara, avec un dernier évanouissement qui empêche de rien voir. Cataracte, c’est aussi « le terme qui désigne en chirurgie une opacité du cristallin empêchant les rayons lumineux d’atteindre la rétine en causant ainsi la perte de la vue »4, remarque Philippe Bonnefis, et Jules Verne en sentira lui-même les effets, disant « la cataracte a eu mon œil droit ». Ne pas voir, ne plus être vu, mourir au monde, les derniers récits racontent un peu le dernier voyage.



Le journal, le faire-part Mais ce qui importe, c’est que ce récit nous est donné au travers d’un journal qui est comme le faire-part d’une mort annoncée. De même, dans Le Phare du bout du monde, la forme choisie du journal de bord ajoute de la profondeur au roman d’aventure, l’inquiétude née des circonstances prenant un tour plus personnel. L’auteur joue sur l’équivoque de ce journal de bord qui devrait être tout sauf un journal intime, forme utilisée dans Le Chancellor où il était traité d’une manière ingénieuse pour explorer une sourde angoisse intérieure, toujours déjà en attente d’une menace. Ce roman était tout entier occupé par le « Journal du passager J.-R. Kazallon » où là aussi se faisait sentir dès le départ une inquiétude latente que rien encore n’avait justifiée. Et ce journal, rédigé par nature au présent mais aimanté vers un avenir vécu comme par anticipation, affectait ce même ton angoissé, dans un suspens que la réalité allait s’employer à confirmer, comme s’il fallait qu’il y eût de toute force un malheur.

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Mais une curieuse forme de malheur dans un bateau qui n’arrive même pas à exploser alors que son ventre en feu recèle une barrique de picrate. Et si la violence pointe à tout instant, elle se tourne plutôt vers la disparition des choses. Cette catastrophe est de l’ordre de la dissolution, le Chancellor devenant un étrange objet qui se désagrège et qui perd en quelque sorte son nom, si l’on pense que le chancelier se définit comme le garant des lois et de la bonne marche du monde. Ici la raison chancelle, et Michel Verne a retenu le mot ; dans Les Naufragés du Jonathan le Kaw-djer, parvenu sur sa dernière île et bien décidé à y mourir, massacre

À la vie, à la mort !

savantes et amusantes deviennent des lieux de conflits sans merci, et les perspectives militaires jettent leur ombre sur toutes les nouveautés. En 1904, Jules Verne constate aussi que tout a été dit et redit de ces sujets, et qu’à sa suite la littérature n’a fait que répéter les mêmes gestes et les mêmes voyages. Tout n’est qu’éternel recommencement, telle sera la conclusion de L’Éternel Adam. Dans ce récit qui réalise jusqu’à l’extrême le programme affiché par L’Invasion de la mer, c’est le monde entier qui est sous une tombe liquide, non sans une certaine dérision puisque même le Thibet et l’Himalaya sont recouverts par les eaux…


L’Effacement du monde

littéralement sa fidèle chaloupe : « La Well-Kiej, comme eût chancelé un être frappé à mort, s’inclina sur bâbord, oscilla, coula dans l’eau profonde… D’un air sombre, le Kaw-djer la regarda s’engloutir. Quelque chose saignait en lui ». » Comme si s’imposait une étymologie sauvage rapprochant « Chancellor » et « chanceler » du verbe anglais « to cancel » : effacer5. Dans Le Chancellor, tout fait défaut dès le début, à commencer par le capitaine qui erre mentalement avant d’abandonner son navire et son équipage. L’océan, une immensité qui est un rien, a tout pour désespérer. Il est un rien parce que rien n’en ressort, que l’on ne sait pas où l’on est. On vit dans une ignorance absolue de la situation : « On croit voir… et il n’y a rien ! C’est un nuage, c’est un brouillard ». « Aucune terre n’est là ». On peut seulement convoquer le langage pour tenter de dire cette absence, ce périmètre grisâtre, cette circonférence déserte. Le journal ne fait qu’étaler cette blancheur. C’est comme si le globe terrestre n’était plus qu’une sphère liquide… On croit voir un bateau, ce n’est qu’un point blanc, du blanc sur blanc et qui disparaît… Progressivement, il n’y a plus de bateau, plus de vivres, plus d’eau… « Il n’y a plus rien sur le radeau ». « Jusqu’où pousser la soustraction, les privations, les pertes ? » écrit Michel Serres dans Jouvences sur Jules Verne. Si l’œuvre vernienne s’est organisée autour de la robinsonnade, elle est aussi contaminée par l’autre influence, celle de Gordon 5 Tout ceci, qui ressortit à un effet de lecture, n’empêche pas en même temps que le nom de ce bateau doive sans doute à Richard Chancellor, un navigateur anglais du XVIe siècle qui atteignit la mer Blanche mais périt en mer au retour d’une autre expédition.


Pym : Poe contre Foe. C’est celle de l’impuissance, de la régression. Non plus l’île promesse de jardin mais l’île inféconde. Le bateau, ce coffre d’abondance, cette caverne pleine de richesses, cet « habitat » selon Roland Barthes, devient un ventre stérile et inhospitalier, le radeau est comme une île sans ressources, et l’ingénieur se trouve hors d’état d’inventer quoi que ce soit dans un milieu qui ne laisse aucune place à l’industrie.

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La mer perd sa profusion hugolienne, la tempête elle-même est moins terrible que cette invasion lente et sournoise, cette violence sans violence. La mer devient une seule masse liquide terrifiante comparable aux glaces polaires. Dès 1855, Jules Verne avec Un hivernage dans les glaces s’exerçait dans le Musée des Familles sur un sujet déjà bien fouillé par la librairie de jeunesse et notamment par Ernest Fouinet dans le Journal des Enfans, mais auquel il allait imprimer sa marque personnelle, comme si dans le mot « hivernage » il lisait son propre nom. Verne, hivernage : un chapitre des Naufragés du Jonathan porte encore ce titre. Un hivernage dans les glaces était l’histoire d’un père remontant jusqu’au Groenland

À la vie, à la mort !

La mer, cette porteuse d’aventure, devient donc la métaphore du néant. Elle envahit tout. En 1905 le dernier livre révisé par l’auteur, L’Invasion de la mer, le confirme tout en feignant de vanter l’entreprise coloniale . Mais ce n’est pas assez, et L’Éternel Adam, écrit par Michel Verne à partir du projet d’Edom, répond par avance à la question de Michel Serres. Là rien ne reste du monde. Tout s’est effacé et seuls quelques robinsons affolés dérivent sur un océan illimité. Plus vernien que nature, il atteste de la grandeur d’un écrivain méconnu à la charnière des deux siècles, Michel Verne, qui écrit là le tombeau de Jules Verne.


Francis Marcoin

pour retrouver son fils et mourant après l’avoir sauvé. Ce sacrifice du père donnait peut-être une liberté symbolique, d’ailleurs vite entamée par Hetzel. Il pouvait convenir aussi à Michel, qui ne naîtra que six ans plus tard et qui organise la disparition du père dans Les Naufragés du Jonathan. Dans ce monde dominé par l’hivernage, une blancheur polaire est projetée sur tout espace vierge, comme si la découverte tendait à sa propre annulation. Christian Chelebourg, dans un article précisément intitulé « Cartes et espaces vierges »6, rappelle cette phrase du Capitaine Hatteras : « John eût inventé un pays pour avoir l’honneur de le découvrir ». N’est-ce pas la définition du romancier, mais d’un romancier à la recherche d’un pays qui n’est rien, une mer, un glacier se confondant avec le ciel ? Puisque tout a été exploré, puisqu’il n’a plus rien à découvrir, il reste à éprouver la perte, la disparition du monde, l’effacement de ces traces qu’on ne cesse de retrouver alors qu’on croyait inventer ce monde. Curieusement, le roman de l’invention et de la profusion se retrouve sous la hantise de la page blanche que l’on croyait réservée à la poésie d’avant-garde. Ce sentiment d’usure, nul plus que Maupassant ne l’a ressenti, cette lassitude d’un monde ancien qu’une modernité ne saurait faire passer. Ses « journaux de voyage », qui sont aussi les prétextes d’une écriture intime, représentent comme la version apparemment sereine du journal de J.-R. Kazallon, tournés vers le flottement, l’estompe, la perte des sens. Mais ce néant est tout autant interne, car l’être lui-même se dissout. « Je sens en moi un vide immense », écrit le passager J.-R. Karzallon. Vide provoqué par la faim, certes. Mais enlevez le contexte, que lisez-vous ? « Chez chacun de nous, le système nerveux central est directement attaqué », écrivait-il un peu plus tôt, et cette phrase est pour ainsi dire la même qu’emploiera Guy de Maupassant dans sa correspondance pour qualifier ses troubles nerveux.

6 Jules Verne 7. Voir du feu. Contribution à l’étude du regard, la Revue des lettres modernes, Minard, 1994.



L’Effacement du monde

L’intérieur, l’extérieur Le Chancellor devient donc un objet clivé entre un intérieur et un extérieur, un extérieur connaissable et descriptible, le pont, et un intérieur, la cale, le ventre du bateau, jamais vu, toujours menaçant, soit qu’il brûle et menace d’exploser, soit qu’il prenne l’eau et menace de déborder. Un intérieur qu’il faut calfeutrer, qui ne doit pas faire irruption et qui figure en même temps comme un Autre dangereux. Un Autre dans le corps même et qui relève du double. Précisément, ce journal intime daté de l’année 1869, formant la matière d’une œuvre publiée en 1874, nous croyons le retrouver dix ans plus tard dans un texte célèbre qui prend la même forme, qui est tout autant partagé entre le dedans et le dehors et qui montre l’inexorable expansion d’une menace intérieure : Le Horla de Maupassant, une nouvelle où le mal, l’innommable, est du reste apporté par un navire fantomatique. Plus généralement, c’est toute l’œuvre qui est traversée par cette fissure d’un être logeant un ennemi en lui-même. Entre Jules Verne et Guy de Maupassant, il semble y avoir comme un abîme ; le courant naturaliste pourtant parti à la rencontre du grand public n’a cessé de se démarquer de cette littérature aventureuse, et Maupassant, qui a écrit plus d’une chronique sur la littérature, a toujours tendu vers ce qu’il voyait comme l’excellence, ne s’en détournant que pour quelques flatteries mondaines servies à des amis. Le paradoxe, c’est qu’il s’est vu autant stigmatisé que Jules Verne, et tous deux ont connu une sorte de discrédit tout en obtenant la plus large audience, à l’étranger notamment où ils sont les maîtres que la France n’a pas voulu reconnaître. Tous deux pourtant ont reçu les compliments d’un Mallarmé auquel on voudrait les opposer. Chacun a en tête le « très curieux Jules Verne » évoqué dans La Dernière Mode. On connaît moins


La facilité de Verne et de Maupassant, qui est d’un ordre différent, a longtemps caché un trouble pourtant manifeste, une dérive explicite vers un fantastique qui n’est rien d’autre qu’une interrogation sur soi en une époque qui se laisse entraîner vers un inconscient non encore freudien. Et si dans Maupassant juste avant Freud9 Jean-Pierre Bayard a décrit cet inconscient d’une autre espèce, lisible notamment dans Le Horla, Jacques Nassif pose la question : « Freud aurait-il retrouvé le secret perdu de Wilhelm Storitz ? »10, proposant de voir Freud comme un héros vernien. Storitz, nous dit-il, c’est déjà l’homme sans qualités, l’homme à la psychologie transparente et qui de plus n’est que le portrait de son père. Propos qui fait écho à celui de Jean7 Mallarmé, « Deuil », publié en 1893 dans le National Observer, repris dans Œuvres complètes, texte établi et annoté par henri Mondor et G. Jean-Aubry, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1973, p. 523.

9 Minuit, 1994. 10 Dans Jules Verne 7. Voir du feu. Contribution à l’étude du regard, la Revue des lettres modernes, Minard, 1994.

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8 « Maupassant et Mallarmé, dans le texte », L’Angélus, Marseille, 1996, et « Le contre-Maupassant de Roland Barthes », dans Manières de critiquer, APU, Arras, 2001.

À la vie, à la mort !

« Deuil », le texte écrit à la mort d’un Maupassant enrôlé dans la poétique mallarméenne par le truchement des murs blancs de sa cellule dans la maison de santé où il finit ses jours comme le capitaine Hatteras7. Nous avons ailleurs tenté de montrer presque une forme de complicité entre Maupassant et Mallarmé, sans chercher à les rapprocher abusivement8. Entre autres, il y a chez tous deux ce mythe du paysage blanc qu’on retrouve chez Edgar Poe, le grand inspirateur de Jules Verne comme de Mallarmé. Le cygne mallarméen, la diligence de Boule de suif, les navires verniens sont tous immobilisés, pris dans des glaces ou de la neige. Certes, la persistance de ces images ne suffit pas à définir une équivalence, mais au travers de trois systèmes d’écriture à la fois contemporains et divergents se lit l’émergence d’une nouvelle psychologie.


Francis Marcoin

Pierre Picot resituant le fantastique dans la problématique de l’Autre : le récit fantastique n’est peut-être qu’une interrogation d’identité, et face au fantôme on ne se demande pas qui est-ce mais qu’est-ce11. C’est très exactement ce qui se donne à lire dans Le Horla et une foule d’autres textes de Maupassant, la catastrophe d’un être en proie aux reflets, qui a des problèmes avec les images et avec les tableaux trop ressemblants ou qui finit par ne plus se voir dans la glace. Le narrateur du Horla est en quelque sorte un homme invisible. Partagé entre un dedans et un dehors, le Chancellor est quant à lui un Horla, mais cette analogie est masquée par une différence de régime romanesque : là où Maupassant se débarrasse de toute intrigue pour livrer tout entier son personnage à ses problèmes, ces derniers requièrent une justification externe chez Jules Verne, et les naufrages maritimes recouvrent les naufrages existentiels. On peut le mesurer avec Le Secret de Wilhelm Storitz, où l’effacement l’emporte encore davantage puisque jamais nous n’entrons dans l’intimité du personnage, ni dans ses affres ni dans ses interrogations éventuelles : Storitz n’a pas droit au journal intime, le privilège de la première personne étant octroyé à Vidal. Jules Verne a pris connaissance de l’œuvre de Herbert Georg Wells, qui s’inspire d’ailleurs de lui et dont les ouvrages majeurs paraissent en France chez un éditeur « sérieux », Le Mercure de France. Mais l’écrivain anglais a su trouver une voie originale alors qu’on pourrait le croire simplement occupé à surenchérir sur les inventions verniennes, et c’est presque abusivement qu’on le présente comme l’un des pionniers de la science-fiction, tant il la traite avec désinvolture. Son projet est ailleurs et dans The Invisible Man (1897), peu importe le procédé grâce auquel Griffin devient transparent face au drame de cet homme, tantôt criminel, tantôt traqué, victime d’une société elle-même équivoque, déjà saisie par cette peur d’un fléau qui fera le fond du cinéma expressionniste. Curieusement, le récit rejoint l’argument de la robinsonnade en faisant du personnage un solitaire dans la foule, un être plus 11 « La morte-vivante ou la femme sans ombre », dans Jules Verne 5. Émergence du fantastique, la Revue des lettres modernes, Minard, 1987.


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On pourrait penser que Jules Verne tente d’atteindre la « grande » littérature en abandonnant le terrain du roman d’aventures. Mais c’est tout autre chose qu’il faudrait dire : que le roman d’aventures, comme dans la tradition anglo-saxonne, atteint chez lui une profondeur existentielle, ignorée ou censurée par Hetzel, sans doute mieux perçue par le

À la vie, à la mort !

totalement effacé que le naufragé oublié sur une île inconnue. Il a d’ailleurs « brûlé ses vaisseaux », sans espoir de retour (comme le fera le Kaw-djer dans Les Naufragés du Jonathan), mais il devient lui-même sauvage dans la fameuse scène où l’empreinte de son pied nu étonne autant que celle découverte sur le sable par Robinson. Le cas de cet homme nu, chassé comme une bête dans une ville décrite avec un humour noir à la Dickens, nous mène très loin de la gaîté parisienne pour qui les voyages et les naufrages servent à des variations pour rire. On comprend l’effet que ce roman a pu produire sur un Jules Verne s’éloignant lui-même de cette scène parisienne qu’il a si bien servie. L’Homme invisible lui donne l’idée d’une Invisible Fiancée, certes très différente de facture et beaucoup plus romantique, qu’il rédige en 1898 et n’ose présenter à son éditeur qu’en 1905, dix-neuf jours avant sa mort. Il y inverse le point de vue adopté par Wells qui nous fait partager les douleurs et l’affreuse solitude de son personnage. Storitz reste impénétrable, bloqué, réduit même à des références qui lui dénient toute originalité, comme Le reflet perdu d’Hoffmann. Mais puisqu’il revient à Vidal de rendre compte de ses expériences, c’est lui aussi qui doute, comme le narrateur du Horla. On est frappé de certaines rencontres entre les deux textes, comme le bouquet enlevé sans qu’on voie de main pour la prendre, et surtout l’incendie final : on finira par brûler la maison de Storitz, comme le narrateur brûle sa maison dans Le Horla.


L’Effacement du monde

fils indigne qui, comme dans une tragédie de Shakespeare, prend tout son rang à la mort du père. Qui le prend, mais d’une façon étrange, clandestine : Michel Verne est lui-même l’homme invisible, qui s’est effacé derrière le nom de son père tout en écrivant pour de vrai, ne se contentant pas de quelque remaniement. Ce faisant, il ajoute sa propre inquiétude à celle de l’auteur supposé, cet auteur dont il a encore contribué à brouiller l’image. Il pose la question de l’authenticité, du « vrai » Jules Verne que la critique rêve de cerner mais qui a toujours mis un peu de brouillard entre ses lecteurs et lui.

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Philippe LANTHONY

À la vie, à la mort ! Revue Jules Verne n° 36

Le suicide L

Degrés de suicide Le suicide n’est pas une notion de tout ou rien, et beaucoup de psychiatres estiment qu’il y a des degrés dans la conduite suicidaire. Le premier degré est la simple intention ; c’est celle de Philéas Fogg quand il croit avoir perdu son pari, et Aouda la pressent : « À certaines paroles prononcées par Mr Fogg elle avait compris que celui-ci méditait quelque projet funeste… On sait en effet à quelles déplorables extrémités se portent quelquefois ces anglais monomanes sous la pression d’une idée fixe » (ch. 35), ajoute Jules Verne, faisant écho à la notion populaire (et d’ailleurs erronée) de « Maladie Anglaise », illustrant la fréquence du suicide outre Manche2. Dans la version primitive de En Magellanie, Jules Verne nous présente aussi le Kaw-Djer tenté par la mort : « près à se précipiter dans le vide » mais y renonçant pour secourir les

2 Georges Minois, Histoire du suicide. La société occidentale face à la mort volontaire, Fayard, 1995.

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1 Jean-Pierre Picot, « Prélude à une exploration de la mort vernienne », BSJV, n°56 (4ème tr. 1980), p. 310-317.

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a mort violente est omniprésente dans l’œuvre de Jules Verne, et ce n’est pas surprenant dans les situations pleines de risques où se trouvent engagés les héros de ces histoires. On peut, en revanche, s’étonner de trouver des suicidés chez Jules Verne. Car le suicide n’a pas le caractère inévitable lié au danger de toute aventure ; il est dû au caractère individuel, et l’image habituelle que nous avons des héros de Jules Verne est celle de personnages sans complexes ni états d’âme pouvant les conduire au suicide. Et cependant celui ci n’est pas du tout rare dans l’œuvre de Jules Verne, « au héros vernien semble s’attacher un principe d’autodestruction » disait déjà J.P. Picot1 (1).


Philippe Lanthony

naufragés (ch.7). Enfin Kin-Fo, héros des Tribulations d’un Chinois en Chine est l’exemple le plus développé du suicidaire d’intention, non dépourvu d’une certaine pose, mais qui change d’avis selon les circonstances. Ces velléités n’auront pas de suite et resteront occasionnelles. Le second degré est un début d’exécution de l’acte suicidaire. Dans Cinq semaines en ballon, Kennedy, déprimé par la soif, met le canon de sa carabine dans sa bouche et Joe doit lutter pour le dissuader. Fragoso, dans La Jangada, a déjà à demi réussi sa pendaison quand Liana le décroche in extremis. Qu’il ait fallu dans ces cas une intervention extérieure pour interrompre l’acte fatal atteste évidemment le sérieux de la tentative. Le troisième degré est celui de la réussite du suicide. L’OMS, en 1969, a recensé 89 moyens de se suicider3 mais les suicidaires de Jules Verne utilisent les moyens les plus courants : pendaison (Hobart, Le Chancellor), noyade (Silfax, Les Indes noires ), chute (Robur, Maître du monde), pistolet (Kongre, Le Phare du bout du monde). Le déséquilibre mental qui accompagne l’acte suicidaire se traduit par son caractère exhibitionniste, dans l’ascension vertigineuse et la chute de « L’épouvante » de Robur et dans deux explosions spectaculaires, celle du Château des Carpathes déclenchée par Gortz, et celle de Back-Cup où Thomas Roch démontre définitivement la puissance de son explosif (Face au drapeau). 3 M. Monestier, Suicides. Histoire, techniques et bizarreries de la mort volontaire des origines à nos jours. Le Cherche-Midi, 1995.


Les causes des suicides Quelle est la part de la folie dans les suicides verniens ? La pathologie mentale est un thème récurrent chez Jules Verne, et la première question que pose le suicide est son rapport avec la folie. Il apparaît dans l’ensemble que tous les fous ne se suicident pas, mais que les suicidaires sont plus ou moins déséquilibrés au moment de l’acte, même s’ils ne l’étaient pas auparavant. L’échec cause le suicide de Kongre (Le Phare du bout du monde), le remords celui de Simon Morgaz (Famille sans nom), et ce sont déjà des réactions excessives. Ce sont les circonstances même qui produisent folie brusque et suicide chez les naufragés du Chancellor : Hobart se pend, Jynxtrop se jette aux requins et Ruby dans le feu. Une exaltation croissante et certainement pathologique s’empare de Robur ou de Gortz ; le premier défie l’altitude de façon prométhéenne, le second s’anéantit pour suivre la voix de la Stilla dans la mort ; la mort d’Hatteras se jetant dans le cratère du Pôle Nord dans la première version du roman est un autre aspect de ce comportement à la fois monstrueux et sublime4.

4 Olivier Dumas, « La mort d’Hatteras », BSJV, n° 73 (1er tr. 1985), p. 22-24.

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Suicide et amour Le chagrin d’amour, entendu dans un sens large incluant aussi l’amour filial ou l’amour maternel, mène chez Jules Verne à la mélancolie, à la folie, mais pas forcément à la mort volontaire. Dans Une ville flottante, Fabian est déprimé, Ellen Hodge est considérée comme démente, mais ils ne se suicideront pas. De

À la vie, à la mort !

L’acte suicidaire dépasse ainsi la personne même du suicidé et concerne aussi les machines et constructions faites en principe pour durer : la Jangada est disloquée à la fin de son voyage, ce qui était d’avance programmé ; mais le ballon « Victoria » de Ferguson s’engloutit dans le fleuve, l’éléphant Géant d’Acier explose ; et la destruction de Standard-Island est bien évidemment la conséquence du comportement suicidaire des deux communautés rivales.


Le Suicide

même, la folie de Madame Bathory (Mathias Sandorf ), de la Flamme Errante (La Maison à vapeur), de Dolly Branican (Mrs Branican) de Franz de Telek (Le Château des Carpathes), n’aboutit pas à une décision fatale. C’est justement ce qui va amener les coquins à donner un coup de pouce au destin et à simuler des suicides qui ne se produisent pas : Sarcany déguise en suicide les assassinats (d’ailleurs manqués tous les deux) de Pierre Bathory et de Toronthal (Mathias Sandorf) ; Kroff fait passer pour suicide le coup de couteau de Nicoleff (Un drame en Livonie) ; Pantalacci met en scène la pendaison de Li (L’Étoile du Sud). De même Antekirtt simule le suicide de Carpena, mais, ici, c’est pour la bonne cause. Hors de la folie : le suicide altruiste Dans son étude classique, Durkheim opposait ce qu’il appelait « suicide égoïste » et « suicide altruiste »5. La mort volontaire, égoïste, due à l’échec, au désespoir, ne concerne que la personne même du suicidaire, mais il y a aussi des suicides où le sujet donne sa vie au profit de quelqu’un d’autre ; et on ne s’étonne pas d’en voir chez Jules Verne, étant donné le caractère général de son œuvre. 5 Émile Durkeim, Le Suicide, Alcan, 1897.


Le suicide social Le suicide est d’abord un fait de société ; aussi est-il logique de considérer comme suicidaire, dans un sens large, le comportement des sujets qui se coupent volontairement de la communauté humaine. Il y en a plusieurs dans l’œuvre de Jules Verne et le plus extrême est probablement Silfax, disparu de la surface de la terre, et qui, effectivement, finira par se suicider. Parmi ceux qui se sont séparés des hommes, on pense naturellement au capitaine Nemo : « J’ai rompu avec la société toute entière pour des raisons que moi seul j’ai le droit d’apprécier » (I, ch.10) ;

À la vie, à la mort ! 45

Le premier de ces héros qui se sacrifient pour les autres est Joe dans Cinq semaines en ballon, quand il se jette de la nacelle du ballon. Un autre est le marin anonyme du « Nautilus » mortellement blessé à la place d’un autre et qui sera enseveli dans le cimetière de corail : « Un frère se faisant tuer pour son frère, un ami pour son ami, déclare Nemo, quoi de plus simple ! » (I, ch. 24). Dans L’Île mystérieuse, Ayrton entreprend de faire exploser le « Speedy » pour sauver ses compagnons des pirates : « Il fut pris de cette irrésistible envie de faire sauter le brick et avec lui tous ceux qu’il portait » en particulier lui-même (III, ch. 2). Dans Nord contre Sud nous trouvons deux exemples opposés : Zermah se jette sur le couteau de Texar pour sauver la petite Dy, mais chacun des deux Texar se dénonce pour sauver son frère. On pourrait sans doute rapprocher du suicide altruiste le suicide par expiation : suicide de Thomas Roch faisant sauter Back-Cup (Face drapeau); et mort de Jean-sans-nom dans le Niagara, ressenti comme expiation, le mot même étant comme un leitmotiv du roman (Famille sans nom ).


Philippe Lanthony

« Le monde a fini pour moi le jour où mon Nautilus s’est plongé pour la première fois sous les eaux » (I, ch. 11) ; « Je suis mort, Monsieur le Professeur, aussi bien mort que ceux de vos amis qui reposent à six pieds sous terre ! » (I, ch. 11) Le Kaw-Djer, héros de En Magellanie (que Michel Verne transforma en Naufagés du Jonathan), rappelle beaucoup Nemo par son anonymat et sa fuite loin de la civilisation. Tous deux éprouveront la tentation du suicide : Nemo en défiant la tempête sur l’Atlantique (II, ch. 19) ou en affrontant le Maelstrom (II, ch. 22) et le Kaw-Djer, prêt à se précipiter dans les flots et sauvé par un coup de canon6. Mais il faut aussi souligner que leur séparation du monde n’est que relative : nous voyons Nemo porter secours au pêcheur de perles de Ceylan, alimenter la révolte des Grecs avec les millions de la baie de Vigo, et protéger les colons de l’Île Lincoln ; et le Kaw-Djer est devenu une sorte de docteur Schweitzer pour soigner les Indiens de la Terre de Feu. C’est par là que le docteur Antekirtt, alias Mathias Sandorf, leur ressemble ; il a changé d’identité et s’est retranché sur une île, mais c’est pour y créer une communauté heureuse et poursuivre activement une œuvre de justice, une autre forme en quelque sorte de suicide altruiste. Ainsi la boucle est bouclée et la séparation d’avec l’humanité n’est qu’une façon pour ces apparents misanthropes d’affirmer leur solidarité humaine.

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. 6 Philippe Lanthony, « Le Kaw-Djer et la tentation du suicide », BSJV, n° 84 (4ème tr. 1987), p. 6-8.




Daniel SANGSUE

À la vie, à la mort ! Revue Jules Verne n° 36

Hantologie Vernienne Que tourne la table, que revienne le spectre de Jules Verne. Michel Serres1 outes sortes de fantômes hantent les romans de Jules Verne. Par exemple, dans Voyages et aventures du Capitaine Hatteras, le héros éponyme reste longtemps invisible à son équipage, qui se demande si « ce gaillard-là est un farfadet, un lutin comme il en court dans les hautes terres d’Écosse ! »2 ; dans Les Tribulations d’un Chinois en Chine, Wang fait figure de spectre lorsqu’il réapparaît subitement aux yeux de Kin-Fo : « Si c’est toi ! s’écria-t-il en s’adressant à Wang, si ce n’est pas ton ombre, parle-moi… »3 ; dans Le Testament d’un excentrique, William J. Hypperbone sort de son cercueil pour apparaître à la foule… On pourrait multiplier les exemples de tels fantômes et les classer en différents types4 : êtres invisibles dont la voix vient troubler les humains (Le Sphinx des glaces, Les Indes noires, Le Secret de Wilhelm Storitz), fantômes intérieurs liés à une culpabilité (Un capitaine de quinze ans) ; morts prétendus (Le Testament…, Les Tribulations…, Mathias Sandorf), ressuscités (Pierre Bathory magnétisé par Antékirrt-Sandorf), mortes amoureuses (Le Château des Carpathes), etc. 1 Jules Verne, l’enchantement du monde. Conversations av. J.-P. Dekiss, Le Pommier/Poche, 2010, p. 168.

3 Les Tribulations d’un Chinois en Chine, Le Livre de poche, p. 329. 4 Voir la « typologie du personnage fantomatique » établie dans mes Fantômes, esprits et autres morts-vivants. Essai de pneumatologie littéraire, José Corti, coll. « Les essais », 2011, chap. 3.

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2 Jules Verne, Voyages et aventures du Capitaine Hatteras, Le Livre de poche, p.72.

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Daniel Sangsue

Mais, à y regarder de près, il ne s’agit jamais de « vrais » fantômes, de revenants au sens strict, de morts-vivants. Comme on peut s’y attendre dans un univers qui, s’il émarge ponctuellement au fantastique et à l’étrange, reste inféodé aux contraintes réalistes, le surnaturel des esprits et des « revenants en corps » n’opère pas, et tous les phénomènes fantomatiques trouvent une explication rationnelle : malentendu, illusion des sens, folie, dispositif technique… En fait, le fantôme vernien relève fondamentalement de la métaphore dans la mesure où il concerne l’absenceprésence de personnages (Hatteras, Hypperbone, Sandorf, Wang), voire d’objets (L’Étoile du Sud, Le Rayon vert), ou des personnages évanescents, comme les femmes en général5. D’ailleurs, dans tous les exemples cités, Verne n’utilise que rarement le terme de fantôme, et ceci même dans les trois romans où, quittant un fantastique diffus pour une inspiration proprement fantastique6, il se collète véritablement avec le thème du fantôme : Les Indes noires (1877), Le Château des Carpathes (1892) et Le Secret de Wilhelm Storitz (1910, écrit en 1898). Penchons-nous sur ces trois romans, car ils sont tout à fait révélateurs de ses conceptions hantologiques7. En quoi « consistent » leurs fantômes ? Dans Les Indes noires, il s’agit d’abord de voix mystérieuses qui se font entendre dans la Nouvelle Aberfoyle et qui s’avèrent appartenir à la jeune Nell, comparée à « un farfadet d’aspect un peu surnaturel »8, puis à Silfax, le dernier « pénitent » (détecteur de grisou) de la fosse Dochart, disparu avec la jeune orpheline et explicitement assimilé à un « fantôme »9. 5 La question de la femme fantôme chez Verne est soulevée par J.-P. Dekiss dans l’un des Entretiens de Julien Gracq, José Corti, 2002, p. 226-227. 6 Pour reprendre les catégories de Daniel Compère, Jules Verne. Parcours d’une œuvre, Amiens, Encrage, 2005. Voir aussi le numéro d’Otrante consacré à Jules Verne et la veine fantastique (n° 18, automne 2005, éd. Kimé). 7 Hantologie est un néologisme forgé par Derrida (Spectres de Marx, Galilée, 1993). 8 Les Indes noires, Le Livre de poche, p. 150. 9 Ibid., p. 171. C’est la seule occurrence du mot.


Dans Le Château des Carpathes, rappelons que la revenance se manifeste successivement par des voix entendues à l’auberge de Werst, puis, au château de Gortz, par des visions spectrales et des bruits, enfin par l’apparition à Franz de Télek de la Stilla chantant l’air sur lequel elle était morte à Naples cinq ans auparavant. Notons que Franz, persuadé que la cantatrice, simplement séquestrée par son rival, est toujours vivante, ne pense pas à un phénomène fantomatique. Le texte dit cependant : « Il s’absorbait dans l’ardente contemplation de cette femme qu’il croyait ne jamais revoir, et qui était là, vivante, comme si quelque miracle l’eût ressuscitée à ses yeux ! »10. On sait que l’apparition et les voix s’expliquent par des dispositifs alliant photographie, phonographie et téléphonie pour produire une fantasmagorie. Quant au Secret de Wilhelm Storitz, il met en scène des êtres invisibles : Wilhelm Storitz, savant à la réputation de sorcier, éconduit par la famille de Myra Roderich, a inventé une potion qui lui permet de se servir de l’invisibilité pour terroriser la ville hongroise de Ragz et empêcher Myra d’épouser le jeune artiste qui lui est promis. Non content de profaner la cérémonie religieuse, Storitz va jusqu’à transformer Myra en femme invisible, état dont elle ne peut sortir et dont son mari et sa famille doivent s’accommoder, car Storitz meurt (on verra comment) sans révéler le secret de sa potion.

10 Le Château des Carpathes, Le Livre de poche, p. 229.

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Ces résumés rapides permettent déjà de se rendre compte d’une certaine unité thématique des trois romans. D’abord ce sont tous trois des histoires d’amour dans lesquelles les « fantômes » viennent s’interposer entre deux amants (dans le cas du Château des Carpathes, Gortz joue les fantômes en proférant « téléphoniquement » des menaces qui s’apparentent à celles de Silfax et Storitz). Dans les trois romans, les phénomènes en apparence surnaturels s’expliquent


Hantologie vernienne

rationnellement et l’on a affaire à des pseudo-fantômes, même dans le cas de Wilhelm Storitz, dont Jules Verne s’évertue à rattacher l’invisibilité à de purs effets physiques et chimiques : fils d’un spécialiste des rayons X, Wilhelm aurait optimisé une découverte scientifique de son père ! Preuve que cette invisibilité n’est pas celle des spectres, les corps qui y sont soumis restent tangibles, matériels, ce qui permet la mort de Storitz (capturé et transpercé par un sabre) et la vie avec Myra. Le narrateur y insiste : « Invisible, soit, intangible, non ! Cela, c’est pour les fantômes, et nous n’avions pas affaire à un fantôme ! »11, « Ce n’est pas un fantôme, c’est un corps… »12 Verne tient à ce qu’on ne confonde pas, et il faut relever que son fils, remaniant son roman, le trahit sur ce point (aussi), car il parle, à propos de Storitz, de « fantôme invisible »13 – ce qui est en outre une contradiction dans les termes. Le soin mis par Jules Verne à distinguer l’invisible et le fantôme se comprend : il ne veut pas qu’on taxe son texte de merveilleux ni qu’on l’assimile à un conteur d’histoires de revenants. Mais force est de constater que sa position est profondément ambivalente. D’une part, en effet, il fait tout pour prendre ses distances avec le surnaturel, renvoyé à des superstitions populaires. De ce point de vue aussi, les trois romans sont remarquablement homogènes : ils se passent dans des lieux, l’Écosse, la Transylvanie et la Hongrie, traditionnellement associés aux fantômes et aux vampires. Verne 11 Le Secret de Wilhelm Storitz (version d’origine), éd. O. Dumas, L’Archipel, 1996, p. 140. 12 Ibid., p. 165. 13 Le Secret de Wilhelm Storitz (version de M. Verne), Lausanne, Rencontre, p. 147.


D’autre part, Jules Verne veut jouer sa partition fantastique ; ses récits s’inscrivent à l’évidence dans la tradition du roman gothique et de la littérature fantastique qui ont marqué la seconde moitié du XVIIIe et tout le XIXe siècle. Le simple titre du Château des Carpathes « fait exposition », comme on disait au XIXe, renvoyant aux célèbres Château d’Otrante, château d’Udolphe et autre Château d’Eppstein (Dumas) ; d’ailleurs, dans les trois romans, il y a des châteaux gothiques et en partie ruinés : château de Gortz déjà évoqué, château de la colline de Wolfgang dans Le Secret et château de Dundonald où se produit le phénomène des « Dames de feu » (qui rappellent les Dames blanches) dans les Indes noires. Dans ce dernier roman, la figure du « pénitent »17 fait penser aux Pénitents noirs d’Ann Radcliffe et aux innombrables moines malfaisants des romans gothiques. Le colporteur du début du Château, qui vend des baromètres et des lunettes, a « une allure quelque peu hoffmannesque »18 et, dans Le Secret, l’Otto Storitz du portrait apparaît au narrateur « comme un être fantastique, un personnage d’Hoffmann, le Daniel de La 14 Les Indes noires, p. 59.

À la vie, à la mort !

souligne à chaque fois la ferme croyance des autochtones dans les phénomènes surnaturels : les mineurs des Indes noires « croyaient volontiers au fantastique […], et on eût perdu son temps à vouloir les désabuser »14 ; de même pour la population magyare du Secret : « Les légendes avec revenants et fantômes, évocations et diableries, ont le don de leur plaire »15 ; quant à la Transylvanie du Château des Carpathes, elle « peut prétendre au premier rang » des « contrées superstitieuses de l’Europe »16 – du reste, la moitié du roman est consacrée à la chasse aux revenants du château « visionné » entreprise par les gens de Werst. Dans les trois romans, le même schéma est à l’œuvre : dans un lieu où le populaire croit naturellement au surnaturel, un événement fantastique se produit qui semble lui donner raison, mais des hommes avertis (deux ingénieurs et un voyageur éclairé) viennent démystifier le fantôme et redonner ses droits à la raison.

15 Le Secret… (version d’origine), p. 65. 17 Ce détecteur de grisou est appelé ainsi à cause de son ample vêtement et de sa cagoule. 18 Le Château…, p. 11.

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16 Le Château…, p. 25.


Daniel Sangsue

Porte murée, le Denner du Roi Trabacchio, l’homme au sable de Maître Coppelius ! »19 Il ne manque d’ailleurs pas de penser que ce portrait pourrait sortir de son cadre et parler, ce qui est un topos des romans gothiques. Au moment où Verne écrit, cette littérature fantastique a bien vécu et il est impossible de reproduire ses thèmes sans s’exposer à tomber dans le cliché. Mais le prestige symbolique d’Hoffmann, de Walter Scott ou de Poe est intact. Comme il aspire à être considéré comme un vrai écrivain, quelqu’un qui « compte dans la littérature française »20 et non comme un simple vulgarisateur, l’auteur du Sphinx des glaces met ses pas dans ceux de ces écrivains et d’autres auteurs illustres de son époque, comme Hugo, auquel les allusions abondent dans Le Château des Carpathes. Cependant, le recours à une littérature portée sur le fictionnel, le poétique, l’invraisemblable, etc. ne va pas de soi : Verne risque de perdre en crédibilité ce qu’il gagne en prestige. C’est pourquoi la référence aux « fantastiqueurs » est souvent biaisée, soit qu’elle se fasse sur le mode du conditionnel : « la «bouche d’ombre», comme dirait le poète », « Musset aurait pu dire aussi… »21, soit qu’elle emprunte les voies/voix de la dénégation ou de la prétérition : Bien qu’il [James Starr] fût fanatique de Walter Scott, comme l’est tout vrai fils de la vieille Calédonie, l’ingénieur, ainsi qu’il ne manquait jamais de le faire, ne donna même pas un coup d’oeil à l’auberge où Waverley descendit…22 Il me vient à l’idée que le Prussien de Königsberg, Wilhelm Hoffmann, l’auteur de La Porte murée, du Roi Trabacchio, de La Chaîne des destinées, du Reflet perdu, n’eût peut-être pas osé publier ce récit, et qu’Edgar Poe même dans ses Histoires extraordinaires n’eût pas osé l’écrire !23 19 Le Secret… (version d’origine), p. 103. 20 Cité par O. Dumas dans son introduction au Secret de Wilhelm Storitz, p. 5. 21 Le Château des Carpathes, pp. 115 et 140. 22 Les Indes noires, p. 13. 23 Le Secret… (version d’origine), p. 13-14. À noter que ce passage disparaît dans la réécriture de Michel Verne !


Dire ce qu’on ne veut pas voir, raconter ce qui est inracontable, raconter à la place de… : cette rhétorique retorse, qui joue à la fois sur la présence et l’absence, est à l’image des fantômes verniens24.

24 Je remercie Alexandre Tarrieu et Jacques Pezeu-Massabuau de leurs précieuses suggestions.



Jacques CROVISIER

À la vie, à la mort ! Revue Jules Verne n° 36

Les Fins du monde L

’évocation du thème de la mort chez Jules Verne ne saurait être complète sans aborder celui de la fin du monde. Il y a dans les Voyages extraordinaires plusieurs références à « ce fameux an mil, qui devait voir la fin du monde »1, à la suite « d’un bouleversement basé sur des textes d’une obscurité toute biblique »2. On se doute que Jules Verne aurait fait peu de cas de la résurgence, de nos jours, du mythe de la fin du monde annoncée pour décembre 2012, cette fois-ci sur la base d’une lecture partiale du calendrier maya3.

Les collisions cosmiques se sont introduites de longue date dans la littérature et dans l’imaginaire collectif4. Plusieurs comètes ont manqué la Terre aux XVIIIe et XIXe siècles, comme la comète D/1770 L1 Lexell en 1770, la comète 3D/Biela en 1832, la comète C/1861 J1 Tebbutt en 1861, ou la comète 109P/Swift-Tuttle en 1862. La peur des comètes, qui perdurait depuis l’Antiquité en nous faisant interpréter les apparitions de comètes comme des présages de malheur, a ressurgi. Les mises en garde de philosophes comme Voltaire, d’astronomes comme Lalande, insistant sur la très faible

2 Jules Verne, Sans Dessus Dessous, Hetzel, Paris, 1889, Chap. XIII. 3 Patrick Rocher, « Les Calendriers Mayas », L’Astronomie, 2012, 46, 24-30. 4 Cf Maurice Champion, La Fin du Monde et les Comètes au point de vue historique et anecdotique, Adolphe Delahaye libraire-éditeur, Paris, 1859, (à lire sur Gallica).

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1 Jules Verne, Un Drame en Livonie, Hetzel, Paris, 1904, Chap. VII.

À la vie, à la mort !

Mais Jules Verne doit défendre sa réputation de romancier scientifique. Foin donc des légendes et autres prophéties. Ce sera sur des bases scientifiques incontestables, celles de la mécanique céleste, qu’il déclinera le thème de la fin du monde dans plusieurs de ses Voyages extraordinaires. En imaginant la collision d’un petit corps, astéroïde ou comète, avec la Terre, et les événements catastrophiques qui s’en suivent.


Jacques Crovisier

probabilité de tels événements ou leur mésinterprétation5, n’ont pas toujours réussi à rassurer le public. En romançant la chose et en la mettant en scène, Jules Verne va ouvrir la voie au genre du roman catastrophe6. Il y a encore bolides et météores, apparitions fugitives, mais la trace qu’ils nous laissent parfois au sol sous la forme de météorites est la preuve tangible de leur existence et de leur nature. Le soir du 16 août 1901, un bolide traversa le ciel du nord de la France et de la Belgique. Ce fut un phénomène spectaculaire, attesté par de nombreux témoignages7. Jules Verne, qui avait l’habitude de se coucher tôt, ne l’a probablement pas observé. Mais il a conservé parmi ses notes de travail une coupure de journal relatant l’événement8. C’était l’époque où Jules Verne commençait la rédaction de La Chasse au météore. Mais revenons aux collisions et autres chamboulements cosmiques dans les Voyages extraordinaires. Déjà, dans Voyages et aventures du capitaine Hatteras (1866), le docteur Clawbonny, lors de l’une de ses conférences didactiques destinées à meubler les longues soirées d’hivernage de l’équipage du Forward bloqué par les glaces, évoque non sans malice les chocs cométaires qui, en faisant basculer l’axe de la Terre, pourraient provoquer un changement drastique du climat. Cette hypothèse était alors avancée par certains savants, expliquant ainsi la présence de fossiles d’animaux tropicaux dans les régions polaires « par le choc d’une comète. La comète est le Deus ex machina ; toutes les fois qu’on est embarrassé en cosmographie, on appelle une comète à son secours. C’est l’astre le plus complaisant que je connaisse, et, au moindre signe d’un savant, il se dérange pour tout arranger ! »9. 5 On faisait souvent grand cas du croisement de l’orbite d’une comète et de celle de la Terre, en oubliant que pour qu’il y ait collision, il faut que les deux corps passent au même moment au point de croisement. 6 Cf. La Science en Drame, Revue Jules Verne n° 25, 2005 ; Philippe Mustière, « Jules Verne et le roman-catastrophe », Bull. Soc. Jules Verne, n° 47, 1978, p. 204-208 et Revue Europe, n° 595-596, p. 44-47. 7 Que l’on peut relever dans le Bulletin de la Société astronomique de France ainsi que dans le Bulletin de la Société belge d’astronomie et dans l’autre revue populaire belge d’astronomie et de météorologie Ciel et Terre. 8 Piero Gondolo della Riva, « Un patrimoine à découvrir : les fiches de travail de Jules Verne », Revue Jules Verne n° 16, 2003, p. 43-52. 9 Jules Verne, Voyages et aventures du capitaine Hatteras, Hetzel, Paris, 1866, Partie


Une telle collision avec un petit corps d’une taille de quelques kilomètres serait cependant inefficace et d’autres mécanismes sont à envisager pour faire basculer l’axe de la Terre10. Il semble cependant crédible que la fin du monde des dinosaures soit venue du ciel, suite à la collision d’un astéroïde il y a 65 millions d’années, provoquant une extinction massive des espèces.

Dans Sans Dessus Dessous (1889), c’est tout le contraire. La Terre n’est plus perturbée par l’impact inattendu d’un projectile cosmique, mais par l’effet de recul d’un canon titanesque, conçu dans ce but selon les calculs de Maston. Il s’agit donc d’une véritable collision à l’envers, entreprise humaine voulue, programmée, et – en principe – contrôlée. Mais rien ne se passe comme prévu. Maston est distrait et ses calculs sont faux. Le cataclysme escompté qui devait faire basculer l’axe de la Terre ne se produit pas. Là tout est transparent, tout nous est expliqué chiffres à l’appui grâce à un véritable dossier de validation12 préparé par l’ingénieur Albert Badoureau dont Jules Verne s’est assuré la collaboration. 2, Chap. XXIV, « Cours de cosmographie polaire ». 10 Cf. Jacques Laskar, « Le Titan moderne : genèse d’une œuvre », Les Génies de la Science, n° 24, 2005, p. 18-19.

12 Exposé dans le fameux Chapitre supplémentaire qui figurait dans l’édition Hetzel in-18 de Sans Dessus Dessous et dont la genèse est retracée dans Le Titan moderne (manuscrits d’Albert Badoureau édités par C Le Lay et O. Sauzereau, Actes Sud/Ville de Nantes, 2005).

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11 La petite communauté anglaise qui cohabitait avec nos héros n’aura pas cette chance ; elle repartira avec la comète.

À la vie, à la mort !

Dans Hector Servadac (1877), une comète frôle la Terre et en emporte un fragment avec ses habitants. Le capitaine Servadac et ses compagnons sont contraints de subir les événements. Leur seul recours est d’organiser au mieux leur (sur)vie de Robinsons de l’espace. Et finalement tout se passe pour le mieux. Prenant quelques libertés avec les lois de Kepler, la comète a le bon goût d’avoir une période orbitale de deux ans exactement, ce qui lui permet de frôler la Terre à nouveau, offrant une occasion inespérée pour nos héros de retrouver le sol de notre planète11. Comme il serait inconvenant pour un romancier scientifique de duper ses lecteurs à ce point, Jules Verne leur propose une échappatoire : « Mettons que je n’ai fait qu’un rêve... » déclare le capitaine Servadac dans le dernier chapitre.



Avec La Chasse au Météore, nous avons la chance de disposer de deux versions. Celle d’origine écrite par Jules Verne à la fin de sa vie13 où le bolide suit imperturbablement sa trajectoire qui l’amènera à chuter naturellement en un lieu quelconque. Et celle réécrite par son fils Michel et publiée en 1908, où un nouveau personnage, Zéphyrin Xirdal, prend le contrôle du bolide grâce à une machine de son invention pour le conduire à chuter en un lieu propice. Mais comme dans Sans Dessus Dessous, rien ne se passe comme prévu. Xirdal, distrait lui aussi, oublie sa machine qui est déréglée par la femme de ménage. Le contrôle du bolide est perdu ; il se perd au large de la côte du Groenland. Ici, pas de victimes, mais personne ne peut mettre la main sur le bolide composé d’or pur. Un cataclysme monétaire (aurait-ce été la fin du monde capitaliste ?) est évité !

13 Publiée en 1986 par la Société Jules Verne à partir du manuscrit original retrouvé. 14 Le projet SPACEGUARD.

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Un autre danger existe, révélé à la fin du XIXe siècle par le développement des grandes théories de la thermodynamique et la naissance de l’astrophysique. La dégradation de l’énergie, l’augmentation de l’entropie, sont inéluctables ; notre Soleil évolue inexorablement, et lorsque sa source interne d’énergie sera tarie, il se refroidira ainsi que tout le Système solaire, signifiant la mort thermique de notre monde. Selon les théories modernes de l’évolution stellaire, avant d’atteindre ce point, le Soleil passera

À la vie, à la mort !

Et c’est le 30 juin 1908, seulement deux mois après la publication de La Chasse au Météore, qu’eut lieu l’événement de la Toungouska, la chute d’un petit corps céleste (astéroïde ou noyau cométaire – les spécialistes hésitent encore – d’une taille de quelques dizaines de mètres) dans une région fort heureusement désertique de la Sibérie. Ce n’est que bien des années après, à la suite de plusieurs campagnes d’exploration, que l’étendue des dégâts a pu être constatée et que l’on a réalisé la dangerosité d’un tel événement. La menace est donc à prendre au sérieux. Dans un premier temps les astronomes se sont organisés pour faire l’inventaire de tous les astéroïdes et comètes présentant un danger potentiel et mettre sur pied un réseau d’alerte14. Si un danger se matérialise, on avisera...


Jacques Crovisier

par le stade de géante rouge qui englobera l’orbite terrestre. À une échéance très lointaine (des milliards d’années), il est vrai, en comparaison de l’âge de l’humanité. De tout cela, Jules Verne ne souffle mot15, ratant une occasion de faire connaître au lecteur ces développements récents de l’astronomie. Cette occasion, Camille Flammarion s’en est saisi en 1894 en écrivant La Fin du Monde16. Dans une première partie, qui débute comme du Jules Verne, Flammarion décrit la collision d’une comète avec la Terre. Dans une deuxième, il évoque l’avenir à long terme de la Terre et de ses habitants, menacés par la mort thermique du Système solaire17. Enfin, autres fins d’un monde, mais dépassant le cadre de ce court article et discutées ailleurs18, les catastrophes écologiques, sont largement présentes dans les Voyages extraordinaires : extinction des espèces animales et des ethnies humaines, épuisement des ressources, surpopulation...

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15 Bien que dans Vingt Mille Lieues sous les mers, Jules Verne indique par la bouche d’Aronnax que « la Terre sera un jour un cadavre refroidi ». Mais il ne pensait alors qu’à la perte de la chaleur interne de notre planète. 16 Camille Flammarion, La Fin du Monde, Ernest Flammarion libraire-éditeur, Paris, 1894, (à lire sur Gallica). 17 Malheureusement, ce roman d’anticipation s’embourbe alors dans un lyrisme didactique et verbeux. 18 Jean Chesneaux, Jules Verne, une lecture politique, Maspéro, 1982 ; Samuel SadauneJules Verne et l’avenir, Veniana, n° 2, 2010, p. 47-70.


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Ă€ la vie, Ă la mort !



Alexandre TARRIEU

À la vie, à la mort ! Revue Jules Verne n° 36

Laisser filer le temps Grand-Mère Mac Carthy | Petite dérive sur un personnage vernien.

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ue celui qui ne fut pas ému par la mort de cette grande dame ose le dire !

De ce chef d’œuvre absolu qu’est P’tit Bonhomme, chef d’œuvre ignoré, décevant son public en son temps1, émerveillant le nôtre aujourd’hui, est issu ce personnage2.

1 Publié en 1893. 2 On doit au regretté Francis Lacassin la réédition de l’ouvrage en 1994, dans le volume Des enfants sur les Routes (Robert Laffont, coll. Bouquins). 3 P’tit Bonhomme, 1, VIII.

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Symbole moral, Grand-Mère Mac Carthy est la doyenne de sa famille, elle veille telle une déesse sur sa communauté, la ferme de Kerwan, incarnation des bons principes, de la bonté et de l’amour, du travail et des sentiments, face aux régisseurs impitoyables et cruels, sans cœur et sans esprits : « Une vieille de 75 ans, dont le mari dirigeait autrefois la ferme. Grand-Mère – on ne la désignait pas différemment – n’avait d’autre occupation que de filer […] autant qu’il était en elle, de n’être que le moins possible à la charge de ses enfants. »3

À la vie, à la mort !

P’tit Bonhomme est vraisemblablement le roman de Jules Verne le plus émotif, dans la mesure où il épouse le style dickensien, l’émotion s’incarnant dans une défense des paysans irlandais, l’écrivain exposant les malheurs des pauvres et, avec conviction, semble-t-il, soutenant leur cause. Mais ce n’est pas de cet éloignement des inventions extraordinaires et de la science et des habitudes stylistiques de l’auteur dont nous voulons parler mais d’un personnage unique et symbolique dans son œuvre : GrandMère Mac Carthy.


Alexandre Tarrieu

Mais que file-t-elle ? Au regard des événements à venir, ne file-t-elle pas le fil de l’humanité ? La route que l’on devra suivre pour vaincre dans ce manichéisme les forces du mal ? La Mère qui domine n’a nul besoin d’avoir un nom puisqu’elle règne sur l’empire des anges… Serviable et très attachée à la famille, elle est religieusement respectée de tous : un envoyé de Dieu qui, loin d’être à la charge des siens, agit sur toutes les décisions sans qu’aucune contradiction ne soit possible. Grand-Mère sait toujours ce qui est bon. Elle donne ainsi son nom à Jenny4, en devient la marraine5 et choisit P’tit Bonhomme pour parrain de l’enfant. Elle choisit donc ses anges, ceux qui veilleront sur l’humanité (les membres de la famille Mac Carthy, la ferme de Kerwan), lorsque viendra le jour où elle devra retrouver le ciel de son maître, du guide dont elle incarne la parole et la morale, une morale qu’elle transmettra à son apôtre, P’tit Bonhomme. Grand-Mère récompense… Après la Complainte de John Playne, elle proclame : « Nous prierons pour lui »6. Assise dans son grand fauteuil, elle est de majesté. Ce fauteuil devient le trône de la maîtresse de tous, de la parole de Dieu, de celle à qui il faut obéir. Mais elle n’existe que dans la communauté où elle est l’âme. Isolée, elle n’existe plus : « elle est seule lorsqu’il n’y a que moi à la garder ! »7 Que serait Dieu et ses incarnations sans les hommes ? pourrait-on se demander… L’avenir des siens compromis, « ses souffrances physiques se doublaient de souffrances morales »8, elle entre dans la phase de l’expiation. Lorsque vient le régisseur, symbole du mal absolu (ou du diable), elle tente d’intervenir pour faire naître un grain d’humanité en celui-ci : impossible, il n’est plus un homme ou ne l’a jamais été ? ou bien l’est-il trop ?... De jour en jour, Grand-Mère s’affaiblit : « sa triste existence ne tarderait pas à finir »9. Triste existence mais grande âme, réminiscence 4 Diminutif du prénom Jennifer dont il faut ici rappeler l’étymologie galloise : Gwen et Hwyfar qui forment le prénom Gwenhwyfar, signifiant respectivement « pur » et « doux ». 5 Du latin populaire matrina, diminutif du latin classique mater « mère ». 6 P’tit Bonhomme, 1, XIII. 7 Ibid. 1, XIV. 8 Ibid. 1, XV. 9 Id. 1, XVI.


d’une lecture de Chateaubriand ? « Une grande âme doit contenir plus de douleurs qu’une petite » (René) ; sans doute. Ce n’étaient plus des mois que Grand-Mère avait à vivre, pas même des semaines : c’étaient quelques jours seulement. Elle possédait toute sa raison, elle la conserverait jusqu’à la fin. Et une telle vitalité emplissait cette enveloppe de paysanne, elle avait tant d’endurance au mal, tant de résistance à la destruction, que la lutte contre la mort serait accompagnée sans doute d’une cruelle agonie. Enfin la défaillance surviendrait, la respiration s’arrêterait, le cœur cesserait de battre… 10. « Mon fils […] il faut souffrir !... c’est notre part ici-bas !... c’est l’expiation !... », nous disait déjà Bridget Sans-Nom11. P’tit Bonhomme part chercher un remède pour elle. Lorsqu’il revient la ferme est vide, l’éviction a eu lieu et « on n’avait pas même respecté la vieille grand-mère. Arrachée de son lit, traînée au milieu de la cour, elle avait pu se relever cependant pour maudire dans ses assassins les assassins de l’Irlande, et elle était retombée morte. » La déesse défie le diable et s’éteint, mais le message est transmis, P’tit Bonhomme en hérite et l’on sait ce qu’il en fera… Le chapitre et la première partie se termine : « Le funèbre cortège prit le chemin de Limerick. Imaginerait-on quelque chose de plus attristant, de plus lamentable, que ce cortège de toute une famille prisonnière, accompagnant le cadavre d’une pauvre vieille femme ? … ». Mais Grand-Mère a transmis et sa mort inspirera de grands cœurs et de grandes œuvres : « Puis, après avoir jeté un dernier adieu à la maison en ruine, il s’élança sur la route noire déjà des ombres du crépuscule ».12 Le fil n’est plus qu’à suivre. 67

10 Id. 1, XVI. Le chapitre est intitulé « Éviction ». 11 Publié en 1889, Famille Sans-Nom fut vraisemblablement rédigé à la même époque que P’tit Bonhomme. 12 Dernière phrase de la première partie.



Jean-Pierre PICOT

À la vie, à la mort ! Revue Jules Verne n° 36

Un Jules très Honoré, l’autre pas Pour Philippe Scheinhardt, avec mes remerciements.

« Mon cher Verne, Je vous envoie votre copie jusqu’à la fin de la troisième partie. Je ne vous ferai que deux observations générales : 1) C’est que les moyens que vous employez ne semblent pas tous plausibles, notamment la sacrée boule de neige. 2) C’est que vous donnez au docteur Antékirtt bien du mal pour ne pas lui faire accomplir jusqu’à présent grand-chose1. »

D

De par le passé, nous avons été assez enthousiaste à l’égard de Kéraban le têtu et assez critique à l’égard de Mathias Sandorf3, 1 Correspondance inédite de Jules Verne et de Pierre-Jules Hetzel (1863-1886). Établie par Olivier Dumas, Piero Gondolo della Riva et Volker Dehs, Genève, Éditions Slatkine, tome III (1879-1886), 2002, lettre n° 609, Pierre-Jules Hetzel à Jules Verne, 29 octobre 1884, p. 245.

3 Voir nos études « Le jeu subversif et souriant de Kéraban le têtu » in Bulletin de la Société Jules Verne, Paris, nos 46 et 47, 1978, ; et « Le chef-d’œuvre et son double :

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2 Voir les conclusions de Christian Robin in « Pleins feux sur L’Archipel », Jules Verne, l’Afrique et la Méditerranée, Institut supérieur des langues de Tunis, textes réunis par Issam Marzouki et Jean-Pierre Picot, Paris/Tunis, Sud Éditions/Maisonneuve et Larose, 2005, p. 58.

À la vie, à la mort !

e par le passé, nous avons été souvent sévère avec PierreJules Hetzel, et nous n’en sommes que plus à l’aise à présent pour approuver ce dernier lorsque, tout au long de l’année 1884, si malade et épuisé qu’il soit, il ne cesse de harceler Jules Verne à propos de la rédaction de Mathias Sandorf, le dernier roman de la « trilogie méditerranéenne », trilogie où se fait jour, à l’évidence, une modification de trajectoire de l’inspiration vernienne2.


Jean-Pierre Picot

et c’est sans hésitation qu’aujourd’hui nous persistons dans ces opinions de lecteur « de bonne foi ». Regardez la chronologie des Voyages extraordinaires : après les délicieux « petits romans » de 1882, le Rayon vert et L’École des Robinsons, voilà en 1883 Kéraban le têtu, feu d’artifice d’humour et de drôlerie, dans lequel à aucun moment de probables allusions autobiographiques4 ne viennent assombrir la tonalité de l’ensemble. Et puis après, jusqu’au miracle isolé – peut-être cathartique ? – que sera Sans dessus dessous en 1889, c’est fini. C’en est fini avec le Jules Verne alerte, guilleret, fantaisiste – en un mot, heureux – que tout le monde connaît et reconnaît, au détriment de l’autre Jules Verne, pourtant présent en 1879 dans Les Cinq cents millions de la Bégum (œuvre hybride s’il en est, on sait pourquoi). De Mathias Sandorf à Famille sans nom, pour s’en tenir à la décennie 80, le sérieux, la gravité, le pessimisme, voire le manque d’entrain ou de vraie motivation, se font jour dans des récits par ailleurs non dépourvus de qualités. C’est un fait, Verne cherche à renouveler son inspiration5, et il se met à faire du Hector Malot, du Dickens, du F. Cooper, du ErkmannChatrian et, dans MS (Mathias Sandorf), de l’Alexandre Dumas père. C’est un fait aussi, quant auquel de nouvelles révélations semblent se faire jour depuis peu6, que les soucis, les chagrins, les deuils domestiques, avoués ou cachés, s’accumulent sur l’écrivain au point de déborder tant sur son écriture que sur ses facultés d’écriture. Sans parler des perspectives d’entrer à l’Académie française, qui s’évanouissent définitivement en cette année 1884 précisément, dans les deux premiers mois, au point qu’il y a lieu d’émettre l’hypothèse que c’est cela qui, vers la mi-mars, casse Le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas et Mathias Sandorf de Jules Verne », communication présentée au colloque de Cerisy-la-Salle « Le roman-feuilleton » (août 1986) direction René Guise et Jean-Claude Vareille, et publiée in Bulletin de la Société Jules Verne, Paris, n° 108 (« Hommage à François Raymond »), 1993. 4 Voir Olivier Dumas, Préface de Carole Pither : Sur les traces de Kéraban, Montréal, Stanké, 2000. 5 Voir sa lettre à Pierre-Jules Hetzel du 2 décembre 1883 in Correspondance III, op. cit., lettre 580, p. 202 : « Vous comprenez ma situation vis-à-vis de notre public. Je n’ai plus de sujets dont l’intérêt soit dans l’extraordinaire, Ballon, Capitaine Nemo, etc. Il me faut donc hercher à intéresser par la combinaison » (c’est nous qui soulignons). 6 Voir les Bulletins de la Société Jules Verne, nos 157 et 159, année 2006, contenant les enquêtes de M. Norbert Percereau, ainsi que les déductions qu’il en retire.


l’élan de Jules Verne juste au moment où il achève la Première partie de MS. Mais ce n’est qu’une hypothèse. Et Pierre-Jules Hetzel ne peut plus se servir de sa main droite, et c’est sa femme qui lui lit la Première partie, et c’est un secrétaire qui, sous la dictée écrit son courrier – mais ce redoutable « accoucheur » de l’œuvre vernienne7 a gardé toute sa sagacité et toute son acuité critiques, et son sens de la formule juste mais assassine aurait fait de lui un redoutable Rapporteur de jury de Thèse ! « Vous donnez au docteur Antékirtt bien du mal pour ne pas lui faire accomplir jusqu’à présent grand-chose », voilà qui est admirablement dit, s’agissant ici des deuxième et troisième parties. Qu’on nous permette à présent d’être franc, familier, factieux et fulminatoire : Qu’est-il arrivé à Jules Verne entre la première et la deuxième partie de MS ? Qu’est-il arrivé à Mathias Sandorf lorsqu’il s’est métamorphosé en Dr Antékirtt ?

Dès la Deuxième partie, il se mêle, et avec quelle violence et quelle autorité8 de s’opposer à l’amour que Pierre Bathory éprouve pour Sava Toronthal – comme si Pierre Bathory n’était autre qu’un certain Verne Michel, comme si Sava Toronthal s’appelait en réalité Thérèse Taton ou Jeanne Reboul.

8 Voir II, vi, « Les bouches de Cattaro » : « Cet amour, n’importe comment, je le briserai ! » ; et, page suivante : « Peu importe ! répéta-t-il ! Ce cœur, je le briserai. » C’est du « cœur » de Pierre (sic) qu’il s’agit.

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7 C’est le titre auquel il consent lui-même, à propos d’un article de Francisque Sarcey (paru dans Le Temps) qui pouvait prêter à confusion quant à son rôle dans la rédaction des Voyages extraordinaires ; voir Correspondance, op. cit., lettre n° 531, p. 136.

À la vie, à la mort !

Si Edmond Dantès avait eu à subir la même métamorphose lorsqu’il devient comte de Monte-Cristo, il est certain que Danglars, et Fernand, et Villefort pouvait continuer à dormir sur leur deux oreilles. C’est bien plutôt et les Morrel, et Haydée, et Noirtier qui auraient été en grand danger d’être abattus par un vengeur inappliqué. Force est de constater que le Dr Antékirtt n’est qu’un héros distrait, inefficace et gaffeur.


Un Jules très Honoré

Dans la troisième partie, il réussit à enchaîner la quasi-perdition de son croiseur le Ferrato, pourtant « merveilleux bâtiment »9, avec le monumental pas de clerc que constitue l’ascension de l’Etna, supposée permettre la capture de Carpena, alors que ledit Carpena se présente accompagné de cinquante bandits10. Mais c’est dans la cinquième partie que les judicieuses stratégies de ce docteur, qui n’est pourtant pas un « docteur borgne » comme le Pangloss du Candide de Voltaire, se haussent jusqu’au ridicule. Ce sont les deux mille cinq cents kilomètres accomplis à bord de l’Électric 2 depuis l’île d’Antékirtta jusqu’à Tétuan au Maroc, afin d’y retrouver Sava ; puis, comme elle n’y est plus, les deux mille cinq cents kilomètres et quelque, accomplis de Tétuan jusqu’à Tripoli en Libye, comme si le Docteur était incapable de disposer d’informateurs sûrs sur toute la côte méditerranéenne. De quoi faire se retourner plus d’une fois le bon Alexandre Dumas dans sa tombe ! Qu’est-ce donc que ce Dr Antékirtt, autoritaire, cassant, sûr de son infaillibilité, psychorigide, muré dans ses idées fixes, et incapable de communiquer autrement que par messages comminatoires11 ? S’il faut lui faire une place dans la galerie des personnages verniens, ce sera bien plutôt à côté du mathématicien Palander12 ou du cousin Bénédict13, qu’à côté de Ferguson, Glenarvan, Barbicane ou… Mathias Sandorf quinze ans plus tôt. Il y a vingt ans nous avions supposé, avec quelques preuves à l’appui, que Verne avait peutêtre représenté en Sandorf le Hetzel de 1848 et de 1851, l’exilé républicain et le chef de cabinet de Lamartine, tandis que le Dr Antékirtt n’était autre que le Pierre-Jules Hetzel vieilli, autoritaire et empêcheur d’écrire en rond dont notre écrivain avait quelque raison d’être parfois excédé ; aujourd’hui, force est de nous demander si Jules Verne, consciemment ou non, ne s’est pas autoreprésenté, tel qu’il était dans les années 60, et tel qu’il est devenu « vingt ans 9 III, iv, « Sur les parages de Malte ». 10 III, vii, « La casa inglese ». 11 On remarquera que deux ans après, le personnage de Robur se révèle tout aussi psychorigide et fermé. Ce n’est certainement pas un hasard. 12 Aventures de Trois Russes et de Trois Anglais dans l’Afrique australe 13 Un Capitaine de quinze ans


après »14. En somme, la première partie est une réussite et laisse augurer d’un grand roman ; ensuite c’est à la Méditerranée, et à elle seule, de conférer aux quatre parties restantes un fil conducteur digne d’intérêt. Verne répugne-t-il à mettre en scène un personnage supposé omnipotent, ou était-il lui-même excédé et fatigué de l’ampleur du projet15 ? On s’en doute, la dédicace à Alexandre Dumas fils apparaît comme un pavé de l’ours que Verne s’assène à luimême : « […] Dans cet ouvrage, j’ai essayé de faire de Mathias Sandorf le Monte-Cristo des VOYAGES EXTRAORDINAIRES. » Le hic de l’affaire, c’est que l’on ne refait pas un chef-d’œuvre. Il faut donc chercher tout au long de MS les linéaments de ce qui aurait pu constituer un récit réussi, sans tunnels diégétiques et sans héros fatigué. Certes, la Méditerranée, parcourue et visitée par Verne à bord de son Saint-Michel III, permet de faire de l’ensemble du récit un parfait roman d’exploration géographique, auquel il suffit d’ajouter l’utopique île d’Antékirtta, six ans à peine après l’utopique cité de Franceville dans Les Cinq cents millions de la Bégum. Mais s’il s’agissait vraiment pour l’écrivain de procéder à un remake de Monte-Cristo, il est évident qu’un schéma mythique s’imposait d’emblée, celui 14 Cas de figure analogue, selon nous dans le Château des Carpathes, avec Franz de Telek et Rodolphe de Gortz, voire dans WS avec les deux frères Vidal. 15 Dans l’écriture vernienne, il y a à cet égard un véritable symptôme bien révélateur d’une « écriture galérienne » : c’est l’usage, répété, en début de paragraphe, de la locution : « il va sans dire que… ». Allez-y voir ! et jusque dans les romans posthumes.


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de la mort et de la résurrection. Chez Dumas, on devine sans peine que les quatorze années subies par Edmond Dantès au château d’If (il a trente-trois ans, l’âge du Christ, quand il s’en évade, ce n’est pas sans signification !) sont en analogie évidente avec une nekuia ou une catabase, id est un séjour chez les morts : ce n’est pas un hasard si les élégances parisiennes trouvent au comte de MonteCristo une forte ressemblance avec Lord Ruthwen, le vampire mondain de la nouvelle de Polidoni reprise de Byron. En filigrane, on peut y voir le mythe de l’empereur Frédéric Barberousse endormi, appliqué à napoléon, dont on espère qu’il n’est pas mort et qu’il reviendra de son île – l’autre, celle de Sainte-Hélène. À défaut du mythe vampirique, Verne applique donc à son propre récit les traditionnels stéréotypes du mort-vivant, et Antékirtt ne se fait jamais faute de se présenter comme un revenant d’entre les morts. Mais l’une des originalités du récit vernien par rapport à son modèle réside dans le « balisage » funéraire de l’intrigue, qui est comme déployée tout autour de la Méditerranée entre trois cimetières16 : c’est tout d’abord le cimetière de Trieste, « près de la cathédrale byzantine de SaintJust, un enclos, jadis un cimetière, devenu un musée d’antiquités » ; c’est là, parmi les urnes et les pierres tombales, que dès le ch. i Zirone et Sarcany capturent un pigeon voyageur porteur d’un message codé : s’en suivront comme on sait trahison, arrestations et morts – et absence. Le deuxième cimetière, c’est celui de Raguse, cité où s’est réfugiée la veuve d’Étienne Bathory avec son fils Pierre ; il 16 Voir notre étude publiée à la suite d’un colloque tenu à Nancy en octobre 1980 : « Étude sur les tombeaux verniens » (500, MS, TE), in La Mort en toutes lettres, sous la direction de Gilles Ernst, Presses universitaires de Nancy, 1983, p. 159.


y a dans ce cimetière une chapelle funéraire, celle de la famille Bathory et c’est là qu’a été inhumé Étienne Bathory, fusillé par les Autrichiens, c’est là qu’est inhumé (II, viii) son fils Pierre après son « suicide ». Et le troisième cimetière, hautement problématique comme on le verra, c’est lui de l’île d’Antékirtta — dont on peut d’ores et déjà affirmer qu’il a été voulu et exigé par Pierre-Jules Hetzel. On n’oubliera pas cependant de mentionner le supposé « tombeau de Saint-Louis »17 qui redevient simple « chapelle Saint-Louis », monument situé en haut de la colline de Carthage, visité par Verne en 188418 et qui est salué dans MS, IV, ch. vi, « L’apparition », juste avant qu’Antékirtt et ses compagnons ne retrouvent enfin Mme Bathory, devenue folle et disparue de Raguse après la « mort » de son fils Pierre. L’ensemble de MS présente donc un caractère thanatologique autrement plus affirmé que Le Comte de Monte-Cristo ; on sait d’autre part, pour peu que l’on s’intéresse au statut romanesque de la féminité chez Verne19 combien la mort est dans les pages de ses récits « d’amour fou » associée à l’invisibilité, et à la folie. Dans MS, on retrouve ces trois occurrences homéomorphiques – le Dr Antékirtt se faisant un devoir de déclarer que « la mort ne

18 Voir notre étude « La chapelle Saint-Louis de Carthage : entre politique et imaginaire » in Jules Verne, l’Afrique et la Méditerranée, op. cit., p. 79-90. Lorsqu’il rédige MS, Verne sait désormais que ce monument n’a jamais été le « tombeau » de SaintLouis ; et il ne peut ignorer que c’est là qu’en 1883, son ami et bienfaiteur Ferdinand de Lesseps a fait réinhumer les restes de son père Mathieu de Lesseps, mort à Tunis où il avait été consul de France en 1830. On peut toujours, aujourd’hui, y voir la plaque tombale de Mathieu qui y a été transportée après la désaffection du cimetière français de Saint-Antoine à Tunis.

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19 Voir entre autres Christian Chelebourg : « Le Blanc et le Noir – Amour et mort dans les Voyages extraordinaires, Bulletin de la Société Jules Verne, n° 77, 1986 ; Jean-Pierre Picot, « La Morte-vivante et la femme sans ombre », Revue des Lettres modernes, Jules Verne 5, « Émergences du fantastique », Paris, Minard, 1987. À propos de cette étude, rédigée début 1985 après avoir pris connaissance de la version originale de Wilhelm Storitz, nous tenons à préciser que nous renions purement et simplement la note 3, trop aimablement rédigée pour faire plaisir à quelques verniens « mode » de l’époque !

À la vie, à la mort !

17 C’est ainsi qu’il est nommé dans Hector Servadac.


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détruit pas, elle ne rend qu’invisible20. » C’est autour d’elles que Verne bâtit l’une des séquences les plus spectaculaires, montrant par là combien son roman aurait pu être une réussite s’il avait su camper un Dr Antékirtt plus humain, plus sujet au doute, et, peutêtre, moins systématiquement endeuillé. Car dans Monte-Cristo, il y a Mercédès, et il y a Haydée, avec qui le comte peut « refaire sa vie » ; Antékirtt, lui, à qui l’on souhaiterait d’être sensible aux qualités de Maria Ferrato, vit dans le souvenir de son épouse disparue, et de sa fille qu’il croit aussi disparue, ne sachant qu’elle n’est autre que Sava Torenthal. Cette séquence, haute en significations diverses sur lesquelles nous ne nous étendrons guère21, c’est donc celle des « cimetières » de l’île Antékirtta, sur laquelle s’achève le chapitre, déjà cité, « L’apparition ». On sait ce qu’il en est : le docteur et son « fils sublime » Pierre Bathory viennent enfin de retrouver madame Bathory, devenue folle après la « mort » de son fils Pierre, et vivant une vie misérable dans une petite bâtisse — en fait, un marabout22 ! à Carthage. Folle, au point qu’elle ne reconnaît même pas son fils Pierre, qu’elle croit inhumé pour toujours au cimetière de Raguse. Le docteur, cela lui arrive parfois, va donc avoir un coup de génie, et va tenter une thérapeutique de choc pour tenter de faire retrouver la raison à la malheureuse : Le docteur fit donc appel à Borik, à Pointe Pescade, afin de reconstituer, avec une exactitude suffisante, la disposition du cimetière de Raguse et la forme du monument funéraire qui servait de tombeau à la famille Bathory. Or, dans le cimetière de l’île, à un mille d’Artenak, sous un groupe d’arbres verts, s’élevait une petite chapelle, à peu de chose près pareille à celle de Raguse. Il n’y eut qu’à tout disposer pour rendre plus frappante la ressemblance des deux monuments. Puis, sur le 20 MS, II, ch. viii, « Complications », dernière ligne. 21 Nous renvoyons à notre « Étude sur les tombeaux verniens », voir supra note 14. Dans cette étude très généraliste, n’étaient envisagées ni les correspondances Hetzel-Verne, ni la version originale, ni la nouvelle de Balzac. 22 Verne ne pouvait ignorer (cf. le chapitre i de L’Invasion de la mer) qu’un marabout est le tombeau d’un saint musulman. À chacun d’y voir une prolepse par rapport à la fin du chapitre, ou une représentation métaphorique de la folie.



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mur du fond, on plaça une plaque de marbre noir, portant le nom d’Étienne Bathory avec la date de sa mort : 1867. Le lecteur, lui, sait de quoi il retourne : il a déjà visité au chapitre ii de la deuxième partie, la chapelle funéraire authentique de la famille Bathory ; il est d’ailleurs intéressant, on verra pourquoi, de comparer les deux illustrations réalisées par Benett pour l’un et l’autre épisode. Là, sur l’île Antékirtta, le docteur se fait bel et bien dramaturge et metteur en scène, en procédant à une reconstitution, préalable à une représentation. La représentation ne sera ni plus ni moins que celle de la résurrection de Pierre Bathory, sortant « en pleine lumière », « couvert d’un linceul blanc ». Entre temps, plusieurs soirs de suite, Madame Bathory aura été conduite devant cette chapelle funéraire, dans ce cimetière, et ce jusqu’à ce qu’elle « reconnaisse » tout d’abord le cimetière de Raguse et la chapelle Bathory dans ce qui n’en est que la reproduction, le fac-similé. Et la thérapeutique de choc réussit, Madame Bathory retrouve la raison, et peut enfin livrer l’incroyable secret dont elle était détentrice : la fille du docteur est vivante. Nos trois occurrences homéomorphiques sont donc ici rassemblées, avec beaucoup de maestria de la part de Jules Verne : 1– Aux yeux de Madame Bathory, son fils Pierre sort de la mort. 2 – Aux yeux de tous, Madame Bathory sort de la folie. 3 – Aux yeux du docteur Antékirtt, sa fille Sava sort de l’invisibilité. Et le récit peut continuer, augmenté d’un nouvel enjeu très mélodramatique : retrouver Sava, et, pour ce faire, l’arracher aux mains de l’affreux Zirone qui tient absolument à l’épouser de force pour hériter de sa fortune. Il n’y a que dans les romans que l’on voit cela ! Mais le lecteur attentif, surtout s’il a déjà lu Les Cinq cents millions de la Bégum et la représentation détaillée de Franceville qui y figure au chapitre x, et puis s’il a en mémoire tel épisode de L’Ile à hélice (la


fin du chapitre xi de la Deuxième partie, pour être précis), ne peut qu’être gêné, surpris, intrigué par un détail d’importance : car, dès le début des préparatifs de cette psychothérapie mimodramatique, il y a comme une invraisemblance. Voyez-vous laquelle ? Et bien entendu, c’est la faute à Hetzel. Mais il faut aller voir dans les cuisines, c’est-à-dire dans la correspondance entre les deux Jules, et, si possible, dans les manuscrits. Lettre à Jules de Pierre-Jules Hetzel, en date du 7 décembre 1884 : « En remontant jusqu’au fait de la guérison de la mère de Bathory par la réapparition de son fils, pourquoi au lieu de reconstruire un cimetière artificiel, ne supposeriez-vous pas qu’il en existe un par hasard là, dans l’île d’Antékirtta, qui rappelle suffisamment celui de Raguse.

Voilà. On appréciera l’humour involontaire de Hetzel, souhaitant sur Antékirtta l’existence d’un cimetière « par hasard ». On s’interrogera aussi sur sa mémoire défaillante, ou sur son inconscient facétieux (« sans que je sache pourquoi »). Mais l’essentiel est dit, à savoir que sur le manuscrit d’origine, le cimetière d’Antékirtta, tel un décor de théâtre ou telles les fausses ruines que les richissimes Anglais faisaient construire dans leurs parcs fin XVIIIe siècle, n’était autre qu’un vaste fac-similé fabriqué pour l’occasion24. Stuc et carton-pâte, en somme ; et ce très logiquement : dans un site utopique de création récente, il ne peut, sauf à subvertir toute vraisemblance, y avoir de nécropole ancienne. Mais Hetzel, le 29 décembre, enfonce le clou : « L’île d’Antékirtta n’est pas l’île de Robinson, c’est une colonie déjà nombreuse et prospère. Une colonie ne vit pas, ne subsiste pas pendant quinze ans, sans État régulier25. » 24 Voici donc la version d’origine, transcrite très obligeamment à notre intention sur le manuscrit MJV B147 par Philippe Scheinhardt : 25 Correspondance III, op. cit., lettre n° 619, p. 259.

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23 Correspondance III, op. cit., lettre n° 252, p. 253.

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Cette construction, ce décor arrangé m’a, sans que je sache bien pourquoi, gâté la scène et lui a ôté de son pathétique. »23


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Et le pauvre Jules Verne va céder sur toute la ligne, non sans protester : « Ce n’est pas depuis 15 ans, mais depuis 4 ou 5 ans seulement que le docteur a acquis l’île Antékirtta. Il l’a prise absolument nue, et il l’a colonisée. Ceci est absolument posé26. » Rien n’y fera, et le lecteur de la version éditée de MS est donc prié d’accepter que la toute neuve colonie d’Antékirtta soit nantie d’un cimetière ancien. Mais Hetzel était-il sincère quand il écrivait que, sans savoir pourquoi, un cimetière entièrement en « décor arrangé » lui « gâtait la scène » ? Ne voulait-il pas, par délicatesse, éviter de signifier à son auteur vedette que, telle quelle, cette scène était propre à faire soupçonner quelque plagiat sous roche ? Dans une belle lettre nostalgique envoyée quatre mois plus tôt, répondant à Verne qui venait de lui raconter avec quel bonheur il avait encore relu Stendhal, Hetzel se remémorait ses échecs financiers des années 1840, lorsqu’il avait tenté de mettre le public devant des auteurs qui lui tenait à cœur : Stendhal, George Sand, et puis un troisième : « Il est rarement bon pour un éditeur de devancer le goût du public et de juger mieux que lui et plus vite. Croirait-on que j’ai bu un autre bouillon plus considérable avec la Comédie humaine de Balzac, in 8° […]. Il était de cinq à dix ans trop tôt quand j’ai fait cela27. » « Cela », c’était le contrat de 1841 signé pour l’édition de l’œuvre de Balzac entre l’auteur et l’association d’éditeurs DubochetFurne-Paulin-Hetzel28, et que Furne poursuivra seul après 1845. Hetzel n’était donc plus concerné, ayant bu assez de bouillon, par la publication du tome XVI de la Comédie humaine en 1846, tome consacré aux Études philosophiques, et qui comprenait L’Enfant maudit, Adieu et Les Marana, autant de nouvelles relativement longues rédigées autour de l’année 1830. Titré à l’origine Souvenirs soldatesques/Adieu lors de sa première publication dans le journal 26 Ibid., lettre n° 620, p. 260. 27 Ibid., lettre n° 599, p. 230. 28 Voir in Un éditeur et son siècle/Pierre-Jules Hetzel (1814-1886), ouvrage collectif dirigé par Christian Robin, ACL Édition, 1988, Société Crocus (sic), « repères biographiques », p. 22.


La Mode en mai-juin 1830, le récit définitivement intitulé Adieu devait prendre place dans le recueil des Scènes de la vie militaire que Balzac projetait d’inclure dans sa Comédie humaine, mais qu’il ne mena jamais à bien.

Balzac a probablement été inspiré par l’histoire de Victor, l’enfant sauvage de l’Aveyron, Mowgli hélas plus vrai que la fiction de Kipling, puisqu’il ne se sut jamais dire que « Oh Dieu ! » après avoir fait l’objet d’une dévouée tentative de rééducation de la part du docteur Itard, tentative vouée à l’échec puisque Victor ne sortira jamais de son état d’animalité31. Dans Adieu ; c’est la comtesse de Vandières, mariée trop jeune au vieux général de Vandières, qui perd la raison lors du passage de la Berezina, en cirant « Adieu » à celui qu’elle aime de manière réciproque, le courageux Philippe de Sucy, lequel restera prisonnier des Russes, tandis qu’elle, ballottée à travers toute l’Europe aux basques d’une Grande Armée en totale décomposition, ne sera que miraculeusement retrouvée

30 Pierre Citron, ibidem. 31 On doit à cet authentique fait divers des années 1820 l’un des long-métrages les moins mauvais du cinéaste François Truffaut, L’Enfant sauvage (1969), dans lequel le réalisateur tenait lui-même le rôle du docteur Itard.

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29 In Balzac, La Comédie humaine, collection « L’Intégrale », Éditions du Seuil, 1966, tome 7, présentation de Adieu p. 43. Nous saluons ici le souvenir de ce grand balzacien, ami et éditeur de Giono, impeccable spécialiste de Bartók ou de Berlioz, avec gratitude.

À la vie, à la mort !

Si notre cher maître Pierre Citron parle de Adieu comme d’un « récit quelque peu mélodramatique »29, cette nouvelle n’en est pas moins intéressante, puisqu’elle s’inscrit dans la tradition romanesque et épique post-napoléonienne chère aux écrivains romantiques français et annonce à bien des égards le balzacien Colonel Chabert, et que d’autre part elle illustre, en tant que texte « philosophique », la théorie de l’énergie (mise en œuvre dans La Peau de chagrin, entre autres) qui implique que « la pensée est un fluide qui s’accumule et qui peut foudroyer comme une décharge électrique »30. Est-ce à cette théorie balzacienne que songeait Jules Verne lorsqu’il prête à Antékirtt de bien obsolètes capacités de magnétiseurs ? Toujours est-il, et c’est l’essentiel, que les dernières pages du chapitre « L’apparition » dans MS offrent des similitudes plus que criantes avec le tragique dénouement de Adieu.


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par son oncle, le docteur Fanjat, qui la garde comme un gracieux animal en liberté dans une vieille abbaye dotée d’un vaste parc, parc tout aussi sauvage que sa pensionnaire. Elle grimpe aux arbres, supporte avec peine d’être vêtue, accourt quand on lui offre du sucre, et s’exclame « Adieu » à tout bout de champ. Philippe de Sucy, revenu de Russie, vit jour après jour un long calvaire auprès de son amante d’autrefois devenue sauvageonne, passe par la tentation du suicide et de ce qui ne s’appelle pas encore officiellement l’euthanasie active, puis, revenu chez lui, se consacre des mois durant à l’élaboration d’une « représentation tragique » dont il espère que la vue rendra la mémoire et la raison ensemble à Stéphanie – c’est ainsi qu’elle se prénomme. Les pages saisissantes où Balzac décrit la retraite de la Berezina sont « enchâssées » au milieu de la nouvelle qui, sinon, est construite sur le mode de la linéarité chronologique. C’est donc à un effet de remémorisation lectorielle toute fraîche de la part de son lecteur qu’Honoré de Balzac fait appel ici : « Le baron avait, sur la foi d’un rêve, conçu un projet pour rendre la raison à la comtesse. […] Une petite rivière coulait dans son parc, où elle inondait en hiver un grand marais qui ressemblait à peu près à celui qui s’étendait le long de la rive droite de la Berezina. […] Le colonel rassembla des ouvriers pour faire creuser un canal qui représentât la dévorante rivière où s’étaient perdus les trésors de la France, Napoléon et son armée. […] Le colonel fit apporter des débris semblables à ceux dont s’étaient servi ses compagnons d’infortune pour construire leur embarcation. Il ravagea son parc, afin de compléter l’illusion sur laquelle il fondait sa dernière espérance. Il commanda des uniformes et des costumes délabrés, afin d’en revêtir plusieurs centaines de paysans. Il éleva des cabanes, des bivouacs, des


batteries qu’il incendia. Enfin il n’oublia rien de ce qui pouvait reproduire la plus horrible de toutes les scènes, et il atteignit à son but. Vers les premiers jours du mois de décembre, quand la neige eut revêtu la terre d’un épais manteau blanc, il reconnut la Berezina. Cette fausse Russie était d’une si épouvantable vérité, que plusieurs de ses compagnons d’armes reconnurent la scène de leurs anciennes misères32. » Avec l’aide du docteur Fanjat, le concours de centaines de figurants, lui-même et Stéphanie habillés de vêtements identiques à ceux qu’ils portaient lors de la journée fatale, le colonel procède donc à la « fatale représentation ». Qui est un succès : Stéphanie devant ce bloc de passé ressurgi tel quel, retrouve la mémoire et la raison, se jette dans les bras du colonel, lui dit « Adieu, Philippe. Je t’aime, adieu ! ». Et elle meurt33.

Mais le récit y perd beaucoup, et la figure du Dr Antékirtt aussi. 32 Balzac, Adieu, collection « Libretti », « Le Livre de poche, n° 13679 », présentation et notes de Lucette Vidal, Librairie générale d’éditions, 1995, p. 86-87.

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33 « Stéphanie fondait en larmes. Tout à coup ses pleurs se séchèrent, elle se cadavérisa comme si la foudre l’eût touchée, et dit d’un son de voix faible : – Adieu, Philippe. Je t’aime, adieu ! – Oh ! elle est morte, s’écrit le colonel en ouvrant les bras. » Et, une dizaine de lignes plus bas, cette remarque, à laquelle il faut prêter très attention, de son oncle le docteur Fanjat. « Elle est déjà froide. » Adieu, op. cit., p. 90 et 92.

À la vie, à la mort !

Il n’est pas nécessaire de préciser ici tout ce que la scène du cimetière d’Antékirtta semble devoir à ce texte superbe, dont il apparaît plus qu’improbable que Verne ne l’ait pas lu, ou alors il faudrait admettre une coïncidence étonnante, deux auteurs d’envergure ayant eu à un demi-siècle de distance la même idée dramaturgiquement et poétiquement géniale. Est-il permis de supposer que si Verne ne s’est pas gendarmé, comme il savait le faire à l’occasion, pour imposer à Hetzel sa version originale, c’est parce qu’il savait bien qu’il n’en était pas totalement l’inventeur ? Il reste beaucoup à découvrir, on le sait, des influences balzaciennes sur la totalité de l’œuvre vernienne, y compris en dehors des Voyages extraordinaires.


Un Jules très Honoré

Certes, la thérapie s’avère efficace, et, bien loin de mourir en revenant au monde, Madame Bathory ressuscite littéralement la fille d’Antékirtt ; car la « représentation » du cimetière d’Antékirtt joue sur le fantasme d’une réversibilité de la temporalité événementielle et prétend annuler non seulement le souvenir, mais aussi et surtout l’acte de la mise au tombeau accompli au cimetière de Raguse. D’où le caractère mélodramatique de l’« apparition », dont témoigne le simple fait que Pierre est « vêtu d’un linceul blanc ». C’est à l’évidence le mythe de Lazare qui est ici représenté, comme il l’est aussi, de plus singulière façon encore, dans l’ultime chapitre du Testament d’un excentrique34. Mais il s’agit aussi, que Verne l’ait voulu ou non, d’une parabole sur les pouvoirs de l’écriture. Cette réversibilité temporelle qui est impossible dans le monde réel le devient dans l’utopie scripturale, où l’écrivain est maître du jeu, libre de raturer, libre de tuer ou de donner la vie à ces instances que sont les personnages. Ce que Balzac donnait à voir dans Adieu, en conférant ostensiblement à Philippe de Sucy les pouvoirs et les attributs d’un dramaturge complet (metteur en scène, décorateur, costumier, régisseur et acteur) c’est une représentation idéale, qui non seulement représente mais encore reproduit le réel et le passé avec suffisamment d’efficience dans l’artifice pour faire revenir au réel, c’est-à-dire à la raison, celle dont la raison était morte face à un événement affectivement insupportable – la folie de l’Histoire, culminant lors du passage de la Berezina, s’avère immanquablement psychopathogène. Le fragment de réel historique que Philippe s’acharne à reconstituer, c’est un deuil individuel et collectif, dont lui-même a sa part ; si Balzac parle de « représentation tragique », c’est bien parce que l’épisode de la Berezina inspire terreur et pitié ; c’est aussi parce que représenter cet épisode est supposé – est espéré – avoir une fonction cathartique ; à poursuivre ce raisonnement, il y aurait donc lieu de se demander pourquoi la catharsis foudroyante provoquée par la représentation aboutit à la mort, quand l’événement historique avait conduit, lui, à la folie. Le texte même de la nouvelle laisse à supposer que, à l’instar du 34 II, ch. xv, « Dernière excentricité » (sans que l’on sache si c’est la « résurrection » du milliardaire ou son mariage avec Jovita qui est ainsi appelé !). Voir notre « Étude sur les tombeaux verniens », op. cit., p. 164-167.


magnétisé que Poe représente dans sa nouvelle The facts in the Case of M. Valdemar, Stéphanie était morte depuis le passage de la Berezina.

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Un Jules très Honoré, l’autre pas. Dans MS, à faire de l’Alexandre Dumas, Verne s’est retrouvé dans ce chapitre-ci à faire de l’Honoré de Balzac, et pas des moindres, car ces textes des années 1830 portent déjà la marque du génie. Hetzel, lui, qu’il ait ou non reconnu Adieu, n’a pas voulu d’Honoré, ou, sinon, très peu. Il est heureux qu’il n’ait pas exigé de Verne qu’il transporte le docteur, Pierre Bathory et sa mère folle, et tous les participants de cette mise en scène, jusqu’à l’authentique cimetière de Raguse – et il est bien révélateur que Verne n’ait jamais eu cette intention. Il fallait que l’île d’Antékirtta soit le théâtre d’un cérémonial cathartique de mort et de résurrection, d’une « représentation tragique » à l’issue de laquelle Antékirtt-Sandorf se retrouverait père d’une fille disparue mais vivante. La récente actualité de la recherche

À la vie, à la mort !

On comprend donc que Verne ait souhaité que l’épisode de « L’apparition » soit intégralement une mise en scène. Car l’homme qui réalise une utopie (Antékirtta) est un double de l’écrivain, lui dont l’utopie se nomme écriture. Et puis, en décembre 1884, Verne n’était-il pas sous le coup de l’échec essuyé par sa pièce de théâtre Kéraban le têtu l’année précédente, échec que le public et les critiques n’avaient pas manqué d’imputer au fait que notre écrivain avait prétendu se faire dramaturge tout seul, sans l’aide de Dennery ? N’a-t-il pas souhaité, dans MS, se représenter, sous les traits du docteur, en dramaturge qui met en place, tout seul, sans collaborateur professionnel, une scénographie extrême, celle de la mort et de la résurrection – et réussit au-delà de toute espérance ? A contrario, il y a lieu de se demander si le roman MS, que nous persistons à considérer comme un chef-d’œuvre raté, n’aurait pas valeur d’acte manqué, dès lors que Jules l’a rédigé avec l’aide d’un correcteur posthume, à savoir Alexandre Dumas père ; la question se pose dans les mêmes termes s’agissant des œuvres « en collaboration posthume » avec le pasteur Wyss ou Edgar Poe, à savoir Seconde Patrie et Le Sphinx des glaces.


Jean-Pierre Picot

vernienne35 nous invite aussi à nous demander si Verne n’aurait pas rêvé, parfois, d’une Estelle sortant de sa tombe du cimetière de Soissons pour venir lui révéler, ou lui confirmer, qu’il est le père d’une fille prénommée Claire-Marie. Mais en l’absence de preuve irréfutable, nous nous garderons soigneusement de prendre parti. Ce serait trop beau, c’est-à-dire trop romanesque, c’est-à-dire trop vrai36.

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35 Voir le n° 159 (septembre 2006) du Bulletin de la Société Jules Verne, avec les publications convergentes de Norbert Percereau (« Le secret de La Fiancé invisible »), Olivier Dumas (« Paris au XXe siècle revisité ») et Éric Weissemberg (« Estelle (?) ». La méthode par laquelle M. Percereau passe d’une impeccable enquête à partir de pièces officielles, registres d’état civil et autres – et dont chacun a pu apprécier l’excellence à propos de ses investigations concernant l’attentat perpétré par Gaston Verne contre son oncle –, à l’affirmation que Claire-Marie Duchesne serait la fille de Jules Verne, cette méthode nous laisse en l’état actuel aussi sceptique que réticent. 36 À ce propos, nous nous sommes demandé vainement à quoi pouvait correspondre la date du 18 novembre, date à laquelle se passe le « retour à la vie » de Madame Bathory. Il n’en est que plus « curieux » de constater (cf. N. Percereau, supra, p. 20) que Claire-Marie Duchesne s’est remariée avec un beau militaire un 18 novembre (1907, à Soissons). Quand on sait avec quelle énergie elle a voulu, n’étant pas majeure, que son premier mariage ait lieu le 12 juin 1886, parce que le 12 juin était la date de l’anniversaire de sa mère Estelle, on peut se poser des questions !… Sans plus. Ajoutons qu’il nous serait très pénible, si les hypothèses de M. Percereau se vérifiaient, d’avoir à penser que Jules Verne, sachant qu’il était père d’une fille orpheline de sa mère à l’âge de quatre mois, n’aurait jamais RIEN fait pour la rencontrer, lui écrire, la reconnaître, la « coucher » sur son testament, etc. Sandorf, lui, remue ciel et terre et Méditerranée pour retrouver sa fille Sava.




Carmelina IMBROSCIO

À la vie, à la mort ! Revue Jules Verne n° 36

Du tarissement de l’âme à la dissolution du corps Le thème de la mort dans Frritt Flacc

a veine fantastique qui anime les contes de Jules Verne, ceux qui remontent à ses débuts comme ceux qui ont paru lors de la maturité, a été largement explorée par la critique moderne, qui y a reconnu une inspiration orientée vers l’extraordinaire non rationnel, frôlant le prodigieux et le surnaturel, souvent teintée de pessimisme. Si, comme on l’a constaté, cette veine ne s’est pas tarie au cours de la longue activité de l’écrivain, c’est que Verne y exprime une conception du monde durable, qu’il n’a jamais cessé de cultiver et qui se manifeste surtout dans ses contes, libres des engagements éditoriaux qui marquaient les Voyages extraordinaires (dans lesquels pourtant elle affleure), auxquels les lecteurs demandaient un effort de vulgarisation scientifique nourrie d’optimisme technologique. En découle une approche critique qui met en relation, par exemple, Maître Zacharius ou l’horloger qui avait perdu son âme (1854) et Frritt Flacc, parus à un intervalle de trente ans, avec un aperçu sur Paris au XXe siècle, roman insolite et méconnu écrit en 1863 et resté inédit jusqu’à nos jours, et sur Édom1, récit beau et amer de l’extrême maturité, en vérité plus dystopique que fantastique. C’est de la lecture de Frritt Flacc2, délicieux conte bref, au ton

2 Frritt Flacc a paru une première fois dans Le Figaro Illustré (déc. 1884) et plus

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1 Inutile de s’attarder ici sur la question, encore ouverte, de la paternité de ce récit posthume (Bulletin de la Société Jules Verne, n° 100, 1991). Si certains critiques l’attribuent entièrement au fils de Jules Verne, Michel, d’autres y voient le résultat d’une collaboration à quatre mains.

À la vie, à la mort !

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Carmelina Imbroscio

ironique, au langage dégagé, au rythme soutenu, aux assonances et onomatopées suggestives, que découlent ces quelques réflexions sur le fantastique et ses thèmes, surtout celui de la mort. Comme on le sait, le personnage principal est le docteur Trifulgas, médecin à Luktrop – une contrée imaginaire et sinistre –, homme avare qui n’accepte de se rendre au chevet d’un moribond qu’après avoir obtenu des pauvres parents du malade une rémunération adéquate. La nuit est lugubre, le vent siffle (frritt), il pleut à verse (flacc), le volcan qui domine le village vomit des flammes rougeâtres. Croyant être parvenu à la demeure de son assisté, il constate, halluciné, qu’en réalité la maison est la sienne et que c’est lui-même qui se trouve dans le lit, en train de mourir : « Et le docteur Trifulgas, malgré tout ce qu’a pu lui inspirer la science, se meurt entre ses mains »3. La mort de Trifulgas est annoncée dès le début par un contexte lugubre digne de la tradition gothique4. Dans la nuit en question tous les éléments se sont coalisés pour se déchaîner : la « rafale mugissante » des vents « courbe les arbres » ; dans les flammes du volcan « paraissent se démener de grandes silhouettes falotes » ; au loin, on aperçoit la mer « blanche d’un blanc livide, – un blanc de deuil ». D’autres détails préparent le final dramatique : dans deux passages les cloches sonnent, mises en branle par l’ouragan, et dans tard, avec quelques remaniements, en volume avec Un billet de la loterie (1886). Pour l’examen des différentes versions du récit je renvoie à Olivier Dumas, « Les versions de Frritt Flacc ou la liberté retrouvée », Bulletin de la Société Jules Verne n° 59 (1981), pp. 98-100. Je me tiens ici à la version choisie dans l’édition de Volker Dehs, qui en signale également les différentes variantes (Jules Verne, Frritt-Flacc, texte établi et commenté par Volker Dehs, avril 2010. http://www.jules-verne.eu/ Frritt_Flacc.pdf). Je signale aussi l’édition commentée par Jean-Pierre Picot, dans Maître Zacharius et autres récits, Paris, José Corti, 2000. 3 Volker Dehs, dans l’Introduction à l’édition citée, souligne la dette envers Poe (William Wilson) et Dickens (Christmas Carol), pour ce qui est du personnage (l’avare Scrooge dans Christmas Carol) et de la vision autoscopique de sa propre mort (dans les deux récits). 4 À propos du gothique dans Jules Verne, voir Daniel Couégnas, « Traces intertextuelles : le « gothique » de Jules Verne », in François Raymond (éd.), Jules Verne 5. Émergences du fantastique, La Revue des Lettres Modernes, Paris, Minard, 1987. On pourrait faire d’intéressantes considérations sur les lectures qui alimentent le gothique et le fantastique de l’inspiration vernienne à partir de sa bibliothèque, que Volker Dehs a essayé de reconstituer (« La bibliothèque de Jules et Michel Verne », Verniana, vol. 3, 2010-11, pp. 51-118).


les deux cas leur son sinistre constitue un « mauvais signe ». Toute une atmosphère, donc, qui renvoie à une appréhension du monde en termes fantastiques et irrationnels, puisque le déchaînement des éléments naturels suscite des émotions primordiales : « Alors on a peur dans le pays ».

5 Sur le rapport entre primitivisme et fantastique, je me permets de signaler mon essai Il pensiero primitivo nella letteratura fantastica dell’Ottocento francese, in G. Golinelli (éd.), Il primitivismo e le sue metamorfosi. Archeologia di un discorso culturale, Bologna, Clueb, 2007, pp. 145-155.

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Le docteur Trifulgas, dont le quotidien est justement absorbé par des intérêts tout à fait matériels, paiera cher son scepticisme : « Un homme dur, ce docteur Trifulgas. Peu compatissant, ne soignant que contre espèces, versées d’avance […]. Il ne croit à rien, pas même à sa science, – excepté pour ce qu’elle lui rapporte ». Quand ses repères spatiaux et temporels s’embrouillent (il a avancé longuement et durement dans la tourmente pour se retrouver au point de départ) et que ses sens sont en proie à une hallucination autoscopique (il aperçoit « son sosie » moribond dans son lit), il ne dominera plus ses émotions : « Il a peur. Sa pupille s’est dilatée. Son corps s’est comme contracté, amoindri. Une transsudation glacée refroidit sa peau, sur laquelle il sent courir de rapides horripilations ». C’est la peur absolue, totale, archaïque, qui agresse l’individu d’hier comme celui d’aujourd’hui face à l’inexplicable, la peur que Maupassant définit « comme une

À la vie, à la mort !

Il serait intéressant de réfléchir sur la relation existant entre la partie pulsionnelle de la psyché individuelle et la pensée primitive et animiste de l’humanité5 : dans l’une comme dans l’autre domine la mentalité prélogique ; sur les deux, la pensée rationnelle – qui est le propre de l’époque moderne et qui, en l’occurrence, est alimentée par la culture positiviste du siècle – a fini par poser sa censure rassurante : ce qui n’est pas documenté par l’action conjointe de nos sens, ou mieux encore par le concours de nos sens et de notre schéma logique préconstitué, n’existe pas. C’est de ce hiatus que se nourrit le conflit intrapsychique des individus et l’antagonisme entre spiritualité et rationalité dans les sociétés, ainsi que les stratégies de la littérature fantastique, qui tire son efficacité de l’introduction abrupte et « scandaleuse » de l’élément surnaturel dans la plate normalité quotidienne.


Du Tarrissement

réminiscence des terreurs fantastiques d’autrefois [...], comme une décomposition de l’âme »6. Le syncrétisme de certaines cultures qui se nourrissent de pensée magique, ainsi que la séquence culpabilité morale/châtiment qui est le propre de la religion chrétienne, rendent le double âme-corps indissoluble ; à la déchéance de l’une correspond la mort – ou plutôt la mise à mort – de l’autre (qui peut, évidemment, être métaphorique, bien que la mort réelle ait, elle aussi, une haute valeur de symbole). Dans notre cas, l’âme de Trifulgas est morte, ou mieux, elle s’est tarie depuis longtemps ; le corps ne pourra pas lui survivre. D’ailleurs, comme si elles devaient préparer le trépas, les âmes planent sur la petite ville de Luktrop tout au long du récit, leurs silhouettes se détachant en flou contre le profil rougeoyant du volcan : « On ne sait vraiment pas ce qu’il y a au fond de ces cratères insondables. Peut-être les âmes du monde souterrain, qui se volatilisent en sortant ». Encore le monde d’en bas qui revient, ce monde mystérieux qui a alimenté la veine narrative vernienne dans tant de romans (il suffirait de citer Voyage au centre de la terre ou Les Indes Noires…7), et qui, 6 Guy de Maupassant, La Peur, dans La Peur et autres contes fantastiques, Classiques Larousse, Paris, 1990, pp. 34-35. 7 Le thème de la géographie souterraine de Verne a été exploré, entre autres, par Nadia Minerva dans son Jules Verne aux confins de l’utopie, Paris, L’Harmattan, 2001 (ch. Le souterrain). En particulier, sur ce même thème dans Frritt Flacc, voir Lionel Dupuy, « Une lecture souterraine des Voyages Extraordinaires : du Voyage


Le thème de la perte de l’âme qui précède et annonce la mort du corps était encore plus évident dans Maître Zacharius. Le célèbre horloger genevois est superbement épris de sa science, à laquelle il s’est donné corps et âme. Quand ses chefs-d’œuvre cessent mystérieusement de fonctionner, il établit un pacte scélérat avec au centre de la terre (1864) à Frritt-Flacc (1884) ». http://jules-verne.pagespersoorange.fr/ff.PDF

9 Jérôme Charton, Docteur Trifulgas, 2005. http://vimeo.com/8758417

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8 Jean-Pierre Picot, « Utopie de la mort et mort de l’utopie chez Jules Verne », Romantisme, 1988, n° 61, pp. 95-105. Un élément d’intertextualité s’impose, si l’on suit cette interprétation : la mort qui se présente au rendez-vous avec l’avide Trifulgas rappelle, dans le récit de Poe, la « mort rouge » qui déniche et frappe Prospero, le prince dissolu, dans sa forteresse, en plein festin. Edgar Allan Poe, The Masque of the Red Death (1845). À souligner la présence des œuvres de Poe dans la bibliothèque de Verne (cf. Volker Dehs, « La bibliothèque […] », art. cit.).

À la vie, à la mort !

ici, est représenté dans son double dynamisme mythique : lieu d’où se lèvent les ombres évanescentes des trépassés et lieu où descendra l’âme noire de Trifulgas. D’ailleurs, les enfers, on l’a dit, ont été évoqués dès le début, par tout un réseau lexical qui renvoie constamment à une atmosphère funèbre ; d’après JeanPierre Picot8, les trois femmes, respectivement fille, femme et mère du malade, lesquelles, l’une après l’autre, frappent à la porte de Trifulgas pour l’implorer, ne seraient que la personnification de la mort, qui vieillit au fur et mesure que la fin approche ; leur nature ultrasensible est suggérée par le fait que l’ancienne femme qui accompagne le médecin dans le trajet vers le logis du patient finit par se dissoudre derrière lui : « A-t-elle disparu dans quelque entrouverture du sol, ou s’est-elle envolée à travers le flottement des brumes ? ». D’ailleurs, dans la version animée qui en a été tirée en 2005 par Jérôme Charton, le personnage féminin qui escorte Trifulgas est dessiné selon le stéréotype de la mort9. Si l’âme de notre héros s’est éteinte, c’est qu’il l’a vendue à Satan ; bien que le malin ne soit pas en jeu dans l’histoire racontée, sa présence est quand même évoquée : « À tous les diables, les importuns ! » tonne le docteur, en réaction aux coups frappés à sa porte, et au « Par grâce ! » de la femme implorante correspond en contrepoint un brutal «Au diable ! » ; du reste l’ambiance ne pourrait être plus infernale, marquée par le noir de la nuit orageuse et le rouge des flammes « fuligineuses » et des « vapeurs sulfurées » du volcan.


Carmelina Imbroscio

le diable afin de récupérer sa maîtrise, mais – définitivement fou et damné – il mourra en plein délire d’omnipotence. Dans Frritt Flacc, c’était la cupidité, ici c’est l’ambition immodérée qui conduit à la perte de l’âme et du corps. Le thème s’élargit à la société, ou plutôt au rapport individu/société dans Paris au XXe siècle (1863), où c’est toute une collectivité, vouée aux réalisations technologiques et aux spéculations financières, qui a perdu sa culture, sa mémoire et donc son âme ; le jeune Michel, héros idéaliste et marginal, en mourra, dans une solitude désespérée. Dans Édom, enfin, la petite communauté de rescapés au déluge finira, au fil des années, par perdre ses valeurs et son savoir et par revenir à un stade primitif qui la destine à l’extinction physique et morale. Les dernières lignes du manuscrit, tracées par le seul survivant encore à même d’écrire, s’intitulent « au seuil de la mort ». Cet échantillon de textes offre un point de vue limité, mais sans doute particulièrement significatif dans la mesure où il s’appuie sur des « fragments » à trame légère, pourrait-on dire, de la vaste production vernienne, dépouillés de la riche et complexe stratégie narrative de ses romans majeurs et donc plus aptes à montrer en filigrane la vision morale du monde qui a accompagné l’écrivain tout au long de sa vie humaine et professionnelle. Comme je l’ai dit, on a beaucoup écrit sur sa curiosité scientifique teintée d’inquiétude ; ce qu’on pourrait ajouter, au terme de cette analyse, c’est que la mort des valeurs et de la spiritualité, qui accompagne la fin de l’existence matérielle, souligne encore une fois, de manière différente, combien est strict, dans la Weltanschauung vernienne, le lien entre la dimension morale et la sphère du savoir matériel et comment la violation de l’éthique entraîne la corruption de la science, laquelle est souvent représentée par la dissolution du corps, aussi bien individuel que social. Dans Les cinq cents millions de la Bégum le méchant Herr Schultze, fondateur de la dystopique et infernale Cité de l’Acier, Stahlstadt, meurt assis à son bureau, à la suite d’un accident de laboratoire qui a déchaîné une réaction chimique : L’acide carbonique, subitement décomprimé, avait alors déterminé, en retournant à l’état gazeux, un effroyable abaissement de la température ambiante. Toujours est-il que l’effet avait dû être


foudroyant. Herr Schultze, surpris par la mort dans l’attitude qu’il avait au moment de l’explosion, s’était instantanément momifié au milieu d’un froid de cent degrés au dessous de zéro10. Le froid qui l’a pétrifié symbolise de manière efficace le froid de la conscience qui s’est tarie : c’est le froid de la neige sur laquelle s’écroule Michel dans Paris au XXe siècle, rejeté par une société opulente et matérielle ; c’est le froid des pics d’Andernatt, où surgit le château du diabolique Pittonaccio et où Maître Zacharius est foudroyé par la mort alors qu’il est en train de sceller son pacte ; c’est, dans Édom, la désertification morale de la communauté des rescapés qui va disparaître ; c’est le froid de la nuit orageuse de Frritt Flacc, dans laquelle le docteur Trifulgas, dédoublé et en proie, cette fois-ci, à une véritable émotion, voit avec terreur son esprit vital le quitter et « se meurt entre ses mains ».

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À la vie, à la mort !

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10 Les cinq cents millions de la Bégum, La bibliothèque électronique du Québec, coll. « À tous les vents ». http://beq.ebooksgratuits.com/vents/Verne-begum.pdf, p. 319.


Avec André CHABOT

À la vie, à la mort ! Revue Jules Verne n° 36

« Les installations ci-jointes et le texte qui les accompagnait répondent sans doute

ENCRE NOIRE & HUMEUR CLAIRE Intermède en forme d’installations e gnon d a p m o e, le c n r e nce, V e c s s e e l l u o J « mon ad e d t e aux e s c e n é a f b n o mon e res dér u e h des s e d m u s e n c i e l comp t au p e s e emié d g i l n b u o études st resté e , s e r i e, le a g l u o f c e s r s devoir ami, un n u d r ns le a ta d s r u l e p voyag siècle e d e u reuse iq u g e a h ’ l m moyen tour à e r e r i t pas a f e f ï e a d n temps, enfant ’ l r u o rd de p u o , l ù t i o a paraiss époque r u t u f e et de ,l s é e s u a l q ï b ns héro encore o i t a n bien, r a e l c n ù i o s , s le ossible toutes p s e r u rs par t u n o e j v u a o t s e finissait toutes l , é t l u c i milieu f f i u d a l c a e av r du m e même h p m o tri


André CHABO (ou peut-être) aux questions posées par ce numéro de la Revue Jules Verne. »

le seul r u o p mulés u c c a s ntass e e l r c a a t t s n b e d’o anchir, r f s e l -marin s e u d o r s i s i pla ou en , u a e n î rd’hui u ra t o j u n A e ou olante. v e n i h llations ac a t m s n i n e ou e mes d s e hélice n u s à e u l q i l que cercue : t n r aller u re o è f p é r s’y coptère o t o b a moulin h i C b , s é e s r i bapt cimetiè s e l r e i pays ou h p s t a r a l g p o phot ser les r e v a r t de. » r i t u n o a l p t t A à ven pérer l’ e r r u o arin p sous-m


André CH

e i g l osta unition 1984

07.02.

n ne m a u e l m De sidérée com con

« Qui pourrait être intitulé : De la nostalgie considérée comme une munition, et dans lequel on verra qu’il n’est pas nécessaire de parcourir vingt mille lieues sous les mers à la rencontre du sphinx des glaces pour résoudre l’énigme de ces quelques images enfermées dans des caisses d’explosifs, abandonnées sur le rivage d’une île mystérieuse. L’auteur, ex-capitaine de quinze ans à peine, tente, candide passager clandestin, sans cartes ni sextant, de remonter le cours du temps qu’on dit irréversible. Destination l’enfance, latitude indéterminée, longitude inconnue. Le vaisseau d’autrefois, le trois-mâts goélette aux draps blancs, ne navigue plus sur le tapis de sa chambre, la brigantine maculée s’est dévergondée dans un dernier orage, la proue du conquérant s’est brisée sur des écueils d’illusions, épave parmi les épaves d’une salle des ventes provinciale et sans gloire. Il ne reste plus qu’un goût de tartine couleur de pain d’épices et un vieil ulster de coureur de fortune, à la quarantaine bien sonnée, aux poches lourdes de désenchantement sur un gaillard d’arrière en partance pour nulle part. Le condottiere est resté lettre morte, le danger n’est plus qu’une longue ligne droite sur l’autoroute, avec en point de mire un feu rouge qui dit halte ! Là-bas, tout au bout, le large n’attend plus. Trop tard ! Gédéon, Fergusson, Ardan, Franz, Barbicane, Némo, Thalcave, Philéas, Michel, vous avez disparu dans l’aurore boréale, coulé dans la descente des rapides, filé dans le sable de la plage. Votre image déchue se brouille dans l’encre du mazout, la brume des réacteurs, l’atomisation de nos pupilles. Qui donc a dit que la lumière ne se fait que sur les tombes ? Vos louches mausolées sont des cénotaphes. »


HABOT

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Un rêve d’enfant : une tente, abri de vacances,

un escalier aux degrés rouges couleur Hetzel, un cercueilcanot, un hamac suspendu au-dessus des contingences quotidiennes, des coussins motifs panthère pour l’exotisme sauvage.


tombeaux présumés des héros « Les images présentées ici constituent un autre exemple de l’exceptionnelle contribution du professeur Chabotopoulos à la connaissance universelle. Sa grande rigueur scientifique et sa haute probité morale lui interdisaient encore de tirer des conclusions définitives de cette nouvelle découverte lorsqu’il disparut, mais on peut déjà considérer celle-ci comme capitale. Au cours de ses nombreuses expéditions le savant homme rencontra en divers points du globe des sépultures anonymes dont la caractéristique commune était une curieuse situation d’isolement. Il avança alors l’extraordinaire hypothèse selon laquelle ces monuments funéraires


André CHABO

de Jules Verne renfermaient les restes des personnages bien connus des amateurs de « Voyages aux mondes connus et inconnus ». Ainsi donc Jules Verne n’aurait rien inventé. Au moment de sa disparition, le professeur n’avait encore répertorié que seize monuments refermant sans nul doute les dépouilles de héros appartenant à cette illustre famille qu’on croyait littéraire, entre autres celles de Philéas Fogg, de Mathias Sandorf et du capitaine Nemo. On tient pour assuré qu’une recherche systématique entraînerait la découverte de nombreux autres tombeaux lorsqu’on sait que Jules Verne écrivit plus de quatre-vingts ouvrages… »


André CHABOTANDRÉ CHABOT est né 1941 • Collections publiques : Bibliothèque A

nationale de France ; Musée Carnavalet, Paris ; Bibliothèque Historique de la Ville de Paris ; Musée du Vivant, Grignon ; Galeries Nationales, Prague. • Promeneur nécropolitain, il démasque à travers le monde les monumensonges et doute que les émouvantes pleureuses de pierre soient inanimées. • Plasticien, il crée des installations où le tombeau parle et le cercueil revisité transporte ses phantasmes. • Photographe, il collectionne, en noir et blanc, tombes, mausolées, hypogées, cénotaphes et catacombes, recueil inépuisable d’architectures et de symbolismes, d’exotismes et d’érotismes, de souvenirs et d’oublis, d’humour et de métaphysique.

• Ses photos de monuments funéraires, plus de 175 000 à ce jour, constituent un fonds unique et cosmopolite en perpétuel développement. • Concepteur d’urnes et de monuments funéraires : en particulier au cimetière parisien du Père Lachaise.


• Conteur, il subvertit les innocentes images des cimetières et réinvente en romans-photos les héros légendaires tels Orphée ou Marie-Madeleine. • Journaliste, il interviewe taupes, lézards, chats et écureuils et tient, dans la revue Funéraire Magazine, la chronique des champs de repos éternel. • Auteur, il traque dans l’écriture les mots de la mort et lit dans les épitaphes les belles histoires d’amour des vivants et des morts : Le Petit Monde d’Outre-tombe, La Mort et ses Poètes, Érotique du cimetière, Les Merveilleuses Découvertes du Professeur Chabotopoulos, Un cauchemar du Professeur Chabotopoulos, Moustaches de pierre, 100 Anges passent, Chagrins de marbre, Les petites âmes mortes, Jardins héroïques, Concert de silence, Bestiaire de l’au-delà, Dictionnaire illustré de symbolique funéraire, Chapelets d’osselets, Pied à terre d’éternité. En collaboration : Petit Guide Pratique et Plans des Cimetières Montmartre, SaintPierre et Saint-Vincent ; Métiers et Passions dans la Représentation Funéraire du Hainaut Occidental. • Cofondateur de l’association culturelle « La Mémoire Nécropolitaine ». • Plus de 600 expositions, dont cent expositions personnelles, jalonnent son parcours en Allemagne, Andorre, Autriche, Belgique, Canada, Croatie, Espagne, États-Unis, France, Grèce, Hollande, Italie, Japon, République Tchèque, Slovénie, Suisse… • Il a obtenu en 1991 le PRIX DE L’HUMOUR NOIR pour Érotique du Cimetière.



Mais encore…

Une artiste à l’œuvre • Rencontres internationales • Cabinet de curiosités • Chroniques verniennes • In Memoriam •


Marc SAYOUS Des oiseaux de bel augure avec Erika Kuhn La mort, cette illustre ! S’en faire une représentation, c’est immédiatement se prêter au jeu graphique de l’effroi et de l’angoisse. Ici, elle orne la frayeur religieuse, là elle cisèle la destinée d’une histoire épique figée sous la morsure sculpturale d’une créature venimeuse. Têtes tranchées, corps dépecés, gisants rongés par des vers affamés, crucifiés abandonnés, suppliciés terrifiants, naufragés dérisoires… Rien ne manque jamais à la mort lorsqu’elle se prête au jeu des perspectives. Que serait l’art sans son omniprésence ? sans l’exploration de la tragédie et la cristallisation des vanités semées au gré d’une existence ? La mort, cette illustre, dont on ne saurait se priver pour manifester le statut de la beauté, afin de mêler au moindre tremblement le rayon céleste de l’espoir ou l’essor de la pitié. Illustre. Soit ! Est-il seulement possible de représenter la mort sans succomber à la tentation des formes décomposées, des chairs défaites ou des angoisses ténébreuses ? Peut-être en mariant la douceur des spasmes d’Eros aux tressaillements de Thanatos. À la vie, à la mort ! Nous y voilà ! Me vient alors l’idée de chercher en d’autres cultures l’imagephare pour la Revue Jules Verne n° 36, là où le culte des morts serait prétexte à une fête colorée et où ces chromatismes finissent toujours par briser irrémédiablement la chaîne invisible qui nous asservit au destin absorbant de la terre. Mexico apparaît dans mon imaginaire comme une aurore parfumée.


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Très vite, Erika Kuhn se rappelle à ma mémoire pour couvrir ce numéro d’un linceul plus lumineux que morbide. Comment ne pas se souvenir de cette artiste et de ses carnets étonnants qu’elle emplit d’une histoire régulière, la sienne. On la trouve facilement sur internet. Son site (obraerikakuhn.blogspot.fr) est une narration personnelle, un inventaire de rêveries et d’obsessions où le temps tournerait lui-même les pages qu’on ne peut ni ne sait déchirer. Erika Kuhn y dessine des fragments de ses jours, ses voyages extraordinaires dans une vie quotienne, étapes par étapes, avec la méticulosité d’un chercheur. Son regard est méthode. Il veut voir. La page est toujours double et le trait singulier. Les femmes y sont aux prises du désir, éprises d’inquiétudes et toujours sous l’emprise d’oiseaux sombres qui s’envolent autour d’elles. Parfois ces oiseaux les dévorent. Parfois ils les transportent. Les ailes s’échappent des corps, des bouches, du cœur ; ailes d’oiseaux aimés, idées noires toujours plus légères que le poids de la terre, que la gravité de la matière, idées volatiles facilitant la migration des songes. Le carnet est oiseau mais parfois Erika Kuhn lui coupe ses ailes battantes. Le livre se ferme, le réel s’ouvre et l’œuvre reprend sa place dans la vie quotidienne parmi les objets du jour. Elle construit alors des installations très sensibles, elle expérimente l’hypothèse, sa force et sa beauté. On y retrouve la lettre, le bois, le nombre, le papier, l’encre, la couleur dosée et son dessin raffiné. L’idée se fait visuelle, prend forme et se décline. Toutes ces œuvres discrètes sont des fragments de poésie sans étiquette sociale et restent libres de s’accrocher où elles veulent : au regard d’un amateur d’art, à la réflexion d’un penseur de formes, à la volupté verbale du littérateur lyrique, à la précision méthodique du chercheur insatiable. Ces fragments vifs ne refusent pas la mort et ressemblent à la promesse délicieuse de leurs titres, promesse d’un bonheur savouré et toujours à venir [ « Outils pratiques pour survivre » ; « La Concrétion du temps », « Anatomie superficielle », « Autoportrait de la mémoire », etc... ]. eee fgg

À la vie, à la mort !

ne artiste à l’œuvre


Rencontrer Pierre-Jules Hetzel Entretien avec Renoir Bachelier Les Rencontres internationales Jules Verne à Amiens le 22 et 23 mars 2013 se dérouleront dans le cadre du Logis du Roy pour bâtir la dixième édition de l’évènement. Un destin solide, lié à celui de la Revue Jules Verne qui en motive l’impulsion et en publie les actes. Ce symbole décimal exigeait un choix thématique majeur. Renoir Bachelier et Patrice Soulier ont donc ciselé un programme consacré à P.-J. Hetzel. Trois questions s’imposent pour définir l’approche des Rencontres internationales 2013 dont les actes seront publiés, à chaud, dès l’été avec le numéro 37 de la revue. e

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Marc Sayous : un évènement consacré à un éditeur aussi célébré que P.-J. Hetzel nécessite une approche permettant de couvrir un champs large. Dans quel esprit avez-vous conçu cette dixième édition ? Renoir Bachelier : Nous avions à cœur de rendre hommage à Pierre-Jules Hetzel et de le faire dans un cadre moins vernien. La figure d’Hetzel a trop longtemps été associée à celle de Jules Verne et résumée à son rôle, plus ou moins bénéfique selon les critiques, dans la conception des Voyages extraordinaires. En réalité sa carrière d’éditeur/écrivain commence bien avant celle de Jules Verne et mérite réellement d’être observée attentivement. Hetzel est un éditeur qui aime à s’entourer de beaucoup d’écrivains et apprécie d’être parmi les pionniers de son temps. Il montre de l’intérêt pour de nombreuses formes de création et côtoit nombre des grands écrivains du XIXe siècle : Balzac, Baudelaire, Hugo,


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Musset, Proudhon, Sand ou Verne, pour ne citer qu’eux. Le fait qu’il collabore avec des auteurs au profil très divers atteste de sa largesse d’esprit et son souci de capter l’esprit du siècle. Son activité d’éditeur impressionne. Hetzel n’est pas un éditeur passif, il va vers ses auteurs et engage pleinement la conversation. Ainsi, il n’hésite pas à discuter politique avec Proudhon, à faire des suggestions poétiques à Victor Hugo, à orienter le texte jeunesse de Jules Verne ou encore à montrer de l’intérêt pour la Comédie humaine de Balzac ! Nous ne pouvions donc envisager de manquer cette occasion de célébrer son travail et son œuvre. Marc Sayous : votre programme se déploiera sur deux jours et proposera près de dix conférences ? Toujours sur le feu à ce jour, il est bien sûr encore trop tôt pour en présenter définitivement le menu mais quelles en seront les grandes lignes ? Renoir Bachelier : Nous souhaitions donner une image globale de Pierre-Jules Hetzel tout en ménageant une place, même réduite, à Jules Verne et Cinq semaines en ballon. Nous pouvons ainsi dégager cinq axes :

2/ Situer Hetzel dans son siècle, rendre hommage à ses intuitions et à son travail. Tel est l’objectif des conférences de Jean-Yves Mollier sur « Pierre-Jules Hetzel, éditeur emblématique du XIXe siècle » ou d’Irène Zanot sur « L’esprit d’un éditeur : Pierre-Jules Hetzel et la ”Morale Universelle“ ».

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3/ Trop souvent réduit à Jules Verne, Hetzel est en réalité un éditeur qui s’est entouré de nombreux auteurs, multipliant les contacts et les projets. Il nous est apparu intéressant d’éclairer certaines de ses collaborations. Ainsi, Jean-Luc Steinmetz

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1/ Volker Dehs et Jean-Yves Paumier consacreront ainsi leur conférence à Cinq semaines en ballon et à la rencontre entre Pierre-Jules Hetzel et Jules Verne.


Rencontrer P.-J.Hetzel

consacrera sa communication à « Hetzel et Baudelaire ». De même, Xavier Noël nous parlera des relations entre Hetzel et André Laurie. 4/ Comment évoquer Hetzel sans mettre en avant son rôle dans l’histoire de la littérature de jeunesse ? Jean-Paul Gourévitch développera une conférence sur « Hetzel et la littérature jeunesse » qui sera suivie par une étude des Contes de Charles Perrault édités chez Hetzel par Patrice Soulier. 5/ Nous voulions consacrer un temps aux ouvrages Hetzel et à leur restauration. L’attrait pour l’objet-livre, parfois supérieur au contenu à proprement parler, nécessitait de laisser une place à une part plus technique. Elsa Rambour, qui a déjà restauré un grand nombre d’ouvrages du Centre, dans le cadre l’installation du fonds documentaire au sein de la Bibliothèque de l’Université de Picardie Jules Verne, nous fera le plaisir de venir parler de son travail en clôture des Rencontres. Nous avons également ménagé un temps pour les débats et nous espérons que la richesse de ces derniers permettra d’aborder des points aussi importants que la politique et Hetzel, les relations d’Hetzel avec d’autres auteurs comme Victor Hugo ou George Sand ou bien encore ses habitudes de travail avec les auteurs. Marc Sayous : comment l’Université de Picardie Jules Verne s’est-elle associée à ces rencontres ? Renoir Bachelier : Le Conseil d’administration du Centre International Jules Verne comptant quatre membres de l’Université (Marie-Françoise Melmoux-Montaubin, Philippe Blondeau, Patrice Soulier et Renoir Bachelier) et ces quatre membres étant intervenus à un moment dans la préparation des Rencontres, il est apparu clair que l’Université souhaitait s’associer à ces rencontres. C’est en réalité à travers le laboratoire de recherche CERR (Centre d’Etudes du Roman et du Romanesque), dirigé par Marie-Françoise Montaubin, que nous avons pu bénéficier d’une salle pour les débats (celle du Logis du Roy, entre la Cathédrale et le Palais de Justice) ainsi que de diverses aides. Les contacts du CERR et la


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volonté du laboratoire d’aider à la vie culturelle amiénoise ont grandement favorisé la préparation de ces Rencontres. Nous les en remercions. Marc Sayous : Cette collaboration semble d’ailleurs naturelle car l’Université et le Centre international Jules Verne se sont accordés en 2012 afin d’accueillir et de conserver le fonds documentaire du Centre. Les premiers cartons sont actuellement transportés pour engager ce transfert. Cette perspective offrira des conditions très avantageuses pour favoriser la lecture publique mais aussi la stimulation de la recherche au cœur d’Amiens. La démarche généreuse engagée par la famille Compère en 1976 trouvera ainsi une nouvelle impulsion.

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Parallèlement, l’UPJV a pris en charge la restauration d’une quarantaine d’ouvrages fragiles appartenant au CIJV. Une politique d’acquisition de livres rares a aussi été menée par Louise Dessaivre, Directrice des bibliothèques de l’Université, afin d’enrichir les collections et d’offrir un vaste choix patrimonial. Il semble donc naturel aujourd’hui d’intégrer à ces Rencontres consacrées à Hetzel ces efforts de restauration et d’acquisition. Le vendredi 22 mars 2013, après une journée de conférences bien remplie, à 18 h, dans la foulée des Rencontres internationales, il sera donc possible de prendre connaissance des détails de l’opération et d’en apprécier la mise à disposition auprès du public qui est bien sûr invité à cette présentation.

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La Revue Jules Verne publie les actes des Rencontres internationales Jules Verne. Son numéro 37 y sera consacré. Désormais, le site de la Revue Jules Verne vous propose aussi de retrouver l’histoire de ces Rencontres internationales, l’actualité de l’édition 2013 et l’écoute d’extraits et d’entretiens en ligne.

www.revuejulesverne.com

les imaginaires reliés


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Philippe BURGAUD

Autour du monument d’Amiens ...

Nous savons depuis déjà longtemps que Jules Verne était intéressé par l’espéranto. Dans un bulletin de la Société Jules Verne1, Cornelis Helling présentait un article paru en 1937 dans la revue La Laborista Esperantisto. Dans cet article, Charles Tassencourt, alors président d’honneur du groupement, rappelait qu’en 1904 il rendit visite à Jules Verne accompagné de M. Delfour pour lui offrir la présidence d’honneur du groupe espérantiste d’Amiens. L’écrivain accueillit cette proposition « avec empressement, et promit d’écrire un livre dans lequel il voulait faire valoir les mérites d’une langue universelle ». Il existe une carte postale bien connue qui montre Jules Verne à son bureau devant un exemplaire de la revue espérantiste. Cette carte existe aussi avec une légende en espéranto Lors de certaines assemblées, les espérantistes amiénois ne manquent pas de faire une halte devant le monument de Jules Verne. Ce fut le cas le 5 juin 1910, lors du congrès espérantiste de la fédération du Nord. Ce monument avait été inauguré un an plus tôt, le 9 mai 1909. Il faisait alors un temps superbe et ces dames s’abritaient sous leurs ombrelles. La famille de l’écrivain était rassemblée à droite au premier plan, Honorine dans une superbe robe blanche. 1 Bulletin de la Société Jules Verne, n° 12, 4ème trimestre 1969, p. 69.


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uriosités

Cette œuvre du sculpteur Albert Roze2 rend un bel hommage à l’écrivain. Le journal L’Illustration3 précise que de nombreuses personnalités s’étaient jointes à la municipalité pour écouter l’éloge prononcé à cette cérémonie par Jules Claretie qui conclura en disant : « Jules Verne fut un excitateur de volonté et de curiosité, un révélateur de mondes inconnus. Quelle tendresse et quelle gratitude les générations de lecteurs, celles d’hier et celles d’aujourd’hui, ne doivent-elles pas à celui qui fut le magicien du roman du dixneuvième siècle. »

3 L’Illustration du 15 mai 1909.

À la vie, à la mort !

2 Albert Roze (1851-1962) réalisa de très nombreuses sculptures pour la ville d’Amiens. La tombe de Jules Verne au cimetière de la Madeleine est considérée comme l’un de ses chefs d’œuvres.

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Philippe Burgaud

Pour l’occasion, la troupe de l’Art Dramatique d’Amiens présentera, le 28 mai de cette même année 1909, un spectacle au théâtre municipal, lors d’une soirée placée sous la présidence d’honneur de Mme Jules Verne. La couverture du programme est un hommage à Jules Verne, couronné par les muses. Après une première pièce en un acte, La Brigande, et une causerie, on jouera la pièce de Verne Onze jours de siège. Pour clore cet hommage à « Jules Verne auteur dramatique », la directrice de la troupe lira un texte de Charles Lemire.



Alexandre TARRIEU

Les mille yeux de Tarrieu Augustus Hopkins du Humbug tient sans doute son prénom du spécialiste en ossements préhistoriques Henry Augustus Ward (1834-1906) qui rencontra peut-être Jules Verne à Paris. (Brian Taves, « Jules Verne et le Humbug préhistorique », Revue Jules Verne n° 15). « Et devant toutes ces combinaisons de thèmes comme on en voit décrites dans les analyses minutieuses de M. Leibewitz, je ne puis me tenir de penser à cet Archibald Corsican, du Tour du monde en 80 jours (d’Adolphe d’Ennery, d’après Jules Verne), qui pour se montrer digne d’être admis au Club des Excentriques avait fait à cloche-pied le tour de la mer Rouge (« C’est insuffisant rétorque Philéas Fogg ; encore si vous l’aviez fait à reculons… ») ». (Charles Koechlin, « Musique atonale », in La Pensée n° 17, 1948, p. 35). L’étrange homme-horloge qu’est Pittonaccio dans Maître Zacharius, emprunte son nom à un personnage de Salvator Rosa de ETA Hoffmann, « une espèce de nain, demi-castrat, que les Romains nomment Pitichinaccio ». (Christian Chelebourg, « Les contes d’un grand-père », Revue Otrante n°18, Kimé éditions, 2005, p. 33). « Celles (les hypothèses) qui sont provisoirement invérifiables, faute seulement de moyens techniques dont nous disposons


Chroniques

verniennes actuellement. Mais elles ne sont pas invérifiables par essence, et deviendront vérifiables plus tard, quand les moyens déjà existants seront encore perfectionnés. Ou si, n’existant pas encore, de tels moyens peuvent être imaginés (même par Jules Verne). (in Les chemins de l’être, Vercors et Paul Misraki, Albin Michel, 1965, p. 86. Lettre 12, Vercors à Misraki).

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« Ce cuisinier est un homme extraordinaire, nous l’avons embarqué le matin même de notre départ à Buenos Aires, sans aucun renseignement ni aucune référence, nous ne savons même pas si le nom qu’il nous a donné est véritablement le sien, et il n’a jamais voulu dire son âge. A l’écouter, il aurait tout vu et tout lu, et si on prenait ses récits au mot, il jouirait du don d’ubiquité. Il a certainement une bonne instruction et s’est promené un peu partout, tout en regardant et observant. C’est un personnage de roman et nous nous attendons presque à le voir arriver un jour nous annonçant qu’il est le Capitaine Hatteras et qu’il connaît un chemin très facile pour arriver au pôle même. » (Jean-Baptiste Charcot, Le « Français » au Pôle Sud, in Le roman des pôles, Omnibus, 2008, p. 846).

À la vie, à la mort !

Un poème des Poésies inédites de Jules Verne, publiées en 1989 par Le Cherche Midi, « Romance » (p.218), n’est autre qu’une création de Victor Hugo, tirée des Odes et Ballades et qui est passée inaperçu de l’éditeur… (Erik Weissemberg, Jules Verne un univers fabuleux, Favre, 2005, p. 46).


Alexandre Tarrieu

L’échec de la pièce de théâtre Kéraban-le-Têtu est dû à l’acharnement de la presse contre celle-ci, influencée par D’Ennery qui n’acceptait pas d’être délaissé par Verne. (Voir Paul Larochelle, Trois Hommes de théâtre, les trois Larochelle, 1782-1930, Éd. du Centre 1960. Cité en note in Correspondance Verne-Hetzel, T. 3, Slatkine, 2002, p. 190). « Serge est l’homme du cirque. Il a conservé sa jeunesse. À près de deux fois et demie vingt ans, c’est un gamin. Pas de besicles, pas de rides ; une bouche à sourires. La nature l’a fait tout petit, pour le faire avec soin, comme Hassan dans Namouna. Rien qui pèse ou qui pose. Tout au plus l’aîné des Poulbot ; le frère de Pointe Pescade, l’arrière-cousin de Flibbertiggibett. […] Il y a une littérature du cirque, dans le passé. Quel enfant n’a pas lu l’histoire du chien Capi et du singe Jolicoeur, – oh ! la mort déchirante du singe Jolicoeur, dans Sans Famille ! J’en pleurerais bien encore ! – et les aventures de César Cascabel qui rentre d’Amérique en Normandie en passant par l’Alaska et le détroit de Behring !... » (Robert Kemp, « La littérature du cirque », Les Nouvelles Littéraires n° 952 du jeudi 1er novembre 1945, p. 3). Le 24 septembre 1879, l’Union bretonne de Nantes annonça le mariage d’un fils de Jules, François Verne, avec Melle Marie Hommery, à Cannes. Ledit François Verne étant directeur de l’octroi. Le lendemain, Le Phare de la Loire fit remarquer que Jules n’a qu’un fils de 18 ans. Jules fait part de cette annonce à Hetzel dans une lettre du 26 septembre 1879 : « j’avais lu cette annonce du mariage d’un prétendu fils à moi. Diable ! je ne serais pas jeune si j’avais un fils directeur de l’octroi. Çà me mettrait dans les 80 ans. » (Correspondance Verne-Hetzel T.3, Slatkine 2002, p.61).

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Chroniques verniennes

Dictionnaire des personnes citées

par Jules Verne

Ali Mami (ou Mami Arnaute) (v 1540-1600) : L’Archipel en feu (XIII). Corsaire barbare. Il fut célèbre pour avoir capturé Cervantès en 1575 (qui s’évada en 1577). Chef de la Taïfa (1582), Dey d’Algérie (1583) et Pacha d’Albanie (1583), il fut tué dans un combat en Vénétie. Alison Archibald, sir (1792-1867) : P’tit bonhomme (1, VI). Historien britannique, né à Kenley (Shropshire). Avocat (1814), membre du Conseil Royal (1828), Sheriff du comté de Lanark (1834), on lui doit : The Principles of the criminal law of Scotland (1832), Des principes de la population… (1840), Libre échange et protection (1844), L’Angleterre en 1815 et en 1845 (1845), La vie du duc de Marlborough (1847) ainsi qu’une Histoire de l’Europe depuis le commencement de la Révolution française, en 1789 (20 vol. 1855). [† Glasgow, Ecosse]. Allah : Robur-le-Conquérant (XII), Hector Servadac (1, XXI), Kéraban-le-Têtu (1, III), L’Archipel en feu (XII), Maitre Antifer (1, III). Dieu unique de l’Islam, adopté par les musulmans et aussi par les chrétiens arabophones.


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Allen Fred William Philip O’Mera (1848-1867) : Les frères Kip (2, X). Patriote irlandais, né à Tipperary (Cork). Un des chefs des Fenians lors de la révolte de 1867 à Manchester, il fut accusé du meurtre d’un policier tué au cours de l’attaque d’un fourgon de police et condamné à mort avec Kelly et Deasey bien que les preuves de leur culpabilité fussent plus que douteuses, ce qui ébranla la confiance que les Irlandais pouvaient avoir en la justice britannique. Allen fut exécuté le 23 novembre 1867 à Manchester. Al-Mahdi Muhammad ibn Abd Allah Ahmad (1844-1885) : Mathias Sandorf (3, IV). Religieux et homme politique soudanais, né à Dirar Island (Dongola). Fils d’Al-Sanusi, il lui succéda à la tête de la confrérie de la Senoussiya (1859) et basa sa capitale à Jerhboûb. Il émigra en 1871 dans le Sud du Soudan à Aba Island et y fit bâtir une célèbre mosquée. En 1881, il voulut libérer le Soudan de l’oppresseur britannique et lui déclara la guerre sainte. Il mourut à Omdurman après la prise de Khartoum. Almeida Francisco José de Lacerda y (1753-1798) : Voyage d’études (II). Capitaine de frégate, géographe, mathématicien et astronome portugais, né à São Paulo (Brésil). Professeur de mathématiques à l’Académie de Marine (1778), il participa à des mesures de latitudes et de longitudes au Brésil ainsi qu’à l’établissement de frontières (1780). Il voyagea pendant dix ans dans le Brésil amazonien et le Mato Grosso. En 1790, il reprit son poste à l’Académie de Marine mais, en 1797, reçut la mission de faire une traversée de l’Afrique à partir du Mozambique pour atteindre l’Angola. Il mourut de la peste lors du voyage, à Lunda. eee

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Sources et remerciements sur : http://pagesperso-orange.fr/jules-verne/Remerciements_Alexandre_Tarrieu.pdf http://revuejulesverne.over-blog.com/ext/ http://sourcesremerciementsdicojulesverne.over-blog.co



Le Verne est-il encore Vernal ? Quand Michel Strogoff se fait parodier …en Norvège !... Au mois de décembre 2012, le marché de Noël d’Amiens, avec sa nouvelle appellation de Parfums d’hiver, avait, déployé ses fastes sous le thème : La Russie de Michel Strogoff. A cet effet, une attraction foraine, de même type que l’an dernier, présentait, sur un cycle de cinq

jours, autant d’épisodes de ce roman, en 3D, je crois, et aux effets très étudiés. Mais, cette même année, paraissait aussi, en août, aux éditions La joie de lire, sises à Genève, un récit traduit du norvégien ; Kurt, courrier de cabinet ; titre original : Kurt Kurier, c’est-à-dire Kurt le


Chroniques courrier. La nuance est d’une certaine importance pour le sujet qui nous importe car cet ouvrage, sans doute encore trop peu connu dans notre pays, n’est autre qu’une parodie burlesque de Michel Strogoff, le célèbre Voyage extraordinaire de Jules Verne, appelé à l’origine : Le courrier du tsar. Auteur et illustrateur C’est, en effet, à une réécriture humoristique du roman de Jules Verne que s’est attelé l’écrivain norvégien : Erlend Loc.

À la vie, à la mort !

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Plusieurs de ses livres antérieurs mettent en scène le personnage de Kurt, habituellement conducteur de chariots élévateurs sur les docks d’un port de Norvège. 125

Dans ce nouvel opus, il devra donc braver tous les dangers pour éviter la guerre entre la Norvège du Nord et celle du Sud.


Claude Lepagnez

Un exemplaire en a été dressé gracieusement au CIJV, qui me l’a confié, par le truchement de Marc Sayous, afin d’alimenter cette chronique devenue régulière. Espérons que ce texte original saura faire sourire les admirateurs de Jules Verne. Preuve de son attachement à cette traduction et sans doute à la France elle-même, l’écrivain était présent au Salon du livre et de la presse jeunesse, à Montreuil, en Seine Saint Denis, du 28 novembre au 3 décembre 2012. Car il semble éprouver une prédilection pour ce public juvénile. Ainsi a-t-il publié aux éditions La joie de lire, dans la collection Récits, cinq ouvrages ayant Kurt comme personnage principal : Kurt et le poisson, Kurt : quo vadis ? Méchant Kurt, Kurt a la tête en cocotte minute, Kurtville. Ce qui ne l’empêche cependant pas d’œuvrer pour les adultes, avec, notamment : Autant en emporte la femme, Naïf, Super, Doppler, Volvotruck, tous parus aux éditions Gaïa. Né à Trondheim en 1969, il est, sans nul doute, la révélation littéraire des dix dernières années. Dans cette génération, il s’impose par son style, particulièrement influencé par la littérature française de la période 1980/90. Il vit actuellement à Oslo, où il travaille comme scénariste. Quant à l’illustrateur, Kim Hiorthom, graphiste, DJ et réalisateur, il a étudié, d’abord, à l’Académie des Beaux-Arts de Trondheim, en Norvège, puis à l’Ecole des arts visuels de New York, avant de se fixer à Berlin. Ami de l’auteur, il a donné une identité visuelle, faussement naïve et même puérile, reconnaissable entre toutes, à la série « Kurt », dont il a illustré tous les volumes parus aux éditions : La Joie de lire (cf : supra). Abstracts Si l’on ne fera pas au lecteur vernien l’injure de lui livrer une analyse circonstanciée de Michel Strogoff, il n’en est pas de même pour : Kurt, courrier de cabinet, qui décline les aventures du conducteur de Fenwick sur près de 400 pages. Dès le chapitre 1er, l’on apprend que les communications sont interrompues entre le sud de la Norvège, demeuré loyaliste, et le


Chroniques verniennes

nord, en révolte et sécession, à cause de la rupture d’un câble télégraphique, d’où la nécessité d’y envoyer un courrier, qui ne sera autre que Kurt, juché sur son chariot élévateur. S’ensuit un certain nombre d’épisodes plus rocambolesques les uns que les autres, dont certains empruntés directement à Jules Verne, comme la rencontre de Kurt avec sa mère et la tragique scène de l’aveuglement. Bien sûr, le héros, après ces péripéties, parvient au nord de la Norvège, où il peut enfin délivrer son précieux message à qui de droit, comme Michel Strogoff, auprès du grand duc, frère du tsar. Dans le prochain numéro sera étudié, beaucoup plus en détail, la comparaison entre ces deux fictions. Et, pourquoi ne pas retenir l’idée d’étendre ce procédé à d’autres romans de Jules Verne, à destination d’élèves, d’étudiants, voire d’écrivains ?

Ne revenons plus sur le marché de Noël d’Amiens, dont il a été déjà question en préambule ! Mais, il est à noter que le quotidien national : Le Parisien/Aujourd’hui en France a publié, dans l’un de ses derniers suppléments dominicaux, un quiz entièrement consacré à Jules Verne et à son œuvre. Et, ces jours derniers, la presse, unanime, a salué le vainqueur du Vendée Globe, par une allusion à Jules Verne. Car ce valeureux navigateur avait bouclé son tour du monde en moins de 80 jours, record établi par le pari réussi de Philéas Fog. Autre constat : Amiens, en janvier 2013, recevait la visite du ballet de l’opéra Tchäïkovski, de Perm. Or, cette ville russe constitue l’un des pivots géographiques de l’épopée vécue par Michel Strogoff. Et les plus anciens de nos lecteurs se souviendront peut être, en cherchant dans leurs souvenirs d’enfance et de jeunesse, avoir fait connaissance dudit Michel Strogoff, par un feuilleton diffusé sur Radio Luxembourg. C’était dans les années 50…

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Qui pourrait donc encore dire que Jules Verne n’est plus d’actualité !

À la vie, à la mort !

Coïncidences


In Memoriam Eric Weissenberg nous a quittés le 30 octobre 2012. Sa mort aussi précoce qu’inattendue nous laisse tous perplexes. Dentiste de formation, il menait une véritable existence parallèle comme collectionneur émérite, non seulement de tout ce qui concerne la vie et l’œuvre de Jules Verne (et, en second lieu, d’Hetzel), mais aussi de documents se rapportant à la Shoah. Sa collection de Jules Verne, qu’il m’a été donné d’admirer une fois de visu chez lui à Genève, compte à coup sûr parmi les plus belles du monde et occuperait plusieurs chercheurs à la fois pendant des mois entiers sinon des années. Heureusement, Eric a su en tirer amplement son parti pour ses publications bien qu’il m’écrivît encore quelques jours avant son décès, avec amertume, que sa mauvaise santé ne lui permettrait pas de réaliser de nombreux projets qu’il caressait. Voici le deuxième grand regret qu’on éprouve après celui de la perte d’un ami, d’un homme hautement compétent et cultivé, ce dont les lecteurs du Bulletin de la Société Jules Verne ont pu jouir en privilégiés, puisqu’il en a été le rédacteur pendant de nombreuses années. Eric Weissenberg était manifestement l’un des rares Verniens qui, pour rédiger un article, n’avait pas besoin de se lancer dans des recherches aux archives ou bibliothèques, puisque tous les objets, inédits inclus, se trouvaient à la portée de sa main. Il brillait à apporter des compléments à la bibliographie vernienne, l’étude inextricable des cartonnages, et elles ont trouvé leur synthèse dans sa contribution à l’ouvrage de référence de Philippe Jauzac.1 Eric avait érigé son monument à lui-même en publiant en 2004 un livre qui me paraît emblématique pour son approche très particulière de l’écrivain : Jules Verne, un univers fabuleux (Lausanne : Favre). Somptueusement illustré d’images en grande partie inédites, provenant bien sûr exclusivement de sa collection, la biographie qui accompagne cette superbe iconographie n’hésite pas de mettre en question de nombreux partis pris concernant la vie et l’œuvre de Jules Verne, tout en proposant de nouvelles hypothèses qui inviteront d’autres chercheurs à la confirmation, à la vérification ou à la réfutation. Que demander de plus pour faire avancer les connaissances ? Nous adressons nos condoléances attristées aux proches de celui qui a été administrateur du Centre international Jules Verne entre 2004 et 2009 et de la Société Jules Verne de 1986 jusqu’à sa disparition. Volker Dehs 1 Ph. Jauzac : Jules Verne, Hetzel et les cartonnages illustrés. Paris : Les Éditions de l’Amateur, 2005, pp. 348-387.


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, Jeanues Davy oy, q c Ja t, u M Alain Bra ée, Denis Dorm ez, achelier, n Renoir B s, Gilbert Desm r, Claude Lepag z, ie re kis Paul De art, Arnaud Huft ntaubin, Ariel Pé o v é -M G x u e o rr Pie elm nçoise M turbelle. Marie-Fra Picot, Philippe S e Jean-Pierr s

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Remerciements

Le Centre international Jules Verne reçoit de précieux soutiens pour réaliser ses différentes missions culturelles. Nous tenons à remercier chaleureusement, pour leur fidélité et leur bienveillance, les partenaires qui nous accompagnent tout au long de l'année et qui contribuent durablement à nos travaux. Sans eux, cette publication ne pourrait voir le jour :

•Amiens Métropole •Le Conseil régional de Picardie •La Direction régionale des affaires culturelles de Picardie •Le Centre National du Livre et bien sûr les adhérents du centre, les auteurs de la revue qui contribuent gracieusement à cette publication depuis 1996 ainsi qu’à Parmis Parki qui ornemente sur demande l’illustration graphique et photographique de la revue depuis décembre 2011.



Crédits photographiques En couverture : Srita. K (inspirée par une image d’Ashley Lebedev) El autorretrato de tu nombre, Erika Kuhn, Mexico. 5 Tête de mort, Parmis Parki, 2013. 6 Clara the Rhinoceros in Tabulae sceleti et musculorum corporis humani de B.S. Albinus, Leyde : Verbeek, 1747. 8 Deux moitiés de crâne, dessin à la plume, L. de Vinci, Royal Library Windsor. 9 Vanitas, Edwaert Collier, 1663, National Museum of Western Art, Tokyo, Japon. 10 & 11 Le Maître du monde, J. Verne, ill. G. Roux. 12 Autour de la lune, J. Verne, ill. E-A. Bayard and A. de Neuville. 14 Michel Strogoff, J. Verne, ill. J. Férat. 15 Les Cinq cents millions de la Bégum, Jules Verne, ill. Léon Benett. 16 Les Indes noires, J. Verne, ill. J. Férat. 17 Le Pays des fourrures, J.Verne, ill. J. Férat et Beaurepaire. 19 Vingt mille lieues sous les mers, J. Verne, ill. A. de Neuville & É. Riou. 20 Autour de la lune, ibid. 22 Les Cinq cents millions de la Bégum, J. Verne, ill. Léon Benett. 23 - 25 Le Phare du bout du monde, J. Verne, ill. G. Roux. 26 Les Naufragés du Jonathan, J. Verne, ill. G. Roux. 2 8 Le Maî t r e d u mo n d e , i b i d . 30 - 31- 33 Le Chancellor, J. Verne, ill. E. Riou. 34 Guy de Maupassant par Nadar, 1888. 35 Portrait de Stéphane Mallarmé, Édouard Manet, musée d’Orsay, Paris, 1876. 36.Sigmund Freud, 1922, in Life par Max Halberstadt. 37 H.G Wells 1922 in Newcomb, A. Blackford. 39 Angel, Cimetière du château de Nice, Parmis Parki, 2013. 40 La Maison à vapeur, J. Verne, ill. Léon Benett. 42-43 Le Chancellor, ibid. 44 La Maison à vapeur, ibid. 45 Vingt mille lieues sous les mers, ibid. 47 Grotesque in Firenze, Parmis Parki, 2013

48 Les Indes noires, ibid. 50 Les Tribulations d’un chinois en chine, J. Verne, ill. Léon Benett. 51 Le Château des Carpathes, J. Verne, ill. Léon Benett. 52 Le Secret de Wilhelm Storitz, J. Verne, ill. G. Roux. 54 4 ghosts, encre, Parmis Parki, 2013 55 Le Testament d’un excentrique, J. Verne, ill. G. Roux. 56-59 Hector Servadac, J. Verne, ill. Paul Dominique Philippoteaux. 63 La comète de Halley par Sturve, The Popular science monthly, vol. 76, 1910. 64-67 P’tit-Bonhomme, J. Verne, ill. Léon Benett. 68-75-77 Mathias Sandorf, J. Verne, ill. Léon Benett. 73 Alexandre Dumas père par Nadar, 1855. 82 Honoré de Balzac attribué à Achille Devéria, vers 1825. 87 Melancholia I, Albrecht Dürer, 1514, Städelsches Kunstinstitut und Städtische Galerie, Frankfurt am Main 88 Frritt-Flacc, in le Figaro illustré, 1884 J. Verne, Coll. V. Dehs. 92 Death in Firenze, Parmis Parki, 2012. 96 à 103 Installations, André Chabot. 104-105 Migratory birds, Parmis Parki, 2013. 106-107 Aguijero de las golonfrinas & Portrait Erika kuhn, Mexico. 108 Au Centre par Marc Sayous. 111 Pierre-Jules Hetzel vers 1860. 113 n°37 par Marc Sayous. 114-116 Cartes postales & programmes, Coll.Burgaud. 118-119 Académie des Beaux-Arts de Florence, Bibliothèque, Marc Sayous, 2012. 121 Neige sur pierre, Marc Sayous, 2012. 124-125 Anamorphose n°35, Marc Sayous, 132-133 Main, Cimetière du château de Nice, Parmis Parki, 2013. 136-141 à 143 Marc Sayous, 2012 & 2013 142 Illustration from Osteographia, or The anatomy of the Bones, 1733, William Cheselden


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- Achevé d'imprimer en mars 2013 par l'imprimerie Pulsio Paris & Sofia



À LA VIE, À LA MORT

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Frapper à la porte de la mort avant que celle-ci ne cogne à la nôtre : une curiosité sans fin… Alexandre Tarrieu a mené cette visite à l’improviste au cœur des zones en clair et en obscur de l’œuvre de Jules Verne. La mort s’y révèle très présente et bien plus féconde que faucheuse.

À LA VIE À LA MORT ! Le Centre international Jules Verne propose en couverture une œuvre contemporaine. Erika Kuhn vit à Mexico. Elle inscrit son quotidien sur doubles-pages dans de petits carnets. Ce sont des voyages infinis où les oiseaux transportent ses émotions entre Eros et Thanatos. À la mine et au pinceau, son journal inspire et l’imagination s’envole, respire.

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ISBN : 978-2-901811-52-7

CIJV

10 €

HIVER 2012-2013

REVUE JULES VERNE

La mort se laisse surprendre et, comme l’ombre souligne la lumière, elle révèle par contraste toute la vivacité de l’œuvre.

REVUEJULESVERNE

Effondrements et catastrophes, suicides, catafalques et linceuls, fantômes, au fil du temps sont au rendez-vous tandis que les illustrations originales subliment avec style le thème redouté et lui confèrent une esthétique explosive, une expression sans fard.

9 782901 811527


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