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CITTÀSLOW Des villes où il fait bon vivre C’est à Orvieto qu’a été signée en 1999 la charte fondatrice de Cittàslow – littéralement “ville lente” – par les maires de quatre villes italiennes : Bra, Greve in Chianti, Positano et Orvieto. A ensuite été lancé un deuxième réseau, celui des Città del buon vivere – “villes où il fait bon vivre” –, suivi par d’autres... Pier Giorgio Oliveti, directeur de Cittàslow, s’efforce de briser l’image négative qui colle à l’idée de lenteur, plaidant que l’on gouverne le temps au lieu d’être gouverné par lui. Toute ville du monde de moins de 50 000 habitants peut adhérer à ce réseau, 147 l’ont déjà fait. Enquête de Sophie Chapelle, journaliste. Le cadran solaire de la tour de la Via Duomo affiche 19 heures. Les rues étroites et pavées d’Orvieto, en Italie, s’animent doucement : les magasins sont rouverts depuis la fin d’après-midi, les serveurs installent les tables des cafés au soleil, des papis assis sur des bancs regardent couler le temps. Dans le dédale des ruelles libérées des files de stationnement, le regard s’accroche partout, aux églises, aux arches, aux tours et aux palais. Seuls quelques minibus fonctionnant au gaz viennent déranger les marcheurs. Nichée au sommet d’un rocher de tuf volcanique, la cité médiévale d’Orvieto domine l’autoroute et la ligne à grande vitesse reliant Florence à Rome. La sensation d’être dans un îlot de calme au cœur d’un océan de folie affleure partout.

“La lenteur permet d’être plus efficace” C’est dans cette ville qu’a été signée en 1999 la charte fondatrice de Cittàslow – littéralement “ville

lente” en français – par les maires de quatre villes italiennes : Bra, Greve in Chianti, Positano et Orvieto. À l’initiative de cette réunion, on retrouve Carlo Petrini, le fondateur de Slow Food, un mouvement dans lequel l’art culinaire italien se nourrit de traditions locales, de diversité, de respect de l’environnement et de patience (cf. encadré page suivante). Si l’association Cittàslow s’engage dans sa charte à promouvoir les valeurs de Slow Food, elle affiche des objectifs plus audacieux, dépassant la culture de la bonne table. “Les villes qui se sont distinguées dans la recherche de la qualité gustative ont décidé de mutualiser leurs expériences en élargissant leur attention à la qualité de l’hébergement, des services et du tissu urbain”, mentionne la charte. Un nouveau réseau est né, celui des Città del buon vivere, autrement dit “des villes où il fait bon vivre”. Ces utopies pratiques ont leur quartier général dans un monastère du XIVe siècle en plein centre histo-

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rique d’Orvieto. Cet ancien couvent est aussi le empreinte écologique excessive.” Plusieurs rapsiège du Palais du goût et de l’œnothèque régio- ports révèlent que si l’ensemble de la population nale, signe manifeste de liens étroits avec Slow mondiale consommait autant de ressources natuFood. C’est entre deux salles de cours de cuisine relles que les Européens, son empreinte écologique que s’ouvre le bureau de Pier Giorgio Oliveti, directeur du réseau international des Cittàslow. Derrière son bureau flotte le logo du réseau, un escargot portant une ville sur sa coquille. Dans un monde dominé par le culte de la vitesse, l’un des premiers défis, pour Pier Giorgio, est de briser l’image négative qui colle à l’idée de “lenteur”. Son credo : “Vivre lentement, c’est vivre mieux et plus heureux.” À ses yeux, vitesse et lenteur désignent plus qu’un changement de rythme, ils incarnent des styles et des philosophies de vie. Une manière d’apprendre à gouverner le temps et à ne plus être gouverné par lui. À ceux qui assimilent le mouveOrvieto : la citadelle, la rue Michelangelo, la place. ment à un réseau d’amorphes et de paresseux, Pier Giorgio rétorque que “la lenteur serait trois fois supérieure à ce que la planète peut permet d’être plus efficace”. Elle serait même deve- supporter. Convaincu qu’il est possible d’anticiper nue “une obligation”. “Nous n’avons pas d’autres pour éviter d’atteindre le point de rupture, Pier choix que de ralentir, analyse-t-il. Ce n’est pas seu- Giorgio présente les Cittàslow comme des lement le pic de pétrole qui est en cause, ce sont exemples très concrets d’utopies où sont mis en toutes les ressources naturelles, qu’elles soient pratique “un nouveau style de vie pour les habiénergétiques, minérales ou agricoles, qui montrent tants et des projets durables pour les générations une limite et nous contraignent à réduire notre futures”.

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Le mouvement Slow Food aux origines des Cittàslow Tout a commencé en 1986, lorsque McDonald’s ouvrit à Rome une succursale à deux pas de la place d’Espagne. Pour contrer la déferlante du fast-food qui gagnait la planète, Carlo Petrini, un critique gastronomique charismatique, lança le mouvement Slow Food. Comme le suggère son nom, Slow Food allait promouvoir tout ce qui est introuvable chez l’enseigne McDonald’s : des produits frais, locaux et de saison s’opposant à la standardisation des goûts ; des recettes transmises de génération en génération en vue de créer une conscience publique des traditions culinaires ; une forme d’agriculture viable promouvant la biodiversité alimentaire ; un soutien à la production artisanale ; des dîners tranquilles entre amis ou en famille aux antipodes de la culture de la restauration rapide. Slow Food prône également l’éco-gastronomie – notion selon laquelle manger bien peut et doit aller de pair avec la protection de l’environnement. La motivation profonde de ce mouvement reste cependant le plaisir, excellent point de départ, selon Petrini, pour combattre notre obsession de gagner du temps dans chaque activité de la vie. Comme le clame son manifeste, “une défense sans faille des plaisirs terrestres est la seule façon de s’opposer à la folie universelle de la vitesse à tout prix... Notre action devrait commencer à table, en redonnant du temps au goût”. D’emblée, la charte des Cittàslow rédigée en 1999 va marquer un engagement actif dans le respect et la promotion des valeurs de Slow Food. Mais elle affiche également la volonté de s’en distinguer, en élargissant la culture de la bonne table à la qualité de l’hébergement, des services et du tissu urbain. Les liens demeurent très étroits entre les deux mouvements, à l’instar du comité de coordination des Cittàslow, composé de représentants de Slow Food. Reconnu par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, le mouvement Slow Food possède son siège à Bra, au sud de Turin. Présente dans une centaine de pays, l’association compte plus de 80 000 adhérents. Déclinée nationalement, l’association Slow Food France a été fondée en 2003 et rassemble aujourd’hui environ 2 000 adhérents.

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B L’ensemble de ces expériences sont menées à de petites échelles. Pour adhérer au réseau des Cittàslow, les villes doivent compter moins de 50 000 habitants. “Nous refusons les grandes villes dont l’échelle est

de ses remparts, ses falaises n’ont pas résisté à l’invasion des voitures dès les années 1950. “Nous avons organisé plusieurs réunions consultatives avec les résidents et nous sommes parvenus à un

sans mesure avec les capacités humaines de perception, de dialogue et de déplacement”, explique Pier Giorgio. La critique de la vitesse est donc consubstantielle à celle du gigantisme et des villes tentaculaires et fragmentées. À l’inverse, l’amour porté à la petite échelle se veut sans limites : les villes lentes affichent un soutien vigoureux aux productions locales, aux circuits courts, aux petits commerces et à la redistribution locale de l’énergie. Autant d’éléments faisant figure d’ennemi naturel du capitalisme mondial. Mais, pour les tenants du mouvement, l’enjeu n’est pas d’être contre la mondialisation mais d’être pour “une globalisation vertueuse”. “Nous ne sommes pas hostiles au capitalisme vert, précise Pier Giorgio. Mais, en nous opposant au fast-living, nous nous inscrivons dans un mouvement de contre-culture.” La lenteur urbaine qui règne à Orvieto résulte d’une vraie politique, comme en témoigne Rocco Olivadese, architecte de la municipalité. Ce dernier nous reçoit dans son bureau du Palazzo Comunale, un monument de style roman du XIIIe siècle devenu le siège du conseil municipal. Cet architecte est convaincu de la priorité à accorder à la densification urbaine face à l’étalement. “L’enjeu est de revitaliser le centre historique, relate Rocco, d’en faire un centre vivant pas seulement pour les touristes mais où les habitants puissent vivre.” D’après lui, près de 13 000 personnes pourraient habiter dans le centre de la cité médiévale. Aujourd’hui, elles sont à peine 6 000. Le premier champ d’action pour l’architecte a consisté en la mise en place d’un système de mobilité alternative. Car, si Orvieto a bénéficié pendant des siècles de la protection naturelle

accord autour d’un système multimodal”, explique Rocco. Pour effacer l’empreinte de la voiture et retrouver la qualité de vie qui caractérisait la cité, les possibilités de gagner le centre historique par des transports publics ont été multipliées. Au bas de la citadelle, un funiculaire est relié à la gare ferroviaire qui dessert la vallée raccordant Rome à Florence. “Nous avons dans le même temps procédé à la densification du réseau de bus”, poursuit Rocco. Aujourd’hui, en haut de la colline, deux lignes permettent de gagner le quartier médiéval, redevenu presque exclusivement piétonnier. L’accès en voiture est pour le moment restreint aux riverains et aux commerçants. Du fait d’une armada de panneaux de signalisation, l’automobiliste non initié se voit condamné à errer en boucles irrationnelles sur les pavés sonores. Dissuadé par les sens interdits parsemant les ruelles, le conducteur a tout intérêt à gagner les parkings souterrains construits aux extrémités de la citadelle. Sur place, il trouvera un ascenseur ou des escaliers mécaniques qui suivent le tracé des conduites d’eau douce édifiées au temps des Étrusques. “Ce plan alternatif revient à 400 euros par an pour les résidents, précise Rocco, et tous manifestent leur satisfaction.” En l’espace de dix ans, le cœur historique d’Orvieto est redevenu piéton, côtoyant plusieurs pistes cyclables et renouant avec la dolce vita.

Micro-économie et nouvelles solidarités À la sortie du Palazzo Comunale, Pier Giorgi Oliveti désigne un panneau “pedibus” rappelant que les

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enfants aussi bénéficient de ce nouvel art de vivre. Selon une étude rapportée par le journaliste Carl Honoré /1, moins il y a de circulation dans un quartier, plus elle se fait lente et plus le lien social est fort entre les résidents. Orvieto donne effectivement l’impression d’un grand village. En cette fin d’aprèsmidi où l’on remonte le Corso Cavour, l’une des avenues principales d’Orvieto, Pier Giorgio enchaîne les poignées de main. “À cette heure-ci, mieux vaut prendre les rues adjacentes si l’on n’a pas envie de parler”, conseille-t-il en souriant. Une façon de répondre aux critiques qui assimilent les Cittàslow à des “villes-musées”, regorgeant de joyaux architecturaux et destinées uniquement aux plaisirs des vacanciers. “Une ville lente ne doit pas rentrer dans sa coquille, avertit Pier Giorgio, elle doit travailler à l’émergence de nouvelles solidarités au sein même de ses quartiers mais aussi avec les autres

circuits courts est une approche typiquement slow”, se réjouit Pier Giorgio. Il nous conduit chez Walter Ambrosini, un ancien salarié d’une compagnie d’assurances devenu artisan. Avec sa compagne, ils se sont lancés il y a dix ans dans la fabrication de céramiques de type médiéval. La boutique est emplie de poteries aux couleurs vertes et brunes, respectivement dérivées de l’oxyde de cuivre et du manganèse. “Je m’inspire de pièces anciennes, je les étudie avec rigueur, mais je crée des céramiques uniques et différentes”, explique Walter avec enthousiasme. “Ce travail me procure plus de calme et de tranquillité, il me permet d’avoir une vie moins mouvementée et au final plus respectueuse.” Récemment, un revendeur lui a proposé de fabriquer une cinquantaine de lampes. “J’ai décliné son offre en lui expliquant que, si j’acceptais, je ne travaillerais que pour lui.” Et pour

Brisighella : vue générale, le marché fermier, la tour de l’horloge.

territoires.” Ces nouvelles solidarités se traduisent par un appui conséquent apporté par la municipalité aux artisans de la ville. “Créer la transition suppose d’être créatif en utilisant notre héritage, explique Pier Giorgio. Le problème, dans les pays occidentaux en particulier, est que l’on pense que la modernité revient à détruire l’ancien pour réinventer une nouvelle perspective. C’est en partie vrai, mais pas totalement. Nous avons besoin de préserver l’identité et l’esprit de chaque territoire, et de joindre le meilleur du passé au présent.” Forte d’une tradition artisanale dans les domaines de la céramique, des métaux, du cuir, du bois et des dentelles, la ville d’Orvieto mise sur le retour en force de cette microéconomie. Elle refuse en revanche l’ouverture de commerces excédant 2 000 m2. Depuis l’entrée dans le processus Cittàslow, plusieurs artisans ont ouvert un commerce dans les artères du centre historique. “La valorisation de savoir-faire ancestraux dans des

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cause, quinze jours lui sont nécessaires pour réaliser une seule de ses lampes. Walter n’a pour le moment aucune envie d’agrandir son commerce. “Ce travail est suffisant pour faire vivre ma famille, j’ai décidé de privilégier le bien-vivre”, assure t-il avec confiance. Et de se contenter désormais d’une seule voiture et d’un seul téléphone portable pour toute la famille. Si le “made in Orvieto” est un élément fort de la municipalité, cette dernière le doit notamment au travail accompli par les ateliers Michelangeli. En se promenant dans le centre historique, on tombe immanquablement sur l’une des œuvres provenant de cette entreprise familiale installée à Orvieto depuis 1789. Ses sculptures, créatures légendaires et bancs en bois très reconnaissables, élégantes et stylisées, parsèment le centre historique. C’est dans un ancien théâtre, devenu le lieu de fabrication de ces pièces uniques, que nous retrouvons Simonetta Michelangeli. Avec l’aide de cinq employés, elle

1/ Carl Honoré, Éloge de la lenteur. Et si nous ralentissions ? Marabout, 2007.


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B poursuit le travail de menuiserie artisanale entamé sept générations plus tôt, en perpétuant l’univers fantaisiste et enchanté développé par ses ancêtres. “Bien que nous ayons beaucoup de demandes, nous vendons uniquement à Orvieto, nous refusons le marché mondial et la standardisation.” L’enjeu est de garder intactes leurs normes de haute qualité et l’originalité des créations. Entrant dans l’une des arrière-salles, Simonetta montre quelques modèles de marionnettes de son grand-père. “Notre travail est difficile mais, en même temps, il est très relaxant. Les nouvelles générations aiment ce mode de vie lent, loin des grandes villes sous pression.” Le plus difficile, pour Simonetta, a été d’accepter que le manque d’emplois à Orvieto pousse ses sœurs, Donatella et Raffaella, à partir. “Le problème de cette ville est que c’est un peu trop lent, il n’y a pas assez de travail et ce n’est pas assez

2/ Routes en graviers.

jeune.” Sur le chemin qui nous mène à la boutique de vente située via Gualverio Michelangeli, du nom de son père, Simonetta désigne des maisons, des cafés, des vitrines de magasins, des jardins où les créations Michelangeli ont désormais leur place. “J’ai grandi ici, c’est ma vie. Et puis, c’est un beau cadre, vous ne trouvez pas ?” Ce “beau cadre de vie” attirerait chaque année des centaines de milliers de visiteurs, d’après le directeur des Cittàslow. “Mais nous refusons l’implantation de grandes chaînes hôtelières, précise Pier Giorgio. Le réseau des villes lentes préfère les petites structures d’hébergement, ainsi que les restaurants locaux, de manière à véritablement intégrer les touristes dans le territoire.” Il Saltapicchio fait partie de ces restaurants emblématiques à Orvieto qui, sans bénéficier du label Slow Food, proposent des menus de saison basés pour l’essentiel sur des produits frais de la ferme accompagnés de vins locaux. Valentina, jeune cheffe de 28 ans, a

ouvert ce bar-restaurant en 2008, non loin des artères touristiques. Elle recommande ce jour-là des pâtes “faites maison” avec des asperges et des tomates récoltées à quelques kilomètres, dans la ferme de sa famille. “Ce qui est vraiment slow à mes yeux est ce qui est produit localement et de manière biologique. Il est essentiel d’être à l’écoute de la nature et de suivre le rythme des saisons, c’est la chose la plus importante que nous puissions faire.” La recherche du tempo giusto est une quête inhérente à chaque Cittàslow. Signe que le mouvement inspire, 68 villes italiennes ont adhéré au réseau depuis 1999.

Entretenir les différences Évidemment, toutes les Cittàslow ne se donnent pas les mêmes priorités pour atteindre la “juste cadence”. Impossible par exemple de gagner Castelnuovo Berardenga, dans le Chianti, sans la sacro-sainte voiture. Le maire de cette commune toscane de 2 000 habitants, Roberto Bozzi, considère que ce champ ne relève pas de sa compétence mais du Syndicat des transports de la communauté de Sienne. Il a en revanche décidé de “maintenir la qualité du territoire et d’éviter la construction de nouveaux bâtiments”. “Le développement, c’est entretenir les différences et éviter toute homogénéisation”, assure-t-il. Avec l’aide de Paola Dainelli, responsable du service Urbanisme et de la gestion du territoire communal, il a donné la priorité à la densification urbaine, à l’usage durable des sols, à la réhabilitation de l’existant et à l’efficacité énergétique. Le visage de Roberto Bozzi dévoile une once de fierté lorsqu’est évoquée la Piazza Marconi, une place publique autosuffisante en énergie pour son éclairage et sa fontaine qui lui a valu le prix de l’initiative décerné par le réseau des Cittàslow. Le développement de politiques visant l’efficacité énergétique est un des points clés de la charte du réseau. “Le bien-vivre, c’est aussi ne pas asphalter partout, poursuit Paola Dainelli. Regardez ces strade bianchi /2, les maintenir fait partie de notre histoire au même titre que nos forêts, nos oliviers et nos vignes.” Cette préoccupation de préservation du patrimoine est commune à l’ensemble des municipalités bénéficiant de la certification Cittàslow. À Brisighella, dans la région Émilie-Romagne, Filippo, responsable d’une agence de tourisme, a participé à la rédaction du dossier de labellisation. Dans cette commune ceinte de murailles du XIVe siècle, on s’oppose aussi au développement de grandes zones

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résidentielles ou industrielles. “Nous préférons restaurer et réhabiliter, même si c’est difficile en Italie puisque les finances de la mairie dépendent des nouvelles mises en chantier”, témoigne le maire, Davide Missiroli. Dominée par trois pics rocheux – sur lesquels s’élèvent la tour de l’Horloge, la forteresse Rocca Manfrediana et le sanctuaire Monticino –, Brisighella est un labyrinthe d’anciennes ruelles traversées d’escaliers sculptés dans le gypse. Les façades des maisons sont habillées aux couleurs de la terre, délicat mélange d’ocre sèche, de jaune terne, de rose poussiéreux. “Ce sont des couleurs typiques du début du XXe siècle que nous avons cherché à préserver”, explique le maire. La Via del Borgo, également appelée “route des ânes”, est un passage immanquable du centre historique de Brisighella. Surélevée et couverte, recevant la lumière du jour grâce à ses nombreuses petites fenêtres en forme de demi-arche, cette route constituait au XIIIe siècle un rempart de défense pour la citadelle médiévale. Par la suite, elle fut à la fois l’abri et le chemin de passage des ânes qui trans-

sée par la Fondation Censis et rendue publique en juin 2011, les projets considérés comme les plus réussis par les Cittàslow concernent les manifestations culturelles locales, mises en œuvre par environ 70 % des villes adhérentes. “Vivre lentement, pour nous, c’est aussi produire nos propres produits, là où l’on vit”, commente Filippo en passant devant la Copaf, une coopérative où sont valorisés les produits locaux typiques comme la viande de bœuf et de porc, la confiture, mais aussi le ragoût. L’huile d’olive de Brisighella, très réputée dans la région et bénéficiant d’une certification européenne, est transformée à la sortie de la ville. Un musée à ciel ouvert est dédié à cette huile dont les procédés d’extraction sont extrêmement soignés. “Cette tradition remonte à plus d’un millénaire, commente Filippo. La production actuelle est limitée et très contrôlée, toute la récolte se fait à la main à l’aide de peignes.” Aux différentes intersections de la ville sont affichées les cinq certifications de Brisighella, parmi lesquelles les labels “Ville de l’huile” et Cittàslow. Pas de doute pour

Abbiategrasso : signalisation de circulation limitée et police locale à vélo.

portaient des charrettes de pierres de gypse. “Aujourd’hui, cette route que nous veillons à préserver longe des magasins de services avant de déboucher sur une demeure complètement atypique”, dit mystérieusement Davide Missiroli. Creusée dans la roche, la maison Boschi se déploie sur sept étages. Du sous-sol, où l’on découvre une grotte dans laquelle était conservée la glace, jusqu’à la terrasse sur le toit, chaque étage a été restauré avec d’anciennes techniques artisanales. “La commune de Brisighella mise depuis des décennies sur la rénovation du patrimoine historique à l’aide de mesures structurelles, confirme le maire. Pour mettre en avant ces efforts, nous organisons une fête médiévale annuelle qui réunit les habitants et de nombreux visiteurs.” D’après l’enquête réali-

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Filippo, “le mouvement slow est quelque chose de vraiment intéressant pour développer le tourisme”. Nombreux sont pourtant les touristes qui n’en ont jamais entendu parler. “Ceux qui connaissent Cittàslow sont ceux qui ont une activité en lien avec le tourisme, les restaurateurs et les aubergistes notamment”, nuance une résidente de Brisighella.

Nettoyer le monde Bien que la conscience d’être slow soit un des points de la certification, tous les habitants ne savent pas nécessairement qu’ils font partie d’une ville lente. À Abbiategrasso, dans la province de Milan, le maire Valter Bertani a donc décidé d’organiser un Cittàslow Day, “une journée entièrement consacrée à des événements dans la philosophie


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B de Cittàslow”, précise-t-il. Le thème de l’an dernier ? “Nettoyer le monde.” “Concrètement, nous avons rassemblé des étudiants, des habitants, des touristes, pour nettoyer Abbiategrasso. Nous en avons profité pour fermer la circulation en ville et organiser des jeux pour les enfants dans le centre historique”, explique-t-il. Autre exemple ? Au niveau national, le réseau a organisé à Milan Vélo slow, une promenade cyclable d’environ 40 km ponctuée d’arrêts pour goûter des produits régionaux. La participation ponctuelle à des événements peut-elle suffire à changer les consciences ? En réalité, pour la plupart des personnes rencontrées qui promeuvent ce réseau, les habitants des Cittàslow feraient du slow sans le savoir. “C’est dans l’esprit que c’est très lent, explique-t-on. Continuer à être comme nous étions avant, préserver, transmettre les savoirfaire, fait partie de la qualité de vie.” “On ne devient pas Cittàslow, résume Pier Giorgio Oliveti, on l’est dans l’esprit et on le valorise.” “Une Cittàslow, c’est une municipalité rurale dont le maire s’engage en fin de compte à ne rien faire

de plus que ce qui existe déjà”, commentent les détracteurs. La critique est aisée. En pratique, il est vrai que les villes lentes sont loin de révolutionner l’univers italien des municipalités rurales, avec ses magasins fermant leurs portes depuis des décennies entre midi et 16 heures, ses restaurants familiaux et ses vignobles à perte de vue. Plusieurs jeunes adultes interrogés confient ressentir “une mentalité très fermée et trop conservatrice”. “Ce qui compte c’est d’être du coin, de vendre ses produits et de ne pas changer ses habitudes même si cela doit se faire au détriment de l’environnement”, explique ainsi Andreu, un jeune père de famille. Valter Bertani, le maire d’Abbiategrasso, s’en défend. “Nous travaillons énormément avec les nouvelles technologies environnementales, nous

allons par exemple construire une école maternelle début 2012 totalement autosuffisante. Nous cherchons à ne pas rentrer dans notre coquille mais à rester ouvert sur le monde.” Une chose est sûre pour Pier Giorgio Oliveti, “Cittàslow ne se veut ni de droite ni de gauche”. “Tous les maires membres du réseau sont engagés dans la même direction, ce qui est important, c’est de faire preuve d’efficacité et de mettre en pratique la qualité de vie au quotidien.” La démarche pour obtenir la certification Cittàslow part donc de l’initiative du maire. Et c’est là une des différences fondamentales avec le réseau des villes en transition, qui se caractérise par une approche bottom up, c’est-à-dire de bas en haut. Pier Giorgio assume totalement son travail aux côtés des maires, auxquels revient, d’après lui, “la nécessité de prendre des décisions jour après jour et de les rendre opérationnelles”. À l’heure actuelle, il n’existe pas de comité local Cittàslow à Orvieto, ce qui pourrait justement favoriser la réappropriation de la ville par les citoyens. Mais d’autres communes en ont développé et travaillent avec les habitants sur les transports ou sur l’éducation à l’alimentation. À Castelnuovo Berardenga, par exemple, la planification urbaine a fait l’objet d’une large consultation. D’après Paola Dainelli, “cela nous a permis de mieux comprendre les exigences et attentes des habitants sur le futur de la commune”. Un premier pas... Conjuguer le social à une meilleure qualité de la vie se révèle également difficile, l’augmentation du prix des loyers accompagnant quasiment toujours l’amélioration du cadre de vie. “L’intégration sociale est un défi que nous cherchons à relever”, assure Pier Giorgio Oliveti. Avec d’autres membres du réseau, il a participé ces derniers mois à la rédaction de la Charte européenne des responsabilités sociales partagées. “L’enjeu est de réduire les inégalités de pouvoir et de soumettre les initiatives à des objectifs de justice sociale, environnementale et intergénérationnelle.” Des écrits qui passent encore difficilement l’épreuve des faits. Mais quelques exemples concrets viennent joindre culture et social. Ainsi, la municipalité d’Abbiategrasso co-finance les voyages du troisième âge et des repas dansants dans le centre historique offrant la possibilité de déjeuner pour cinq euros. “Notre défi, c’est de parvenir à protéger les Cittàslow tout en leur permettant d’être ouvertes à tout le monde, et pas seulement à l’élite”, rappelle

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Pier Giorgio. Face aux défis économiques, financiers, sociaux, environnementaux et démocratiques, Pier Giorgio Oliveti estime que les Cittàslow sont dans “un processus de transition vers un monde plus soutenable pour les générations futures”. “Bien sûr, ajoute-t-il, nous ne sommes pas parfaits, chaque initiative connaît des contradictions. Mais nous prenons le modèle imparfait actuel pour le modifier à sa base de la meilleure façon possible, en partant de ques-

tions pratiques.” L’idée fait des émules, puisque 147 villes dans 24 pays ont rejoint le mouvement depuis douze ans, des États-Unis à la Corée du Sud. En France, trois villes ont récemment adhéré : Segonzac en Charente, Labastide-d’Armagnac dans les Landes et Mirande dans le Gers (cf. entretien p. 30). Une révolution tranquille qui compte de plus en plus de partisans. Sophie Chapelle

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BCittàslow gagne le Gers Après Segonzac en Charente et Labastide-d’Armagnac dans les Landes, c’est Mirande, une commune d’un peu plus de 4 000 habitants située dans le département du Gers, qui sera certifiée Cittàslow en décembre 2011. Pierre Beaudan, le maire de Mirande, revient sur cette adhésion. Comment avez-vous découvert le mouvement Cittàslow ? Depuis 1991, Mirande est jumelée avec San Mauro Torinese en Italie. J’ai eu la chance d’aller visiter l’une de ses villes amies, Orsara di Puglia, près de Naples. Cette commune de 3 500 habitants a un caractère médiéval extraordinaire et bénéficie du label Cittàslow. En me renseignant sur cette certification, l’idée m’est venue qu’elle collerait bien à ma commune de 4 000 habitants, où la qualité de vie, au cœur du Gers et loin des grands centres, est exceptionnelle. Quel est le but de votre démarche ? Soyons clairs, la traduction littérale de Cittàslow par “ville lente” ne me convient absolument pas. Adhérer au réseau des Cittàslow, c’est pour Mirande rejoindre les villes de la convivialité, de la qualité de vie, sans souci de déplacement, avec une bonne qualité de l’air, du caractère et des relations fortes entre les concitoyens. Être Cittàslow va être l’occasion pour nous de mettre en avant nos produits locaux et artisanaux, de développer le tourisme. C’est vraiment une démarche qui apporte à notre région un label de qualité. Qu’allez-vous réaliser concrètement dans le cadre de Cittàslow ? Nous allons faire un maximum de choses prévues par la charte, en matière notamment de préservation du bâti, de gastronomie, de respect des paysages. Nous sommes en train de développer les chemins piétonniers et cavaliers, qui sont des liens dans notre communauté de communes. Nous prévoyons également de mettre en exergue les volailles dites “festives” afin d’aider les éleveurs traditionnels. Nous prêtons attention à la biodiversité animale, avec la protection de la Mirandaise, une vache gasconne en voie de disparition. Il nous semble également important de créer des moments de convivialité en programmant des fêtes de village où sont mis à l’honneur des travaux autrefois réalisés collectivement, comme les moissons. Dans le même temps, nous construisons un Sun Park, recouvert par 35 000 m2 de panneaux photovoltaïques. Vous le voyez, c’est une dynamique écologique alliant tradition et modernité. Est-ce une adhésion qui fait l’unanimité au conseil municipal ? Le manque de notoriété de ce label a fait douter des conseillers de la pertinence d’y adhérer, avec la crainte que l’image véhiculée soit un peu passéiste. Six personnes de l’opposition ont voté contre. Pour moi, cette adhésion relève d’une démarche apolitique qui vise à valoriser le patrimoine de la région, à lui donner une image de marque favorisant son développement. Nous avons porté le dossier au nom de Mirande car, d’après la charte, seules les communes peuvent adhérer. Mais notre projet est de nous donner les moyens de communiquer à l’échelle de la communauté de communes. J’espère que les villages alentour nous rejoindront progressivement dans cette démarche. Propos recueillis par S. C.

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