Save | Change the City. UNBUILT BRUSSELS #01

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UNBUILT BRUSSELS #01

FONDATION CIVA


PLAN DE L’EXPOSITION 3.

2.

5. IV.1

IV.

V. 27.

IV.2 IV.3

1

1.2

1.3 4.

1.1 1.4

26.

25.

1.

VI.

24.

23.

6.

1.5 22.

21.

2.2

1.6

1.7

19.

20.

2 16.

18.

11.

10.

2.6

8.

14.

12.

2.8

9. 7.

6. 4. IV.5

III.

IV.9

2.10 2.11

2.12

3.

II.

IV.6

2.9

5.

2. 1.

IV.8

2.3

2.7

15.

IV.4

2.1

2.5

13.

17.

2.4

VII.

2.13

I.

IV.7

3


UNBUILT BRUSSELS #01

.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

II. RAGE DESTRUCTRICE  : 1950 – 1960

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III. LIGNE DU TEMPS

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LA PIOCHE D’OR (1982-1988). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 INVENTAIRES VISUELS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

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EVOLUTIONARY TREE TO THE YEAR 2000. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 LA MODERNISATION DE BRUXELLES.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 BRUXELLISATION 1950-1975.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 LA BATAILLE DE LA MAROLLE .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 L’ARAU : LE DROIT A LA VILLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 LA CRÉATION DES ARCHIVES D’ARCHITECTURE MODERNE (AAM) . . . . . . . . . . 10 ITT – LA TOUR TRANSLUCIDE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

IN MEMORIAM PATRIMONIUM (1983-1988).. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 LIVRES BLANCS POUR LA REAFFECTATION DU PATRIMOINE ARCHITECTURAL. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

UNBUILT BRUSSELS #01

I. ARCHITECTURES DE PAPIER

À PROPOS DE QUELQUES CAMPAGNES DE SAUVETAGE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 FORUM LOUIZE, ALIAS WILTCHER’S (1988). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26

IV. À PROPOS DE SIX PROJET CLÉS

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V. CONTRE-PROJETS ARCHITECTURAUX

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LES CONTRE-PROJETS LUDIQUES – 1970-1975. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 LES CONTRE-PROJETS MILITANTS – 1975-1979. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39

FONDATION DE SINT-LUKASARCHIEF EN 1968. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 LA REDÉCOUVERTE DE VICTOR HORTA. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 QUARTIER NORD « MANHATTANNEKE ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 BRUXELLES, LA VILLE AUX CENT COMITES D’HABITANTS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 L’AGGLO. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 VALLÉE DU MAELBEEK. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 UN MUSEE D’ART MODERNE À BRUXELLES. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 L’INVENTAIRE D’URGENCE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

VI. UNBUILT

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VII. SUR LES BARRICADES POUR LA CONSERVATION ARCHITECTURALE VIII. EXTRAITS VISUELS

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MAURICE CULOT ET LA CAMBRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 L’HÔTEL DES MONNAIES NE DOIT PAS DISPARAITRE ! (1979) .. . . . . . . . . . . . . . . . . 18 BRUXELLES, CONSTRUIRE ET RECONSTRUIRE : ARCHITECTURE ET AMENAGEMENT URBAIN (1780-1914). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 PIERRES ET RUES. BRUXELLES : CROISSANCE URBAINE (1780-1980).. . . . . 19 LES ARCHIVES D’ARCHITECTURE MODERNE S’EXPORTENT. . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 LES AAM APRES 1980. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

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I. ARCHITECTURES DE PAPIER

À la fin des années 1960, deux associations voient le jour, les Archives d’Architecture Moderne et Sint-Lukasarchief. Elles seront amenées à jouer un rôle déterminant dans la sauvegarde du patrimoine architectural et dans la préservation de l’héritage urbain bruxellois dans les décennies qui suivent. L’une comme l’autre entendent résister au rouleau compresseur de la promotion immobilière, à la politique de la table rase préconisée par le mouvement fonctionnaliste et à l’indifférence, pour ne pas dire la complicité, d’un pouvoir politique national qui ne se préoccupe guère de la qualité de vie des Bruxellois, ni de la sauvegarde de leur cadre de vie. Créée à l’initiative de l’ingénieur-architecte Alfons Hoppenbrouwers dans le sillage de l’enseignement de l’architecture des Instituts SintLukas, Sint-Lukasarchief se préoccupe tout d’abord du sort de l’Art Nouveau, des néostyles du XIXe siècle, de l’Art Déco et du modernisme et s’illustre par la réalisation d’un inventaire du patrimoine architectural. Dès le début, il paraissait évident pour Sint-Lukasarchief que la sauvegarde du patrimoine devrait s’inscrire dans un plan et un processus urbain global, qui garantirait une revalorisation économique et de ce fait la conservation du patrimoine. Les AAM, quant à elles, sont créées par trois architectes de La Cambre – Maurice Culot, Bernard de Walque et François Terlinden – qui, redécouvrant deux architectes majeurs du mouvement moderne – Antoine Pompe et Fernand Bodson – vont tirer un fil qui les conduira à exhumer toute une génération d’architectes modernes oubliés de l’histoire. Ils leur consacreront une exposition princeps intitulée Antoine Pompe et l’effort moderne en Belgique, point de départ de la constitution du premier fonds de documents d’architecture en Belgique. Les deux associations vont tout à la fois militer pour la préservation du patrimoine, réaliser des études et entreprendre des recherches dans le domaine du patrimoine. Dans la foulée, elle vont constituer une bibliothèque, un centre de documentation et une collection d’archives d’architectes, d’autant plus importante qu’à l‘époque, ces archives n’intéressent personne. Ces collections n’ont cessé de s’enrichir depuis, ont été consultées par plusieurs générations d’étudiants, de chercheurs, de militants et de bureaux d’étude, et ont été valorisées pendant près d’un demi-siècle au travers de livres et d’expositions. Dès le départ, les deux associations ont inscrit leur action militante dans le cadre des luttes urbaines dont elles furent des piliers : les AAM, notamment en dessinant des contre-projets en réaction à des projets immobiliers destructeurs ; Sint-Lukasarchief en réalisant le premier inventaire du patrimoine architectural bruxellois, future base de l‘inventaire légal.

Depuis le premier janvier 2017, les deux associations sont parties intégrantes de la Fondation CIVA qui les a réunies dans son département « Architecture Moderne », permettant ainsi la constitution d’une des plus importantes collections d’archives d’architecture d’Europe. La présente exposition retrace l’histoire de leur action et présente en outre, dans une section intitulée « Unbuilt Brussels », un échantillon des dessins d’architecture contenus dans les fonds.

III. LIGNE DU TEMPS

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I. ARCHITECTURES DE PAPIER

II. RAGE DESTRUCTRICE  : 1950 – 1960 Les années 1950 et 1960 sont particulièrement tragiques pour Bruxelles. La liste des structures urbanistiques, bâtiments résidentiels et bâtiments publics de qualité qui disparaissent sous les coups de la pioche des démolisseurs est impressionnante. Tout cela au profit d’une soidisant modernisation de la ville ! Outre quelques monuments Art Nouveau importants, c’est surtout l’architecture du XIXe siècle, les styles néo et l’architecture éclectique qui sont victimes de cette rage destructrice. Les Halles centrales de l’architecte Léon Suys sont démolies en 1956 pour la construction du Parking 58, le marché couvert de l’architecte JeanPierre Cluysenaar près de la colonne du Congrès est rasé pour la construction de l’esplanade et de la Cité administrative de l’État. La gare du Nord de l’architecte François Coppens et la gare du Midi de l’architecte Auguste Payen disparaissent pour l’aménagement de la Jonction Nord-Midi.

III. LIGNE DU TEMPS 1. EVOLUTIONARY TREE TO THE YEAR 2000 CHARLES JENCKS, ARCHITECTURE 2000, PREDICTIONS AND METHODS, 1971. Cet « arbre » fluide du théoricien de l’architecture Charles Jencks représente l’évolution dans le temps de l’architecture à l’échelle internationale telle que l’auteur la voyait en 1971. La présente exposition aborde la période à partir de 1968. Charles Jencks montre comment, au cours de cette période de controverses, de réflexion et de ressourcement, des tendances architecturales totalement différentes coexistent et évoluent ensemble.

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III. LIGNE DU TEMPS

C’est également l’époque de Jane Jacobs, The death and life of great American cities, Marshall Mc Luhan, Culture is our Business, Manfredo Tafuri, Theories and history of architecture, Alvin Toffler, Le choc du futur, Umberto Eco, La structure absente, Robert Venturi, Complexity and contradiction in architecture et Learning from Las Vegas… Archigram... L’ESPRIT DU TEMPS A BRUXELLES L’approche à grande échelle des promoteurs immobiliers et leurs commanditaires, soutenus par une série de responsables politiques, a été fustigée par le mouvement de mai 68 à Bruxelles. Ce mouvement s’est surtout manifesté dans la lutte pour le maintien et l’amélioration du cadre de vie local et de « l’environnement » urbain global. L’aliénation de l’homme par rapport à son cadre de vie n’était plus admissible : architectes et urbanistes n’avaient pas le droit de se comporter en dictateurs par rapport aux maîtres de l’ouvrage et à la société. L’architecte devait faire de l’auto-négation. Un « architecte-planificateur » se devait en revanche d’être un catalyseur. Il devait faire de l’architecture et de l’urbanisme dans un état d’esprit démocratique. L’architecte devait aussi être un activiste politique, un combattant dans l’ombre et sur les barricades. En tout cas, il ne devait PAS imposer son savoir, sa science et ses idées et surtout son autorité à l’être humain, mais, en tant que membre de la communauté, animer cette communauté en adoptant une attitude anti-autoritaire. L’influence exercée par ce mouvement s’est manifestée dans l’architecture et l’urbanisme par un changement d’échelle : de la grande à la petite échelle. La conservation, la réutilisation, la revalorisation du patrimoine immobilier existant et une architecture nouvelle s’intégrant dans le contexte de vie et l’habitat sont des notions qui sont apparues après mai 68. C’en était fini de l’« assainissement = démolition », qui a fait place à la rénovation, la revalorisation, l’amélioration de l’habitat et du cadre de vie.

2. LA MODERNISATION DE BRUXELLES Le phénomène que l’on a réussi à garder relativement sous contrôle dans certaines autres villes a véritablement explosé à Bruxelles. Non qu’il y ait eu de la demande : on a créé des demandes, on a créé des marchés pour ensuite les sursaturer. Cela témoigne d’une mégalomanie qui a débordé à certains endroits : les autoroutes urbaines, le quartier Nord et le World Trade Center, la destruction du tissu du centre-ville, les buildings, le carrefour de l’Europe, les travaux de construction de la Communauté européenne, …

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Le patrimoine architectural bruxellois date en grande partie du XIXe siècle. Un patrimoine qui est longtemps resté méconnu et insuffisamment apprécié. Il a fallu attendre le début des années 1970 pour que l’Art Nouveau ait droit à la reconnaissance qu’il méritait en tant qu’expression architecturale. Plusieurs chefs d’œuvre irremplaçables avaient malheureusement été démolis. À la veille de l’Année européenne du Patrimoine architectural (1975), Bruxelles était un territoire sous-développé sur le plan du patrimoine urbanistique et architectural. L’appareil administratif de protection du patrimoine architectural était pesant, lent et entravé par sa propre complexité. La pression du secteur tertiaire, qui se faisait sentir depuis quelques décennies sur Bruxelles, nuisait au tissu urbain ordinaire, plutôt caractérisé par sa petite échelle. Le patrimoine proprement dit se composait en grande partie d’une architecture à propos de laquelle il existait trop de malentendus, une architecture qui n’était pas du tout appréciée à sa juste valeur et restait donc méconnue.

III. LIGNE DU TEMPS

3. BRUXELISATION (1950-1975)

4. LA BATAILLE DE LA MAROLLE À la fin des années 1960, l’Etat belge nourrit le projet d’étendre le palais de Justice sur son flanc droit, c’est-à-dire dans le quartier populaire des Marolles situé en contrebas. Celui-ci est promis à la démolition, ce que ses 1.200 habitants apprennent par un simple courrier leur annonçant qu’ils vont être expulsés. La réaction va rapidement s’organiser autour de la figure charismatique de Jacques Van Der Biest, vicaire de la paroisse des Minimes. La presse s’en fera largement l’écho et sensibilisera l’opinion publique, et en fin de compte, le ministre de la Justice de l’époque abandonnera le projet. La bataille de La Marolle constitue un tournant pour les luttes urbaines bruxelloises : elle fut le premier combat victorieux des habitants contre un projet de destruction de leur cadre de vie. S’ensuivirent toutefois des décennies de combat pour la réhabilitation du quartier et le maintien de ses habitants. C’est grâce à ce combat que le vicaire Van Der Biest rencontra René Schoonbrodt et peu après Maurice Culot.

5. L’ARAU : LE DROIT A LA VILLE Créé en 1969 par le sociologue René Schoonbrodt, l’Atelier de Recherche et d’Action Urbaines réunit des intellectuels engagés dans la lutte contre la destruction de Bruxelles et pour la défense du droit à la ville. À l’époque, sous l’effet conjugué de la pression du capitalisme, d’un laisser faire de la

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III. LIGNE DU TEMPS

6. LA CREATION DES ARCHIVES D’ARCHITECTURE MODERNE (AAM) En 1968, Maurice Culot loue une maison construite par l’architecte Fernand Bodson rue de l’Ermitage. Il y découvre dans la cave un projet de Maison du Peuple pour Liège daté de 1917, signé Fernand Bodson et Antoine Pompe, un rationaliste romantique qui joua un rôle majeur dans le mouvement moderne mais qui est à l’époque tombé dans les oubliettes de l’histoire. C’est le point de départ d’une redécouverte, celle des débuts de l’architecture moderne belge avant son tournant fonctionnaliste. Désireux de montrer toute la richesse et la diversité de ce mouvement, mais aussi de dénoncer son dévoiement par les fonctionnalistes, Maurice Culot fonde en 1969, avec d’anciens camarades de classe, Bernard de Walque et François Terlinden, et le directeur de La Cambre, Robert Delevoy, les Archives d’Architecture Moderne destinées à sauver de l’oubli

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les traces de papier des architectes de ce mouvement. Une première exposition leur est consacrée au Musée d’Ixelles intitulée Antoine Pompe et l’Effort Moderne en Belgique 1890 – 1940. Par la suite, l’association n’aura de cesse de recueillir les archives de ces architectes oubliés et de les promouvoir par des livres et des expositions ainsi qu’une revue – AAM – créée en 1975. La rencontre de Maurice Culot en 1969 avec Jacques Van Der Biest – le curé des Marolles – mais surtout avec René Schoonbrodt, avec qui il fonde l’Arau, l’amènera à mettre sa philosophie des contre-projets au service des luttes urbaines bruxelloises.

III. LIGNE DU TEMPS

classe politique, des appétits du secteur de la promotion immobilière et d’une idéologie moderniste fonctionnaliste prédominante chez les architectes et les urbanistes, des quartiers entiers sont détruits pour céder la place à des immeubles-tours et des autoroutes urbaines de pénétrations convergeant vers les zones de bureaux. À l’exact opposé de la charte d’Athènes, qui prône une politique de la table rase et la séparation des fonctions, l’Arau élabore un corpus théorique promouvant un développement urbain basé sur la densité, la mixité sociale et la mixité des activités. Sur le plan des formes urbaines, l’Arau plaide pour la reconstruction de la ville sur elle-même, dans ses formes héritées du passé : maisons mitoyennes construites à l’alignement, rues et places. L’ensemble est supposé offrir les conditions sociales et spatiales d’un droit à la ville pour tous. L’Arau lutte aussi pour une plus grande transparence dans la délivrance des permis de bâtir et une démocratisation des processus de décision qui débouchera sur la procédure dite de publicité-concertation (les enquêtes publiques annoncées par les fameuses affiches rouges). Il exerce pour sa part un constant contrôle démocratique sur les projets en les analysant, en les critiquant et le plus souvent en formulant des contrepropositions avec l’aide des Archives d’Architecture Moderne. En outre, l’Arau anime le débat public sur les questions urbaines en organisant chaque année une Ecole Urbaine thématique qui contribue largement à poser les bases de la régionalisation. L’Arau organise enfin les premières visites guidées « politiques » de Bruxelles destinées à sensibiliser les habitants aux questions urbaines et à l’intérêt de sauvegarder un patrimoine architectural en péril.

7. ITT – LA TOUR TRANSLUCIDE En 1972, ITT souhaite implanter son nouveau site européen à l’angle des avenues Louise et De Mot, soit très exactement en surplomb du site historique de l’abbaye de la Cambre et menace, en cas de refus de la Ville de Bruxelles, de le délocaliser à Paris. Le chantage à l’emploi exercé sur le Collège des bourgmestre et échevins s’avère payant et l’échevin de l’Urbanisme, Paul Vanden Boeynants, délivre un permis avant même l’adoption du plan d’aménagement en cours d’élaboration. Devant les craintes exprimées par les habitants soutenus par l’Arau, « VDB » aura ce propos historique : « La perspective ne sera en rien abîmée par la tour projetée. Il s’agit, en effet, d’un bâtiment entièrement translucide, d’une qualité telle qu’il ne choquera certainement pas la perspective ».

8. FONDATION DE SINT-LUKASARCHIEF EN 1968 Sint-Lukasarchief est né à l’initiative d’Alfons Hoppenbrouwers, en réaction contre l’apathie et la méconnaissance avec lesquelles, après la Deuxième Guerre mondiale, notre pays a traité son propre patrimoine architectural et urbanistique, pourtant partie intégrante de notre cadre de vie. Il est en effet difficile d’imaginer tout ce qui a été perdu, sur le plan quantitatif et qualitatif, en partie par manque d’intérêt et de connaissance, en partie par ignorance. Depuis les actions concrètes de sauvetage jusqu’à l’activisme urbain, depuis les études et publications jusqu’aux actions de sensibilisation en passant par les expositions retentissantes, Jos Vandenbreeden et l’équipe de Sint-Lukasarchief n’ont depuis 1970 eu de cesse d’apporter concrètement des contributions à la conservation et au redéveloppement du patrimoine urbanistique et architectural ainsi qu’à la promotion de la qualité du paysage urbain. Sint-Lukasarchief

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III. LIGNE DU TEMPS

LE PROJET COGELS-OSY Pour ce projet, Alfons Hoppenbrouwers avait réuni au sein du SintLukasarchief une équipe de jeunes architectes, Rudi Somers, Patrick Labarque et Jos Vandenbreeden, qui ont travaillé fin 1971 sur un projet de revitalisation du quartier Cogels-Osy à Berchem (Anvers) pour le compte du ministère de la Culture néerlandaise. Une partie de ce quartier du XIXe siècle devrait être classé comme site urbain. Cinquante et une maisons ont été proposées au classement. En plus, des suggestions ont été faites à propos de la construction neuve, de la rénovation, de l’accès partiel au public des espaces verts à l’intérieur des îlots, … La réponse englobait également un nouveau Centre Cogels-Osy à construire, un subcity centre qui deviendrait un centre pluridimensionnel d’activités culturelles et récréatives, ainsi que des commerces et des bureaux. La protection en soi ne signifie pas grand-chose, mais doit s’inscrire dans un plan et un processus urbanistique global, ce qui garantissait la revalorisation économique et, de ce fait, la conservation du patrimoine.

9. LA REDÉCOUVERTE DE VICTOR HORTA Encouragé par Alfons Hoppenbrouwers, Jos Vandenbreeden entama en 1968, pendant ses études d’architecte, une recherche sur l’architecte Victor Horta, après que l’architecte néerlandais Herman Hertzberger eut éveillé lors d’une visite à Bruxelles son intérêt pour Horta et l’Art Nouveau. Cette étude, qu’il entama en redessinant minutieusement les principaux bâtiments d’Horta – la majeure partie des archives d’Horta avait disparu –, puis en procédant à l’analyse de ses plans, déboucha en 1972 sur la publication de l’ouvrage « Het Hortamuseum » et en 1975 sur le livre Victor Horta, Architectonographie. Le message architectural d’Horta fut interprété subjectivement en appliquant les clés de la problématique architecturale de l’époque à son architecture : 1968, une période de « retour à la nature ». Dans son architecture on découvre une aspiration humaniste à l’unité avec la nature, qu’il soulignait symboliquement dans l’espace, avec la lumière du jour et l’ambiance. Il est évident que l’oeuvre de Victor Horta a été mise dans le contexte de l’Art Nouveau en Europe. Sint-Lukasarchief a produit de nombreuses expositions et publications sur Horta et l’Art Nouveau, entre-autres : l’exposition « Transfiguration » dans le cadre d’Europalia Japon (1989) : cinq jeunes architectes japonais exposaient

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leurs œuvres dans les magasins Waucquez, rénovés, de Horta, la publication « Art Nouveau en Belgique, architecture et intérieurs » (1991) en collaboration avec Françoise Aubry, conservatrice du Musée Horta, l’exposition et le livre « Horta, naissance et dépassement de l’Art Nouveau » pour Europalia Horta (1996), l’exposition « Diaspora Art Nouveau », à la maison Cauchie (2005 - 2006), à la Oslo School of Architecture and Design et au Jugendstil Center à Alesund, Novège, l’exposition et le livre «Victor Horta Revisited» à l’occasion du 150e anniversaire de Victor Horta (2011) et de nombreux articles et contributions à des colloques.

III. LIGNE DU TEMPS

a ainsi constitué des archives « actives », avec des documents, du matériel iconographique et de la documentation, allant au-delà du simple archivage et de la conservation du patrimoine mobilier.

10. QUARTIER NORD « MANHATTANNEKE » Dès la fin des années 1950, à la demande de l’échevin de l’Urbanisme de la Ville de Bruxelles, Paul Vanden Boeynants, le bureau d’architecture et d’urbanisme Groupe Structures, s’inspirant d’un urbanisme à l’américaine, imagine de raser l’entièreté du Quartier Nord en vue d’y ériger un centre d’affaires constitué de plusieurs immeubles-tours reliés par une dalle située à 13 m au-dessus du sol : les circulations piétonnes se feraient sur la dalle tandis que les voitures circuleraient au sol. Charles De Pauw, promoteur spécialisé dans les parkings, sera un des premiers à être séduit par l’idée et deviendra le principal acteur de sa mise en oeuvre. 786 immeubles sont promis à l’expropriation et 12.000 habitants devront être expulsés, dont une partie seulement relogée. À la fin des années 1970, l’opération a en grande partie échoué et seules quelques tours sont construites. Les habitants par contre ont massivement été contraints de quitter le quartier. Il faudra attendre la fin des années 1980 et la reprise économique pour voir les constructions redémarrer, sous l’égide de Patrick De Pauw cette fois.

11. BRUXELLES, LA VILLE AUX CENT COMITÉS D’HABITANTS Aux débuts des années 1970, les effets négatifs du développement industriel sur l’environnement suscitent une prise de conscience des défenseurs de la nature. La jonction de ce mouvement et des luttes urbaines, qui viennent de démarrer, se fera au sein d’une fédération d’associations – Inter-Environnement – créée en 1971 par Michel Didisheim. Ce dernier est alors chef de cabinet du prince Albert, mais aussi président de l’asbl Quartier des Arts. C’est René Schoonbrodt qui préside la section bruxelloise. En 1974, les tendances régionalistes ont raison de la structure nationale qui se divise en quatre branches : wallonne, flamande et bruxelloise,

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III. LIGNE DU TEMPS

12. L’AGGLO En 1968, le Gouvernement belge décide de mettre en branle un double mouvement de décentralisation des compétences de l’État et de fusion de Communes. C’est ainsi qu’est créé en 1971 un Collège d’Agglomération des 19 Communes bruxelloises (l’Agglo). Il hérite, entre autres compétences précédemment communales, de celle de l’urbanisme, qui sera assumée par l’échevin Serge Moureaux. Celui-ci tentera, via des Plans généraux d’Aménagement et des règlements de bâtisses de mettre de l’ordre dans un développement urbain pour le moins anarchique, mais se heurtera à la résistance des Communes. En 1974, Guy Cudell, alors secrétaire d’État aux Affaires bruxelloises, accède à la demande des comités d’habitants qui veulent un Plan de Secteur défensif qui protège le logement contre l’envahissement des bureaux. Après une longue bataille juridique avec les Communes, ledit plan est finalement adopté en 1976 par son successeur, Paul Vanden Boeynants. À partir de 1977, l’Agglo se dote d’une Régie foncière qui acquiert des terrains dans l’espoir de mettre fin à la spéculation et mène des opérations de rénovation urbaine, notamment rue Aux Laines et dans le quartier Botanique.

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Les compétences en matière de culture et d’enseignement sont attribuées à une Commission culturelle française de l’Agglomération, d’une part, et néerlandaise, d’autre part. L’administration de la première est assurée par Jean-Pierre Poupko. C’est forte de cette nouvelle compétence que l’Agglo mènera des campagnes de sensibilisation au patrimoine architectural et financera un grand nombre d’études et de plans destinés à le sauvegarder, dont bon nombre seront réalisés par les AAM, notamment des Livres blancs du Patrimoine. Une brochure de l’Agglo intitulée Options et Directives qui résume les principes directeurs de la politique urbaine de l’Agglo montre très clairement sa source d’inspiration : l’ARAU, les AAM et les comités de quartier. Il s’agit en effet de : protéger l’habitat, consulter les habitants, préserver le cadre de vie et notamment les espaces verts, assurer la mixité des activités dans les quartiers afin de favoriser « la cité » comme « lieu de rencontre », préserver et restaurer le patrimoine architectural, refuser les autoroutes urbaines et les viaducs et décourager la circulation automobile dans le centre.

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cette dernière comportant deux entités, l’une francophone – InterEnvironnement Bruxelles –, l’autre néerlandophone, le – Brusselse Raad voor het Leefmilieu. IEB, dont tant l’Atelier de Recherche et d’Action Urbaines (ARAU) que les AAM sont membres, va tout d’abord se préoccuper de la menace que fait peser sur le logement le développement anarchique de bureaux dans les quartiers d’habitation, ainsi que des ravages causés par la réalisation des autoroutes urbaines de pénétration et apporter son aide aux comités de quartier qui se mobilisent contre ces projets. Sa première victoire sera le Plan de secteur et la procédure de publicité-concertation, qui sortent la décision urbanistique du secret qui l’entourait. À partir de 1976, IEB informera ses membres – une centaine de comités de quartier et de comités d’habitants – des demandes de permis soumises à une enquête publique, leur apportera une assistance dans leur combat et les accompagnera en commission de concertation. Le modèle de ville défendu sera très largement celui élaboré par l’ARAU et traduit formellement dans les contre-projets des AAM. Son champ d’action s’étendra progressivement des questions d’urbanisme aux questions environnementales.

13. VALLÉE DU MAELBEEK Depuis la fin des années 1960, la vallée du Maelbeek est soumise à de fortes pressions : projet d’autoroute reliant la place Albert (Forest) au Quartier Schuman, élargissement de la rue Gray, constructions autour de la place Jourdan, développement du Quartier européen de part et d’autre de la chaussée d’Etterbeek largement détruite… En 1976, le projet de construction d’un immeuble de 33 étages à front de la place Jourdan, côté rue Froissart, mobilise les habitants, et l’année suivante, c’est le projet de construction d’un ensemble de quatre immeubles sur socle entre la rue Gray et l’avenue du Maelbeek qui les mobilise à nouveau. Le Groupement des Comités du Maelbeek et Inter-Environnement Bruxelles proposeront un contre-projet (dessiné par des étudiants de La Cambre) qui prévoit de reconstruire deux îlots fermés séparés par un piétonnier entre les rues Gray et du Maelbeek et un îlot semi-ouvert sur le parc Léopold à front de la place Jourdan côté Froissart.

14. UN MUSÉE D’ART MODERNE A BRUXELLES En 1972, le ministère des Travaux publics projette la construction d’un musée d’Art moderne dans le quartier de la place Royale. Le projet est

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confié à l’architecte Roger Bastin qui propose d’enterrer le musée sous la place du même nom et de construire rue Montagne de la Cour, en lieu et place des maisons, un parallélépipède rectangle aux murs aveugles servant de signal et d’entrée. La Ligue esthétique belge va s’insurger contre la défiguration de l’ensemble néo-classique de la place Royale, suivie par Inter- Environnement, l’ARAU et les AAM. Le projet suscite une énorme polémique. Le bâtiment proposé par Bastin ne verra jamais le jour mais le musée sera bel et bien réalisé en sous-sol de la place du Musée. Les maisons de la rue Montagne de la Cour seront finalement détruites quelques années plus tard pour faire face aux besoins administratifs des musées royaux des Beaux-Arts. L’ARAU se battra en vain pour leur préservation et plaidera longtemps pour la reconstruction de la rue et proposera de fermer l’angle avec la place du Musée en y reconstruisant la façade de l’hôtel Aubecq de Victor Horta.

15. L’INVENTAIRE D’URGENCE À la veille de l’Année européenne du Patrimoine architectural – 1975 –, l’Agglomération bruxelloise était un territoire sous-développé. Le 31 décembre 1974, on y dénombrait seulement 32 monuments classés. Une connaissance raisonnée et objective du patrimoine encore existant faisait défaut. À l’époque, il était essentiel de dresser un inventaire architectural et de rendre celui-ci intelligible non seulement pour la conservation et la protection du patrimoine, mais aussi pour la sauvegarde du caractère typique de la ville. C’est dans ce contexte que Sint-Lukasarchief a dressé l’Inventaire d’Urgence à la demande de la Commission néerlandaise de la Culture, aujourd’hui VGC. La protection du patrimoine devrait être traitée au sein de l’ensemble des structures architecturales et urbanistiques, socio-économiques et culturelles, ce qui devait conduire à la définition d’une politique d’orientation commune. L’Inventaire d’Urgence a été publié en février 1979. Il n’a jamais été légalisé ni accepté en tant que tel par la Commission royale des Monuments et Sites, ce qui a bien sûr hypothéqué son influence sur la politique urbanistique et architecturale. Il a néanmoins été utilisé comme instrument de travail « intéressant et indispensable » par les différentes administrations communales, l’urbanisme et l’aménagement du territoire, les défenseurs du patrimoine … et même par les promoteurs immobiliers ..., et par tous ceux qui se souciaient du patrimoine architectural.

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Les maisons de maître du début du XXe siècle de la rue aux Laines ont échappé plutôt curieusement à la démolition. Elles furent achetées en bloc pour la valeur du terrain, sur lequel on voulait réaliser une opération de spéculation immobilière. Un projet de soi-disant rénovation – démolition complète et construction de confortables appartements – du bureau d’architectes Henri Montois fut présenté en 1975. Mais l’époque était encore trop proche du mouvement de mai 68 et des divers comités d’action : Sint-Lukasarchief, les Archives d’Architecture Moderne et surtout le Collège de l’Agglomération bruxelloise ont mis des actions sur pied. Non seulement la construction de l’hôtel Hilton avait déjà un impact négatif sur le parc d’Egmont, mais le quartier historique formé par le Grand et le Petit Sablon devrait rester à l’abri de tout projet inopportun. Avec le maintien de la rue aux Laines, l’idée était lancée que le logement « banal » dans d’anciens immeubles peut parfois évoluer vers une forme de logement « élyséen », notamment grâce à la valeur architecturale et à l’importance urbanistique du quartier.

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LA PRÉSERVATION DE LA RUE AUX LAINES

16. MAURICE CULOT ET LA CAMBRE Lors des événements de mai 68 R.-L. Delevoy, directeur de La Cambre, remarque la prise de parole d’un ancien élève, Maurice Culot et quelques mois plus tard, l’exposition Antoine Pompe ou l’Effort Moderne, que celui-ci présente en collaboration avec François Terlinden au Musée d’Ixelles. Il l’invite alors à donner des cours d’urbanisme et d’histoire de l’architecture, puis lui confie, en collaboration avec Marcel Pesleux, la direction d’un atelier d’architecture. Sous son impulsion, les étudiants sont invités à réaliser des projets de réparation de la ville qui seront utilisés dans les luttes urbaines. Cette formation en prise sur la réalité assure aux étudiants un sens politique des responsabilités de l’architecte dans la société. Si certains ont accusé Culot de dogmatisme quasi stalinien, il faut reconnaître que nombre de ses étudiants se sont révélés d’excellents professionnels : Sefik Birkiye, Dominique Delbrouck, Brigitte D’Helft, Philippe Lefebvre, Elie Levy, Caroline Mierop, Patrice Neyrinck, Anne Van Loo, Michel Verliefden… pour ne citer qu’eux. Les projets sont généralement choisis en fonction de l’actualité : le musée d’Art moderne, l’extension de la Régie des télégraphes et téléphones rue Lebeau, l’extension de la Banque de Bruxelles, la rénovation des Marolles… Mais la prospective n’est pas négligée et des équipes d’étudiants réfléchissent et proposent des projets pour le Quartier Nord, la répartition des dégâts causés par le tracé de la jonction ferrée Nord-Midi.

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17. L’HÔTEL DES MONNAIES NE DOIT PAS DISPARAITRE ! (1979) L’Hôtel des Monnaies a été menacé de démolition 100 ans exactement après sa construction. Il avait été érigé en 1879 dans le style Louis XIII d’après les plans de l’architecte Armand Roussel. Il abritait en partie l’administration et on y frappait par ailleurs la monnaie belge : un monument important aussi bien du point de vue de l’histoire que de l’archéologie industrielle.

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Le bâtiment avait été conservé intact. Les engins de démolition sont malheureusement rarement synonymes de progrès culturel, car la démolition de l’Hôtel des Monnaies a marqué la disparition d’un bâtiment qui pouvait rivaliser avec les principaux exemples du patrimoine monumental de Bruxelles. La promesse de construire à sa place des habitations sociales, des commerces, une salle de sport et un parking et d’aménager un espace vert n’a jamais été tenue. Seuls un jardin public, un parking à ciel ouvert et une plaine de jeu ont été réalisés.

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L’archéologie industrielle offre aussi des thèmes de projets : les carrés de Bois du Luc, la reconversion d’un ancien panorama… Enfin, l’histoire est mise à contribution : étude sur la forêt de Soignes, la restauration du hameau de Marie-Antoinette à Genval, la fondation du Quartier Léopold à Bruxelles. Tous ces projets impliquent que les étudiants se cultivent, lisent des ouvrages théoriques et historiques, mettent en cause les idées reçues… et de fait l’enseignement des autres cours, histoire de l’art, sociologie, couleur, sciences sociales, etc est mis à contribution au service de projets qui prennent ainsi de la densité. En 1979, la parution d’un article de Maurice Culot dans le magazine international Lotus met le feu aux poudres. Il y dénonce sans ambages, au sein même de l’institution et dans la profession, l’activité d’un groupe « réactionnaire » qu’il présente comme la formation de bataille d’une droite masquée (allusion à un personnage de bande dessinée de Mandryka « Le concombre masqué ») promouvant un fonctionnalisme qui fait le jeu du capitalisme et qui s’en prendrait aux nouvelles orientations de l’école au motif qu’elles menaceraient ses intérêts corporatistes. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase et, à l’instigation du ministre de l’Enseignement Jacques Hoyaux, Maurice Culot et une trentaine d’autres professeurs sont renvoyés. La Cambre s’embrase : manifestations de soutien, grèves, protestations diverses, soutiens internationaux… Rien n’y fait. L’année suivante, les enseignants exclus créent une école alternative rue Blanche à Ixelles, où un certain nombre d’étudiants les suivront, mais faute de financement l’école ne peut poursuivre son activité. Maurice Culot s’exile alors à Paris où il participe à la création de l’Institut Français d’Architecture (IFA) comme responsable du département Histoire et Archives qu’il développera sur le modèle des AAM. Son travail de sauvegarde des archives et du patrimoine architectural français lui vaudra une reconnaissance de l’État français qui le fera Officier des Arts et Lettres et lui remettra l’Ordre du mérite.

18. BRUXELLES, CONSTRUIRE ET RECONSTRUIRE : ARCHITECTURE ET AMENAGEMENT URBAIN (1780-1914) L’exposition « Bruxelles, construire et reconstruire » avec catalogue éponyme a été organisée avec le soutien de la Commission néerlandaise de la Culture de l’Agglomération bruxelloise, aujourd’hui Vlaamse Gemeenschapscommissie, par Sint-Lukasarchief et Gustave Abeels en collaboration avec le Crédit communal de Belgique. Elle s’est tenue du 12 septembre 1979 au 28 octobre 1979 au Passage 44. En mettant sur pied cette exposition, les organisateurs ont remarqué d’une part qu’à quelques fragments près, Bruxelles avait été modernisée en profondeur au XIXe siècle. Mais d’autre part, après la Deuxième Guerre mondiale, le bâti relativement intact a été à plusieurs reprises le théâtre d’un renouveau architectural et urbanistique dit « progressiste ». À partir de ce moment-là, on a pu parler d’un processus de croissance non coordonné et imposé, une explosion immobilière anarchique de grande ampleur, en l’absence totale d’une approche globale et responsable du patrimoine architectural et urbanistique digne d’intérêt. Le patrimoine architectural du XIXe siècle, abordé pour la première fois largement dans l’exposition sous le titre « Défense et illustration de la façade du XIXe siècle », était encore trop peu connu à l’époque et n’était pas respecté et apprécié à sa juste valeur. L’exposition fut une première amorce de sensibilisation, mais n’eut guère de suite sur le plan politique quant à la sauvegarde du patrimoine.

19. PIERRES ET RUES. BRUXELLES : CROISSANCE URBAINE  (1780-1980) L’exposition « Pierres et Rues », avec catalogue éponyme, a été organisée par Sint-Lukasarchief et Gustave Abeels en collaboration avec la Société générale de Banque. Elle s’est tenue du 18 novembre 1982 au 18 février

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20. LES ARCHIVES D’ARCHITECTURE MODERNE S’EXPORTENT Les éditions, la revue AAM, les expositions, l’activité archivistique et les contre-projets réalisés à La Cambre vont largement contribuer à faire connaître les Archives d’Architecture Moderne en Belgique et au-delà des frontières. Parmi les bestsellers des AAM on peut citer, en 1978, Architecture Rationnelle de Léon Krier, qui connaitra une diffusion internationale ; en 1980, la première monographie consacrée à Rob Mallet-Stevens architecte ; en 1989, Penser la Ville de Pierre Ansay et René Schoonbrodt qui connaitra plusieurs réimpressions. La revue AAM publie, entre 1975 et 1990, des projets et des travaux d’historiens et d’architectes de différents pays et est aujourd’hui considérée comme une publication d’architecture marquante des années 1970. Sous la houlette de Robert-Louis Delevoy, historien d’art et directeur de La Cambre, les liens s’intensifient avec des écoles françaises et italiennes et surtout la AA School de Londres que dirige le Canadien Alvin Boyarsky. Occasion pour les AAM de présenter dans ces pays des expositions sur l’Art Nouveau, L.-H. De Koninck, Antoine Pompe, Renaat Braem… Des architectes enseignants, Bernard Huet, Bernard Tschumi, Antoine Grumbach, Peter Cook, Colin Fournier, Roland Castro, Philippe Panerai,

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Fernando Montes, Charles Jencks, Pierluigi Nicolin, Dario Matteoni… deviennent des amis et des soutiens de l’association. À Paris, François Chaslin et Michèle Champenois ouvrent les pages du Monde et de Macadam à l’association et Georges Charbonnier les portes de France Culture. La revue Architecture d’Aujourd’hui consacre une couverture aux contre-projets, et d’autres revues, comme Oppositions aux États-Unis, Lotus en Italie, AA Quarterly en Angleterre ou encore Rassegna, que dirige Vittorio Gregotti, publient des articles ou des numéros entiers sur l’activité des AAM. La revue Architectural Design consacre en 1977, sous la plume de Bob Maxwell, un numéro à Manfredo Tafuri, Léon Krier et Maurice Culot. Grâce à l’architecte Jean Dethier, une collaboration s’établit entre le Centre Pompidou et les AAM et donne lieu aux expositions « Jean- Baptiste Godin, Intérieurs » (des photographes Sophie Ristelhueber et François Hers)… À partir de 1980 et la création de l’Institut Français d’Architecture, les échanges avec la France s’amplifient considérablement à travers des prêts d’expositions et d’archives. L’association participe aussi à des appels d’offres européens sur le patrimoine et réalise l’inventaire du patrimoine architectural et industriel dans le Nord de la France qui donne lieu à deux livres : Le Siècle de l’éclectisme et Les Châteaux de l’industrie qui jouent un rôle fondamental dans le sauvetage de nombreux édifices menacés. Architecte et historien, Francis Strauven, administrateur des AAM, contribue à leur rayonnement en Flandres et en Hollande, notamment en dirigeant la publication d’un numéro spécial de la revue hollandaise TABK et en rédigeant des livres sur des architectes flamands dont les archives sont conservées par l’association : Renaat Braem, Jos Bascourt, Albert Bontridder… Enfin, le Prix Européen pour la Reconstruction de la Ville, fondé par Philippe Rotthier en 1980 assure aux AAM un vivier de correspondants étrangers.

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1983 dans la salle des guichets de la banque au 29 rue Ravenstein. Le bâtiment est aujourd’hui démoli. Les modifications urbanistiques que le pentagone bruxellois a subies en deux siècles étaient illustrées dans l’exposition à travers les cinq thèmes choisis : la période Guimard et l’urbanisme classique, avec la transformation du haut de la ville à la fin du XVIIIe siècle, la période du bourgmestre Jules Anspach, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, avec le voûtement de la Senne, l’aménagement des boulevards du Centre et la construction du palais de Justice, la période du bourgmestre Charles Buls, à la fin du XIXe siècle, avec la revalorisation de l’ancien tissu urbain, la construction de la Jonction Nord-Midi, la démolition du quartier de la Putterie, et enfin l’urbanisme après la Deuxième Guerre mondiale: de l’architecture des promoteurs à celle de la concertation et de la participation. Pourquoi cette exposition en 1982 ? La crise économique avait provoqué que l’urbanisme était plutôt abordé en théorie qu’en pratique. L’exposition voulait mettre en lumière l’évolution passionnante de la croissance urbaine bruxelloise, de façon à ce que le public, les experts, les responsables politiques en tirent eux-mêmes des leçons… chose que ces derniers ont omis de faire.

21. LES AAM APRÈS 1980 Lorsqu’il quitte Bruxelles pour Paris, Maurice Culot confie les rênes de l’association à l’architecte Anne Van Loo et à l’historienne de l’art Annick Brauman. Il restera toutefois administrateur-délégué des AAM et continuera à diriger la maison d’édition. Désormais, l’institution va se recentrer sur un travail scientifique d’enrichissement des fonds et collections, d’inventaire d’archives et de valorisation de celles-ci par la publication de livres et par la réalisation

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d’expositions, via la Fondation pour l’Architecture, que dirigera Caroline Mierop. Tant celle-ci qu’Anne Van Loo furent les assistantes de Maurice Culot à La Cambre. Afin de mener ce travail à bien, les AAM vont réaliser pour le compte des pouvoirs publics (la Commission française de la Culture de l’Agglomération bruxelloise, la Communauté française, le Secrétariat d’État à la Région bruxelloise, mais aussi la Fondation Roi Baudouin) une quantité impressionnante d’études afin d’identifier, en vue de leur protection, des pans entiers d’un patrimoine architectural alors largement méconnu. En vue de sensibiliser le grand public, les AAM réaliseront les premiers guides de l’architecture Art Nouveau et Art Déco, accompagnés de cartes-promenades, qui permettront aux amateurs de découvrir, nez au vent, les trésors encore préservés de notre patrimoine. L’association n’a toutefois pas abandonné son militantisme puisqu’elle participera systématiquement aux commissions de concertation où elle défendra le patrimoine architectural menacé.

22. LA PIOCHE D’OR (1982-1988) Le prix de la Pioche d’Or a été instauré par le Centre bruxellois d’Archéologie contemporaine en collaboration avec Sint-Lukasarchief, les Archives d’Architecture Moderne et Inter-Environnement. Il récompensait les auteurs de démolitions bienfaisantes, ayant contribué le plus favorablement à la dégradation de Bruxelles. Le prix comportait quatre catégories : le Prix de la Pioche d’or, le Prix du Bulldozer doré, le Prix de la Bétonnière d’argent et le Prix de la Serpula lacrymans, le champignon de la mérule pleureuse. Le 29 septembre 1982, peu avant les élections communales, le premier prix de la Pioche d’or a été attribué au Collège des Bourgmestres et Echevins de la Ville de Bruxelles, pour la destruction de l’hôtel Allard et pour avoir détruit le caractère du quartier Léopold. Dans la période avant 1982, les démolisseurs et leurs commanditaires n’avaient à peine démolis six cents bâtiments ! Mais après avoir retrouvé leur dynamisme notoire, les démolisseurs se sont surpassés : le 29 septembre 1988, ils pouvaient se vanter d’avoir détruit plus de 700 bâtiments en six ans, dont 384 se trouvaient sur le territoire de la Ville de Bruxelles et la plupart repris dans l’Inventaire d’Urgence. Le premier prix était de nouveau accordé au Collège des Bourgmestres et Échevins de la Ville de Bruxelles pour son manque d’intérêt dans la sauvegarde de son patrimoine, entre-autres pour sa responsabilité dans l’effondrement du mur d’enceinte du XIIe siècle, rue du Fossé aux Loups.

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DES MAISONS DU PEUPLE En 1983, l’Administration de la Protection du Patrimoine culturel (ministère de la Communauté française) commande aux Archives d’Architecture Moderne la réalisation d’un inventaire des maisons du peuple de Bruxelles et de Wallonie. Cette étude, en huit volumes, sera réalisée par Brigitte Buyssens et publiée par les AAM.

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23. INVENTAIRES VISUELS

DE L’ARCHÉOLOGIE INDUSTRIELLE En 1981, parait l’Inventaire visuel de l’Archéologie industrielle de l’Agglo­ mération de Bruxelles, résultat d’une étude de deux ans menée par les architectes et historiens de l’art des Archives d’Architecture Moderne (C. Mierop, P. Lenain, J.-P. Hoa, A. Van Loo, B. de Walque, P. Burniat, A. Lambrichs, R. De Gernier, J. Lange). En 18 volumes, cet inventaire fait l’état du patrimoine industriel bruxellois construit entre 1800 et 1940, classé par commune et par type d’industrie. Plus de 1000 fiches sont compilées, détaillant les caractéristiques techniques et historiques des bâtiments, illustrées de photographies, plans, cartes. L’inventaire apporte une vision globale d’un patrimoine architectural méconnu et démontre que l’implantation des bâtiments industriels était régie par une logique rationnelle du travail qui intégrait les entreprises dans les quartiers. Ce travail constitue une base pour la réflexion urbanistique future et attire l’attention sur les possibilités de réutilisation de ces bâtiments.

24. IN MEMORIAM PATRIMONIUM (1983-1988) En 1983, une première action « In Memoriam Patrimonium » était mise sur pied. Il s’agissait de mettre en lumière une série d’exemples flagrants illustrant l’absence totale de politique patrimoniale. La presse, les médias et le public manifestèrent un grand intérêt pour ces expositions et conférences de presse à la Sint-Lukasgalerij de la rue des Palais. IN MEMORIAM PATRIMONIUM – NEW SADISM IN BRUSSELS ARCHITECTURE – PART I – 1983 Des photos étaient présentées dans des cadres au verre brisé et étaient éparpillées sur le sol : les visiteurs de l’exposition foulaient ainsi aux pieds le patrimoine, tout comme les pouvoirs publics le faisaient dans la réalité : le château Charle-Albert laissé à l’abandon, la non-protection de l’hôtel Otlet avec son intérieur signé Henry Van de Velde, l’avis de classement toujours négatif rendu depuis 1964 par la Commission royale

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IN MEMORIAM PATRIMONIUM – PART II – 1984 Les faits suivants étaient dénoncés : l’ancien immeuble de la Prévoyance Sociale de l’architecte Maxime Brunfaut, sur le square de l’Aviation, était totalement laissé à l’abandon, son mobilier original bradé par la Régie des Bâtiments à un revendeur ; le bâtiment et l’imprimerie du journal Le Peuple de l’architecte Maxime Brunfaut, totalement laissés à l’abandon, étaient sur le point d’être démolis ; la place des Barricades, cet ensemble urbanistique important, était complètement délaissé ; et le château Beaulieu à Machelen, un édifice du XVIIe siècle attribué à Lucas Faid’Herbe, était laissé à l’abandon et tombait en ruine. IN MEMORIAM PATRIMONIUM – PART III ‘8 + 246’ – 1985 Les deux actions précédentes n’avaient entretemps suscité aucune réaction de la part des autorités compétentes et de la Commission royale des Monuments et Sites. Voilà pourquoi Sint-Lukas-archief proposait à nouveau de classer d’urgence comme monument les 8 premiers bâtiments + 246 autres. Tous étaient repris dans l’Inventaire d’Urgence comme patrimoine exceptionnel et très remarquable. Depuis la loi du 7 août 1931 sur la conservation des monuments et sites, soit en 54 ans, Bruxelles n’avait classé que 115 monuments. À un tel rythme, les 8 + 246 monuments proposés au classement ne seraient tous protégés qu’en l’an 2308. IN MEMORIAM PATRIMONIUM – PART IV – PIGNONS À GRADINS ABANDONNÉS – 1987 Les pignons à gradins, répertoriés et photographiés à partir de 1903 par le Comité d’Etudes du Vieux Bruxelles sous la présidence de l’ex-bourgmestre Charles Buls, font partie du patrimoine immobilier le plus ancien de Bruxelles. Cinquante pignons à gradins étaient signalés comme laissés à l’abandon, sur-restaurés, reconstruits dans un style faux vieux. Seuls deux pignons à gradins étaient classés comme monument. Le 150e anniversaire de la naissance de Charles Buls était commémoré par la même occasion. IN MEMORIAM PATRIMONIUM – PART V – 20 ANS DE SOUCI POUR LES MONUMENTS – 1968-1988 En 20 ans, Sint-Lukasarchief avait donné 1374 avis relatifs au patrimoine architectural et établi 252 dossiers de protection, qui restaient pour la plupart sans suite. La situation dramatique de Bruxelles était une fois de

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plus évoquée à travers cette action. En matière de protection des monuments bruxellois, l’impasse était totale et tout restait à faire…

25. LIVRES BLANCS POUR LA RÉAFFECTATION DU PATRIMOINE ARCHITECTURAL

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des Monuments et Sites à propos de la maison Saint-Cyr de l’architecte Gustave Strauven, la menace de démolition qui planait sur la maison Haerens de l’architecte Antoine Courtens dans l’avenue Brugmann.

En 1983, suite à la campagne de sensibilisation « Ne jetez plus, réutilisez ! », la Commission française de la Culture de l’Agglomération de Bruxelles crée, à l’initiative de Jean-Pierre Poupko, un groupe de travail composé de différentes instances bruxelloises, destiné à engager une réflexion autour d’une protection active du patrimoine architectural bruxellois. Voulant aller plus loin que le simple classement, ce groupe de travail a pour objectif de proposer des projets de réhabilitation des bâtiments anciens. Pour lutter contre l’abandon, cet organe de concertation cherche des solutions de réaffectation du patrimoine et incite les responsables publics, les propriétaires privés et les professionnels de l’immobilier à réutiliser ces bâtiments plutôt que construire du neuf. Cette initiative aboutit à la publication, entre 1983 et 1988, des quatre Livres blancs de la Campagne et de l’Action pour la Réaffectation du Patrimoine architectural qui compilent de nombreuses propositions de reconversion des bâtiments patrimoniaux. Le sauvetage du bâtiment de la RTBF de la place Flagey est une des retombées majeures des livres blancs. Depuis 1986, l’association La Fonderie occupe l’ancien site de la Compagnie des Bronzes, autre réhabilitation réussie des livres blancs, et valorise l’histoire industrielle de Bruxelles tout en étudiant ses conséquences urbanistiques et sociales et en nourrissant le débat sur les enjeux contemporains de la ville, au travers d’expositions, de publications et de parcours.

26. À PROPOS DE QUELQUES CAMPAGNES DE SAUVETAGE L’église Sainte-Marie à Schaerbeek – un des plus anciens et des plus remarquables édifices de style éclectique, conçu en 1851 par l’architecte Henri-Désiré-Louis Van Overstraeten – Était déjà fermée au public en 1966 à cause de prétendus risques d’effondrement. Les ministres de l’époque décidèrent de ne pas la classer comme monument. C’est alors que son calvaire a commencé.

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27. FORUM LOUISE, ALIAS WILTCHER’S (1988 ) Les Archives d’Architecture Moderne, l’Association des commerçants de la Galerie Louise, l’Atelier de Recherche et d’Action Urbaines, le Centre Bruxellois d’Archéologie Contemporaine – La Pioche d’Or, le Comité de défense de Saint-Gilles, le Comité Lesbroussart, la Fondation pour l’Architecture, Inter- Environnement Bruxelles, Sauvegarde du Quartier Louise et Sint-Lukasarchief menèrent ensemble une campagne internationale : « L’avenue Louise menacée – préservez les maisons de maître – sauvez notre patrimoine. » Onze maisons de maître exceptionnelles situées aux numéros 75 à 83 de l’avenue Louise et aux numéros 10 à 20 de la chaussée de Charleroi étaient menacées de démolition par le soi-disant « prestigieux projet d’investissement multi-fonctionnel Forum Louise », dont les maîtres de l’ouvrage étaient le groupe d’assurance AG., U.C.B., C.I.B. et Herpain. Les maisons de maître de l’avenue Louise et leurs splendides intérieurs avaient été conçus par des architectes bruxellois renommés comme Paul Saintenoy, Henri Beyaert, Emile Janlet et Henri Maquet. La procédure de classement avait été entamée en 1982, mais depuis lors restée sans suite… L’architecte André Jacqmain proposait comme solution de rechange à la démolition des maisons de maître que leurs façades soient reconstruites sur un terrain inoccupé dans la rue d’Angleterre à Saint-Gilles. La

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façade du superbe immeuble Art Nouveau de Paul Saintenoy devrait être remontée quelques mètres plus loin. Du façadisme à grande échelle ! Un des deux bâtiments d’angle symétriques conçus par l’architecte Henri Maquet – celui de gauche – avait déjà été démoli en 1985. Le bâtiment de droite allait subir le même sort pour laisser place aux deux « flacons à parfum » symétriques des Ateliers de Genval. Les comités d’action n’ont certes pas réussi à tout sauver, mais les téméraires promoteurs immobiliers et leurs architectes ont quand même été réfrénés par cette action conjointe.

IV. À PROPOS DE SIX PROJET CLÉS

Les premiers travaux de restauration ne débutèrent qu’en 1982. Le 9 août 1985, un incendie détruisit une partie de la coupole. Les travaux de restauration furent arrêtés et reprirent seulement en 1992. Entretemps, l’intérieur de l’église avait été en grande partie détruit et était devenu… le paradis des pigeons et de la vermine. Bruxelles a négligé pendant plusieurs décennies son image de capitale de l’Art Nouveau. Les pioches ont taillé de solides brèches dans l’œuvre de Paul Hankar. Les principaux bâtiments de Victor Horta ont été rasés, d’autres ont été sauvés de justesse. L’oeuvre de la deuxième génération d’architectes Art Nouveau a elle aussi terriblement souffert, certaines maisons ont même été délibérément mutilées par des promoteurs immobiliers, comme l’hôtel de maître Edouard Hannon de l’architecte Jules Brunfaut et les maisons Art Nouveau de l’architecte Jules Barbier dans l’avenue de l’Yser. Les monuments d’archéologie industrielle ont été très peu considérés. La tour à plomb, par exemple, était menacée de démolition en 1980. Elle était pourtant le seul vestige témoignant encore de la fabrication de plombs de chasse en Europe occidentale. Plus de 36 ans plus tard, en 2016, elle fait enfin l’objet d’un projet de restauration et réaffectation.

IV. À PROPOS DE SIX PROJET CLÉS Des précisions sont données ici sur ce qui est présenté dans la ligne du temps à propos de Sint-Lukasarchief, avec un accent sur les activités bruxelloises de la période pionnière. Dès le début en 1968, des étapes importantes ont été franchies avec une petite équipe composée de : Alfons Hoppenbrouwers (1930-2001), ingénieur-architecte et initiateur de Sint-Lukasarchief et Jos Vandenbreeden, architecte, le premier « pionnier », rejoints à partir de 1973 par l’architecte Jan Apers, le « deuxième pionnier », et à partir de 1979 par les historiennes de l’art Linda Van Santvoort et Oda Goossens et le photographe Paul De Prins. Certains projets se sont étalés sur de plus longues périodes. Tout bien considéré, les efforts répétés, les résultats de la recherche appliquée, les expositions, les actions et les campagnes de sensibilisation ont contribué effectivement, d’une part au débat sur la ville, d’autre part à un changement de mentalité sur le plan du patrimoine urbanistique et architectural. Avec chaque fois comme point de départ la situation réelle, en ce compris les cicatrices infligées à la ville le plus souvent par des promoteurs immobiliers et leurs architectes, la ville a ainsi peu à peu pris forme tant sur le mode matériel que sur le mode idéel. La réintégration, la rénovation, le redéveloppement (recyclage) et la restauration du patrimoine dans son contexte et sa (ré)intégration dans la vie d’aujourd’hui ont été l’élément moteur. À chaque « projet de destruction », il y avait une alternative réaliste… et aujourd’hui encore, on démolit beaucoup trop ! Prenez la banque Fortis dans la rue Ravenstein et le relooking inapproprié et/ou la démolition d’immeubles-tours typiques des années 1950 et 1960, comme si on pouvait faire table rase de toute une période passionnante de l’architecture. Puisque certains projets ont connu un parcours de longue durée avant d’entamer une vie nouvelle… ont été

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IV. À PROPOS DE SIX PROJET CLÉS

mutilés ou démolis avant que l’on ait pu songer à leur restauration et réhabilitation, il y a également un « 1989 and after ». Les six projets sélectionnés sont donc un condensé de près de cinquante ans d’activité : 1. Bruxelles 1550 – 1992 : travail d’étude fondamental ayant influencé la poursuite du développement urbanistique de Bruxelles, s’appuyant sur une base historique. 2. L’Inventaire d’Urgence  : 1975-2017 donne aujourd’hui encore l’aperçu le plus complet du patrimoine et des échelles de valeur et critères établis à l’époque. 3. Le château Charle-Albert : 1978-2016: aujourd’hui encore un reflet de sa gloire d’antan, ou comment la conservation iconographique et l’archivage du patrimoine mobilier peuvent aussi prouver leur utilité. 4. La célèbre tour Rogier : 1957 – 2001/2002, ou comment l’exemple le plus intéressant d’immeubles-tours – une ville multifonction dans la ville – a été rasé par pure spéculation. 5. Le bâtiment de l’INR–Flagey : 1985-2002: une preuve que c’est possible. 6. Victor Horta, Henry Van de Velde, Antonio Gaudi, Hector Guimard, Josef Hoffmann, Charles Rennie Mackintosh et la diaspora de l’Art Nouveau dans le monde … aussi au départ de Bruxelles !

PHILIPPE CHRISTIAN POPP VAN SCHAALKWIJK [1805-1879] ET L’ATLAS CADASTRAL PARCELLAIRE Dès 1838, P.C. Popp conçoit un projet gigantesque : reproduire et vulgariser par lithographie les précieux plans cadastraux de toute la Belgique avec leurs registres et matrices. Sans aucun subside, il poursuivit la publication de son Atlas cadastral de 1842 jusqu’à sa mort en 1879. Chaque plan parcellaire, gravé sur pierre et fait avec une exactitude scrupuleuse, est dressé à l’échelle 1/1250, 1/2500 ou 1/5000 suivant l’étendue du territoire. Il est accompagné d’un Tableau indicatif de plusieurs pages d’impression et d’une Matrice cadastrale indiquant les numéros des parcelles, les noms, les prénoms, le domicile des propriétaires, la nature, la contenance, la classe des propriétés, etc. Les cartes reprennent toutes les parcelles bâties ou non avec leurs limites précises. C’est sur ce « Plan parcellaire de la ville de Bruxelles » de 1866, à l’échelle 1/1250 que Jos Hogenes s’est basé pour faire l’étude cartographique de l’évolution du pentagone de 1550 à 1992.

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Fait peu banal, l’urbaniste amstellodamois Jos Hogenes se lance par simple intérêt personnel dans une étude historique des modifications du tracé des rues bruxelloises de 1550 à 1992. Jos Hogenes a passé des années à procéder parcelle par parcelle, détectant, analysant, comparant, redessinant tous les plans de Bruxelles utilisables et contrôlant sur place le réseau actuel des rues du pentagone. L’originalité de sa méthode réside dans la quantité d’informations sur la croissance et les modifications d’une ville qu’il réussit à transmettre visuellement dans les moindres détails uniquement par la superposition patiente de matériel cartographique. À Bruxelles, rares sont en effet les rues et les places qui n’ont pas été élargies, prolongées, modifiées, rénovées ou supprimées au cours des deux derniers siècles. Les deux premières cartes, 1866 et 1979, ont été présentées pour la première fois à l’exposition Bruxelles, construire et reconstruire. Une deuxième fois, une nouvelle série de cartes, de 1640 à 1980, est présentée en 1982 à l’exposition Pierres et Rues. Bruxelles : Croissance urbaine 1780 – 1980. Plus tard, Jos Hogenes y ajouta les cartes de 1550 et 1992. Cette série de cartes a été synthétisée en 1986. Par un code de couleurs il devient ainsi possible de suivre l’évolution de chaque rue et de chaque place au cours des 340 dernières années. La série de cartes n’est pas seulement un précieux document historique. Elle constitue aussi une base scientifique sur laquelle les évolutions urbanistiques et architecturales du centre-ville peuvent être étayées et intégrées dans la politique, de manière à ce que les décisions soient prises en toute connaissance de cause et que l’on évite à l’avenir les « erreurs ou maladresses urbanistiques ».

IV. À PROPOS DE SIX PROJET CLÉS

BRUXELLES 1550 – 1992

LES CARTES DE RÉFÉRENCE : • 1550 — Atlas des villes des Pays-Bas, Bruxelles, Jacob van Deventer • 1640 — Bruxella, Nobilissima Brabantiae Civitas, Martin de Tailly (réédition 1748) • 1777 — Plan Topographique de la ville de Bruxelles et de ses environs), Joseph de Ferraris • 1835 — Plan Géométrique de la Ville de Bruxelles, Willem-Benjamin Craan • 1866 — Plan Parcellaire de la ville de Bruxelles, Philippe Christian Popp • 1894 — Bruxelles & ses environs, Institut Cartographique Militaire • 1931 — Photo aérienne SABENA • 1980 — Cartes du Service technique des Travaux publics, Ville de Bruxelles

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IV. À PROPOS DE SIX PROJET CLÉS

1975 – 1979 L’INVENTAIRE D’URGENCE SINT-LUKASARCHIEF, Apers Jan, Hoppenbrouwers Alfons, Vandenbreeden Jos, Bouwen door de eeuwen heen, Brussel-Hoofdstad, Urgentie-inventaris van het Bouwkundig Erfgoed van de Brusselse Agglomeratie. Inventaire d’Urgence, Gand, Snoeck-Ducaju & Zoon, 1979.

À la veille de l’Année européenne du Patrimoine architectural, 1975, la Commission néerlandaise de la Culture de l’Agglomération bruxelloise, aujourd’hui Vlaamse Gemeenschapscommissie, chargea SintLukasarchief de dresser un inventaire systématique de l’ensemble du patrimoine architectural. En cette époque pré-informatique, l’étude de base, titanesque, occupa Jos Vandenbreeden, Alfons Hoppenbrouwers et Jan Apers pendant plus de quatre ans. Commune après commune, rue après rue, côté pair puis côté impair, façade après façade, Alfons Hoppenbrouwers et Jos Vandenbreeden parcoururent la totalité de Bruxelles, soit plus de 160 km2, armés d’un appareil photo et de carnets de notes. Le réseau routier bruxellois fait 1628 kilomètres de long. Chaque rue fut examinée et photographiée des deux côtés, ce qui représentait un parcours pédestre de plus de 3200 kilomètres, soit un peu moins que le pèlerinage de Bruxelles à Saint-Jacques-de-Compostelle aller et retour. À l’époque, ils ont photographié et noté tout ce qui sortait de l’ordinaire. Lorsque le premier tour a été terminé, ils avaient récolté quelque 1100 pellicules, soit 40.740 photos. Toutes ont été développées par leurs soins, imprimées et collées sur des fiches, classées selon un double système : géographiquement, par commune et par rue, et d’après le nom de l’auteur du projet : quelque 81.400 pièces. Ce système peut encore être consulté et, vu les innombrables démolitions, il devient de plus en plus un document d’archives. Sur la base des critères établis, des cotes ont été attribuées à tous les bâtiments individuels ainsi qu’aux ensembles de bâtiments : 1 : unique, 2 : très remarquable, 3 : remarquable, 4 : important, 5 : d’importance secondaire. Lors de la publication de l’Inventaire, 9022 bâtiments ont été retenus sur les dizaines de milliers de photos, bâtiments faisant ou non partie d’ensembles d’immeubles, de tronçons de rues ou de places. Une option importante était de ne pas aborder le patrimoine comme ensemble d’objets isolés, mais de le situer dans un contexte. Leur espoir à l’époque de voir l’Inventaire devenir l’instrument d’une politique

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prospective du patrimoine, s’intégrant dans une politique urbanistique, n’est devenu qu’en partie réalité. L’Inventaire n’a jamais obtenu une base légale, ce qui a hypothéqué plus d’une fois son influence sur la politique. N’empêche qu’il a été utilisé, à bon et à mauvais escient, comme instrument de travail intéressant par les différentes administrations communales, les services urbanistiques, les commissions de concertation, les comités d’action, les défenseurs du patrimoine … et même par les promoteurs immobiliers … et les pompiers. En mars 1994, une mise à jour de l’inventaire de 1979 a été soumise au secrétaire d’État Didier vn Eyll, comprenant 16.197 bâtiments, le Pentagone non compris. Cette nouvelle mouture n’a jamais fait l’objet d’une publication, car entre-temps on s’était remis à dresser à partir de 1979 l’inventaire régional du Patrimoine architectural, inventaire qui, à ce jour, soit 38 ans plus tard, n’est toujours pas achevé.

IV. À PROPOS DE SIX PROJET CLÉS

Étude et documents de base, série de cartes 1550 – 1992 : Jos Hogenes Composition de la carte de synthèse 1640 – 1980 : Herwig Delvaux en collaboration avec l’équipe de Sint-Lukasarchief.

JOHN RUSKIN « Le principe des temps modernes consiste d’abord à négliger les édifices, puis à les restaurer. Prenez soin de vos monuments et vous n’aurez nul besoin de les restaurer. Quelques feuilles de plomb placées en temps voulu sur la toiture, le balayage opportun de quelques feuilles mortes et de brindilles de bois obstruant un conduit sauveront de la ruine à la fois murailles et toiture. Veillez avec vigilance sur un vieil édifice ; gardez-le de votre mieux et par tous les moyens de tout case de délabrement. Comptez-en les pierres comme vous le feriez pour les joyaux d’une couronne : mettez-y des gardes comme vous en placeriez aux portes d’une ville assiégée ; liez-le par le fer quand il se désagrège ; soutenez-le à l’aide de poutres quand il s’affaisse ; ne vous préoccupez pas de la laideur du secours que vous lui apportez, mieux vaut une béquille que la perte d’un membre ; faites-le avec tendresse, avec respect, avec une vigilance incessante, et encore plus d’une génération naître et disparaîtra à l’ombre. » John Ruskin, The Lamp of Memory (La Lampe du souvenir  ), dans The Seven Lamp of Architecture (Les sept lampes de l’Architecture), London,1849, traduit par George Elwall, Paris, 1899

LE CHATEAU CHARLE-ALBERT LA MAISON FLAMANDE « J’ai construit cette maison flamande, mal pour les uns, bien pour les autres, qu’importe les mots amers ou doux, qu’un autre fasse donc mieux » Charle-Albert, texte traduit d’après l’original inscrit dans les cartouches de la façade du château.

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IV. À PROPOS DE SIX PROJET CLÉS

Le château, dessiné et construit par et pour l’architecte Albert Charle entre 1869 et 1887, était, par son aspect extérieur et plus encore par son aménagement intérieur, un des premiers exemples de la néo-Renaissance flamande à Bruxelles et un des fleurons de ce style. Les qualités architectoniques et paysagères du château et du parc, des différentes façades et de leurs parties constitutives en faisaient un ensemble historique unique en son genre. Le précieux mobilier ancien et les éléments de décoration intérieure interprétés par Charle-Albert dans le style néo-renaissant flamand, formaient une oeuvre d’art total avec les façades et le parc autour du château. Le château Charle-Albert a d’ailleurs été repris dans l’Inventaire d’Urgence sous le code 2, très remarquable. Sint-Lukasarchief, qui avait constitué un dossier de protection pour cet édifice le 11 octobre 1978, lança en 1983 un ultime appel à toutes les instances politiques concernées pour qu’elles réactivent la procédure de protection, alors au point mort. Il allait encore falloir attendre jusqu’au 8 août 1988 pour que le bâtiment soit classé comme monument. Même après le classement comme monument, l’édifice continua de se dégrader à vue d’oeil sous la « surveillance » des pouvoirs publics et de la Commission royale des Monuments et Sites. En 1978, l’intérieur était pratiquement intact : 35 ans plus tard, le château et son intérieur n’étaient plus qu’une misérable ruine. La restauration (?), la reconstruction (?) et la rénovation ont commencé en 2012. Menés sous la direction du bureau d’architectes Ma2 – Metzger et Associés – Architecture, les travaux se sont achevés en 2014. Mais « qu’importe les mots amers ou doux, qu’un autre fasse donc mieux » ?

Sint-Lukasarchief a produit plusieurs expositions et publications sur Horta et sur l’Art Nouveau, la dernière en date étant consacrée à la diffusion de l’Art Nouveau dans le monde : « Art Nouveau diaspora ». Cette exposition a eu lieu à la maison Cauchie, à l’Oslo School of Architecture and Design et au Jugendstil Center d’Alesund, en Norvège. La carte fictive bleu glacé s’inspire vaguement de la « mappa mundi », la carte du monde que fra Mauro († 1460), un moine qui vivait au monastère de San Michele à Venise, dessina en 1459. Dans ses jeunes années, fra Mauro avait été marchand et soldat et il avait donc beaucoup voyagé. Une fois entré dans les ordres, il devint un cartographe de renom. Fra Mauro fut le premier à utiliser de façon systématique les informations contenues dans « Il Milione », le récit de voyage de Marco Polo (1254-1324), pour dresser sa carte du monde. La carte poétique du monde de l’Art Nouveau montre quelques grandes îles avec comme capitales Horta, Guimard, Gaudi, Van de Velde, Mackintosh, Wagner et Hoffmann et autour de celles-ci des basses terres, avec des courants et des noms d’architectes moins connus qui ont diffusé l’Art Nouveau dans le monde, ainsi que les diverses connexions entre eux. Sur son pourtour apparaissent les navires de guerre de Le Corbusier qui, après la Première Guerre mondiale, balaie de la carte la totalité du monde du XIXe siècle et de l’Art Nouveau. Avec les pionniers de l’Art Nouveau – Victor Horta, Henry Van de Velde, Paul Hankar – Bruxelles a donné le ton à partir de 1893 en matière d’archi­tecture moderne en Europe. En même temps qu’Antonio Gaudi en Catalogne, Charles Rennie Mackintosh à Glasgow, Otto Wagner et Josef Hoffmann, ces architectes ont répandu la nouvelle architecture à travers le monde. Un vent architectural nouveau a ainsi soufflé sur toute l’Europe, de Paris à Moscou en passant par Vienne, et même jusqu’à Buenos Aires.

JOHN RUSKIN

SAUVER LA MAISON DE LA RADIO

« La vraie signification du mot restauration n’est comprise ni du public ni de ceux à qui incombe le soin de nos monuments publics. Il signifie la destruction la plus complète que puisse souffrir un édifice ; destruction d’où ne se pourra sauver la moindre parcelle ; destruction accompagnée d’une fausse description du monument détruit. Ne nos abusons pas sur cette question si importante : il est impossible, aussi impossible que de ressusciter les morts, de restaurer ce qui fut jamais grand ou beau en architecte »

Sans l’intervention de Sint-Lukasarchief, Flagey n’existerait sans doute plus. Bien que l’architecte Joseph Diongre ait fait appel, lorsqu’il conçut la Maison de la Radio en 1933, aux techniques les plus récentes et les plus novatrices de l’époque, cet immeuble, inauguré en 1938, ne fut utilisé que durant 35 années à peine pour les émissions radiophoniques, pour l’enregistrement et la diffusion de concerts de musique classique, de jazz et de musique contemporaine, et à partie du début des années cinquante, pour la télévisions. Alors qu’extrêmement peu de personne s’y attendaient, la Maison de la Radio fut, sur proposition de Sint-Lukasarchief, inscrite par un jury international le 10 septembre 1997 sur la litre 1998-1999 des 100 sites les plus menacés au monde établie par le « World Monuments Watch Program ».

John Ruskin, The Lamp of Memory (La Lampe du souvenir  ), dans The Seven Lamp of Architecture (Les sept lampes de l’Architecture), London,1849, traduit par George Elwall, Paris, 1899

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IV. À PROPOS DE SIX PROJET CLÉS

LA DIASPORA ART NOUVEAU

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IV. À PROPOS DE SIX PROJET CLÉS

DÉMOLI EN 2001-2002.

LE CENTRE INTERNATIONAL ROGIER BRUXELLES TOUR MARTINI • « RENDEZ-VOUS AVEC LE MONDE » • PURE ICÔNE DES FIFTIES LIEU DE RENCONTRE INTERNATIONAL EXPO 58 • PREMIER GRATTE-CIEL MULTIFONCTION D’EUROPE • VILLE VERTICALE COMPACTE • POINT DE REPÈRE DANS BRUXELLES S.A. LOTIMO, M. A.W. Smets et Mme M. Smets-Hennekinne, maîtres de l’ouvrage. Jacques Cuisinier, S. Lebrun, architectes et J. Mauquoy, ingénieur • André Jacqmain et Jules Wabbes, architectes du Théâtre National. 116 appartements de luxe, types Hera, Iris et Pallas • Centre Martini, centre de divertissement • Théâtre National, 2 salles de théâtre avec foyer, 4 bars, foyer des artistes, 13 loges pour 38 artistes, bureau du metteur en scène, archives, atelier de peintre, magasin des décors, 13.816 m2 de culture • agence bancaire • polyclinique • pharmacie • station essence • restaurants • services administratifs • 85 magasins, galerie commerçante • centre d’affaires : 25.000 m2 de bureaux • gare d’autobus, noeud du réseau de transports publics • parking pour 1000 voitures • centre international de congrès • plus de 5000 personnes chaque jour dans le bâtiment. 117 m de haut • 30 étages • 20.000 m3 de béton armé • 1165 pieux Franki • 40 poutres Preflex • 360 poutres Non-flex • 58.000 m2 de murs • 207.500 m2 de plafonnage • 77.800 m2 de chapes • 103.000 m2 de matériau d’isolation • 12.800 m2 de sols • 11.300 m2 de faïence – 3200 portes intérieures • 25.000 m2 de châssis en aluminium • 24.600 m2 de double vitrage • 10.000 m de tuyaux • 10.000 m de conduites • 36.500 m2 de caoutchouc • 10.000 m2 de parquet... 19 septembre 1957 : pose de la première pierre • 31 mars 1958 : ouverture du premier magasin • 14 avril 1958 : inauguration de la gare d’autobus • 4 octobre 1958 : début de la construction du centre international de congrès • 6 octobre 1958 : première exposition « urbanisation et renaissance d’un quartier » • 9 janvier 1959 : inauguration du centre international de congrès avec salon de l’auto General Motors • 15 février 1959 : fin de la construction du 9e étage • 23 juin 1960 : le ministre Omer Vanaudenhove pose le « bouquet » • le Centre international Rogier est achevé.

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Mars 1996 – le dernier habitant, Roger Faniel, est expulsé de son appartement – 2001 : le Gouvernement bruxellois et le secrétaire d’État en charge des Monuments et Sites, Willem Draps, refusent l’inscription du Centre international Rogier sur la liste de sauvegarde du patrimoine architectural, alors que 619 personnes l’ont officiellement demandée, conformément à l’art. 7, paragraphe 2 de l’ordonnance du 4 mars 1993 relative à la conservation du patrimoine immobilier en Région de Bruxelles-Capitale.

V. CONTRE-PROJETS ARCHITECTURAUX

LA MAISON DE LA RADIO EST SAUVÉE ! La sprl Samyn et Associés, architectes et ingénieurs, a reçu la mission de concevoir l’extension du bâtiment, du côté de la rue du Belvédère, de gérer la rénovation des différents studios et, surtout, de mener à bien la restructuration durable et l’aménagement du Studio 4, chefd’œuvre architectural et acoustique de la Maison de la Radio, désormais monument classé. La Maison de la Radio a réouvert ses portes, comme Centre culturel Flagey, le 30 septembre 2002.

V. CONTRE-PROJETS ARCHITECTURAUX Comme leur nom l’indique, les contre-projets sont des projets dirigés contre d’autres projets, émanant d’initiatives privées ou publiques. Les contre-projets se sont développés à l’école de La Cambre, sous la houlette de Maurice Culot à partir de 1970, quand Bruxelles et d’autres villes belges étaient confrontées à des transformations urbaines brutales et sans que les habitants y soient associés. Des architectes, ingénieurs, fonctionnaires et élus faisaient alors, comme le titre du film de 1963 de Francesco Rosi, Main basse sur la ville, et leur philosophie urbaine était celle de la table rase, du tout à l’automobile et du fait accompli. Ces années ont vu se multiplier les actions de contestations et des habitants se fédérer en comités de quartier. Le principe du contre-projet était de démontrer qu’à tout projet destructeur de la ville, il y avait une alternative réaliste. Le choix des contre-projets étudiés à La Cambre et aux AAM était lié à l’actualité, répondait à une sollicitation de l’Atelier de Recherche et d’Action Urbaines (ARAU) ou d’un comité d’habitants, ou encore anticipait un aménagement futur de la ville. Pendant un peu moins de dix ans et jusqu’en 1979, année du départ de Maurice Culot et de ses assistants de La Cambre, près d’une centaine de contre-projets ont été produits par des étudiants. On peut distinguer deux périodes dans l’élaboration des contre-projets. La première est plus ludique et fortement influencée par les travaux du groupe anglais Archigram qu’anime Peter Cook, ce qui s’explique par la fascination qu’exerçait alors l’Angleterre sur la mode, la musique et l’architecture. La seconde période, plus politique, est liée à deux personnalités : René Schoonbrodt, sociologue et président de l’ARAU, qui apporte une dimension sociale et militante, et Léon Krier, architecte luxembourgeois vivant à Londres, qui apporte la dimension théorique en définissant précisément les concepts constitutifs de la ville européenne : le quartier, la place, la rue.

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V. CONTRE-PROJETS ARCHITECTURAUX

Pour en saisir le sel, il faut se reporter à ces années où Bruxelles était saccagée avec la complicité de l’establishment architectural et du silence assourdissant des sociétés d’architectes. Les premiers contre-projets présentent un caractère ironique et moqueur. Ils dénotent un engagement romantique de gauche issu de mai 68, une joyeuse remise en cause abreuvée par la contre-culture, le mouvement hippie et des idéaux communautaires. L’idée était bien de faire sauter le carcan moraliste d’une école qui se pensait élue et détentrice d’un esprit unique, héritage jamais défini des années Van de Velde. Le projet de Poing rouge, tente gonflée à l’air, au pied de l’immeuble-tour de la porte de Namur, est une bonne illustration de cette période insouciante et provocatrice, aux relents anarchisants alors charriés par Charlie Mensuel et Hara-Kiri. Les contre-projets impliquant une connaissance de l’histoire, indispensable à leur enracinement dans la ville, les étudiants qui s’y adonnent sont tenus de se cultiver. Ainsi, la préparation d’un contre-projet sur le site d’un ancien panorama donna lieu à une étude sur les panoramas dans le monde et une publication. Iconoclaste, le mot n’est pas trop fort pour décrire le projet d’Elie Levy, fils de Moïse Levy, rabbin du Congo, qui propose d’aménager un atelier de l’école avec des tissus tendus noir et rouge évocateurs des cérémonies nazies. Il est vrai que Van de Velde et certains des professeurs de La Cambre avaient été inquiétés pour s’être impliqués pendant la guerre dans le Commissariat général à la Restauration du pays. Le projet de pont en forme de femme nue allongée, que Philippe Lefebvre, assisté par Philippe De Gobert, propose de construire au-dessus de la rue Gray, est une manière de marquer la rupture avec le dogme fonctionnaliste qui régissait les cours d’architecture à La Cambre. Les premiers contre-projets marquent le début de la distance avec l’institution architecturale. L’architecte peut désormais être moqué, critiqué dans la presse et challengé par les étudiants.

entre autres Bofill, Gehry, Graves, Koolhaas, Krier, de Portzamparc, Venturi. Pour leur part, les Archives d’Architecture Moderne, présentent une sélection de contreprojets dans l’espace situé derrière la façade conçue par Léon Krier. Extraits de l’introduction au catalogue de l’exposition : « Le retour de l’architecture dans le sein de l’histoire et son recyclage des formes traditionnelles dans de nouveaux contextes syntaxiques est un des symptômes qui a produit ces dernières années une profonde différence dans un ensemble de projets et travaux compris par certains critiques dans la catégorie ambigüe mais efficace de ‹ Post-Modern ›.» « Le but (de la Strada Novissima) est de permettre aux visiteurs de constater ‹ le retour de la rue › comme élément constitutif de la ville et comme un des buts fondamentaux de la recherche postmoderne ».

1.1. LA BIENNALE DE VENISE – 1980 La première biennale de Venise consacrée à l’architecture a lieu en 1980. Le thème en est « La présence du passé », le commissariat est assuré par Paolo Portoghesi et l’exposition se tient pour la première fois dans la Corderie de l’Arsenal. Portoghesi est architecte de formation et enseigne l’histoire de l’architecture aux universités de Rome et Milan. Il est aussi le théoricien du postmodernisme en Italie. La Corderie, un « couloir » de 316 mètres de long où étaient réalisés les cordages de la marine vénitienne, lui permet d’imaginer une scénographie qui rentrera dans l’histoire : la Strada Novissima. Une enfilade de façades proposées chacune par un architecte différent. On y retrouve

1.3. PROJET POUR UNE CRÈCHE DANS LES MAROLLES – 1972-1973 Dans le quartier des Marolles, le long du palais de Justice, l’exercice proposé aux étudiants est de construire une crèche en intégrant plusieurs contraintes urbanistiques et techniques : un terrain minuscule, un contexte hétérogène et l’ajout dans le programme d’un espace de consultation prénatale et d’un club de jeunes. Par une grande fresque représentant une rue en trompe-l’œil, ce projet entend marquer l’entrée dans le quartier populaire des Marolles. Le trompe-l’œil, souvent utilisé dans l’architecture, mais rejeté par les architectes modernes, sera souvent utilisé dans les contre-projets à La Cambre pour palier la laideur de certains points de vue.

V. CONTRE-PROJETS ARCHITECTURAUX

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1. LES CONTRE-PROJETS LUDIQUES – 1970-1975

1.2. SIX PROPOSITIONS POUR LE SQUARE DU BASTION  – 1974-1975 À hauteur de la porte de Namur, au début de la chaussée d’Ixelles, un immeuble-tour de vingt-cinq étages a été construit sur le square du Bastion, dans les années 1960. Encerclé par cet imposant bâtiment, le square offre un environnement climatique très hostile. Des vents tourbillonnants s’engouffrent dans cet espace et gênent la circulation piétonne en plein air. L’énoncé de l’exercice proposé aux étudiants de La Cambre était formulé comme suit: « dans un circuit commercial sursaturé, implanter un objet visuellement fort ; faire appel à la curiosité, à l’étonnement, au doute ; donner au coin de la porte de Namur une identité particulière par un signe simple; laisser l’interprétation libre, ouverte. » De manière ludique, ces six projets suggèrent la création d’un espace couvert abritant des fonctions culturelles et commerciales. Passant d’un gigantesque point levé à une reconstitution d’un Bruxelles historique, une identité forte est à chaque fois proposée.

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V. CONTRE-PROJETS ARCHITECTURAUX

1.5. PROJET D’AMÉNAGEMENT DE LA VALLÉE DU MAELBEEK – 1971-1973 La rue Gray relie la place Flagey à la place Jourdan en suivant l’ancienne vallée du ruisseau du Maelbeek, désormais canalisé en souterrain. Dans le but d’améliorer les communications routières et d’agrandir le collecteur, l’Administration des Routes envisage d’élargir la rue, ce qui permettrait en même temps de raser ce quartier ancien et populaire. Les étudiants de La Cambre ont cherché à démontrer que cet élargissement engendrerait de nombreuses expropriations et serait excessivement coûteux tant sur le plan social que financier. « Le projet doit être pris au second degré : une démonstration par l’absurde destinée à faire comprendre à la population que les images architecturales les plus séduisantes n’offrent pas de garanties aux habitants si la dimension économique et sociale est absente ». 1.6. À CÔTÉ DE DE KONINCK  – 1977 Au coin de la rue de l’Ermitage et de la rue de Hennin, subsiste un terrain non bâti. L’exercice proposé aux étudiants de La Cambre est de combler ce vide par un immeuble à appartements. Une attention particulière doit être apportée aux raccords avec les bâtiments existants : des maisons bourgeoises dans la rue de Hennin et un immeuble de style international de l’architecte L.H. De Koninck dans la rue de l’Ermitage. Condamné par les architectes modernistes car il ne permettait pas de disposer d’un jardin, l’immeuble d’angle avait, jusque-là, été banni des travaux des étudiants à La Cambre. Allant à l’encontre de cette vision fonctionnaliste, ce projet permet de relancer la réflexion sur ce type de bâtiment.

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1.7. UNE TENTE POUR UNE MANIFESTATION ITINÉRANTE SUR LE THÈME DE LA VILLE  – 1972 La Caisse Générale d’Epargne et de Retraite confie aux AAM un projet pour une manifestation relative aux problèmes d’environnement. Cette manifestation serait itinérante, présentée rue de la Régence à Bruxelles, ainsi que dans quatre autres villes belges et devrait être abritée dans une tente. L’architecte Fernand Joachim et le peintre Paul De Gobert proposent de réaliser une longue tente où seraient projetées, sur grands écrans, des diapositives recréant des ambiances urbaines accompagnées de « commentaires illustrant des points de vues politiques, urbanistiques, esthétiques complémentaires ou contradictoires. » Différentes activités pourraient également être accueillies dans cette tente, comme des pièces de théâtres, des séminaires… Le projet sera finalement écarté par la Caisse Générale d’Epargne car il aurait suscité trop de polémiques dans une période où les tensions étaient fortes entre les autorités politiques et les habitants.

V. CONTRE-PROJETS ARCHITECTURAUX

1.4. TOUT CE QUI PEUT ARRIVER À UN TERRAIN VAGUE…  – 1975 Régulièrement, la revue d’architecture A+, dans sa rubrique « Greetings from Brussels », dénonce une situation urbanistique jugée déplorable en adressant une lettre à un responsable politique local ou un ministre. En juin 1975, la revue s’en prend au bourgmestre de Saint-Josse-ten-Noode au sujet d’un terrain vague, situé entre l’avenue G. Petre et la rue des Deux Tours, sans pour autant proposer de solution. Critiquant le caractère non constructif de l’article de A+, les étudiants proposent une série d’alternatives pour transformer ce terrain à l’abandon en un lieu vivant. L’ensemble du dossier, qui est présenté au comité local et à la Commune, répond au problème d’une manière humoristique et ouvre des pistes de réflexion pour la mise en révision d’un plan d’aménagement de 1972 qui n’avait pas pu être réalisé pour des raisons financières.

2. LES CONTRE-PROJETS MILITANTS – 1975-1979 Trois événements vont changer la donne et orienter les contre-projets vers des objectifs politiques. Le succès de l’ARAU et la multiplication des comités d’habitants qui suscitent une forte demande d’images pour lutter contre les projets des promoteurs et de l’État; la rencontre avec Léon Krier qui apporte une méthode de composition issue de l’analyse des villes traditionnelles; et l’arrivée à La Cambre d’une génération d’étudiants motivés et ambitieux. Désormais, le réalisme prévaut sur la poésie, et les contre-projets sont étudiés comme d’authentiques projets réalisables. Afin d’éviter des débats sur le style architectural des contre-projets et s’avancer sur le terrain mouvant des débats esthétiques, leur architecture est essentiellement contextuelle, immédiatement reconnaissable par les habitants. Destinés à être publiés dans les quotidiens, le graphisme des contre-projets adopte « la ligne claire » propre à Hergé et la bande dessinée belge : trait noir sur fond blanc. Pour assurer la plus grande lisibilité possible, les contre-projets sont présentés sous forme de perspectives et surtout d’axonométries qui permettent de les saisir dans leur ensemble. Sous l’influence de Léon Krier, qui prône le retour à une architecture artisanale, va naître l’idée de « résistance anti-industrielle » qui donnera lieu à des spectacles musicaux et costumés, renouant avec une tradition des premières années de l’école. La Cambre alimente la contestation avec des contre-projets de plus en plus aboutis et cette fois l’institution architecturale se sent directement

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V. CONTRE-PROJETS ARCHITECTURAUX

2.1 PROJET DE RECONSTRUCTION À BRUXELLES DU PANORAMA DE LA BATAILLE DE L’YSER  – 1977 Vulgarisant les grandes batailles historiques et les paysages, les panoramas, qui font leur apparition au XIXe siècle, attiraient les foules. En 1920, un immeuble de l’actuel boulevard Lemonnier accueillait le panorama de la bataille de l’Yser. Cependant, il fut déménagé à Ostende quelques années plus tard et l’immeuble fut transformé en parking. Conçu sur l’îlot jouxtant la place Fontainas, ce contre-projet propose de recréer un panorama sur le mur translucide d’une galerie circulaire entourée d’un complexe administratif, hôtelier et récréatif qui s’ouvre sur une place centrale et un grand parc transversal.

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2.2 QUAND L’ARMÉE S’EN VA…  – 1974-1978 Les casernes bruxelloises sont désertées par les militaires suite à « l’évolution technologique des arts de la guerre ». Dès 1976, ces espaces ainsi libérés, sont envisagés pour la construction de logements sociaux. Ces casernes sont particulièrement bien situées dans le centre-ville et proches de tous les équipements urbains. Les Archives d’Architecture Moderne se voient confier l’étude des possibilités d’aménagement de ces différents sites. Les mêmes principes régissent globalement les différents projets qui s’opposent aux logements sociaux traditionnels disposés en blocs standardisés et alignés sans souci du tissu urbain existant. Au contraire, une attention toute particulière est portée à l’intégration ainsi qu’à la diversification tant architecturale que fonctionnelle, créant des ensembles vivants et mixtes. Les axes piétonniers structurent l’implantation des bâtiments et des espaces publics tels que des parcs ou des places et font la liaison avec le reste du quartier. Certains bâtiments des anciennes casernes sont conservés et réhabilités.

2.3 LE QUARTIER DES ARTS – 1978 Entre le palais Royal et le palais d’Egmont, le quartier des Arts a pour colonne vertébrale la rue de Namur. Ce quartier, compris entre la petite ceinture et la rue de la Régence, principalement occupé par des bâtiments officiels et administratifs, est isolé et manque d’animation. Ce contre-projet diversifie les fonctions et propose un nouveau tracé urbain qui repense tout l’aménagement du quartier autour de la création d’une large voie piétonne (3) reliant le palais Royal à la caserne des Grenadiers, dont le site est modifié pour y créer deux places publiques (4 et 5) et de nombreux logements sociaux. Les rues du Pépin et de Ruysbroeck sont reliées par une place en escalier (7). De l’autre côté de la nouvelle rue, une entrée monumentale encadrée de portiques donne accès à la nouvelle place du Palais royal (2) pensée pour reconnecter les cheminements piétons et intégrer le palais Royal dans le tissu urbain. Grâce à ces nouvelles places et rues, un tracé traditionnel est retrouvé et le quartier est désenclavé.

V. CONTRE-PROJETS ARCHITECTURAUX

mise en cause, car ceux-ci rencontrent l’adhésion et la sympathie des habitants et menacent directement ses intérêts. Quelques contre-projets mettent le feu aux poudres : notamment ceux contre l’extension de la Banque de Bruxelles au Sablon et contre la démolition de la rue Montagne de la Cour pour y installer l’entrée du musée d’Art moderne. En 1979, les professeurs René Schoonbrodt, Kris van de Giessen, Annick Brauman, Maurice Culot et presque tous ses assistants seront exclus de l’école par le ministre de tutelle de l’institution. La plupart des étudiants de cette génération formée à La Cambre développeront après leurs études des agences d’architecture recherchées en raison de leur capacité à générer des projets qui s’appuient sur des récits urbains sans susciter de levées de boucliers des habitants.

2.4 LE QUARTIER NORD – 1976-1978 Entre la gare du Nord et la chaussée d’Anvers, le Quartier Nord suscite depuis le début du XXe siècle l’intérêt des architectes, à l’instar de Victor Bourgeois qui proposait en 1928, un quartier fonctionnaliste fait de barres parallèles, le « Nouveau Bruxelles ». Des hommes d’affaire bruxellois, dont le promoteur Charlie De Pauw, soutenu par la Ville, entendent faire de Bruxelles un centre d’affaires international. Ils vont reprendre l’idée de Victor Bourgeois et proposer un « plan Manhattan » dont la réalisation est confiée au groupe Structures. Ce projet a comme point d’orgue le « World Trade Center », huit tours de bureaux d’une hauteur de cent mètres au croisement de deux axes autoroutiers. Face à ce projet fonctionnaliste et aux multiples expropriations qu’il engendrait, l’ARAU et les AAM proposent de créer un quartier urbain mixte en cohérence avec les quartiers voisins et intégrant la gare du Nord. Certains contre-projets prévoient également un grand parc public. 2.5 LA PLACE DE LA VIEILLE HALLE AUX BLÉS – 1972-1973 La Ville de Bruxelles voulait profiter des démolitions engendrées par les travaux de la Jonction Nord-Midi pour renouveler son centre, le débarrasser des taudis et y construire des tours ou des barres de bureaux et de logements. À deux pas de la Grand Place, en 1964, elle adopte un plan particulier d’affectation du sol pour la place de la Vieille Halle aux Blés, avec comme projet d’y construire quatre tours. Une seule sera construite, elle abritera pendant longtemps l’administration de l’Aménagement du Territoire de l’ancienne Province de Brabant.

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V. CONTRE-PROJETS ARCHITECTURAUX

2.6 LA JONCTION NORD-MIDI – 1976-1978 Les gares du Nord et du Midi sont conçues, à l’origine, comme des gares à rebroussement, comme celles de Paris. Des propositions de jonction des deux gares émergent dès la seconde moitié du XIXe siècle. Les travaux de la Jonction Nord-Midi commencent en 1911 et se terminent seulement dans les années 1950. La construction de ce tronçon ferré de deux kilomètres éventre complètement le coeur de Bruxelles et les destructions qu’il provoque engendrent une coupure entre le haut et le bas de la ville. Au début des années 1970, malgré de nombreux projets, la cicatrice laissée par les travaux n’est toujours pas refermée et les étudiants de La Cambre proposent un projet global d’aménagement de la zone comprise entre la gare du Midi et la gare du Nord. La ville est reconstituée à l’échelle humaine, dans le respect des gabarits et des tracés urbains anciens. L’accent est mis sur la circulation piétonne favorisée par des promenades vertes et des passages couverts ; les places publiques, lieux de rencontre et de convivialité ; l’intégration des bâtiments existant dans le tissu urbain ; le mélange entre logements, emplois et artisanats. 2.7 LA RECONSTRUCTION DE LA FAÇADE DE L’HÔTEL AUBECQ – 1979 Chef-d’œuvre Art Nouveau construit par Victor Horta en 1900, l’hôtel Aubecq, situé au 520 avenue Louise, a été détruit en 1948 pour être remplacé par un immeuble à appartement. Jean Delhaye, élève du maître et fervent défenseur de ses œuvres, demande une étude à son ami Maurice Culot en vue du remontage de la façade qu’il avait sauvée. Différents sites sont soumis à analyse d’un groupe d’étudiants de La Cambre. La rue Montagne de la Cour semble finalement le lieu qui apporte le plus d’avantages, notamment celui d’offrir un espace pour intégrer la salle Cousin, autre œuvre majeure de Horta, démontée et conservée par le Musée d’Art Ancien. La reconstitution de la façade de l’hôtel Aubecq viendrait à propos pour refermer la place du Musée et recréer la petite rue du Musée. Des locaux à vocation touristique prendraient place derrière la façade. Son illumination le soir en ferait le pendant Art Nouveau de l’ancien magasin Old England aujourd’hui reconverti en musée des instruments de musique.

2.8 LE QUARTIER BOTANIQUE – 1977-1979 À partir de 1977, La « Régie pour l’Aménagement» devient l’outil principal de la politique de rénovation du bâti ancien entreprise par l’Agglomération de Bruxelles. L’objectif poursuivi est de relancer le secteur du logement, affaibli par la spéculation immobilière qui favorise fortement la création de bureaux. Deux opérations pilotes sont lancées, la rénovation d’une partie de la rue aux Laines, dans le but de sauvegarder la qualité du site et son architecture historique et celle du quartier Botanique. Dans ce quartier populaire, situé à l’arrière du jardin Botanique, les agissements d’un promoteur immobilier, qui voulait transformer d’anciens logements en bureaux, avaient éveillé l’attention du comité de quartier. Celui-ci lutta pendant 5 ans auprès de la commune de SaintJosse et obtint la mise en place d’un plan particulier d’aménagement. « L’Opération Botanique », menée par la Régie de l’Agglomération, a ceci de particulier qu’elle vise tant à préserver la structure urbaine du quartier qu’à maintenir en place la population déjà présente. La rénovation est légère et peu onéreuse et réalisée « par tiroir » afin de ne pas devoir évacuer la population qui est relogée au fur et à mesure des travaux. La mobilisation des services sociaux montre qu’un intérêt tout particulier est porté aux habitants du quartier et que les rénovations sont faites en fonction de leurs besoins. Cette réhabilitation est inspirée par les projets élaborés par les AAM et l’ARAU. Les traits gras sur le plan, indiquent les parties du quartier qui seront rénovées et éventuellement reconstruites dans le respect de l’alignement des rues.

V. CONTRE-PROJETS ARCHITECTURAUX

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À l’encontre de cette vision fonctionnaliste, l’ARAU exige l’abandon du Plan Particulier d’Aménagement (PPA) et présente un projet de reconstruction de la place respectant le tissu urbain ancien, l’alignement des maisons et l’architecture historique. La Ville finira par changer son fusil d’épaule et réviser le PPA original en se basant largement sur les suggestions du projet imaginé par les AAM et l’ARAU.

2.9 MOLENBEEK, L’APRÈS MÉTRO - 1975-1979 La réalisation du métro qui traverse Bruxelles d’est en ouest a dévasté les quartiers populaires autour de la maison communale de Molenbeek. Plusieurs contre-projets sont présentés pour réparer et recoudre la plaie occasionnée par la trouée du métro. En février 1975, l’ARAU propose un plan d’aménagement de l’îlot face à l’hôtel communal, entre la rue du Comte de Flandre et le canal, qui limite fortement les expropriations et reconstruit des logements sociaux en cohérence avec les maisons subsistantes. Ce respect de la trame urbaine permet une réalisation par phase. Les constructions anciennes et nouvelles sont encadrées par des espaces verts publics. En novembre 1975, le secrétariat d’État au Logement fait réaliser une étude d’aménagement des friches laissées par les travaux en prenant appui sur les contre-projets des AAM et des étudiants de La Cambre.

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V. CONTRE-PROJETS ARCHITECTURAUX

2.11 LA CITÉ ADMINISTRATIVE DE L’ÉTAT - 1971-1972 Entre la place de la colonne du Congrès et le boulevard Pachéco, se trouvent les imposants bâtiments de la Cité administrative de l’État. Située sur un site anciennement fort pittoresque aménagé en 1847 par l’architecte Jean-Pierre Cluysenaar, la Cité administrative a profondément modifié la morphologie du quartier. L’objectif qui sous-tend ce projet urbanistique hors norme, déjà imaginé avant la guerre, est la centralisation des divers ministères en vue de rationaliser le travail et de diminuer les dépenses de fonctionnement et d’entretien. Initiée en 1958, sa construction entraîne la destruction d’un quartier vivant et d’un escalier monumental. Les travaux traînent pendant 25 années et quand il approche de son terme, la régionalisation de la Belgique, le rend caduc. Ce projet d’allure soviétique contribue largement à couper le haut et le bas de la ville. Le contre-projet des AAM supprime l’immense tour des finances et réduit la largeur du boulevard pour implanter une bande de logements s’ouvrant sur les jardins conçus par René Pechère. Il propose une alternative « aux visions officielles en matière d’urbanisme de zoning et de circulation automobile à l’intérieur même du périmètre du centre historique ».

moderne, devant compléter l’idée de complexe culturel autour du Mont des Arts voulu par Léopold II. Le projet officiel prévoit d’enterrer le musée sous la place du Musée, un puits de lumière creusé au centre de la place offrant la luminosité nécessaire. Un bâtiment en béton devait matérialiser l’entrée du musée, en lieu et place des habitations et des commerces de la rue Montagne de la Cour et de la rue du Musée. L’opposition à ce projet est justifiée parce qu’il interrompt ce qui reste de la continuité urbaine vivante entre le haut et le bas de la ville, de la porte de Namur à la Grand Place. L’ARAU et les AAM, au travers d’une série de contre-projets et de protestations prônent la réhabilitation des anciennes maisons et la construction de nouvelles habitations pour fermer la place du Musée dans le respect des dispositions historiques, contestant ainsi la construction de l’imposant bâtiment d’entrée prévu dans le projet officiel.

V. CONTRE-PROJETS ARCHITECTURAUX

2.10 SAUVER LE MARCHÉ SAINT-GÉRY - 1979 En 1882, à deux pas de la Bourse et à l’emplacement de l’ancienne église Saint-Géry, un marché couvert est construit dans le style néo-Renaissance flamande avec un espace intérieur très ouvert et pourvu d’une grande luminosité. En 1980, les halles Saint-Géry, délaissées depuis la Seconde Guerre mondiale, sont menacées de destruction par la Ville de Bruxelles qui veut créer un square mettant en évidence la fontaine et l’obélisque de l’ancienne place publique du XIXe siècle, abrités dans le marché couvert. Désireux de préserver ce bâtiment à l’architecture remarquable, le contre-projet propose de créer un jardin d’hiver luxuriant, donnant aux halles Saint-Géry de nouvelles fonctions basées sur les idées de rencontre, de convivialité et de détente ; un îlot de verdure dans ce quartier où les habitants résident principalement en appartement. Ce contre-projet à largement contribué à la sauvegarde du marché devenu aujourd’hui un des lieux phares du bas de la ville..

2.13 RUE DE L’ARBRE BENIT - 1979 Entre l’avenue Louise et la chaussée d’Ixelles, la rue de l’Arbre Bénit doit son nom à la présence d’un vieux tilleul auquel, au Moyen-Âge, on attribuait des vertus curatives. Ancien chemin de campagne, la rue de l’Arbre Bénit a subi d’importantes transformations à partir des années 1960 ; deux grandes firmes, Solvay et la Compagnie du Gaz, y installent leurs sièges administratifs, détruisant bon nombre de maisons. L’exercice propose de reconstruire de l’habitat et des équipements collectifs dans la rue, tout en maintenant les bureaux déjà présents. Les étudiants revoient la circulation en concevant, d’une part, une rue nouvelle coupant l’îlot et, d’autre part, une galerie traversant le bâtiment de la Compagnie du Gaz et aboutissant à la chaussée d’Ixelles. Les îlots sont complétés par des logements et des commerces, en y intégrant notamment le cinéma Styx, déjà présent dans le quartier.

2.12 LE MUSÉE D’ART MODERNE - 1973-1974 Dès le début des années 1970, commence le bras de fer entre les pouvoirs publics et plusieurs associations (la Ligue esthétique belge, Quartiers des Arts, l’ARAU et les AAM) au sujet de la construction du musée d’Art

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VI. UNBUILT

CECI RESSUSCITERA CELA  « Promenant un triste regard du livre à l’église… Hélas ! dit-il, ceci tuera cela ». Ainsi s’exprime en 1482 Claude Frollo, archidiacre de Notre-Dame de Paris dans le roman éponyme de Victor Hugo. Et l’auteur de s’en expliquer : « L’imprimerie tuera l’architecture. En effet, depuis l’origine des choses jusqu’au XVe siècle de l’ère chrétienne inclusivement, l’architecture est le grand livre de l’humanité, l’expression principale de l’homme à ses divers états de développement soit comme force, soit comme intelligence… Ainsi, jusqu’à Gutenberg, l’architecture est l’écriture principale, l’écriture universelle. » La préservation des archives d’architecture, dans une perspective inversée qu’on pourrait donc intituler « Ceci ressuscitera cela » a contribué à sauver à sa façon la mémoire d’une architecture aujourd’hui disparue. Cette résistance de papier à la destruction d’une ville de pierre, de brique et de mortier a aussi permis de sensibiliser l’opinion publique à l’intérêt de sauvegarder la ville réelle comme patrimoine, et n’a pas été sans effet sur les politiques publiques de protection, loin s’en faut. Dans cette section, nous montrons une déclinaison un peu particulière des archives : les projets qui n’ont jamais vu le jour. Fruits d’une imagination sans contrainte, parce que sans commanditaire, ou résultats de concours d’architecture, ces projets témoignent d’une ville qui n’a jamais eu lieu, même si bon nombre d’entre eux ont été une source d’inspiration pour des projets qui ont bel et bien vus le jour, pour le meilleur et pour le pire. La section, intitulée « Unbuilt Brussels », est la première édition d’une exposition récurrente qui aura lieu désormais chaque été, et qui proposera une déclinaison particulière du thème général : une occasion de montrer la richesse des Collections de Sint-Lukasarchief et des Archives d’Architecture Moderne, désormais réunies dans le département Architecture Moderne de la Fondation Civa. 1. 2. 3. 4. 5. 6.

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PROJETS POUR L’ALBERTINE REMODELER LE CENTRE-VILLE LA VILLE LINÉAIRE AUDACES HISTORICISTES ET MODERNISTES BRUXELLES SE MODERNISE PROJET POUR UN COMPLEXE DE BUREAUX, PROJET GÉSU

AXEL GHYSSAERT (1933) Projet pour un complexe de bureaux, projet Gésu Saint-Josse-ten-Node, rue Royale, rue Brialmont, rue Traversière et rue de la Comète, 1989-1992 Maquette, plan et photomontage Exécution de la maquette : Hugo Vandekeere, photomontage : Luc Thys

L’immeuble de bureaux a été conçu pour une implantation particulière face au Botanique, côté rue Royale. Le maître de l’ouvrage n’était autre que le promoteur-entrepreneur Pieters-De Gelder de Wetteren. L’architecte Axel Ghyssaert a présenté différents projets : une pyramide coupée en deux, un grand cube losangé coupé en deux implanté en diagonale. Ce projet-ci a reçu l’approbation personnelle du bourgmestre Cudell. Mais Pieters-Degeldere était surtout emballé par la troisième proposition d’Axel Ghyssaert. C’est un ensemble harmonieux composé d’un volume de base quadrangulaire avec d’austères colonnes à des intervalles irréguliers en façade, lesquelles forment une image rythmée et paisible. La façade principale le long de la rue Royale a été ouverte jusqu’en dessous du volume sphérique centrale au-dessus de l’entrée, ce qui donne naissance à un impressionnant auvent. Le jeu de lignes verticales blanches du socle et les lignes horizontales noires de la sphère se complètent pour produire une unité architecturale. La structure portante centrale de la sphère, ancrée horizontalement dans le volume de base, crée une image en suspension dans le socle ouvert. Le projet se veut une fusion avec le bâtiment du Botanique et le jardin, pour un bâtiment comme pour l’autre.

VII. SUR LES BARRICADES POUR LA CONSERVATION ARCHITECTURALE

VI. UNBUILT

VII. SUR LES BARRICADES POUR LA CONSERVATION ARCHITECTURALE Près de cinquante ans après leur fondation, deux institutions d’archives bruxelloises unissent leurs forces. Le moment est exaltant. Deux collections importantes seront prochainement logées sous le même toit, mais ce n’est pas tout. C’est aussi la fusion de deux « patrimoines activistes ». Connus surtout pour leurs activités archivistiques, les Archives d’Architecture Moderne et Sint-Lukasarchief trouvent tous deux leurs origines dans les luttes urbaines des années 70.

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VII. SUR LES BARRICADES POUR LA CONSERVATION ARCHITECTURALE

Certes, leurs avis peuvent avoir divergé quant aux modalités précises de la préservation du passé et de la projection dans le futur. Et leurs solutions se sont parfois heurtées au scepticisme, voire à une résistance au sein de la communauté architecturale au sens large. Malgré cela, les efforts incessants déployés par Sint-Lukasarchief et les Archives d’Architecture Moderne pour convaincre, faire pression et irriter les détenteurs du pouvoir ont permis de sauver ou de protéger de la démolition maint trésor urbain et architectural bruxellois.

VII. SUR LES BARRICADES POUR LA CONSERVATION ARCHITECTURALE

Galvanisée par les révoltes estudiantines de 1968 à Paris, les mouvements des droits civils et l’épisode de la contre-culture aux ÉtatsUnis, Bruxelles est, elle aussi, montée aux barricades. La « Bataille des Marolles », les luttes contre la « Manhattanisation » du Quartier Nord et la résistance au projet ITT dans le quartier Louise ont été autant de signes d’une ville qui se dressait contre l’hégémonie des promoteurs, les urbanistes sans vergogne et la recherche du profit et de la modernisation au détriment des résidents locaux. Ces révoltes ont été le fait d’étudiants (en architecture), mais aussi de citoyens bruxellois, souvent regroupés en comités d’action.

Dr Isabelle Doucet, université de Manchester

… QUAND LES ÂMES SOEURS SE RENCONTRENT Outre leurs fonctions archivistiques, les Archives d’Architecture Moderne et Sint-Lukasarchief ont donc été aussi des militants, des activistes, et ont même été associés à des projets de création architecturale et urbaine. C’est également dans le cadre de leur activisme qu’ils se sont rencontrés durant les décennies qui ont suivi 1968. Cette rencontre ne s’est pas toujours faite dans le cadre d’un partenariat. Ainsi, en réponse à l’étude des Archives d’Architecture Moderne (Maurice Culot/ARAU) pour la conservation et le développement de la section Saint-Josse / Schaerbeek de la rue Royale de 1974, qui devait servir de base au Plan Particulier d’Aménagement (P.P.A.), Sint-Lukasarchief a développé un Plan Particulier de Protection) (P.P.P.). Mais lorsque les deux institutions ont travaillé main dans la main, comme dans la campagne de 1988 baptisée « Sauvez notre patrimoine Avenue Louise ! Brusselse Louizalaan bedreigd! », l’impact a été considérable. En collaboration avec d’autres comités d’action (p.ex. l’ARAU, InterEnvironnement), les Archives d’Architecture Moderne et Sint-Lukasarchief ont fait campagne pour protéger onze maisons du XIXe siècle, réalisées par des architectes de premier plan, vouées à la démolition en vue de la création d’un complexe multi-fonctionnel baptisé Forum Louise (mieux connu sous le nom de projet Wiltcher’s). Ils sont parvenus à recueillir des centaines de signatures en Belgique et à l’étranger, dont celles d’éminents architectes internationaux comme Ricardo Bofill, Herman Hertzberger, Mario Botta, Phyllis Lambert et Leon Krier. Résultat : les travaux de démolition ont été arrêtés. Partageant un élan commun de préservation historique, d’activisme urbain et de projections dans le futur, les Archives d’Architecture Moderne et Sint-Lukasarchief mettent en lumière un patrimoine d’ « archives activistes » qui est à présent réuni sous les meilleurs auspices.

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LIGNE DU TEMPS 1968-1988

VIII. EXTRAITS VISUELS

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SAVE/ CHANGE THE CITY – UNBUILT BRUSSELS #01

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SAVE/ CHANGE THE CITY – UNBUILT BRUSSELS #01

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LIGNE DU TEMPS 1968-1988

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SAVE/ CHANGE THE CITY – UNBUILT BRUSSELS #01

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À PROPOS DE SIX PROJET CLÉS

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À PROPOS DE SIX PROJET CLÉS

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CONTRE-PROJETS ARCHITECTURAUX

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CONTRE-PROJETS ARCHITECTURAUX

Cet ouvrage est édité dans le cadre de l’exposition Save/ Change The City – Unbuilt Brussels #01 à la Fondation CIVA du 23 juin au 24 septembre 2017

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Légendes pages 62-64 01. LE QUARTIER NORD – 1976-1978 | 02. QUAND L’ARMÉE S’EN VA…  – 1974-1978 | 03. LA RECONSTRUCTION DE LA FAÇADE DE L’HÔTEL AUBECQ – 1979 | 04. LA CITÉ ADMINISTRATIVE DE L’ÉTAT - 1971-1972 | 05. SIX PROPOSITIONS POUR LE SQUARE DU BASTION  – 1974-1975 | 06. MOLENBEEK, L’APRÈS MÉTRO - 1975-1979 | 07. PROJET DE RECONSTRUCTION À BRUXELLES DU PANORAMA DE LA BATAILLE DE L’YSER  – 1977 | 08. LE QUARTIER DES ARTS – 1978 | 09. LE QUARTIER NORD – 1976-1978

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COLOPHON Le présent catalogue a été réalisé par Stéphanie De Blieck, Lola Pirlet et Dieter Vanthournout Graphisme : Neutre.be

EXPOSITION Une exposition de la Fondation CIVA, réalisée par le département Architecture Moderne.

Fondation CIVA stichting Yves Goldstein, Président

Pieter Van Damme, Directeur

Directeur département Architecture Moderne Yaron Pesztat

Commissaires Maurice Culot, Yaron Pesztat, Jos Vandenbreeden

Graphisme Neutre.be

Réalisation et montage films Millenium

Textes Maurice Culot, Yaron Pesztat, Lola Pirlet, Jos Vandenbreeden

Traductions Gitracom, Miguel Angel Hernandez, Wouter Meeus, Dafydd Roberts, Maxime Schouppe, Catherine Warnant

Coordination, production, construction, animation pédagogique et communication Jamal Ahrouch, Danny Casseau, Mostafa Chafi, Catherine Cnudde, Germaine Courtois, Stéphanie De Blieck, Patrick Demuylder, Renaud De Staercke, Dominique Dehenain, Sophie Gentens, Sébastien Gillette, Manon Kempinaire, Anne Lauwers, Christophe Meaux, Véronique Moerman, Luc Nagels, Lola Pirlet, Anne-Marie Pirlot, Laureline Tissot, Sandra Van Audenaerde, Dieter Vanthournout, Vitalie Construct, Mihai Minecan

Et l’ensemble de l’équipe de la Fondation CIVA Aïcha Benzaktit, Cindy Bertiau, Marcelline Bosquillon, Francelle Cane, Jacques de Neuville, Oana De Wolf, Anna Dukers, Chaïmae El Ahmadi, Andrea Flores, Ophélie Goemaere, Eric Hennaut, Tania Isabel Garduño, Anne-Catherine Laroche, Hugo Martin, Salima Masribatti, Noëlla Mavula, Mabiala Mpiniabo M’Bulayi, Pascale Rase, Inge Taillie, Sarah Tibaux, Martine Van Heymbeeck, Vincent Vanhoutte

Remerciements à ARAU, Inter environnement Bruxelles, Sonuma, Brigitte D’helft, Marie Demanet, Bernard de Walque, Michel Leloup

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