de la mythologie dans l’art d’après le Saut dans le vide d’Yves Klein Clara Saracho de Almeida directeur du mémoire - Pierre Alferi atelier de Marie-José Burki ENSBA 2017
« Un homme dans l’espace ! Le peintre de l’espace se jette dans le vide ! » Yves Klein, Dimanche, un journal d’un seul jour, Paris, 1960
1. Yves Klein, Saut dans le vide, paru dans «Dimanche, un journal d’un seul jour», 27 novembre de 1960. Photomontage de Harry Shunk et John Kender, Paris
de Clara Saracho de Almeida corrigé par Éric Manie avec une préciseuse aide de Marta Saracho Mémoire de 5ème année École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris 2017 Je tiens à remercier chaleureusement mes parents, Clément Salzedo et Éric Manie pour leurs aides précieuses qui m’ont permit d’écrire ce mémoire. Mes lectures et mes recherches ont été faites grâce aux suivantes bibliothèques: la BPI (Bibliothèque publique d'information du Centre Pompidou), la Médiathèque des Beaux-Arts de Paris, (La bibliothèque Stratis Andreadis d'art contemporain et la salle multimédia Karaiossifoglou), la Bibliothèque de la fondation Serralves, la Bibliothèque Municipale de la ville de Porto (Biblioteca Pública Municipal do Porto) et la Bibliothèque des Beaux-Arts de Porto (biblioteca da Faculdade de Belas Artes da U.Porto).
de la mythologie dans l’art d’après le Saut dans le vide d’Yves Klein
sommaire
Propos liminaire
p. 11-13
Introduction
p. 14-19
Le parcours d’Yves Klein et Saut dans le Vide
p. 20-28
Quand l’œuvre d’art devient un récit, qui devient légende, qui lui-même devient mythe, d’après Cuando la fe mueve montañas
p. 30-39
Quand des attitudes deviennent des récits, d’après un récit d’Edward Kiehnolz, et la réception de When Attitudes Become Form et des expositions de la galerie Iris Clert
p. 40-55
Vexations d’Erik Satie, œuvre conceptuelle ou partition interprétable ?
p. 56-59
L’illusion dans la photographie en tant que récit
p. 60-65
Le récit oral dans l’œuvre de Tino Sehgal
p. 66-71
Conclusion
p. 72-77
« Le peintre de l’espace se jette dans le vide ! »
p. 78-79
Épilogue - Man in Space
p. 80-92
Bibliographie
p. 93-95
Sources des citations mises en exergue
p. 96
Source des articles électroniques
p. 97
Sources des informations des images
p. 98-100
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Propos liminaire
Dans Les Métamorphoses, Ovide raconte l’histoire de Dédale et d’Icare, un père et un fils qui s’évadent du labyrinthe par les airs. Selon ce mythe d’origine crétoise, Dédale, artisan et ingénieur de génie, dessine et construit un labyrinthe pour Minos, roi de Crète, pour que ce dernier puisse y emprisonner le Minotaure, un monstre mi-homme mi-taureau se nourrissant de chair humaine et qui représentait pour Minos le déshonneur. Minos finit cependant par y enfermer également Dédale et son fils Icare. « Minos peut bien, se dit [Dédale], me fermer les chemins de la terre et des ondes, mais du moins, le ciel me reste ouvert »1. Alors Dédale, très astucieux, en quête de pouvoirs que l’homme n’avait jamais eus, se lance, pour s’évader, dans la maîtrise des chemins de l’air. Il confectionne ainsi des ailes de plumes, en s’aidant de lin et de cire. Son fils Icare s’émerveille immédiatement à la vue de ces ailes sans craindre pour autant qu’elles puissent constituer une invention mortelle. Dédale lui conseille, avant de prendre son vol, de mener sa course à une hauteur moyenne : ni trop bas, de crainte que les vagues alourdissent les plumes, ni trop haut, afin que le soleil ne fasse pas fondre la cire. Dédale et Icare s’envolent et survolent plusieurs îles. Des pêcheurs et un pasteur qui
1. Ovide, Les Métamorphoses, Paris, Diane de Selliers, 2003, p. 208.
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les voient sont frappés de stupeur et pensent qu’il s’agit de dieux. Alors qu’Icare prend goût au vol, il est attiré par le soleil et prend de l’altitude en ignorant les conseils de son père. La cire fond, les plumes se décrochent et Icare tombe dans la mer. Dédale scrute le ciel à la recherche de son fils, jusqu’à ce qu’il voie des plumes à la surface de l’eau. Il trouve le corps de son fils mort et dépose ce dernier dans un sépulcre. Cette histoire est l’une des premières représentations de l’homme volant, de l’homme-oiseau. C’est la première fois que l’homme accède à des pouvoirs jusqu’ici réservés aux dieux grâce à la création d’un instrument qui rend le vol possible. Le rêve de voler a toujours été présent dans l’imagination humaine. Dédale en eut l’idée, la réalisa et il vola. « Il tourne son esprit vers l’étude d’un art inconnu, ouvrant de nouvelles voies à la nature »2 . Il s’agit, à mon avis, d’une référence positiviste mettant en avant l’idée de progrès. C’est le début de la conquête de l’espace par le biais d’une invention humaine. Cependant, dans le mythe, l’exploit tourne au drame, Icare tombe par témérité, par une envie qui l’obsède mais aussi par ignorance et par désobéissance. Lorsque le pouvoir de voler fut entre ses mains, il se laissa aveugler par cette nouvelle faculté.
2. Ibid.
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2. Yves Klein (illustration, écriture et graphisme), Dimanche, le journal d’un seul jour, 27 novembre 1960, impression sur papier journal, 55 x 38 cm, numéro unique, (page 1), Festival d’art d’Avantgarde de Paris
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3. Dimanche 27 novembre de 1960, prise de l’image du film, (4’06), Galerie Rive Droite, 23, rue du faubourg Saint Honoré, Paris, 1960.
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« Qu’est-ce qu’un mythe, aujourd’hui ? Je ne donnerai tout de suite une première réponse très simple, qui s’accorde parfaitement avec l’étymologie : le mythe est une parole. » Roland Barthes, Mythologies, 1957
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Introduction
Le point de départ de mon mémoire est la célèbre œuvre d’Yves Klein Saut dans le vide. La vision de cette photo a en effet suscité en moi plusieurs idées que je voudrais explorer dans ce travail. Saut dans le vide de Klein est publiée dans Dimanche, le journal d’un seul jour 3 en 1960 (fig. 2 et 3), à l’occasion du Festival d’Art d’Avant-Garde4 . Mais curieusement, cette image iconique fut réalisée dans le seul but d’être publiée dans ce journal. En d’autres termes, elle ne fut pas présentée en tant que photographie. L’image est le résultat d’un acte performatif, symbolique et peut-être spirituel, qui permet à l’œuvre d’être racontée comme un récit, comme par exemple : «Yves Klein un jour de 1960 sauta du rebord d’une fenêtre dans une banlieue parisienne et resta suspendu, en lévitation, en ascension vers le ciel, vers le vide». D’une certaine façon, l’image a un caractère documentaire. Elle apparaît comme la trace d’un événement puisqu’elle est présentée comme une photographie de couverture de journal. Mais en même temps, elle détient une force narrative qui stimule l’imagination du spectateur. Ainsi, une image peut «raconter» un événement fictif, qui peut inspirer un récit oral, qui peut devenir une légende, qui peut, elle-même,
3.Yves, Klein, Dimanche, le journal d’un seul jour, Paris, édition d’artiste, 1960. 4. Festival d’Art d’Avant-Garde créé par Jacques Polieri (1956 – 1960), à Marseille, Nantes, Paris.
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devenir un mythe. Par ailleurs, Saut dans le vide est l’image d’un article qui comprend un titre (Un homme dans l’espace!) et un texte. Cependant, avec le temps, la force esthétique de la photographie a perduré, alors que le contenu du texte s’est perdu. L’image, grâce à son autonomie (sans texte et sans contexte), a généré de nouvelles significations. Par le biais de ce mémoire, je propose d’abord de présenter des exemples artistiques liés à Saut dans le vide: des exemples d’œuvres sous forme de récit, littéraire ou oral, en d’autres termes, des exemples alliant mythologie et pratique artistique. J’essaierai ainsi de clarifier la relation entre art plastique et récit oral et je m’efforcerai d’expliquer ce que l’on peut entendre par mythologie. D’autre part, je souhaiterais questionner le contexte de l’œuvre d’art, en particulier celui qu’Yves Klein a choisi pour montrer son image, celui de l’espace public et la relation de celui-ci avec la mythologie. Existe-il un contexte plus approprié pour une légende, pour une œuvre racontée et partagée par tous ? Finalement, je présenterai Man in Space 5 , un chapitre présentant à la fois le contexte social des années 1960, les années des découvertes spatiales, et des
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exemples d’œuvres de cette décennie faisant référence à l’homme dans l’espace. Les découvertes de ces années ont favorisé des histoires mélangeant fiction et réel.
5. Man in Space est un terme très employé, surtout pendant les années des découvertes spatiales entre 1957 et 1961, dans les revues, journaux, livres de science-fiction, œuvres d’art, etc. L’utilisation de ce terme dans ce mémoire se réfère à cette époque. On peut citer entre autres : Man in Space, le titre du poème de William Burroughs, romancier américain, pour l’exposition L’Impossible de Takis, sculpteur grec, à la galerie Iris Clert, Paris, 1960 ; ou encore, dans un autre contexte, Man in Space, utilisé comme titre d’un épisode d’une émission de Disneyland, en 1955, animé par Ward Kimball.
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ÂŤ Avec le vide, les pleins pouvoirs. Âť Albert Camus, note manuscrite, 1958
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Le parcours d’Yves Klein et Saut dans le vide Un dimanche de l’année 1960, un homme se jette du rebord d’une fenêtre et son corps se retrouve dans le vide. La photographie a saisi cet instant. Tout son corps flotte, est suspendu en l’air. Au-dessus de lui se trouve le ciel. Plus bas, la rue d’une banlieue parisienne, un dimanche. La vie d’Yves Klein (1928-1962) est fascinante de part la diversité de ses centres d’intérêts, par ses changements de vie, par sa mort prématurée. Il se nomme lui-même le « roi du ciel bleu »6. Cette première impression du ciel bleu date de son adolescence, un jour où il se trouvait en compagnie de ses amis Armand et Claude Pascal sur une plage de Nice. Plus tard, les trois amis décidèrent de suivre des parcours différents. Yves suivit l’enseignement de l’ordre de la Rose-Croix, s’intéressant à l’alchimie, à la pratique du be-bop et à l’apprentissage du judo. En 1952, il part au Japon et s’inscrit à l’Institut Kodokan, le plus prestigieux centre de judo. Il reste au Japon pendant quinze mois et rédige un ouvrage sur cette pratique dans le but d’importer en Europe l’esprit et la technique des Katas japonais7 . Le Judo le marque grandement pour son intérêt à la fois physique, corporel et psychologique.
6. Claude Machurat, «Un. Bleu. Infini. Immatériel. Espace Yves Klein», conférence, Auditorium du Mamac, Nice, France, mars 2013 7. Dans les arts martiaux japonais (judo, karaté, etc.), un Kata est une succession de mouvements corporels codifiés mimant un combat et en réalisant une démonstration technique.
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Au Japon, Yves Klein fut « très impressionné par les marques que tracent la transpiration et la poussière des grands combats de Judo, sur un tapis, neuf et par conséquent tout blanc »8. L’empreinte du corps, la chute, le support d’une plateforme qui couvre le corps, la dimension anthropomorphique, la trace du corps sont des composantes de son travail, comme dans les Anthropométries, ses peintures de feu, ou encore dans Saut dans le vide. Il est intéressant de noter que Klein part au Japon juste après les catastrophes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki. Les traces du corps, la poussière, comme il le décrit lui-même, le positif et le négatif d’un corps, sont indubitablement un aspect très fort de l’ère post-nucléaire. De retour à Paris après avoir obtenu une ceinture noire et le 4ème dan, il continua sa pratique du judo. Au-delà du sport, cette pratique lui aura permis d’acquérir une connaissance de la possession de l’espace physique et spirituel. Il est important de préciser que pour les Orientaux, le vide est l’espace qui permet la diffusion de l’indicible, de l’invisible, de l’inaudible. Il est énergie. Dans sa jeunesse, Yves Klein avait découvert le rosicrucianisme dans le livre de Max Heindel, La Cosmogonie des Rose-Croix, et rejoint très rapidement l’ordre de la Rose-Croix avec son ami Arman9. Issu d’une famille de peintres croyants, la religion catholique a eu
8. Terhi Génévrier-Tausti, L’Envol d’Yves Klein: l’origine d’une légende, Paris, Area revues, 2006, p. 88. 9. Thomas Mc Evilley, « Yves Klein et les Rose-Croix », Yves Klein, 3 mars – 23 mai 1983, Centre Georges Pompidou, Musée national d’art moderne, 1983, p. 233-244.
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une forte influence sur sa pratique artistique. Le culte de Sainte Rita, la patronne des causes désespérées, lui fut transmis par sa tante. Klein fit trois fois le pèlerinage de Cascia en Italie où il déposa à chaque fois un ex-voto sur la tombe de Sainte Rita10. La recherche d’un espace pictural « spirituel », du dépassement de l’art, de la transcendance, l’amène donc à pratiquer hors de l’atelier et à se tourner vers des actions performatives et conceptuelles. Dans sa renonciation de l’art classique, son envie de dépasser, il abandonne les pinceaux, la toile, l’atelier et explore des actions qui se déroulent dans un espace et temps déterminés. Ainsi, il recherche des couleurs qui invitent à la transcendance, au spirituel, en effectuant un saut vers un autre monde. Dans le cadre de cette démarche il peint des monochromes en utilisant différentes couleurs très saturées. Puis, il poursuit cette investigation de la couleur avec des experts. Il trouve une couleur qui lui semble être la couleur spirituelle et il la nomme International Blue Klein11. Il la décrit ainsi :
10. Pierre Restany, « L’ex-voto à Sainte Rita de Cascia », Yves Klein, 3 mars – 23 mai 1983, Centre Georges Pompidou, Musée national d’art moderne, 1983, p. 245. 11. Carol Mancusi-Ungaro, « Fiche technique sur l’IKB », Yves Klein, 3 mars – 23 mai 1983, Centre Georges Pompidou, Musée national d’art moderne, 1983, p. 247.
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« I.K.B ESSENTIEL POTENTIEL ESPACE SPATIAL INCOMMENSURABLETE VITESSE VITE STATIQUE DYNAMIQUE IMMATERIELEE ABSOLUE PNEUMATIQUE PURE PRESTIGIEUSE MERVEILLEUSE EXASPERETENTANT INSTABLE EXACT impregnation SENSILITÉ. SENSIBLE IMPREGNÉ IMPREGNANT IMMATÉRIEL »12.
12. Yves Klein – I.K.B Essentiel Potencial Spatial…, manuscrit, 1959. in Terhi Génévrier-Tausti, L’Envol d’Yves Klein: l’origine d’une légende, Paris, Area revues, 2006, p. 87.
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« Un homme dans l’espace ! Le peintre de l’espace se jette dans le vide ! » Yves Klein, Dimanche, un journal d’un seul jour, Paris, 1960
Le 27 novembre 1960, Yves Klein lance la première édition d’un numéro unique, Dimanche, le journal d’un seul jour (fig. 2 et 3). À l’occasion du second Festival d’Art d’Avant-Garde de Paris, Yves Klein avait distribué son journal dans divers kiosques de Paris, en vente à 35 francs. Il présente « une journée de fête, un véritable spectacle du vide », « une ultime forme de théâtre collectif qu’est un dimanche pour tout le monde » pour le 27 novembre de 1960, de 0 heure à 24 heures. Il utilise les canaux de communication de masse pour publier certains de ses textes et images, des réflexions théâtrales et artistiques, sa propre pratique artistique, des articles sur le judo : un véritable numéro qui fait appel à ses intérêts tout en questionnant le statut du spectateur. Plusieurs articles sont présentés. En couverture, l’article vedette s’intitule « Le théâtre du vide ». Klein y décrit sa conception du théâtre et expose des réflexions en se référant à divers auteurs dramatiques, comme Molière, Shakespeare, Tairoff, Eivreinoff, Stanislavsky, Vakhtangof et Burian. Dans une autre colonne, il signe « Actualité » où il explique ses
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propos pour ce journal. On y trouve aussi l’annonce d’un jour de fête et en bas, l’image d’un monochrome de l’artiste, hypothétiquement bleu (car le journal est en noir et blanc) accompagné de la légende L’Espace, lui-même. « Le théâtre du vide », l’article principal, explique ce qui l’a amené à « présenter une ultime forme de théâtre collectif qu’est un dimanche pour tout le monde », un véritable spectacle du vide. Le théâtre de Klein avait pour objectif « le plaisir d’être, de vivre ». Les arguments de Klein rejoignent, dans une certaine mesure, les travaux du sociologue américain Irving Goffman, dont l’ouvrage intitulé The Presentation of Self in Everyday Life (publié en 1956) présente le quotidien comme une forme de « théâtre». De fait, Klein a conçu son théâtre dans un contexte historique. Klein écrit : « Pour moi, “Théâtre” n’est pas du tout synonyme de “Représentation” ou de “Spectacle”». Les conceptions « théâtre » et « réalité » se fondent dans les propos d’Yves Klein et ceux d’Irving Goffman 13. Sur cette même couverture, une photo attire l’attention : Saut dans le vide ou Un homme dans l’espace ! Le peintre de l’espace se jette dans le vide ! (fig. 1). Sur cette image, on voit Yves Klein en costume deux pièces, visage tourné vers le ciel, les bras en croix, en suspension dans l’air. Un cycliste passe, indifférent. Le spectateur ressent l’impulsion du saut, un saut déterminé, ainsi qu’une sensation de légèreté à laquelle s’ajoute une touche humoristique. Cette photo trouble le spectateur. La conscience que l’homme ne vole pas, qu’il est soumis à une force de gravité inéluctable, fait que l’on sait que
13. Kaira Cabanas, « Vendre l’actualité : Yves Klein et son journal Dimanche », Arts & Sociétés, lettre du séminaire 32, « Les économies de Klein », 2010.
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cet homme va tomber. On se demande alors: «Serait-il tombé?» ou « va-t-il voler? », « la photographie est-elle vraie?». La chute n’est toutefois pas mentionnée par l’artiste. Cette image a, visuellement, une force symbolique, celle d’un homme qui flotte dans l’air. C’est à Fontenay-aux-Roses14, une banlieue parisienne, en pleine rue, qu’Yves Klein exécuta son action performative aidé par une dizaine de judokas qui tenaient une bâche pour amortir sa chute. En ce qui concerne la réalisation de l’image, deux photographes, Harry Shunk et John Kender, prirent plusieurs clichés des multiples sauts pour ensuite réaliser le photomontage. Le moment capté donne à voir une certaine inconscience, une négation des réalités physiques, la naïveté d’un geste simple et spontané, presque enfantin. L’un des potentiels de la photographie est d’être capable de figer un instant, un instant furtif que nul œil ne saurait capter. Elle capte ces instants et nous les rend visibles. Même si la photographie d’Yves Klein est un photomontage, l’image existe et elle est appréhendée comme une réalité. Elle entre en nous et s’inscrit dans notre imaginaire. Le Saut dans le vide, rappelle l’histoire de Dédale et Icare. Il y a un rapprochement certain entre ces figures mythologiques et Yves Klein. D’une part, Klein s’invente une réalité dans laquelle, comme Dédale, il est lui aussi parvenu à une prouesse. D’autre part, l’artiste par son geste fait preuve, comme Icare, de naïveté et d’imprudence. Yves Klein recourt à l’ironie en écrivant en légende de sa photographie « il doit y aller sans trucs, ni supercheries, ni
14. Terhi Génévrier-Tausti, L’Envol d’Yves Klein: l’origine d’une légende, Paris: Area revues, 2006, p. 91.
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non plus en avion, ni en parachute ou en fusée»15, puisque l’image est truquée. Le journal est une forme de divulgation de phénomènes, d’évènements contemporains, de faits divers issus de la voie publique par le biais de la communication de masse. L’image du Saut dans le vide d’Yves Klein est très mal interprétée par le public et les réseaux de communication. L'intention de l'artiste n'était pas de faire une image "à part entière". Elle a un effet publicitaire, illusoire, persuasif, magique.
15. Yves Klein, Dimanche, le journal d’un seul jour, Paris, 1960, p. 1.
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4. et 5. Francis Alÿs, Cuando la fe mueve montañas, 2002, en collaboration avec Cuauhtémoc Medina et Raphael Ortega, documentation vidéo (36 min) et photographique d’une action, vidéogramme du making-of (15 minutes) et documents éphémères afférents, Lima (reproductions droite et gauche).
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« Ce que nous allons faire est en fait assez simple. Nous allons déplacer une dune (de sable) avec une ligne d'environ 800 personnes équipées de pelles. Chaque personne va repousser une petite quantité de sable. Nous allons arriver au sommet de la dune et nous allons commencer à descendre. C'est ainsi que la surface de la dune se déplacera de sa position initiale. » Extrait de la vidéo Cuando la fe mueve montañas, Francis Alÿs, 2002
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Quand l’œuvre d’art devient un récit qui devient légende qui elle-même devient mythe d’après Cuando la fe mueve montañas
Cinq cent volontaires munis de pelles sont rassemblés sur une grande dune de sable dans la périphérie de Lima, Pérou, et, au cours d’une seule journée de l’année 2002, ils la déplacent de plusieurs centimètres (fig. 4 et 5). Francis Alÿs a commencé à développer cette idée après avoir visité Lima en octobre 2000, une idée qui a pris la forme d’un film documentaire deux ans plus tard. Il était alors impossible d’échapper au contexte politique : « C’était pendant les derniers mois de la dictature Fujimori. Lima était en pleine agitation avec des affrontements dans les rues, d’évidentes tensions sociales et un mouvement de résistance qui émergeait. C’était une situation désespérée qui n’appelait qu’à une réponse épique : mettre en scène une allégorie sociale pour répondre aux circonstances semblait plus approprié qu’entrer dans un exercice sculptural »16.
L’action elle-même, documentée par des photographies et des vidéos, est extraordinairement impressionnante, mais, finalement, l’allégorie sociale prend le pas sur l’indéniable présence formelle du travail. La devise de cette action « effort maximum,
16. Cuauhtémoc Medina, Cuando la fe mueve montañas: Francis Alÿs, Madrid, Turner, 2005.
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résultat minimum » renverse d’un point de vue rhétorique le principe d’efficacité qui est au cœur de la pensée économique moderne. Le titre lui-même, Cuando la fe mueve montañas, renferme une forme de récit ancien et mythologique sous forme d’annonciation. L’expression idiomatique espagnole la fe mueve montañas17, dont l’équivalent est en français la foi peut déplacer des montagnes, est fortement liée à cette œuvre18. Le jour J de l’exécution de Cuando la fe mueve montañas à Lima, la foi régnait dans l’esprit des habitants qui ont participé à cet événement performatif. Symboliquement, si la réalisation de cette performance avait eu lieu ailleurs, dans un autre pays, l’impact aurait été différent. D’abord, parce que dans le contexte de l’Amérique latine, la culture du Pérou, pays d’ascendance Inca, est historiquement très liée aux esprits, aux mythes. Alÿs redonne foi à ces habitants, en créant une légende, un récit, une histoire à raconter : « les habitants de Lima ont déplacé une montagne ». Ceux qui y ont participé pourront raconter toute l’histoire en détails, et celle-ci sera racontée à nouveau par ceux qui 17. Louis Combert; Julia Sevilla Muñoz, Proverbes, expressions proverbiales, sentences... avec leurs correspondance espagnole, Paremia, 4, 1995, p. 7-95. 18. En portugais, il existe une autre expression reprenant l’image du déplacement d’une montagne : « Se Maomé não vai à montanha, a montanha vai a Maomé », que l’on pourrait traduire par « si Mahomet ne va pas à la montagne, la montagne viendra à Mahomet ». Elle se réfère à une forte volonté de l’homme, «quoi qu’il arrive, il va le faire». Cette expression existe aussi en français mais elle est très peu usitée et sa formulation est légèrement différente (« la montagne n'allant pas à Mahomet, Mahomet va à la montagne »), les rôles y sont inversés. En portugais, l’expression a une connotation magique. C’est la montagne qui se déplace. En français le rôle de l’homme est plus affirmatif et décisif, ce n’est pas la montagne qui se déplace mais l’homme.
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l’ont entendue, et ainsi de suite. Le but de cette action est de s’intégrer à l’histoire locale. Si le scénario répond aux expectatives et aux préoccupations d’une société dans un lieu et un moment donnés, le succès de cette œuvre est dû à la manière dont elle a su transcender sa nature historique. De cette manière, ce récit pourra devenir une légende ou un mythe urbain19. La dune a été déplacée : il ne s’agit pas d’une fiction littéraire mais d’un fait réel. L’intérêt n’est pas de savoir la distance exacte dont a été déplacée la dune, mais qu’un déplacement s’est produit en une journée, une action qui prendrait des années si elle était opérée par le vent. Un petit miracle, discret. C’est ainsi que commence l’histoire. Les interprétations n’ont pas besoin d’être précises, elles vont prendre forme au fur et à mesure. « Maintenant nous laissons notre histoire dans la bouche de la tradition orale », dit Platon dans La République 20. L’espace lui-même change après l’action. Fontenay-aux-Roses de Klein et Lima d’Alÿs ont changé, pas physiquement, mais historiquement. Aujourd’hui 19. Ce genre de récit et sa capacité à devenir une légende, a sa place dans le monde de l’art. Il est semblable à certains récits de changements géologiques comme celui de Richard Long dans les Walking the line dans le désert. Il proposait un concept contemplatif mais en prenant ses distances avec le contexte social. Et quand Robert Smithson a construit sa Spiral Jetty à Salt Lake, il amenait de l’ingénierie civile à la sculpture et vice versa. Francis Alÿs est très inspiré par le Land Art et ses récits, et l’art in situ, pourtant il nous propose ici un Land Art pour les « sans-terre », et avec l’aide de cinq-cents personnes armés de pelles : une allégorie sociale. Ce récit n’est pas validé par une trace physique ou un ajout au paysage. C’est presque un processus d’alchimie qui transforme un scénario en action, de l’action en fable, de la fable en rumeur, grâce à la multiplication de ses narrateurs. 20. Citation de Platon, La République, reprise dans Cuando la fe mueve montañas: Francis Alÿs, Madrid, Turner, 2005. 35
nous racontons l’histoire du saut en lévitation qui appartient à la rue Gentil-Bernard et du déplacement géologique dans les dunes de la capitale de Pérou. Il y a dans les deux cas un intérêt cosmologique, terrestre, et une réflexion sur les actions humaines qui deviennent histoire. Les deux œuvres constituent une intervention dans l’espace requérant la force du corps. L’une flotte sur la superficie de la terre, l’autre rampe sur elle. Une en banlieue Parisienne, l’autre sur les dunes de sable de la périphérie de Lima. Toutes les deux ont une valeur esthétique et poétique mais sont en même temps imprégnées d’une absurdité intelligente et assumée. Les deux œuvres, Saut dans le vide et Cuando la fe mueve montañas, sont évidemment des travaux très différents, mais ils sont proches parce qu’ils ont envie de raconter des histoires extraordinaires, fondées sur des préoccupations humaines profondes et présentées comme un tour de magie. Nous pouvons affirmer qu’Yves Klein n’a pas vraiment lévité et que les habitants de Lima n’ont pas, scientifiquement parlant, déplacé une montagne. Ou l’inverse : Yves Klein a vraiment sauté en représentant le Kata des oiseaux21 et les habitants de Lima, par la foi ou par l’effort, ont vraiment déplacé une dune de quelques centimètres.
21. Les judokas témoins considèrent cet acte performatif comme un grand moment de l’histoire du judo, puisqu’il y voit là le fameux « Kata des oiseaux ». L’Itsutsu-no-kata, dit le kata des oiseaux, est le 6ème kata dans la hiérarchie formelle du judo (cf. le dernier chapitre du livre Klein, Les fondements du judo) dont seuls quelques maîtres japonais perpétuent la tradition. Le Kata très esthétique figure la notion de vide. cf. Nicolas Charlet, Les écrits d’Yves Klein, Paris, Luna-Park Transédition, 2005, p. 23.
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Plusieurs des œuvres d’Alÿs ont une symbolique liée à la croyance. Francis Alÿs eut l’idée de déplacer des œuvres d’art célèbres. Les Demoiselles d’Avignon de Picasso (1907), la Roue de Bicyclette de Duchamp (1913), entre autres, ont été déplacées du MoMA de Manhattan jusqu’à son antenne dans le Queens, un nouvel espace d’exposition acquis par le musée. Une procession d’œuvres d’art du MoMA eut lieu à New York en 2002 : The Modern Procession, (fig. 6). Cet acte collectif imprégné de croyance fut marqué par la présence de Kiki Smith, une artiste contemporaine américaine, qui, telle une œuvre, fut elle aussi transportée pendant la procession. Inspirée des processions catholiques qu’Alÿs avait pu voir à Tepoztlán, ville située au sud de Mexico, l’action visait à tester le concept de musée en tant qu’entrepôt de trésors par opposition à l’usage social des images qui précède et transcende le paradigme esthétique de la modernité occidentale22. De façon moins évidente au premier abord, Francis Alÿs eut l’idée de se déplacer dans les rues de Mexico en faisant glisser sur le sol un gros bloc de glace. Cette performance, Paradoxi of Praxis 1, 1997 (fig. 7) est une action qui ne produit aucun résultat identifiable : “sometimes making something leads to nothing” 23 . Cette idée d’apporter une valeur à quelque chose qui n’en a aucune, à quelque chose qui ne mène à rien, qui ne produit rien et dont rien ne résulte, est une pensée qui, à 22. Mark Godfrey; Klaus Biesenbach; Kerryn Greenberg, Story of a deception, Francis Alys, Exposition. Londres, Tate Modern, 2010 ; Exposition. Bruxelles, Wiels-. 2010-2011 ; Exposition. New York, The Museum of Modern Art-. 2011, New York: Museum of Modern Art, 2010, p. 130-131. 23. Traduit en français : «Faire quelque chose n’aboutit parfois à rien». in Francis Alÿs: Politics of Rehearsal, Gottingen, Steidl, 2007, p. 55.
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mon avis, prend la forme d’une croyance. Non pas au sens religieux, mais simplement dans le fait de croire en quelque chose. Une croyance artistique peut-être. Une façon de croire en l’art qui reviendrait à la fois à arrêter de croire en la société capitaliste et de commencer à croire en quelque chose d’autre. Faire quelque chose dont l’effort est énorme et le résultat minime prend ainsi le contre-pied de la pensée capitaliste.
6. Francis Alÿs, Modern Procession, 2002, en collaboration avec Rafael Ortega, documentation vidéo de l’action, 7min 22 secondes, The Public Art Fund. et le Museum of Modern Art, New York.
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7. Francis Alÿs, Paradox of Praxis – Part I : Sometimes Making Something Leads to Nothing, 1997, action performative, documentation vidéo (5 min), Ville de Mexico.
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8. Yves Klein, Cession d’une Zone de sensibilité picturale immatérielle, 7 février 1962, Paris
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Quand des attitudes deviennent des récits d’après un récit d’Edward Kiehnolz, et la réception de When Attitudes Become Form et des expositions de la galerie Iris Clert
Ce fut dans la Grèce antique que le nom et la conception mythologique furent mis en valeur. L’esprit grec dispose de deux modes antithétiques de la pensée : le logos (raison) et le mythos (mythe). Le premier représente tout ce qui provient de la rationalisation, tout ce qui atteint une vérité objective. Le deuxième est tout ce qui concerne l’imagination, tout qui ne peut pas être vérifié, mais contient de la vérité en soi-même, la force de persuader que lui donne beauté24. La question du mythe et des mythologies contemporaines en résonance avec la création et l’histoire de l’art n’est pas nouvelle. Il existe déjà une littérature scientifique très importante sur ce sujet. Selon Lévi-Strauss, l’art et le mythe entretiennent des liens de proximité parce qu’ils sont langages. Ils ont la particularité de se fonder sur l’échange entre celui qui fait et celui qui sait « écouter ». Art et mythe sont deux pôles qui suscitent, de la part des hommes, des sentiments et des actions connexes parce qu’ils se vivent 25. « L’intelligence
24. Pierre Grimal, Mitologia Clássica – mitos, deuses e heróis, (titre original, Récits et Légendes de L’Olympe), Lisbonne, Edições Texto & Grafia, 2005, p. 7. 25. Fabrice Flahutez, Thierry Dufrêne, Art et mythe, Paris, Presses universitaires de Paris Ouest, 2011, p. 11. 41
d’une création est toujours peu ou prou mythique, transite par une histoire, un récit de ce qui est arrivé, avant de nous livrer la raison première et dernière du surgissement lui-même»26. Lévi-Strauss affirme aussi que les histoires fondées par chaque société sont une forme de compréhension et de transmission de ce que nous sommes, du monde extérieur et de la position de l’homme dans l’ensemble de l’univers27. « Œuvre immatérielle » d’Yves Klein s’inscrit dans cette réflexion parce qu’elle n’est pas physique, mais elle constitue une expérience du spectateur, proche d’un acte performatif. En outre, le travail d’Yves Klein est lié au récit. Ainsi, en 1959, il réalise sa première œuvre immatérielle, Zone de sensibilité picturale immatérielle (fig. 8), une performance que le critique Pierre Restany décrit de cette façon : « Le principe de la cession est le suivant : les zones de sensibilité picturale immatérielle sont cédées contre un certain poids d’or fin (…). Pour chaque zone cédée un reçu est délivré, qui indique le poids exact d’or qui est la contre-valeur matérielle de l’immatériel acquis. […] (Le premier) reçu porte la date du 18 novembre 1959. Le fait d’accepter un reçu de la contrepartie en or matérialise l’immatériel, pour ainsi dire, l’œuvre s’identifiant au reçu. […] Si l’acquéreur veut se rendre maître non de la lettre (reçu de la zone), mais de l’esprit (c’est-à-dire de la zone en soi), il doit brûler le reçu en public [...]. Si l’acquéreur veut assister à sa propre imprégnation par l’immatériel, il doit verser le double de la quantité d’or indiquée sur le reçu : Yves Klein, en présence d’un notaire, ou, à défaut, de deux témoins, jettera la moitié de l’or à la mer ou dans les eaux d’un fleuve ou d’une rivière, ou encore dans un lieu naturel d’où il sera impossible de le retirer »28.
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Il faut souligner le caractère narratif de cette « Œuvre immatérielle », car elle ne peut être exposée qu’à la condition d’être racontée. Ainsi, à l’exposition emblématique When Attitudes Become Form29de 1969 à la Kunsthalle de Berne, Harald Szeemann, qui en était l’organisateur et le commissaire, crée un catalogue d’exposition particulier – Live in your Head 30(fig. 9). Dans ce catalogue, sous forme de dossier, sont présentés des textes sur l’exposition et un répertoire de A à Z recensant tous les artistes participants. Chaque fiche d’artiste contient une brève biographie, un portrait photo de l’artiste et la mention des œuvres présentées dans l’exposition suivies de photographies. Yves Klein figure parmi les artistes de ce catalogue, mais aucune photographie de l’œuvre proposée dans cette exposition n’y figure. La raison de cette absence réside dans le fait qu’il s’agit d’une « œuvre immatérielle ». Dans le catalogue, l’œuvre de
9. Harald Szeemann (commissaire), Live in Your Head - When Attitudes Become Form - Works, Concepts, Processes, Situations, Information, cat. expo., Berne, Kunsthalle (du 22 mars au 27 avril 1969), Berne : Kunsthalle, 1960.
26. Jean-Jacques Wunenburger, Art, mythe et création - Le mythe de l’œuvre ou le discours voilé des origines, Dijon, Ed. Universitaires de Dijon, 1998, p. 11. 27. Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Plon, 1958. 28. Pierre Restany, Yves Klein, Paris, éd. du Chêne, 1982, pag. 54. 29. Exposition collective à la Kunsthalle de Berne organisée par Harald Szeemann en 1969, six ans après la mort d’Yves Klein, une exposition iconique qui fait figure de grande révélation d’une nouvelle pensée de l’art et du travail et du statut du curateur, et qui met en évidence les conditions d’émergence d’une nouvelle production artistique « new art ». 30. Harald Szeemann (commissaire), Live in Your Head - When Attitudes Become Form - Works, Concepts, Processes, Situations, Information, cat. expo., Berne, Kunsthalle (du 22 mars au 27 avril 1969), Berne, Kunsthalle, 1960.
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10 et 11. La fiche d’Yves Klein (recto et verso) dans le catalogue d’exposition Live in your Head, Berne, 1969.
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Klein figure comme « Yves Klein, 1928-1962, Œuvre immatérielle, 1962 raconté par Edward Kienholz 31 » et porte le numéro 46 des œuvres exposées. Sur la fiche [d’Yves Klein] (fig. 10 et 11), une petite biographie et son portrait sont présentés, suivis de la note suivante : « Yves est représenté dans cette exposition avec une «Œuvre immatérielle », décrite par Edward Kienholz »32.
On y trouve aussi un reportage photographique relatant les chutes réalisées pour son Saut dans le vide et, enfin, un texte en anglais d’Edward Kiehnolz, intitulé «Œuvre immatérielle»33 qui complète la fiche. L’Œuvre immatérielle d’Yves Klein est décrite par Edward Kienholz en 1962, en anglais, dans le catalogue d’Harald Szeemann comme suit :
« I first met Yves Klein in 1962 when he came to this country (America) for an exhibition at Dwan Gallery in Westwood, California. Knowing him only by reputation and being somewhat in awe of the theatrical production aspects of his work, I made a small suitcase containing toy dolls, press releases and a jar of International Klein Blue (sort of a working-travelling kit), which I presented him (rather tongue in cheek) on his arrival. A warm friendship ensued and one day he gave me an Immaterial. An immaterial is a very difficult work. In its final distilled aspect, it is probably pure art because nothing physical exists. It works this way: The buyer-collector of an Immaterial would give Yves money; in fact, quite a bit of money for ownership of the Immaterial. Yves would then issue a receipt for the money by « throwing the gold », which meant actually scattering the money in mountains from a plane or dropping it in the ocean from a boat, etc. The buyer-collector then completed the gesture by burning the receipt so that artist and owner each had nothing but the art experiences. In my particular case, Yves’ untimely death prevented his « throwing the gold ». However, at a later date, his wife, Rotraut, and Arman cast gold leaf from a boat on waters of the Mediterranean in his name, symbolically completing my Immaterial. Edward Kienholz » 34 .
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Edward Kienholz raconte un acte artistique consistant en une transaction d’une œuvre d’art immatérielle contre un gramme d’or. L’artiste reçoit de l’or, l’acheteur un reçu, puis s’en suit l’action : l’or est jeté dans une rivière par l’artiste et le reçu est brûlé. De toute évidence, Zone de sensibilité picturale immatérielle est une œuvre dont la forme importe peu. Mais ce sont peut-être l’action et le récit de l’action qui constituent les outils de l’œuvre. Ceci est clairement présenté dans l’exposition d’Harald. La représentation de l’œuvre d’Yves Klein prend donc toute sa signification dans le contexte de cette exposition. Cependant, Kienholz ramène ce travail à la difficulté de représenter un acte performatif, une « transaction » prenant cette forme. Kienholz ne se limite pas à décrire l’œuvre mais raconte dans son texte sa rencontre personnelle avec Yves Klein, et à la fin, aborde le deuil de ses amis et de sa famille sous forme d’un hommage symbolique au sujet de son travail. On peut alors se poser la question de savoir pourquoi Edward Kienholz, dans cette exposition, a raconté le travail d’Yves Klein en y ajoutant des épisodes personnels. Edward Kienholz, qui est aussi un des participants de l’exposition, transforme le travail d’Yves Klein dans cette exposition en un hom31. Artiste, sculpteur américain et ami d’Yves Klein. 32. Dans la fiche de « Klein, Yves » (lettre K), dans le catalogue : Harald Szeemann (commissaire), Live in Your Head - When Attitudes Become Form - Works, Concepts, Processes, Situations, Information, cat. expo., Berne, Kunsthalle (du 22 mars au 27 avril 1969), Berne, Kunsthalle, 1960. 33. Œuvre immatérielle, 1962, racontée par Edward Kiehnolz, Los Angeles, in. Ibid. 34. Ibid.
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mage-récit. Nous sommes évidemment devant le point de vue subjectif d’Edward Kienholz face à l’œuvre d’Yves Klein : c’est un récit personnel où il raconte, transmet son opinion et ses souvenirs. Il réactive d’une certaine façon l’œuvre d’Yves Klein par le biais du récit.
12. Richard Serra, Splash, 1969, plomb, dimensions variables, site-speci c, « When attitudes become form », Kunsthalle, Berne
13. Vue de l’exposition When Attitudes Become Form,1960 (travaux de Keith Sonnier, Eva Hesse, Markus Raetz, Reiner Ruthenbeck, Gary B. Kuehn, Alan Saret, Walter De Maria, Richard Tuttle, entre autres), Kunsthalle, Berne.
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When Attitudes Become Form (Works, Concepts, Processes, Situations, Informations) (fig. 13) semble manquer d’unité, comme un compendium étrangement compliqué d’histoires racontées à la première personne35. La majorité des artistes participants à cette exposition font sans aucun doute partie d’une dynamique artistique noyée par l’expérience du processus du travail de Marcel Duchamp, par l’intensité de la gestuelle de Pollock, par la spécificité des matériaux, l’effort physique et le temps des happenings des débuts des années 1960. Aussi, pour nombre de ces artistes, le désir de créer ne ressort pas purement dans l’expérience visuelle. Il s’agit bien évidemment du désir de remettre en cause le triangle où l’art opère – l’atelier, la galerie et le musée. Le spectacle tumultueux Works, Concepts, Processus, Situations, Informations représente un important changement méthodologique pour la pratique de l'exposition. En ce sens, les artistes étaient plus ou moins libres de contribuer à tout travail qu'ils jugeaient pertinent. Selon les mots de Szeemann, les artistes «ont repris l'institution». Ils ont également fait de leur mieux pour redéfinir les conditions physiques du spectacle : Lawrence Weiner a enlevé trois carrés d'espace mural ; Michael Heizer a démoli un trottoir avec une boule de métal ; Richard Serra a apporté sa contribution avec une de ses Splash Pieces (fig. 12) ; Richard Long a, de son côté, abandonné le cadre institutionnel et a fait une randonnée de trois jours dans les montagnes suisses36. Les noms Anti-Form,
35. Harald Szeemann, Harald Szeemann with by throught because towards despite, Catalogue of all Exhibitions 1957-2005, Zürich, Vienne, Edition Voldemeer, Springer, 2007, p. 225. 36. Daniel Birnbaum, When Attitudes Become Form : Daniel Birnbaum on Harald Szeemann, letter, Artforum, Summer 2005.
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Micro-Emotive Art, Possible Art, Impossible Art, Concept Art, Arte Povera, Earth Art 37 s’ajustent à cette nouvelle forme d’art qui se caractérise par : une opposition évidente à la forme, un haut degré d'engagement personnel et émotionnel des artistes, le pouvoir de l’artiste d’affirmer que certains objets sont art, bien qu'ils n'aient pas été précédemment identifiés comme tels, le changement du centre d’intérêt qui n’est pas le résultat du travail et fondamentalement le processus artistique, l'utilisation de matériaux mondains, l'interaction du travail et du matériel - la terre-mère comme médium, l’espace de travail, le désert comme concept. La critique et la population locales sont choquées par une exposition qui leur paraît hors de toute référence. Les pouvoirs publics sont scandalisés, notamment par la pièce de Michael Heizer, Berne Depression, qui consiste en la destruction d'un trottoir devant la Kunsthalle, considérée comme une dégradation du matériel urbain. Malheureusement, la réaction du public à When Attitudes Become Form fut des plus négatives. «When Planitudes Become Form», « Sabotage in the Art Temple », « Is Art Finally Dead »38 furent quelques uns des titres d’articles qui critiquèrent l’exposition d’Harald 37. Introduction dans le catalogue Live in Your Head : When Attitudes Become Form (Berne, Kunsthalle, 1969), cité in Robert LUMLEY “Spaces of arte povera”, in Richard Flood et Frances Morris (dir.), Zero to Infinity : Arte Povera 1962-1967, Minneapolis / Londres, Walker Art Center / Tate Modern, 2001, p. 41. Les deux premières expositions collectives présentant la néo-avant-garde internationale dans des musées publics en mars 1969 sont “Live in Your Head : When Attitudes Become Form”, organisée par Harald Szeemann à la Kunsthalle de Berne et coordonnée avec “Op Losse Schroeven Situaties En Cryptostructuren”, organisée par Wim Beeren au Stedelijk Museum d’Amsterdam avec l’aide de l’artiste Piero Gilardi. 38. Michael Fallon, Creating the Future: Art and Los Angeles in the 1970s, Berkeley, Counterpoint, 2014, p.110.
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Szeemann. Daniel Buren, qui n'avait pas été réellement invité à participer à l’évènement, a été arrêté pour avoir exécuté illégalement un projet d'affiches dans les rues39. Bien évidemment, les avis n’étaient pas tous les mêmes, mais de manière générale l’opinion était très critique. Des années plus tard, cette exposition devint une icône du travail de curateur de l’art contemporain. La caractéristique principale de la pratique artistique de cette exposition n’est plus l’articulation de l’espace mais celle de l’activité humaine. L’activité de l’artiste est devenue le thème et le contenu dominant. Le titre de l’exposition devrait être entendu ainsi. Les artistes présents dans cette exposition ne sont pas des créateurs d’objets finalisés. Au contraire, ils aspirent à la liberté des formes, et ceci génère d’autres significations au-delà de l’objet. Ils s’attachent au processus artistique lui-même pour en faire un produit final de l’exposition. À partir de ce moment, un nouvel « alphabet des formes et matériaux » est apparu.
14. Yves Klein, Sculpture aérostatique, mai 1957, devant la galerie d’Iris Clert, Paris 39. Scott Burton, « Notes on the New » dans le catalogue d’exposition Live in your Head, When attitudes become form, Bern, Kunsthalle, 1969. cf. Scott Burton, Collected writings on art & performance, 1965-1975, Chicago, Soberscove Press, 2012, p. 71-78.
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15. (à droite)Yves Klein, Vide, exposition individuelle, Galerie Iris Clert, inaugurée le 28 avril 1958, Paris (photogrammes du film réalisé pour documenter l’exposition). 16. (à gauche) Arman, Le Plein, exposition individuelle, octobre 1960, galerie Iris Clert, Paris, photographies de Shunk-Kender.
Lié aux positions des artistes qui prennent l’espace d’exposition comme médium de formes et d’attitudes, Yves Klein, au printemps 1958, dans ses recherches sur le monochrome et la sensibilité pure, présente à la galerie Iris Clert, La spécialisation de la sensibilité à l’état matière première en sensibilité picturale stabilisée, plus connue sous le nom de l’exposition du « Vide »40 (fig. 15). Iris Clert, née à Athènes vers 1917 et morte en 1986 à Cannes, fut une galeriste grecque, politiquement engagée, qui habitait et travaillait majoritairement à Paris. Elle se considérait artiste. Ses choix, souvent audacieux et risqués, inauguraient une conception créative du métier de galeriste. Elle ouvrit sa galerie en 1956 au 3 rue des Beaux-Arts à Paris. Les expositions qu’elle organisa étaient autant de manifestes, d’interventions ou de performances, comme en témoignent les interventions d’Yves Klein avec le « Vide » et d’Arman avec 40. Cette exposition a été reprise au Centre Georges Pompidou en 2009, Copeland, Mathieu, dir. Vides: une rétrospective, cat. expo., Paris, Centre Pompidou (du 25 février au 23 mars 2009), Berne, Kunsthalle (du 10 septembre au 11 octobre 2009), Paris, Centre Pompidou, Centre Pompidou-Metz, JRP/Ringier, 2009.
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le « Plein » (fig.15 et 16). À ce titre, ses choix et ses amitiés furent déterminants : l’histoire de la galerie est indéfectiblement liée à celle des Nouveaux Réalistes : Jean Tinguely, Daniel Spoerri, Raymond Hains, Martial Raysse aux côtés de Pierre Restany, critique d’art41. L’exposition du « Vide » en 1958 fut l’événement principal de leur aventure commune. Dans cette exposition, Klein exposa un espace vide dépourvu d’objets. Au « Vide », Arman répondit par le « Plein » en octobre 1960, remplissant la galerie de déchets, d’ordures, d’objets, qui rendaient l’accès à la galerie impossible. Aujourd’hui, la petite galerie parisienne est un véritable lieu alternatif, au rayonnement international. Elle joua un rôle de catalyseur d’énergies, une fonction essentielle dans la « préhistoire » des Nouveaux Réalistes. De l’ouverture de sa première galerie jusqu’à sa mort, Iris Clert impulsa un concept original de la galerie basé sur la pluralité et le renouvellement des supports, des lieux et des modes de diffusion. Avec elle, la galerie traditionnelle fut transformée en lieu de création. L’exposition, pensée comme concept, constituait le sceau d’achèvement de l’œuvre. L’humour et le scandale l’amenèrent à créer et à organiser, de concert avec ses artistes, de nouveaux modes de présentation totalement insolites. Elle accueille ainsi « installations » et happenings en transformant son espace d’exposition en véritable « project-room »42.
41. Iris Clert, Microspective, catalogue de l’exposition “Iris Clert” Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg, nov. 2003 – fév. 2004, Les musées de Strasbourg, 2003, p. 5. 42. Mathieu Copeland, dir., Vides: une rétrospective, cat. expo., Paris, Centre Pompidou (du 25 février au 23 mars 2009), Berne, Kunsthalle (du 10 septembre au 11 octobre 2009), Paris, Centre Pompidou, Centre Pompidou-Metz, JRP/Ringier, 2009, p. 13.
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« Avec le Plein (fig.16) d’Arman (…), Iris réalise non seulement une opération synthétique au Vide d’Yves Klein, mais en même temps elle fait éclater le concept physique de la Galerie d’Art. C’est son apothéose.»43
Iris Clert fut une galeriste révolutionnaire constante. Elle lança des artistes toujours marginaux, organisa des expositions toujours tapageuses. Son aventure n’emprunta jamais de chemins balisés : chaque vernissage (ou presque) était ponctué d’une descente de police, chaque accrochage dénoncé par la presse, chaque démarche empêchée par la préfecture 44. Cette démarche contestataire, cette invitation au scandale, est comparable à celle d’Harald Szeemann. Les 44 deux organisateurs d’expositions veulent alors changer les codes de l’art. Ainsi, l’envie de dématérialiser l’art en concevant des « attitudes » perturbe le public. Cette nouvelle forme de faire de l’art est présentée dans les médias comme un fait divers, un scandale. Dans les deux cas le public eut une réaction de refus. Yves Klein a continué de présenter le « Vide » dans d’autres contextes. Prolongeant la présentation de ses premières « œuvres immatérielles » à la galerie Colette Allendy en mai 1957, l’artiste peint en blanc l’intérieur de la galerie pour créer «une ambiance, un climat pictural sensible et, à cause de cela même, invisible»45. En 1961, au Museum Haus Lange de Krefeld (Allemagne), pour ce qui fut la seule exposition personnelle organisée dans un musée, Yves Klein, encore vivant, présente notamment une salle vide, simplement
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repeinte en blanc, qui demeure encore visible aujourd’hui. Quelques mois avant sa disparition le 6 juin 1962, il réalise son ultime « Vide » en décrochant les tableaux d’une salle du Musée d’Art moderne de la ville de Paris dans le cadre du Salon Comparaisons. L’ensemble de ces actions successives et radicales signent l’avènement de l’œuvre d’un espace non altéré et pleine46 ment vide, geste artistique fondateur devenu mythique .
43. Pierre Restany, Hommage à Iris Clert, Nice, Acropolos, 1986, p. 30. 44. Vassili Clert, Iris Clert, Microspective, catalogue de l’exposition “Iris Clert” Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg nov. 2003 – fev. 2004, Les musées de Strasbourg, 2003, p. 5. 45. Mathieu Copeland, dir. Vides : une rétrospective, cat. expo., Paris, Centre Pompidou (du 25 février au 23 mars 2009), Berne, Kunsthalle (du 10 septembre au 11 octobre 2009), Paris, Centre Pompidou , Centre Pompidou-Metz, JRP/Ringier, 2009. 46. Ibid.
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« Le dessin c’est de l’écriture dans un tableau. On dessine un arbre, mais ça reviendrait au même de peindre une couleur et d’écrire à côté : arbre. Dans le fond, le vrai peintre de l’avenir, ce sera un poète muet qui n’écrira rien mais qui racontera, sans articuler, en silence, un tableau immense et sans limite. » Yves Klein, Guerre, 1960
17. Erik Satie, Vexations, 1893, œuvre pour piano, manuscrit
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Vexations, œuvre conceptuelle ou partition interprétable ? Vexations (fig.17), une partition écrite par Erik Satie en 1893, manuscrit particulier, hors des critères habituels, est accompagné de la consigne suivante : « Pour jouer 840 fois ce motif, il sera bon de se préparer au préalable, et dans le plus grand silence, par des immobilités sérieuses », avec le supplément d’une indication « Très lent ». Vexations est-elle une pièce faite pour être jouée, pour une durée conséquente, et qu’il faudrait répéter vraiment 840 fois ? Ou bien, est-elle une œuvre conceptuelle ? John Cage, grand admirateur d’Erik Satie prend connaissance de Vexations grâce au compositeur et ami d’Erik Satie, Henri Saugner. Ainsi, Cage, participant au sixième numéro de la revue Contrepoints en 1949, aurait suggéré à son éditeur l’inclusion du manuscrit dans ce numéro. Avant 1949, Vexations n’est jamais mentionné dans les biographies et les notes d’œuvres du compositeur français. Pour Cage, grand chercheur sur la durée et sur le silence dans la musique, c’est une expérience musicale à exécuter et pas une œuvre conceptuelle. En 1963, pour la première fois, la pièce est jouée intégralement par le compositeur John Cage, à New York, aidé de neuf pianistes qui se succèdent sur scène. Après la première représentation, plusieurs autres ont suivi dans d’autres pays. Certains intellectuels ont fait part de leur désaccord quant à l’interprétation de John Cage. Ainsi, Darius Milhaud et Henri Sauget estiment
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18. Yves Klein, Partition de la Symphonie monoton-silence, 19471961
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que Vexations est une blague, une œuvre conceptuelle et non une œuvre faite pour être jouée. Selon l’une des hypothèses, Erik Satie aurait écrit cette partition après une vexation subie lors d’une relation amoureuse, et le chiffre 840 pourrait appartenir à son obsession pour la Kabbale 47 . À mon avis, l’effet du récit de la « Note pour l’interprète » a la même importance que la pièce ellemême. Mais le résultat obtenu à partir de cette pièce par John Cage est admirable. Il l’a activée, il lui a « donné vie », l’a nommée comme une musique et pas comme un manuscrit perdu. Il l’a donc transformé en art. Je crois toutefois que la beauté de cette pièce réside dans son humour, sa drôlerie, son concept et son récit. C’est une blague racontée ou simplement lue. Le numéro 840 pourrait juste signifier la répétition jusqu’à l’infini, c’est-à-dire, une conception mentale.
47. Violeta Nigro-Giunta, « Vexations. Les deux temps d’une œuvre », Marges, 2/2014 (n° 19), p. 61-73. cf. Le Monde, Vingt pianistes en relais pour dix-neuf heures de «Vexations» au Musée d’Orsay, 8 octobre 2000.
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19. Sol LeWitt, Buried Cube Containing an Object of Importance but Little Value, 1968, acier, 25,4 x 25,4 x 25,4 cm, Ĺ“uvre disparue, D. R.
20. Ai WeiWei, Dropping a Han-Dynasty Urn, 1995, triptyque d’impression noir et blanc, chaque impression 199,9 x 180 cm
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L’illusion dans la photographie en tant que récit Seuls l’artiste et la famille Visser, propriétaires de l’œuvre, savent ce qui se trouve à l’intérieur du cube en métal enterré près de leur maison à Beygeyk, aux PaysBas. Buried Cube Containing an Object of Importance but Little Value de Sol LeWitt, de 1964 (fig. 19) est une œuvre aux connotations dadaïstes en rapport avec la mort. Il s’agit de neuf photographies alignées en trois colonnes évoquant le récit de l’enterrement d’un cube. Selon Didi-Huberman, l’image établie une dialectique et une ironie à travers un cube lors de son pseudo-cérémonial d’inhumation 48. Pour moi, ensevelir les œuvres relève d’un acte fort et signifiant. La notion d’hermétisme fait également ressortir l’aspect conceptuel de l’art de LeWitt parce qu’elle force le spectateur à penser – parfois à deviner – et à décider si ce qu’il en déduit correspond à une réalité49. Plusieurs indices nous sont parvenus pour la compréhension de Buried Cube : la photographie est un instrument du récit et le titre de l’œuvre une annotation, telle la « Note pour l’interprète » d’Erik Satie, qui nous indique le sens de l’œuvre. S’agit-il d’une blague, d’un mythe, d’une réalité ou d’un mensonge ? Ce titre-note change le sens de l’œuvre et par conséquent devient un outil pour interpréter l’œuvre. Ainsi l’œuvre existe grâce à l’indication de la note. 48. Georges Didi-Huberman, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Paris, éd. de Minuit, 1992, p. 199. 49. Beatrice Gross, (dir.), Sol LeWitt, (expositions, Metz, Centre Pompidou-Metz, Galerie 2, 7 mars 2012-29 juillet 2013, Louvain, M Museum Leuven, 21 juin-14 octobre 2012), Metz, Centre Pompidou Metz, 2012, p. 38-41.
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Dans Buried Cube la photographie documente un récit. La forme n’est pas l’aspect le plus important de l’image, ni l’harmonie, ou l’acte de photographier. La photographie sert seulement à documenter un acte, une situation qui invite à perpétuer un récit.
21. photographie du milieu du triptyque d’Ai WeiWei, Dropping a Han-Dynasty Urn (fig.20).
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Lorsque Ai Weiwei lâche un vase millénaire pour le casser, il propose aussi une réflexion sur la fin, en utilisant également le processus de la photographie50. Dropping a Han-Dynasty Urn de Ai Weiwei de 1995 (fig. 20) est un triptyque d’une séquence photographique : la chute au sol d’un vase millénaire lâché par les mains de l’artiste. Il s’agit encore d’un exemple de récit photographique : une séquence de trois photos (début, déroulement et fin). C’est une œuvre à très fort caractère, tout un manifeste. L’artiste veut créer un choc, annoncer la destruction de sa propre culture afin d’en proposer une nouvelle. En rébellion, en contestation, arrogant, niant, jetant, il casse un vase précieux et historique. Politiquement engagé, l’artiste assume sa position. En voyant la photo du milieu (fig. 21), On peut voir l’artiste faire une sorte de geste magique. Entre ses mains quelque chose de surnaturel se passe. Le vase est en suspension. Sa main droite est celle d’un illusionniste, la main est ouverte et douce, le geste délicat et précis. Le regard de l’artiste est arrogant, sans peur, assuré qu’il sait ce qu’il fait et ce qu’il va provoquer. Cette photographie ressemble à un tour de magie. Elle rappelle la situation de Saut dans le vide de Klein. Les points communs formels sont évidents : la photographie argentique noir et blanc, le corps de l’artiste en action, une chute, une suspension, un récit. C’est grâce à la photographie que l’instant reste figé. L’étrangeté de la fixité conduit à l'anomalie. La fantaisie du Saut dans le vide est effectivement un truquage. Il y a
50. Tim Marlow, Adrian Locke, Ai Weiwei (exposition, London, Royal Academy of Arts, du 19 septembre au 13 décembre 2015), Exposition, Londres, Royal Academy of Arts, 2015, p. 156-157. 63
22. Accident à la gare Montparnasse, photographie de reportage, 1895. 23. Yves Klein, Essai de toit d’air, 1961, (2’16) 14, rue Campagne-Première, Paris, France.
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un truc, comme dans toute magie. Yves Klein a sauté effectivement depuis la fenêtre mais il est tombée sur une bâche qu’une dizaine de judokas tenait. Est-il important pour la compréhension de l’œuvre de savoir s’il s’agit d’un photomontage ou non ? Pour en revenir à Klein et à Saut dans le vide, le contexte de l’image est très particulier. Elle n’a jamais été exposée en tant que photographie, accrochée dans une galerie ou dans un musée. Elle est simplement divulguée sur la voie publique, par son journal Dimanche dans un article intitulé – « Un Homme dans l’Espace ». Une blague ? Une photographie truquée dans un journal ? Un journal comme une autre forme de communication de l’art, de la poésie ? L’inverse du processus de cette image pourrait être une photographie sans truquage mais si étrange qu’elle nous paraitrait fausse, comme par exemple, la photographie de l’accident à la gare Montparnasse, le 22 octobre 1895 (fig. 22). Cependant, l’effet sur le spectateur est identique : réalité et fiction se rejoignent. L’image Saut dans le Vide évoque une scène illusionniste comme le serait le spectacle d’un magicien. Nous nous doutons qu’elle est fausse,
elle nous persuade pourtant de sa réalité. Cet aspect entre fausseté, illusion, magie et pouvoir de persuasion se rapporte à la publicité. L’auteur fait, à mon avis, publicité de lui-même. Cet aspect publicitaire de l’image d’Yves Klein est dérangeant, elle a un côté visuellement très accrocheur et un pouvoir de persuasion proche de la magie. Klein est fasciné par l’illusion, par le truquage, la persuasion. Le truquage employé est semblable à celui de Georges Méliès, réalisateur français, qui l’utilise régulièrement dans ces films illusionnistes. Curieusement les deux artistes rêvent d’aller dans l’espace 51. Par ailleurs, l’art comme magie, comme truquage, rappelle certaines œuvres telles que Globe de Neil Dawson (fig. 25), ou encore, la vidéo Essai de toit d’air, de 53 1961, Paris, d’Yves Klein (fig. 23). 51. Jacques Malthête, Laurent Mannoni, L'œuvre de Georges Méliès : Exposition, Cinémathèque de Paris, Paris, La Martinière, 2008. 52. Centre national d'art et de culture Georges Pompidou Paris, Magiciens de la terre, cat. expo., Paris, Centre national d'art et de culture Georges Pompidou-. 1989 ; Exposition. Paris, Grande Halle de la Villette-. 1989, ed. Centre Georges Pompidou, p. 126-127. 53. Encore une fois inspirée par les illusions, la vidéo montre une architecture transparente où l’eau qui coule d’un robinet disparait, comme par magie, en créant un toit invisible.
24. Georges Méliès, Le voyage dans la lune. Le clair de terre - (10è tableau), 1930, maquette de décor, 1 dessin sur papier, collé sur carton : n. et b. ; 28 x 35 cm - procédé(s) technique(s) : lavis d’encre, La Cinémathèque Française. 25. Neil Dawson, Globe, 1989, PVC, résine Epoxy, tissu de carbone, 5 m de diametre, pendant l’exposition Les Magicien de la Terre au Centre Georges Pompidou, 1989.
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26. Joseph Beuys, wie man dem toten Hasen die Bilder erklärt, (comment expliquer les images à un lièvre mort), 26 novembre 1965, Galerie Schmela, Dusseldorf, photo : Walter Vogel.
27. Joseph Beuys, I like America and America likes me, 23-25 mai 1974, Galerie René Block, New York, 409 West Broadway. Camera; Helmut Wietz, produit par René Block Gallery Ltd. New York, en coopération avec Joseph Beuys, pellicule 16 mm, transféré en DVD, noir et blanc, 35’.
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Récit oral dans l’œuvre de Tino Sehgal Les actions performatives ont certainement une valeur mythologique. Grâce à sa caractéristique éphémère, le travail se transforme en quelque chose d’autre après son exécution. Certains artistes s’essayent à la documentation filmique et photographique pour donner une existence de la performance. Dans la majorité des cas, d’après la critique de Michel Gauthier, la photographie devient icône, l’objet circulable. On pourrait par exemple citer la photographie de la performance wie man dem toten Hasen die Bilder erklärt (fig. 26) de Joseph Beuys qui, en 1965, expliqua des images à un lièvre mort pendant 3 heures. Ou encore sa performance I like America and America likes me (fig. 27), de 1974, à New York, où l’artiste s’enferma avec un coyote dans une galerie54. Les images deviennent les représentations iconiques d’une performance à laquelle nous n’avons pas assisté. Nous imaginons ainsi la suite à partir d’images. Elles donnent des indications à notre imaginaire. La performance devient un mythe avec des images témoins et des écrits. Il ne reste que ça (images, catalogues d’exposition, critiques, etc.) pour nous mettre en lien avec la performance. Après son exécution, la performance prend un caractère énigmatique, car elle est changeante, sa forme reste donc ouverte. Dans les premières années du XXIe siècle, les « situations scénographiées » de Tino Sehgal, dont il n’y a
54. Gauthier, Michel, Les promesses du zéro : Robert Smithson, Carsten Höller, Ed Ruscha, Martin Creed, John M Armleder, Tino Sehgal, Genève, Musée d'art moderne et contemporain de Genève, Presses du réel, 2009.
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aucun registres, ont marqué d’une façon inattendue, la reprise du projet anti-réificateur55. « Qu’est-ce “devenirchose” de l’art ? » se demande Michel Gauthier. Il décrit son expérience individuelle d’une performance de Tino Sehgal : « Dès que j’entre dans la vaste salle vide de tout objet d’art, cinq acteurs, dispersés le long des murs, commencent à chuchoter une phrase. Pour l’entendre, je m’approche de l’un d’eux. Il se détourne. J’insiste ; il va se placer dans un coin, dos à la salle, refusant tous vis-à-vis. Mais le ton monte, la phrase est dite de plus en plus fort et je ne tarde pas à en percevoir le sens : ‘‘The objective of this work is to become the object of discussion’’ (l’objectif de cette œuvre est de devenir l’objet d’une discussion). […] Après les murmures du début, ce sont maintenant presque des cris qui résonnent. Mais voilà qu’un groupe de visiteurs fait son arrivée dans la salle. Le processus semble repartir à zéro. ‘‘The objective of this work is to become the object of a discussion’’ - en chuchotant, puis crescendo. Un peu sottement, je laisse les acteurs s’époumoner à déclamer que cette œuvre désire être l’objet d’une discussion. C’est maintenant en pleurant qu’ils poursuivent leur récitation jusqu’à ce qu’ils s’allongent, inertes, sur le sol. L’œuvre appelait à la discussion, mais ni moi ni les autres visiteurs ne l’ont engagée. L’œuvre s’est donc mise en sommeil. Est-il trop tard pour la réveiller ? Il me faut tenter quelque chose. Je m’approche d’une actrice. Je me penche vers elle et lui dis : ‘‘Will you wake up if I talk to you ?’’ (Vous réveillerezvous si je vous parle ?). Aussitôt, l’actrice se redresse en s’exclamant : ‘‘We have a comment !’’ (Nous avons un commentaire !) – quatre partenaires l’imitent alors. S’ensuivent des échanges entre eux, que je ne comprends pas toujours très bien, mais dont je crois percevoir qu’ils peuvent se faire un tantinet moqueur à mon endroit. C’est moi qui suis devenu l’objet de la discussion. Ces échanges se terminent par un mouvement convergeant des acteurs vers le centre de la salle avec force sauts et cris»56.
55. Ibid., p. 8. 56. Ibid.
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Il n’en demeure pas moins qu’il y a dans l’idéologie du happening et de la performance une dimension d’unicité, propice à l’exploitation mythologique. Tino Sehgal a choisi d’exécuter ses performances corporelles, qui ont lieu dans l’espace d’exposition, en refusant l’intermédiaire d’un médium qui donnerait à celles-ci la permanence d’une chose ou d’un objet : l’enregistrement filmique. L’un des premiers défis auxquels se confronta Sehgal aura été de concevoir la formule qui évite à l’œuvre de prendre la forme d’un objet stable. En effet, Sehgal proscrit toute documentation écrite et toute image relatives à ses œuvres. Le texte de Michel Gauthier, dans le livre Les promesses du zéro , nous informe que le lecteur ne trouvera aucune page, aucune publication avec descriptif et photographie des œuvres présentées dans ses expositions. Il ajoute que nous pourrons avoir accès au titre de la performance par les performeurs. Dans plusieurs œuvres de Sehgal, les performeurs annoncent le titre de l’œuvre. L’année, le cartel passent de l’écriture au récit oral. Un cartel purement oral. Par exemple : Kiss (2002), This is good (2001), ou encore This Exhibition (2004). L’œuvre devient quelque chose de physique, d’existentiel, par sa durabilité. En d’autres termes, l’œuvre existe par le biais des horaires de l’exposition. Pendant la performance, nous pourrons sortir de la salle où celle-ci est exécutée et revenir pour la revoir, comme un tableau dans un musée. Tino Sehgal parle d’une expérience individuelle et annule toute sorte de récit et d’informations supplémentaire à la concep-
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tion de l’œuvre. Le cartel, le récit, les informations ajoutées à l’œuvre d’art sont des éléments repris à de multiples reprises par l’art contemporain et qui sont proscrits par Tino Segal. En 2016, l’artiste a disposé d’une carte blanche au Palais de Tokyo, à Paris. Sans cartel, sans titre, sans textes de presse ni même une photographie qui documentent ou cartellisent l’événement, l’exposition est devenue un principe d’expériences individuelles, un partage communautaire d’expériences et de récits oraux. Dénués de toutes sortes d’explications, les récits entre spectateurs ont dominé. Ils racontent donc ce qu’ils ont vécu, quels jours ils sont venus, à quelle heure ; ils donnent leur opinion, et tout cela au cours de l’exposition. L’œuvre de Tino Sehgal à Paris a pris la forme d’une grande oralité et d’un partage de récits.
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« Mais le rapport du langage à la peinture est un rapport infini […] Ils sont irréductibles l’un à l’autre : on a beau dire ce qu’on voit, ce qu’on voit ne loge jamais dans ce qu’on dit […] » Michel Foucault, Les Mots et les choses, 1966
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CONCLUSION L’image Saut dans le vide d’Yves Klein est probablement mal comprise par le public la plupart du temps. Elle nous arrive comme une photographie à part entière, nous faisant oublier l’origine et le propos, le journal dans lequel l’artiste avait introduit l’image. Cet emploi décontextualisé de l’œuvre donne une autre perspective, un nouveau sens de l’image. Elle n’est plus le détail d’une œuvre éditoriale, mais elle devient une image à part. Saut dans le vide, en tant qu’image, est dotée d’une touche persuasive, un aspect publicitaire, une brillance ludique qui nous hypnotise. Peut-être grâce ou à cause de cette brillance envoutante et illusionniste, l’image a suivi son chemin et sa perception est devenue celle d’une image publicitaire chargée d’une beauté esthétique. La frontière est ambiguë et l’intention de l’artiste n’est pas claire. S’agit-il d’une blague, d’une sorte d’ironie ? Une image esthétiquement très belle dans un journal «fictif»? Je doute vraiment qu’Yves Klein ait pu plaisanter sur des thèmes qui lui étaient si chers : la lévitation, l’immatérialité de l’art, un geste qui devient œuvre. Mais, s’il ne s’agissait pas d’une blague et qu’Yves Klein avait voulu devenir une œuvre et devenir immatériel par son geste, par la trace de son corps en lévitation, alors il a échoué. Saut dans le vide n’est absolument pas immatériel. L’image est devenue un objet profondément commercial, un « objet-image ». Elle s’éloigne de l’immatérialité et rejoint tout à fait à l’idée matérielle. Le
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journal, Dimanche, s’efface dans les médias et l’image se rapproche de l’icone médiatique. L’image Saut dans le vide nous raconte une histoire mythique, celle de voler, qui fascine car elle fait rêver. Raconter une histoire a un pouvoir extraordinaire qui fait travailler l’imaginaire des autres. Avec l’œuvre Cuando la fe mueve montañas, une histoire s’est instaurée dans la ville de Lima. Le fait surnaturel, ce qui est impossible à l’homme constitue une fascination chez ce dernier et permet de produire des histoires. Francis Alÿs introduit ainsi un mythe à partir d’une œuvre d’art dans une ville du Pérou, tout en introduisant la notion de foi chez la population. En tant qu’étudiante en art, raconter des œuvres fait partie de mon quotidien. Raconter des histoires ou raconter une œuvre d’art est de l’ordre de la tradition orale qui, à mon avis, apporte un caractère mythique au processus artistique. Lorsque l’on écoute un récit, l’imaginaire se démultiplie, se transforme, change, bouillonne. Chaque mot, chaque phrase donne naissance à une image mentale et active une mémoire verbale. Le récit oral est lui-même inconstant et instable et la façon dont il permet à l’art d’être transmis est un processus que je valorise et qui me fascine. Quand Edward Kienholz partage, dans son texte Œuvre immatérielle, sa perception de Zone de sensibilité picturale immatérielle d’Yves Klein, il rend hommage à son ami. Il raconte dans ce texte sa rencontre à New York avec ce dernier, il décrit une œuvre performative de l’artiste. Par le biais du récit, Yves Klein est associé à un participant de
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l’exposition d’Harald Szeemann. Le public n’a ni indication visuelle, ni performative de l’œuvre, juste une expérience transcrite par un autre artiste. Écouter ou lire un récit sur une œuvre d’art est déjà une expérience mentale en relation avec l’œuvre elle-même. Nous pouvons alors se questionner : «L’œuvre est-elle une expérience visuelle et physique?» ou bien «L’œuvre est-elle une histoire à raconter?». Vexations d’Erik Satie est construite sur ce même paradoxe. L’interprétation de cette partition a pris au moins deux formes distinctes et antagoniques : celle de John Cage qui soutient l’expérience musicale de l’œuvre de Satie, et celle de certains intellectuels et musiciens qui défendent qu’il s’agit d’une œuvre purement conceptuelle. Dans une approche conceptuelle, Buried Cube (1968) de Sol LeWitt veut s’éloigner de l’objet physique par le récit. Les paroles utilisés sont simples : « Cube enterré contenant un objet d'importance mais de peu de valeur ». Les photographies présentées sont à la fois des documents témoins et des images qui se succèdent en illustrant un récit. Sans avoir vu l’événement et sans savoir ce que contient le cube, l’œuvre s’appuie sur l’opposition entre l’objet fini et récit fictionnel, ce dernier étant peut-être l’aspect fondamental de l’action artistique. Sol LeWitt crée un jeu dans cette œuvre, il enterre sa propre sculpture, signifiant la mort d’un objet, et la valorise ensuite en affirmant, sans aucune preuve, qu’elle contient quelque chose de précieux. L’objet enseveli se réactive, se revitalise par l’annotation de l’artiste.
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Une annotation certainement humoristique. L’affirmation de l’artiste prend alors une dimension importante en altérant la conception de l’œuvre et en donnant une autre perspective à l’objet, une perspective fictionnelle. La photographie dont l’artiste est protagoniste a eu un rôle important surtout dans les arts conceptuels et performatifs. Elle a été utilisée comme un outil pour décrire un récit, soit en tant que témoignage d’une performance comme dans les œuvres de Valie Export ou Joseph Beuys, soit en tant qu’image traduisant une idée ou une histoire, comme dans les photographies de Cindy Sherman. Quand Yves Klein prend sa photographie, celle-ci s’approche davantage d’un récit qui décrit l’histoire d’un homme qui vole et s’éloigne que d’un acte performatif. Dans cette photographie la notion de magie est très présente grâce au trucage du micro-arrêt du temps et grâce au photomontage. Dropping an centuanry vase se sert de l’instant de la photographie pour décrire un récit, celui d’effacer, d’abolir une culture pour en créer une nouvelle. L’aspect magique est flagrant dans la deuxième photographie du triptyque. Grâce à la photographie, le vase flotte dans les airs entre les deux mains de l’artiste, comme si l’artiste était un magicien, un illusionniste. Cette touche magique - visible aussi dans le concept de Buried Cube, qui fait parfaitement illusion rejoint tout à fait le travail d’Yves Klein, comme dans sa vidéo Essaie de toit d’air (1961) où un filet d’eau sortant
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d’un robinet s’arrête. C’est peut-être pour des raisons esthétiques que Saut dans le vide s’éloigne d’un acte performatif car la photographie est mise en scène et théâtralisée. Dans le domaine du récit et en ce qui concerne les stratégies des artistes pour décrire un récit, Tino Sehgal propose de n’utiliser aucun texte. Pendant l’exposition au Palais de Tokyo à Paris, en 2016, les commentaires des spectateurs en dehors de l’exposition ont été nombreux et tous différents car chaque spectateur a vécu l’événement comme une expérience individuelle. La performance de Tino Sehgal prend la forme d’une exposition et pas celle d’une performance : elle s’inscrit dans la durée des horaires du musée et ne dépend donc pas d’une durée déterminée qui structure habituellement la performance. Ce que j’ai vécu en tant que spectatrice, ne me semble pas être l’aspect le plus significatif de cet événement. Ce qui m’a fait réfléchir le plus est l’ensemble du récit oral qui a été échangé entre les spectateurs, une narration collective et éphémère. C’est une expérience immatérielle dans laquelle figurent parole et mémoire.
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28. Article «Un homme dans l’espace! d’Yves Klein, in Dimanche, Journal d’un seul jour, Paris, 1960. Le texte se présente comme suit:
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« Le peintre de l’espace se jette dans le vide ! Le monochrome qui est aussi champion de judo, ceinture noire 4e dan, s’entraîne régulièrement à la lévitation dynamique ! (avec ou sans filet, au risque de sa vie). Il prétend être en mesure d’aller rejoindre bientôt dans l’espace son œuvre préférée : une sculpture aérostatique composée de Mille et un Ballons bleus, qui, en 1957, s’enfuit de son exposition dans le ciel de Saint-Germaindes-Prés pour ne plus jamais revenir ! Libérer la sculpture du socle a été longtemps sa préoccupation. “Aujourd’hui le peintre de l’espace doit aller effectivement dans l’espace pour peindre, mais il doit y aller sans trucs, ni supercheries, ni non plus en avion, ni en parachute ou en fusée : il doit y aller par lui même, avec une force individuelle autonome, en un mot, il doit être capable de léviter.” Yves : “Je suis le peintre le l’espace. Je ne suis pas un peintre abstrait, mais au contraire un figuratif, et un réaliste. Soyons honnêtes, pour peindre l’espace, je me dois de me rendre sur place, dans cet espace même”. » 57
57. Yves Klein, Dimanche, un journal d’un seul jour, Paris, édition de l’artiste, 1960, p. 1.
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29. Image de la vidéo prise avant le saut de Franz Reichelt, connue par l’homme-oiseau de la Tour Eiffel, Paris, 4 février de 1912.
30. Takis, L’homme dans l’espace, photographie de l’exposition personnelle (pendant la performance, le poète Sinclair Beiles en lévitation en récitant un poème « I am sculpture »), Galerie Iris Clert, Paris, 1960.
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31. Robert Doisneau, Pont d’Iéna, 1945.
32. Pieter Bruegel, La Chute d’Icare, huile sur toile, 23,5 x 112 cm, Bruxelles, Musées royaux des beaux-arts de Belgique, 1558.
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33. Hans Haacke, kugel in schrägem luftstrahi, (sphère dans jet d’air oblique), ventilateur avec boîtier, ballon blanc, raccordement électrique (110 volts), 30 x 50 x 30 cm, 1964 - 67.
34. Piero Manzoni, Scultura nello spazio (sculpture dans l’espace), ballon en caoutchouc blanc, air compressé par une base en bois, Angli Shirt Factory, Herning, juillet de 1960.
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35. Leonard De Vinci, partie centrale du folio 83v, Manuscrit B, projet de vis aérienne, annoté, plume, encre marron, crayon noir, 1483-1486.
36. Francisco Goya, Manière de voler, Eau-forte, aquatinte brunie et pointe sèche, 0,32 x 0,47 m, Collection musée Goya, 1816- 1824.
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37. Francis Godwin, The Man in the Moone (Homme dans la Lune), roman (illustration), 1638.
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ÉPILOGUE - MAN IN SPACE
« Tout cela appartenant déjà à des temps légendaires, au même titre que les cerfs-volants humains, les montgolfières, les dirigeables, les appareils aux allures de chauve-souris, les bicyclettes ailés, les gyroplanes, tout le bestiaire assez fabuleux des formes qui auraient pu être et se développer si l’avion ne s’étaient imposé à leur place (…). » Philippe Forest, Le Siècle des nuages, 2010.
« Je ne doute pas que dans peu de temps j’aurai amélioré l’art de voler au point qu’il sera aussi banal d’acheter une paire d’ailes pour voler jusqu’au monde dans la lune que d’acheter une paire de bottes pour traverser le Sussex à cheval. » Thomas Sadwell, The Virtuoso, 1676.
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Gaston Bachelard consacra les deux premiers chapitres de L’Air des Songes58au « rêve de voler » et à « la poétique des ailes ». Ces quatre-vingts pages de texte marquèrent Yves Klein. Le vol onirique est au cœur de la pensée bachelardienne comme il l’est au cœur de la pensée kleinienne. La célèbre image Saut dans le vide semble tellement correspondre aux réflexions de Bachelard sur le vol onirique que ce commentaire de McEvilley peut paraître infondé59: « Chez Yves le rêve de vol était très ancien. Ce rêve dominait toutes ses ambitions spirituelles au moins depuis la première lecture libératrice de Heindel60 sous conduite de Cadeaux en 1948. […] C’était là, bien sûr, une fonction essentielle de son rôle de Grand Initié, et de messager de l’âge de la lévitation »61.
Du point de vue rosicrucien, [Saut dans le vide] représente l’ascension hors du monde physique ver le monde de désir62 . Cette œuvre est parfois citée comme un des moteurs de l’art éphémère mais elle est paradoxalement une œuvre devenue éternelle de par son support photographique. « [...] L’image d’Yves Klein s’envolant librement vers l’espace un an avant le premier vol spatial en équipage a une valeur iconographique très particulière»63. 58. Gaston Bachelar, L'air et les songes : essai sur l'imagination du mouvement, Paris, J. Corti, 1994, (date de publication originale 1943). 59. Nicolas Charlet, Les écrits d’Yves Klein, Paris, Luna-Park Transédition, 2005, p. 168. 60. Max Heidel est le fondateur de l’une des branches internationales de l’ordre de la Rose-Croix. 61. Thomas McEvilley, « Yves Klein conquistador du vide », Yves Klein, Paris, Centre Georges Pompidou, 1983, p. 50. 62. Thomas McEvilley, « Yves Klein et les rose-croix », Yves Klein, Paris, Centre Georges Pompidou, 1983, p. 242. 63. Hannah Weitemeier, Klein, Paris, Taschen, p. 181.
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Il est intéressant de comprendre le contexte social et historique dans lequel Yves Klein lança le journal Dimanche où l’article « UN HOMME DANS L’ESPACE !» fut publié. La fin des années 50 et le début des années 60 furent marqués par une culture de masse et une culture médiatique d’influence utilisées au cours de la Guerre Froide opposant les États Unis d’Amérique et l’Union Soviétique. Les deux pays ont développé et exploré la science, cherchant à devancer leur adversaire dans le domaine technologique. La conquête spatiale est devenue ainsi l’enjeu de cette compétition. Les technologies permettant à l’homme de voyager dans l’espace ont rapidement pris forme au cours de ces années. L’univers de la science-fiction s’est alors largement amplifié. Bien avant les premières découvertes spatiales, le rêve de voler remonte à l’Antiquité. Nonobstant, la science-fiction est un genre très ancien qui s’est développé corrélativement au contexte historique et technologique auquel il appartenait. L’histoire d’Icare et de Dédale constitue, selon moi, l’exemple d’un récit de science-fiction où l’invention d’une machine permet à l’homme de voler. Parallèlement au mythe d’Icare, Archytas de Tarente64, avant les transcriptions d’Ovide, construisit la première machine volante de l’Histoire, une machine ayant la forme d’un oiseau.
64. Philosophe pythagoricien né à Tarente, contemporain et ami de Platon (430-365 av. J.-C.). C’est « le premier ingénieur » qui a construit une colombe mécanique volant toute seule, grâce à un mécanisme inséré dans son ventre.
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Dans le livre « Contes de la lune. Essai sur la fiction et la science modernes » de Frédérique Aït-Touati, l’auteur décrit des textes de science-fiction du XVIème siècle. Il en déduit que la science-fiction et la science se rejoignent et sont liées. Après des grandes découvertes par voie maritime, les évolutions de la science permirent l’émergence de nouvelles techniques pour observer le ciel et orienter les bateaux. Grâce à ces nouveaux acquis, les scientifiques commencèrent à observer le ciel et l’espace. L’auteur rapporte que les scientifiques s’inspirent parfois d’histoires de sciencefiction pour débuter des nouvelles recherches. D’autres fois, ils créent eux-mêmes des histoires et des machines complètement fictionnelles. En d’autres termes, les chercheurs utilisent la fiction pour produire leurs recherches scientifiques65. Au début des années 60, les découvertes spatiales vont permettre à ceux qui restent sur terre de propulser leur imaginaire. Au moment où Klein publie son article « L’HOMME DANS L’ESPACE ! », certains artistes sont déjà influencés par cette émergence de la conquête spatiale. Dans cette lignée de travaux, on relèvera la performance de Takis (sculpteur grec né en 1925), L’impossible, un homme dans l’espace (fig. 30), présentée en 1960 à la galerie Iris Clert à Paris. La proximité entre Takis et Yves Klein est évidente, la performance de Takis a lieu dans la galerie même où Yves Klein avait présenté deux ans auparavant le Vide (fig. 15) et la Sculpture Aérostatique (fig. 14) et elle sera présen-
65. Frédérique Aït-Touati, Contes de la lune : essai sur la fiction et la science modernes, Paris, Gallimard, 2011.
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tée l’année où Klein publia Dimanche. La performance de Takis est réalisée à l’aide de la force magnétique d’aimants. Takis met son ami, le poète Sinclair Beiles, en lévitation alors qu’il récite un poème : “I am sculpture” ; un manifeste magnétique. La similarité des deux titres, L’impossible, un homme dans l’espace de Takis et Un homme dans l’espace ! Le peintre de l’espace se jette dans le vide ! d’Yves Klein, est notoire. Les deux artistes sont influencés à la fois par la lévitation et par la conquête spatiale 66. Dans le cas de Takis et Klein, les influences se nourrissent mutuellement. Il ne s’agit pas de plagia ni de savoir lequel des deux eut l’idée en premier. Les deux artistes sont sensibles au contexte social et historique dans lequel ils vivent. Après que l’homme a atteint l’espace, la science-fiction émergente s’arrête par instant, puis, quelques années plus tard, elle revient, inspirée de nouvelles thématiques, comme les extraterrestres par exemple. Ainsi, la science et la fiction évoluent dans une sorte de réciprocité. Cependant, il faut noter que toute la médiatisation de l’évènement de l’homme dans l’espace et, plus tard, sur la Lune, a marqué l’histoire humaine. Elle a pris une forme mythique. Ce thème occupe, à mon avis, une place très importante dans l’imaginaire de l’homme. L’histoire des premières conquêtes de l’espace est documentée par des récits et des formes visuelles qui font d’elle un récit héroïque et fictionnel.
66. Également, Piero Manzoni, toujours en 1960, réalise une Sculpture dans l'espace (Scultura nello spazio) (fig. 34) constituée d'une sphère pneumatique de 80 cm de diamètre maintenue en suspension par un jet d'eau.
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Le 4 octobre 1957, le monde apprenait le lancement du premier spoutnik soviétique, le premier satellite artificiel. Cette nouvelle reste gravée dans toutes les mémoires et fait date dans l’histoire des civilisations. Le lancement de Spoutnik 1 qui signifie en russe « compagnon de voyage » marque le début de la conquête spatiale. Phénomène significatif, le lancement de Spoutnik en 1957 coïncidait avec le centième anniversaire de K. Tsiolkovski, fondateur de l’astronautique soviétique67. Spoutnik 1 est mis en orbite autour de la Terre à une altitude de 900 km. En pleine guerre froide, cet évènement constitue un affront pour les États-Unis. Le lancement du petit satellite Spoutnik 1 provoque « la course aux étoiles » entre les deux puissances mondiales. Spoutnik 1 se désintégrera en rentrant dans l’atmosphère le 4 janvier 1958 68. Le 3 novembre 1957, un mois après le lancement du premier satellite, Spoutnik 2 est lancé avec, dans un compartiment pressurisé, Laïka. Cette petite chienne est le premier être vivant satellisé. L'animal survivra 7 jours et mourra faute d'oxygène. Le 31 janvier 1958, après l’échec de la première tentative de lancement d’un satellite dans le cadre du projet Vanguard, l’équipe de Wernher von Braun est autorisée à effectuer ses propres essais. C’est ainsi qu’est envoyé le premier satellite artificiel américain dans l’espace. Ingénieur nazi de la SS, Wernher von Braun est l’inventeur des V2. Employé par les États-Unis pour des recherches en balistique, il avait été écarté du projet à cause de son passé. Après ce succès, ses compétences techniques feront de lui le principal artisan de la
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conquête spatiale américaine au sein de la NASA. Le 2 février 1959, Luna-1 sort de l'orbite terrestre, le premier satellite du programme russe Luna est envoyé dans l’espace. Pour la première fois, un satellite artificiel sort de l’orbite terrestre et s’approche de la lune. Cependant, Luna-1 passe trop loin de l'astre et poursuit sa trajectoire pour finir en orbite autour du soleil quelques mois plus tard. Le début de l’exploration de la lune débute. Le 12 avril 1961 : jour mémorable. Un homme est allé dans l’espace.
67. Koval, A. ; Desinov, L., De spoutnik à la station Mir, Paris, Larousse, 2008, p. 6. 68. Jean-Claude Falque, Annie Humbert-Droz Swezey (dir.), Le grand atlas de l'espace, Paris, Editeurs Encyclopaedia Universalis, 1987.
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38. Les ÂŤcoulissesÂť du Saut dans le Vide, 1969, la photographie sans trucage, photographie de Harry Shunk.
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Bibliographie -
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3.
http://www.yveskleinarchives.org/
4.
Medina, Cuauhtémoc , Cuando la fe mueve montañas: Francis Alÿs, Madrid : Turner, 2005.
5.
Ibid.
6.
Godfrey, Mark ; Biesenbach, Klaus ; Greenberg, Kerryn, Story of a deception, Francis Alys, Exposition. Londres, Tate modern-. 2010 ; Exposition. Bruxelles, Wiels-. 2010-2011 ; Exposition. New York, The Museum of Modern Art-. 2011, New York: Museum of Modern Art, 2010, p. 82-83.
7.
Ibid, p.130-13.
8.
Szeemann, Harald (dir.), Live in Your Head - When Attitudes Become Form - Works, Concepts, Processes, Situations, Information, cat. expo., Berne, Kunsthalle (22 mars au 27 avril de 1969),Berne : Kunsthalle, 1960.
9.
Ibid, fiche d’Yves Klein (recto).
10. Ibid, fiche d’Yves Klein (verso). 11. Copeland, Mathieu (dir.), Vides, : une rétrospective, cat. expo., Paris, Centre Pompidou (25 février-23 mars 2009), Berne, Kunsthalle (10 septembre-11 octobre 2009), Paris: Centre Pompidou ; Centre Pompidou-Metz ; JRP/Ringier, 2009, p. 46-47. 12. Celant, Germano; Szeemann, Harald, When Attitudes Become Form : Bern 1969/Venice 2013, cat. expo., Fondazione Prada, Ca' Corner della Regina, Venice (1 june - 3 november 2013), Venice: Fondazione Prada, 2013, p. 18-23, p. 580.
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13. Celant, Germano; Szeemann, Harald, When Attitudes Become Form : Bern 1969/Venice 2013, cat. expo., Fondazione Prada, Ca' Corner della Regina, Venice (1 juin - 3 novembre 2013), Venice, Fondazione Prada, 2013, p.110. 14. Génévrier-Tausti, Terhi, L’Envol d’Yves Klein: l’origine d’une légende, Paris, Area revues, 2006, p. 98. 15. Copeland, Mathieu, dir. Vides, : une rétrospective, cat. expo., Paris, Centre Pompidou (25 février-23 mars 2009), Berne, Kunsthalle (10 septembre-11 octobre 2009), Paris: Centre Pompidou ; Centre Pompidou-Metz ; JRP/Ringier, 2009, p. 20. 16. Bouhours, Jean-Michel, Arman, cat. expo., Paris, Centre Georges Pompidou, (22 septembre 2010 -10 janvier 2011), Paris, Ed. du Centre Pompidou, 2010, p. 288-295. 17. Nigro-Giunta Violeta, « Vexations. Les deux temps d’une œuvre », Marges, 2/2014 (n° 19), p. 61-73. http://www.cairn.info/revue-marges-2014-2-page-61.htm 18. Copeland, Mathieu, dir. Vides, : une rétrospective, cat. expo., Paris, Centre Pompidou (25 février-23 mars 2009), Berne, Kunsthalle (10 septembre-11 octobre 2009), Paris: Centre Pompidou ; Centre Pompidou-Metz ; JRP/Ringier, 2009, p. 309. 19. Didi-Huberman, Georges, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Paris : Éd. de Minuit ; 1992, (figure 42). 20. Marlow, Tim; Locke, Adrian ; Royal academy of arts Great-Britain, Ai weiwei (exp., London, Royal Academy of Arts, 19 septembre - 13 décembre 2015), Londres, Royal Academy of Arts, 2015, p. 156-157. 21. Ibid. Détail. 22. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k64728897/f11.item.r=accident% 20gare%20montparnasse%201895.zoom 23. http://www.yveskleinarchives.org/ 24.
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