13 minute read
ACTE I PUISER À LA SOURCE
from 1001 voix dans la nuit: Le théâtre de Beyrouth, Coulisse d'une diaspora, scène du peuple libanais
by clarayam
Le Liban ou la République libanaise est un pays d’Asie occidentale. L’emplacement du Liban au carrefour du bassin méditerranéen et de l’arrière-pays arabe a été à l’origine d’une histoire riche et a façonné une identité culturelle de diversité religieuse et ethnique. Phéniciens, Romains, Arabes grecs, Croisés, Ottomans et Français ont vécu au fil du temps. Avec seulement 10 452 km2, c’est le plus petit état souverain en Asie continentale.
La population du Liban était estimée à plus de 6 millions d’habitants en 2016; cependant, aucun recensement n’a été effectué depuis 1932 en raison du déséquilibre politique confessionnel sensible entre les différents groupes religieux du Liban. Le Liban a été témoin d’une série de vagues migratoires: plus de 1,8 million de personnes ont émigré du pays pendant
Advertisement
la guerre civile.
Aujourd’hui, il accueille plus de 1,6 million de réfugiés. Ils constituent au total 30% de la population libanaise, faisant du Liban le pays avec le plus grand nombre de réfugiés par habitant.
Le Liban est le pays le plus diversifié sur le plan religieux du Moyen-
Orient avec 18 religieux reconnus groupes. En 2014, le CIA World Factbook estime ce qui suit: - 54% de musulmans (27% d’islam sunnite, 27% d’islam chiite) - 40,5% de chrétiens (21% de catholiques maronites, 8% d’orthodoxes grecs, 5% de catholiques melkites, 1% protestant, 5,5% autre chrétien) - Druzes 5,6% - Autres: très petit nombre de juifs, de baha’is, de bouddhistes, d’hindous et de mormons.
L’enquête sur les valeurs mondiales de 2014 a estimé le pourcentage d’athées au Liban à 3,3%. Le Liban est une démocratie parlementaire qui inclut le confessionnalisme, dans lequel des les bureaux sont réservés aux membres de groupes religieux spécifiques. Le président doit être chrétien maronite, le premier ministre un musulman sunnite, le chef du parlement chiite musulman, le vice-premier ministre et le vice-président du Parlement orthodoxe oriental. Ce système visait à dissuader les conflits sectaires et à représenter équitablement les répartition des 18 groupes religieux reconnus au sein du gouvernement.
Le Liban est divisé en six gouvernorats, dont chacun est divisé en plusieurs districts et a son propre capital. Ce sont: Beyrouth, le Mont Liban, le nord du Liban, la Bekaa, Nabatieh et le sud Liban.
RIZK Yara, Beirut Post-War Reconstruction:The case of The Grand Theater, 2019
SYRIE
LIBAN
TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ ISRAEL
JORDANIE
EGYPTE
- On était partis, avec mon père, acheter du fromage chez Roukoz. Ils avaient des chèvres. À peine arrivés, Roukoz, pas son père, a commencé à vouloir nous montrer ses armes.
- Tu lui as dit quoi?
- Je ne voulais pas voir ses armes moi, alors je lui dis “Range tes armes, on est venus acheter du fromage, nous.»
Je m’apprête ici à dresser brièvement l’histoire d’un pays dont l’histoire n’a pas encore été écrite, du moins, officiellement, et de manière claire et objective. Aussi, cette partie historique sera celle que l’on m’a contée, recontée, récitée, rythmée par des évènements datés, et par des éléments historiques choisis, qui justifient et expliquent mon projet.
AOUT 2020
Par où commencer? Puisqu’il faut choisir un point d’ancrage, partons des racines. Mes racines, c’est Beyrouth. Beyrouth les souffrances et les apparences. Beyrouth les ruines et le soleil. Beyrouth les chants heureux, alors que tout semble partir en fumée. Entre mémoire et amnésie, c’est une valse incessante qui peut tourmenter, dérouter, obséder. Cette ville insaisissable que l’on ne fait que décrire, écrire, dessiner, retourner, pour tenter de la comprendre. Cette ville à la fois monochrome et pleine de vie, cette ville où le passé chuchote la peur à l’oreille de demain, et pourtant, cette ville où le présent se matérialise dans un mode de vie définit comme insouciant, irresponsable, où les plaisirs quotidiens sont exacerbés, les limites dépassées, l’anarchie surplombée de traditions,… Pourtant, quand tout cela atteint un paroxysme, dans une crise sans précédent, cela fait éclater la rue. Beyrouth devient alors un lieu de parole, d’expression, de prise de liberté. Et, à Beyrouth, quand la rue éclate, c’est la ville qui explose. Attaque ou accident, ou attaque à travers l’accident? Beaucoup de questions se posent.
Une taxe sur WhatsApp. Encore ? Encore une taxe parmi tant d’autres, encore un moyen de voler le peuple, fatigué de payer pour des droits basiques qu’il n’a même pas, fatigué de mettre ses salaires médiocres dans des impôts sur un tramway qui n’existe plus depuis des lustres, ou dans une électricité qui coupe deux à trois fois par jour. Les citoyens prennent le pouvoir. Les manifestations se transforment en fêtes. C’est la conscience de l’éphémère qui pousse malgré tout à créer des souvenirs heureux. L’architecte en devenir que je suis se pose des questions. Quel pourrait être mon rôle? Les libanais ont faim. Ils ont faim de culture, de liberté, d’identité. Ils s’emparent alors de l’espace public, s’infiltrant çà et là, dans des lieux où l’on ne les attend pas, parce que personne ne les attend, dans des lieux symboliques parce que la révolution matérialise l’union, qui rend tout possible. Octobre 2019 a laissé place au débat, à la prise de parole, à la revendication de l’espace public. Août 2020 a fait ressurgir l’identité libanaise, la solidarité, la prise d’initiativess officieuses parce qu’en temps de crise politique, économique, sociale, qu’est ce que l’illégalité?
OCTOBRE 2019
- Tu as allumé le moteur habibi?
- Non, tu as la torche?
- Oui, attends, j’allume les bougies.
58
« Le Liban, j’avais l’habitude de dire que c’était un endroit où il y a tout ce qu’il faut pour faire un monde, mais pas assez pour faire un pays. Et je dirais que depuis le 17 octobre, je découvre qu’il y a oui de quoi faire un pays, et ce serait fascinant que cet endroit où on peut faire un pays, devenait aussi un exemple pour le monde. Vous y avez tous les enjeux, tous ceux qui se posent à l’échelle de la planète se posent sur ce mouchoir de poche qu’est le Liban. » Dominique Eddé
Les différentes générations, qui avaient pris pour habitude d’être confrontées les unes aux autres, pour cause de leurs différentes croyances, ou appartenances à des milices, se sont vues oublier l’identité commune du peuple, finalement, être libanais se déclinait de diverses manières, il y avait être libanais chrétien, être libanais musulman, être libanais druze. En mettant en avant les différents et non les intérêts communs, les politiques ont pu ainsi garder leurs place de leaders au sein d’un peuple qui en oubliait son dénominateur commun.
Octobre 2019 a été révélateur du contraire. Les libanais se sont levés d’une seule voix, unis, contre le système politqiue corrompu qui se jouait de lui, qui se jouait de nous.
Photo publiée par L’Orient le Jour.
La résilience ne peut pas être synonyme d’amnésie, surtout lorsqu’on a si souvent goûté l’amertume de l’effacement physique de l’histoire. Dans le grand chantier permanent qu’est Beyrouth et au milieu du charmant désordre, ils sont là, et observent depuis cent ans bientôt, l’évolution du pays autour d’eux. Les architectures sont des récits. Il y a ce que l’on raconte, et qui n’est plus. Il y a aussi ce qu’on ne voit pas, mais qui est toujours là, au beau milieu de la foule, silencieux parce qu’on l’a fait taire, presque un sois belle et tais toi, presque comme s’il fallait attendre une autorisation pour le faire parler.
L’autorisation, le peuple ne l’a pas attendue. La révolution d’Octobre 2019, et l’explosion du 4 août n’ont fait qu’accentuer l’absence d’un gouvernement, qui lui aussi, ne sait que sourire et faire bonne figure.
62
Carte du Centre Ville de Beyrouth pendant les manifestations, réalisée par Antoine Atallah
1990 - 2021
«Au lendemain de la guerre, le mythe libanais d’une identité collective est certes fragile, mais ne s’effondre pas. Le pays n’est pas officiellement divisé, même si des disparités de natures variées persistent.»1
En 1990, Beyrouth, la capitale libanaise, l’une des plus anciennes villes du monde, venait de sortir d’une guerre civile dévastatrice de 15 ans. La ville a été divisée en est et ouest par un no mans land traversant le centre historique, aussi appelé la ligne verte. Il était donc très urgent de régénérer le centre-ville rapidement et relier les deux côtés de la ville. Il fallait redonner à Beyrouth son identité pour que les gens puissent se reconnecter à travers la culture et la mémoire. Une société privée appelée Solidere, soutenue par le gouvernement, était mise en charge de reconstruire Beyrouth. Malheureusement, ils avaient d’autres projets: transformer le centre-ville en une sorte de «Dubaï», et avaient pout but d’attirer les investisseurs pour régénérer l’économie du pays. Et c’est ainsi que Beyrouth a commencé à perdre son identité, sa mémoire, son héritage, au vu de l’aspect purement économique de Solidere. Ils n’ont pas réussi à reconnecter les parties est et ouest de la ville. Le centre-ville est devenu une île pour les riches pendant une courte période pour se transformer en quartier-fantôme, dans lequel aucun libanais ne se reconnaissait depuis que l’instabilité politique est revenue dans le pays. La guerre civile a été dévastatrice, faisant de la ville la propre victime de sa reconstruction. « Les projets immobiliers dans la capitale surgissent comme des injures. »2 Comme s’il fallait à tout prix faire table rase, comme s’il fallait effacer l’histoire pour en inventer une autre, et brandir le drapeau hypocrite de la vie en communauté, pour garder la face auprès des pays voisins, oubliant que l’héritage et la culture étaient à l’origine même de cette identité libanaise. Cette identité est vite mise à l’épreuve, appuyant des appartenances à des religions, partis politiques, milices, laissant de côté l’idée même d’une patrie qui vit au jour le jour, qui danse comme si c’était la dernière fois, qui arrange son apparence comme s’il fallait soigner la forme pour panser le fond.
1975 - 1990
Cette guerre n’étant pas le sujet de mon diplôme, je ne m’attarderai pas à la développer, maiss plutôt à comprendre ses conséquences, dont l’exode. Elle a notemment causé le départ de nombreux libanais au fil des années, ce qui explique la présence d’un plus grand nombre de libanais vivant à l’extérieur du pays, que sur le territoire.
1 DADOUR Stéphanie, 1989, hors champ de l’architecture officielle: des petits mondes au Grand, Laboratoires ACS, Paris-Malaquais, 2021. 2 RIZKALLAH Marie-Josée, Destruction du théâtre de Beyrouth ou Beyrouth théâtre des destructions ?, dans Liban News, le 19 décembre 2011
- C’est Ziad al Rahbani qui disait « Ceci n’est pas un pays, c’est un ensemble de gens rassemblés.» Donc notre ville c’est pas une ville, c’est une clique de bâtimenyts, les uns à côté des autres. Et pourtant elle a un charme fou. Mais ça c’est une autre histoire.
- Elle survit aussi, comme un phénix, elle renaîtr...
- Quel phénix? J’en ai marre moi, du phénix, qu’on me laisse tranquille avec ça! Je veux plus mourir, ni renaître, khalass.
+ de 1 million de libanais
+ de 200 000
+ de 100 000
+ de 40 000
+ de 10 000
Carte de repérage de la diaspora Libanaise dans le monde
68
Illustration réalisée par The Art of Boo
Toi, l’oiseau, Fairuz
Toi l’oiseau qui vole aux confins de ce monde Peux tu donner de mes nouvelles à mon bien-aimé Demande à ceux, quittés par leurs amoureux Blessés par l’amour sans aucun remède Peinés, sans exprimer leurs douleurs Regrettant leurs nuits d’enfance Toi qui prend avec toi la couleur des arbres Ne laissant derrière toi que l’attente et l’ennui J’attends sous le soleil, assise sur ces pierres froides Troublée, la séparation m’épuise Au nom de tes plumes et de mes journées Au nom des fleurs de chardon et du vent Si tu pars chez eux et que le vent souffle Emmène moi, rien qu’un instant puis ramène moi....
1929-1975
Après la Première Guerre mondiale, Beyrouth a été attribuée à la France en 1920 en tant que territoire sous mandat. Beyrouth est désormais une ville de premier plan dans les industries bancaires et commerciales. La création d’infrastructures de ports etles routes sont devenues un aspect important de la reconstruction de la ville. Les Français ont imposé leur modèles de conception ( comme la Place de l’Etoile). Les codes du bâtiment ont commencé à ordonner la ville, et la rédaction du «Plan Danger», le premier plan de ville de Beyrouth, a déterminé les grands axes de circulation. De nouveaux types de bâtiments une fois de plus étaient évidents dans la ville: Parlement, pavillons d’exposition, cinémas et bâtiments industriels (usines de soie). Le style architectural de cette période était celui du pluralisme stylistique, abordant les styles néo-traditionnel, néo-ottoman et français. Lorsque les alliés ont remporté la Seconde Guerre mondiale, les dirigeants nationaux libanais ont demandé la fin des mandat. En 1941, la France annonce Après l’indépendance du Liban , la fabrique urbaine Fabric poursuivit son expansion selon la réglementation française, jusqu’à la guerre civile libanaise. De nombreux points de repère caractérisent la ville encore aujourd’hui (les hôtels, la rue des banques, les cinémas…) sont de cette époque. C’était à cette période que la ville a eu le temps de se développer économiquement.1
RIZK Yara, Beirut Post-War Reconstruction:The case of The Grand Theater, 2019
Illustration tirée du livre Pure Nostalgia, de Imad Kozem
«La société veut nous isoler, le théâtre, ce n’est que des rencontres!»
Omar Abi Azar, de la compagnie Zoukak, Samedi 10 avril 2021, 20h, France Culture: Beyrouth retrouve le théâtre, Zoukak remonte sur scène.
Comme il y avait du monde! Fairuz
Comme il y avait du monde! Comme il y avait du monde sur le carrefour, des gens qui s'attendaient! Et il pleuvait et des parapluies partout. Et moi, même dans l'embellie, personne ne m'attend.
Ça fait longtemps que je suis oubliée dans ce petit magasin, les murs sont morts d'ennui et ont honte de me le dire. Et moi, je cherche la beauté et la beauté est dans les rues. Je lui chantais des chansons, mais elle ne m'écoutait pas. J'ai attendue et attendue, et personne ne m'a parlé.
Ça fait longtemps que j'invente des messages, Je ne sais pas à qui, et j'envoie des nouvelles. Mais demain du ciel il devra pleuvoir sur moi, des embellies et des amours m'emmèneront un jour. Mais, hélas, celui qui s'est souvenu de tout le monde, ne s'est souvenu de moi qu'à la fin.