Discussion Hubert Renard/Cloé Beaugrand

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DISCUSSION Hubert RENARD – Cloé BEAUGRAND

CB : J’ai souhaité que l’on se rencontre pour que l’on puisse discuter de ton travail, car il n’est pas toujours évident de s’y retrouver parmi tous tes personnages, de comprendre comment fonctionnent tes catalogues et le statut que tu leur donnes. De mon côté je travaille sur la question du catalogue d’artiste, sur le livre comme possible espace curatorial, je crois qu’il serait intéressant que tu me dises ce que tu en penses.

HR : Dans ta question, tu parles de « livre comme espace curatorial », c’est-à-dire, d’une certaine façon, du livre d’artiste. Le livre comme lieu d’exposition est tout aussi légitime que « l’espace exposition », et à mon humble avis mille fois plus génial et pratique ! Le livre dure, l’exposition ne dure pas. Le livre diffuse alors que l’exposition reste en un lieu défini et elle finit toujours par être démontée. Le livre, on peut le déchirer ou le brûler, il reste, grâce à sa nature reproductible. Le livre pour y présenter mon travail est une évidence, même si à mes débuts cela n’a pas immédiatement été clair… Aujourd’hui, de manière un peu provocante, j’ai tendance à dire : « arrêtons de faire des expositions, faisons des livres » ! Le catalogue c’est autre chose, et dans ce que tu as dis, tu es passée de catalogue à livre. Le catalogue n’est pas un livre indifférent, ce n’est pas n’importe quel livre. Le catalogue est la mémoire de l’exposition. Il a besoin de l’évènement, pas le livre d’artiste. Le catalogue est sensé faire le lien entre l’exposition et son avenir incertain. L’exposition a un temps et un espace défini alors que le catalogue serait en quelque sorte son extension, son au-delà. C’est là que cela devient intéressant car les artistes ont compris qu’en prenant en mains leurs catalogues d’expositions, ils prendraient en mains le devenir de leurs expositions. Jusqu’à présent c’était plutôt le commissaire d’expo qui était l’auteur du catalogue, l’artiste n’y intervenait pas du tout, c’était des objets scientifiques sur lesquels les critiques et théoriciens pouvaient s’appuyer pour leurs recherches lorsque par exemple, ils n’avaient pas vu l’exposition.

CB : Depuis quelques années, depuis que l’artiste a prit part à l’élaboration du catalogue d’exposition, ce type d’ouvrage a perdu son contenu critique, analytique et historique pour devenir un bel objet avec de belles images mais ne permettant plus de savoir ce qu’a été l’exposition…

HR : (rires) Avec les catalogues contemporains c’est pratiquement impossible de savoir… Mais là, c’est un travers, qui je pense n’est pas dû seulement aux artistes. Regarde les livres d’architecture, les architectes ne font plus aucune différence entre les projets réalisés et ceux non réalisés, sauf que par moment on aimerait bien savoir ce qui a été construit et qu’on peut


voir dans le monde réel et ce qui ne l’a pas été. Pour les catalogues d’exposition c’est un peu la même chose : on ne se préoccupe plus de savoir ce qui a été exposé et de ce qui a été fabriqué pour le catalogue, tout est mêlé dans un bel ouvrage… Mais cela n’en fait pas non plus des catalogues d’artistes. C’est ambigu.

CB : Pour ces catalogues là, il s’agirait plutôt d’une collaboration, l’artiste y serait plutôt coauteur…

HR : Le problème, c’est que maintenant il n’y a presque plus de catalogue d’exposition monographique dans lequel l’artiste n’intervient pas d’une manière ou d’une autre, même si il n’y fait pas grand-chose, …

CB : J’ai rencontré Francine Delaigle1 la semaine dernière à propos de cette notion de catalogue d’artistes. Elle m’a montré des ouvrages qui ont vraiment la forme de catalogues dits traditionnels, avec leur contenu scientifique… Et qui, soit par une précision écrite en introduction, soit par une demande personnelle de l’artiste, sont classés et considérés en tant que livres d’artistes… Cela m’amène à me demander si cette notion de catalogue d’artiste qu’utilise Anne Moeglin-Delcroix2 et que j’essaie de définir ne serait pas fantasmée ? Et si elle existe, est-elle réellement définissable ?

HR : Alors, quand AMD utilise ce terme, je suppose qu’elle pense aux expos de….

CB : Seth Siegelaub ?

HR : Oui, les catalogues d’exposition de Siegelaub qui sont eux-mêmes l’exposition. Quand elle dit « catalogue d’artiste » elle pense à ces ouvrages, … Il y en a très peu en réalité. Dans ce cas là Siegelaub n’est plus galeriste ou éditeur, il est véritablement artiste. Avec lui, le catalogue est vraiment un lieu de création, de monstration, d’exposition, à tel point que l’exposition n’a même pas besoin d’exister et que le catalogue se suffit. Le véritable catalogue d’artiste serait pour moi un ouvrage dans lequel, un artiste, ayant réalisé une expo, (ou un projet), choisirait de l’accompagner d’un livre qui la prolongera ou la complètera, non pas un compte-rendu mais vraiment un élément du projet, et qui existera à part entière. Un livre d’artiste, mais complètement lié au moment de l’exposition. Sans l’exposition le livre n’aurait pas eu lieu. Ce serait ça, un catalogue d’artiste, et pas ces éditions 1

Francine Delaigle est bibliothécaire, responsable de la Réserve de la Bibliothèque Kandinsky et plus particulièrement de la section des livres d’artistes. Elle est également l’auteure de : Les catalogues d'exposition : Guide de catalogage, paru en 1991 aux éditions du centre George Pompidou. 2 Anne Moeglin-Delcroix est une spécialiste du livre d’artiste. Elle est l’auteure de nombreux ouvrages à ce sujet dont le célèbre Esthétique du livre d'artiste (1960-1980), J.-M. Place, Bibliothèque nationale de France, Paris


hybrides entre objets scientifiques et livres d’artistes qui sont souvent des catalogues de commissaires. En fait, c’est assez facile de faire la différence, d’un coté c’est un projet artistique et de l’autre c’est un projet éditorial.

CB : Je suis assez d’accord avec tout cela. À mon sens, il y a trois options de classement du catalogue. D’abord les catalogues qui se veulent être le reflet de l’exposition, qui sont les plus traditionnels, il y a ceux qui seraient une extension de l’exposition en proposant quelque chose qui viendrait compléter l’exposition et les derniers qui correspondraient à une traduction de l’espace d’exposition à l’intérieur de leurs pages et qui proposent un projet entièrement indépendant, tels les catalogues de Siegelaub dont nous venons de parler… Mais j’aimerais que l’on parle de ceux d’Hubert Renard. Il me semble qu’il y en aurait pour chacune de ces catégories…

HR : je me suis effectivement amusé à décliner avec mes catalogues chacun de ces aspects là, sinon cela n’aurait servi à rien d’en faire toujours un de plus. À chaque projet, je me suis penché sur un aspect particulier de cette histoire du catalogue. Le catalogue traditionnel se compose du texte du commissaire ou du critique, des reproductions des œuvres, et d’un appareil scientifique. Il est le reflet de l’exposition, sa documentation, ce qu’il en reste. Sans s’occuper pour l’instant des éditions hybrides ou du catalogue d’artiste, il est dans une espèce d’ambigüité absolument terrifiante. Quand on regarde dans un catalogue d’expo il ne contient jamais l’exposition, jamais !

CB : Effectivement, la plupart du temps le catalogue est préparé en amont de l’exposition ce qui fait qu’on ne trouve que des images d’expositions antérieures, des gros plans,…

HR : Ce sont les images de l’œuvre et non l’œuvre en situation. On ne trouve jamais le plan de l’expo, or, comment savoir quel tableau était accroché à coté de quel autre ? Un tableau n’est pas tout seul dans l’espace, et dans le catalogue non plus ! Si il est sur une page à coté d’une autre image, ça raconte des choses, ça bouge! Le catalogue n’est jamais le reflet de l’expo sur papier ! Tu es d’accord avec moi ? Même le catalogue le plus traditionnel est toujours une relecture de l’exposition. Parfois il y a beaucoup plus de choses dans le catalogue que dans l’expo et ça c’est plutôt la mode contemporaine. Autrefois, c’était plutôt l’inverse. Les premiers catalogues historiques, ceux du début du XXe siècle, c’est du bonheur. Le catalogue à l’époque c’est un petit livret, une douzaine de pages avec la liste des tableaux et cela même pour des expos extrêmement importantes voire historiques. Pour ces expos il ne nous reste que la liste des tableaux. C'est surprenant !


CB : Hier j’ai rencontré Ghislain Mollet-Viéville3, il m’a montré toutes les publications de Siegelaub. Parmi elles, il y a un catalogue qui m’a particulièrement marqué. Il s’agit de celui de "Joseph Kosuth and Robert Morris"4 , dans lequel il n’y a que les légendes des œuvres et aucune image, que des pages blanches, et pour moi cela fonctionne ! C’est plus intéressant et plus juste que la plupart des catalogues que l’on peut faire maintenant, avec de belles et grandes images. Ils font de beaux livres et de belles bibliothèques mais ça n’apporte rien sur les expos elles mêmes.

HR : Oui c’est un sujet passionnant parce que le catalogue a des conséquences aussi sur notre façon de voir l’art ! Encore une fois et de façon un peu provocante, j’ai envie de dire « les expos ça m’ennuie, je vais voir le catalogue et c’est tout ! », Je ne vais plus voir les expos, je vais dans les librairies et je regarde les catalogues. Ils sont toujours plus beaux que les expos, les reproductions sont de super bonne qualité alors que dans les expos tu as toujours un éclairage épouvantable et des gens qui te bousculent ! Il y a toujours plus de choses que dans l’expo et tu as tout le temps de le regarder tranquillement. Pour moi l’expo idéale serait plutôt dans son catalogue. Ça pose des questions sur la reproductibilité de l’art. Quand on n’a pas le tableau, est-ce que la photo est suffisante ? Comment la photo parle, etc. Tout ça, ce sont des questions posées à travers le catalogue d’exposition mais pas seulement, puisque le livre d’artiste ou les monographies les posent aussi. Le catalogue d’exposition tel qu’on l’entend est, on le disait au début de la conversation, un genre classique, mais ce genre classique est lui-même un objet hybride entre l’encyclopédie, le beau livre et le catalogue raisonné. C’est pour ça que quand tu veux l’étudier tu te retrouves devant une multitude de choses, avec une impression d’impossibilité de faire le tri. Il se pourrait que le catalogue d’exposition ne soit pas un genre.

CB : Non je pense que le catalogue d’exposition est un outil, c’est un objet qui participe au système de l’art actuel, c’est aussi pour cela que ça m’intéresse de l’étudier. Il sert à diffuser, à montrer. Pour moi, étudier le catalogue d’exposition c’est aussi une façon d’essayer de comprendre comment l’art fonctionne… Par ailleurs, j’ai l’impression que depuis les années 90, beaucoup de gens parlent de catalogue d’artiste mais on ne trouve rien à ce sujet.

HR : Personnellement, je n’ai jamais trouvé d’études scientifiques sérieuses à ce sujet. Effectivement tout le monde en parle, la chose existe mais je ne connais personne qui jusque là se serait vraiment intéressé à faire un travail de tri, de définition et de typologie ! A part

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GMV se défini comme agent d’art. Il assure la promotion de l’art conceptuel et minimal. Il est également Expert honoraire près la Cour d'Appel de Paris et Membre de l'Association Internationale des Critiques d'Art. 4 Seth Siegelaub, Joseph Kosuth and Robert Morris, Laura Knott Gallery, Bradford Junior College, Bradford, Massachusetts, March 1969, 8p. 18.5 x 18.5 cm. Paper. 1 BW ill. A two-person exhibition, catalogue and symposium held at the Bradford Junior College in March 1969.


AMD dans son petit texte5, mais il reste très lié aux pratiques de Siegelaub et aux publications des années 90. Les éditions de ce genre se sont multipliées et le terrain est toujours en friche…

CB : Ce texte est paru dans le les cahiers du MNAM6 en 96 avant d’être réédité dans son recueil de texte « sur le livre d’artiste »7 Ce double numéro des cahiers dédié au catalogue est d’ailleurs le seul ouvrage que j’ai pu trouver jusqu'à présent sur cette question.

HR : Oui et il date un peu… depuis le problème s’est encore amplifié. Cette étude est peut être arrivée trop tôt, ils avaient conscience que quelque chose se passait, mais aujourd’hui il y aurait besoin que quelqu’un s’empare du sujet et en fasse une étude un peu poussée. C’est d’ailleurs, je crois, la seule source que j’ai trouvée pour écrire le texte d’Alain Farfall à propos des catalogues hybrides dans le livre « Donnant-donnant »8.

CB : À propos d’Alain Farfall, c’est drôle car je ne me suis rendu compte qu’après coup de la supercherie. J’ai découvert ton travail en même temps que je débutais mes recherches sur le catalogue d’artiste. Et c’est en retournant voir des ouvrages lus il y a plusieurs mois que je me suis rendue compte que Farfall n’était pas un critique comme les autres… (Rire)

HR : C’est un grand hommage que tu fais à Farfall en tombant dans le piège, c’est ce que je cherche à faire, que les choses puissent apparaître d’une façon pour ensuite les reprendre pour une seconde lecture.

CB : Moi, cela me fait beaucoup rire, j’aime plutôt l’idée… mais je me demande si cela n’énerve pas certaines personnes, n’y a-t-il pas de mauvaises réactions ?

HR : Les personnes qui réagissent bien à la supercherie sont rares! Le plus souvent cela énerve car cela met en défaut leur savoir. Se rendre compte qu’on y a cru, qu’on s’est fait avoir, c’est quelque chose qui irrite ! Mais on s’est fait avoir pourquoi ? Parce que le nom de Farfall est une invention ? Beaucoup d’auteurs écrivent sous un nom d’emprunt ! Cela ne gêne personne! Parce que Farfall ne serait pas un théoricien mais un artiste ? Combien d’artistes sont de très grands théoriciens? Pourquoi on se serait fait avoir ? Parce que je dis ouvertement que les textes de Farfall sont un jeu littéraire de collage ? Mais tous les universitaires, tous, n’écrivent que comme ça, à part peut être quelques philosophes, et

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Hubert Renard fait référence au texte intitulé du catalogue comme œuvre d’art. Du catalogue, Cahiers du MNAM, n° 56-57, Paris, 1996 7 Anne Moeglin-Delcroix, Sur le livre d'artiste, Articles et écrits de circonstances, 1981-2005, Le mot et le reste, 2006 8 Jean-Louis Chapuis, donnant donnant, éditions rapports d’activité, décembre 2008 6


encore..! Enfin ce n’est pas une honte, je trouve cela normal, il n’y a pas de pensée ex nihilo, comme il n’y a pas de création ex nihilo!

CB : Cela me fait penser à l’histoire de Jean-Yves Jouannais avec son Félicien Marboeuf. Une journaliste dont j’ai oublié le nom était horrifiée de s’être fait avoir par cette fiction d’écrivain, alors qu’elle s’était engagée en écrivant des choses à son sujet…

HB : Oui quand tu travailles sur la fiction tu apprends très vite qu’il y a des gens qui ne supportent pas de s’être trompés dans leur jugement, qui ne supportent pas l’impression d’avoir été trompés… Beaucoup de gens réagissent très mal…

CB : Et bien moi je trouve cela drôle ! J’ai peut être un humour bizarre. Je découvre avec mes recherches que l’art conceptuel m’amuse… Jusque là, je ne m’y étais que très peu intéressée, j’étais pleine de préjugés et m’étais arrêtée à cette notion de concept qui pour moi était une barrière. Je découvre maintenant, notamment avec les publications de Siegelaub, un univers tout à fait passionnant !

HR : L’art minimal d’abord puis l’art conceptuel ont tellement été mal vécus par le monde de l’art « non conceptuel » on va dire, qu’ils ont été taxés d’intellectuels dans les années 70/80. Il y a encore un grand nombre de gens qui ne peuvent pas aborder cet art. Alors que pour moi c’est un art extrêmement poétique et souvent drôle (il y a bien sûr des choses mieux et moins bien). C’est aussi terriblement plastique contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, même si ce n’est pas toujours ce que ces artistes voulaient faire car ils cherchaient à dématérialiser l’œuvre au maximum, mais quand tu regardes ce qu’ils ont fait et ce qu’il en reste, c’est plastique ! Ces œuvres ont une existence physique qui est souvent très belle, très esthétique ! Je suis très, très sensible à ça, mais pas pour les bonnes raisons, moi j’aime la forme, j’aime la poésie, j’en aime l’humour…

CB : Oui. Ce qui me semble également intéressant, ce sont leurs catalogues, particulièrement ceux de Siegelaub parce qu’ils proposent des modes de diffusion alternatifs à ceux des galeries et grandes institutions…

HR : L’exposition est devenue un tel carcan conventionnel que le moindre accro est immédiatement repéré et interprété. L’exposition me semble totalement hors de notre époque, on s’accroche à un mode de fonctionnement plein de conventions … Je préfère le livre. Le livre aussi est un lieu bourré de conventions, d’une histoire, d’une tradition de lecture… sauf qu’il n’est pas l’objet de toutes les attentions du monde de l’art. Ce qui attire l’attention c’est ce white cube, ce sont ces expositions, dans leur forme même plus que par les objets qu’elles sont censées présenter. Et plus que les expositions elles-mêmes ce qui compte ce sont leurs inscriptions dans le monde : carton d’invitation, prestige du lieu d’expo, articles de presse,… On se retrouve dans un système qui est juste de la production culturelle comme une autre, cela produit du bruit, ça fait travailler du monde…


L’art critique des années 70 a eu un effet indésirable : rendre le lieu d’exposition plus important qu’il ne devrait. J’aime mieux montrer mon travail dans une salle propre que dans une salle sale, mais bon, une salle sale peu faire l’affaire aussi. Et j’aime mieux avoir une grande expo qu’une petite…, quoi que non, une petite expo c’est très bien aussi. En plus j’aime mieux ne pas avoir d’expo du tout mais parfois on y est obligé.

CB : Justement, à propos de ces expositions, celles d’Hubert Renard, enfin des Hubert Renard…

HR : On en fait tous les deux c’est le problème… (Rires)

CB : Voilà (Rires)! J’ai des difficultés à savoir, au vu du CV disponible sur internet, qui a fait quoi !? Alors il y a certaines expositions pour lesquelles c’est évident, mais ma question est à propos de toi pas l’artiste mais l’autre. En quoi consistent tes expositions ? Que montres-tu?

HR : Pas L’artiste de fiction ? L’artiste du réel ?

CB : Oui

HR : Et bien moi je ne montre que des documents. Je me mets un peu à exister en dehors de lui, l’autre me fatigue par moment ! Quand je fais une exposition où je montre mon travail de fiction, c’est-à-dire le travail de l’autre Hubert Renard, comme ce qu’il produit n’existe pas, je ne montre que des archives, cela en prend toutes les formes possibles : des vitrines avec des documents, des projections, diaporamas, vidéos, tout ce qui est de l’ordre de la documentation. Ce ne sont jamais les objets qu’il a produits. Je ne veux pas les fabriquer à l’échelle réelle puisque ce travail de fiction est un travail de miniature. Cela a existé à un moment, au travers de maquettes, mais elles sont détruites. En fait je fais les expositions que je déteste visiter. Je déteste les expos documentaires, je trouve cela rébarbatif ! Mes expos sont donc les catalogues d’Hubert Renard sous vitrine… Les livres sous vitrine c’est d’une tristesse ! Je comprends bien qu’il y ait des livres précieux, rares… qu’on ne peut mettre dans les mains du public. Le public est forcement quelque chose qui détruit. Pourquoi faire des expos dans des musées quand on sait que le public vient détruire les œuvres d’art ? Le musée peut être un lieu qui conserve, mais si il est un lieu qui diffuse, chaque exposition est un risque majeur pour l’œuvre, du coup on met sous vitre, on installe des mises à distance pour empêcher d’approcher… On dit « venez voir mais pas de trop près, vous êtes un danger !» Alors qu’avec les reproductions il n’y a pas de risques car si on les abîme il y en a toujours d’autres…


CB : C’est pour ça que je fais et aime faire des montages d’expositions. C’est le seul moment où l’on a le droit de toucher les œuvres et pour moi l’art devient vraiment intéressant quand on peut le toucher… A propos du catalogue, revenons-en à notre sujet, j’ai souvent le sentiment qu’il y a aussi quelque chose de l’ordre du recyclage. L’expo est éphémère, comment lui garantir une certaine pérennité?

HR : Il y a certainement un effet de recyclage, de documentation. Non, pas véritablement une documentation, ce serait plutôt une sorte de prolongation. Le catalogue est, je pense, surtout un effet de culture : aujourd’hui on considère qu’il n’y a pas d’exposition sérieuse sans catalogue. Le catalogue est une sorte de légitimation de l’exposition. Il peut y avoir n’importe quoi dedans on s’en moque mais si il n’y a pas de catalogue, l’expo n’est pas sérieuse. Le catalogue d’artiste pourrait être du coup, si tant est que ce genre existe, une sorte de surlégitimation, mais dans le sens ou l’institution est suffisamment prestigieuse (légitime) pour proposer autre chose que le catalogue standard. On fait un catalogue d’artiste, c’est à dire on abandonne son droit d’éditeur sur le catalogue pour l’offrir à l’artiste qui en fera ce qu’il voudra. C’est souvent une façon de dire « regardez comme on est moderne, regardez comme on transgresse les règles ! ». Le genre est tellement devenu à la mode qu’il y a de vrais catalogues d’expo qui se déguisent en livres d’artistes, ce qui donne les objets hybrides dont on parlait au début.

CB : Avec par exemple les livres d’images, livres d’artistes du type de ceux d’Ed Ruscha (Twenty six gazoline stations), qui proposent une succession d’images sans aucune légendes ni commentaires… à mi-chemin entre deux genres. Aujourd’hui beaucoup d’artistes utilisent cette forme pour leurs catalogues qui deviennent une suite d’images sans aucune information si ce n’est dans le colophon à la fin de l’ouvrage qui précise généralement le lieu de l’exposition auquel le catalogue se réfère. Est ce que ce sont des livres d’artistes ? Est ce que ce sont des catalogues ? À partir du moment où dans ces ouvrages, même si l’institution reste en retrait, il reste la marque de la collaboration avec un livre estampillé d’un ou plusieurs logos, avec la précision que l’on doit se référer à un évènement,… l’artiste n’est donc plus complètement autonome, on est plus dans les autoproductions décrites par Anne MoeglinDelcroix…

HR : Je suis complètement d’accord avec toi, et on en trouve beaucoup d’exemples… Francine, elle, va les ranger dans la catégorie des livres d’artistes, à mon avis pas totalement à tort sauf que ce sont des livres d’artistes qui me semblent moins intéressants dans la mesure où ils sont encore les rebus d’une exposition.

CB : Et il me semble qu’en tant que « catalogues d’exposition » ils ne sont pas très intéressants non plus, dans la mesure où ils ne remplissent plus leur rôle!


HR : Dans la production d’Hubert Renard cela serait le « Stille Gesten » édité chez Incertains Sens. C’est exactement ce que j’ai voulu faire avec ce livre : j’ai imaginé l’expo d’Hubert Renard et j’ai fait de son catalogue ce qu’on appelle un catalogue d’artiste. Pour cela c’était très simple… je me suis dis : « prends tout ce qu’il y a dans l’expo, mets-le en pages et enlève tous les commentaires, pas de textes, aucune explication, rien ! » Il n’y a dans le catalogue que des images. Dans l’expo d’HR ce sont des photos et des sculptures, ces dernières sont traduites dans le catalogue par des dessins axonométriques. On pourrait les découper et fabriquer les sculptures en papier ! Elles sont d’ailleurs exactement aux dimensions de leur réalisation en maquette. Pour moi ce livre c’est n’importe quoi (même si je l’adore!), je me suis amusé… J’ai étudié un peu ce type de catalogues, c’est un tic de l’art contemporain, et en même temps il y a quelque chose d’intéressant. À partir du moment où j’enlève la légende d’une image, je la rends énigmatique, je lui donne une sorte d’autonomie. Il y a quelque chose de magique et d’extrêmement dérangeant. Avec ce livre cela fonctionne, les gens le feuillètent et ne savent pas trop ce que c’est… ils se disent, si c’est un catalogue on ne comprend pas, il n’y a pas d’explications, si c’est un livre d’artiste on ne voit pas très bien non plus de quoi il s’agit.

CB : Quand je l’ai consulté la première fois je suis effectivement restée perplexe. Je me suis demandé à quoi correspondait le mobilier, à quoi correspondaient ces dessins et les photos. On sent qu’il y a un rapport avec un lieu mais il est difficile de déterminer lequel.

HR : Hubert Renard a créé du mobilier pour son expo... Cela a un sens dans le contexte du musée mais ce n’est pas pareil de mettre une chaise dans une salle d’expo que dans un catalogue, dans le catalogue ça perd tout son sens…

CB : « Stille Gestsen » est je crois le premier catalogue d’exposition d’Hubert Renard que j’ai regardé. Je n’étais pas encore très au fait du travail, je ne savais pas encore qui faisait quoi. En l’étudiant je me suis posé un tas de questions presque naïves : Qu’est ce qui était exposé ? Quelles sont les œuvres ? Les photos du catalogue sont-elles des œuvres photographiques? Les dessins de mobilier sont ils des dessins ou du vrai mobilier ? … - Finalement, c’est assez énervant, on se demande si Hubert Renard ne se moque pas de nous !- Avec ce catalogue on a vraiment aucun repère ! Et même dans le cas où ce serait un livre d’images on se demande aussi quel en est le but… Les photographies sont très belles mais les plans de meubles que viennent ils y faire ? Quel est le rapport avec les vues de salles d’exposition vides ?

HR : J’aime beaucoup ta lecture... En fait j’ai commencé à faire des livres, mes catalogues d’expositions fictives, sans connaître le domaine du livre d’artiste. Ce livre est venu peu de temps après avoir rencontré Anne Moeglin-Delcroix. Je ne connaissais pas son travail, on a eu un RDV et elle m’a parlé du livre d’artiste. Cela m’a amené à repenser entièrement mon travail au travers du livre d’artiste. On m’aurait parlé de catalogue, j’aurais dit oui je fais des catalogues mais des livres d’artistes ? Je n’avais pas vu cela sous cet angle…

CB : Sont-ils des livres d’artistes déguisés en catalogues ?


HR : Oui ! Mon travail, conçu pour apparaître sous la forme d’un livre, en l’occurrence un faux catalogue d’exposition, entre évidemment dans cette catégorie du livre d’artiste tel qu’il est décrit par Anne Moeglin-Delcroix. D’un autre côté, la question du statut bibliographique de mes livres (livre d’artiste ou catalogue), n’est pas fondamentale. Je veux dire : elle n’a pas besoin d’être tranchée, puisque le jeu consiste justement à la poser…


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