revue d'orthopédie dento-faciale

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Enfants, vous êtes l’aube, et mon âme est la plaine Qui des plus douces fleurs embaument son haleine Quand vous la respirez. Victor HUGO, Les Feuilles d’automne.

ÉDITORIAL

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ous avons donné à ce numéro, consacré à la santé du jeune enfant, le caractère un peu particulier d’un «rapport». Nous le considérons comme hors norme et c’est la raison pour laquelle il ne comporte pas de traduction. Il s’agissait en effet de rapporter l’essentiel des conférences qui ont été faites la veille des Journées Orthodontiques de novembre 2001 sur le thème de la santé de l’enfant, selon un programme conçu et coordonné par Édith Lejoyeux, que la Revue félicite et remercie. Notre ambition était d’interpeller l’ensemble des professionnels de santé concernés, du pédiatre au pédopsychiatre, de l’oto-rhino-laryngologue à l’allergologue, du kinésithérapeute à l’orthophoniste, de la puéricultrice à la sage-femme, et du chirurgien-dentiste au pédodontiste. L’orthopédie dento-faciale n’a pas pour objectif de traiter une malocclusion, mais un individu dans sa globalité, et elle nécessite une étroite collaboration entre les divers acteurs de santé, collaboration qui s’impose d’autant plus que le sujet est jeune. Comme l’illustre l’ensemble des sujets traités, l’action thérapeutique de chacun facilite et potentialise celles des autres intervenants. Ainsi, l’association des compétences permet parfois de prévenir, en empêchant la mise en place d’une cascade dysmorpho-fonctionnelle. Le plus souvent, par la suppression des contraintes anatomiques, fonctionnelles et psychologiques, cette association aide à limiter l’aggravation d’une dysmorphose chez un sujet en croissance. Les conséquences de ce choix d’une prise en charge multidisciplinaire précoce ne sont pas neutres. Le différer, c’est trop souvent exposer l’enfant à une inutile aggravation de sa pathologie, à un risque accru de traumatisme dentaire et à une prise en charge tardive avec son cortège de contraintes thérapeutiques. Certaines de ces contraintes sont liées à la nécessité d’employer des auxiliaires astreignants, d’autres sont attachées aux moindres possibilités d’un potentiel de croissance réduit, voire au besoin de recourir à des actes plus importants ou mutilants, telles des extractions de dents permanentes ou une chirurgie orthognathique. Enfin, d’autres contraintes découleront d’une prévisible baisse de motivation chez un patient qui se voit imposer un traitement particulièrement lourd à un âge où les conflits de l’adolescence se mêlent à l’augmentation des rythmes scolaires. Les articles publiés dans ce numéro ont été rédigés en évitant d’employer l’argot* orthodontique, pour rester compréhensibles de tous. Ceci leur confèrera parfois un caractère superficiel aux yeux des praticiens de même profession que celle de l’éditorialiste. Ils mettent en lumière les difficultés, les besoins et les possibilités de chaque discipline avec pour toutes la même préoccupation clinique quotidienne : l’amélioration de la santé des enfants ainsi que de leur qualité de vie (partie intégrante de cette santé, selon la définition donnée par l’Organisation Mondiale de la Santé). Philippe AMAT Rédacteur en chef du numéro * L’argot est en fait, à son origine, le langage propre à une profession.

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Aux ambitieux qui ne se contentent pas du bénéfice de la vie ni de la beauté du monde, il est imposé pour châtiment qu’ils ne comprennent pas la vie et restent insensibles à l’utilité et à la beauté de l’univers. Léonard de VINCI (1452-1519).

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EDITORIAL

atients’ rights are up to date : we are attached to present this actuality to our readers. Consecutively to the law established on marsh the 4th, 2002, concerning the patients’ rights, the public health code has seen a certain quantity of modification. It is convenient, here, to bring out particularly the major articles devoted to the patients’ information and consent. Art. L. 1111 – 2 : Any person has the right to be informed on his state of health. This information bear on several investigations, treatment or preventing action which are proposed, their utility, their eventual emergency, their consequences, the frequent or serious risk usually predictable they entail as well as on other possible solutions and about the predictable consequences in case of refuse . When subsequently to the execution of the investigation, treatment, or preventing action, new risks are identified, the concerned person must be informed, except in case of the impossibility to find this person. This information incumbent to the entire professional in health in its competence structure and in the respect of the professional rules applicable in it. Only emergency and the impossibility to inform can excuse it. This information is delivered during an individual conversation. The wishes of the person to be kept in ignorance concerning the diagnostic or a prognostic must be respected, except when a third party is exposed to a transmission risk. Minors’ rights or majors under guardianship’s right mentioned in the present article are exercised , depending the case, by the parental authority’s entitle or by the guardian. They receive the information which is previous by the present article, with a reserve of the disposition in the article L. 1111-5 The interested persons have the right to receive themselves an information to participate to the realisation of the decision concerning them, with an adapted way neither to their maturity degree concerning the minors, nor their discernment faculty for the majors under guardianship’s. Recommendations for good practice about the information’s delivery are established by the national agency of accreditation and evaluation in health and are homologated by a decree from the minister in charge for health. In case of litigation, it belongs to the professional or the health establishment to prove that the information has been delivered to the interested in the previous condition of the present article. This evidence/proof can be bear by any way. Art 1111 – 4. Any person takes alone the decision concerning its health taking in account the information and the recommendations given by the health professional. The doctor must respect the person’s wishes after he has informed about the consequences which can follow the choice. If the person’s wishes is to refuse or to interrupt a treatment knowing his life will be in danger, the doctor must try everything to convince the person to accept the indispensable care. Neither any treatment nor any medical act cannot be practice without the free consent of the patient and this consent might be retired at any time. (…) The minor’s consent or the majors under guardianship’s consent must be systematically research if the patient is able to express his wishes and to participate to the decision. The minor becoming major will have the right to “ester” in justice concerning acts he suffered during the term he had no juridical capacity. And in that way we can put forward, as a school hypothesis, that he can argue that he did never consent about a treatment with extraction, that he had never be informed about an eventual radicular resorption. Judicial precedent has beautiful days to live! Alain BÉRY

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Avant-propos

LA SANTÉ DE L’ENFANT

Édith LEJOYEUX responsable scientifique

Chers confrères, Mesdames, Messieurs, C’est avec un grand plaisir et une certaine émotion que j’ai l’honneur de vous accueillir pour cette journée «pré-congrès» consacrée à la santé de l’enfant. Elle est inhabituelle à bien des égards et comporte au moins deux innovations majeures. La première innovation concerne le thème choisi et sur lequel nous reviendrons. La seconde innovation est la vocation caritative qui lui a été attribuée. Comme vous devez vous en souvenir, l’Odontologie a décidé cette année de soutenir l’action humanitaire de l’Association «Enfants et santé» dirigée par le professeur Leverger, ici présent, en faveur des enfants atteints de cancer. Une manifestation, très réussie, a donc eu lieu le 8 mars dernier, qui a permis de recueillir des fonds et de sensibiliser les odontologistes à ce grave problème. Les orthodontistes sont concernés par la santé de leurs jeunes patients, bien au-delà de l’alignement des quatre incisives maxillaires, comme nous le verrons au cours de ce programme, et il a paru évident que nous tenions une excellente opportunité de leur faire connaître l’association à laquelle nous offrons bien volontiers les bénéfices de cette journée. Merci à tous donc pour votre participation. Venons en maintenant au programme qui est proposé. Le projet est relativement simple. En tant qu’orthodontistes, notre mission consiste à corriger les défauts d’alignement et

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d’articulé dentaire, mais nous travaillons aussi à la prévention des malocclusions, de l’encombrement dentaire, ainsi que de la carie et nous sommes à la recherche d’une véritable interception des dommages créés dès la petite enfance. Pour y parvenir, il nous faut collaborer avec tous les praticiens concernés par la santé des jeunes enfants et il nous faut donc les persuader de participer à cette aventure, d’associer harmonieusement nos savoir-faire. Notre objectif est donc d’essayer de créer les conditions d’une meilleure collaboration avec les chirurgiens-dentistes, les pédodontistes, les médecins pédiatres, O.R.L. et pédopsychiatres, mais aussi les kinésithérapeutes, les orthophonistes, les puéricultrices et même les sagesfemmes pour que l’alliance des savoir-faire permette d’intervenir plus efficacement et plus précocement dans la vie de nos patients. On pourrait aboutir alors à une véritable amélioration de la santé bucco-dentaire et même de la santé des enfants ou à tout le moins de leur bien-être. Comment y parvenir ? En faisant prendre conscience de nos préoccupations et de nos possibilités par une large information. Nous avons donc demandé à quelques orthodontistes d’expliquer le rôle que nous pouvons jouer dans les traitements précoces et les difficultés que nous rencontrons. Nous avons invité les autres spécialistes à nous faire part de leur expérience.

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É. LEJOYEUX

Face à un jeune enfant, il faut faire le juste bilan des problèmes dentaires et squelettiques, des préjudices esthétiques, fonctionnels et psychologiques pour détecter les contraintes qui entravent croissance et dentition. La sphère oro-faciale est le siège d’un certain nombre de fonctions de nutrition : mastication, déglutition, respiration, et de relation : mimique et phonation. Toutes contribuent à la bonne santé de l’enfant et à son insertion sociale si elles s’effectuent librement. Les conduites alimentaires et l’apprentissage des protocoles de l’hygiène dentaire sont à la base de toute politique de prévention. Il ne faut pas négliger le rôle majeur de l’alimentation au sein du nouveau-né et la nécessité de la mastication d’aliments résistants par les jeunes enfants. Il faut connaître le rôle du fluor, de l’hygiène et de la diététique dans la prévention de la carie dentaire. La bonne évolution des conduites alimentaires, c’est le chemin le plus efficace de la prévention des malocclusions et de l’encombrement dentaire. C’est aussi le moyen idéal pour rompre la symbiose originelle entre l’activité de la langue, des joues et des lèvres et faire évoluer le mode de déglutition vers un mode adulte qui supprime les points d’appui dentaire et libère les phénomènes d’éruption. Une langue en bonne position devient le régulateur de la croissance tridimensionnelle des arcades et des mâchoires, car elle occupe une position stratégique unique à l’intérieur de la cavité buccale. Elle équilibre l’ensemble des pressions délivrées par l’enveloppe faciale et l’action des muscles masticateurs. Elle stimule la croissance transversale du maxillaire et la croissance sagittale de la mandibule. Encore faut-il qu’aucun paramètre anatomique, fonctionnel, mécanique ou psychologique ne vienne empêcher cette action bénéfique. La langue peut facilement devenir l’agent de perturbation 001 de la cavité buccale.

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Il suffit qu’elle soit attachée par un frein court au plancher de la bouche pour que sa mobilité se trouve réduite. Elle se love à l’intérieur de l’arc mandibulaire qu’elle ne quitte plus et le maxillaire perd un moteur essentiel de croissance. La mandibule en revanche se développe et la concordance des arcades se perd. La succion persistante et intense du pouce, d’un «doudou» ou d’une tétine peut avoir créé une béance dans la région antérieure en empêchant les incisives d’évoluer normalement. Au moment d’avaler sa salive, l’enfant projette sa langue en avant. Ce système d’adaptation se maintient au repos et la langue entretient la béance. Ce simple mécanisme de compensation se complique lorsqu’il existe des problèmes ventilatoires. Chez l’enfant, la ventilation et la fonction linguale se trouvent au premier plan de nos préoccupations. Le mode ventilatoire dominant exerce une influence réelle sur la posture de la mandibule et de la langue, qui contribue à l’ouverture de l’oro-pharynx. Le rôle majeur de la ventilation dans la croissance faciale est lié au caractère primordial de la fonction. Tout le problème commence lorsque l’air rencontre une difficulté pour emprunter le couloir normal qui, du nez à l’oropharynx, le conduit dans la trachée. La respiration buccale se met en place, en permanence ou en alternance. Elle se manifeste surtout la nuit. Le sommeil est agité, l’enfant se réveille pour boire, il ronfle souvent. Des études récentes révèlent des apnées du sommeil, de courte durée mais nombreuses, qui expliquent la fatigue au réveil. La ventilation nasale exerce une influence déterminante et favorable sur la croissance transversale de la mâchoire supérieure par l’action simultanée des muscles dilatateurs des narines et de la langue en position haute, sur la suture palatine. La ventilation mixte ou totalement buccale est un frein essentiel à la croissance transversale du maxillaire et de l’arcade dentaire. Elle devient une cause majeure de l’étroitesse du palais.

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Présentation

Langue perturbée dans son fonctionnement physiologique et voies respiratoires encombrées forment une «association de malfaiteurs» par le cumul des contraintes de l’une et de l’autre. Il est impératif de dépister précocement les troubles de la ventilation et le mauvais positionnement de la langue. Il faut réfléchir avant de sous-estimer le rôle nocif de la succion persistante du pouce, des doigts ou autres doudous qui déforment le maxillaire et poussent les dents en avant. Il ne faut pas oublier que les techniques fixes sont très contraignantes pour les adolescents car elles demandent beaucoup de coopération. Le simple fait de devoir maintenir une bonne hygiène pour éviter les caries et les taches inesthétiques réclame un effort important matin et soir. La correction des décalages demande le port d’auxiliaires comme les élastiques ou les «appareils de maison», sans parler des nécessités d’extractions ou plus sérieux, d’interventions chirurgicales. Plus courte et moins fréquente sera cette phase, mieux ce sera. Nous sommes persuadés que la conjonction des savoir-faire est utile et facile, si chacun prend conscience du rôle bénéfique qu’il peut jouer en matière de santé bucco-dentaire des jeunes enfants.

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Les traitements précoces sont bienfaisants parce qu’ils répondent à une logique fondamentale : il n’y a aucun avantage à laisser s’installer, et se développer sous nos yeux des anomalies, alors que l’enfant est en pleine croissance, donc en devenir. Avec la collaboration de tous, on pourrait rediriger les sollicitations fonctionnelles qui gouvernent les phénomènes de croissance et libérer les potentiels inhibés par toutes les contraintes que représentent les déséquilibres fonctionnels et les blocages psychologiques. Nous avons cherché à réunir aujourd’hui un ensemble de conférenciers qui, grâce à leur intervention, feront comprendre que les facteurs étiopathogéniques essentiels des anomalies que l’orthodontiste est amené à traiter, sont en place dans le vécu de nos patients dès le plus jeune âge, sous une forme apparemment anodine, qu’il ne faut pas sousestimer. Avant d’aborder l’ensemble de ces sujets, je laisse la parole au professeur Leverger, président de l’association «Enfants et santé» qui nous a fait l’honneur de se déplacer personnellement pour nous évoquer les progrès dans la prise en charge des enfants atteints de cancer.

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É. LEJOYEUX

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Traitement des cancers chez l’enfant : progrès et perspectives Guy LEVERGER, D. S OMMELET

Résumé de la conférence faite par le Groupe Français d’Études des Cancers et Leucémies de l’Enfant (GFECLE)*

Les cancers sont des maladies qui peuvent survenir à tout âge de la vie y compris chez les enfants. Plus rare que chez l’adulte, le cancer de l’enfant concerne chaque année environ mille huit cents personnes supplémentaires de moins de dixhuit ans. Ainsi, un enfant sur six cents est atteint d’un cancer et on estime aujourd’hui qu’un jeune adulte sur mille est guéri d’un cancer traité durant son enfance. Les leucémies aiguës sont les plus fréquentes des maladies malignes de l’enfant, dont elles représentent 30 % des cas, les lymphomes 10 % et l’ensemble des tumeurs solides 60 %. Certaines de ces tumeurs sont spécifiques de l’enfant, tels les néphroblastomes ou cancers du rein, les neuroblastomes ou cancers des ganglions sympathiques, et certaines tumeurs cérébrales. D’autres, telles les tumeurs osseuses, les sarcomes des tissus mous et les leucémies aiguës, sont non spécifiques et peuvent se rencontrer à tout âge de la vie. Grâce aux progrès réalisés dans le domaine des médicaments anticancéreux appelés souvent «chimiothérapie», de la chirurgie, de la radiothérapie, G. LEVERGER, D. SOMMELET, Hôpital d’Enfants Armand Trousseau, 26, avenue du Dr Arnold Netter, 75571 Paris cedex 12.

de l’imagerie et de la biologie, les chances de guérison de ces enfants sont passées de 30 % en 1970 à 75 % en l’an 2000. Tout en veillant à aider les pays plus défavorisés, l’objectif de tous les cancérologues pédiatres est d’atteindre au plus vite 100 % de guérison dans les pays socio-économiquement favorisés et de réduire au minimum les séquelles éventuellement engendrées par certains traitements. Durant ces vingt dernières années, la prévention de ces séquelles a bénéficié de très importantes avancées, tel le développement des prothèses dans les tumeurs osseuses chez des enfants qui, auparavant, étaient toujours amputés. Ces progrès sont le fruit de l’amélioration des technologies, de l’imagerie, mais aussi de l’amélioration de la chimiothérapie, qui en réduisant le volume des tumeurs permet des interventions non mutilantes. Le traitement des cancers de l’enfant repose sur des protocoles thérapeutiques régulièrement élaborés par des experts en fonction des nouvelles données scientifiques connues. Ces protocoles appartiennent au domaine de la recherche.

* Tiré sur le budget des Journées Orthodontiques, un chèque a été remis au professeur G. Leverger, à l'intention de l'association : GFECLE.

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G. LEVERGER, D. SOMMELET

Définir la meilleure stratégie thérapeutique nécessite en effet de traiter le plus grand nombre de patients de manière uniforme. C’est la raison pour laquelle l’ensemble des cancérologues pédiatres français ont associé leurs efforts depuis plusieurs années et se sont réunis au sein de divers groupements scientifiques tels que la Société Française d’Oncologie Pédiatrique, la Société d’Hématologie et d’Immunologie Pédiatrique, la Société Française de Greffe de Mœlle et plus récemment le Groupe Français d’Études des Cancers et des Leucémies de l’Enfant. A l’échelle internationale, les cancérologues français déploient une intense activité au sein de la Société Internationale d’Oncologie Pédiatrique. Le mot Recherche signifie entre autres que les observations de chaque enfant doivent être soigneusement décrites avant qu’elles ne soient enregistrées dans une base de données et que les résultats ne soient analysés. Déterminer pourquoi tel traitement efficace chez un enfant ne l’est pas chez un autre, rechercher les facteurs cliniques ou biologiques qui justifieront que certains enfants soient traités différem-

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ment afin de pouvoir guérir, tel est l’enjeu de la recherche en cancérologie pédiatrique. Enregistrer ces informations, développer de nouvelles techniques d’étude en particulier biologiques, analyser les résultats avec rigueur en faisant appel aux statistiques modernes nécessite du temps. Les équipes de cancérologie pédiatrique occupées par leurs activités de soins auprès des malades et des familles ont besoin d’aide, en particulier pour les activités de recherche clinique. Le GFECLE a permis depuis trois ans l’emploi de six médecins en France. Ceci n’est qu’un début dans l’aide à une meilleure structuration de cette recherche. L’aide de l’Association pour la Recherche contre le Cancer (ARC) a permis au GFECLE d’initier cette démarche, mais aujourd’hui, celle-ci se tourne vers des projets scientifiques plus ciblés et plus biologiques. L’Association «Enfant et Santé» a proposé son aide. Celle-ci et toutes celles qui pourraient s’offrir sont aujourd’hui indispensables au développement des progrès en cancérologie pédiatrique, qui permettront de guérir sans cesse mieux et plus d’enfants.

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La musculature des classes II, division 2 / Musculature in Class II, Division 2

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M.-J. BOILEAU, É. BARDINET, D. DORIGNAC

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Le pédiatre et la santé bucco-dentaire de l’enfant J. VALLETEAU DE MOULLAC

RÉSUMÉ Le pédiatre doit s’impliquer dans tous les aspects de la santé et du développement des enfants. Si le pédiatre manque de formation dans le domaine spécifique de la santé buccodentaire (il doit donc s’informer des possibilités de soins et de prévention), sa compétence est reconnue dans la prévention de la carie dentaire. MOTS CLÉS Pédiatre – Santé bucco-dentaire – Prévention – Carie.

1 - INTRODUCTION La Pédiatrie, médecine du développement de l’enfant, est par essence une médecine de prévention, et l’hygiène bucco-dentaire fait ou “devrait faire” partie des préoccupations de tout médecin s’occupant d’enfants au même titre que les vaccinations, la nutrition, la croissance, la prévention de l’obésité, les difficultés scolaires, etc. Le pédiatre est en effet en “première ligne” pour conseiller ou diriger les enfants

en fonction des troubles qu’ils présentent ou des questions posées par leurs parents au spécialiste adéquat. Cependant, si notre compétence est reconnue dans la prévention de la carie dentaire, dans d’autres domaines nous manquons certainement à la fois de formation, de discussions ou de rencontres avec les spécialistes concernés afin d’apporter un meilleur conseil dans le maintien de la santé bucco-dentaire.

2 - LA SANTÉ BUCCO-DENTAIRE DE L’ENFANT

J. VALLETEAU DE MOULLAC, 60, boulevard Augier, 75116 Paris.

Elle n’a plus de caractère vital dans les pays développés, car on n’y meurt plus de maladies infectieuses d’origine dentaire depuis l’apparition des antibiotiques. Cependant, son importance est capitale car elle concerne trois domaines :

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• infectieux La plupart des maladies dentaires sont d’origine infectieuse, la plus banale et la plus connue est la carie dentaire dont les accès aigus peuvent entraîner des ostéites ou des septicémies ; les infections chroniques 283


J. VALLETEAU DE MOULLAC

sont plus insidieuses car les foyers infectieux dentaires peuvent être à l’origine de problèmes dermatologiques ou oculaires, d’endocardites ou d’autres affections. Il ne faut pas négliger les parodontopathies, maladies des tissus de soutien des dents ; si les infections chroniques de la gencive (gingivites) sont réversibles, les infections atteignant les tissus profonds sont destructrices et si les enfants sont fréquemment atteints de gingivites, la destruction du parodonte ne commence en général qu’à l’âge adulte ; or, toutes les maladies du parodonte sont d’origine bactérienne, où la plaque dentaire joue un rôle fondamental ; l’élimination chez les enfants de la plaque dentaire ainsi que le détartrage régulier des dents sont des conditions certes astreignantes mais indispensables à la santé parodontale du futur adulte ;

• fonctionnel La première fonction de la denture est la mastication, rôle dévolu à la qualité des dents ; la phonation, qui est une fonction essentielle, ne peut être assurée correctement sans une parfaite intégrité des blocs incisivocanins, et certaines malpositions dentaires peuvent provoquer des défauts de prononcia-

tion, comme des positions atypiques de la langue peuvent modifier le positionnement des dents ; dans certaines professions, il est indispensable que les dents (les blocs incisivo-canins) soient parfaitement fonctionnelles et saines, en particulier chez les musiciens jouant des instruments à vent ;

• psychologique La bouche a une importance relationnelle considérable : crier, respirer, se nourrir, découvrir les saveurs et le toucher en portant les objets à la bouche, le baiser, le sourire, les pleurs en attendant d’acquérir la parole sont des fonctions essentielles dans le développement du nouveau-né et du nourrisson ; plus tard, dans la grande enfance, à l’adolescence et a fortiori à l’âge adulte, l’esthétique buccodentaire devient une préoccupation importante, gage de bien-être, de bonne santé et d’élément relationnel. «Croquer la vie à pleines dents», expression fréquemment utilisée pour exprimer le caractère volontaire et dynamique d’un individu, rend compte de l’importance psychologique que peut revêtir la santé bucco-dentaire. Il n’y a pas de bonne santé globale, sans bonne santé bucco-dentaire, et ce, quel que soit l’âge.

3 - LA SANTÉ BUCCO-DENTAIRE DE L’ENFANT POURSUIT PLUSIEURS OBJECTIFS 3 - 1 - La prévention de la carie dentaire (et des parodontopathies) C’est certainement dans ce domaine que le rôle des pédiatres et des médecins concernés par les enfants est le plus attendu, et le plus efficace. La valeur moyenne de l’indice CAO (nombre de dents cariées, absentes ou obturées) s’est considérablement améliorée dans les dernières années. Pour les enfants de 12 ans, il était de 4,20 en 1987 (1ère enquête de l’UFSBD)1 puis il a diminué à 3,02 en 1990, 2,07 en 1993, et 1,94 en 1998. Rappelons que l’objectif O.M.S. pour 2010 est un indice CAO égal à 1 pour les 1 Union Française pour la Santé Bucco-Dentaire.

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enfants de 12 ans. Le nombre de dents cariées, absentes ou obturées chez ces enfants de 12 ans s’est donc réduit de plus de 50 % en un peu plus de 10 ans, ce qui est considérable, alors qu’en même temps dans cette population, l’hygiène bucco-dentaire ne s’est que peu ou pas améliorée. En effet, un contrôle régulier de la plaque dentaire, de la présence de tartre, et de l’incidence des gingivites au cours de ces années prouve le peu d’intérêt, et le manque d’informations, voire le peu d’impacts des conseils médicaux dans ce domaine. La situation se serait même légèrement aggravée. Il paraît vraisemblable que les fluorures reçus par ces enfants aient été le principal facteur de la diminution de l’incidence de ces caries puisque aucune modification des modes de vie n’a influencé la Rev Orthop Dento Faciale 36 : 283-287, 2002


Le pédiatre et la santé bucco-dentaire de l’enfant

surconsommation des sucres, la fréquence de contact de ceux-ci avec les dents au cours de la journée ou le soir, au coucher, et le peu d’engouement pour le brossage des dents. Il faut cependant insister sur l’hygiène alimentaire : la surconsommation des sucres, le grignotage permanent, le petit bonbon le soir au coucher, le biberon de lait ou d’eau sucré en permanence dans la bouche, voire au coucher, sont autant de facteurs de risques qu’il faut absolument combattre. Cela doit être épaulé bien sûr par le brossage régulier des dents avec du matériel adapté aux enfants. Le brossage des dents peut commencer dès l’âge de 2 ans. Il doit être prolongé plusieurs minutes avec des mouvements alternants en essayant de toucher toutes les faces internes et externes des dents et en utilisant du dentifrice fluoré, en évitant une trop grande concentration. L’UFSBD recommande de ne pas utiliser de dentifrices fluorés jusqu’à l’âge de 3 ans, puis dosés entre 250 et 600 ppm de 3 à 6 ans, avec un brossage des dents 2 fois par jour. Il paraît vraisemblable qu’en utilisant des dentifrices fluorés à 250 ppm (à l’état de traces sur la brosse jusqu’à 2 ans et la taille d’un petit pois après 2 ans) permettrait d’éviter tout risque de fluorose. Le fluor, comme nous l’avons déjà signalé, a certainement le plus contribué à la très nette diminution des caries. Cependant, si ce fait est indéniable, on voit apparaître de plus en plus de fluoroses, et l’administration de fluor devient un grand sujet de controverses (en particulier aux Etats Unis) qui pourrait aboutir à court terme à un malaise chez les prescripteurs, (pédiatres, médecins généralistes, voire chirurgiensdentistes), et les familles, réticentes à le donner à leur enfant. Si le fluor est le meilleur agent cario-prophylactique, ce n’est pas pour aboutir à une fluorose, déplorable à la fois sur le plan esthétique et fonctionnel. L’étude réalisée par l’UFSBD en 1998 indique que 2,75 % des enfants de 12 ans présentaient une forme de fluorose et que 8,8 % de ces enfants présentaient un stade douteux sans préjudice esthétique ; heureusement aucun de ces enfants n’a présenté une fluorose grave.

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Le problème du surdosage du fluor est souvent lié à des erreurs. Soit les parents ont voulu trop bien faire, ont donné des produits fluorés en trop grande quantité, par exemple du sel fluoré sans le savoir ou de l’eau minérale sans faire attention à la quantité de fluor contenue ou des dentifrices trop concentrés. Cet apport supplémentaire de fluor inapproprié (surtout avec le dentifrice) pourrait rendre compte de 25 % des fluoroses constatées chez les enfants de 2 à 10 ans, dans les zones où l’eau est fluorée à moins de 1ppm. Les jeunes enfants ont un réflexe de déglutition immature et avalent plus de 50 % de dentifrice entre 2 et 4 ans, 30 % entre 4 et 6 ans, et encore 10 % après 6 ans. La quantité de fluor ingéré dépend donc à la fois de la concentration du dentifrice et de la manière dont l’enfant crache et se rince la bouche après le brossage. Soit par effet cumulatif. En effet, le fluor du dentifrice qui devrait avoir un effet purement topique, a un effet systémique s’il est avalé, alors que le comprimé de fluor sucé qui ne devrait avoir qu’un effet systémique pourrait avoir aussi un effet topique. C’est la raison pour laquelle il faut trouver un équilibre entre bénéfices et risques. Il nous faut donc personnaliser et adapter la prescription de fluor en fonction : – de l’apport spontané par les sources naturelles que sont l’eau, le sel, le dentifrice, ce qui nécessite un bilan fluoré précis de ce que l’enfant peut ingérer. Certaines eaux minérales utilisées pour la confection des biberons sont très riches en fluor. Les parents doivent être attentifs à l’étiquetage de l’eau qu’ils utilisent, (en particulier l’eau Hépar largement utilisée quand le nourrisson est constipé contient des doses très importantes de fluor) ; – des habitudes alimentaires ; l’enfant mange-t-il beaucoup de sucreries ? Est-il un adepte du biberon le soir ? Grignote-t-il ? Ou absorbe-t-il beaucoup de boissons sucrées ? – du milieu socio-économique ; il y a d’autant plus de caries que le milieu socioéconomique est faible ; mais aussi de la capacité des parents à comprendre les recommandations.

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Les recommandations générales de l’UFSBD, établies en 1998, sont les suivantes : • «le sel fluoré est la méthode communautaire offerte à tous et utilisable dès le début de la diversification de l’alimentation de l’enfant ; • les comprimés, ou gouttes, fluorés ne doivent pas être prescrits : - lorsque l’eau naturelle comporte 0,3 mg/l (ou ppm) de fluor ou plus ; - lorsque l’enfant consomme du sel fluoré ; - lorsque l’enfant bénéficie d’un brossage régulier avec un dentifrice fluoré ; - aux enfants ou groupes d’enfants à risque élevé de caries, qui devront être délivrés des compléments médicamenteux fluorés sous prescription du pédiatre ou du chirurgien-dentiste. Comment prescrire le fluor par voie générale ? Actuellement les auteurs américains et européens retardent de 6 mois le supplément d’apport de fluor et ne le préconisent que lors de l’éruption de la première dent, pour cumuler effet topique et effet systémique. Il faut noter cependant que ces recommandations sont en désaccord avec celles de l’AFSSAPS 2 qui le recommande dès la naissance. Il semble que la prescription pendant la grossesse n’ait aucun intérêt. La dose de fluor à administrer selon les recommandations de l’UFSBD, comme celles des académies américaines et européennes dépendent de l’eau, qu’il s’agisse de l’eau minérale ou de l’eau de distribution. Si l’eau contient moins de 0.3 ppm de fluor et si l’enfant présente un risque carieux la dose moyenne de fluor conseillée, tous apports confondus, est de 0,25 mg pendant 3 ans puis de 0,5 mg de 3 à 6 ans, et de 1 mg à partir de 6 ans. Dans les régions où l’eau contient plus de 0,6 ppm de fluor aucun apport supplémentaire ne devrait être fait. 2 Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits

de Santé.

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Age

< 0,3ppm

0,3 - 0,6 ppm 0,6 ppm

0 à 6 mois

rien

rien

rien

6 à 36 mois

0,25 mg

rien

rien

30 mois à 6 ans

0,50 mg

0,25 mg

rien

> 6 ans

1 mg

0,50 mg

rien

Tableau I Doses d’apport journalier supplémentaire en fluor recommandées selon la teneur de l’eau de boisson

Il faut bien sûr apporter du fluor par voie locale, par dentifrices, et recommander aux enfants quand ils le peuvent de sucer le comprimé de fluor avant le coucher. Les applications de gel, vernis ou bains de bouche au fluor sont certes efficaces, mais doivent être gérés par le chirurgien-dentiste. La prévention de la carie repose donc sur trois éléments fondamentaux : - la diminution des apports sucrés ; - le brossage régulier des dents avec un dentifrice raisonnablement dosé en fluor ; - et surtout l’administration de fluor, par voie générale, en tenant compte de tous les éléments permettant de faire un bilan précis de l’apport fluoré afin de limiter le risque de fluorose.

3 - 2 - La prévention des troubles de l’occlusion C’est un domaine dans lequel nous sommes sûrement moins performants que pour la prévention de la carie dentaire. Nous savons qu’il faut privilégier la mastication des aliments croquants qui, non seulement favorisent le développement des arcades dentaires et la qualité de la denture, mais aussi de toute la musculature oro-faciale. L’allaitement maternel prolongé aurait un effet très bénéfique. Est-ce là un argument suffisant pour inciter à l’allaitement maternel prolongé ? Et comment lutter contre la facilité que procure aux parents l’administration à leur enfant d’aliments fluides vite engloutis ? Nous savons que la succion des doigts ou de la tétine est une cause importante de Rev Orthop Dento Faciale 36 : 283-287, 2002


Le pédiatre et la santé bucco-dentaire de l’enfant

déformation du maxillaire et peut même freiner la croissance antérieure de la mandibule. Il est cependant très difficile de modifier le comportement d’un individu. Un enfant suce volontiers un doigt ou la tétine quand il est fatigué, anxieux, qu’il a besoin de se sentir rassuré pour s’endormir… etc. Cette succion ne doit donc pas devenir la cause d’un conflit entre parents et enfant, qui pourrait avoir l’effet inverse de celui recherché. Il faut donc être patient et essayer de raisonner l’enfant. Nous savons qu’une obstruction nasale chronique, une respiration strictement buccale peut entraîner des anomalies de développement mandibulaire. Il faut savoir demander l’avis de l’O.R.L. et de l’orthodontiste car un geste chirurgical sur des végétations ou des amygdales hypertrophiées peut avoir un effet bénéfique dans ce domaine, même en l’absence des autres indications classiques. Une mauvaise position de la langue peut avoir des répercussions sur la phonation et l’occlusion dentaire. Il peut être nécessaire

alors de confier l’enfant à un orthophoniste, ce que font d’ailleurs souvent les orthodontistes avant de démarrer leur traitement. Une hypertrophie du frein de la langue peut à long terme entraîner des anomalies de développement néfastes au bon développement de l’articulé dentaire. Une intervention sur le frein de la langue à un âge avancé devient une intervention extrêmement délicate quand la musculation du plancher de la bouche s’est développée, alors que sa section dès la naissance est un geste particulièrement banal. Voici donc quelques éléments de prévention dans les troubles de l’occlusion, pour lesquels les médecins d’enfants pourraient avoir un rôle préventif. Le problème des traumatismes dentaires et de leurs conséquences, qui font partie intégrante de la santé bucco-dentaire de l’enfant, relève quasi exclusivement du spécialiste sur le plan technique et nous échappe le plus souvent car il se produit dans l’urgence.

4 - PRÉVENTION ET CONSULTATIONS SYSTÉMATIQUES Une question reste donc posée, à laquelle il n’est pas toujours facile de répondre. A partir de quel âge faut-il montrer les enfants aux chirurgiens-dentistes ou à l’orthodontiste ? L’idéal ne serait-il pas d’envisager une consultation annuelle pour un contrôle et soins dentaires à partir de l’âge de 3 ans, et ce d’autant qu’il existe un risque cariogène élevé, et une consultation en orthodontie à partir de l’âge de 6 ans, s’il existe de nombreux facteurs de troubles de l’occlusion. A quel âge peut-on envisager un détartrage si l’on constate déjà des plaques chez un petit nourrisson ? La réponse à ces questions repose sûrement sur des rencontres et dialogues plus fréquents entre les différents spécialistes concernés. La place des pédiatres dans la santé bucco-dentaire de l’enfant est très importante. En effet, les parents le voient souvent

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et lui font confiance. Les enfants ne le craignent pas. Ses conseils sont écoutés et suivis. Le pédiatre doit s’impliquer dans tous les aspects de la santé et du développement des enfants. Il doit donc s’informer des possibilités de soins et de prévention dans le domaine spécifique de la santé bucco-dentaire. Cependant, il faut l’avouer, nous manquons cruellement de formation dans ce domaine, et c’est la raison pour laquelle il faut nous former auprès de nos collègues c h i r u rgiens-dentistes ou orthodontistes, afin d’améliorer nos performances dans cette prévention, mais aussi de pouvoir répondre aux questions que les parents nous posent dans ce domaine. Sachons donc effectuer les efforts qui s’imposent afin d’offrir à nos enfants les meilleures chances de «croquer la vie à pleines dents».

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Le pédiatre et la santé bucco-dentaire de l’enfant

1 Union Française pour la Santé Bucco-Dentaire 2 Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé

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Conduites alimentaires et croissance des arcades dentaires Michel L IMME

RÉSUMÉ Les fonctions d’alimentation vont jouer, dès le plus jeune âge, un rôle important pour la croissance des mâchoires et des arcades dentaires. Dès la naissance, l’allaitement naturel au sein maternel est une matrice fonctionnelle puissante pour stimuler la croissance, notamment de la mandibule, grâce aux mouve ments de propulsion. Lors de l’éruption des incisives temporaires, c’est la fonction «préhension / morsure» qui prend le relais. Avec l’apparition des molaires temporaires, la relation d’intercuspidation s’installe et la mastication commence à s’élaborer. Deux paramètres vont conditionner la qualité des cycles masticateurs, d’une part les propriétés rhéologiques des aliments, leur texture et leur dureté, et d’autre part, le type constitutionnel du sujet, musculaire et morphologique. Dans les cas favorables, une occlusion attritionnelle se développe en denture tempo raire, signe que les processus de croissance sont bien stimulés. Au contraire, dans les cas défavorables, l’usure dentaire n’apparaît pas. Les stimulations fonctionnelles étant insuf fisantes, les arcades ne s’élargissent pas assez, entraînant des encombrements prévisibles pour l’éruption des incisives permanentes et/ou des occlusions croisées unilatérales avec latéroglissement mandibulaire. De plus, le déverrouillage occlusal n’étant pas réalisé par l’absence de nivellement progressif des reliefs cuspidiens, la mandibule peut rester bloquée dans des positions distales. Des traitements précoces, préventifs et interceptifs, peuvent être engagés, mais il faut avant tout instaurer ou retrouver une mastication efficace alternée et symétrique en évi tant les aliments attendris et ramollis. MOTS CLÉS M. E. F. LIMME, Institut de Dentisterie, Bd de la Constitution, 78, Liège 4020, Belgique.

Mastication - Texture des aliments - Type morphologique - Occlusion attritionnelle Occlusion croisée latérale - Encombrement dentaire - Distoclusion - Prévention Interception.

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1 - INTRODUCTION L’appareil masticateur constitue une région de la face qui va connaître une croissance considérable depuis la naissance jusqu’à l’âge adulte. Cette croissance va d’ailleurs s’accompagner du remplacement progressif de toutes les dents temporaires par les dents permanentes. Ce passage de la denture temporaire à la denture permanente va nécessiter de nombreux processus de croissance, d’expansion et d’adaptation de la part des structures alvéolo-dentaires, afin d’obtenir un alignement régulier de la denture et sa mise en occlusion correcte. Il n’est donc pas étonnant que, au cours des années, de multiples perturbations, d’origine génétique ou acquise, puissent interférer et provoquer l’apparition de dysharmonies et de dysmorphoses dento-maxillo-faciales. S’il n’est pas encore possible aujourd’hui de prévenir ou d’intercepter des anomalies d’origine héréditaire ou congénitale, en revanche, les anomalies d’origine «acquise» pourraient le plus souvent être évitées ou interceptées précocement. Parmi ces influences acquises de l’environnement, le contexte fonctionnel de la

cavité buccale va jouer un très grand rôle. Si les différentes fonctions (respiration, mastication, déglutition, phonation, contexte postural, …) s’installent et se réalisent de manière correcte et efficace, elles produiront des stimulations de croissance qui, chez l’enfant, permettront le développement normal de l’appareil masticateur. Malheureusement, souvent ces fonctions peuvent être déviées, anormales ou perturbées. C’est la cas notamment lorsque existe : – un allaitement artificiel ; – l’absence de fonction «préhension / morsure» entre les incisives ; – l’absence d’une mastication unilatérale alternée efficace ; – une déglutition atypique ; – la persistance de tics de succion ; – une respiration buccale habituelle ; – un équilibre postural déplacé. Parmi tous ces contextes dysfonctionnels, les conduites alimentaires vont jouer un rôle essentiel car elles constituent – on l’oublie trop souvent – les premières fonctions dévolues à l’appareil masticateur.

2 - L’ALLAITEMENT DU NOUVEAU-NÉ L’alimentation est une fonction qui se met en place très tôt dans la vie de l’enfant. En fait c’est très peu de temps après la naissance que l’enfant va être confronté à la nécessité de s’alimenter. Heureusement, il dispose de la fonction succion / déglutition qui s’est mise en place au cours de la vie intra-utérine. En effet au cours des derniers mois de la grossesse, l’enfant a appris à sucer, notamment son pouce ou un autre doigt, mais aussi il a appris à déglutir des quantités croissantes de liquide amniotique. Il est donc parfaitement prêt à la naissance pour pouvoir s’alimenter lui-même grâce à sa fonction de succion / déglutition. 290

La bouche du jeune enfant et la conformation de ses mâchoires à cet âge présentent des caractéristiques tout à fait particulières (fig. 1). – Tout d’abord il n’y a aucune dent temporaire dans la bouche du nouveau-né ; celles-ci ne feront en effet leur éruption que plusieurs mois plus tard. L’enfant ne dispose donc que de ses bourrelets gingivaux tapissant les crêtes alvéolaires pour l’aider dans son alimentation. – La crête alvéolaire supérieure présente dans sa partie antérieure un élargissement antéro-postérieur, une sorte de plateau incisif (Schwarz11) qui peut faire de Rev Orthop Dento Faciale 36 : 289-309, 2002


Conduites alimentaires et croissance des arcades dentaires

Figure 1 Schéma illustrant, en vue latérale, la forme et la situation des mâchoires chez le nourrisson ; lors de la tétée au sein maternel, la mandibule effec tue des mouvements de propulsion pendant que le mamelon est happé à l’intérieur de la cavité buc cale.

8 à 10 mm de longueur et qui va être très important pour l’appui du mamelon pendant la tétée au sein maternel. Au contraire à l’arcade inférieure, il n’y a pas de plateau incisif mais seulement une crête étroite. – Il existe habituellement un décalage sagittal entre les deux mâchoires, la mâchoire inférieure étant située en retrait, en arrière par rapport à la supérieure. C’est la classique distoclusion habituelle du nouveauné. La mandibule aura donc à réaliser une croissance importante vers l’avant afin de rattraper ce décalage au cours des premiers mois et des premières années de la vie. – La mandibule présente encore son caractère «infantile» avec notamment un très court ramus. Il en résulte que le condyle mandibulaire se situe pratiquement au même niveau vertical que le plan de l’alimentation. – Il n’existe pas encore de cavité glénoïde et la pente condylienne est donc pratiquement horizontale. Autrement dit, les mouvements d’avancée du condyle accompagnant la propulsion mandibulaire consistent essentiellement en un véritable mouvement quasi horizontal de la mandibule vers l’avant. Ces mouvements de propulsion mandibulaire, qui constituent une des composantes essentielles de la tétée au sein materRev Orthop Dento Faciale 36 : 289-309, 2002

nel, vont donc engendrer des mouvements bilatéraux et très horizontaux des condyles vers l’avant, dont on sait les stimuli qu’ils représentent pour la croissance de la mandibule. Toutes ces caractéristiques sont particulièrement bien adaptées à la fonction d’alimentation du nouveau-né à savoir l’allaitement physiologique au sein maternel. En effet lors de la tétée physiologique, le sein est happé et le mamelon étiré en longueur, reposant sur le plateau incisif supérieur. L’activité labiale doit être intense pour permettre l’apparition d’un joint étanche, telle une ventouse autour du sein maternel ; la propulsion mandibulaire est importante afin de réaliser un mouvement et un travail de massage en synergie avec les mouvements de la langue et enfin l’enfant développe une intense dépression intra-buccale permettant une aspiration efficace. L’ensemble de ces activités, bien décrites par Gaspard2 et Raymond 7 entre autres, fait que l’allaitement physiologique au sein maternel est une fonction active et donc très stimulante sur les processus de croissance. Comme le signale Raymond 7, le lait sort «en jet» ; le sein doit être considéré comme une pompe. C’est en fait le travail musculaire de l’enfant qui contrôle le débit du lait. Malheureusement, à notre époque, beaucoup d’enfants sinon la plupart, n’ont pas la chance de connaître la tétée au sein maternel. En effet ils sont alimentés «artificiellement» au biberon. Or il s’agit ici d’une fonction beaucoup moins active et donc beaucoup moins stimulante. On peut même dire dans certains cas qu’il s’agit d’une activité très «passive». En effet, lors de l’allaitement artificiel au biberon, la tétine est beaucoup moins aspirée et beaucoup moins loin en bouche ; les lèvres sont moins toniques, la propulsion mandibulaire est moindre. On assiste surtout à des mouvements verticaux d’écrasement de la tétine qui bien souvent suffisent à faire sortir le lait hors du biberon ; il n’est souvent pas nécessaire de créer une dépression importante car le lait «coule» hors du biberon et les mouvements de la langue, le péristaltisme lingual, est beaucoup moins tonique. Le biberon doit être considéré ainsi que le dit Raymond 7, comme un réservoir passif. Et ce sont la 291


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pesanteur, l’importance des trous dans la tétine et les entrées d’air qui vont contrôler le débit du lait mais non plus le travail musculaire de l’enfant. Or, dans les semaines qui suivent la naissance, le potentiel de croissance est extraordinaire et d’une importance que, plus jamais, l’enfant ne rencontrera par la suite. En effet en l’espace de neuf mois, on est passé de deux cellules à un nouveau-né qui mesure près de cinquante centimètres. Cinquante centimètres de croissance staturale en neuf mois de grossesse c’est une quantité de croissance absolument exceptionnelle et qui dépasse de très loin tous les pics de croissance que pourra connaître l’enfant par la suite. Bien sûr ce taux de croissance va rapidement décroître durant les premiers mois, mais au cours de cette période, des pos-

sibilités de réponses des différents sites de croissance aux sollicitations fonctionnelles sont immenses et il ne faut pas en priver le nouveau-né. Nous ne pouvons pas oublier que nous sommes des mammifères et comme ce nom l’indique, c’est ce moyen que la nature a développé pour l’alimentation des bébés mammifères. Seul l’homme a cru pouvoir se dégager de cette contrainte en inventant, il y a près de deux siècles, le biberon. Si à cette époque on avait pu penser que le biberon était un substitut parfait de l’allaitement au sein, il n’en est plus de même aujourd’hui car on sait que les activités musculaires que doit développer l’enfant sont bien différentes, bien moins importantes et donc bien moins génératrices de stimulations de croissance.

3 - LA FONCTION PRÉHENSION / MORSURE Bébé a grandi ; il a maintenant 6 mois et ses premières incisives temporaires inférieures viennent de faire leur éruption en bouche. Elles seront suivies dans les prochains mois par les premières incisives temporaires supérieures. C’est l’époque où l’enfant va découvrir qu’il peut attraper, pincer, serrer un objet entre ses incisives. C’est la découverte de la fonction préhension / morsure (fig. 2). Or

Figure 2 Mouvement de préhension / morsure (avec pro pulsion mandibulaire) lorsque les incisives tem poraires ont fait leur éruption. 292

celle-ci nécessite elle aussi d’importants mouvements de propulsion mandibulaire afin de permettre l’affrontement des incisives en bout à bout. Cette fonction devrait jouer un rôle important dans les stimulations de croissance car elle apparaît à une période où elle vient en quelque sorte se substituer progressivement à la tétée qui est en phase de régression ou d’arrêt, ce qui permet de continuer à solliciter les mouvements de propulsion mandibulaire. C’est une fonction très développée, notamment chez les rongeurs, mais aussi chez nos lointains cousins que sont les singes. Au contraire, chez l’homme moderne, c’est une fonction qui a été progressivement complètement abandonnée en raison de notre mode de vie et de notre type d’alimentation. Pratiquement, plus jamais nous ne réalisons cette morsure en bout à bout. Malheureusement, l’enfant non plus n’est plus guère stimulé à réaliser ces mouvements de préhension et d’incision antérieures. En effet, lorsque, par exemple, des parents veulent, pour la première fois, donner du pain à leur jeune enfant, très souvent, dans un souci apparemment louable, ils vont s’empresser d’enlever la croûte du pain. C’est une erreur. Il faut Rev Orthop Dento Faciale 36 : 289-309, 2002


Conduites alimentaires et croissance des arcades dentaires

au contraire laisser les croûtes du pain et même les privilégier car elles nécessitent de la part de l’enfant ce travail de préhension / morsure qui sera générateur de stimulations de croissance, notamment pour la mandibule. Mais il faut bien reconnaître qu’aujourd’hui, la texture des aliments proposés ainsi

que les changements d’habitude et de comportement ne vont guère encourager nos jeunes enfants à réaliser une véritable gymnastique avec leur appareil masticateur. À nouveau, les processus de croissance ne pourront pas s’exprimer complètement si les comportements fonctionnels naturels ne sont pas suffisamment développés.

4 - LA MASTICATION À l’âge d’un an, ce sont les premières molaires temporaires, inférieures et supérieures, qui font leur éruption et vont entrer en occlusion. Cet événement sera pour l’enfant l’objet de plusieurs découvertes. Tout d’abord, il va se rendre compte pour la première fois qu’il existe une limite verticale, une dimension verticale imposée par une occlusion dentaire lors d’un simple mouvement de fermeture de la bouche. D’autre part, cette occlusion dentaire se fera lors de l’intervention d’un engrènement des surfaces occlusales antagonistes (fig. 3). Les rapports et les contacts que vont contracter entre eux les sillons et les cuspides antagonistes vont définir, pour la première fois, une position de référence fixe de la mandibule par rapport au maxillaire. Cette première relation d’intercuspidation va en quelque sorte verrouiller les relations sagittales et transversales

Figure 3 Mise en place de l’intercuspidation lors de l’éruption des premières molaires temporaires. Rev Orthop Dento Faciale 36 : 289-309, 2002

entre les mâchoires. Il est donc possible de pouvoir établir cliniquement dès cet âge une première appréciation des rapports maxillomandibulaires et donc de pouvoir détecter très tôt d’éventuels inversions ou décalages de l’occlusion dentaire. Cette intercuspidation initiale va en outre jouer le rôle important d’une «grandeur à suivre» pour assurer la coordination de la croissance des deux mâchoires. Au cours des mois qui suivront, ce seront les canines et les secondes molaires temporaires qui feront leur éruption. Ainsi vers l’âge de deux ans la denture temporaire est complète et parfaitement fonctionnelle. Au début, des mâchonnements un peu hésitants vont se mettre en place. Puis avec l’apprentissage et l’expérience, les mouvements vont se complexifier, se spécialiser et se structurer vers une mastication de plus en plus élaborée et efficace. Or celle-ci ne consiste pas uniquement en des mouvements verticaux d’élévation et d’abaissement de la mandibule. De tels mouvements, exclusivement verticaux, seraient très peu efficaces pour traiter le bol alimentaire. En effet, lorsque l’on veut écraser des grains de blé avec une meule, celle-ci ne frappe pas verticalement les grains mais au contraire se déplace transversalement dans un mouvement de rotation pour réaliser son travail d’écrasement. L’appareil masticateur procède de même : des cycles masticateurs vont se développer et se structurer pour assurer l’écrasement des aliments (fig. 4 et 5). Les cycles masticateurs se développent à partir d’une position de repos, la mandibule 293


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Figure 4 Cycle masticateur lors d’une mastication à droite.

Figure 5 Phase terminale du cycle masticateur avec mou vement centripète des dents inférieures permet tant l’écrasement par friction.

s’abaissant d’abord du côté opposé comme si elle voulait prendre son élan. Puis la mandibule va être déportée largement vers le côté masticateur pour s’élever vers sa position d’intercuspidation en réalisant, à la fin du cycle, un mouvement de glissement centripète des dents inférieures, créant ainsi une large zone d’écrasement par frottement. C’est là que se trouve la partie active d’un cycle masticateur : non pas des points de contact qui résulteraient d’un mouvement strictement vertical, mais au contraire de larges surfaces de friction résultant d’un mouvement de déboîtement latéral. En outre, la mastication doit être du type «unilatéral alterné» : on utilise un seul côté pour mastiquer, mais alternativement à gauche et à droite. De plus chez un individu normalement équilibré, les cycles masticateurs doivent être symétriques en forme, en amplitude et en énergie dépensée. Ainsi toute mastication qui se réaliserait habituellement de manière asymétrique ou exclusivement d’un seul côté de la bouche devrait être considérée comme anormal sur le plan fonctionnel. De la même manière que nous marchons avec nos deux jambes, nous devons mastiquer alternativement des deux côtés. Il s’agit là de caractéristiques apparemment banales de la physiologie de la mastication mais pourtant essentielles en ce qui concerne

le développement de l’appareil masticateur, comme l’a très bien compris et expliqué Planas6.

4 - 1 - Nature et texture des aliments Il est aujourd’hui bien connu que les caractéristiques rhéologiques, la texture et la dureté des aliments vont conditionner la plupart des paramètres caractérisant des cycles masticateurs (Peyron et Woda5). En présence d’aliments mous, attendris ou semi-liquides, il ne sera pas nécessaire de développer des cycles masticateurs très larges ni une très grande quantité de travail musculaire. En effet, ces aliments ne nécessitent pas de longues triturations ni le développement de larges mouvements latéraux. Des cycles masticateurs plutôt étroits et de faible amplitude suffisent habituellement. Au contraire, en présence d’aliments durs, résistants, coriaces, non attendris, non ramollis, la mastication devra s’adapter en décrivant des cycles plus larges et en développant un travail musculaire plus important. Les performances masticatrices seront donc largement dépendantes de la qualité des aliments. Mais il est clair que la règle du «moindre effort» ou de la dépense énergétique minimale, sera habituellement d’application et qu’il ne faut donc pas s’attendre au dévelopRev Orthop Dento Faciale 36 : 289-309, 2002


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pement de cycles masticateurs puissants en présence d’aliments pâteux ou semi-liquides. Or dans ce domaine, il faut bien reconnaître que notre alimentation moderne peut, à bien des égards, être considérée comme une alimentation «dégénérée» par rapport à la mastication. Au fil des siècles, et en particulier au cours des trois derniers, mais aussi des dernières décennies, l’alimentation de l’homme, devenu de plus en plus civilisé, a connu de profondes modifications progressives mais peut-être malheureusement irréversibles, qui sont toujours allées dans le même sens, à savoir une réduction de la dureté des aliments parallèlement à une augmentation de leurs pouvoirs énergétiques. Il suffit de regarder autour de nous, dans les écoles, dans les familles ou encore chez nos patients, mais aussi dans les rayons d’alimentation des grandes surfaces ou encore au fil des publicités qui nous sollicitent quotidiennement. Quelles sont aujourd’hui les habitudes alimentaires et où vont les préférences des enfants en la matière ? Demandez aux enfants s’ils aiment les pommes. Souvent on vous répondra : «oh ! oui, j’aime la bonne compote de maman !», cette compote qui nécessite si peu de mouvements masticateurs mais qui est si délicieuse avec tout ce sucre ajouté ! Et si vous interrogez les enfants au sujet de leurs préférences quant à la viande, le plus souvent on vous répondra : «le steak haché ou la saucisse !» À nouveau des aliments sélectionnés pour leur texture ne nécessitant guère de travail musculaire. Et si vous ajoutez à la compote et au steak haché la purée de pommes de terre, vous avez un repas type, sans doute relativement bien équilibré sur le plan nutritionnel, mais combien désastreux quant aux sollicitations musculaires qu’il nécessite. Croquer des carottes ou des radis, manger des crudités ou plus généralement tous les légumes, sont des habitudes peu fréquentes chez les enfants. Ils leur préfèrent habituellement des plats de légumes hachés fins, préparés en sauce, d’ailleurs le plus souvent industriellement. Quant aux pain complet, pain aux sept céréales ou autres pains de seigle, ils sont généralement abandonnés au profit d’un pain mou issu de la restauration rapide et dont sont si friands les enfants, probablement parce qu’ils éprouvent moins de difficultés à les Rev Orthop Dento Faciale 36 : 289-309, 2002

mastiquer. Les graines de diverses natures et autres fruits secs, aliments qui ont certainement constitué une bonne part de l’alimentation chez nos lointains ancêtres, sont souvent également relégués au profit de sucreries, dont le goût acidulé, la diversité des couleurs et la texture molle, ont un succès unanime auprès des enfants. Et voici, sans doute identifiée la plus nocive déviation dans notre alimentation moderne : le sucre. Le sucre est un aliment très bon marché mais très énergétique. Il n’est donc pas étonnant qu’il soit rapidement devenu un élément essentiel dans notre alimentation moderne. Il y a deux siècles, un français consommait en moyenne 1 kilo de sucre par an. Aujourd’hui, la consommation moyenne par habitant est passée à plus de 80 kg de sucre par an. Cela a eu comme on le sait des effets désastreux sur l’état de la santé dentaire, par la multiplication des caries, mais cela a aussi des effets très nocifs, moins directs et apparemment moins évidents, quant à la croissance de l’appareil masticateur chez l’enfant. En effet, plus on absorbe d’aliments très énergétiques, moins il faudra de quantité d’aliments pour subvenir à nos besoins et donc moins il faudra produire de mastication. Si de plus les aliments sont fournis sous une forme ramollie, ils nécessiteront encore moins de travail musculaire de la part de l’appareil masticateur. Or la situation est encore bien plus grave qu’on ne peut le penser car, à notre époque, les enfants absorbent pratiquement sans s’en rendre compte, des quantités considérables de sucre dans des boissons acidulées, qui font aujourd’hui partie pratiquement de l’alimentation normale de la plupart des enfants, mais qui jouent sans doute le rôle détestable de «coupe faim» avant ou pendant les repas. Imaginons un instant que pour absorber l’équivalent énergétique d’une de ces boissons, qui n’a nécessité absolument aucun travail masticateur, l’un de nos lointains ancêtres aurait dû mastiquer une demi-betterave sucrière !

4 - 2 - Type constitutionnel À côté de la texture des aliments, un second paramètre va conditionner les performances masticatrices ainsi que les carac295


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Figure 6 Type morphologique hypodivergent, correspon dant au type musculaire «massétérin» de Schwarz et au type «deep bite squelettique» de Sassouni.

Figure 7 Type morphologique hyperdivergent, correspon dant au type musculaire «temporal» de Schwarz et au type «open bite squelettique» de Sassouni.

téristiques des cycles masticateurs. Il s’agit du type constitutionnel, morphologique et musculaire, que chacun présente. Ces types ont été largement décrits par le passé (Schwarz11 et Sassouni 10). Classiquement on peut reconnaître, d’une part : – le type morphologique correspondant au deep bite squelettique de Sassouni10 et au type «Masseterkauern» de Schwarz 11 (fig. 6) ; il s’agit de sujets présentant souvent des faces larges mais courtes avec écrasement vertical de l’étage inférieur, mandibule très carrée et puissante avec bord inférieur très horizontal, peu divergente, profil sousnasal concave. Sur le plan fonctionnel, ces sujets présentent une musculature très développée et très puissante avec une prédominance d’activité des muscles massétérins ; – d’autre part, le type facial open bite squelettique de Sassouni10, qui correspond au type «temporaliskauern» de Schwarz11 (fig. 7) : il présente une face souvent étroite mais allongée verticalement, surtout au niveau de l’étage inférieur ; une ossature et en particulier une mandibule d’aspect plus gracile avec un angle goniaque beaucoup plus ouvert, plus divergent ; le profil est habituellement beaucoup plus convexe. La musculature est beaucoup moins développée, à la fois par une réduction des surfaces d’insertion musculaire et par un moindre volume des masses musculaires. Il en résulte une plus grande faiblesse du travail musculaire.

Il est évident que dans le premier cas, l’enfant est parfaitement armé pour développer des cycles masticateurs puissants et il ne rechignera pas devant une alimentation dure, fibreuse, consistante. Au contraire, le sujet hyperdivergent, moins bien équipé sur le plan musculaire, qui ne pourra pas développer autant de force avec ses muscles masticateurs, aura donc une mastication sans doute moins efficace. Cette typologie est-elle un caractère inné ou acquis ? Il n’existe pas encore de réponse permanente à ce sujet mais il paraît aujourd’hui clair que ces types morphologiques résultent vraisemblablement d’une interaction entre l’inné et l’acquis. Il y a sans doute une donne constitutionnelle, héréditaire, quant à la nature biochimique des fibres musculaires et leur distribution respective dans les différents muscles, ainsi que des caractères innés dans le contrôle neurologique de ces activités musculaires.

4 - 3 - Occlusion attritionnelle en denture temporaire Si l’on croise les deux paramètres que sont d’une part la qualité des aliments et d’autre part le type constitutionnel des sujets, on peut observer dans la nature une très grande variété de situations fort différentes. Si l’on veut comparer les situations les plus diamétralement opposées Rev Orthop Dento Faciale 36 : 289-309, 2002


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que peut nous offrir la nature, il est raisonnable de penser qu’il puisse exister des phénomènes d’interaction entre ces deux types de paramètres. Ainsi parmi toutes les bouches de jeunes enfants qu’il nous est donné d’observer, il en existe qui regroupent toutes les conséquences de ces interactions entre la texture des aliments d’une part et le type constitutionnel d’autre part. D’un côté (fig. 8), on peut rencontrer des enfants présentant un type constitutionnel robuste avec une musculature puissante et à qui on va donner habituellement des aliments durs, coriaces, fibreux. Ces enfants vont développer des cycles masticateurs larges pour assurer la trituration des aliments et ils vont pour cela développer un travail musculaire très important. L’énergie dissipée dans ces mouvements de friction transversale va progressivement provoquer une usure, une attrition des cuspides des dents antagonistes dans les secteurs latéraux. Progressivement les reliefs occlusaux vont se niveler et les surfaces occlusales vont devenir de plus en plus plates. Les déplacements de la mandibule n’en seront que facilités ce qui se marquera par des angles fonctionnels masticateurs de Planas (AFMP) très horizontalisés (Planas6, Raymond 8, De Salvador Planas9). Les sollicitations musculaires importantes développées au cours de ces

cycles masticateurs vont aussi jouer un rôle de stimulation au niveau des sites de croissance que sont notamment la suture médiopalatine et le périoste. Ceci aboutit donc progressivement à l’augmentation de la croissance transversale des mâchoires et donc à une expansion transversale des arcades dentaires. De l’autre côté, on va rencontrer un enfant de constitution plus chétive ayant une musculature moins puissante et à qui on va proposer habituellement une alimentation attendrie, ramollie, semi-liquide. Cet enfant va se contenter de réaliser des cycles masticateurs de peu d’amplitude en développant peu de travail musculaire. Il en résultera donc peu de stimulations de croissance et les mâchoires aussi bien que les arcades dentaires resteront plus étroites. Mais en plus, l’absence de dissipations énergétiques en raison du peu de mouvement de friction transversale, ne permet pas l’usure de la denture temporaire, dont les molaires et les canines conservent donc leur intercuspidation initiale. La hauteur des cuspides n’ayant pas diminué, les mouvements de latéralité nécessitent toujours d’amples mouvements de désengrènements verticaux entraînant une très grande obliquité des angles fonctionnels masticateurs de Planas 6 (fig. 9). Les deux cas cliniques présentés par les figures 10 à 13 démontrent très bien les dif-

Figure 8 En présence d’une musculature puissante et d’aliments non ramollis, développement d’une occlusion attritionnelle en denture temporaire avec stimulation des processus de croissance transversale.

Figure 9 En présence d’une musculature plus faible et d’aliments ramollis, maintien d’une occlusion non attritionnelle avec peu de stimulation des processus de croissance transversale.

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Figures 10 et 11 Enfant présentant une occlusion de type attritionnelle : mouvements de latéralité, très horizontaux, vers la droite (fig. 10) et vers la gauche (fig. 11).

Figures 12 et 13 Enfant présentant une occlusion de type non attritionnelle : mouvements de latéralité, avec désengrène ment important (AFMP très oblique), vers la droite (fig. 12) et vers la gauche (fig. 13).

férences entre les deux situations qui viennent d’être décrites. Les figures 10 et 11, présentent un jeune enfant, en denture temporaire complète, réalisant un mouvement de latéralité vers la droite (fig. 10) et vers la gauche (fig. 11). Ces déplacements latéraux sont très horizontalisés grâce à l’importante usure occlusale que présente toute la denture. Lorsqu’on peut observer la dynamique de ces mouvements, on constate alors l’extrême facilité et l’extrême liberté avec laquelle l’enfant est capable de réaliser des mouvements dont on se rend compte alors qu’ils sont pour lui tout à fait habituels. Au contraire, les figures 12 et 13, montrent un jeune enfant également en denture temporaire complète, mais qui ne présente pratiquement aucune usure des cuspides. On le voit effectuer un mouvement de latéralité vers la droite (fig. 12) et un mouvement de latéralité vers la gauche (fig. 13), ce qui permet de se rendre compte du fait que ces mouvements 298

nécessitent un déplacement très oblique vers le bas de la médiane interincisive inférieure ce qui correspond à un angle fonctionnel masticateur de Planas très grand. Ces angles sont symétriques mais trop obliques, traduisant l’absence d’usure de la denture temporaire. L’examen clinique montre en fait que cet enfant éprouve des difficultés à réaliser ces mouvements de latéralité car cela ne constitue pas une habitude pour lui. Sa mastication est peu efficace et il en résultera peu de stimulations de croissance. Ainsi, chez le jeune enfant en denture temporaire, l’apparition progressive d’une occlusion attritionnelle est le signe que l’on se trouve en présence d’une mastication efficace, puissante et donc génératrice de nombreuses stimulations de croissance. Au contraire l’absence d’usure en fin de denture temporaire, est le témoin d’une fonction masticatrice impotente qui aura fourni trop peu de stimulations de croissance à l’appareil masticateur. Rev Orthop Dento Faciale 36 : 289-309, 2002


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4 - 3 - 1 - Croissance transversale : prévention des encombrements antérieurs Une mastication performante stimule les processus de croissance transversale des mâchoires et permet ainsi, avec le temps, l’expansion des arcades dentaires. Or, ce processus d’élargissement des arcades dentaires dans les secteurs antérieurs est indispensable pour permettre l’alignement correct des incisives permanentes au moment de leur éruption. La figure 14 illustre la situation favorable : les dents temporaires ont été progressivement usées ; les stimulations de croissance transversale ont bien été apportées et il en a résulté une expansion transversale des arcades dentaires faisant progressivement apparaître dans la région incisive de petits espaces, des diastèmes, qui ont été appelés espaces de Bogue et qui traduisent donc le fait que la distance intercanine s’est progressivement élargie. Ainsi la région antérieure de la bouche a été préparée pour pouvoir accueillir les incisives permanentes dont le diamètre mésio-distal est supérieur aux dents temporaires. Au contraire, la figure 15 montre la situation chez un enfant qui a peu stimulé ces processus de croissance : les dents tem-

poraires ne sont pas ou peu usées, la distance intercanine n’a pas été beaucoup élargie et les diastèmes, les espaces de Bogue, ne sont pas apparus. L’espace que vont laisser les incisives temporaires au moment de leur exfoliation ne sera pas suffisant pour permettre aux incisives permanentes de faire leur éruption et de s’aligner correctement. Les figures 16 et 17 sont deux exemples illustrant ces deux situations. La figure 16 illustre le cas d’un enfant qui a réalisé une bonne croissance transversale. On peut voir l’usure dentaire mais aussi l’apparition des diastèmes interincisifs et au moment de l’éruption des deux centrales permanentes inférieures, on s’aperçoit que celles-ci ne présentent aucun encombrement, bien au contraire. En revanche, le cas illustré par la figure 17 est celui d’un enfant qui a peu élargi sa dimension transversale. On y reconnaît peu d’usure dentaire mais aussi aucun diastème interincisif. Les deux incisives permanentes viennent de faire leur éruption mais montrent déjà des signes d’encombrement. Ce processus de l’accroissement de la distance intercanine est bien connu et a été particulièrement bien étudié par Moorrees 3, 4 dès 1959 et plus récemment par Bischara et

Figure 14 Schéma illustrant l’expansion de la distance intercanine en présence d’une occlusion attri tionnelle : apparition de diastèmes interincisifs témoignant de la place aménagée pour l’éruption des incisives permanentes.

Figure 15 Schéma illustrant l’insuffisance de l’expansion de la distance intercanine en présence d’une occlusion non attritionnelle : pas de diastèmes en denture temporaire et insuffisance d’espace pour l’éruption des incisives permanentes.

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a

Figure 16 Éruption des incisives 31 et 41 chez un enfant ayant eu une importante croissance de la distance intercanine. Remarquer l’usure dentaire.

Figure 17 Éruption des incisives 31 et 41 chez un enfant de 6 ans dont l’expansion de la distance intercanine est insuffisante. Remarquer le peu d’usure den taire.

al1. La figure 18 met en évidence, d’après les travaux de Moorrees3, 4, ce phénomène de l’augmentation de la distance intercanine d’une part au maxillaire (fig. 18 a) et d’autre part à la mandibule (fig. 18 b) et cela, aussi bien pour les garçons (trait bleu) que pour le filles (trait jaune). Sur ces courbes moyennes, on peut voir que ce processus commence vers l’âge de 5 ans, se poursuit pendant toute la période d’éruption des incisives permanentes

et se termine plus ou moins au moment de l’éruption de la canine permanente. Mais il s’agit ici de courbes moyennes c’est-à-dire n’intégrant pas les variations entre individus. La figure 19, permet de découvrir deux nouvelles courbes dessinées à nouveau d’après les travaux de Moorrees4, mais qui font état cette fois des variations entre individus pour les valeurs maximale et minimale observées dans son étude. Il s’agit des

Figure 18 a et b Courbes exprimant l’augmen tation de la distance interca nine (d’après Moorrees4). Courbes supérieures : maxil laire ; courbes inférieures : mandibule ; courbes bleues : garçons ; courbes jaunes : filles.

b

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Figure 19 Courbes exprimant les intervalles de variation autour de la courbe moyenne de la distance intercanine inférieure (d’après Moorrees4). À gauche : garçon, à droite : fille.

courbes relatives à l’expansion de la distance intercanine pour l’arcade inférieure et supérieure chez les garçons à gauche, chez les filles à droite. Comment interpréter ces courbes et quelles implications pratiques peuvent-elles avoir ? On peut observer que, de part et d’autre de la courbe moyenne existe une zone, d’une part supérieure, colorée en orangé et d’autre part inférieure, colorée en violet, zones qui correspondent à l’intervalle de variation entre les individus. La zone orangée correspond à des enfants qui dès le départ, c’est-à-dire à gauche de la courbe, ont des valeurs de distance intercanine supérieures par rapport à la moyenne. Certains diront qu’ils sont bien dotés par la nature, d’autres qu’ils ont déjà bien répondu aux sollicitations de croissance d’un contexte fonctionnel particulièrement efficace. Quoi qu’il en soit, ces enfants vont commencer leur croissance intercanine très tôt, plus tôt que la moyenne, et ils vont faire une quantité de croissance intercanine plus importante également que la moyenne. Ils se retrouveront donc finalement avec une distance intercanine nettement supérieure à la Rev Orthop Dento Faciale 36 : 289-309, 2002

moyenne, ce qui leur permettra de pouvoir aligner sans le moindre problème leurs incisives permanentes. En revanche, dans la partie colorée en violet, on va trouver des enfants qui, dès le plus jeune âge, ont déjà une distance intercanine inférieure aux valeurs moyennes. Ils vont néanmoins réaliser une certaine croissance de cette distance intercanine mais le processus commencera plus tard et la quantité d’élargissement obtenue sera inférieure à celle des sujets moyens. Il en résulte que chez ces sujets, l’espace antérieur sera toujours insuffisant pour pouvoir accueillir et aligner correctement les incisives permanentes. La figure 20 présente le cas d’un jeune enfant de 5 ans chez qui l’augmentation de la distance intercanine est déjà tout à fait effective, avec apparition de diastèmes interincisifs. On notera aussi la présence d’une occlusion de type attritionnel sur cette denture temporaire. La figure 21 concerne elle aussi un enfant âgé de 5 ans, mais ici le processus de croissance intercanine est peu marqué. Pire, il y a déjà des signes d’encombrement au niveau des incisives temporaires. Dès lors, comment espérer que cet enfant puisse un jour trouver 301


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Figure 20 Enfant de 5 ans avec des diastèmes apparaissant entre les incisives temporaires : pronostic favorable pour la future éruption des incisives permanentes.

Figure 21 Enfant de 5 ans avec déjà un encombrement des incisives temporaires : pronostic défavorable pour la future éruption des incisives permanentes.

suffisamment de place pour pouvoir aligner ses incisives permanentes spontanément. Autrement dit, les courbes de Moorrees présentant des intervalles de variation nous permettent d’envisager un diagnostic très précoce des futurs problèmes d’encombrement dans la zone incisive. L’examen de la denture de très jeunes enfants peut donc être très prédictif quant aux risques d’apparition d’encombrement antérieur au moment de l’éruption des incisives permanentes. Or à notre époque et dans notre société, il s’agit là d’une dysmorphose particulièrement fréquente, et qui est vraisemblablement en rapport avec l’insuffisance de stimulations fonctionnelles, notamment liée à une mastication que l’on peut qualifier d’impotente. Ceci conforte évidemment l’idée d’entreprendre des traitements interceptifs très précoces afin d’éviter l’apparition des chevauchements lors de l’éruption des dents permanentes. En effet, pourquoi attendre, pourquoi ne pas profiter de la croissance, pourquoi laisser s’échapper cette croissance, lorsque que l’on a posé le diagnostic précoce, en denture temporaire, d’une croissance intercanine insuffisante.

combrement dans la région incisive. En effet, il arrive très souvent de rencontrer de jeunes enfants en denture temporaire qui présentent une étroitesse relative, surtout marquée à l’arcade supérieure, ce qui aboutit, lorsque l’enfant ferme la bouche, à une occlusion dite «en bout à bout» cuspide sur cuspide. Cet étroitesse de l’arcade supérieure peut être le fait d’une respiration buccale primaire ou d’une déglutition atypique mais le plus souvent s’y associe également une insuffisance masticatrice. Cette relation symétrique de bout à bout dans le sens transversal est une situation instable du point de vue de l’occlusion. Inconsciemment, l’enfant va rechercher une situation plus confortable, moins instable, un meilleur engrènement. Il peut y parvenir facilement en réalisant un latéroglissement de la mandibule soit vers la gauche soit vers la droite. Il en résultera une meilleure intercuspidation, mais aussi l’apparition d’une occlusion inversée du côté vers lequel la mandibule a glissé. À ce stade il ne s’agit encore que d’une déviation fonctionnelle, le glissement, mais chez un enfant en croissance il y a de grands risques que cette fonction asymétrique ne produise des stimulations de croissance asymétrique et donc n’aboutisse à une dysmorphose, cette fois définitivement installée (fig. 22). Les figures 24 à 26 illustrent le cas d’un enfant présentant ce type de problème, cette étroitesse de l’arcade supérieure entraînant une occlusion fonctionnellement inversée

4 - 3 - 2 - Croissance transversale : prévention des occlusions croisées latérales Le manque de stimulation des processus de croissance transversale des mâchoires peut avoir d’autres conséquences que l’en302

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Figure 22 Installation d’une occlusion croisée unilatérale par glissement. Schéma supérieur : premier contact, instable, en bout à bout, résultant d’une étroitesse rela tive de l’arcade supérieure par rapport à l’arcade inférieure. Schéma inférieur : obtention d’une intercuspidation par latéro-glissement mandibulaire soit vers la droite (à gauche), soit vers la gauche (à droite) avec installation d’une occlusion croi sée du côté vers lequel la mandibule a glissé.

d’un seul côté. La figure 23 montre l’enfant au moment de son premier contact en occlusion centrée. Les lignes médianes supérieure et inférieure sont alignées, mais l’arcade supérieure étant trop étroite, l’intercuspidation n’est pas possible et les contacts sont instables. La figure 24 présente le même enfant un instant plus tard : dans sa recherche d’un engrènement plus confortable, il a laissé sa mandibule glisser vers la gauche, en étant guidée par des versants cuspidiens, et faisant ainsi apparaître une occlusion inversée du côté gauche, alors que le côté droit présente lui une intercuspidation correcte dans le sens transversal. Il faut noter aussi le décalage vers la gauche de la ligne médiane inférieure, qui traduit cette latérodéviation mandibulaire vers la gauche. Ces latéro-glissements ne doivent pas être ignorés car ils constituent une sorte de matrice fonctionnelle asymétrique qui, chez un enfant en croissance, a de grandes chances Rev Orthop Dento Faciale 36 : 289-309, 2002

de faire apparaître une dysmorphose qui serait cette fois consacrée. Comment fonctionne cette bouche ? Qu’en est-il de la mastication chez ce patient ? Il est vraisemblable que la mastication était au départ peu efficace et qu’avec le temps elle s’est progressivement latéralisée au point de faire apparaître un côté préférentiel. Les figures 25 et 26 montrent cet enfant au cours de ses mouvements de latéralité vers la droite (fig. 25) et vers la gauche (fig. 26). Lors du mouvement de latéralité vers le côté «normal» (fig. 25), on s’aperçoit que le déboîtement est important et que l’angle fonctionnel masticateur de Planas est très oblique. Au contraire, lorsque le mouvement de latéralité s’effectue vers le côté où l’occlusion est croisée, on constate que le mouvement est beaucoup plus horizontal et que l’angle fonctionnel masticateur de Planas est beaucoup plus petit. 303


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Figures 23 à 26 Illustration d’un cas d’occlusion croisée unilatérale avec glissement. Figure 23 : premier contact, instable, en bout à bout. Figure 24 : intercuspidation habituelle par latéro-glissement mandibulaire vers la gauche avec apparition d’une occlusion croisée du côté gauche. Figure 25 : mouvement de latéralité vers la droite (côté «normal») : l’angle fonctionnel masticateur de Planas (AFMP) est très oblique. Figure 26 : mouvement de latéralité vers la gauche (côté «croisé») : l’angle fonctionnel masticateur de Planas (AFMP) est moins oblique ; c’est le côté préférentiel de mastication.

Conclusion : le mouvement de latéralité vers le côté présentant une occlusion inversée est beaucoup plus aisé que vers l’autre côté. Autrement dit, l’enfant présente un côté préférentiel de mastication à savoir le côté gauche, c’est-à-dire le côté qui est croisé. Cette constatation est souvent l’objet de surprise sinon de méprise car, a priori, on n’imaginait pas que le côté croisé, c’est-àdire le côté considéré comme anormal, soit en fait le côté fonctionnel, préférentiel pour la mastication. À nouveau, on comprendra que des traitements précoces devront être 304

entrepris afin d’intercepter cette dysfonction et d’éviter ainsi une aggravation. Des meulages occlusaux, surtout du côté «normal», la confection de Pistes directes selon W. Simoes12 et la réalisation d’expansions transversales précoces de l’arcade supérieure peuvent restaurer l’équilibre fonctionnel. On comprendra aussi qu’une mastication unilatérale alternée et parfaitement symétrique constitue un bon moyen de prévention pour un bon nombre de ces occlusions inversées. Rev Orthop Dento Faciale 36 : 289-309, 2002


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4 - 3 - 3 - Déverrouillage occlusal et avancée mandibulaire La mise en place progressive d’une occlusion attritionnelle en denture temporaire n’a pas que des avantages dans la dimension transversale. En effet le nivellement des reliefs occlusaux aboutit à un véritable déverrouillage de l’intercuspidation qui s’était initialement mise en place au moment de l’éruption des molaires temporaires. Cette suppression de l’interdigitation cuspidienne va permettre de faciliter des mouvements de propulsion mandibulaire (fig. 27). Des excursions mandibulaires transversales et surtout sagittales, ainsi que la fonction préhension / morsure, contribueront à l’usure des bords incisifs. Les mouvements de propulsion mandibulaire ont largement contribué à stimuler la croissance sagittale de la mandibule au point que, en fin de période de denture temporaire, vers l’âge de 6 ans, l’occlusion attritionnelle peut avoir conduit la croissance de la mandibule jusqu’à extérioriser une relation de bout à bout entre les incisives fortement usées. Dans la région postérieure, les arcades montrent alors un rapport classiquement décrit comme une dérive mésiale à savoir que la face distale de la seconde molaire temporaire inférieure est située plus en avant que la face distale de la seconde molaire temporaire supérieure.

Malheureusement, chez les enfants qui ne développent pas une occlusion attritionnelle en denture temporaire, la situation est bien différente. La figure 28 met en évidence cette situation où, faute d’un travail musculaire masticateur intense, les cuspides persistent et les relations d’intercuspidation initiale se maintiennent. Le persistance de ce verrouillage occlusal va bloquer la mandibule dans sa relation distale et l’empêcher d’exprimer son potentiel de croissance vers l’avant. Il persiste un surplomb entre les incisives ainsi qu’un recouvrement vertical important. Les faces distales des secondes molaires temporaires sont alignées selon un «plan terminal droit». À nouveau, on peut se rendre compte ici, à la vue des figures 27 et 28, qu’il est possible d’apprécier très tôt, déjà en denture temporaire, la qualité des rapports sagittaux entre les mâchoires. Les figures 29 et 30 sont également très éloquentes à ce propos : la figure 29 illustre une occlusion attritionnelle avec une usure très importante des incisives qui sont presque en relation de bout à bout, le surplomb ayant disparu. On constate également le déverrouillage de l’intercupsidation au niveau des canines, fortement usées. La figure 30 au contraire montre la situation dramatique d’un enfant n’ayant pas du tout

Figure 27 Schéma illustrant l’avancée mandibulaire en pré sence d’une occlusion attritionnelle en denture temporaire : «marche mésiale» au niveau des secondes molaires temporaires et bout à bout incisif.

Figure 28 Schéma illustrant le verrouillage de l’intercuspi dation initiale en présence d’une occlusion non attritionnelle en denture temporaire : «plan ter minal droit» au niveau des secondes molaires temporaires.

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Figure 29 Rapports incisifs en présence d’une occlusion de type attritionnel.

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Figure 30 Maintien du recouvrement incisif et canin profond en présence d’une occlusion de type non attri tionnel.

Figure 31 Éruption des premières molaires permanentes en relation de classe I d’Angle en présence d’une occlusion de type attritionnel.

Figure 32 Éruption des premières molaires permanentes en relation de bout à bout sagittal, en présence d’une occlusion de type non attritionnel.

usé sa denture : persistance d’un recouvrement incisif profond et maintien des canines très pointues qui verrouillent l’occlusion et limitent considérablement les déplacements mandibulaires. Lorsque, vers l’âge de 6 ans, les premières molaires permanentes feront leur éruption, les choses vont encore se révéler d’une manière bien plus éloquente. Chez l’enfant qui, en raison d’une occlusion attritionnelle, présente une dérive mésiale entre les faces distales de ses secondes molaires temporaires, on assiste à une éruption des

premières molaires permanentes directement dans la relation de la classe I dentaire définie par Angle (fig. 31), alors que chez les enfants qui n’ont pas usé leur denture temporaire, les premières molaires permanentes, guidées dans leur éruption par la face distale des secondes molaires temporaires qui sont alignées, vont se retrouver dans une relation de bout à bout, c’est-à-dire dans une relation tendant vers une classe II dentaire (fig. 32). Le tableau I, comparatif, résume l’ensemble de toutes ces observations : Rev Orthop Dento Faciale 36 : 289-309, 2002


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Occlusion attritionnelle en denture temporaire

Occlusion non attritionnelle en denture temporaire

1. Type morphologique hypodivergent (face carrée) 2. Mastication «massétérine» 3. Broiement de la nourriture 4. Cycles masticateurs larges (latéralité étendue) 5. Forte abrasion des dents temporaires (occlusion «libérée») 6. Importantes stimulations fonctionnelles de croissance transversale 7. Déplacement et croissance de la mandibule vers l’avant 8. «Dérive mésiale» 9. Éruption des premières molaires permanentes en classe I dentaire 10. Incisives temporaires usées et en bout à bout

1. Type morphologique hyperdivergent (face allongée) 2. Mastication «temporale» 3. Trituration insuffisante de la nourriture 4. Cycles masticateurs étroits (mastication «verticale») 5. Abrasion faible ou nulle des dents temporaires (occlusion «verrouillée») 6. Faibles stimulations fonctionnelles de croissance transversale 7. Peu de déplacement et de croissance de la mandibule vers l’avant 8. «Plan terminal droit» 9. Éruption des premières molaires permanentes en bout à bout 10. Maintien du recouvrement et du surplomb incisif

Tableau I

4 - 4 - Aspects préventifs et interceptifs Que faire, face à des jeunes enfants qui présentent une occlusion non attritionnelle en denture temporaire ? Comment prévenir ou intercepter de telles situations dont on connaît les conséquences néfastes ? Tout d’abord, en terme de prévention, il faudrait réaliser une véritable campagne d’éducation des comportements alimentaires. De nombreux conseils devraient être prodigués très largement : – allaitement prolongé au sein maternel ; – encouragement à la fonction préhension/ morsure ; – composition des repas des enfants à partir d’aliments variés, naturels, non attendris, ramollis ou… liquéfiés ; – pas de concession à la facilité liée à certaines modes et surtout pas à la publicité ! – choix réfléchi des aliments, de leur préparation… et surtout contrôle de leur mastication ! Toutefois, on peut se demander si à notre époque il n’est pas déjà trop tard pour entreprendre une telle croisade ! En terme d’interception, de nombreuses choses peuvent également être entreprises Rev Orthop Dento Faciale 36 : 289-309, 2002

très précocement chez le praticien dentaire. Il faut pour cela que la première visite puisse avoir lieu très tôt, c’est-à-dire au moins à l’âge de 3 ans. À cet âge, le praticien peut déjà réaliser beaucoup de choses : – informer et éduquer les parents ; – surveiller l’évolution de la denture : les dents temporaires sont-elles bien alignées et bien engrenées ? Quelles sont les habitudes alimentaires ? L’enfant est-il capable de développer naturellement des cycles masticateurs larges et puissants ? Les angles fonctionnels masticateurs de Planas sont-ils symétriques ? Sont-ils très obliques ou au contraire horizontaux ? Les dents temporaires s’usent-elles ? De manière symétrique ? Les mouvements de propulsion mandibulaire s’effectuent-ils avec facilité ? – réaliser, si nécessaire, une usure artificielle des dents temporaires par des meulages occlusaux. Il est évident que cette usure artificielle ne remplacera pas les stimulations de croissance qui n’ont pas été apportées mais, au moins, ces meulages déverrouilleront l’intercuspidation et faciliteront les mouvements de latéralité et de propulsion mandibulaire. Il est d’ailleurs à noter que très souvent les parents ou les enfants eux-mêmes nous signalent après 307


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plusieurs séances de meulage que le comportement alimentaire a été profondément modifié et que l’enfant est maintenant capable de mastiquer des aliments qui le rebutaient auparavant ; – et puis, si tout cela ne suffit pas, si on a le sentiment d’être devant un enfant qui ne parviendra jamais par lui-même à restaurer une fonction masticatrice efficace et à produire suffisamment de stimulations de croissance, alors on peut l’aider de manière très

significative, en lui faisant porter des appareils de «gymnastique» des muscles masticateurs afin de compenser l’insuffisance des stimulations de croissance. Les appareils à pistes de rodage de Planas6 en sont un bel exemple. En substituant à l’engrènement dentaire des contacts libres sur des pistes horizontales et lisses, ces appareils seront des vecteurs de stimulation de croissance par les mouvements mandibulaires et le travail musculaire engendrés.

5 - CONCLUSION : ÉVOLUTION OU INVOLUTION ? Il y a bien longtemps à l’époque de l’homme non industrialisé, nos lointains ancêtres étaient des champions de la mastication. C’était l’époque ou prédominait la fonction préhension / morsure : les incisives jouaient un rôle capital dans la recherche des aliments et dans leur découpage. Les aliments étaient le plus souvent crus, grossiers, coriaces, fibreux, résistants, voire abrasifs. Ils n’étaient pas raffinés et donc peu énergétiques ; il fallait donc en consommer de grandes quantités et donc faire beaucoup de cycles masticateurs. La denture est alors fonctionnellement indispensable à la survie. C’est l’époque de la prédominance musculaire. Avec les millénaires, il y a eu une lente, très lente évolution. Ce fut d’abord le développement progressif de l’usage de la main, qui s’est progressivement substituée à la bouche dans la recherche des aliments. Des outils et tranchoirs ont été confectionnés, réduisant d’autant l’importance de la denture. La cuisson des aliments est apparue et ceuxci ont donc été attendris. La sédentarisation naissant on vit apparaître le développement de l’agriculture, de l’élevage, de la poterie, autant de disciplines qui ont contribué à raffiner les denrées alimentaires et à les préparer. Au cours des derniers siècles, avec l’homme industrialisé, on a assisté à un assouplissement puis à un raffinement des mœurs. L’apparition des ustensiles de cuisine (fourchette, couteau…) a largement contribué à réduire plus encore le rôle de notre appareil masticateur. L’alimentation est devenue 308

beaucoup plus tendre, notamment avec l’apparition des plats cuisinés. Les denrées de base se sont raffinées ; des nourritures pâteuses et semi-liquides sont apparues, se sont développées et sont devenues de plus en plus à la mode. Enfin l’homme a sélectionné des aliments de plus en plus énergétiques tel que le sucre par exemple. La denture n’est plus aujourd’hui indispensable à la survie mais elle est devenue indispensable à une nouvelle fonction : la fonction esthétique. C’est l’époque de la prédominance cérébrale, de la pensée et du stress ! Au cours de ces lents processus d’évolution qu’a connu l’espèce humaine, la fonction masticatrice n’a fait elle «qu’involuer» progressivement. La chronologie de ces événements s’accompagne en plus d’une involution des structures de notre appareil masticateur. Au fil des millénaires la nature sera toujours tentée de s’adapter par très petites étapes à cette évolution très lente des choses. Mais depuis quelques siècles, sinon depuis quelques décennies, les choses se sont accélérées à une vitesse incroyable. Durant ce très court laps de temps, en regard des centaines de milliers d’années qui ont présidé à l’évolution de l’espèce humaine, les habitudes alimentaires viennent de changer brusquement et les processus de croissance initialement et patiemment développés par la nature au fil du temps sont devenus aujourd’hui inopérants pour assurer une croissance harmonieuse de notre appareil masticateur dans un environnement où les fonctions, c’est-à-dire les Rev Orthop Dento Faciale 36 : 289-309, 2002


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moteurs de la croissance, sont sans cesse perturbées par des influences néfastes de l’environnement imposées par notre société moderne. Nos lointains ancêtres étaient «des champions de la mastication» et ils avaient développé des arcades dentaires très larges. Nos enfants ont aujourd’hui une fonction masticatrice que l’on peut qualifier le plus souvent

d’atrophiée, mais ils ont aussi des mâchoires qui bien souvent restent trop petites, sousdéveloppées. N’oublions jamais que la mastication est la gymnastique naturelle de l’appareil masticateur ! Nos lointains ancêtres ne le savaient peut-être pas mais ils la pratiquaient. Aujourd’hui, nous savons cela, mais il nous reste à le redécouvrir.

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La prévention de la carie : le fluor

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Jacques DESFONTAINE

RÉSUMÉ Le rôle du fluor dans la régression de la carie n’est plus à remettre en cause mais l’évolution de nos connaissances et l’état de santé actuel de la population doivent nous inciter à faire évo luer nos pratiques vis-à-vis du fluor. Si la fluorose n’est pas un problème de santé publique en France, il importe d’évaluer le risque carieux et le score d’exposition au fluor de chaque enfant avant tout éventuel apport de cet halogène. En référence aux recommandations françaises, un arbre de décision à la prescription est ainsi proposé en fonction de l’environnement de chaque enfant. MOTS CLÉS Bilan du taux de fluor – Fluor – Fluorose – Prévention – Risque carieux.

1 - INTRODUCTION Au cours des trois dernières décennies, dans la plupart des pays industrialisés, et notamment en France, la prévalence de la carie a subi une baisse importante chez les enfants et les jeunes adultes. Si les causes de

cette inflexion de l’indice carieux peuvent être considérées comme multifactorielles, l’introduction des fluorures comme mesure de prévention primaire en est assurément une des plus importantes.

Elément chimique de symbole F, premier de la famille des halogènes, le fluor doit sa très forte réactivité à l’absence d’un électron sur une orbitale proche du noyau, lui procurant un niveau énergétique élevé. Il est, de ce fait, l’élément le plus électronégatif et se retrouve rarement sous sa forme gazeuse isolée par le chimiste français Henri Moissan en 1886. Sa forme la plus stable est l’état ionique F- acquis en prenant un électron à un autre atome. Le fluor occupe la 12e place des éléments de l’écorce terrestre et on le

trouve à l’état naturel principalement dans trois minéraux : la fluorite ou spath fluor (CaF2), la cryolithe (AlF3, 3NaF) et la fluoroapatite. Il est fortement utilisé dans l’industrie de l’aluminium mais aussi celles de la céramique ou du verre, ainsi que dans la production de matières plastiques inattaquables et isolantes (Téflon®). Sous la forme d’hexafluorure d’uranium (UF6), seul dérivé gazeux de l’uranium, il est utilisé dans le procédé de diffusion gazeuse pour fournir le combustible des centrales nucléaires.

2 - LE FLUOR

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3 - MÉTABOLISME DU FLUOR L’ion fluorure apporté par l’alimentation est absorbé au niveau gastro-intestinal de manière passive. Les ions fluorures apportés par l’eau de boisson sont les plus facilement assimilables dans une proportion de 86 à 97 %, alors que l’ingestion de quantités importantes de calcium, sous forme de produits laitiers notamment, peuvent contrarier l’absorption normale des fluorures de l’ordre de 50 %. Les fluorures absorbés se retrouvent dans le plasma à une concentration proportionnelle aux apports mais un processus de régulation se met en place pour ramener le taux à sa valeur initiale comprise entre 0,05 et 0,5 ppm. Si l’apport fluoré est faible et constant, l’excrétion urinaire est pratiquement équivalente aux apports. En cas d’apports importants, seulement la moitié des fluorures sont éliminés par les reins et 30 % sont déposés dans le squelette sous forme de fluoro-apatite. Cette formation est plus ou moins réversible en fonc-

tion de la vitesse de renouvellement de l’os, de son degré de vascularisation et de l’approvisionnement en fluor. Le fluor est alors filtré au niveau des glomérules et rejeté dans les urines. 15 % pourront s’accumuler dans les structures amélaires et dentinaires durant leur période pré-éruptive. La dentine secondaire, proche de la pulpe, s’enrichira en fluor tout au long de l’existence. Le fluor n’existe qu’à l’état de traces dans le lait maternel (5 à 10 µg /l) et ce quel que soit l’apport de fluorures alimentaires. L’excrétion salivaire représente moins de 1 % du fluor ingéré, mais les différents apports fluorés locaux, transportés de manière passive, influencent la teneur salivaire notamment dans la première heure. La teneur en fluor du fluide gingival est similaire à celle du plasma au même moment. La forte teneur en fluor de l’émail cervical et de la plaque bactérienne n’est sans doute pas étrangère à ce type d’apport.

4 - MODE D’ACTION DU FLUOR Pendant l’amélogenèse, le fluorure systémique de l’environnement du germe peut s’intégrer dans les structures cristallines de l’émail en formation. Il se substitue à un ion hydroxyle, de même forme et de même taille que lui, et augmente la stabilité de la maille cristalline, la rendant moins soluble aux acides. Mais, les recherches récentes ont tendance à démontrer que l’effet systémique du fluorure est moins important qu’on ne l’aurait cru et que c’est davantage le contact des ions fluor avec l’émail des dents qui ont déjà fait leur éruption (effet topique) qui est le plus efficace. Ainsi Øgaard 25, en 1998, montre que l’émail de requin constitué principalement de fluoroapatite (32000 ppm de fluor), inclus in situ chez l’homme, peut se déminéraliser expérimentalement sous la plaque bactérienne. Par contre, ce même émail immergé, 336

in vitro, dans une solution déminéralisante comportant une quantité infime de fluorure ne se déminéralise pas. De même si des sujets nés et ayant grandi dans une région où l’eau de boisson est riche en fluorures ont peu de caries lorsqu’ils y habitent, ils présentent les mêmes risques que la population de zones peu fluorées lorsqu’ils viennent y résider. Si le fluor systémique apporte une meilleure protection de l’émail pendant la période de cario-susceptibilité, l’apport topique lors de la maturation post-éruptive de l’émail est responsable des fortes concentrations que l’on retrouve dans la surface de l’émail26. Après l’éruption de la dent dans la cavité buccale, la surface de l’émail est poreuse et va être le site d’échanges ioniques avec les fluides de la cavité buccale. Elle sera ainsi soumise à une alternance de périodes de déminéralisation et reprécipitation minérale Rev Orthop Dento Faciale 36 : 335-350, 2002


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favorisée par le fluorure en milieu buccal. Grâce à cette «maturation secondaire postéruptive», la concentration du fluorure peut atteindre 3000 à 6000 ppm au niveau de la surface alors qu’elle est beaucoup moins importante au niveau de la jonction émail/ dentine (100 ppm). Outre leur effet bactériostatique sur les bactéries cariogènes, les fluorures inhibent la glycolyse, par blocage enzymatique, réduisant ainsi le potentiel acidogène de celles-ci. Le fluorure topique peut inhiber la déminéralisation des lésions débutantes mais également favoriser et consolider la reminéralisation d’une surface d’émail déminéralisée. La fermentation des hydrates de carbone par les bactéries de la plaque dentaire va provoquer la libération d’ions H+ qui vont abaisser le pH à la surface de la dent. Dans un premier temps, la plaque et la salive vont exercer leur pouvoir tampon grâce à la présence des ions phosphates qu’elles contiennent. La baisse de pH est ainsi contenue,

mais si l’attaque acide est de plus longue durée, après épuisement des phosphates disponibles dans les fluides du milieu buccal, le pH va atteindre le seuil critique de 5,5 et les ions H + vont se lier aux radicaux phosphates des apatites situées à la surface de l’émail tout en libérant le calcium. Le pH chutant sous cette valeur critique va entraîner la dissolution de la structure cristalline. C’est le processus de déminéralisation. Par contre, en présence d’une concentration même très faible de fluorure au niveau de l’interface émail/milieu buccal, il y aura simultanément dissolution de l’hydroxyapatite de l’émail et précipitation d’apatites fluorées (fluoroapatite ou hydroxyfluoroapatite). Ces apatites fluorées restent stables jusqu’à la valeur critique de pH 4,6 si du fluorure est présent en bouche. La formation de globules de fluorure de calcium est également possible. Ils constitueront un important réservoir de fluorures à partir duquel le fluor pourra être libéré lors des périodes de baisse de pH et jouer un rôle majeur lors des phases de dé/reminéralisation.

5 - LES BÉNÉFICES ET LES RISQUES LIÉS AU FLUOR Les bénéfices dentaires procurés par le fluor permettent une réduction de 30 à 60% des caries sur la denture temporaire, de 15 à 35% sur la denture permanente et de 40% des caries radiculaires à l’âge de 75 ans. Mais cette résistance des surfaces dentaires n’est jamais acquise définitivement. Elle est conditionnée par l’utilisation fréquente de produits fluorés tout au long de la vie. La fluorose dentaire est la conséquence d’une consommation exagérée de fluor pendant la période de minéralisation des dents15. Elle se manifeste par des taches opaques blanches, plus ou moins étendues, sur l’émail. Il s’agit de zones d’hypominéralisation ou de porosités diffuses surmontées d’une petite couche d’émail hyperminéralisé. Il en résulte une grande vulnérabilité de l’émail avec perte de substance et coloration dans le temps pour les stades les plus avancés. Elle peut apparaître lorsque l’apport journalier est supérieur à 0,1 mgF/Kg. Des dispaRev Orthop Dento Faciale 36 : 335-350, 2002

rités apparaissent avec la susceptibilité personnelle des enfants et Fejerskov et al.12 estiment qu’il existe un risque de fluorose en denture permanente dès que l’apport excède 0,02 mgF/Kg/j soit une quantité bien inférieure à la dose prophylactique optimale de 0,05 mgF/Kg/j préconisée par l’O.M.S.13. La fluorose touche une ou plusieurs paires de dents qui se minéralisent durant la même période, avec une prévalence élevée au niveau des incisives centrales maxillaires dont la minéralisation s’étale sur une très longue période, commune à de nombreuses autres séries de dents16. Plus le stade de fluorose est élevé, plus le nombre de paires atteintes augmente. Une étude épidémiologique réalisée par l’Union Française pour la Santé Bucco-Dentaire 18 en 1998 sur un échantillon représentatif de 6000 enfants de 12 ans montre que la fluorose n’est pas un problème de santé publique en France. Seulement 2,75 % des enfants présentent une fluorose effective de stade 2 à 4 selon les cri337


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tères et la classification de Dean recommandée par l’O.M.S.11 (tableau I et fig. 1) Le premier stade, qualifié de douteux par son auteur8, ainsi que les différents spécialistes ayant travaillé dans ce domaine, et qui, de ce fait, ne peut être assimilé à la présence certaine de fluorose, représente 8,78 % de l’échantillon. Des apports plus massifs de fluor sur de longues périodes peuvent engendrer une fluorose squelettique avec hyperdensification osseuse pouvant aboutir à des altérations invalidantes du squelette et à l’ossification

Tableau I Stade de fluorose (N=6000).

des tendons et des ligaments. Ces pathologies n’existent pas en France mais frappent dans certains pays dont les eaux sont très fortement fluorées. Ainsi, en Inde, plus de trente millions d’habitants sont porteurs de cette maladie. Une méta-analyse menée par le NHS Centre for Reviews and Dissemination de l’Université d’York en septembre 2000 montre qu’il n’existe pas de relation entre fluor et fractures osseuses, cancer, génotoxicité, mortalité infantile, infertilité, déficit mental et maladie d’Alzheimer 24.

Figure 1 Fluorose constatée en présence d’une eau d’adduc tion à teneur en fluor de 2,13 mg/l (Créon Gironde) : - stade 2 sur 21, 31 et 41, - stade 3 sur 13, 22, 32 et 42, - stade 4 sur 14,12,11, 21, 23, 24, 33, 34, 43 et 44.

6 - LES RECOMMANDATIONS FRANÇAISES À l’initiative de l’UFSBD, un groupe d’experts a été réuni dans le cadre d’une Conférence de consensus pour l’élaboration de recommandations sur les modes d’administration du fluor chez l’enfant en France20. Celles-ci peuvent être résumées de la sorte : Le fluor doit être considéré comme un agent prophylactique essentiel. Il sera utilisé selon différentes formes et posologies selon l’âge et la cario-susceptibilité de l’enfant, en plus de la promotion dès le plus jeune âge

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des conseils d’hygiène alimentaire et buccodentaire individuels et des visites régulières chez le chirurgien-dentiste. Le sel est la méthode communautaire offerte à tous, si l’eau de boisson contient moins de 0,3 mg de fluor par litre, et ce dès la diversification de l’alimentation de l’en fant. Les comprimés ou gouttes ne doivent pas être prescrits lorsque l’eau de boisson natu relle ou minérale comporte plus de 0,3 mg F/ l, que l’enfant consomme du sel fluoré ou

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La prévention de la carie : le fluor

qu’il bénéficie d’un brossage régulier avec un dentifrice fluoré. Le fluor prénatal n’est pas recommandé chez la femme enceinte. Le nettoyage des dents doit être effectué dès l’apparition de la première dent avec une compresse humide. Dès l’âge de 2-3 ans, une méthode de brossage spécifique, adaptée à l’âge, doit être enseignée, sans dentifrice avant 3 ans du fait du risque d’ingestion. De 3 à 6 ans, un brossage après chaque repas avec un dentifrice faiblement dosé en fluor (250 à 600 ppm F), en très petite quantité (petit poids) et sous la surveillance d’un adulte, est préconisé. À partir de 6 ans, un dentifrice familial comportant 1000 à 1500 ppm F peut être utilisé.

En dehors des recommandations générales, il est préconisé pour les enfants présentant un risque carieux élevé, après établissement d’un bilan des différents apports de fluor : - de prescrire un apport supplémentaire de fluor dès l‘apparition de la première dent de bébé à raison de 0,25 mg de fluor par jour entre 6 mois et 3 ans, 0,50 mg de fluor par jour entre 3 et 6 ans et 1 mg par jour au-delà de 6 ans ; - d’utiliser des bains de bouche fluorés après 6 ans ; - de faire réaliser des applications profes sionnelles de gels ou vernis par le chi rurgien-dentiste.

7 - LE BILAN DU TAUX DE FLUOR À la lecture de ces recommandations, il s’avère nécessaire avant toute prescription fluorée et, même s’il s’agit du simple sel de cuisine, de prendre en compte le bilan des différents apports fluorés. Compte tenu de la multiplicité des sources, ce bilan est indispensable pour éviter une surconsommation soit par manque d’information des parents soit par désir de trop bien faire1. Une éventuelle prescription d’un apport de fluor pourra alors être effectuée en fonction d’une évaluation des facteurs de risque carieux individuel (liés entre autre aux conditions socio-économiques ou culturelles) et des périodes à risque de fluorose dentaire. L’UFSBD a réalisé une fiche de bilan journalier du taux de fluor recensant de manière exhaustive les différentes origines de fluorures ingérés par l’enfant (tableau II). En fonction du poids de l’enfant, elle permet une évaluation précise du score d’exposition au fluor.

7 - 1 - Eaux de boisson Les fluorures sont présents dans l’eau. Leur concentration est en général inférieure à 1 mg/l pour les eaux superficielles mais peut atteindre 10 mg/l pour les eaux profondes qui se sont lentement chargées en éléments minéraux avant d’atteindre les aquifères.

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7 - 1 - 1 - Eaux d’adduction publique Elles proviennent soit de forages profonds, soit de captages de surface (en rivière ou en lac) et doivent subir divers traitements pour devenir potables. Dans les pays tempérés tels que la France, la concentration maximale en fluor (limite de potabilité) est fixée à 1,5 mg /l. Pourtant, certaines communes sont encore alimentées par une eau de teneur en fluor supérieure à cette norme. Mais, progressivement des coupages sont effectués entre captages afin de réduire cette concentration. Il existe en France une grande diversité de concentration en fluor selon les départements, mais 85 % de la population disposent d’une eau dont la teneur est inférieure à 0,3 mg/l, 8,5 % sont desservis par une eau entre 0,3 et 0,7 mg/l et 2,5 % par une eau dont la teneur est supérieure à 0,7 mg /l. 3,5 % de la population ne disposent pas de la teneur en fluor. Il s’agit en général de forages de faible débit pour lesquels l’analyse du facteur fluor n’était pas obligatoire. Cette situation devrait cesser car une synthèse annuelle de la DDASS sur la qualité des eaux distribuées l’année précédente devait accompagner la facturation de l’eau pour tous les abonnés dès le courant de l’année 2001.

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Tableau II Fiche de bilan fluor. 340

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La prévention de la carie : le fluor

Les zones dans lesquelles les teneurs sont les plus élevées correspondent le plus souvent à la structure de sols formés à l’éocène lors de l’ère tertiaire. La carte de France des teneurs par commune est d’ailleurs superposable à la carte géologique (fig. 2).

7 - 1 - 2 - Eaux embouteillées Elles connaissent un véritable essor puisque de 110 litres par personne en 1996 la consommation est passée à 135 litres en 2001. En 1997, on dénombrait 173 eaux conditionnées, plates ou gazeuses, dont 74

eaux minérales, mais, vu l’intérêt du marché, leur nombre est en accroissement permanent et l’on dénombre aujourd’hui pas moins de 350 étiquetages différents sur l’hexagone. La disparité de teneur en fluor est importante, aussi bien pour les eaux minérales (0,02 à 6,5 mg /l pour les eaux plates, voire jusqu’à 9 mg /l pour les gazeuses) que pour les eaux de sources dont seulement 5 dépassent 1 mg /l tout en restant en deçà de la limite de potabilité de 1,5 mg /l 7. Certaines sources sont distribuées sous des marques différentes. De même, certaines

teneur en fluor inférieure à 0,3 mg/l teneur en fluor comprise entre 0,3 et 0,7 mg/l teneur en fluor supérieure à 0,7 mg /l Figure 2 Fluor et eaux d’adduction. Situation en 1998 (sources DDASS). Rev Orthop Dento Faciale 36 : 335-350, 2002

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eaux portent un nom générique (Acquarel, Cristaline, etc.) et peuvent donc provenir de différentes sources selon leur lieu de commercialisation. Il faut donc lire attentivement l’étiquette pour en connaître l’origine réelle et évaluer ainsi le taux de fluor. À titre d’exemple, l’eau de source commercialisée sous le nom de Cristaline provient de 17 sources différentes réparties dans chaque région afin de produire au plus près du consommateur et réduire les coûts de transport. Elle peut ainsi contenir 0,04 mgF/l si elle provient de la source Valon (Est de la France), mais elle en contient 1,4 mgF/l lorsqu’elle a été embouteillée à la source Arline (cas de la région parisienne). Les étiquettes en tout point semblables, hormis l’indication de la source, mentionnent dans les deux cas que cette eau «convient pour la préparation des aliments des nourrissons» sans pour autant signaler le paramètre fluor dans l’analyse minérale.

7 - 1 - 3 - Biberon À l’encontre des enfants bénéficiant d’un allaitement maternel qui ne procure qu’un apport infinitésimal de fluor (5 à 10 µg/l)14, l’apport par l’allaitement artificiel, avec des laits maternisés en poudre, varie en fonction de l’eau utilisée pour la préparation des biberons. Compte tenu de la quantité d’eau ingérée et de leur faible poids, il est souhaitable de ne pas utiliser d’eau contenant plus de 0,2 mgF/l pour les nourrissons en deçà de 4 mois et plus de 0,3 mgF/l au-delà de cet âge. Il faut mettre en garde les parents sur l’utilisation d’eaux donnant apparemment par leur étiquetage toutes les garanties pour les nourrissons mais qui peuvent contenir un taux important de fluor. En effet, la mention «convient pour la préparation des aliments des nourrissons» est liée à la seule teneur en nitrate, qui doit être égale ou inférieure à 15 mg/l et ne tient donc pas compte de la teneur en fluor. Ainsi, un enfant de 4 mois, dont l’alimentation est constituée de quatre biberons de 210 ml par jour confectionnés avec une eau à 0,75 mg/l, reçoit un apport journalier de 0,63 mg de fluor. Cet apport correspond à une exposition de 0,13 mg/kg/j, soit plus du double de la norme optimale de 0,05 mg/Kg/j communément admise par l’O.M.S.13. Dans le cas d’une eau à 342

1,4 mg F/l comme celle citée précédemment, l’apport par kilo avoisine les 0,24 mg soit près de 5 fois la norme, et ce avant tout apport de fluor par gouttes ou comprimés. Il n’existe aujourd’hui aucune réglementation concernant la mention de la teneur en fluor sur les étiquettes. Il convient donc d’éviter les eaux dont la teneur n’est pas indiquée sur l’étiquette et de privilégier les industriels qui jouent la transparence. Droz et Karmann10 déconseillent toutes les eaux contenant plus de 1 mg de fluorures par litre chez les enfants de moins de 12 ans et recommandent de proscrire les eaux fortement dosées telles que les eaux de Vichy avant cet âge.

7 - 2 - Alimentation L’apport alimentaire en fluor est considéré comme faible d’autant que ce dernier est peu métabolisé, du fait de sa liaison avec d’autres éléments tels que le calcium. La quantité de fluor apportée par l’alimentation peut être estimée en moyenne à 0,2 mg/j chez l’adulte. Cette estimation doit être réduite de moitié pour l’enfant en dessous de 6 ans, dès lors que son alimentation est différenciée.

7 - 1 - 1 - Alimentation générale Le fluor se trouve à l’état de trace dans la plupart des aliments et sa quantité peut être variable d’un aliment à l’autre23. Certains poissons sont riches en fluor mais celui-ci est essentiellement concentré au niveau des arêtes. Trautner29 rapporte que certaines sardines en boîte peuvent en contenir jusqu’à 16 mg/kg et que la viande désossée mécaniquement est plus riche en fluor du fait de la présence de particules d’os. La nature de l’eau de cuisson influe également sur la teneur en fluor des aliments. 7 - 1 - 2 - Thé Le thé peut représenter un apport non négligeable de fluor puisque la teneur moyenne des feuilles de thé sèches est de l’ordre de 97 mg/kg. Sa concentration dépend non seulement du type de thé mais aussi de l’eau utilisée pour sa confection et du temps d’infusion soit 0,2 à 0,4 mg de fluor par tasse. La moyenne d’ingestion journalière chez les grands buveurs de ce breuvage peut atteindre 1 mg/j 15. Rev Orthop Dento Faciale 36 : 335-350, 2002


La prévention de la carie : le fluor

7 - 3 - Sel de table Introduit par décret en France en 19862 sur le modèle Suisse, le sel généralement iodé et fluoré contient 764 mg/Kg de fluorure de potassium soit l’équivalent de 250 mg de fluor par kilogramme de sel. L’apport journalier de sel a été évalué à 4 grammes par jour et par personne pour l’assaisonnement et la cuisson des aliments. De ce fait un seul gramme par jour est effectivement ingéré soit 0,25 mg F/j. L’apport de fluor par le sel peut donc être estimé à 0,12 mg par repas.

7 - 3 - 1 - Sel de table au domicile Le sel fluoré représentait 41% des ventes de sel en 1996. Son implantation varie d’une région à l’autre et est en rapport avec les habitudes de la population. Ainsi les secteurs de production de sel marin sont moins infiltrés. Son utilisation est souvent fortuite, aucune promotion de ce vecteur de fluor n’ayant été faite par les pouvoirs publics lors de sa mise sur le marché. 7 - 3 - 2 - Sel de table à la cantine Depuis l’arrêté du 23 juin 1993 «le sel fluoré peut être utilisé dans les cantines scolaires lorsque les exploitants desdits établissements se sont assuré que l’eau distribuée dans la localité ne présente pas une teneur en fluor supérieure à 0,5 mg/l 3». Malgré cela, son utilisation reste très confidentielle et il est nécessaire de prendre contact avec le gestionnaire de cantine pour connaître son choix.

7 - 4 - Apports médicamenteux Ismaïl19 a mené en 1999 une méta-analyse de 24 études concernant des enfants supplémentés en fluor, qui montre que ceux ayant pris des comprimés ont deux fois plus de fluoroses (de type 1 ou 2 selon la classification de Thylstrup et Fejerskov28) que les autres enfants. C’est pourquoi ces préparations médicamenteuses sont à réserver aux sujets à risque carieux élevé. La prise de fluor est souvent parallèle à celle de la vitamine D et la récente mise sur le marché d’une association des deux molécules sous l’appellation Zymaduo 150 U.I. ou 300 U.I. en font une prescription de réféRev Orthop Dento Faciale 36 : 335-350, 2002

rence pour de nombreux pédiatres. L’apport de fluor est de 0,06 mg de fluor par goutte soit l’équivalent de la forme non associée (Zymafluor® gouttes). Ces préparations sous forme de gouttes sont à réserver aux jeunes enfants en évitant le mélange avec les boissons lactées qui peuvent chélater les ions fluor et modifier leur absorption. Les comprimés sont utilisés dès l’apparition des premières dents temporaires en fractionnant la prise de façon à augmenter la durée de contact avec les dents et d’en potentialiser l’effet topique. Le métabolisme du fluor peut être modifié par l’environnement de la prise. En cas de prise de fluorure à jeun, une absorption à 100 %, comparable à une injection intraveineuse de fluor, est rapidement obtenue. Par contre, pour la même dose assimilée avec un verre de lait, l’absorption décroît à 70 % et peut être réduite jusqu’à 60 % en cas de prise avec un petit déjeuner riche en calcium14.

7 - 5 - Dentifrices De nombreuses études effectuées avant la généralisation des dentifrices fluorés ont montré qu’on ne peut pas établir un lien entre le maintien d’une bonne hygiène buccale par le simple brossage dentaire régulier et l’incidence carieuse. Quand le brossage est effectué avec un dentifrice fluoré, les capacités protectrices de celui-ci se situent dans un ordre de grandeur de l’ordre de 20 à 30 % avec un effet cumulatif 9.

7 - 5 - 1 - Les complexes fluorés6 Différents dérivés fluorés peuvent entrer dans la composition d’une pâte dentifrice fluorée. Les fluors minéraux ou inorganiques ont été les premiers utilisés, notamment le fluorure de sodium et le monofluorophosphate de sodium. Ce dernier est le plus largement employé mondialement du fait de son extrême souplesse d’utilisation et de son absence de réaction avec les agents abrasifs incompatibles avec les fluors ionisés. NaF et NaMFP sont aussi utilisés conjointement dans les dentifrices bi-fluorés. Le fluorure d’étain possède, outre des propriétés cariostatiques, un effet anti-bactérien grâce à l’étain. 343


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Parmi les fluorures organiques, les fluorures d’amines (Olafluor®) disposent de propriétés de tension superficielle présentant une forte affinité pour la surface de l’émail. Ils s’ionisent comme les fluors inorganiques, libérant des ions fluorés. Le Fluorinol, lui, ne possède pas ces propriétés tensio-actives mais possède un fluorure lié de façon ionique au reste de la molécule. Il est particulièrement actif dans l’hypersensibilité dentinaire.

7 - 5 - 2 - La concentration en fluor des dentifrices Si le type de complexe fluoré a son importance, le seul fluor disponible dans les dentifrices est le fluor ionisé F-. Il est souvent nécessaire d’effectuer une conversion de la concentration des fluorures en relation avec la masse molaire des différents constituants pour la traduire en concentration de fluorures libres en parts par million (tableau III).

Tableau III Table de conversion des composants fluorés des dentifrices.

Selon leur dosage en fluor, la législation classe les dentifrices en dentifrices cosmétiques (<1500 ppm) en vente libre et en dentifrices avec AMM (>1500 ppm) disponibles uniquement en pharmacie. Les dentifrices pour enfant sont habituellement dosés entre 250 et 600 ppm afin d’éviter une ingestion trop importante. 1000 ppm de fluor correspondent à 0,1 % d’ion fluor soit 1 mg F/g de pâte. Il est communément admis qu’un centimètre de pâte correspond à un gramme de dentifrice. Ainsi, un centimètre de pâte à 1000 ppm équivaut à 4 comprimés à 0,25 mg de fluor. Le dosage de fluorure, la quantité de fluorure absorbée sur l’abrasif, la durée de stoc344

kage du dentifrice, la quantité de pâte utilisée sur la brosse, la technique de brossage avec ou sans rinçage, le délai entre le brossage et les prises alimentaires, sont autant de paramètres qui influent sur la quantité de fluorure retrouvé dans la salive.

7 - 5 - 3 - L’ingestion chez l’enfant Bien des facteurs influent sur la quantité de dentifrice utilisée et celle ingérée. Parmi ceux-ci, il faut noter la longueur de tête de la brosse à dents, le diamètre de l’orifice du tube, le goût agréable du dentifrice, la surveillance des parents et plus que tout l’aptitude de l’enfant à savoir cracher5. De nombreuses études ont cherché à évaluer la quantité de dentifrice ingéré chez l’enfant22. Les résultats diffèrent selon les études et les méthodes utilisées, mais il est admis qu’un enfant de 2 à 3 ans avale près de la moitié de la quantité de dentifrice déposé sur la brosse. À 4 ans il en ingère 40 %, à 5 ans près du tiers et de 6 à 7 ans encore le quart. La proportion de dentifrice dégluti diminue significativement avec l’âge et dès 10 ans le problème ne se pose plus. Les enfants qui ne rincent pas en absorbent environ 75 % de plus que les autres selon une étude de Simard et al.27

7 - 6 - Les autres sources de fluor Les chewing-gums fluorés (Fluogum ®) peuvent représenter un apport systémique non négligeable s’ils sont utilisés plusieurs fois par jour et de façon régulière. La mastication d’un chewing-gum procure un apport équivalent à 0,250 mg de fluorure de sodium par tablette soit 0,1131 mg de fluor. Les bains de bouche fluorés, s’ils peuvent constituer un moyen efficace de prévention de la carie, peuvent néanmoins être responsable d‘ingestion importante de fluor. Ainsi, Wei estime que chez les enfants de 3 à 5 ans utilisant une solution de rinçage à faible concentration de fluor (0,05 % NaF), l’ingestion de fluor équivaut à 0,25 / 0,41 mg de fluorure30. C’est pour cette raison qu’ils sont déconseillés aux enfants d’âge préscolaire. Il en est de même pour l’utilisation de gels de fluorure de sodium appliqués en ambulatoire à l’aide de gouttières thermoplastiques. Rev Orthop Dento Faciale 36 : 335-350, 2002


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8 - DÉTERMINATION DU RISQUE INDIVIDUEL L’enquête menée par l’UFSBD en 1998 a démontré que le tiers des enfants de 12 ans examinés cumulaient environ 80% des problèmes carieux 18. Cette émergence de patients à risque élevé de caries doit nous amener à diagnostiquer précisément ce risque afin d’adapter, par la suite, les conseils d’hygiène buccale et alimentaire, la thérapie fluorée, ainsi que le scellement des puits et fissures. La détermination du risque peut généralement comporter l’étude de facteurs étiologiques tels que les tests bactériens et de facteurs de risques internes (pouvoir tampon salivaire, réponse immunitaire). Cependant, face à une population dont le niveau socioéconomique est souvent faible, notre premier souci consistera à faire un diagnostic simple et rapide sans examens coûteux qu’elle ne pourrait assumer financièrement. La proposition d’Axelsson4 où un critère au moins est suffisant pour déterminer l’enfant à risque, répond parfaitement à cette attente :

• prévalence

élevée de caries (caries denti naires et/ou obturations) ; • incidence de caries élevée (plus de 2 nou velles caries dentinaires par an) ; • indicateurs de risque externe et facteurs de risque prévisible : – fréquence élevée de consommation de produits sucrés ; – mauvaise habitude alimentaire (fré quence élevée de grignotage, malnutri tion établie) ; – faible ou très faible niveau socio-écono mique familial ; • facteurs culturels de risque : – très faible niveau d’hygiène bucco-den taire de l’enfant sans assistance des parents ou de la fratrie ; – habitudes irrégulières de recours à des soins dentaires de l’enfant ou de la fra trie ; – soins dentaires préventifs et prophylac tiques inexistants chez l’enfant et la fra trie.

9 - L’ARBRE DÉCISIONNEL DE PRESCRIPTION (tableaux IV et V) Une fois le pronostic du risque carieux établi, le processus décisionnel sera mené en fonction de deux items distincts, l’âge de l’enfant (et son corollaire poids dont il faudra tenir compte pour les enfants de faible masse corporelle) et la teneur en fluor des eaux d’adduction. Le bilan fluor permettra de conseiller ou non l’utilisation du sel fluoré et d’ajuster l’apport supplémentaire chez les sujets à risque. Leverett et Adair21 ont montré que, bien que la barrière placentaire n’existe pas, une prescription de fluor chez la femme enceinte n’apporte pas d’effet bénéfique aux dents temporaires de son enfant. Cette étude porte sur 1400 parturientes divisées en deux groupes, dont le premier a reçu pendant six mois de grossesse1 mg de fluor par jour, versus placebo. Après trois ans, l’étude des Rev Orthop Dento Faciale 36 : 335-350, 2002

caries ne montre pas de différence significative du nombre d’enfants indemnes (92 % fluor vs 91 % placebo). L’apport supplémentaire de fluor chez la femme allaitant est également inutile car il n’y a pas d’augmentation de la concentration de fluor dans le lait maternel s’il y a prise de fluor par la maman. Les recommandations préconisent le sel fluoré comme moyen prophylactique de masse. Il sera donc introduit en priorité dès que l’eau consommée ne contient pas plus de 0,3 mg de fluor par litre et ce pour les enfants des deux groupes, dès la diversification alimentaire. Dans les premiers mois de la vie, compte tenu du faible poids de l’enfant et de l’importance de ses besoins hydriques (120 à 180 ml/kg/j), il est conseillé de ne pas utiliser 345


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naissan

A par de 4 mo

Apar de 6 mo

A par de 1 a

A par de 3 an

A par de 6 an

Tableau IV Arbre décisionnel : risque carieux faible.

une eau de teneur supérieure à 0,2 mg F/ l pour la confection des biberons avant 4 mois. À partir de cet âge la teneur peut atteindre 0,3 mg F/l. Bien que l’eau du réseau ne soit utilisée que très rarement comme boisson courante dans les premières années de la vie, il faut veiller à ce qu’elle ne le soit pas avant 3 ans 346

en cas de teneur comprise entre 0,3 et 0,7 mg F/l et avant 6 ans pour les eaux à plus de 0,7 mg F/l. Le dentifrice n’est pas utilisé en dessous de 3 ans puis à faible teneur entre 3 et 6 ans, en quantité restreinte et sous la surveillance parentale. Dès 6 ans le dentifrice familial peut convenir. Rev Orthop Dento Faciale 36 : 335-350, 2002


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Tableau V Arbre décisionnel : risque carieux élevé. Rev Orthop Dento Faciale 36 : 335-350, 2002

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Pour les enfants à risque carieux élevé, un apport supplémentaire par comprimés est proposé tout en tenant compte des autres sources de fluor (eau et sel). Il est souhaitable de fractionner l’apport complémentaire en plusieurs prises afin de potentialiser l’effet topique des comprimés. Si nécessaire, des rinçages fluorés à l’aide de bains de bouche fluorés peuvent être prescrits. Utilisés aux concentrations de 0,05 % de NaF pour les rinçages quotidiens ou de 0,2 % pour les rinçages hebdomadaires ils ont en général un pH acide qui favorise leur efficacité. Ils constituent un moyen efficace pour les sujets à risque (25 à 30 % de baisse de la carie) mais ne doivent pas être administrés avant l’âge de 6 ans. Les applications professionnelles de gels de fluorure à forte concentration (fluorophosphate acidulé à 12300 ppmF, gel de fluorure de sodium neutre à 20000 ppmF) à l’aide de porte-empreintes doublés de mousse disposés en bouche durant 4 minutes nécessitent une grande vigilance de la part du praticien pour réduire l’ingestion (position assise, aspiration chirurgicale). Les gels fluorés pour auto-application, de concentra-

tion plus faible (fluorophosphate acidulé à 5000 ppmF, gel de fluorure de sodium et bifluorure d’ammonium à 10000 ppmF, gel de fluorure staneux à 1000 ppmF) nécessitent la réalisation de gouttières thermoformées. Ils sont préconisés dans le cas de lésions actives non cavitaires (white spot) à raison de deux applications hebdomadaires. Ces deux procédés sont à proscrire avant l’âge de 6 ans. Plus récemment apparus, les vernis offrent un effet prophylactique de longue durée. Ils forment une couche protectrice épaisse et homogène de fluorure de sodium à la surface dentaire, insoluble à pH neutre pendant environ 6 mois. La baisse du pH salivaire provoque une libération d’ions fluor et de calcium de la couche de vernis. Les ions fluor peuvent alors former des fluoro-apatites plus stables dans la couche superficielle de l’émail. Ils réduisent également la formation de la plaque. Ils peuvent être utilisés chez le sujet à risque carieux élevé, même jeune, du fait du faible risque d’ingestion. Ils sont particulièrement intéressants dans le traitement post-éruptif de la dent immature alors que la pose de sealants n’est pas encore possible.

10 - CONCLUSION Le fluor reste un vecteur essentiel de prophylaxie de la carie mais l’évolution des connaissances et de la santé dentaire des populations doit nous inciter à modifier notre mode de prescription : – le sel fluoré, adopté comme mesure de santé publique depuis 15 ans en France reste le vecteur de choix et de moindre coût (0,15 euro par personne et par an) pour la majeure partie de la population, quel que soit son âge ; – le brossage pluri-journalier, dès l’âge de 3 ans, associé à un dentifrice fluoré adapté offre des capacités protectrices importantes par apport topique ; – l’apport systémique par apport supplémentaire de fluor reste d’actualité, mais réservé aux enfants à risque élevé et seulement après la réalisation d’un bilan du taux de fluor détaillé ; ces suppléments fluorés 348

adaptés au poids et autres sources de fluor, permettent de jouer sur l’effet systémique des fluorures au niveau des dents en formation, même si ce n’est pas leur effet majeur reconnu, et d’augmenter l’effet local au niveau des dents qui viennent de faire leur éruption ; – des mesures de prévention complémentaires (solutions fluorées, gels, vernis) peuvent être prises chez les enfants présentant un risque accru de développement de caries dès l’éruption des premières dents permanentes. Même si la fluorose reste marginale en France, il est du devoir de tout praticien de doser le rapport risque / efficacité afin de prescrire à bon escient. Quoi qu’il en soit le fluor ne sera jamais un vaccin. Il s’inscrit dans une démarche globale de santé dans laquelle le chirurgien-denRev Orthop Dento Faciale 36 : 335-350, 2002


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tiste est au centre du système en relation avec les autres professionnels de santé. La prescription fluorée est indissociable de conseils d’hygiène orale et alimentaire personnalisés.

Dans le cadre d’un véritable contrat de santé, le rôle du praticien est non seulement d’assurer la prise en charge préventive et/ou curative du patient mais d’amener ce dernier à sa propre responsabilisation.

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Tableau I Stade de fluorose (N=6000). Figure 1 Fluorose constatée en présence d’une eau d’ad duction à teneur en fluor de 2,13 mg/l (Créon Gironde) : stade 2 sur 21, 31 et 41, stade 3 sur 13, 22, 32 et 42, stade 4 sur 14,12,11, 21, 23, 24, 33, 34, 43 et 44.

n teneur en fluor inférieure à 0,3 mg/l n teneur en fluor comprise entre 0,3 et 0,7 mg/l n teneur en fluor inférieure à 0,3 mg/l Figure 2 Fluor et eaux d’adduction - situation en 1998 (sources DDASS) Tableau II Fiche de bilan fluor. Tableau III Table de conversion des composants fluorés des dentifrices. Tableau IV Arbre décisionnel : risque carieux faible. Tableau V Arbre décisionnel : risque carieux élevé.

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Qui a inventé… le bracket ? Julien PHILIPPE

RÉSUMÉ Si le tube rond ouvert de C. Case répond à la définition du mot «bracket», alors c’est bien le premier bracket apparu. Sinon, il faut attendre le «Ribbon-Arch» d’Angle, dont le bracket présente une gorge rectangulaire capable de répondre aux torsions du fil. En 1925, naît le bracket edgewise qui donnera jour à une innombrable descendance.

MOTS CLÉS Bracket – Attache – Histoire de l’orthodontie.

1 - INTRODUCTION Faut-il garder le mot «bracket» alors que «console», «boîtier», «verrou», s’offrent à nous ? Sans doute, car ces termes sont déconseillés par le dictionnaire de la S.F.O.D.F.11, et parce que «bracket» est plus

précis : il désigne une attache appliquée et fixée sur la couronne dentaire et comportant une gorge dans laquelle peut s’insérer un arc orthodontique.

2 - LE TUBE OUVERT DE CASE En 1908, C. Case décrit très précisément9 un système d’attache qu’il utilise depuis 18908, mais sans, alors, en avoir donné un dessin précis. Case n’emploie pas le mot «bracket» à propos de son système d’attache mais «open tubing». Toutefois, on peut admettre

J. PHILIPPE, 1 bis, rue des Vieux Rapporteurs, 28000 Chartres.

qu’il s’agit bien d’un bracket, du plus simple des brackets. Case utilise un tube rond fait d’une feuille de métal enroulée sur elle-même (fig.1). Ce tube présente donc une fente, là où les deux bords s’affrontent. Il est soudé sur la bague par la face opposée à la fente,

En fait, ce mot a voyagé entre la France et l’Angleterre : le français braquet est devenu en anglais bracket, puis revenu en France sous le nom de «braquet (1923), qui est généralement considéré comme la spécialisation en cyclisme du terme technique braquet au sens de petit clou à ferrer les souliers. D’autre part : l’anglais bracket, mot technique désignant un support, une applique, est lui-même emprunté (XVIe s.) au français braguette ; il n’a pas les emplois français, mais l’extension est possible. En français, braquet est actuellement utilisé en cyclisme (les citations sont extraites du Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert).

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Figure 1 Le «tube ouvert» de C. Case, soudé selon les cas à différents niveaux. (d’après Case9).

puis il est ouvert, en forçant avec un mandrin légèrement conique et de taille appropriée, de sorte que l’arc peut-être introduit latéralement par la fente ainsi ouverte. Les tubes sont faits en maillechort ou en or. La taille de leur lumière et l’épaisseur de la feuille de métal qui les forme, varient avec leur destination et la section de l’arc prévu. Le praticien prépare les tubes et les fils à l’aide d’une filière qui leur donne le calibre voulu. Lorsqu’un arc, toujours en fil rond, est placé dans un tube ouvert soudé sur une bague, il peut déplacer la couronne de la dent dans toutes les directions, sauf en direction vestibulaire. Il doit, dans ce cas, être attaché. Ce bracket rond ne permet évidemment pas de déplacer l’apex dans le sens linguovestibulaire. Case a mis au point un autre dispositif pour faire cela : le «contouring» qui à l’aide d’un levier et de deux arcs développe un couple de forces. Mais le «contouring» ne correspond en rien à la définition du bracket, même si certaines de ses réalisations incluent le bracket décrit cidessus.

3 - LE BRACKET DU «RIBBON-ARCH» En 1916, Angle1 propose le «Ribbonarch». Depuis longtemps il cherchait un système qui lui permette de contrôler les axes des dents, ou tout au moins des incisives, car son premier arc, (le «E.-arch») ne provoquait que des versions. En 1911, il avait proposé le «Pin-and-Tube» une mécanique qui orientait les axes dentaires par un autre système que le bracket, mais qui se révéla extrêmement difficile à manipuler. Le «Ribbon-arch» est d’un emploi beaucoup plus facile. Il est ainsi nommé parce que l’élément actif est un arc .022’’ x .036’’, placé à plat sur les faces vestibulaires (fig. 2 et 3). L’élément passif est «a délicate block of métal, or bracket» (Angle). La gorge de ce bracket est rectangulaire, elle s’ouvre vers 366

Figure 2 Le «Ribbon-arch» et son bracket (d’après Angle1). Rev Orthop Dento Faciale 36 : 365-369, 2002


Qui a inventé… le bracket ?

Figure 3 Comment un arc peut, par l’intermédiaire du bracket, contrôler la position et l’orientation d’une dent. C’est le premier dispositif qui le permet et un schéma explicatif a été jugé nécessaire (d’après Angle1).

le bord occlusal. Une paroi de la gorge est formée par la face externe de la bague, l’autre paroi lui est parallèle. Le fond du bracket est percé d’un trou où passera une épingle de verrouillage (une goupille en cuivre) qui applique l’arc vers la bague et vers le fond de la gorge pour être ensuite recourbée. Les premiers brackets furent réalisés en or platiné, puis des versions en maillechort furent proposées.

On voit combien ce dispositif a inspiré R. Begg quand il mit au point le bracket propre à sa méthode. Dewel10 fait remarquer que le bracket du «ribbon-arch» fut le premier bracket capable d’orienter un arc dans les trois plans de l’espace. Il semble toutefois que le contrôle de l’inclinaison mésio-distale des dents, dépendant du serrage de l’épingle, devait être bien incertain (fig. 3).

4 - LE BRACKET DE L’EDGEWISE Que le «ribbon-arch» ne contrôle pas l’orientation des prémolaires chagrinait Angle. Il pense ajouter sur ces dents des brackets d’une autre forme et demanda à ses étudiants (en particulier G. Brodie) d’en tailler des prototypes à la main. Angle trouva tant de qualités à ces nouveaux brackets qu’il eut l’idée d’en étendre l’usage à toute l’arcade. Angle présenta oralement le nouveau système dit «Edgewise», en 1925. Il le publia à partir de décembre 1928 dans plusieurs numéros consécutifs du Dental Cosmos2-5 pour la préparation desquels il fut aidé par C. Tweed. «Le bracket est fait à partir d’un solide bloc de métal, creusé d’une gorge au milieu de sa longueur». Angle montre deux types de brackets. La face externe du modèle A présente deux biseaux taillés à partir de la gorge (fig. 4). Ce modèle est spécialement dessiné Rev Orthop Dento Faciale 36 : 365-369, 2002

Figure 4 En A et B les deux premiers types de bracket Edgewise (d’après Angle2). 367


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pour les dents antérieures. Le modèle B a les mêmes dimensions mais la face externe s’étend de part et d’autre de la gorge en formant des ailettes. La gorge du bracket est rectangulaire, elle est faite pour accueillir sans aucun jeu, un arc .022’’ x .028’’ placé sur chant, c’est-à-dire en sens contraire de celui du «ribbon-arch». Ainsi placé, l’arc est moins souple quand il s’agit de corriger les rotations : on devra souder à côté des brackets

de minuscules anneaux («staples» en E dans la figure 4) pour tenir des ligatures de rotation en cuivre (plus tard, et pour la même raison, on verra apparaître des brackets doubles). En revanche l’arc edgewise corrige mieux les versions mésiales et distales que l’arc ruban. De là son intérêt pour le contrôle des prémolaires et surtout (mais chut ! Il n’en sera pas question du vivant d’Angle) pour les traitements avec extractions.

5 - LES RETOUCHES En 1933, Angle étant mort, Steiner12 fait remarquer que le bracket dessiné par Angle (le modèle B, car le A semble vite oublié) présente un défaut : la base étant peu épaisse peut se déformer et si le bracket s’ouvre l’arc n’est plus ajusté dans la gorge, ainsi agrandie. En revanche, les ailettes qui ne supportent que la force des ligatures sont inutilement épaisses (fig. 5). Le premier défaut est grave lorsqu’au cours d’une translation vers l’avant des incisives (manœuvre alors fréquemment pratiquée dans les cas d’encombrement) un ou deux brackets s’ouvrent et pas les autres… En outre, il empêche le mouvement de torque.

C’est pourquoi Steiner met au point un nouveau bracket edgewise. Il sera dorénavant fait dans un métal plus dur, avec une base plus épaisse, des ailettes plus fines et plus recourbées, ce qui permet, si la dent est à distance, de placer la ligature sur une seule ailette. C’était la première retouche… et pendant les soixante-dix années suivantes, le bracket ne cessera d’être modifié de toutes les façons imaginables, et d’être réalisé dans tous les matériaux possibles, illustrant par ses métamorphoses la réflexion et l’ingéniosité des orthodontistes (Bolender6).

Figure 5 À gauche, le bracket d’origine ; à droite le bracket rectifié par Steiner (d’après Steiner12). 368

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