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Le fossé se creuse à Gif-sur-Yvette

Première promenade : Le fossé se creuse à Gif-sur-Yvette

ZAC du Moulon.

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Je me souviens de mon premier voyage sur le chantier de la ZAC du Moulon, sur le plateau de Saclay à Gif-sur-Yvette. Après 2h30 de trajet dans le TGV Lille-Paris et le RER B bondé, nous atterrissions avec Antoine sur le quai de la petite station RER du Guichet, perdue au milieu d’une banlieue résidentielle verdoyante, avec son bar tabac et son coiffeur. William, le conducteur de travaux de l’entreprise générale SICRA, nous attendait en voiture pour nous accompagner vers le chantier. Une fois les présentations faites, celui-ci annonçait d’un air grave : « On a un sujet sur la façade Ouest de la RE, il y’a un problème d’aplomb sur quatre trumeaux entre le rez-de-chaussée et le deuxième étage. Ce n’est pas énorme, quelques centimètres, mais assez pour que cela se voie. » avant d’enchaîner « Mais on a fini de modifier le prototype selon vos remarques, on pourra vous présenter ça ! ». Nous sortions alors de l’autoroute pour nous engager vers l’entrée de la ZAC en voyant défiler les Algeco d’espace de vente « ORIZON » du promoteur, surmontés d’imposants panneaux publicitaires vantant les mérites du nouveau quartier avec des perspectives aguicheuses.

La première impression était saisissante : là, perdu au milieu des champs de maïs, de patates et de blé, 330 hectares de constructions et voiries s’élevaient à des rythmes variés. Un quartier entier sortait de terre au tempo des grues, des engins de chantier et des ouvriers qui s’affairaient à couler 870 000m² de ville en béton armé. Un rapide passage sur la base-vie me permettait de faire la connaissance de Vincent, le maître d’œuvre d’exécution du bureau d’étude en charge de la direction du chantier, ainsi que des deux autres conducteurs de travaux de SICRA. Nous enchaînions par la visite des façades du projet et le fameux problème d’aplomb des réservations de baies. Un décalage entre l’alignement des trumeaux du rez-de-chaussée et ceux des étages était effectivement visible lorsque l’observateur se situait en face de la façade. « On ne sait pas d’où ça vient, on a suivi les plans d’exécution. Il doit y’avoir un décalage sur les façades archi. » nous chargeait Vincent. Après avoir convenu qu’il ne s’agissait pas de savoir de quel côté l’erreur avait été commise, puisque le mal était fait et le béton coulé, Antoine s’affairait à trouver les solutions sur place pour résoudre le problème : taper le béton sur 5cm d’un côté, rattraper l’alignement avec la menuiserie de l’autre, sur-épaissir un parement en plaquette de pierre.

Bien contents de ne pas avoir à démolir l’un des trumeaux, Vincent et William nous emmenèrent ensuite voir le prototype de façade situé de l’autre côté du

bâtiment. Sur le chemin, nous sommes interpellés par la présence d’une fosse donnant sur le sous-sol qui ne figurait pas sur nos plans et située juste devant la façade vitrée du futur local commercial. « A la demande du promoteur, nous avons ajouté une fosse pour accueillir un monte-charge qui reliera le futur local commercial au parking sous-terrain. Il n’y avait pas d’autre emplacement possible. » Nous nous retrouvions alors devant le fait accompli : une attention avait été donnée en études pour ménager un léger porte-à-faux et fabriquer un effet d’angle sur la rue. Pour mettre en valeur l’angle, la façade sous le porte à faux était prévue entièrement vitrée, ce qui aurait permis au commerce de créer une vitrine et au piéton de distinguer l’intérieur du commerce depuis l’autre bout de la rue. Le nouvel ascenseur situé à 10cm des façades condamnait de ce fait l’angle vitré, qui allait terminer au mieux avec un habillage en tôle plaqué sur les parois de l’ascenseur ou des stores qui seront fermés en permanence, au pire avec une vitrophanie lorsque plus personne ne contrôlera les vitrines commerciales du quartier. La fosse d’ascenseur avait en plus été dimensionné pour accueillir un modèle de monte-charge déjà choisi.

Tandis que nous étions atterrés de ne pas avoir été prévenus, l’ambiguïté de la mission jouait en notre défaveur : nous étions missionnés uniquement pour valider la conformité des façades au permis de construire, l’ajout d’une fosse d’ascenseur sur les plans de coffrage intérieurs ne faisait en théorie pas l’objet d’une approbation de notre part. Le promoteur avait décidé conjointement au MoEx d’ajouter cette fosse à la dernière minute, en « off » et à la demande du futur preneur du local. La façade serait conforme au PC, puisque la baie serait tout de même vitrée, à un détail près : au lieu de donner vue sur l’intérieur du commerce, la vitrine donnerait vue sur la cage d’un monte-charge.

Notre tour des façades terminé, nous rentrions à la base vie pour aborder en salle de réunion quelques sujets en cours, puis retournions en fin d’après-midi à la gare du Nord et à Lille, sans être entrés dans le bâtiment et sans savoir dire si notre prochaine visite se ferait dans un mois, ou plus.

Cette expérience fut ma première expérience de chantier et la dernière situation décrite témoigne selon d’un dysfonctionnement dans la capacité de l’architecte à maîtriser le projet architectural. C’est à partir de ce tout premier matériau que s’élabore ma réflexion sur le sens de la maîtrise d’œuvre.

Chantiers croisés : la mission complète à l’épreuve du marché privé.

Afin d’aborder la question de la mission complète en marché privé, il est tout d’abord nécéssaire de savoir de quel privé parle-on? Il existe surement autant de maîtrises d’ouvrage privées qu’il y’a de projets architecturaux en France. Au cours de la présentation de quelques projets de l’agence Béal&Blanckaert pendant notre dernière session de synthèse, nous avons eu l’occasion de voir plusieurs opérations en marché privé et les différences fondamentales liées aux programmes et aux cultures des maîtrise d’ouvrage. Entre une maîtrise d’ouvrage véritablement «non sachante» qui choisit de faire confiance aux compétences de sa maîtrise d’œuvre, un promoteur privé qui est habitué à monter en quasi autonomie un type d’opération standardisé, ou une maîtrise d’ouvrage qui souhaite se faire bien voir par un aménageur ou une collectivité pour developper son implantation dans une région, le fossé est important.

Ma pratique personnelle est pour le coup très fortement ancrée sur la question du logement collectif en promotion privée. Ce programme a représenté pas loin de 90% de mon expérience personnelle d’architecte chez Béal&Blanckaert (chantier et conception compris). Cette expérience est une aubaine : c’est là que j’ai constaté la fracture la plus grande dans notre mission. La séparation entre la conception et l’exécution, le morcellement des tâches, la perte du sens de l’architecture et du métier d’architecte au profit de logiques financières s’y développent dans un terreau fertile.

Haut de page: Piste de chantier et silos à mortier, Chantier de «La parenthèse verte», Lille Sud.

Ce constat pose question lorsque l’on sait que l’aménagement et la construction de quartiers entiers, comme la Maillerie à Lille ou la friche Montalembert à Villeneuve d’Ascq, qui était jusque là du ressort de la puissance publique, est désormais attribué à des opérateurs privés dont la logique est la rentabilité au m².

En cas de dommage appelant assurance décénale sur un ouvrage, l’article 1792 du Code civil précise que «tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage (non responsable et non sachant de ce fait), des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination.» Il ne s’agit pas cependant de résumer le récit qui suit à la seule question du logement en marché privé: jusqu’à aujourd’hui en effet, j’ai eu la chance de pouvoir intervenir de manière ponctuelle sur un certain nombre des projets de l’agence et sur tout type de phases, d’observer, tout en conservant en fil conducteur la pratique de deux chantiers au cours de ces trois années. Cette expérience personnelle me permet d’affirmer que les moyens que l’on se donne pour s’assurer la maîtrise d’un projet qui produit du sens, et ce jusqu’au bout, est une question d’engagement, pas de programme.

Il existe cependant un point commun aux marchés privés qui n’existe pas en marché public: la maîtrise d’ouvrage a l’opportunité de séparer la conception de l’exécution si elle le désire. Nous verrons par la suite les conséquences pour l’exercice de l’architecture qu’une telle séparation implique. Le logement collectif en promotion privée semble donc une bonne entrée en matière pour décrire des phénomènes plus généraux que je souhaite combattre dans une future pratique de maîtrise d’œuvre.

Le cas du logement collectif en promotion privée: la mission partielle à l’œuvre.

Génération ZAC.

En Septembre 2018, j’intègre l’agence Béal&Blanckaert qui était alors en pleine effervescence : la période de rentrée est souvent le théâtre d’une activité intense, entre rendu de concours et de phases, projets qui démarrent et reprennent, nouveaux salariés qui rejoignent la structure. Afin de remplacer Justine qui était partie faire un grand voyage d’un mois, j’ai tout de suite eu la tâche de finaliser le dépôt du permis de construire d’un projet de 54 logements dans la ZAC d’Ardoines à Vitry-sur-Seine, pour le promoteur Nexity. Je me rappelle d’une phrase d’Antoine Béal lorsque nous passions en revue les élévations du projet : « Nous n’avons pas le suivi de chantier, il faut absolument blinder les annotations PC car ce sera la seule chose qui protégera le projet une fois lancé en construction ! ».

Avec le recul, je pense que mon premier contact avec une mission de maîtrise d’œuvre ne ressemble en rien à ce qu’ont pu connaître les deux associés lorsqu’ils ont démarré leur activité. Pour le coup, sur le projet d’Ardoines, les règles du jeu ont été clairement écrites par le promoteur : l’architecte qui assure la conception du projet n’est pas celui qui dirigera le chantier (qui peut d’ailleurs être suivi par tout organisme assuré pour, architecte ou non6). L’équipe de maîtrise d’œuvre est sélectionnée à l’avance et unilatéralement par le promoteur, la notion de mandataire n’existe pas. Des choix prédéterminés sont ainsi réalisés sans discussion avant même de tracer le premier trait sur une feuille: le BET structure sera un BET béton d’office, le BE généraliste et le bureau de contrôle se limiteront à étudier des dimensionnements d’ouvrages techniques (gaines, locaux techniques etc...). Le temps qu’ils accordent au projet est fontion de leur rémunération: celui-ci se limitera souvent au contrôle plus qu’à la conception. Nexity, même si le promoteur n’est pas considéré comme tel aux yeux du droit, est sachant en matière de construction : des ingénieurs et chargés techniques en

6. Dans ce cas, c’est même le promoteur qui assure le suivi de chantier avec un département MoEx en interne.

interne s’occupent de suivre le projet aux côtés des responsables de programme et sont capables de suivre un chantier ou de donner leur avis sur des aspects techniques. L’économie du projet est une donnée confidentielle détenue par le promoteur ; il ne partage à l’architecte qu’un ratio au m² de SHAB à atteindre. Cette mission est dite « partielle » et nous pouvons voir que la réalité n’a rien à envier au terme.

A cette époque, le constat à l’agence était flagrant : sur la dizaine de projets en cours et concours en étude, la majeure partie était des projets d’immeubles de logements collectifs en secteur ZAC, et les contrats de mission partielle sans suivi de chantier, qui étaient nouveaux pour l’agence, commençaient à fleurir sur plusieurs projets. Cet enjeu est pourtant de taille, et pas des moindre : le logement correspond à plus de la moitié des ouvrages confiés aux architecte en 2018 (56%), tandis que la part des commandes en marché privé ne fait qu’augmenter depuis dix ans7. La réhabilitation de logements existants est également un marché en augmentation croissante et porteur d’enjeux importants vis-à-vis de l’impératif écologique.

Ce premier contact avec le métier ne fut pas pour autant l’objet d’une désillusion. Bien au contraire ! Cela m’a justement convaincu que l’enjeu pour notre métier réside justement dans la réappropriation du sens de notre mission complète. En cautionnant ce type de pratique, il devient possible et tentant pour une maîtrise d’ouvrage de relativiser le besoin de recourir à un architecte, réduire à peau de chagrin ses honoraires car sa mission sera perçue comme limitée.

La routine, l’abstraction:

D’une façon générale, le processus de fabrication d’un projet en promotion privée et en mission partielle telle que précédemment décrite incite l’équipe de maîtrise d’œuvre au moindre effort et à la salarisation par le promoteur. Il faut construire pour construire. Prenons tout d’abord le cas d’une ZAC, par exemple, où un certain nombre de données seront imposées pour la construction des logements en fonction des différents cahiers des charges : gabarits, épannelages, matériaux de façade. ll conviendra ensuite de composer dans un environnement hors site et hors sol, figé dans l’abstraction des volumes blancs qui composent une ville projetée au milieu d’une zone industrielle ou d’une parcelle agricole.

Une fois la granulométrie définie, la conception des logements sera quant à elle totalement tributaire du mode de commercialisation proposé par la promotion privée. Avant d’acheter un lieu de vie, l’acquéreur d’un logement achète avant tout de la surface. Les plans de vente 2D ou 3D sont des livrables qui ne retranscrivent qu’une réalité abstraite et déconnectée de tout contexte, celle du plan étroitement délimité par l’épaisseur des voiles séparatifs. Les hauteurs, les vues, la matérialité du logement ne sont pas connus à l’achat. L’organisation, le dimensionnement et les cloisonnement internes sont définis selon des critères standardisés et ne peuvent être modifiés par l’acheteur que moyennant un forfait payant. La matérialité de l’architecture ainsi que les matériaux utilisés sont enfermés dans l’épaisseur du pochage abstrait des murs.

Faibles marges d’expérimentation et vision réductrice du logement peuvent donc conduire à valoriser l’aspect esthétique de l’architecture, qui reste la dernière variable d’ajustement. Ce phénomène est particulièrement visible lors des concours de maîtrise d’œuvre pour du logement en promotion privé.

A titre d’exemple sur ce dernier point, le 15 janvier dernier, Pierre-René Lemas a remis son rapport sur la qualité du logement social en France commandé par le ministère du Logement et de la Culture suite au premier confinement de Mars 2020. Maîtres d’œuvre, bailleurs et promoteurs ont été mis autour de la table et formulent le constat d’une dégradation de la qualité générale du logement en France en offrant quelques pistes politiques pour inverser la vapeur. Il est stupéfiant de voir que le rapport évince totalement la question du matériau de construction, de son origine et de l’aspect social et écologique des procédés de construction dans ses critères d’évaluation de la qualité d’un logement.

«L’architecte devient un producteur d’images, un agent de marketing ou de communication, qui ne travaille plus qu’en trois dimensions fictives.»

MARREY, Bernard, Architecte, du maître de l’œuvre au disagneur, Editions du Linteau, Paris, 2013.

Du concours à l’éxecution : le marketing et la réalité.

Dans un contexte d’austérité budgétaire permanente, le concours de maîtrise d’œuvre est quasiment devenu un moyen pour les maîtrises d’ouvrage ou les aménageurs d’obtenir un APD à part entière dans un court laps de temps et sans engager de frais importants. Pour un concours que j’ai rendu à Saint Denis dans la Zac des Tartres, les pièces attendues sont nombreuses et chronophages: plans de l’ensemble des appartements, estimatif de l’opération et planning détaillé des études, élévations de l’ensemble des façades, perspectives photo-réalistes, notices architecturales et environnementales. Ne reste plus qu’à déposer le permis de construire! Cette vision du concours a pour conséquence de figer le projet dans un avancement au temps X alors que la conception s’est généralement déroulée sur à peine un mois tout au plus, de focaliser l’attention sur «l’image qui pète» et les grands discours. Si la mission de l’équipe de maîtrise d’œuvre est partielle, que les intervenants changent tout au long du processus, ces images et ces discours seront-ils forcément maîtrisables jusqu’au bout du projet?

Dans le jargon économique, le marketing consiste en l’ensemble des études et des actions qui concourent à créer des produits satisfaisant les besoins et les désirs des consommateurs et à assurer leur commercialisation dans les meilleures conditions de profit8 . Si nous faisons un parallèle avec les concours d’architecture, le consommateur est ici le jury de concours qui va attribuer un marché à une équipe de maîtrise d’œuvre. Dans le marketing, le problème vient du fait que le décideur peut être tenté par un produit séduisant qui a été conçu pour répondre à un désir immédiat, mais dont les concepteurs n’ont pas eu le temps de maîtriser les ressorts réglementaires, constructifs, techniques et économiques qui viendront ensuite s’y superposer. Véronique Biau dans son étude sociologique du métier d’architecte à l’heure de la néolibéralisation, cite Mark Wigley, théoricien de l’architecture, en parlant des stratégies adoptées par les architectes pour communiquer leurs projets:

« «Le rôle de l’architecte n’est plus de produire des édifices mais de produire du discours sur les édifices, et de faire des édifices des formes de discours.» L’esthétisation de l’architecture va de pair avec l’essor d’une conception hyper individualiste mise au profit de stratégies d’images.9»

Comment dépasser ainsi les effets d’annonce type green washing qui seront passés à la moulinette de l’économie, des calculs et des bureaux de contrôle dès les premières études ? La responsabilité de l’architecte est aussi de savoir proposer des architectures qui sont capable de résister au filtre des phases et de l’exécution, de garder leur sens et leur qualité. Conserver la synthèse et la cohérence du projet jusqu’à la fin est d’autant plus compliqué en mission partielle. Pour citer un exemple parmi tant d’autres, dans le cas du projet d’Ardoines, Nexity a conclu un contrat-cadre de partenariat commercial avec une entreprise de menuiserie pour la réalisation de ses projets en région parisienne. Le promoteur s’offre ainsi une entreprise dédiée en lui garantissant des chantiers réguliers sur le long terme, et l’entreprise lui propose en échange des prix intéressants à condition de rester dans un minimum de standardisation pour que la fabrication des châssis ne soit pas trop sophistiquée et qu’elle puisse réaliser des économies d’échelle. Jusqu’au dépôt du PC, cette donnée n’a jamais été connue par l’agence. Si l’on peut débattre sur la pertinence de cette formule vis à vis de l’inventivité ar-

8. Définition du CNRTL 9. BIAU, Véronique, Les architectes au défi de la ville néolibérale, Editions parenthèses, Paris, 2020. p.158

chitecturale, en connaissant cette donnée en amont du permis de construire la conception des baies aurait au moins pu être débattue avec l’entreprise. Cette dissociation cognitive entre le moment du dessin et celui de l’exécution entrainera probablement une tension avec l’entreprise au moment du dossier marché ou de l’éxécution.

D’autres formes de concours commencent cependant à émerger. Pour le projet de bureaux Gina sur l’île de Nantes, ou celui d’Ardoines à Vitry-sur-Seine par exemple, le règlement imposait de ne pas rendre d’esquisse de projet, de plans détaillés ni d’images, mais de développer dans une notice une démarche de travail et d’équipe ainsi qu’une vision du projet et du programme. La maîtrise d’ouvrage, mais également l’équipe de maîtrise d’œuvre se désintéresse ainsi progressivement de l’objet désirable pour recentrer leurs attentes sur les processus, les usages, la tenue de l’économie, le discours et la vision de l’équipe pour le projet. Cette approche est plutôt encourageante pour l’architecture : en se détachant du fantasme de l’objet numérique, nous avons l’opportunité fabuleuse de se réapproprier et faire valoir d’autres aspects de notre mission d’architecte, tout aussi essentiels.

Cultiver un devoir d’ingérence :

Dans le débat sur les conditions de production du logement en France « Le logement, toujours un laboratoire d’architecture ? » organisé par la Cité de l’Architecture et du Patrimoine en 2016, les architectes Myrto Vitart, Jean-Christophe Quinton et Clément Vergély mettent en évidence plusieurs points qui posent la question de l’étendue de la mission de l’architecte et qu’il est primordial de réintégrer dans notre conception des projets et de notre mission :

• La programmation n’est pas ou peu pensée en amont des projets : les architectes ne sont pas invités à réfléchir sur le programme et ont perdu leurs prérogatives à ce titre. Les typologies sont standardisées et partagés partout en France, les modes de vie sont stéréotypés.

• Les projets sont peu pensés dans le temps : peut-on envisager la vie du bâtiment sur des dizaines d’année, sa transformation, avoir une approche de la durabilité comme une mission vis-à-vis des sociétés futures ?

• L’expérimentation doit aussi passer par l’expérience même du logement, c’est-à-dire réussir à exprimer ses qualités spatiales et matérielles. Le seul plan de vente ne permet pas de rendre intelligible l’architecture du logement et d’impliquer les futurs habitants. La question des finitions, de la matérialité intérieure fait également rarement l’objet d’une réflexion spécifique.

• L’enjeu de la commercialisation est de vendre le logement le plus rapidement possible pour minimiser les risques financiers, ce qui n’encourage pas la promotion à l’expérimentation.

• Le chantier est de moins en moins suivi par les architectes qui se limitent aux mission de conception, et directement par des services internes aux maîtrises d’ouvrage ou des bureaux d’étude.

Ce dernier point, selon Véronique Biau, peut-être expliqué de trois manières: l’ambivalence des architectes à l’égard de la maîtrise d’œuvre exécution, qui assument parfois ne pas posséder la culture de chantier ou les compétences et la disponibilité que cela nécessite; l’amaigrissement des honoraires dédiés à la maîtrise d’œuvre sur une opération, qui n’incite pas les architectes à suivre un chantier très chronophage et sous-payé; le confort d’une maîtrise d’œuvre d’exécution non architecte, dont les critères de réussite d’un chantier ne sont pas les mêmes. Ce phénomène provoque cependant un réel questionnement éthique vis à vis de notre rapport à l’architecture.

Représentation du projet de Gina figurant dans la notice de concours. L’image présente des principes de composition et une ébauche d’organisation du rez-de-chaussée plutôt qu’un visuel photoréaliste depuis la rue.

«La vie d’un architecte, c’est d’être sur le chantier, c’est même d’être en rapport direct avec les ouvriers, c’est même d’être soimême entrepreneur, c’est ça la vraie vie d’un architecte.

Hélas, on a encore divisé le métier en deux entre la conception et la technique, et encore en deux entre l’exécution et la conception et on est arrivé à une chose fantastique : ceux qui conçoivent ne connaissent pas ceux qui exécutent.»

POUILLON, Fernand, Mon ambition, Editions du Linteau, 2011.

L’abandon du chantier: la désincarnation de la maîtrise d’œuvre.

Depuis trois ans, j’ai pu vivre deux expériences de chantier radicalement différentes qui me permettent aujourd’hui de m’interroger sur la séparation entre la conception et l’exécution, notamment au regard des contrats de marché privé qui dissocient les études du suivi de chantier.

La première est un projet de résidence étudiante et de logements en promotion privée dans la ZAC du Moulon à Gif sur Yvette, construit en béton et en entreprise générale. Pour ce projet, l’agence a conclu un contrat « d’architecte de conception » : d’entrée de jeu après avoir remporté le concours, la MOE est ainsi séparée en deux parties : maîtrise d’œuvre conception dont le rôle en exécution se limitera à une mission dite de « suivi de la conformité architecturale » et maîtrise d’œuvre d’exécution qui apparaîtra en phase chantier.

La deuxième est un chantier de 196 logements à Lille Sud, en commande directe, construit en structure hybride béton / brique porteuse « maxibrique » et en corps d’états séparés, où l’agence a en revanche un contrat de mission complète avec suivi de chantier, et ou nous assurons justement la maîtrise d’œuvre d’exécution pour une autre agence qui a conçu une partie du projet.

Le suivi de la conformité architecturale : l’impossible maîtrise de l’œuvre produite.

Persona non grata, ce que dit le contrat.

Dans le cas ou l’architecte signe un contrat de mission partielle, la mission de conformité est rendue obligatoire par l’article 3 de la loi sur l’architecture de 1977. Celui-ci impose à tout maître d’ouvrage privé à minima une mission de suivi de la conformité architecturale si l’architecte ne suit pas l’exécution du projet. Elle se solde par la signature d’un certificat de conformité architecturale au permis de construire. Relisons ensemble l’objet de cette mission telle que décrite dans le contrat qu’à conclut l’agence avec le promoteur sur le projet de Gif-sur-Yvette:

«Une mission de contrôle de la conformité architecturale est confiée à l’architecte. Cette mission est réalisée sur pièces (plans d’exécution), et non sur place (chantier). L’architecte ne se déplace pas sur le chantier (hors visites motivées par la réalisation/validation du prototype de façade, le choix des matériaux et des différentes harmonies en intérieur et extérieur), ne participe pas aux réunions de chantier, ne suggère pas de corrections d’ouvrages ni ne vise de procès-verbal de réception de travaux. L’architecte ne participe pas, même partiellement, à la direction des travaux et ne pourra être impliqué dans des erreurs commises à cette occasion ; sa responsabilité n’y sera pas engagée. Les Visas des plans d’exécution que l’architecte pourra transmettre dans le cadre de la mission d’assistance à la maîtrise d’ouvrage pour le contrôle de la conformité architecturale ne sont pas une validation technique, mais uniquement une validation de conformité au projet architectural défini au dossier PC.»

Le contrat est clair: l’architecte est tenu de rester éloigné physiquement du chantier. Celui-ci n’y a aucune responsabilité d’engagée. Si l’on considère que l’architecte respecte effectivement la description de cette mission tel quelle est écrite au contrat, ses visites de chantier peuvent donc se limiter à trois ou quatre au cours

Plus loin, une phrase du contrat attire particulièrement mon attention: «A la demande du maître d’œuvre d’exécution, l’architecte participe aux réunions, hors réunion de chantier, pour donner son avis sur le respect de l’aspect architectural défini au marché.»

En conformité architecturale, pour ce qui s’agit du respect du dossier marché, l’architecte doit viser hors-chantier l’ensemble des documents d’exécution. Lorsqu’il est invité sur chantier pour en constater l’exécution, au contrat celui n’est donc prié que de donner son avis, que le détail lui convienne ou non. Il revient ensuite à la maîtrise d’ouvrage, la MoEx et la où les entreprises de décider ou non si cet avis vaut la peine d’être entendu ou pas, en fonction des reprises à faire, du planning, des finances, de l’impact vis à vis du permis. Il va s’en dire que cet avis est sollicité avec insistance lorsqu’il s’agit de viser rapidement des plans d’exécution à la place de la MoEx, mais avec beaucoup moins d’assiduité lorsqu’il est question de dégrader la qualité d’un détail architectural.

Au final, c’est donc la conformité au permis de construire qui reste la seule garantie que le projet ne sera pas dégradé ou modifié en chantier. Ce constat pose question lorsque l’on sait que les documents et les annotations du permis, notamment les façades, ne s’expriment qu’à une échelle très superficielle, au 200ème . Nous comprenons bien que dans ce cas, la maîtrise d’ouvrage a tout intérêt à ce que le permis de construire soit le moins précis possible pour conserver une importante marge de manœuvre sur chantier, et l’architecte à mettre l’accent uniquement sur les points du projet à idéfendre impérativement.

Notre rôle est ensuite relativisé jusqu’à la livraison : la déclaration attestant l’achèvement et la conformité des travaux, la DAACT, qui est un document qui engage la responsabilité du directeur de travaux, peut tout à fait être signée à la livraison par la MoEx sans l’accord de l’architecte. Dans ces conditions, il est clair que « l’architecte de conception » n’a pas les billes pour s’impliquer correctement sur le chantier et faire autorité. De plus, même si le contrat indique que l’architecte doit vérifier par le visa et les visites la conformité de l’exécution à son dessin, j’ai bien constaté que les attendus se limitent souvent à l’enveloppe extérieure, à l’image du projet, sans possibilité de faire ingérence dans le projet global. Cette séparation entre ce qui est considéré comme architectural, à savoir les façades extérieures, et technique, à savoir la construction de l’édifice, est par ailleurs clairement décrite au contrat.

La séparation contractuelle entre «architectural» et «technique».

Dans le contrat, la répartition des tâches sur chantier est segmentée afin de réaliser une attribution par intervenant. Ainsi, sur tous les sujets d’aspects «techniques», l’architecte n’est pas sollicité. L’examen des plans d’exécution, par exemple, est décomposé entre conformité avec le marché et compatibilité des corps d’état entre eux. L’architecte doit réaliser la première tâche mais pas la deuxième. Ces décompositions entre les tâches de suivi architectural10 et les tâches de suivi dit «technique» renforcent la dissociation entre la conception et l’exécution: y’a t’il vraiment un sens à séparer l’examen de l’ouvrage de la manière dont-il devra se coordonner avec les autres corps d’états? Dans les deux cas, soit l’architecte consciencieux s’intéressera de toute manière à la synthèse des ouvrages et prémachera le travail pour la MoEx, soit il se limitera aux tâches qui lui sont attribuées et actera la séparation entre conception et exécution.

Cette image de l’une des façades du projet est une démonstration criante d’une série «d’adaptation circonstancielles» qui ont fait «perdre de vue la globalité du projet». Les ouvrages de chacune des entreprises se sont superposées les un aux autres au fur et à mesure de l’édification sans cohérence de teinte, de matériaux, et sans respecter les nus de mise en œuvre.

Le fait accompli, la cohérence de l’œuvre.

Un fait de chantier marquant sur le chantier de Gif-sur-Yvette fut la question récurrente de notre mise devant le fait accompli d’un certain nombre de détails d’exécution qui n’avaient pas été clairement définis en étude et qui par simple omission, manque de communication, volonté d’avancer sans se compliquer la tâche, prendre de retard, ou multiplication des intermédiaires (et parfois tous en même temps !) nous obligent à demander le démontage ou la démolition lors des visites ou tout simplement à accepter une exécution non conforme au projet.

Prenons l’exemple où la maîtrise de l’exécution d’une façade du rez-de-chaussée a totalement échappé à l’agence. Sur ce projet, un des critères que nous souhaitions défendre pendant l’exécution était de conserver une homogénéité des parties métalliques avec de l’aluminium anodisé de teinte dorée sur l’ensemble du projet, ainsi que le respect du nu de pose en applique intérieur des menuiseries et ouvrages en rez de chaussée. L’entreprise qui sous-traitait à SICRA la réalisation des bardages et menuiseries en aluminium a quitté le chantier avant de terminer le rez-de-chaussé. Pour combler sa défaillance, une entreprise de serrurerie, mais qui ne fait que de l’acier, a été sélectionnée par l’entreprise générale pour terminer le chantier. Un certain nombre de façades techniques que nous souhaitions en pose en applique intérieure n’étaient pas dessinés au marché et pas terminés à la livraison du bâtiment. Après avoir constaté sur photos de l’urbaniste que les ouvrages avaient été posés sans documents d’exécution validés et au nu extérieur, nous demandons formellement leur démontage et leur reprise, mais le maître d’œuvre d’exécution est déjà parti bien loin et le promoteur nous informe qu’il n’engagera pas de frais supplémentaires sur ces parties car elles sont conformes aux façades du permis de construire, qui ne stipulent pas de nu ni de matériau particulier, à part un aspect métallique et une teinte dorée.

La réalisation des menuiseries du commerce était ensuite prévue à la charge du futur preneur, après la livraison du bâtiment. Celles-ci devait faire l’objet d’une déclaration préalable ultérieure respectant le permis de construire. Nous avions établi un petit cahier des charges détaillant un principe de linteau et trumeau métallique en tôle pliée en accord avec la MOA et l’urbaniste. L’enjeu était le respect des teintes et du détail déjà mis en œuvre par l’entreprise générale sur l’une des ouvertures qui était découpée entre les deux phases. Deux ans après la livraison du projet, le preneur et son architecte, pour des raisons évidentes de coût, font réaliser les vitrines sans les modénatures et sans

tenir compte des réunions que nous avions tenues avec l’aménageur et l’urbaniste. La déclaration préalable, qui représentait une façade en 2D conforme au PC, avait été acceptée entre temps par la mairie.

Je pourrais retourner la question de la conformité architecturale autrement : si nous savions que la direction des travaux allait nous échapper et que nous ne serions pas toujours sur place pour contrôler la cohérence du projet, il aurait peut-être été nécessaire d’être le plus précis et le plus exhaustif possible dans 1 le permis de construire, puis dans le dossier marché, afin de ne rien laisser au hasard en chantier. Même s’il ne s’agit pas de cautionner la mission partielle en cherchant les moyens de s’adapter en études à l’éloignement du chantier, cette expérience a eu le mérite de pointer du doigt certaines lacunes: le projet a été décrit comme si nous avions toujours la possibilité de finir de concevoir sur chantier à notre aise.

Acrotère 178.12 NGF

R+1 163.70 NGF

1 1 4 Acrotère 177.80 NGF 18.77 15.76

A.3

terrasson 174.64 NGF A.4

A.7

R+2 166.42 NGF

R+3 169.14 NGF

R+4 171.86 NGF

R+5 174.58 NGF Numérotation = voir la liste récapitulative des modifications

Toiture 177.32 NGF

Acrotère 174.89 NGF

illustrative. 5

1

18.97

159.03

NGF

L’architecte corvéable.

Niveau terrain naturel livré par l'EPAPS = Niveau terrain fini 15.10

Pierre claire finition adoucie compris épaisseur de trumeau Enduit blanc cassé

Module de menuiserie RE alu anodisé teinte champagne avec: - garde corps barreaudé - volet coulissant métallique - ébrasement enduit Menuiserie alu anodisé teinte champagne

transformateur

entrée résidence étudiante

JD

8.25

2.27 A.3

ascenseur parking public

escalier parking public

A.1 A.5

Colonne sèche Sur le projet de Gif, l’agence a fait le choix de s’investir davantage que ce que le strict contrat nous demandait en chantier pour continuer d’assumer la conception et ne pas laisser au hasard un certain nombre de détails. A aucun moment cet engagement qui est allé au-delà de la stricte mission qui nous a été confiée n’est rémunéré ou mis en valeur par le maître d’ouvrage, mais il est plutôt considéré comme un frein au bon déroulement du chantier. Notre mission est donc dépendante du bon vouloir des intervenants: si la maîtrise d’œuvre d’exécution ou la maîtrise d’ouvrage ont décidé de ne pas tenir informé l’architecte et de le tenir éloigné des décisions prises sur chantier, de ne pas retranscrire par écrit les échanges oraux lors des visites, c’est son seul engagement personnel en temps et en énergie dans une confrontation permanente à la maîtrise d’ouvrage et à l’entreprise qui permettra de ne pas rester dans la figuration. Pour ce projet d’un budget travaux de douze millions d’euros, l’agence est remunérée à 3.50% d’honoraires pour sa mission de «maîtrise d’œuvre de conception». Sur le projet d’Ardoines, dont la teneur du contrat est sensiblement la même, pour un budget travaux de 7 millions d’euros le taux d’honoraires est fixé à 3.90%. Dans les deux cas, la décomposition des honoraires est environ de 15% pour la mission de conformité assurée pendant l’exécution, une mission qui s’étale souvent sur deux ans de chantier jusqu’à la livraison. Etant donné la faiblesse du taux d’honoraire dédié aux études, il va s’en dire qu’il est tentant pour l’architecte de s’investir au minimum sur le chantier afin de faire un tant soit peu la balance avec la phase étude. Dans le cas de Béal&Blanckaert, si l’agence pouvait se permettre de me laisser travailler plus de temps sur cette conformité architecturale et aller souvent à Gif-sur-Yvette, c’est parce que sa taille et la quantité des projets permettaient de faire la balance. Cependant nous voyons bien que les modalités de la mission partielle n’invitent en aucun cas l’architecte à s’engager sur un chantier qu’il vit alors comme un étranger, en constatant l’avancement au gré des invitations de la MoEx.

Auvent métallique teinte champagne Garde corps barreaudage teinte champagne

De l’autre côté du miroir.

1

3 2 1_ Vue depuis le mail Joliot-Curie _ Angle Sud Ouest 2 _ Vue depuis le mail Joliot-Curie _ Angle Sud Est 3 _ Vue depuis le sillon paysager _ Façade Nord Résidence

5 1

3

JD

terrasson 174.64 NGF

Acrotère 174.89 NGF

Acrotère 177.80 NGF

2

18.95

159.23

NGF

24.74

67.35 Pierre claire finition adoucie compris épaisseur de trumeau Enduit blanc cassé

Module de menuiserie RE alu anodisé teinte champagne avec: - garde corps barreaudé - volet coulissant métallique - ébrasement enduit Menuiserie alu anodisé teinte champagne Habillage métallique teinte champagne Serrurerie métallique teinte champagne Vitrine non réalisée soumise à autorisation préalable ultérieure

RDC 159.03

NGF

entrée supermarché 5.66 158.91

NGF

13.59

A.2

La végétation est FAILLE

Se référer à la notice paysagère.

Sur le chantier de Lille-Sud, j’ai l’occasion de faire moi-même l’expérience de la maîtrise d’œuvre d’exécution pour le compte d’une agence qui a conçu une partie des bâtiments mais qui ne suit pas leur exécution. Ironiquement, les rôles s’inversent, mais à une différence près: je suis moi-même architecte, et non pas chargé d’affaire ou ingénieur d’un bureau d’étude.

Est-il possible cependant possible d’obtenir le même degré d’engagement, de compréhension et d’implication vis-à-vis d’un projet que nous n’avons pas conçu nous-même ? Dans les fait, la direction des travaux est une mission de service : les bureaux d’étude et sections internes aux maîtrise d’ouvrage qui proposent

Page de gauche: perspective et façade du projet de Gif-SurYvette déposés au permis de construire. L’échelle des documents ne permet pas de décrire le détail souhaité au niveau des vitrines en rez-dechaussée. Un carnet de prescription architecturales composé de croquis a été réalisé à la fin du chantier à l’attention de futurs preneurs. Ce carnet, approuvé par l’urbaniste et le promoteur, mais non contractuel, n’aura pas été suivi par l’acquéreur de la surface commerciale. Ces petits dessins informels anticipés plus tôt dans la conception du projet et joints au permis de construire auraient peut-être permis de maintenir une forme de maîtrise sur des ouvrages réalisés plus d’un an après la livraison du bâtiment.

Exemple d’un extrait de plan envoyé en mail par l’entreprise générale. La difficulté à représenter la synthèse des ouvrages en deux dimensions rend souvent les supports illisibles et permet difficilement de résoudre à distance des sujets de manière efficace. des missions de suivi de chantier ont principalement comme arguments des données quantifiables et objectivables : respect du dossier marché, des coûts, des délais, de la réglementation. La cohérence et la conformité du projet aux études ne font en principe pas parti de leurs critères de réussite, alors que c’est le cas de l’architecte, qui doit de plus être garant de tous les critères précédemment décrits. Ce temps passé à vouloir s’assurer de la cohérence de l’œuvre avec la volonté de l’architecte est un temps supplémentaire qui n’est pas forcément pris par un bureau d’étude. Même dans mon cas, je constate parfois que certaines choses nous échappent, que les dossiers marchés sont toujours interprétables, que bien connaître les ouvrages d’un projet que je n’ai pas entièrement conçu depuis le début demande la capacité d’en saisir la totalité et un temps d’investissement conséquent. Cela nous amène donc à solliciter constamment l’architecte de conception pour être sûr de ne pas se tromper.

L’éloignement physique.

L’ensemble des situations précédemment décrites renforcent donc l’image de l’architecte qui « pose problème en chantier», rallonge les délais, change les détails et demande le démontage car bien souvent le chantier n’est plus considéré comme le prolongement de la conception mais comme une simple application d’un dossier marché.

Qui plus est, dans le cadre d’une mission partielle, la formule maîtrise d’œuvre de conception / d’exécution / maîtrise d’ouvrage / entreprise générale / sous-traitants créé un éloignement total sur chantier entre celui qui conçoit et celui qui fait. La hiérarchie est importante et bien huilée, elle ne permet pas de brouiller les frontières. Je n’ai connaissance de ce qui se passe en réunion de chantier hebdomadaire que par le biais des comptes rendu de chantier qu’il est chronofage de lire entièrement et dont la moitié des sujets et intervenants nous sont inconnus , tandis que les sujets problématiques arrivent par mail et photos qui parfois ne permettent pas de saisir les situations dans leur totalité. Pour régler différents détails d’exécution, ou bien lorsque nous souhaitons modifier le dessin de châssis vitré en y intégrant des stores extérieurs malgré les études thermiques du bureau d’étude par crainte de surchauffe des locaux, à distance l’information doit d’abord passer par le maître d’œuvre d’exécution, qui la transmettra aux conducteurs de chantier de l’entreprise générale, puis aux chefs de chantiers des sous-traitants, et enfin aux ouvriers. Entre temps, le directeur technique du promoteur qui assiste à toutes les réunions de chantier peut juger qu’une demande qui nous paraît légitime dans l’intérêt du projet n’est pas recevable si elle n’est pas représentée clairement au DCE ou au permis de construire.

Dans ce cas précis, la situation se débloque lorsqu’une réunion est organisée directement sur site avec le serrurier acier sous-traitant de l’entreprise SICRA. Nous pouvons enfin y parler des outils de l’entreprise, de ses plieuses, des dimensions de châssis qu’elle peut mettre en œuvre, juger des répercussions économiques, parler du matériau. Le serrurier comprend ce que nous voulons, tandis qu’il m’apporte la connaissance du matériau qu’il travaille et de son outil. Au fur et à mesure, pour ce qui concerne les sujets dont nous avons la conformité, nous finissons par traiter directement avec l’entreprise générale et ses sous-traitants, que ce soit par mail ou en réunion. Au final, c’est cette formule qui a le mieux fonctionné sur ce chantier. Cela m’a vraiment posé la question de l’intérêt de l’intermédiaire que représente le maître d’œuvre d’exécution.

Cette situation a renforcé une conviction : l’architecte doit se maintenir au plus proche du chantier et des personnes qui font. C’est un positionnement éthique et c’est la cohérence de l’œuvre avec les études qui est en jeu. L’éloignement, l’intermittence et la prolifération des intermédiaires ne peuvent créer qu’indifférence et lassitude, multiplier les situations où le contrôle du projet glisse lentement entre les mains et dissocier le moment de l’exécution comme partie intégrante du projet architectural.

Détails, mise en œuvre et textures de brique. Chantier «La parenthèse verte», Lille-Sud

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