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Bio sous-sol à Vitry-sur-Seine
Troisième promenade: Bio sous-sol à Vitry-sur-Seine
ZAC des Ardoines
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Retournons le temps d’une anecdote dans la ZAC d’Ardoines, à Vitry-sur-Seine, où j’avais déposé le PC d’un projet de logements au début de mon contrat.
Dans le cadre du règlement de ZAC, le projet de 88 logements vise l’obtention du label bâtiment biosourcé de niveau 1 délivré par l’organisme de certification QUALITEL. Le mode de calcul est simple : un tableau répertorie la nature et la pondération en kg/m² d’un ensemble de produits biosourcés potentiellement utilisés dans le projet, des aménagements extérieurs en passant par le gros œuvre, de l’isolation aux menuiseries extérieures, des mains courantes jusqu’au plinthes et au parquet. Ainsi, un parquet en bois massif représentera 10kg de matière biosourcée par m² à l’échelle du projet tandis qu’un pan d’ossature bois porteur représentera 15kg/m². En multipliant le métré des produits utilisé par leur pondération et en divisant le total du poids obtenu par la SDP, le résultat est censé atteindre 18kg/m² de SDP. Il est ainsi tout à fait envisageable d’obtenir le sésame en mettant en œuvre des huisseries et portes bois, du parquet et des plinthes en bois ainsi qu’un bardage bois, tout en construisant l’ensemble du projet en béton et en l’isolant avec de la laine de verre.
A l’époque où nous avons déposé le PC du projet, la première étude de sol G1 réalisée par le BET géotechnique annonçait la présence de nappes phréatiques dans le sous-sol d’une grande partie de la ZAC. L’étude préconisait alors un rabattement de nappe sur notre lot afin de maintenir la zone du chantier hors d’eau durant la réalisation des deux niveaux de parking sous-terrain en voile par passe. Après un arrêt de deux ans, le projet-- reprend et une nouvelle étude de sol plus poussée est réalisée sur le lot : la nappe phréatique est en réalité plus haute que ce que la première étude G1 avait annoncé. Le BET préconise alors la réalisation du parking en paroi étanche injectée sans quoi la nappe ne pourrait être rabattu compte tenu des débits trop importants à pomper. Faisons l’exercice du calcul de la quantité de béton et d’acier nécessaire à sa réalisation de manière rapide : La parcelle est un trapèze d’environ 80m par 55m de côté. Le sous-sol de 150 places et 4600m² de SDP est construit sur deux niveaux et sur la totalité de l’emprise. J’ai pris le temps de calculer rapidement les quantités de matières théoriques qui seront mises en œuvre pour réaliser la structure du sous-sol.
• Paroi moulée constituée de panneaux de béton de 50cm d’épaisseur sur deux niveaux (hauteur 6m) : 900m3 de béton et 20T d’acier • Radier et dalle du niveau intermédiaire d’épaisseur moyenne 25cm : 1150m3 de béton et 80T d’acier • Environ 100 pieux de fondations de 60cm de diamètre, reprenant l’infra et la superstructure et ancrés à 10m sous le niveau TN : 280m3 de béton et 16 T d’acier • Poteaux de 30x70cm et poutres de 40x60 cm reprenant les 8 niveaux de superstructure : 200m3 de béton et 25 T d’acier.
Notre sous-sol de 150 places pèse donc environ 2530m3 de béton et 141T d’acier, sans compter les tonnes équivalent CO2 émises pour la production et l’acheminement des matériaux sur site.
A cela nous pouvons rajouter l’impact lié à la réalisation des parois moulées sur le sous-sol Vitriote et la pollution de la nappe phréatique dont il est impossible de mesurer les effets à long terme ; l’impact carbone lié à l’extraction, la production et l’acheminement de la bentonite industrielle nécessaire à la réalisation des parois ; l’impact carbone des différents engins de forage qui seront utilisés, l’impact des mortiers d’étanchéités ou additifs au béton permettant le cuvelage de l’intégralité du sous-sol (qui ne seront probablement pas fabriqués avec du chanvre).
En comparaison à cette débauche de matière et de moyens techniques nécessaires pour réaliser un sous-sol inhabité, nos 18kg de matériaux biosourcés/m² de SDP en superstructure paraissent bien anodins. Devant le refus de la ville d’absorber par les loyers les surcoûts engendrés par la réalisation dans toute la ZAC de cuvelages onéreux, c’est au final l’architecture qui sera directement dégradée. C’est elle qui reste la dernière variable d’ajustement pour absorber des coûts techniques considérés comme fixes.
Il ne s’agit pas là de dénigrer les bienfaits du label biosourcé qui a le mérite d’obliger les maîtrises d’ouvrage à composer et intégrer en amont des études des matériaux issus de sources renouvelables. Cette situation démontre cependant les incohérences et les réactions en chaînes induites par une lecture sectorisé et fragmenté de la conception urbaine et architecturale. Si nous voulons adopter une pensée écologique globale, et donc complexe, nous devons réintégrer autant qu’il se peut la chaîne de production et son impact sur l’environnement de manière complète, du début à la fin. Des parkings silos aérien construits en bois et mutualisés entre deux ou trois lots auraient peut-être pu absorber certains parkings sous-terrain sans modifier la nature du sous-sol Vitriote, réduisant au passage grandement la facture carbone et la quantité de ressources nécessaire à l’édification des projets. Davantage de pleine terre aurait pu être conservée, permettant de limiter l’artificialisation des sols sur la ZAC et de maintenir de beaux et grands jardins en coeur d’ilôt. Les habitants auraient peut-être pu rejoindre à vélo leurs véhicules garés dans les parkings mutualisés.
Une éthique de la conception durable suppose de réfléchir au moyens de parvenir à une sobriété à la source, dès l’écriture du PLU et des règles de stationnement dans ce cas, et implique de toujours se méfier des «mécanismes de compensation» :
«On l’aura compris, il est toujours plus difficile de nettoyer que de ne pas salir, d’essayer de refroidir après avori réchauffé, de réparer plutôt que de ne pas casser ; cela vaut pour les assiettes comme pour les biosphères20.»
20. BIHOUIX, Philippe, Le bonheur était pour demain. Les rêveries d’un ingénieur solitaire, Editions du Seuil, Paris, 2019, p.292.
Réincarner la production de l’architecte.
Les différentes prises de position du pouvoir public par exemple démontrent chaque année que l’état se décharge toujours davantage sur les grandes entreprises et industriels du privé pour définir l’avenir du secteur de la construction en France. L’article de l’architecte Erik Mootz « Si l’échec est un but, la transition écologique du BTP pourrait être un chef d’œuvre » paru dans la revue d’Architectures d’octobre 2020 est à ce sujet éclairant.
Haut de page: Prototype de façade du projet de Gif-sur-Yvette. Ce prototype complet présentant différentes situations d’interfaces entre ouvrages a pu être amélioré plusieurs fois jusqu’à parvenir à la mise en œuvre voulue. Son caractère contractuel a été un critère important de réussite du chantier, étalonnant la qualité de la mise en œuvre et permettant une forme de contrôle malgré l’absence du suivi de chantier. Comme nous l’avons déjà vu, il faut bien comprendre que l’architecte est l’un des «dernier maillon» d’une chaîne qui provient parfois de très loin, de choix macrostructurels à l’échelle du pays qui impactent la profession et conditionnent en partie son exercice. Jusqu’à preuve du contraire, même si nous pouvons disserter sur l’amincissement du rôle de l’architecte en France, ce sont cependant encore des architectes-urbanistes, urbanistes et des paysagistes qui conçoivent nos paysages et espaces urbains, qui conseillent des maîtrises d’ouvrage, qui décrivent et prescrivent des matériaux et leur mise en œuvre, en assurent la bonne exécution. Cet état de fait représente toujours une opportunité fabuleuse d’engager la transformation de l’architecture et de ses modes de production pour des solutions plus respectueuses de l’environnement et de l’humain. Se donner les moyens de maîtriser l’œuvre architecturale du début à la fin du processus reste l’un des engagements encore pleinement en possession du maître d’œuvre. C’est une condition sine qua non au maintien de la qualité de l’œuvre construite, mais aussi de son ambition vis à vis de son rapport au monde.
J’ai ainsi exprimé dans la partie précédente la volonté de recentrer ma pratique architecturale autour d’un pensée qui prend plus en considération les réalités matérielles de l’architecture, elles même intimement liées au maintien d’une relation physique au chantier. Il s’agit désormais de mettre à profit ces observations et ces expériences pour définir des stratégies opérationnelles et des postures intellectuelles utiles à un projet professionnel, à une pratique quotidienne en entreprise d’architecture. Par quels moyens réincarner véritablement la pratique de l’architecte, son travail en tant que production, son rapport au monde et à l’environnement?