Printemps 2012
Le Le tambour tambour qui qui parle parle
Une question d’apprentissage Par Scott Walter, directeur exécutif, CODE
En 1990, on s’était donné comme objectif, au plus tard en 2000, de rendre universel le droit à une éducation de base de qualité, peu importe qui on est et où on vit. Il en va de soi : après tout, l’éducation touche tous les aspects du développement humain. Elle permet l’autonomie, elle enrichit, elle assure une bonne santé à long terme et elle est le fondement des droits de la personne, de l’expression de soi et de l’engagement social. Malheureusement, malgré les avantages indéniables de l’éducation universelle, l’an 2000 a été franchi sans que rien n’ait vraiment changé. Le monde s’est donc réuni de nouveau et on s’est fixé un autre objectif, celui-là pour 2015.1 L’échéance arrive bientôt et, sachant que la cible n’aura pas été atteinte encore une fois, il est important de réfléchir à la démarche pour parvenir à notre fin si on veut aller dans la bonne direction. Sinon, le voyage n’en vaut pas vraiment la chandelle. Nous devons porter une attention particulière à la qualité de l’éducation et à l’une des questions les plus fondamentales qui soient : les enfants apprennent-ils? Les élèves quittent-ils l’école en sachant lire, écrire, penser par eux-mêmes et résoudre des problèmes? En d’autres termes, ont-ils ce qu’il faut pour la vraie vie, pour le rôle social qu’ils auront à jouer? Beaucoup de progrès ont été accomplis dans de nombreux pays pour accroître la fréquentation scolaire de millions d’enfants, mais il y en a encore malheureusement beaucoup qui décrochent et qui manquent ce qu’on pourrait considérer comme leur seule et unique chance de recevoir une éducation en bonne et due forme; les compétences nécessaires pour que leur famille, leur communauté et eux-mêmes puissent vivre pleinement leur échappent ainsi. C’est pourquoi CODE accorde autant d’importance à l’expertise, à la capacité et aux ressources nécessaires pour que les élèves aient la chance de savoir lire et d’écrire et ainsi d’accéder à tout ce que la vie peut leur apprendre. Pour ce faire, nous avons un projet intégral visant à instaurer une culture de lecture. Ce projet, intitulé CODE en lecture, comporte deux volets : l’accès à une collection de livres intéressants et adaptés à la culture des lecteurs et écrits dans des langues que ces derniers comprennent ainsi que la capacité d’utiliser ces livres dans le cadre d’un enseignement de qualité. Pour mettre le projet en œuvre, nous faisons appel d’abord et avant tout à l’expérience et l’expertise de nos partenaires locaux. Nous collaborons aussi avec un vaste réseau d’experts reconnus dans des domaines tels que l’alphabétisation, l’éducation des enseignants et l’édition, des experts qui donnent de leur temps et transmettent leurs connaissances aux intervenants du réseau de CODE. Grâce au soutien de nos donateurs et de l’Agence canadienne de développement international (ACDI), ils contribuent à de nombreux aspects de notre travail, notamment l’évaluation des programmes et les formations offertes aux enseignants, aux auteurs, aux bibliothécaires et aux éditeurs des pays où nous œuvrons. Dans le présent numéro de Ngoma, nous avons demandé l’avis de certains de nos experts bénévoles sur une panoplie de sujets, de la situation de l’éducation dans les pays en développement à des questions telles que la formation des enseignants, la pédagogie axée sur l’égalité des genres, la littérature pour enfants ainsi que les réalités auxquelles font face les enseignants et les élèves des pays qui sortent de la guerre. J’espère que leur intervention vous fera bien ressortir les grandes réalisations qui ont été faites en éducation dans les pays en développement au cours des dix dernières années ainsi que les nombreuses difficultés que devront surmonter CODE et toute la communauté internationale pour le développement au cours des dix années qui suivront. 1
Des objectifs en ce sens ont été fixés par les Nations Unies (Objectifs du millénaire pour le développement) et par l’UNESCO (L’Éducation pour tous).
Des écoliers d’une école primaire soutenue par CODE au Kenya.
CONTENTS Une question d’apprentissage Réflexions sur la formation en enseignement de la lecture et de l’écriture pour les jeunes enfants en Afrique
P1
P2
Écrire en s’inspirant du quotidien de sa collectivité en situation d’après-guerre
P3
« Ce qui est bon pour les filles… » : pour une pédagogie active, sensible et équitable pour les filles et les garçons
P4
L’éducation des filles en croissance au Mozambique P5 L’importance d’écrire pour les jeunes
P6
Le sens du chez-soi par les livres
P7
2 Réflexions sur la formation en enseignement de la lecture et de l’écriture pour les jeunes enfants en Afrique
très limitées. Voici certaines des questions que j’ai dû me poser pour la planification des ateliers de formation pour enseignants : •
(cahiers vierges, crayons, craie)? •
Par Michelle Commeyras, Ph.D., University of Georgia
Les programmes et les projets axés sur la lecture et l’écriture en Afrique ont longtemps ciblé les adultes
De quoi disposent l’enseignant et les élèves pour écrire
L’enseignant a-t-il de la place pour passer entre les élèves et leur montrer les illustrations à la lecture d’un livre pour enfants?
•
L’organisation et la taille de la classe permettent-elles la création de centres de lecture et d’écriture ou le travail en petits groupes? L’enseignant est-il plutôt limité à l’enseignement magistral?
qui n’ont jamais fréquenté l’école. Mais, au cours des
Deuxièmement, il est essentiel que les décideurs à l’extérieur des
dix dernières années,
écoles participent à la formation des enseignants. Par exemple, pour
suivant la création des
les ateliers tenus en partie dans le cadre de Reading Kenya, il était
objectifs de l’Éducation
important d’inviter les fonctionnaires du ministère de l’Éducation parce
pour tous de l’UNESCO
qu’ils ont fait en sorte que les enseignants qui reçoivent la formation
pour 2015 et dans un
ne soient pas transférés à des écoles qui ne sont pas touchées par le
contexte où le nombre
projet. Il est arrivé, dans un cas, que le fonctionnaire assiste aux trois
d’enfants à l’école ne cesse
premiers ateliers pour les formateurs et aux trois ateliers subséquents
d’augmenter, la lecture et l’écriture sont devenues des questions de première importance pour les écoles primaires et secondaires. En effet, on se rend compte que les élèves n’y acquièrent pas les habiletés nécessaires pour faire des études postsecondaires et ainsi contribuer, entre autres choses, au développement économique. Pour que soient bien enseignées la lecture et l’écriture, on sait aujourd’hui qu’il faut accorder une importance toute particulière à l’enseignant. La personne qui veut enseigner doit savoir mettre à profit les méthodes pédagogiques mises au jour par les recherches sur l’enseignement de la lecture et de l’écriture.
auxquels ont participé 90 enseignants. Aussi, au Kenya, deux agents d’assurance de la qualité du ministère de l’Éducation ont assisté aux ateliers pour les formateurs. Leur présence a été cruciale parce qu’ils vont dans les écoles pour y effectuer des évaluations. À titre d’évaluateurs, ils doivent connaître les
C’est pourquoi il existe de nombreux projets en Afrique, dont ceux
nouvelles
menés par CODE, pour améliorer la qualité de l’enseignement de
méthodes
la lecture et de l’écriture, surtout dans les écoles primaires. J’ai eu la
d’enseignement
chance d’être experte bénévole en alphabétisation pour CODE au
et le nouveau
Kenya et en Sierra Leone. En date d’aujourd’hui, j’ai effectué cinq
matériel utilisé.
voyages au Kenya et trois en Sierra Leone. Dans les deux pays, ma contribution se divise en deux volets. D’une part, j’ai créé et animé des ateliers pour enseignants d’écoles primaires. D’autre part, j’ai prodigué de l’aide aux enseignants durant les ateliers. Mon expérience m’a appris beaucoup de choses.
Enfin, pour que les enseignants
Un enseignant se sert d’un grand livre dans une classe du Ghana.
acquièrent les compétences visées, je crois qu’il est essentiel d’encadrer les enseignants et les directeurs entre les ateliers. Un atelier interactif permettant d’essayer de nouvelles méthodes pédagogiques
Premièrement, quand on conçoit un atelier, il faut toujours garder en
est déjà un bon point de départ : c’est la graine qui va germer dans
tête les réalités des classes des enseignants. Dans beaucoup de pays
les classes et les écoles à condition qu’un expert vienne régulièrement
où œuvre CODE, les ressources dont disposent les enseignants sont
pour aider les enseignants et les élèves à mettre en œuvre les ...suite en page 3
le tambour qui parle • bulletin
je lis. je vis.
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nouvelles méthodes. Voilà un grand défi pour des raisons financières et logistiques, un défi que relèvera CODE avec l’aide des donateurs et des gouvernements. Michelle Commeyras est professeure de langue et alphabétisation à la University of Georgia. Au cours de la dernière année, elle a mené cinq ateliers de formation aux enseignants de trois jours pour CODE au Kenya et en Sierra Leone. La formation des enseignants est un
de la lecture créé par CODE, laquelle œuvre auprès d’enseignants, de bibliothécaires, d’auteurs et d’éditeurs locaux pour favoriser la création et le maintien à long terme d’écoles d’alphabétisation pour les élèves de la maternelle à la 12e année. Pour obtenir de plus amples renseignements sur CODE en lecture, visitez le www.codecan.org/our-programs/international-programs/ reading-code.
élément essentiel de CODE en lecture, un projet intégral de promotion
Écrire en s’inspirant du quotidien de sa collectivité en situation d’après-guerre
et l’amitié. Les enseignants ont commencé à comprendre que les
Par George Hunt, University of Edinburg
racontait des événements malheureux :
Je suis allé pour la première fois au Liberia en compagnie de Charlie
« Mon ami se trouve aujourd’hui quelque part dans le monde des
Temple en juillet 2007 pour y donner un atelier sous l’égide de Critical
morts, et cet exercice m’a fait penser à lui. Qu’il repose en paix.
Thinking International (CTI). Le premier matin, j’ai raconté l’histoire
Je le remercie. »
ressources didactiques de leurs classes décimées ne devait pas venir exclusivement de l’extérieur sous forme de dons, mais qu’elles peuvent être produites à l’intérieur, comme affirmation de l’identité. Le partage des textes s’est fait sous le signe de l’enthousiasme, même lorsqu’on
d’un jeune mari sans ressources et sans enfants qui a droit à un vœu après avoir aidé une dame. Mais il doit le faire avant minuit. Il voudrait
Parmi les participants se trouvaient Michael et Yvonne Weah de la
être riche, mais son père, aveugle, veut qu’il demande qu’on lui
WE-CARE Foundation qui fournissaient du matériel de lecture et un
redonne la vue. Sa femme, elle, lui demande un enfant. Ils en discutent
abri pour les enfants de Monrovia qui voulaient lire pendant la guerre.
longuement tandis que minuit s’approche à toute vitesse.
Ils avaient commencé à collaborer avec le Liberian Writers Group à la production de livres culturellement adaptés suscitant l’intérêt des
Je ne raconterai pas la fin pour ne pas gâcher l’histoire. Mais je peux
jeunes élèves. Avec la participation de CODE, de CTI et de l’Union
dire que le jeune homme résoud le problème avec ingéniosité, une
internationale pour les livres de jeunesse – Section canadienne, le
qualité qui s’est manifestée pour moi de nombreuses manières dans
projet est devenu Reading Liberia, un projet présentant une série
la semaine qui a suivi.
d’histoires écrites, illustrées, éditées et utilisées par des Libériens à
L’atelier visait les enseignants du primaire et du secondaire et portait sur l’acquisition de nouvelles méthodes pédagogiques favorisant le raisonnement critique, la rédaction et l’apprentissage par l’écriture. Nous avions prévu 30 participants et il y en a eu le double. Comme n’importe quel autre établissement scolaire du pays, l’école qui nous
l’image des difficultés et des petites victoires quotidiennes des enfants et des familles du pays aujourd’hui. Pour mettre sur pied Reading Liberia, CODE a aussi misé sur son expérience avec le Children’s Book Project for Tanzania, un programme financé par l’Agence canadienne de développement international (ACDI).
accueillait avait souffert pendant quinze ans de la guerre civile. Nous
Le programme comprend aussi un volet de formation des enseignants
avions comme équipement un tableau cloqué et quelques morceaux
pour donner à ces derniers les outils qui les aideront à mettre à profit
de craie. Comme le jeune homme dans l’histoire, il fallait faire preuve
les livres ainsi créés de manière interactive et stimulante. Lorsque
d’ingéniosité pour atteindre nos objectifs.
CODE et CTI ont mis sur pied un programme similaire en Sierra
Nous avons relevé le défi en faisant appel à l’expérience de nos participants, tant personnelle que sociale. C’est par des discussions et des exercices de rédaction simples relevant de la tradition orale,
Leone l’an dernier, nous avons utilisé les histoires libériennes pour l’enseignement des stratégies pédagogiques, mais aussi comme exemples qu’il est possible de créer de la littérature authentique.
de la fiction, de l’autobiographie et des enjeux familiaux et sociaux
Parallèlement à l’utilisation des histoires, nous avons aussi encouragé
que les participants sont devenus des auteurs. Certains des souvenirs
les enseignants de Sierra Leone à créer leurs propres livres à l’aide de
et des réflexions à l’origine des textes rédigés cette semaine-là
techniques similaires à celles employées au Liberia. Il en a résulté des
traduisaient les expériences éprouvantes de la guerre, mais il y en a eu
histoires pour enfants à partir de modèles rythmiques, une collection
beaucoup d’autres sur le sentiment d’accomplissement, la résilience
multilingue de berceuses, des chants pour enfants et certains proverbes ...suite en page 4
je lis. je vis.
CODE • Printemps 2012
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plutôt colorés : « Si le chapeau se plaint d’une flatulence, qu’en est-il des sous-vêtements? » Des ateliers pour auteurs et illustrateurs ont été tenus de concert avec les séances de formation des enseignants, et on travaille actuellement à créer les premiers livres issus de Reading Sierra Leone. Comme dans le conte, le milieu des enseignants, auteurs, illustrateurs et bibliothécaires qui veulent rétablir l’éducation après la guerre doivent répondre à des besoins en concurrence les uns avec les autres. Ils ont besoin de ressources non fictives, d’une diversité accrue des genres, de nombreux livres et d’autres types de textes qui montrent le monde au-delà des frontières du pays.
Il est peut-être utopique d’imaginer que tout ce dont a besoin une nation pour créer une culture de lecture peut provenir de l’intérieur, mais l’éducation ne pourra être solide sans l’intervention des élèves et des collectivités. Il est en effet particulièrement important que leurs voix soient entendues dans des situations où l’injustice et l’appauvrissement les ont jusqu’à présent contraints au silence. On pourrait peut-être dire que c’est le pendant langagier du slogan de CODE, « Si vous savez lire et écrire, vous pouvez apprendre à tout faire » : tout ce qu’on a fait et été, et tout ce qu’on est présentement, peut contribuer à apprendre à lire et à écrire. George Hunt est conférencier en alphabétisation et éducation à la University of Edinburg. Il s’est joint à CODE comme formateur pour Reading Sierra Leone en 2011.
« Ce qui est bon pour les filles… » : pour une pédagogie active, sensible et équitable pour les filles et les garçons Par Alison Preece, Ph.D., University of Victoria
Le sentiment d’appartenance : voilà l’un des principaux facteurs de réussite scolaire ou simplement un bon
l’importance d’adopter du matériel pédagogique solide qui ne dénigre aucune culture. C’est un matériel qui doit représenter la diversité humaine, facteur d’identité tant individuelle que culturelle. Nos élèves, peu importe l’école
moyen d’inciter l’élève à ne
qu’ils fréquentent, leur origine,
pas décrocher. Mais un tel
leur sexe, leur situation ou leur
sentiment d’appartenance
culture, ont besoin de se voir
est impossible sans la
représentés avec empathie dans
compréhension du passé,
le matériel prévu et approuvé
des valeurs et du quotidien
par leur école. Ils doivent sentir
de l’élève et le respect des aspirations de ce dernier par
que les images sont adéquates, qu’elles ouvrent l’esprit à une
le professeur et ses pairs, du
panoplie de possibilités au lieu
moins une partie d’entre eux. En
de lui indiquer une voie toute
ce sens, il est important de s’étudier, de s’imaginer où on en est actuellement et où on désire aller, dans tous les aspects de la vie à l’école, par exemple les thèmes abordés, les
faite et qu’elles traduisent une vision du monde à laquelle ils peuvent souscrire. L’école doit devenir un lieu d’appartenance,
documents présentés, les questions soulevées et les livres à lire.
surtout pour les filles.
Les éducateurs militent depuis longtemps pour l’égalité des genres
De très bonnes initiatives
dans le matériel pédagogique, matériel où les filles et jeunes
ont été entreprises par des
femmes ont la capacité d’occuper divers rôles équivalents à ceux
ONG et des élaborateurs de
des hommes. Ainsi, il y a moins de risques que les garçons et les
programmes internationaux
filles grandissent avec, attachés à eux, les stéréotypes dominants
en vue d’aider les intervenants locaux à créer des ouvrages de
de la société. C’est du matériel de ce genre qu’il faut privilégier
lecture dignes d’intérêt, de qualité et culturellement adaptés
pour une instruction équitable pour tous les élèves, surtout pour
qui respectent consciencieusement la notion d’égalité, mais qui,
les filles.
d’abord et avant tout, honorent l’intégrité et la vitalité de l’histoire
Tout récemment, une question tout aussi urgente a fait surface : pour des raisons similaires à la question de l’égalité des genres, des éducateurs de partout dans le monde ont réussi à faire comprendre le tambour qui parle • bulletin
racontée. Les livres de la série Reading Liberia récemment lancés et édités dans le cadre d’un projet entre la WE-CARE Foundation et CODE et écrits et illustrés par des auteurs libériens en pleine ...suite en page 5
je lis. je vis.
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ascension (la plupart d’entre eux n’avaient jamais écrit pour les enfants) méritent sincèrement toute l’attention qu’on peut leur accorder ici. La réaction d’élèves, d’enseignants, d’éducateurs de partout dans le monde vis-à-vis de ces huit livres a été plus puissante que tout argument théorique pour convaincre qui que ce soit qu’il manque cruellement de livres de ce genre, que les élèves en veulent vraiment et que les écoles sont démunies sans eux. CODE, avec le soutien de l’Agence canadienne de développement international (ACDI), a aussi collaboré avec des partenaires en Éthiopie, au Mozambique et au Sénégal pour éditer des livres présentant des personnages féminins qui pouvaient faire office de modèles. L’approvisionnement en livres de ce genre est une première étape cruciale. Mais les directeurs et les enseignants ont besoin d’aide pour les utiliser efficacement. Si lire des livres aux élèves peut en faire beaucoup (c’est souvent la seule option dans les classes surpeuplées où il n’y a qu’un exemplaire), les résultats sont encore plus importants si les élèves participent activement à la lecture avant, pendant et après. Des stratégies simples comme chuchoter ce qui, selon eux, va arriver, devrait arriver ou n’arrivera pas ou comment ils perçoivent l’histoire à l’élève juste à côté peut avoir un effet considérable sur la participation de tous les élèves. De plus, les élèves sont censés exprimer et justifier dans leurs propres mots leurs interprétations, ce qui transmet l’important message implicite qu’on a le droit d’avoir son opinion et qu’on est responsable de la défendre raisonnablement. Il n’y a rien de futile à un tel apprentissage : la possibilité d’une société ouverte en dépend. L’égalité en dépend. Sans l’ombre d’un doute, les filles doivent être exposées à des personnages de livres avec lesquels elles peuvent s’identifier. Même chose pour les garçons et les enseignants. Les élèves ont besoin de temps pour discuter de ce qu’ils lisent et apprennent. Même chose pour les enseignants. Il est toujours bon de fournir de l’aide aux enseignants pour qu’ils apprennent comment faire participer les élèves activement et créativement avec de tels livres. L’approvisionnement en livres faisant la promotion de l’égalité des genres et culturellement adaptés est une bonne première étape… mais pour y arriver, les élèves ont besoin d’enseignants qui les font participer. La pédagogie active est au cœur de l’éducation juste… pour tous les élèves.
Alison Preece est professeure de langues et littérature et doyenne associée du département d’enseignement à la University of Victoria. Elle a travaillé pour CODE comme experte bénévole au Liberia où elle a donné des ateliers de formation pour les enseignants dans le cadre de Reading Liberia, un projet issu du modèle d’alphabétisation CODE en lecture, lequel vise à créer et à favoriser l’alphabétisation du Liberia en incitant les enfants à lire, à écrire et à prendre leur vie en main.
je lis. je vis.
L’éducation des filles en croissance au Mozambique Par Hila Olyan, Agente de programme, CODE L’amélioration de l’éducation des filles est une priorité pour CODE et son partenaire mozambicain l’Associação Progresso. Grâce à notre programme sur six ans financé par l’Agence canadienne de développement international (ACDI) intitulé Promotion of a Literate Environment in Mozambique (PLEM), nos organisations travaillent de concert pour diminuer les taux de décrochage et augmenter les résultats des élèves, surtout les filles, dans les provinces de Cabo Delgado et de Niassa au nord du pays. Afin d’améliorer la qualité de l’éducation, notamment des filles, et de la rendre plus adaptée culturellement, nous avons produit des livres et des magazines qui font la promotion de l’égalité des genres. Nous mettons en relief, dans les ateliers de formation des enseignants, l’importance de la participation des filles et des garçons aux projets en classe et encouragerons les filles à jouer un rôle actif dans les discussions en classe. Les données recueillies par le ministère de l’Éducation du Mozambique ainsi que par des experts qui travaillent avec l’Associação Progresso indiquent que notre travail fait bel et bien une différence. Le taux de réussite à l’examen de 5e année pour les filles dans les provinces du nord dépasse désormais la moyenne du Mozambique pour les filles et les garçons. Le taux de décrochage a diminué, surtout dans les premières années. En 2010, le taux de décrochage des filles en 2e année a chuté sous celui des garçons tant dans l’enseignement en portugais que dans l’enseignement bilingue. Il y a aussi un nombre croissant de femmes enseignantes dans les écoles. Bien que ces améliorations ne puissent être attribuées qu’au PLEM, il y a eu d’importants progrès dans l’éducation des filles et nous pouvons continuer les efforts dans cette direction.
CODE • Printemps 2012
6 L’importance d’écrire pour les jeunes
Comme membre du jury pour le prix Burt de littérature africaine au Kenya, j’ai lu 185 textes. À la fin de mon mandat chez CODE, j’ai
Par Sharon Jennings
visité un orphelinat dans un village du sud-est de Nairobi et j’ai vu
J’ai récemment fait un discours à la Trent University et on m’a demandé
en personne le quotidien dont il était question dans les textes. J’ai
de parler du fait que les élèves croient que les livres pour jeunes
vu des gens qui m’apparaissaient avoir une vie difficile, mais j’ai aussi
devraient être bons pour eux, c’est-à-dire leur donner des leçons sur la
été témoin de la détermination sans borne des écoles et des églises
manière dont les adultes veulent qu’ils se comportent. C’était amusant
pour éduquer les jeunes et leur donner une véritable chance de faire
parce qu’aucun de ces élèves n’avait déjà lu quoi que ce soit de la sorte
une différence dans leur monde. Et ce n’est pas tout : j’avais emporté
de leur vie. Les livres de ce genre ne se sont pas édités en Amérique du
une valise de livres canadiens à succès, chacun portant sur des enfants
Nord parce qu’ils ne se
abandonnés qui survivent
vendraient pas.
à des situations horribles en Ouganda, en Sierra
J’ai eu le même message
Leone, en Afrique du Sud
au Kenya en novembre
ainsi qu’en Afghanistan
dernier lorsque j’ai donné
et au Guatemala. Même
des ateliers d’écriture
avec dix valises je n’aurais
à des auteurs désirant
pu tout apporter! Mes
soumettre des textes
estimés collègues du jury
pour le prix Burt de
auraient voulu utiliser
littérature africaine. Cette
ces livres pour enseigner
fois, cependant, mon
tandis que les participants
public a grandi avec des
aux ateliers voulaient
textes didactiques et ne
des modèles desquels
comprenait pas pourquoi
s’inspirer pour le prix de
des livres pour enfants seraient édités s’ils ne montraient pas à ces
l’année suivante. Mais Des adolescents profitent d’une bibliothèque communautaire du Malawi.
derniers comment se comporter. J’ai lu un extrait d’un de mes livres illustrés qui parle de deux jeunes garçons qui, après avoir laissé tomber une tarte par terre, ont nettoyé le tout et offert un pouding aux adultes. Je leur ai expliqué que ces enfants ont créé un problème et l’ont
les enfants, eux… ils ont abandonné leurs corvées
et leurs leçons pour s’installer en paix dans des espaces tranquilles et dévorer les livres racontant l’histoire d’enfants exactement comme eux. Certains ont été très émus de ce qu’ils ont lu.
résolu. Une dame de la classe a été assez catégorique : « Votre livre
Le message que je voulais transmettre? Pourquoi devrais-je emporter
est mauvais. Ces garçons auraient dû être punis. » J’ai répondu qu’elle
des livres canadiens sur l’Afrique en Afrique? C’est à vous d’écrire les
voyait l’histoire du point de vue des adultes, mais que je l’avais écrite
histoires, et le prix Burt de littérature africaine est justement là pour
selon le point de vue des enfants.
cette raison.
Au cours des ateliers, j’ai rencontré de nombreux défis de ce genre.
Sharon Jennings a écrit plus de soixante livres pour les jeunes.
Le but du prix Burt de littérature africaine est d’encourager la
Elle siège à l’Union internationale pour les livres de jeunesse – Section
production de livres pour les jeunes, et un homme m’a informée que
canadienne. Comme membre du jury du prix Burt de littérature
les enfants devraient lire des livres pour adultes « convenables ». Mais
africaine au Kenya, elle a donné des ateliers d’écriture et a participé à
les livres pour adultes ne rendent pas la vision du monde des enfants
la sélection des gagnants de la première ronde pour ce pays. Le prix
qui n’y trouveront pas leur compte. Mais lorsqu’on donne la chance
Burt de littérature africaine est un prix littéraire qui souligne l’excellence
même aux plus jeunes lecteurs de comprendre que les livres mettent
d’auteurs africains de fictions pour adultes. Commandité par CODE
des enfants à l’avant-scène, des enfants qui font face à des problèmes
et rendu possible grâce au généreux don du philanthrope canadien
et les surmontent, ils apprennent, comme le héros du livre, qu’ils
William Burt et la Literary Prizes Foundation, le prix vise à combler
peuvent être courageux, sages et compatissants, qu’ils peuvent, eux
la pénurie de livres adaptés culturellement pour les jeunes tout en
aussi, vivre la misère et s’en sortir. Un enfant qui trouve un livre fascinant
favorisant un amour de la lecture. Le prix est actuellement distribué
en vient à aimer lire, et une société de personnes qui aiment lire ne
en Éthiopie, au Ghana, au Kenya et en Tanzanie.
peut que réussir.
Pour obtenir de plus amples renseignements sur le prix Burt de littérature africaine, visitez le http://www.codecan.org/fr/ participez/prix-burt.
le tambour qui parle • bulletin
je lis. je vis.
7 Le sens du chez-soi par les livres
rendant ainsi jaloux le petit-fils du même âge. Brandy et Mille Wolova
Par Charles Temple, Ph.D., Hobart and William Smith Colleges
des huit premiers titres de la collection Reading Liberia. Ce livre met en
« Nos jeunes ont besoin de patriotisme », dit sœur Mary Laurene Brown, présidente de collège à Monrovia au Liberia. Elle précise par la suite ce qu’elle veut dire par patriotisme. La population canadienne sait qu’il est dérangeant que les enfants lisent des livres, écoutent de la musique et regardent des émissions et des films qui viennent d’ailleurs. Mais en Afrique, comme l’explique sœur Mary, on peut frôler la schizophrénie, les gens qui se tournent vers les médias populaires d’Europe et d’Amérique du Nord se sentant comme des étrangers sur leurs propres terres. Sœur Mary voulait des livres pour les jeunes traitant de la culture locale, des livres qui mettent en valeur la vie en Afrique de l’Ouest après les conflits et qui en explorent les problèmes et les possibilités. On a répondu à sa demande en 2008 lorsqu’a été créé le projet Reading Liberia de CODE. Reading Liberia est un projet piloté par la WE-CARE Foundation du Liberia et CODE et qui vise l’alphabétisation au Liberia en incitant les jeunes à lire, à écrire et à prendre leur vie en main. CODE collabore avec des auteurs et des illustrateurs pour produire des livres de qualité à saveur locale. Ces livres doivent refléter des réalités connues des jeunes lecteurs, les captiver et leur rappeler qu’ils vivent dans un endroit bien réel. Étant donné que CODE milite pour une lecture réfléchie, les livres doivent présenter des tranches de vie telles qu’elles sont vécues par les jeunes et encourager les jeunes lecteurs à penser à leur vie, à leur société, aux options qui s’offrent à eux. Ce sont des livres qui encouragent le patriotisme, pour emprunter le mot de sœur Mary. Mais on peut aussi l’appeler le sens du chez-soi. Les ateliers d’écriture donnés par CODE dans le cadre du projet commencent quelquefois par une activité visant à s’inspirer d’un livre pour enfants à succès. Par exemple, le livre When I Was Young in the Mountains de Cynthia Rylant réunit une série de souvenirs d’un temps révolu. Un auteur de Reading Liberia, Elfreda Johnson, a utilisé le
ont emprunté le modèle pour créer The Palm Cabbage Party, un autre relief la difficulté de se montrer reconnaissant à ceux qui nous viennent en aide dans le contexte de la guerre. Une famille de réfugiés a été secourue par une famille et amenée dans un village lointain, mais les gens du village d’adoption sont acculés à la famine lorsque ce dernier est assiégé par les rebelles. La famille de réfugiés sauve les gens en trouvant une source de nourriture dans la forêt autour du village. Bien entendu, les ateliers ne sont pas limités à ce genre d’activité : il y a beaucoup d’écriture, de discussion, de critiques et de réécriture. Le travail finit par se démarquer des livres qui servent de modèles, les auteurs et illustrateurs créant des œuvres issues de leur imagination. Une histoire à la fois, les Libériens reprennent possession
Un grand livre en Chichewa, une langue locale du Malawi, publié dans le cadre du Pan-African Publishing Project, un partenariat entre CODE et la International Book Bank.
d’eux-mêmes, exactement ce à quoi renvoie le patriotisme de sœur Mary. Au cours des cinq dernières années, Charles Temple a travaillé au sein de CODE comme expert bénévole pour les programmes Reading Liberia et Reading Sierra Leone, entre autres. Par de nombreux ateliers, il a aidé les auteurs locaux à produire des livres qui suscitent l’intérêt d’enfants de tous les âges et de tous les niveaux de lecture. M. Temple est aussi auteur et coauteur de nombreux manuels. En plus de sa tâche d’enseignement au Hobart and William Smith Colleges (www.hws.edu), il a cofondé le projet Reading and Writing for Critical Thinking en association avec l’Association internationale pour la lecture et codirige actuellement Critical Thinking International (www.criticalthinkinginternational.org).
même modèle pour créer Living With Mama in the Village et a décrit avec beauté ses souvenirs de la vie rurale au Liberia, une vie qui ne représente plus celle de nombreux enfants qui sont déménagés en ville à cause de la guerre. Dans un autre cas, il fallait penser aux enjeux quotidiens des participants selon leur âge et créer une histoire en superposant chaque problème sur fond du conflit. Notre exemple était Mayama Must Go! de l’auteur sierraléonais Mohamed Sheriff. Ce livre parle d’une orpheline, le bras amputé par des rebelles, abritée par une grand-mère,
je lis. je vis.
CODE • Printemps 2012
8 Partenaires locaux
(Sénégal)
(Libéria)
(Mozambique)
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Ngoma, ou « le tambour qui parle » en swahili, est le bulletin d’information officiel de CODE, autrefois l’Organisation canadienne pour l’éducation au service du développement. CODE est un organisme de bienfaisance non gouvernemental qui finance des projets d’alphabétisation dans les pays en développement. Publié en anglais et en français deux fois par année, Ngoma est distribué à tous ceux qui appuient CODE au Canada et à l’étranger. Cette publication a été rendue possible grâce à l’aide financière de l’Agence canadienne de développement international.
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Projet réalisé avec l’appui financier du gouvernement du Canada accordé par l’entremise de l’Agence canadienne de développement international (ACDI)
le tambour qui parle • bulletin
je lis. je vis.