Numéro 204 juillet 2013 Lettre d’information du Collectif Guatemala
Ríos Montt condamné pour génocide au Guatemala, annulation illégale du verdict par la Cour constitutionnelle
© Maxime Verdier
© James Rodríguez
Femmes ixils célébrant le verdict du tribunal du Guatemala, 10 mai 2013 Collectif Guatemala 21 ter, rue Voltaire 75011 Paris - France Tel: 01 43 73 49 60 collectifguatemala@gmail.com www.collectifguatemala.org
Directrice de publication : Isabelle Tauty Chamale ISSN 1277 51 69 Ont participé à ce numéro : Amandine Grandjean, Marilyne Griffon, Plinio Lepe, Louise Levayer, Isabelle Tauty, Maxime Verdier, Martin Willaume.
SOMMAIRE Edito : Impunité au Guatemala, deux pas en Entretien avec l’avocate espagnole avant, un pas en arrière Duyos par Marilyne Griffon p.2 Propos recueillis par Marilyne Griffon
Sofia p.6-8
Procès pour génocide : accuser pour mieux Barillas: Rubén Herrera libéré ! Mais la défendre situation des défenseurs reste préoccupante… par Maxime Verdier p.3-5 par Amandine Grandjean p.9 Brèves
Solidarité Guatemala n°204 juillet 2013
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Edito Impunité au Guatemala : deux pas en avant, un pas en arrière * édito publié en partie le 27 mai sur les blogs du Monde Diplomatique: http://bit.ly/14Y2HUt
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e 10 mai 2013, le tribunal de Ciudad de Guatemala marquait les annales judiciaires internationales en condamnant pour génocide l’ancien dictateur José Efraín Ríos Montt à quatre-vingt ans de prison ferme : la peine maximale. Cinquante ans pour crimes de génocide. Trente ans pour crimes contre l’humanité. Un grand pas venait d’être franchi au royaume de l’impunité. Le 20 mai 2013, la Cour constitutionnelle guatémaltèque votait l’annulation de la condamnation. Ríos Montt arriva au pouvoir le 23 mars 1982 à la suite d’un coup d’Etat. Il en fut chassé par un autre, mené par son ministre de la défense, Oscar Mejía Victores, le 8 août 1983. Son bref passage au pouvoir demeurera le plus sanglant des trentesix années du conflit armé le plus meurtrier du continent américain au XXe siècle : 200 000 morts, 45 000 disparus et des millions de déplacés entre 1960 et 1996. Evangéliste fanatique, Ríos Montt s’est alors employé à combattre la guérilla à travers les techniques apprises à l’Ecole des Amériques et à endiguer tout désir de mieux partager les richesses dans un pays où, à l’époque, dix familles possèdent 80 % des terres. Mais son zèle a transformé la répression en véritable massacre. Les communautés mayas ixils des montagnes du Quiché, parties civiles dans le procès pour le massacre de 1 771 personnes, étaient alors considérées comme « subversives, communistes et terroristes2 » : elles devaient donc être exterminées. C’est ce que les juges ont conclu des preuves versées par l’accusation, comme les plans militaires Victoria 82 et Plan Sofía, ainsi que les quatre-vingt-seize témoignages de survivants et d’experts, anthropologues et légistes, qui se sont succédés aux audiences depuis l’ouverture du procès, le 19 mars 2013. Tous, sans exception, ont rapporté la cruauté du sort réservé aux Ixils : viols systématique des femmes3, victimes enterrées vivantes, décapitations, tortures, réduction des corps à l’état d’objet… Un homme, enfant à l’époque, a ainsi relaté comment les militaires se sont servis de la tête d’une grand-mère comme d’un ballon de foot4. Le verdict du 10 mai, tant attendu, est tombé trente et un ans après les faits, treize ans après le premier dépôt de plainte et après avoir surmonté soixante-douze recours et une demande d’amnistie. Mais il reconnaissait enfin, au niveau national et international, la réalité des massacres perpétrés contre les Mayas Ixils, la souffrance des survivants et le bien-fondé de leur combat pour la justice. Une telle condamnation semblait impensable il y a à peine deux ans, lorsque l’accusé occupait encore, depuis près de dix ans, le siège de représentant du peuple à l’Assemblée Nationale, s’étant même présenté aux élections présidentielles de 2003. Toutefois, malgré le « lâchage » du général de 86 ans, qui explique en partie l’ouverture des poursuites actuelles, la défense compte toujours avec des appuis haut placés au sein de l’oligarchie économique, politique et militaire du pays, qui lui don2
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Par Marilyne Griffon
nent les moyens « d’influencer » la justice. Parmi eux, le Comité coordinateur des associations agricoles, commerciales, industrielles et financières (CACIF, l’équivalent du Medef en France) ou la fondation contre le terrorisme qui ont dénoncé le procès et le rôle joué par les organisations internationales. Maxime Verdier, volontaire du Collectif Guatemala, présent lors des audiences, analyse ce contexte de diffamation et notamment cette bataille d’influence (p.3-5). La plus haute juridiction du Guatemala a donc suivi les ordres du CACIF et votél’annulation de la condamnation et le retour en arrière du procès au 19 avril dernier, lorsque les avocats de la défense avaient déposé un énième recours. Un hasard ? L’un des témoins de la défense venait de mentionner l’actuel président de la République, Otto Pérez Molina, général chargé du commandement militaire dans la région ixil sous le régime de Ríos Montt. Celui-ci aurait, à l’époque, commandé les incendies des communautés de la région. En attendant, la plainte déposée en Espagne, selon le principe de justice universelle, contre Ríos Montt et sept autres exfonctionnaires impliqués dans des crimes commis durant le conflit armé5, suit toujours son cours. Dans ce pays soumis à l’arbitraire, les victimes devront donc continuer à se battre pour que la victoire du 10 mai l’emporte sur la défaite du 20… Le Collectif Guatemala continue d’être présent auprès des communautés : 4 nouveaux volontaires recrutés en mai partiront en 2013 pour poursuivre l’accompagnement protecteur sur le terrain. En France, nous avons accueilli en juin l’avocate espagnole Sofia Duyos, impliquée auprès des victimes depuis de nombreuses années, pour une conférence (p.6-8), l’exposition sur la mémoire photographique ixil y a été présentée pour la première fois hors du Guatemala. Nous avons également dénoncé avec d’autres associations dans une tribune publiée sur le site du Monde (p.11) l’annulation du verdict du procès alors même que l’on assiste à une persécution croissante des défenseurs du territoire comme à Barillas (p. 9) ou à San Rafael las Flores (p.10). Cette recrudescence des conflits sociaux autour de l'exploitation et du contrôle des ressources naturelles n’a pas empêché le président du Guatemala de se voir décerner le prix du dirigeant de l’année par la Banque Interaméricaine de Développement6... ■ 1 Pour écouter et lire la condamnation : « Audio de la sentencia condenatoria en el juicio por genocidio », Association justice et réconciliation (AJR), 10 mai 2013. 2 Selon Benjamin Jerónimo, président de l’AJR, partie civile dans le procès et lui-même survivant des massacres. 3 Sur les violations sexuelles comme armes de guerre, voir « Violencia Sexual como arma de guerra », AJR, avril 2013. 4 Toutes les audiences du procès peuvent être réécoutées en ligne sur le site Coordinacion genocidio nunca mas. 5 Jerson Ramos, « Exfuncionarios están procesados en España », Prensa Libre, 23 mai 2013. 6 « El presidente de Guatemala elegido lider del ano », El Pais, 31 mai 2013
Actualités Procès pour génocide : accuser pour mieux défendre Par Maxime Verdier
Tout au long du procès historique pour génocide et crimes contre l’humanité qui s’est tenu du 19 mars au 10 mai 2013, les parties prenantes impliquées (organisme judicaire, ministère public et organisation des droits humains) ont été victimes d’une stratégie diffamatoire visant à décrédibiliser et criminaliser leur action pour diviser l’opinion publique quant à leurs intentions réelles. Ouverture du procès, ouverture des hostilités
Naissance du débat et campagne de criminalisation
En ce matin du 19 mars 2013, jour d’ouverture du débat oral et public, les nombreux Guatémaltèques venus de tout le pays soutenir les témoins attendent l’ouverture d’un procès espéré depuis 30 ans. Le calme dissimule difficilement l’angoisse. Le nouvel avocat de José Efraín Ríos Montt, Me García Gudiel, ouvre les hostilités de façon indiscriminée, à l’encontre de tous ceux qui participent ou assistent de près ou de loin au bon déroulement du procès. Sous les applaudissements des familles des accusés et des militaires, Me García Gudiel déclame un discours véhément accusant les étrangers de diviser le pays et justifiant sa propre présence dans cette salle par une forme de « résistance contre le délitement de l’unité nationale », plaçant son client en victime d’une hypothétique réminiscence de la guérilla. Il interpelle la Cour et la presse présente en nombre ce premier jour, « regardez cette salle, regardez bien, et voyez la majorité d’étrangers présents, ce n’est pas un procès entre Guatémaltèques, c’est l’étranger contre nous ! ». Bien entendu, la présence internationale ne représentait en réalité qu’une minorité des personnes présentes mais bien visible (corps diplomatique en grande pompe).
La première semaine d’audience marque un tournant déjà historique pour le Guatemala. Pour la première fois, la presse et le débat public s’emparent d’un sujet aussi essentiel que tabou : le conflit armé interne et les exactions terribles commises à l’encontre du peuple maya. Nous avons assisté aux nombreux témoignages de victimes et survivants des massacres de la région maya ixil, de la fuite dans les montagnes et des persécutions de l’armée. La majorité des témoins, des paysans de la région ixil, expliquent qu’ils ne connaissaient pas l’existence de la guérilla ni ne savaient pourquoi ils étaient pourchassés et abattus1. La presse généraliste relaye ces témoignages et les radios commencent à diffuser des programmes spéciaux sur le sujet. Dès le premier week-end, une campagne médiatique fait son apparition à grands renforts de « campos pagados » (encarts payants publiés dans la presse), le dimanche des radios diffusent toutes à intervalle régulier un appel de la fondation contre le terrorisme à manifester le lundi suivant devant la Cour pour « soutenir les patriotes contre le complot communiste et les étrangers ». Nous étions présents ce jour pour constater la présence d’une cinquantaine de personnes, parmi lesquelles Ricardo Méndez Ruiz, figure de la fondation contre le terrorisme, ou encore la fille de José Efraín Ríos Montt accaparant les caméras de télévision présentes. La fondation contre le terrorisme et la diffamation L’action et la position idéologique de la fondation contre le terrorisme doivent être comprises pour pouvoir analyser le climat de diffamation ayant pesé sur le procès. Elle fait partie intégrante du mécanisme de criminalisation de la lutte sociale et légale. Elle en est le visage médiatique, la partie émergée.
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Ixils manifestant devant le Tribunal
En face, Me Edgar Pérez Archila expose la stratégie des parties publiques en entendant prouver les faits qualifiants l’acte de génocide et les crimes contre l’humanité (tortures, viols…) tout en exprimant son sentiment, « reconnaître les erreurs du passé n’est pas une faiblesse, c’est la force qui réunira le peuple dans la reconnaissance de sa véritable histoire (…) et ce doit être fait dans le calme et la sérénité».
Les auditeurs des radios et les lecteurs de la presse écrite seront nombreux à découvrir l’existence de cette organisation lors du procès contre Ríos Montt et Rodriguez Sanchez. Toutefois, cette fondation est un acteur de longue date dans les débats. Elle se présente comme un colloque d’experts, d’analystes et de chroniqueurs d’opinion chargés de documenter les réminiscences de la lutte marxiste dans la société guatémaltèque actuelle. Sa composition exhaustive, l’origine de ses financements (visiblement conséquents) et de ses directives restent inconnues. Tout d’abord, à travers les publications de ses membres (livres ou colonnes d’opinion) ou ses activités sur les réseaux sociaux, Solidarité Guatemala n°204 juillet 2013
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Actualités l’organisation s’attaque à l’image et à la personnalité des individus impliqués dans la défense des droits humains qu’elle criminalise avec une certaine maîtrise des outils légaux et médiatiques. Au cours du procès, les membres de la fondation contre le terrorisme ont souvent publié des pamphlets visant à attaquer les personnalités de la juge Yasmín Barrios, Présidente du Tribunal, et des avocats de l’accusation, tout en relayant les arguments techniques de la défense pour justifier l’annulation du procès.
ont témoigné des massacres et des persécutions commis sous le gouvernement militaire de Ríos Mont entre 1982 et 1983. Avec dignité et courage, 10 femmes ont relaté les violences sexuelles commises par l’armée, dont elles-mêmes et bien d’autres ont été les victimes4. Chaque jour, il semblait de plus en plus impossible de trouver les mots justes pour qualifier les récits que nous entendions. Tous les témoignages exposés avec tant de simplicité et d’émotion, laissaient transparaître le même modus operandi et tendaient à démontrer l’existence d’une machine d’extermination rodée et organisée. La nature des crimes commis était déjà connue, mais c’était la première fois que résonnaient dans un tribunal les voix de celles et ceux qui en avaient été victimes. Les avocats de la défense, qui se sont montrés très virulents dès l’ouverture du procès (ainsi qu'avant l'annonce de son ouverture : au 28 janvier 2013, 75 recours avaient été déposés), semblent alors se mettre en retrait à mesure que les témoignages démontrent l’évidence de l’horreur, renonçant à de nombreuses reprises à questionner le témoin.
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Femme Ixil lors du procès
Plus généralement, l’organisation prend position sur les sujets de société qui servent son discours et livre une interprétation très spécifique des faits d’actualité, empreinte de racisme social et culturel et faisant revivre les thèses idéologiques de la guerre froide. En octobre 2012, suite à l’arrestation des militaires accusés d’être à l’origine des tirs ayant entrainé la mort de 8 manifestants de Totonicapán , Méndez Ruiz s’est exprimé sur la radio Emisoras Unidas pour « exiger » le placement en détention des organisateurs des manifestations. Il profitera de cette occasion pour contester l’impartialité de la procureure générale Claudia Paz y Paz et rappeler la culpabilité quasi naturelle des leaders communautaires dans tous les cas de violence que connaît le pays2. Chaque espace médiatique offert est l’occasion de développer encore un peu plus les thèses du terrorisme organisé et autres théories du complot qu’il apprécie tant. La période du procès n’aura pas fait exception, au contraire : Méndez Ruiz s’exprimera à de nombreuses reprises face à des journalistes jouant le jeu de la relance et de la non contradiction. Le 3 mai 2013, un document nommé « les visages de l’infamie » sera même publié dans le but d’identifier les fonctionnaires publics et défenseurs des droits humains dans un trombinoscope des ennemis internes. Ce pamphlet battra des records d’invention, détaillant comme jamais auparavant le mécanisme de prise de pouvoir organisé depuis et par l’étranger3. De tels propos seraient risibles s’ils n’étaient pas aussi dangereux. L’évidence des faits et la polarisation idéologique Au cours des cinq semaines de procès, 65 experts (principalement du champ légiste, en charge des inhumations et de l’analyse des décès) et 94 survivants et victimes maya ixil 4
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La fondation contre le terrorisme, dans son rôle d’organe de propagande, adapte alors sa stratégie renforçant encore le mécanisme de polarisation de l’opinion publique. La négation des faits n’étant plus possible, Méndez Ruiz poussera le cynisme dans un des simulacres de débat d’opinion sur Radio Punto jusqu’à dire: « certes, il y a eu des crimes graves, mais commis pour sauver le pays (…) on peut voir ça comme un génocide ou un acte de patriotisme, tout n’est qu’une question de point de vue (…) c’est ici que l’on distingue les vrais Guatémaltèque des terroristes ». Dans ce nouveau et très spécifique schéma de diffamation, il faudrait désormais comprendre que les victimes ne se définissent comme telles que par omission de leur culpabilité. L’organisation commence alors à diffuser des tracts dans les bus et les rues, accusant des pays comme la Suède et la Norvège d’être l’essence d’un mécanisme de destruction étatique financé par une hypothétique puissance internationale qui souhaiterait la ruine du Guatemala et le changement de pouvoir, avec en emphase un appel aux « patriotes » pour « mettre les étrangers dehors ». Dans ses mots, sa logique et ses évolutions, la diffamation médiatique ne sera que l’écho de l’unique stratégie de la défense ; sans jamais savoir lequel des deux influence l’autre, ou si les deux répondent à des intérêts d’origine commune. Un verdict historique et une victoire pour l’indépendance de la justice Benjamín Manuel Jerónimo, représentant de l'Association pour la Justice et la Réconciliation (AJR), déclarait durant les derniers jours d'audience : « Nous, dans les années 80, peuple Ixil, avons été accusés d’être des terroristes, des communistes, des subversifs, puis le génocide a été commis (...) Aujourd’hui, nous sommes accusés d’être terroristes, subversifs, communistes, cependant ce n'est pas vrai, honorable tribunal. Un terroriste ne vient jamais réclamer justice devant les tribunaux… jamais… ». Ce sont bien ces accusations, is-
Actualités La réponse des organisations de défense des droits humains
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Benjamín Manuel Jerónimo , le jour du verdict
sues de la plus sombre période du conflit armé, que la fondation contre le terrorisme s’acharne à perpétuer à l’encontre des acteurs de la société civile et des institutions. Grâce à l’incroyable travail de l’organisme judiciaire, au courage des témoins et à l’indépendance du tribunal, le 10 mai 2013, l'ancien chef d’Etat José Efraín Ríos Montt a été condamné à la peine maximale de 50 ans pour crimes de génocide et 30 ans pour crimes contre l’humanité. C'est la première fois dans l’histoire du continent qu'un verdict pour de tels crimes est prononcé par une cour de justice nationale face à un ex-président. Rappelons que ce dernier bénéficiait de l’immunité parlementaire jusqu’en 2012. « La justice guatémaltèque, les témoins, avocats et organisations de défense des droits humains, viennent d’écrire une page mémorable dans l’histoire de l’Amérique latine » rappelait Amandine Grandjean, notre coordinatrice terrain au Guatemala. Toutefois, l’espoir et la joie auront été de courte durée. La Cour Constitutionnelle, suivant les recommandations de la puissante organisation patronale guatémaltèque, le CACIF qui, 48 heures après la sentence dénonçait un procès inique commandé par la pression internationale, a annulé le verdict et renvoyé le procès à une étape antérieure pour vice de procédure5. Me Edgar Perez, avocat des victimes avec qui nous nous entretenions récemment, s’est déclaré malgré tout « heureux et satisfait car la proclamation du verdict reste en soi une victoire sans précédent (…) et que le silence du passé est enfin levé ».
Le terme « diffamatoire » est à comprendre d’un point de vue juridique, c’est-à-dire dans le fait de divulguer des propos portant atteinte à l’honneur et/ou à la vie privée d’une personne physique ou morale, basés sur des assertions dénuées de fondement. Le droit international dispose que nul ne doit être victime de telles manœuvres et que chacun a le droit à la protection face à une immixtion arbitraire dans sa vie privée6. L’Etat est bien entendu garant du respect de cette disposition. Au Guatemala comme partout, il est regrettable de constater que certaines parties en procès cherchent à s’approprier l’opinion publique au prix de mensonges et de manipulations. Or, les méthodes ont atteint des sommets d’aberration en versant dans l’incitation à la haine sous le masque intellectuel et populaire de la fondation contre le terrorisme. Le 22 mai dernier, de nombreux acteurs des droits humains ont fait front commun pour dénoncer devant le Bureau du procureur des droits humains la criminalisation et la stigmatisation dont ils ont été victimes7. Jorge Santos, coordinateur du CIIDH (Centre International de recherche sur les droits humains), déclare devant le procureur des droits humains : « nous dénonçons la fondation contre le terrorisme, et particulièrement Ricardo Méndez Ruiz, pour la campagne de stigmatisation et de criminalisation, pour nous accuser de faire partie d’un groupe terroriste qui désire prendre le pouvoir » et demande la protection de l’Etat face à de telles menaces (le document « les visages de l’infamie » que nous avons déjà évoqué sera notamment dénoncé). Il ajoute que ces méthodes ont eu vocation à délégitimer le Ministère Public, l’organisme judiciaire et les organisations sociales et populaires qui sont impliquées dans le procès pour génocide et crimes contre l’humanité et à mettre ses membres en danger. Sandino Asturias, coordinateur du Centre d’Etudes du Guatemala, conclut en exprimant son inquiétude concernant les attaques contre les institutions et entrevoit la volonté de certains groupes de pouvoir de reprendre le contrôle de ces dernières. Autrement dit, nous assistons à un coup d’Etat légal, au sursaut d’une caste acculée qui renoue avec les méthodes du passé pour mieux le maintenir dans l’ombre et conserver son pouvoir. ■
Retrouvez les comptes-rendus des audiences du procès sur notre site internet dans la rubrique « Lutte contre l’impunité » www.collectifguatemala.org/index.php?page=lutte_contre_impunite 1 Retrouvez les chroniques sur le procès sur le site internet du Collectif Guatemala. 2 « La fondation contre le terrorisme demande des arrestations suite aux évènements de Totonicapán » Emisoras Unidas, 15 octobre 2012 http:// bit.ly/13opNG1 3 « Une campagne au Guatemala accuse les personnes à l’origine du procès de trahir la paix » El Diario, 16 mai 2013 http://bit.ly/17B4NgG 4 Consulter nos chroniques pour un compte-rendu détaillé 5 Voir aussi « Guatemala: procès historique au pays de “l’éternelle impunité” », Grotius, 13 juin 2013, par Vanessa Gongora http://bit.ly/15iS8fP 6 Article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’ONU, 1966 www2.ohchr.org/french/law/ccpr.htm 7 « Ils dénoncent la Fondation Contre le Terrorisme pour ses campagnes » La Hora ,22 mai 2013 http://bit.ly/14MItMk
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Actualités Entretien avec l’avocate espagnole Sofia Duyos : « Ne laisser aucun signe de vie » Propos recueillis par Marilyne Griffon Sofia Duyos a consacré ces cinq dernières années à la défense des droits humains au Guatemala tant devant la justice espagnole qu’au Guatemala aux côtés du Centre d’action légale pour les droits humains (CALDH) partie civile dans le procès qui, le 10 mai 2013, a condamné Efrain Ríos Montt pour génocide et crimes contre l’humanité. Dix jours plus tard, la Cour Constitutionnelle du Guatemala annulait le verdict, demandant la reprise du procès au 19 avril. Après une première soirée à Toulouse, Sofia Duyos a été invitée par le Collectif Guatemala à Paris pour participer à une conférence organisée avec Amnesty International le 11 juin dernier sur le procès pour génocide. Marilyne Griffon : Quel a été votre rôle dans ce procès ? Sofia Duyos : J’ai aidé CALDH dans la dernière phase du jugement pour l’élaboration des conclusions présentées au tribunal. Ces avocats prennent des risques. Ils sont extrêmement doués non seulement sur le plan juridique mais aussi pour leur résistance face à l’adversité. Intimidés de différentes manières, ils travaillent sous une pression énorme et sont dans une situation très vulnérable. Courant avril, un supplément au quotidien national El Periódico a été publié par la Fondation contre le terrorisme1, mentionnant directement CALDH comme faisant partie des communistes et des terroristes devant craindre pour leur vie. MG : D’où viennent ces menaces ? Qui sont les personnes qui détiennent assez d’influence pour obtenir l’annulation de la condamnation pour génocide en passant directement par la Cour Constitutionnelle, sans se donner la peine d’user des recours habituels d’appel, cassation, etc. ? SD : L’extrême droite, tant militaire qu’émanant de l’oligarchie politique et économique, s’est radicalisée. Elle est représentée par diverses organisations dont l’Association de vétérans militaires du Guatemala (AVEMILGUA), la Fondation contre le terrorisme mais également le CACIF2 qui publient des encarts payants dans la presse niant le génocide et dénonçant un procès qui ne devrait jamais avoir eu lieu. La République est présidée par un ex-militaire : Otto Pérez Molina et les principaux postes du gouvernement sont aux mains des militaires. Le contexte est très hostile. Il s’agit de juger et de condamner le génocide alors même que ceux qui l’ont commis et leurs complices sont au pouvoir. C’est pourquoi le retournement de situation avec l’annulation de la condamnation historique s’est fait aussi facilement. MG : Comment prouver le génocide ? Pourriez-vous nous parler du Plan Sofía3, que vous avez étudié et analysé ? SD : La preuve écrite clef dans le procès pour génocide est le Plan d’opérations Sofía. C’est un plan militaire rédigé personnellement par la main droite de Ríos Montt, son chef d’Etat Major Hector Lopez Fuentes. Son objectif final est la destruction du peuple maya ixil. C’est écrit. Trois ordres sont donnés à toute la chaîne de commandement. Premièrement : exterminer les subversifs, c’est-à-dire la population, car selon ce même plan, les services secrets militaires notent que la guérilla a 6
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abandonné la région. Deuxièmement : détruire tous les biens de subsistances, maisons, récoltes, etc. Troisièmement : transférer de force ceux à qui on a « pardonné la vie » dans des « villages modèles ». Ce sont les trois ordres de génocide inscrits, avec également les rapports détaillés de chaque maillon de la chaîne rapportant à son supérieur l’accomplissement des ordres. Les missions, signatures, noms complets et postes de chacun des responsables apparaissent. Il va de l’élaboration jusqu’à l’accomplissement par le dernier soldat de tous les massacres et transferts effectués. Il contient les communications entre les Hauts commandements, par fax et télégramme, qui avaient le contrôle total sur tout. Lopez Fuentes recevait un compte rendu heure par heure, par téléphone ou radio. Les photos de JeanMarie Simon4 montrent d’ailleurs le jeune Pérez Molina en communication directe avec ses chefs. Le plan phare de Ríos Montt était la destruction du peuple ixil et il a réussi. Une grande partie effectivement fut exterminée. A la fin du Plan d’opérations Sofía, programmé pour 5 semaines, sur 25 km2, pas plus, l’armée dit avoir rempli sa mission. Ce plan, dont une copie apparaît mystérieusement en 2006, a prouvé ce que les rapports de la Commission d’éclaircissement historique des Nations Unies5 en 1999 et de l’Archevêché du Guatemala6 en 1998, avaient conclu par l’analyse des témoignages recueillis. Les victimes ne connaissaient pas ce plan écrit mais savaient ce qu’elles avaient souffert. « Ils venaient pour nous tuer » racontent les survivants qui ont fui dans les montagnes où ils ont vécu dans des conditions inhumaines. En aucun autre lieu au Guatemala ne sont mortes autant de personnes de faim, de froid, de peur et de maladies. L’armée a utilisé la région ixil comme laboratoire de la terreur la plus horrible. Le plan était de « ne laisser aucun signe de vie » et précisément, c’est ce qu’ils ont fait. Le Plan Sofía est la preuve de la planification jusqu’au dernier détail de tous les actes de génocide. MG : Otto Pérez Molina a été mentionné durant le procès par l’un des témoins de la défense comme ayant participé aux massacres dans la région ixil. Aurait-il fait pression pour que la condamnation de Ríos Montt soit annulée ? SD : Non, il n’a pas besoin de le faire. Durant le conflit armé, Otto Pérez Molina était connu sous le pseudo de Tito Arias. Il commandait les troupes à Nebaj, ville au cœur du génocide, centre des opérations de la politique de terre brûlée de Ríos Montt. Il est cité à plusieurs reprises dans le Plan Sofía. Actuel président de la République, il n’y a personne de plus puissant
Actualités
Sofia Duyos lors de la conférence organisée avec Amnesty International France
que lui aujourd’hui au Guatemala. Les soutiens des militaires ont énormément d’influence et le simple fait d’avoir Pérez Molina comme parapluie est suffisant pour que la pression soit efficace. Sous son gouvernement, le pouvoir de l’extrême droite militaire s’est renforcé de fait. MG : Comment s’exerce cette influence ? SD : Juger le génocide, c’est juger tout le système. Pas seulement Ríos Montt. Le génocide a été l’expression maximale d’un racisme présent au Guatemala depuis des siècles, rendu possible par l’existence d’un système de domination et de violences contre les autochtones. Les auteurs et complices sont nombreux. Après la signature des Accords de paix en 1996, ils se sont emparés des institutions de l’Etat pour garantir leur impunité. Ils ont transformé l’armée et la police en pouvoir parallèle. Selon les Nations Unies, 25% des assassinats sont des exécutions extrajudiciaires, faits des forces de sécurité de l’Etat ! Ils ont aussi infiltré le système de justice. Un exemple : Alejandro Maldonado Aguirre, président de la Cour Constitutionnelle, ancien ministre de [Carlos] Arana7 est le fondateur du parti d’extrême droite Mouvement de libération nationale (MLN). Les preuves d’obstacles constants à la justice sont
nombreuses. Les avocats des militaires ont déposé plus de 110 recours. Il y a une manipulation du procès qui va bien au-delà de la justice et implique des membres du gouvernement. Un des témoins de Ríos Montt est Arenales Forno, actuel Secrétaire de la paix. Ricardo Mendez Ruiz, président de la Fondation contre le terrorisme, a déclaré publiquement que le Guatemala devait se préparer à des assassinats de leaders. MG : Au vu de ce contexte d’impunité garantie, on se demande alors comment l’ouverture même d’un tel procès a été possible ? SD : Depuis 2000 au Guatemala et 1999 en Espagne, les survivants, les organisations de droits humains n’ont pas cessé une seconde de travailler pour reconstruire les faits et produire des preuves irréfutables. En 2011, le contexte est devenu favorable sous le gouvernement d’Alvaro Colom8 avec la nomination de Claudia Paz y Paz comme Procureure générale de l’Etat. Un nouveau système de justice s’est mis en place. Des enquêtes sont réellement menées sur le génocide et conduisent à l’émission de mandats d’arrêts à l’encontre du Haut commandement militaire de Ríos Montt. Et lorsque Ríos Montt perd son immunité parlementaire9, il se rend.
1 Article qui détaille l’idéologie de la Fondation : http://bit.ly/17bEj2O 2 Comité coordinateur des associations agricoles, commerciales, industrielles et financières, équivalent du MEDEF en France. 3 Lire l’analyse du Plan Sofía « Quitando el agua al pes » : http://bit.ly/12b77Dw 4 Jean-Marie Simon, reporter photo, témoin des massacres dans les années 80. Son livre « Guatemala, éternel printemps, éternelle tyrannie » documente ces crimes : voir les dernières éditions : guatemalasimon.blogspot.de Visionner son interview par Amnesty International : http://bit.ly/16Lqasu 5 "Guatemala: Mémoire du silence", de la Commission pour l’éclaircissement historique (CEH), présenté en février 1999. 6 Deux jours après avoir présenté le Rapport du Projet Interdiocésain de la Mémoire Historique (REMHI) « Guatemala Nunca Más », Monseigneur Gérardi est assassiné, le 26 avril 1998. 7 Militaire président du Guatemala de 1970 à 1974. 8 2008 – 2012. Premier président de centre gauche depuis le coup d’Etat de 1954. 9 Avec la changement de fonction du nouveau gouvernement et de l’assemblée le 14 janvier 2012. 10 Prix Nobel de la Paix 1992, membre de l’ethnie maya Quiché.
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Public lors de la conférence
MG : Peut-on espérer une reprise du procès au Guatemala voire des avancées de la justice en Espagne ? SD : En 1999, pensant qu’au Guatemala il n’y aurait pas de justice, Rigoberta Menchú10 porte plainte en Espagne où le juge Garzón suit les cas du Chili et de l’Argentine. Depuis 14 ans, nous présentons des preuves et signalons à Interpol les responsables du génocide. Mais aucun jugement n’est possible en Espagne sans la présence d’un accusé. Nous avons donc besoin d’une arrestation pour pouvoir passer à la phase suivante. Or le Guatemala a refusé les extraditions en 2006. Il faut donc que l’un d’eux se rende ou sorte du pays, ce qui est peu probable. Au Guatemala, la Cour constitutionnelle (CC) a émis un verdict des plus illégaux en s’ingérant dans la justice ordinaire. Elle a laissé le processus sans issue en annulant le procès à partir du 19 avril. Le tribunal de Hauts Risques A, avec ses
trois juges incorruptibles qui ont émis la condamnation historique, a renoncé. La CC a annulé la partie finale correspondant à la plaidoirie de la défense de Ríos Montt et laissé valider la première partie, celle où les témoins et survivants ont déclaré. Or un autre tribunal ne peut juger sans réécouter tous les témoins. La CC doit dire comment appliquer son verdict. Si tout doit reprendre à zéro, ce serait terrible. Les témoins, très pauvres, devraient revenir déclarer et donc risquer leur vie, cesser de travailler, certains sont malades. Le tout, sans certitude qu’une nouvelle condamnation resterait valide. L’autre tribunal de Hauts Risques B s’est déclaré disponible à partir d’avril 2014. Mais, l’Association pour la Justice et la Réconciliation (AJR) et CALDH, parties civiles, m’ont demandé de vous transmettre que pour eux, la condamnation de Ríos Montt pour génocide et crime contre l’humanité du 10 mai reste valide, c’est elle qui compte. L’annulation est illégale, elle peut être renversée. ■
Présentation en France de l’exposition de la mémoire photographique ixil A l’occasion de la conférence réalisée avec Amnesty International, le Collectif Guatemala a présenté pour la première fois en France deux des trois frises qui composent l’exposition réalisée à l’initiative de l’AJR par l’une des anciennes volontaires du Collectif Guatemala, Alexandra Marie, qui a déjà été amplement utilisée par les communautés ixils au Guatemala lors du procès (voir p.11).
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Solidarité Guatemala n°204 juillet 2013
Actualités Barillas: Rubén Herrera libéré, la situation des défenseurs reste Par Amandine Grandjean préoccupante Parallèlement à la nouvelle positive de la libération de Rubén Herrera, membre de l’Assemblée départementale de Huehuetenango (ADH), et leader engagé dans la lutte contre le projet hydroélectrique d’Hidro Santa Cruz S.A à Barillas, les menaces et intimidations visant les défenseurs des droits humains et membres de la Société civile de Barillas ont gravement augmenté au cours des dernières semaines.
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ubén Herrera, détenu à Huehuetenango le 15 mars dernier, a été libéré le 30 mai. Il avait été inculpé par le tribunal de Santa Eulalia, pour atteinte à la sécurité de l’Etat, terrorisme et enlèvement, entre autres, pour deux dossiers datant de 2009 et 2012. Ses avocats avaient sollicité le transfert du dossier à la capitale car ils doutaient fortement de l’impartialité du juge de Santa Eulalia, et craignaient de possibles pressions de l’entreprise espagnole envers les opérateurs de justice et les forces de sécurité locales. Dans le premier cas, Herrera est accusé d’enlèvement alors qu’il avait été convoqué comme médiateur dans une situation de tension extrême lors d’une altercation entre habitants de Barillas et employés d’Hidro Santa Cruz. Le second dossier se réfère à l’incendie de machines de l’entreprise, pour lequel 4 personnes avaient été détenues en 2012. Malgré l’opposition des avocats de l’entreprise - Me Villatoro et Me Calderón*- aux requêtes de la procureure, le juge du tribunal de Haut risque B Miguel Angel Gálvez a ordonné la prolongation de l’enquête pour le 1er dossier et une clôture provisoire pour le 2e, ainsi que la remise en liberté, faute de preuves. Le juge a soutenu au cours de l’audience l’importance du respect du droit international et en particulier les droits des populations autochtones, et leur droit à les défendre, précisant que la convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail a été ratifiée par le Guatemala et que le non-respect de l’Etat à ses obligations internationales amène à créer des situations conflictuelles, comme à Barillas. Le tribunal a donné un délai de 6 mois au ministère public pour terminer l’enquête et fixé la prochaine audience au 10 décembre 2013. « La décision de ce tribunal crée un précédent pour les défenseurs des droits humains mais surtout pour la lutte légitime des peuples autochtones parce que l’argumentation du juge a pris en compte les conventions internationales qui garantissent de manière spécifique le droit à la consultation et à la libre détermination des peuples », expliquait Francisco Morales, coordinateur de l’ADH. Les menaces, la criminalisation –qui consiste à utiliser l’appareil judiciaire local influencé par les intérêts privés contre les défenseurs des droits humains–, et la diffamation, constituent la stratégie de l’entreprise pour engendrer la peur, épuiser la lutte, moralement et économiquement, et faire perdre aux leaders de la résistance leurs soutiens, tels que les organisations du mouvement social et l’accompagnement international dont ils bénéficient depuis le début de l’année. Plusieurs intimidations et incidents graves se sont produits récemment, et
l’équipe d’accompagnateurs d’ACOGUATE a reçu une menace verbale, d’un homme identifié comme employé d’Hidro Santa Cruz, qui a été dénoncée. Le 9 mai, Mynor López, leader de la Société civile de Barillas, a été détenu de manière violente par des policiers en civils, sans mandat d’arrêt et en le menaçant de mort. La police de Barillas refuse de donner des informations sur ces faits et arrête dans la foulée le neveu du leader communautaire, Manuel López. La tension augmente de nouveau, le commissariat de police est incendié. Mynor López et son neveu sont libérés par un groupe d’habitants. Les mêmes policiers en civils ont été aperçus dans des véhicules blindés avec des armes de gros calibre et seraient responsables d’intimidations et de menaces la veille des faits. Ces incidents ont immédiatement interpellé les habitants, encore sous le choc de l’enlèvement et du meurtre du leader Q´anjob´al Daniel Pedro Mateo, de Santa Eulalia, en avril. Suite à ces faits, la police s’est retirée temporairement de Barillas. Depuis plusieurs semaines, la société civile conjointement à Monseigneur Alvaro Ramazzini, évêque de Huehuetenango, sollicite l’ouverture d’un dialogue auprès du préfet départemental sur la situation de Barillas. Là encore, les autorités aiguisent les tensions sociales en désignant des interlocuteurs – des représentants de Conseils communautaires de développement (COCODEs) – qui ont été payés par l’entreprise Hidro Santa Cruz et qui sont en faveur de l’installation du projet hydroélectrique. Ce projet a été rejeté par la grande majorité de la population, notamment par la consultation communautaire de 2007, et des centaines d’accords et actas communautaires rédigés et signés au terme d’assemblées. Les défenseurs doivent jouer des coudes afin de pouvoir intégrer les réunions de ce « processus de dialogue » et ce, quand ils réussissent à arriver sur le lieu de la réunion, qui peut changer au dernier moment. Les 7 et 8 juin a été organisé un tribunal symbolique sur les droits des femmes à Bilbao en Espagne (« Tribunal de Derechos de las Mujeres Euskal Herria 2013 ») auquel ont participé la leader communautaire Hermelinda Simón qui a dénoncé les violations aux droits humains, en particulier contre les femmes à Barillas, ainsi que Quimy de León, activiste et journaliste indépendante de Prensa Comunitaria, qui présentait un document d’analyse des impacts des entreprises multinationales sur les femmes. ■ *César Calderón est aussi l’avocat de Rodríguez Sánchez, militaire chef du renseignement sous Ríos Montt jugé pour génocide et crimes contre l’humanité.
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Brèves Suite des événements à San Rafael las Flores Depuis le début de l’année 2013, une vague d’assassinats, de persécution ainsi qu’une criminalisation des leaders communautaires - notamment Xincas - et du mouvement social s’abat sur la région de San Rafael las Flores (département de Santa Rosa) et Jalapa (département de Jalapa) (voir brève de Solidarité Guatemala n°203). C’est la réponse donnée à l’organisation de la résistance pacifique contre le projet de mine d’argent « El Escobal » détenu par l’entreprise canadienne Tahoe Ressources Inc. De nombreuses consultations communautaires se sont tenues depuis avril 2012 dans la région affirmant un rejet massif du projet minier par la population. Ces consultations, pourtant prévues par la Convention 169 de l’OIT, la Déclaration des droits des peuples autochtones des Nations Unies et le Code municipal guatémaltèque, ne sont pas reconnues par les autorités. Depuis, le 12 avril dernier, une occupation pacifique devant les installations de la mine de plusieurs centaines de personnes s’est soldée par une expulsion violente menée par la Police Nationale Civile (PNC). Vingt neuf personnes ont alors été mises en détention de manière arbitraire, puis libérées quelques jours plus tard, sans avoir été inculpées. La sécurité privée de l’entreprise est régulièrement dénoncée comme participant à la répression violente contre la mobilisation en défense de la vie, de la terre et du territoire contre le projet minier. Le 27 avril 2013, elle est directement impliquée dans l’attaque à arme à feu de 8 manifestants pacifiques. Le chef de la sécurité, Alberto Rotondo, aurait déclaré « Terminons-en avec la vermine » (« Acabemos con la basura ») avant d’ordonner de tirer. Un jeune homme de 19 ans a eu une partie du visage arrachée, plusieurs autres personnes ont reçu des impacts de balle. Retondo a ensuite été arrêté par la police à l’aéroport alors qu’il tentait de fuir le Guatemala. Le 29 avril, deux jours après ces agressions a été adopté un accord final d’exploitation du projet « Escobal » qui prévoit 5% de redevance destinées à plusieurs municipalités de la région. Le même jour, 25 membres de la police étaient retenus et désarmés à hauteur d’un blocage de route par des manifestants exigeant l’ouverture d’une véritable consultation et négociation avec la population sur le projet de mine. A la suite de ces événement, du 2 au 24 mai 2013, l’état de siège puis d’exception ont été décrétés par le président Otto Pérez Molina dans les départements de Santa Rosa y Jalapa. Plus de 8 500 militaires et membres de la PNC ont été déployés dans la région pour procéder à des arrestations et des perquisitions, aidés de tanks et d’hélicoptères pour contrôler une population qui sous l’état de siège est privée du droit de manifester et de se réunir. La tension dans la région est exacerbée. Selon un journaliste de Prensa Comunitaria, membre de l’équipe de recherche du Centre d’Analyse des Luttes Communautaires « La violence, la diffamation, la militarisation, l’état de siège, la criminalisation des protestations communautaires sont les réponses d’un Etat coopté par les pouvoirs économiques. C’est une stratégie similaire à celle employée par l’Etat et l’entreprise à Barillas, Huehuetenango, contre le peuple Q’anjobal et métis opposé au projet hydroélectrique ». (voir article p. 9). Pour aller plus loin : reportage photo de CPR Urbana sur l’état de siège (http://bit.ly/1ayIidL)
Caja Lúdica: Théâtre guatémaltèque de tournée en Europe Le collectif artistico-ludique Caja Lúdica* a présenté en juin une pièce de théâtre aux Pays-Bas, plusieurs artistes ont fait le voyage pour partager leurs vies en intégrant l’histoire récente du pays, notamment la guerre civile. L'échange culturel entre Caja Lúdica et l’association néerlandaise Paz d'Utrech a commencé en 2005, avec la venue d'étudiants d'Utrech au Guatemala. En 2006, deux compañeros de Caja Lúdica se rendent aux Pays-Bas pour le Festival de la Paix d'Utrech afin de parler de leurs expériences méthodologiques sur l'art communautaire et le travail en réseau. C'est en 2006 que naît l'idée de “Guerras escondidas” (Guerres cachées), une création théâtrale collective ayant pour objectif de faire connaître le Guatemala. Un contexte où la violence et les atteintes aux droits humains prennent racine dans le guerre interne qui a duré 36 ans, et pour laquelle les auteurs intellectuels et matériels vivent en toute liberté et sont protégés par l'oligarchie. Cet échange permet d'ouvrir une fenêtre pour présenter les conditions inhumaines et radicales vécues par les familles guatémaltèques. “Au Guatemala, de nombreux stéréotypes et stigmatisation persistent à l'égard des jeunes, ainsi qu'envers les peuples autochtones et les savoirs ancestraux; les persécutions continuent, les disparitions sont toujours d'actualité, la guerre ne s'est jamais terminée, elle se cache seulement derrière un nouveau masque.” (Acteur de la pièce Guerras Escondidas). Guerras Escondidas, c’est le Guatemala garifuna de Livingston, le Guatemala de la région maya achi de Rabinal, le Guatemala des quartiers pauvres de la capitale, comme le Mezquital. La pièce rend aussi hommage aux compagnons perdus et rappelle ce qu’ils nous ont appris. 10
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Brèves Tribune de l’Intercollectif Guatemala publiée sur le site du Monde En partenariat avec 5 associations de défense des droits humains (l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture, Amnesty International, le Comité Catholique Contre la Faim et pour le Développement, le Secours Catholique et Terre des Hommes), le Collectif Guatemala a cosigné une tribune diffusée sur le site du Monde pour exprimer sa préoccupation face à l’annulation de la condamnation pour génocide de Ríos Montt et à la recrudescence des attaques envers les défenseurs du territoire comme à Barillas ou San Rafael las Flores. « En 1992, le monde entier s'était ému pour cette cause lorsque Rigoberta Menchú, militante maya, s'était vue décerner le prix Nobel de la paix, donnant à croire que la réconciliation allait s’engager au Guatemala. Vingt ans plus tard, le début de reconnaissance du génocide est un pas important. Mais l'annulation du jugement contre Ríos Montt pose de sérieux doutes sur la volonté des élites d'accorder aux populations autochtones toute leur place. » Retrouvez l’intégralité du texte de cette tribune sur le site du Monde: www.lemonde.fr/idees/ article/2013/06/14/les-droits-des-mayasau-c-ur-des-enjeux-politiques-etsociaux_3430260_3232.html
Présentation de l’exposition de la mémoire photographique ixil à Nebaj et Paris
Le 22 juin, 2500 personnes se sont réunies sur le parc central de Nebaj pour participer aux activités de la journée de la dignité ixil. Les autorités ancestrales de Chajul, Cotzal et Nebaj ont reçu notamment une copie du verdict de la condamnation pour génocide du 10 mai dernier. Les femmes portaient l’exposition de la mémoire photographique ixil en tête de cortège. Le même jour, à plus de 9 000 kilomètres, l’exposition était diffusée lors de la Fête de la Saint Jean organisée par le Comité Alba et la section du PCF du XIXe arrondissement. C’était l’occasion de montrer cette frise des visages du génocide à un nouveau public familial sur la Place des Fêtes. Un grand merci à nos bénévoles Alexandra et Bérénice pour leur participation à Paris! Solidarité Guatemala n°204 juillet 2013
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Le Collectif Guatemala Qui sommes-nous ? Fondé en 1979 par des réfugiés guatémaltèques et des militants français, le Collectif Guatemala est une association 1901 de solidarité internationale. Il est composé d’associations et de particuliers, dont une bonne dizaine de membres actifs, sur lesquels repose la vie de l’association. Depuis octobre 2002, l’équipe s’est étoffée avec l’arrivée d’un permanent à mi-temps. Depuis mars 2006, l’association a ouvert un bureau de coordination pour ses activités au Guatemala (accompagnement international et campagne de soutien aux militants luttant contre le pillage de leurs ressources naturelles).
Les activités du Collectif au Guatemala
Les activités du Collectif en France
● L’accompagnement international √ des populations indigènes victimes du conflit armé impliquées dans des procès contre les responsables de violations massives des droits humains, √ des personnes menacées du fait de leurs activités militantes. Comment ? √ à la demande des groupes ou personnes menacées, √ en recherchant et en préparant des volontaires qui resteront au minimum 6 mois sur le terrain. Pourquoi ? √ pour établir une présence dissuasive, √ pour avoir un rôle d'observateur, √ pour relayer l'information.
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Les accompagnateurs/trices sont des volontaires majeurs, de tous horizons, désirant s’engager pour une durée minimum de 6 mois. Des sessions d’information et de préparation ont lieu en France avant le départ. Au Guatemala, les accompagnateurs sont intégré au projet international d’accompagnement ACOGUATE. ● L’outil vidéo √ organisation d’ateliers vidéo destinés aux membres d’organisations communautaires pour la réalisation documentaire √ soutien à la diffusion de ces films à la capitale et dans les communautés √ réalisation de film-documentaires comme outil de campagne et de sensibilisation en France
L'appui aux organisations de la société civile guatémaltèque qui luttent pour plus de justice et de démocratie
√ en relayant des dénonciations de violations des droits de l'Homme, √ en organisant des campagnes pour soutenir leurs revendications, √ en recherchant des financements pour soutenir leurs projets, √ en recevant en France et en Europe des représentants de différentes organisations pour leur permettre de rencontrer des décideurs politiques et financiers. ● L’information et la sensibilisation du public français Sur quoi ? √ la situation politique et sociale au Guatemala, √ la situation des droits humains, √ l'action des organisations populaires, indiennes et paysannes. Comment ? √ par la diffusion d’une lettre à l’adhérent bimestrielle, √ par l'organisation ou la participation à des conférences, débats, réunions, projections documentaires √ par des réunions mensuelles ouvertes à toute personne intéressée. ● Le travail en réseau avec différents types de partenaires présents au Guatemala
√ associatifs, √ institutionnels. Contact: collectifguatemala@gmail.com
ADHÉSION / ABONNEMENT Le Collectif Guatemala vous propose plusieurs formules de soutien :
Adhésion au Collectif, permettant de recevoir la Lettre à l’Adhérent - Solidarité Guatemala
23 €
Adhésion à tarif réduit (étudiants, chômeurs etc. joindre justificatif)
15 €
Don, un soutien supplémentaire pour nos activités
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Total :
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