Solidarité guatemala 209

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Numéro 209 juillet 2014 Lettre d’information du Collectif Guatemala

Une politique d’État antidémocratique Sommaire

Edito: Une politique d’État antidémocratique par Vanessa Góngora p.1 L’électricité oui, mais à quel prix? par Pauline Matteoni p.2-3 L’opposition à l’extraction minière, nouvelle menace à la sécurité nationale par Oswaldo J. Hernández

p.4-5

Soigner, c’est faire justice par Aura Marina Yoc Cosajay

p.6-7

Expérience d’une accompagnatrice du Collectif Guatemala: « Alors, c’était comment? » par Laure Jacquemin p.8-9 Brèves

p.10-11

Collectif Guatemala 21 ter, rue Voltaire Collectif Guatemala 75011 Paris - France 21 ter, rue Voltaire Tel: 01 43 73 49 60 75011 Paris - France collectifguatemala@gmail.com Tel: 01 43 73 49 60 www.collectifguatemala.org collectifguatemala@gmail.com www.collectifguatemala.org

Directrice de publication: DirectriceTauty Isabelle de publication Chamale : Isabelle ISSN 1277 Tauty 51 Chamale 69 ISSN 1277 51 69

Ont participé à ce numéro : Ont participé à ce numéro : Amandine Grandjean, Vanessa Bérénice Boukaré, Góngora, MarilyneAmandine Griffon Grandjean, Vanessa Góngora, Laure Jacquemin, Thibaud Marilyne Sandra LengMarijn, Griffon, Pauline Matteoni, wiler, Thibaud Zuleika Coralie Morand,Marijn, Cyril Roudaut, Romero, Tauty, Marina Martin Isabelle Isabelle Tauty, Aura Willaume. Yoc Cosajay.

Par Vanessa Góngora

L

a première partie de l’année au Guatemala aura été marquée par le coup de force des groupes d’intérêts économico-militaires contre tous les acteurs participant de près ou de loin au procès pour génocide impliquant l’ancien général Efraín Ríos Montt. Le résultat de cette manœuvre, ouvertement opposée à l’indépendance du pouvoir judiciaire, fut l’éviction prématurée de la Procureure Générale Claudia Paz y Paz, remplacée le 21 mai par Thelma Aldana qui a progressé dans l’organisme judiciaire sous l’aile du FRG (Front Républicain Guatémaltèque), l'ancien parti de Ríos Montt, et représente, selon tous les analystes, "la" candidate du pouvoir. Suite à cet énorme revers, les organisations de défense des droits humains ont accueilli avec enthousiasme la visite de la Haut-Commissaire adjointe des Nations Unies aux Droits de l’Homme, Flavia Pansieri. Cette visite fut d’autant plus importante que Madame Pansieri a réaffirmé son soutien inconditionnel aux victimes du conflit armé en quête de justice et manifesté sa préoccupation au sujet des tensions sociales liées à la concession de licences autorisant divers projets de l’industrie extractive. Pourtant, moins de 24 heures après la fin de sa visite, le 23 mai, plus de 150 agents de la Police Nationale Civile et des forces spéciales d’intervention procédaient à l’expulsion violente des femmes, hommes et enfants de la résistance pacifique de La Puya, installés depuis deux ans devant l’entrée de la concession minière El Tambor, sous les yeux d’observateurs nationaux et internationaux, ainsi que de nombreux journalistes documentant les faits. Bilan de l’opération : 27 personnes blessées, dont trois gravement. Finalement, ce que redoutait le gouvernement est arrivé. Le mois de juin a vu éclore des centaines de fleurs de résistance : la marche pour la dignité des 12 communautés Kaqchikeles de San Juan Sacatepéquez, la mobilisation pacifique nationale organisée par plusieurs organisations paysannes et mayas dans de nombreux endroits du pays ainsi que la manifestation des communautés affectées par l'activité minière de Goldcorp. Le Ministre de l'Intérieur Mauricio López Bonilla, s'est toujours empressé de mettre en avant le manque de volonté de dialogue des communautés. Depuis longtemps, experts et organisations travaillant dans la défense des ressources naturelles dénoncent l’inefficacité du Système National de Dialogue, entité de "médiation" liée à la présidence, dotée de moyens dérisoires, et dont la seule stratégie consiste à faire des pieds de nez aux délégations communautaires. Année pré-électorale oblige ; le président Otto Pérez Molina et son gouvernement s’efforcent de démontrer à leur électorat et aux groupes qui les soutiennent que la mano dura veille sur le pays. On se souvient (Edito SG 197) des allusions du Président, dans son discours d'investiture, sur les "fauteurs de troubles internationaux". Pour les observateurs internationaux aussi, la mano dura veille. Solidarité Guatemala n°209 juillet 2014

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Actualités L’électricité oui, mais à quel prix? Par Pauline Matteoni

Avoir l'électricité au Guatemala est un luxe que tous n'ont pas. Le Gouvernement entend prendre des mesures afin d'y remédier. Mais que se cache-t-il derrière ces mesures dites en faveur du développement du pays et pour ses habitants ? Qui sont les véritables intéressés et les véritables gagnants dans cette course à l'électrification ?

L

e 3 avril 2013, le Président de la République du Guatemala, Otto Pérez Molina, et son Conseil des Ministres ratifiaient l'accord gouvernemental n°1452013. Dans cet accord, le gouvernement déclare d'urgence nationale et de nécessité publique la mise en place du Plan d'Expansion du système de Transport de l'énergie électrique (Plan de Expansión del sistema de Transporte – PET) et du Plan d'Electrification Rurale (Plan de Electrificación Rural – PER). Le 26 janvier 2012, le Ministère de l'Energie et des Mines attribuait déjà la responsabilité de la réalisation du projet à l'entreprise Transport d'Energie d'Amérique Centrale S.A. – TRECSA (Transportadora de Energía de Centroamérica S.A.). Les travaux nécessaires à la réalisation de tels plans sont considérables : 853 kilomètres de câbles électriques qui traverseront 15 départements, 74 municipalités et plus de 400 communautés, 12 nouvelles stationsrelais électriques¹ et l'agrandissement de 12 autres déjà construites. Ainsi, seront reliés entre eux les principaux projets hydroélectriques du pays - existants ou à venir - pour former différents « anneaux » selon le secteur dans lequel ils se trouvent et distribuer l'électricité à la totalité du Guatemala. Le gouvernement explique qu'il est inconcevable qu'autant de Guatémaltèques n'aient pas accès à l'électricité et que ces mesures sont indispensables au développement du pays, ce à quoi les populations concernées ont répondu, à plusieurs reprises, par un fort rejet : « Le développement dont parle le gouvernement n'existe pas. Il s'agit d'un développement destiné à eux-mêmes et non à nous, le peuple »².

d'autres : qui accepterait qu'on plante un pylône électrique dans son jardin au nom de la nécessité publique ? Cela pose de sérieux problèmes quant au respect du droit à la propriété individuelle et collective des habitants et des communautés. Au-delà de ces questions, d'autres problèmes, moins visibles de prime abord mais tout aussi graves, ont été soulevés, tels que les effets sanitaires néfastes des stations-relais sur la population vivant à proximité (cancers, problèmes cardiovasculaires) ou la forte relation entre hydroélectricité, mines et affaires au détriment du bien commun. En effet, alors que les autorités utilisent l'argument d'une carence en énergie électrique dans la majorité du pays qu'elles se doivent de combler par la construction de nouvelles centrales hydroélectriques, le pays est, de fait, en surproduction. Bien audelà de la volonté de satisfaire les besoins de base de la population rurale, cette énergie en surplus est destinée à l'alimentation des entreprises extractives et aux besoins des pays voisins selon El Observador. Le 20 avril 2013, lors de l'Assemblée des Peuples du Nord du Département de Quiché à Nebaj, des représentants des régions Ixil et Ixcan, Huehuetenango, San Marcos, Petén, Izabal, et de la Côte Sud ont dénoncé l'usurpation de leurs terres et des ressources naturelles par le gouvernement et les entreprises privées, ainsi que la violation des droits des peuples autochtones établis par la Constitution dans les articles 44 et 46 et par la Convention 169 de l'Organisation Internationale du Travail (OIT) qui garantit le droit à la consultation des peuples autochtones.

Les populations rurales affectées ont alors entamé un processus de recours d'inconstitutionnalité devant la Cour Constitutionnelle (CC) au cours duquel elles ont demandé l’avis du Ministère Public. Il a répondu, le 13 décembre 2013, que le décret 145 -2013 était effectivement inconstitutionnel, comme l'a également affirmé le Procureur des Droits Humains du Guatemala, Jorge de León Duque. C'est le 6 mars 2014 qu'a finalement eu lieu l'audience publique où devaient s'exprimer les deux parties adverses. Etaient présents entre autres 27 délégués communautaires de différentes régions, tous signataires du recours d'inconstitutionnalité, accompagnés de leurs deux avocats Ramón Cadena et Rafael Rodríguez de la Serna, de la Commission Internationale des Juristes. Ce jour-là, Pedro Sica Chicaj, habitant de Cunén, dans le département de Quiché, a pris la parole dans sa langue maternelle, le k'iche', au nom de tous ceux qui s'opposent à cet accord gouvernemental et a insisté sur « l'importance © CMI Guate de la voix du peuple ». Il a expliqué que « l'accord Ramon Cadena et Pedro Sica Chicaj lors de l'audience à la Cour Constitutionnelle (…) est totalement contraire à l'intérêt des peuples

En effet, les conséquences de ces mesures sont loin d'être aussi positives que l'affirme le gouvernement. Un exemple parmi

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Actualités autochtones parce qu'il détruit, provoque, oblige les gens à livrer gouvernement et des entreprises, leur permettant, entre autres, de leur terre, il ne respecte pas, ne consulte pas et pour cela ne sert s'accaparer des terres privées sans l'accord des propriétaires afin pas l'intérêt des peuples mais uniquement celui des entreprises ». de mener à bien des projets déclarés de nécessité publique. Le 26 Il s'est ensuite adressé directement aux magistrats en les prenant juin 2014, Mauro Vay, Blanca Ajtum et Mariano García, trois à partie : « Voulez-vous être du côté du peuple ou de celui des membres dirigeants du Comité de Développement Paysan. Des entreprises ? Selon vous, qu'est-ce qui a le plus de valeur : la voix du peuple ou l'argent des entreprises ? ». Le mécontentement gronde face à ce gouvernement qui brade fleuves et terres à diverses entreprises faisant du pays une usine à business, piétinant tout sur son passage, droits humains, biens communs et environnement compris, sous couvert d'un pseudo développement qui, en réalité, ne fait que renforcer les inégalités et les fractures sociales et territoriales. A la fin de cette même audience, Pedro Sica Chicaj a exhibé une balance déséquilibrée, symbolisant la situation actuelle de la justice au Guatemala, l'irrespect de la voix du peuple et la dévalorisation de la vie humaine face à l'enrichissement des chefs d'entreprises et a exprimé la © Prensa Libre nécessité de rééquilibrer la balance par l'annulation de l'accord Mauro Vay Gon, Blanca Julia Ajtum et Mariano García Carrillo, trois leaders de CODECA arrêtés le 26 juin 2014 à San Juan Ixcoy, Huehuetenango. gouvernemental. En termes légaux, les paysans et paysannes ainsi que leurs avocats expliquent que le décret gouvernemental 145-2013 est inconstitutionnel car, en plus de violer le droit à la consultation préalable ainsi qu'à la propriété privée, il viole la Constitution du pays, notamment l'article 176. Ce dernier est clair en ce qui concerne la séparation des pouvoirs. Or, dans ce cas, le Président, en plus du pouvoir exécutif, s'octroie le pouvoir législatif, soit celui de dicter des lois, qui devrait être exercé par le Congrès. En résumé, le Président n'a ni le pouvoir ni le droit de déclarer l'urgence nationale d'un tel accord. Le 6 mars, lors de l'audience, les magistrats ont conclu qu'ils donneraient leur verdict dans un délai de 20 jours. En ce début juillet 2014, nous attendons toujours. Et, pendant ce temps, les projets hydroélectriques continuent de se multiplier, les contrats de se signer sans consultation et accord des populations concernées, l'énergie électrique reste aux mains du secteur privé, les populations les plus défavorisées continuent de payer des factures exorbitantes et arbitraires, et les leaders communautaires qui se mobilisent pour la défense de leurs droits et de leurs territoires sont criminalisés. Les espoirs d’amélioration de la situation et d’une résolution des magistrats en faveur des paysans et paysannes sont minces. Le 30 janvier 2014, le gouvernement a émis une nouvelle proposition de loi, la loi 4782 de Servitude Obligatoire qui renforce encore un peu plus le pouvoir du

membres de CODECA, comité en lutte, notamment, pour la nationalisation de l'électricité, ont été arrêtés et accusés en partie de couper les fils des compteurs électriques dans les communautés et de se connecter au réseau électrique illégalement en signe de protestation. Cette arrestation intervient le lendemain de la réunion entre Hugo Swire, Ministre des Affaires Etrangères britannique, et différentes autorités du Guatemala dont le Président Otto Pérez Molina et la nouvelle Procureure Générale Thelma Aldana autour des thèmes « Droits humains et affaires ». Celui-ci a fait part de ses préoccupations en ce qui concerne les actions de CODECA allant à l'encontre des intérêts d'Energuate, entreprise chargée de la distribution de l'énergie électrique dans tout le pays et propriété de la multinationale britannique ACTIS. Alors, quel est réellement le prix à payer pour avoir accès à l'énergie électrique ? Une chose est sûre, c'est que ce prix est bien trop élevé pour les peuples autochtones qui continuent de lutter désespérément contre le Goliath des firmes qui dévore tout sur son passage. ■ 1.Une station-relais électrique est une installation destinée à modifier et réguler les niveaux de tension d'une infrastructure électrique à l'aide d'un transformateur, pour faciliter le transport et la distribution de l'énergie électrique. 2.Gabriel, délégué communautaire de la municipalité de Nebaj, dans un entretien réalisé par Acoguate en avril 2014. 3.CMI, article « El Pueblo le da la oportunidad a la CC de nivelar la Justicia: Caso TRECSA » - http://bit.ly/1mbNnOL

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Actualités L’opposition à l’extraction minière, nouvelle menace à la sécurité nationale.

Par Oswaldo J. Hernández Traduction par Coralie Morand et Marilyne Griffon

Cet extrait est une traduction du reportage effectué par Oswaldo J. Hernández et Sandra Sebastián sur la création, en secret, d’un Groupe Interinstitutionnel des Affaires Minières par le Gouvernement. Un prototype de cette nouvelle agence a été implanté à San Rafael Las Flores, département de Santa Rosa, lieu d’une résistance pacifique contre le projet de mine d’argent El Escobal mené par une filiale locale de l’entreprise canadienne Tahoe Resources. Depuis le 2 mai 2013, San Rafael Las Flores est en Etat de siège.

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demande s’il sait où se trouve une agence de l’État, une agence qui a, en effet, un nom minier : « Groupe Interinstitutionnel des Affaires Minières », s’il est au courant de quelque chose à ce sujet.

San Rafael Las Flores s’est transformé en un lieu étrange, dans lequel tous semblent précautionneux. Ils se méfient. C’est comme ça depuis mars 2013, depuis que cette commune a été déclarée en État de siège. Dans les rues, dans les parcs, dans les petites boutiques de quartier, les gens observent avec attention tout ce qui passe sous leurs yeux. L’alerte est spontanée. Les étrangers ne passent pas inaperçus.

La même scène se reproduit avec un agent de la circulation, avec une pharmacienne et avec un agent de sécurité privée. « Le Groupe Interinstitutionnel des Affaires Minières », c’est quelque chose qui ne leur dit rien. « Vous cherchez peut-être ce bureau du Gouvernement qui a posé quelques affiches », nous dit une vieille dame devant la Mairie. Puis elle indique un long chemin de rues et sentiers pour arriver jusque là-bas. « Mais le bureau ne porte pas ce nom-là. Je ne me souviens plus de son nom, mais ce n’est pas celui-là », éclaircit-elle. ***

e conflit lié à la mine de San Rafael Las Flores a laissé quelque chose de plus qu’un État de siège comme réponse à l’opposition des habitants face à l’exploitation de leur territoire. Cela a été le point de départ du Gouvernement pour la mise en place d’une nouvelle stratégie de sécurité, impulsée en secret, qui positionne les mouvements d’opposition aux projets extractifs comme une menace à la sécurité nationale.

Êtes-vous un travailleur de la mine? Est-ce que vous venez du Canada ? Que voulez-vous ? Ce sont des questions qui surgissent face à un malaise. Elles apparaissent dans le bus, au restaurant, parfois même dans la rue. « Il faut faire attention avec ce truc de parler de la mine », avertit un commerçant avec le sourire. L’explication qu’il donne est que chacun, à San Rafael Las Flores, réagit mal ou bien au sujet, pour ou contre le projet minier El Escobal qui a commencé l’extraction d’argent dans le sous-sol de San Rafael Las Flores il y a quelques mois. « La population est divisée », dit-il. Je lui indique toutefois qu’avec l’extraction minière rien n’est obligatoire. Je lui

© S. Sebastián et O. J. Hernández

Agence Interinstitutionnelle pour le Développement Intégral 4

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Derrière le comptoir, le commerçant se gratte la tête et dit : « Ce nom ne me dit rien ».

Depuis le 26 mars 2013, le gouvernement d’Otto Pérez Molina a réservé un traitement spécial aux conflits sociaux de San Rafael Las Flores. Lors du Conseil National de Sécurité (CNS), il a été décidé que les problèmes sociaux autour des projets extractifs – protestations, altercations, provocations, blocages – devaient être abordés depuis un autre niveau, depuis une perspective de Sécurité Nationale, c’est-à-dire, comme une menace à l’encontre de la sécurité de l’État. Pour faire face à cela, le « Groupe Institutionnel des Affaires Minières » a été créé, une instance qui travaille sous la supervision du colonel Ricardo Bustamante, chargé du Secrétariat Technique du Conseil National de Sécurité (STCNS). Les vice-ministres de l’Intérieur (Edi Juárez), de l’Environnement et des Ressources Naturelles (Sergio Ruano), le directeur des mines du Ministère de l’Energie et des Mines (Fernando Castellanos) et le chargé du Système National de Dialogue (Miguel Ángel Balcárcel) ont intégré le premier groupe de fonctionnaires qui ont écouté les évaluations sur la conflictualité sociale élaborées par le Secrétariat de l’Intelligence Stratégique de l’État (SIE), sous la direction de José María Argueta, suite aux événements violents qui se sont déchaînés à San Rafael Las Flores en septembre 2012. Au cours de ces incidents, des maisons, du matériel et des véhicules de l’entreprise minière San Rafael ont été incendiés, ainsi que des installations publiques et privées. Il y a eu plus de 50 blessés et quatre personnes sont décédées, parmi lesquelles un agent de la Police Nationale Civile (PNC). Le « Groupe Interinstitutionnel des Affaires Minières » a été créé


Actualités en mars 2013 sous la protection de la Police Nationale de Sécurité, deux mois avant que ne soit déclaré l’État de siège sur les lieux, et un mois avant que la licence d’exploitation ne soit accordée au projet Escobal. Le pouvoir exécutif a conçu un projet d’Accord Gouvernemental pour donner une existence légale à cette instance. La Procureure Générale de la Nation a reçu la demande et lui a donné son satisfecit. Cependant, l’accord pour la création du « Groupe Interinstitutionnel des Affaires Minières » n’a jamais été publié. Le projet d’Accord Gouvernemental donne habilitation à cette instance pour, entre autres attributions, « élaborer des recommandations – à destination du Conseil National de Sécurité-,

son vrai nom.

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A la sortie de San Rafael Las Flores, il y a un premier indice de l’existence de ce bureau. Un panneau d’affichage qui indique l’emplacement d’une agence gouvernementale. Il faut suivre les indications – quelques flèches -, d’abord à droite, puis un autre croisement, toujours à droite ; ensuite tout droit, jusqu’à sortir du périmètre urbain et arriver sur un chemin de terre qui donne sur quelques pâturages au milieu de nulle part. Là-bas, loin de tout, le bureau du Gouvernement ressemble plutôt à une forteresse. Il y a du grillage tout autour. Du fil barbelé. Il faut faire tout le tour du bâtiment avant de tomber sur l’entrée. Il est encastré sur un point stratégique, au sommet d’une petite colline : toute visite peut être anticipée. Une bonne partie du village est visible depuis le bâtiment. Sur la façade, on peut lire : « Agence Interinstitutionnelle pour le Développement Intégral ». C’est ça le siège du « Groupe Interinstitutionnel des Affaires Minières » chargé du Secrétariat Technique du Conseil National de Sécurité ?

© El Tiempo Latino

Jour de l’établissement de l’État de siège

politiques, stratégiques ainsi que des projets à caractère politique, social, économique et de sécurité, dans le but d’une prise en charge intégrale du la problématique de sécurité générée par l’exploration et l’exploitation de ressources naturelles non renouvelables ». Le ministre de l’Intérieur, Mauricio López Bonilla, lors de déclarations à Plaza Pública, a reconnu que ce groupe opérait depuis presque un an à San Rafael Las Flores, et que « sa fonction était d’identifier ce qui a échoué » en termes de sécurité et d’« impact social » sur les lieux où sont développés des projets miniers. « Nous pensons que lorsque l’État, en tant que tel, fait appel à des capitaux étrangers, il se doit de le faire avec un accompagnement de principe du début à la fin. Cela signifie que lorsque nous identifions des lieux potentiellement adaptés pour l’exploitation de ressources, il faut s’y rendre, évaluer l’endroit, et, tout comme nous requérons des études d’impact environnemental, nous entendons demander des études d’impact social », a expliqué le Ministre. Cela implique, a-t-il ajouté, que, « s’agissant d’un groupe interinstitutionnel sur les affaires minières, toutes les institutions qui ont un intérêt sur le sujet devront être impliquées ». Un bureau situé à San Rafael Las Flores était important pour le fonctionnement de ce groupe. Chose curieuse : personne à San Rafael Las Flores ne sait où il se trouve. Ou du moins pas sous

A première vue, non.

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Quelques semaines plus tôt, Eduardo Spiegeler, de la Commission de Consultation et Planification (CAP) du Conseil National de Sécurité, confirmait, tout comme López Bonilla, que le groupe sur les affaires minières était au travail à San Rafael las Flores. « A un moment donné, nous avons estimé que l’industrie minière développait une forme de conflictualité généralisée. Ce n’est plus seulement le problème d’une zone, comme San Rafael Las Flores à Santa Rosa, ou la Compagnie Guatémaltèque de Nickel à Izabal, ou El Tambor à San José del Golfo. Le conseil (CNS) en a pris note et l’a élevé au niveau d’un problème qui pourrait se transformer en menace à la nation. Quelque chose qui, en soi, pourrait affecter la gouvernabilité du pays », a expliqué le conseiller du CNS. Mais comment agit un groupe de ce type ? Comment se gère l’industrie minière sous la perspective d’une Politique de Sécurité Nationale ? Spiegeler affirme qu’ils ont détecté plusieurs facteurs qui expliquent le refus des communautés face à l’exploitation des ressources naturelles. « Manque d’information », indique-t-il. « Le problème dans tout cela, c’est qu’il n’y a pas eu de bonne communication stratégique, une communication qui génère réellement de la confiance en ce qui va être mis en place ». (…) ■ L’article traduit dans sa version intégrale : http://bit.ly/1yPQQq9 L’article en espagnol : http://bit.ly/1oYymj8

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Actualités Soigner, c’est faire justice

Par Aura Marina Yoc Cosajay¹ Traduction : Isabelle Tauty

« Le Soin comme Justice » : c'est une expression importante pour les femmes guatémaltèques qui forment le Collectif « Actrices de changement » au Guatemala. Ce collectif féministe guatémaltèque travaille depuis 16 ans à la récupération et à la guérison de femmes victimes de violences sexuelles en recherche de processus judiciaires. Cet article expose comment, dans un contexte de post guerre, le soin peut devenir un instrument de justice pour les femmes victimes de viol.

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e Collectif Actrices de Changement a accompagné les femmes victimes de violences sexuelles pendant le conflit armé et crée aujourd'hui les conditions pour « chasser le silence de leur vie ». Cette recherche de justice n'a pas comme unique objectif de déposer des plaintes avec d'autres organisations de défense des droits humains². Au contraire, elle propose que leurs témoignages soient écoutés, reconnus et acceptés pour que la honte retombe sur les coupables, pour faire comprendre qu'il existe un socle d'injustice et d'inégalités sociales qui a permis ces violences et que l'État a sa part de responsabilité en refusant d’agir contre ces inégalités. Dans ce cadre, le soin se conçoit comme un mécanisme pour transformer les expériences traumatiques, créer de nouvelles pratiques politiques³ qui transforment les victimes en actrices de changement, par un acte profond et radical qui leur permet d'exister, de guérir, de faire connaître la vérité et de créer les conditions pour que les crimes sexuels cessent. Comprendre les blessures demande un courage quotidien, individuel et collectif, pour rompre les cercles de la faute et du silence inscrits dans le corps et l'esprit de ces femmes qui ont subi l'isolement comme conséquence de la culture patriarcale qui privilégie les relations génératrices d'inégalités dans la société. Elles ont dû survivre seules après les viols et au détriment de la solidarité qui caractérise les communautés autochtones. C'était un des objectifs des auteurs de ces crimes. Ils ont attaqué la

© Cristina Chiquin

Femmes Ixiles lors du procès pour génocide, Guatemala, mai 2013

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sexualité et la capacité de reproduction des femmes comme une stratégie pour défaire les liens sociaux et communautaires et détruire l'honneur de l’ennemi, en soumettant les populations à travers le corps des femmes, par l'humiliation et la dégradation morale. Le corps s'est transformé en un champ de bataille symbolique. « Les violences perpétrées contre les femmes lors des conflits armés ne sont pas spontanées. Elles sont orchestrées, approuvées ou tolérées, dans le cadre d’une stratégie politique calculée. Qui plus est, elles sont commises par des individus qui savent pertinemment qu’ils peuvent s’attaquer aux femmes et aux fillettes en toute impunité. Certains comportements stéréotypés ou violents, déjà très répandus dans la société en temps normal, sont, en cas de conflit, délibérément encouragés ou manipulés par des groupes d’influence - militaires, politiques, sociaux ou économiques -, qui pensent pouvoir ainsi marquer des points 4» Ces représentations collectives patriarcales de la sexualité, transforment un délit, condamnable et déshumanisant, en une relation consentie et désirée par les femmes, provoquant leur silence comme mécanisme de survie. L'isolement social des victimes ainsi que la difficulté à surmonter les traumatismes, garantissent la pérennisation et la reproduction de ces actes de violence. C'est le seul crime pour lequel on responsabilise et culpabilise la victime de ce qui lui est arrivé. Dans ce contexte, le soin se comprend comme la désarticulation de ces représentations collectives patriarcales, et la justice comme une justice globale et non uniquement comme un pouvoir judiciaire avec ses sanctions et ses peines. Cela signifie montrer et transformer socialement tout ce qui limite la mobilité et la liberté des femmes. L'expérience personnelle doit être reliée au politique par des alliances et par de nouvelles alternatives de vie dans les communautés ou en-dehors. Pour Yolande Aguilar, co-fondatrice du Collectif Actrices de Changement, cette idée va bien plus loin que la demande de Justice à l'État. Selon elle, « la justice la plus complète c'est celle que je me donne et celle que je peux construire avec les autres. Le personnel est politique. Je ne vis pas dans une grotte, je vis dans le système, et je dois le construire de l'intérieur 5. » Dans le contexte d’impunité qui caractérise le pays, il est essentiel de dépasser la dynamique perverse de la victimisation. Il faut se détacher de l'acte de violence et reconstruire sa vie en la renforçant par des processus collectifs, parfois plus silencieux


Actualités mais plus efficaces pour guérir, des processus d'auto-affirmation, capables d'avoir des répercussions sur les structures du pays. Ces témoignages ont été d’une importance capitale pour le jugement pour génocide et crimes contre l’humanité de l'ex dictateur Ríos Montt. Malgré le fait que le jugement ait été annulé le 20 mai 2013, ces femmes ont pu mettre en commun leurs expériences et cela a contribué à ce qu'elles exercent leur droit et pouvoir de parole, espace de récupération de la dignité. « Ils nous ont toujours dit ne pas être sentimentales quand nous nous présentons au commissariat, car il n'aiment pas ça !! De ne pas pleurer pendant le jugement !! Tous ces messages servent à empêcher que nous obtenions justice pour nos propres vies6. » Rompre le silence est un mécanisme qui leur rend la vie.■

Pour aller plus loin: -Barbuto V., Moteyra M., Morelle C., Guzman D., Hurtado V., Zavala X., Solis M., “Políticas de reparación para mujeres víctimas de violencia sexual durante dictaduras y conflictos armados”, Sin Tregua, Chili, 2009, http://bit.ly/1sC47iE. -Fulchirone A., Paz O., López A., Tejidos que lleva el alma: Memoria de las mujeres mayas sobrevivientes de violación sexual durante el conflicto arnado, Actrices de changement, 2009, http://bit.ly/1rXGfZl. -Mladjenović, “Sanar es Justicia. Yo soy voz de la memoria y cuerpo de la libertad”, Deuxième Festival pour la Mémoire des Femmes survivantes de violences sexuelles durant le conflit armé, Chimaltenango, Guatemala, 2011, http://bit.ly/1qZdSd7. -Teitel, Ruti G., “Transitional Justice Genealogy”, in Harvard Human Rights Journal, Vol.16, Printemps, Cambridge, MA, pp.69-94, http://bit.ly/1lWY3vV. -Terrasson Brigitte, “Las violaciones de Guerra y las mujeres en Francia durante el Primer Conflicto Mundial 1914-1918” in “Las mujeres y las guerras: el papel de las mujeres en las guerras en la Edad Antigua a la contemporánea”, Nash M. et Tavera S., Icaria Antrazyt, Barcelone, Espagne, 2003, http://bit.ly/1qNvwPq.

© El nuevo Diario

« Les femmes décident, la société respecte, l’État garantit, les Eglises n’interviennent pas. » 1. Guatémaltèque, diplômée d’un Master de Sciences Humaines et Sociales, mention Cultures et Sociétés de l’Institut Pluridisciplinaire pour les Etudes sur l’Amérique à Toulouse Le Mirail. 2. Certes, le témoignage des femmes autochtones violées durant le conflit armé fut substantiel pour le jugement et la condamnation pour génocide à l’encontre du Général Efraín Ríos Montt le 10 mai 2013, mais l’annulation du verdict un mois jour pour jour après les témoignages a également engendré une grande frustration. 3. Dagnino, cité par Brett, argumente le fait que « le politique », en tant que concept, s’est élargi à de nouveaux paramètres qui permettent de réfléchir à la relation entre culture et politique. Cette expansion du politique lié aux relations sociales quotidiennes se transforme en un espace idoine de la société civile pour l’action politique (Dagnino, 1998: 38). Brett, Roddy, Movimiento social, etnicidad y democratización en Guatemala, 1985-1996, Guatemala 2005, p.26. 4. Amnesty International, Les crimes commis contre les femmes lors des conflits armés, 2004, http://bit.ly/1tr6b1p. 5. Giménez, Inés, « Mujeres en Guatemala: el fin de la victimización a través de la sanación », http://bit.ly/1rXC13T. 6. Actrices de Changement, « Festival régional pour la mémoire: femmes et guerre », Guatemala, 2008.

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Actualités Expérience d’une accompagnatrice du Collectif Guatemala: « Alors, c’était comment? »

Par Laure Jacquemin

En 2013, le Collectif Guatemala a permis à quatre accompagnateurs de rejoindre le projet ACOGUATE sur le terrain. Laure a vécu dans l’équipe de Huehuetenango/San Marcos de septembre 2013 à mars 2014. Elle a doucement posé ses valises en France, intégré le Bureau du Collectif Guatemala et participe activement à ses activités. Elle prend aujourd'hui le temps de partager avec vous son expérience du Guatemala et le quotidien d’une accompagnatrice internationale.

C

omment, seulement quelques semaines après le retour, relater une expérience de six mois sur le terrain en tant qu’accompagnatrice internationale au Guatemala? Telle est ma réaction à chaque fois que l’on me pose cette fameuse question : « Alors, c’était comment ? ».

Dans les régions de Huehuetenango et San Marcos, nous suivons essentiellement des cas de lutte pour la défense du territoire des communautés autochtones contre les mégaprojets qui s’installent et accaparent leurs terres. Pour la troisième fois. Ce sont les mots d’un leader que nous accompagnons. Trois génocides : le premier prend la forme de la colonisation espagnole, le second, celle du conflit armé, et le troisième, actuel, plus silencieux mais tout aussi efficace, se concrétise par l’arrivée et la prolifération des mégaprojets au Guatemala. Pays riche d’une culture ancestrale maya mais aussi riche en ressources naturelles. Richesses qui, dans le modèle de développement extractif sur lequel est basée notre société actuelle, attirent de nombreuses multinationales des pays du Nord… Leur installation s’accompagne d’une augmentation immédiate de la conflictivité sociale. Les conséquences néfastes sont nombreuses : épuisement de certains éléments nutritifs des sols, développement excessif des ennemis des cultures, menace de la faune et de la flore, développement des maladies chez les populations vivant aux alentours. La société civile est très organisée dans les deux régions où j’ai pu intervenir. Les consultations populaires furent nombreuses et la lutte s’est institutionnalisée par la création de nombreuses organisations locales, départementales ainsi que des conseils mayas. Cependant les multinationales, soutenues par les gouvernements successifs, ont une stratégie méticuleuse pour arriver à leur fin : l’exportation des productions qui leur permettra une rentabilité, ce « nouveau » diktat qui - contre toute attente ! - ne profitera jamais aux populations locales.

Laure en flagrant délit de gourmandise à Huehuetenango

Six mois c’est long et court à la fois. On observe et vit le quotidien des défenseur-es des droits humains, on partage des bribes d’histoires, des sourires, des larmes, des ressentis, des repas, des urgences, des coups durs, des victoires… On voit de près ce que l’on apercevait à travers un écran, un article, une émission de radio. On comprend, au fil des jours et des sorties, le contexte qui entoure ces femmes, ces hommes, ces enfants guatémaltèques, dans la lutte pour le respect de droits considérés comme inaliénables. Des droits qui nous paraissent acquis. 8

Solidarité Guatemala n°209 juillet 2014

La conjoncture est de plus en plus inquiétante depuis mai 2012 avec l’état de siège déclaré à Barillas. Les demandes d’accompagnement à destination de notre équipe n’ont cessé de se multiplier avant, pendant et après mon volontariat sur place. Nous avons pu accompagner des cas très actuels, toujours dans l’urgence et dans l’attente – non espérée – de nouvelles situations de tensions. En effet, les défenseurs que nous accompagnons sont de plus en plus menacés du fait de leur travail dans la lutte pour la défense du territoire. Cette criminalisation a de nombreux visages : diffamations, intimidations, menaces, campagnes de discrédit, violations de domicile, licenciements, enlèvements, assassinats, militarisation, détentions arbitraires… En outre, la judiciarisation des cas est très forte. Des actions en justice sont de plus en plus régulièrement intentées contre les défenseur-es des droits humains. Les procédures pénales de la majorité des affaires médiatiques (au Guatemala) sont entachées d’irrégularités telles


Actualités que les détentions arbitraires, le prolongement excessif de la détention préventive et le dépassement du délai raisonnable. La situation actuelle ne promet pas un avenir fleurissant pour les communautés autochtones souffrant du pillage incessant de leurs ressources et de leurs cultures. Cependant, ce qui m’a marquée tout au long de ces six mois, c’est cette grande force qu’ont ces défenseur-es, cet espoir, cette vision à long terme, cette volonté de ne jamais laisser tomber, au prix de leurs vies. Pour que celles de leurs enfants, petits-enfants, arrière-petitsenfants peut-être, soient meilleures. Pour leur montrer l’exemple. Aller au bout de son engagement et lutter pour le respect de certaines valeurs qui leur paraissent essentielles. Et notre présence leur apporte avant tout, selon moi, un appui moral. Se sentir entendu mais surtout écouté, moins isolé. L’accompagnement moral est celui qui est le plus visible, le plus direct, le plus humain. Et cette confiance qui s’est établie entre ces communautés accompagnées et nous, accompagnateurs, existe grâce à la pérennité du projet, sa continuité, son engagement. Ca y est. Je me suis égarée, échappée de cette question tellement banale, mais que je serais capable de poser dans la situation inverse. Je suis partie dans des descriptions philosophiques, conjoncturelles, historiques. Parce que, pour

moi, il est difficile de parler du Guatemala sans creuser dans son passé, se perdre dans son présent et se projeter dans l’avenir. Cependant, pour partager l’expérience d’« acco » de manière plus concrète, en voici quelques illustrations. J’ai passé des semaines dans le campo entre observations de réunions, de procès, visites d’organisations, de familles ou d’anciens détenus, couché à l’hôtel, aux sièges des organisations, chez les familles, pris le bus, parcouru des kilomètres, découvert des paysages et des cultures divers et variés. Partagé presque 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 mon quotidien avec mon binôme. L’immersion dans les campagnes guatémaltèques est ponctuée de brefs retours à la capitale. Réunions, retrouvailles avec les « collègues français » (je ne suis pas toulonnaise mais presque !), partage d’informations, stratégie de communication, festivités, vie culturelle font ces quelques jours de citadinité. Mon récit est quelque peu décousu mais les missions les plus passionnantes sont rarement les plus faciles à décrire. Partir six mois avec le Collectif Guatemala, c’est une belle leçon de vie, un échange de connaissances, d’expériences, aussi bien avec les personnes que l’on accompagne qu’avec la coordination ou les autres accompagnateurs dans le projet. C’est une mission riche en émotions, en rencontres, en découvertes. Une mission qui marque.■

Communauté de Becana, Barillas, Huehuetenango Solidarité Guatemala n°209 juillet 2014

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Brèves Aux disparus du Diario Militar Les 3 et 4 juillet derniers, le juge d’instance Miguel Angel Gálvez recevait les témoignages de plusieurs femmes, en qualité de preuves anticipées, dans le cadre du procès du Diario Militar (Journal Militaire) ouvert le 20 novembre 2012 après que la Cour Interaméricaine des Droits de l'Homme (CIDH) déclare l'État du Guatemala coupable des délits de disparitions forcées. Au total, elles seront quatre à témoigner : Josefa Elizabeth Andrade, mère de Joaquín Rodas Andrade, disparu le 2 mai 1985 ; Natalia Gálvez Soberanís, mère de Carlos Guillermo Rámirez, disparu le 14 février 1984 ; Antonia Chiguil Aguilar, mère de Manuel Ismael Salanic Chiguil, disparu le 14 février 1984 ; Aura Elena Farfán, sœur de Rubén Amílcar Farfán, disparu le 15 mai 1984, et représentante légale de FAMDEGUA (Asociación de Familiares Detenidos-Desaparecidos de Guatemala), l'association des parents de détenus et disparus du Guatemala. Ces femmes, d’un âge avancé et d’apparence frêle, ont été appelées à témoigner dès maintenant, car une réelle incertitude plane quant à la durée du procès. Le mari de © Comunidades de Población en Resistencia/CPR Urbana l'une d'entre elles est décédé il y a à peine un mois, d'où la nécessité de cette audience - mais leur force vitale, leur courage et leur persévérance ont ému la salle. Cela fait 30 ans qu’elles se battent pour connaître le sort de leurs êtres chers dont les noms apparaissent dans le Diario Militar. Véritable Dossier de la Mort, il recense les noms de 183 hommes et femmes (étudiants, syndicalistes, militants de gauche, intellectuels, etc.) fichés et ciblés pour leurs activités par les escadrons de la mort de l’armée, entre août 1983 et mars 1985. Sur 108 de ces fiches figure le code 300, code qui correspond aux personnes éxecutées, généralement après avoir été sequestrées et torturées. Ce dossier est la preuve de l'existence d'un minutieux système d'extermination des éléments dérangeants, d'un système destiné à faire taire les voix qui s'élevaient contre l'État et l'oligarchie militaire de l'époque. Aujourd'hui, tout comme les familles de plus de 45 000 disparus au Guatemala, ces femmes exigent que justice soit faite et que soient retrouvés les corps des victimes.

Une victoire contre la criminalisation des défenseur-es! Le 26 juin dernier, deux accompagnateurs internationaux de PBI-Guatemala ont été convoqués par la Sousdirection des Affaires Étrangères de la Direction Générale de Migration (DGM), Ministère de l'intérieur, au sujet de leur résidence temporaire. Lorsqu’ils s’y sont rendus, accompagnés de la représentante légale de PBI-Guatemala et d'un avocat, ils ont été informés que leur résidence temporaire était annulée et qu'ils avaient 10 jours pour quitter le pays. Malgré l’absence de preuve concrète en ce sens, cette décision était justifiée, entre autres, par leur supposée participation, par des jets de pierre sur les forces de l’ordre, aux manifestations qui se sont tenues lors de l'expulsion violente de la résistance pacifique de La Puya le 23 mai 2014. Ces deux © Prensa Libre volontaires étaient certes présents sur les lieux, mais bien en tant qu'observateurs internationaux. Ils ont également été accusés d’être en situation irrégulière lors de ces événements. Or, malgré les contrôles de police effectués sur place, la Direction Générale de la Migration, présente sur les lieux, n’a pas jugé opportun de les interpeller au moment des faits. Dans les semaines qui ont suivi ces événements violents, les organisations internationales et les « étrangers » ont été victimes de campagnes de diffamation de la part des médias guatémaltèques. Ce fait n'est pas isolé et se situe dans une certaine continuité ; les accompagnateurs internationaux sont souvent victimes de menaces d’expulsions de ce genre. En effet, en septembre 2013, le Ministre de l’Intérieur guatémaltèque avait directement pointé du doigt le supposé rôle des observateurs internationaux dans les événements de Barillas dont nous nous sommes déjà fait l’écho. Souvent accusés d'être les instigateurs de la conflictivité sociale dans le pays, ils n'ont dans les faits qu'un rôle d’observateur neutre et sont chargés de signaler et documenter de manière impartiale d’éventuelles situations de violations des droits. La précarisation du statut des accompagnateurs ne fait que renforcer l'isolement des défenseur-es des droits humains dans un contexte de criminalisation élevée, alors même que l'accompagnement participe à la protection d'un espace de résolution non violente des conflits. Pourtant, grâce à une importante mobilisation internationale, le gouvernement guatémaltèque est revenu sur sa décision et les deux accompagnateurs ne seront pas expulsés. Le Ministre de l’Intérieur a par ailleurs présenté ses excuses à PBI pour ce « malentendu ». Nous vous avions fait part, par les réseaux sociaux, de notre grande préoccupation et c’est avec un immense soulagement que nous avons appris cette très bonne nouvelle. Nous nous joignons à PBI afin de remercier l’ensemble des personnes qui se sont mobilisées contre cette injustice car, sans le soutien de la communauté internationale, cette victoire contre la criminalisation en hausse dans la région n’aurait pas été possible. Toutefois, nous devons rester extrêmement vigilants car les violences, physiques, ou psychologiques, subies par les défenseur-es des droits humains sont en hausse constante et l’impunité ne cesse d’avancer sur l’ensemble de la région.

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Alerte Urgente—Honduras Le 3 juillet dernier, les prêtres César Augusto Espinoza Muñoz et Abel Carbajal, de la paroisse Arizona dans l'Atlántida, et 3 accompagnateurs suisses et français du Projet d'Accompagnement International au Honduras (PROAH) ont été victimes d’une attaque armée, puis enlevés. Nous sommes extrêmement inquiets face à l'aggravation de la situation des défenseur-es des droits humains en Amérique Centrale et apportons tout notre soutien à PROAH. http://proah.wordpress.com/


Brèves Séquestration et détention illégale de trois défenseur-es de CODECA Le 26 juin dernier, peu après une assemblée communautaire à San Juan Ixcoy, Huehuetenango, trois leaders de CODECA ont été séquestrés: Mauro Vay, Blanca Ajtum et Mariano García (voir p.2-3). Alors qu’ils terminaient leur déjeuner, cinq personnes, portant des vêtements de paysans, se sont présentées comme étant membres du COCODE (Conseil Communautaire de Développement) de Chiantla et les ont détenus. Quelques heures plus tard, la Police Nationale Civile (PNC) les a pris en charge. D’autres membres de la CODECA ont alors fait appel à la PDH et à la Commission Présidentielle des Droits Humains, leur demandant de garantir la libération de leurs trois camarades, détenus de façon arbitraire. Les différentes conversations tenues avec ces organismes étaient très encourageantes, arguant du fait qu’aucun des membres de CODECA n’était sous le coup d’aucun ordre de capture, ni accusé de quelque délit que ce soit. Pour autant, en arrivant au Commissariat, les 3 leaders en détention ont été accusés par Energuate (filiale d’une entreprise britannique contre laquelle CODECA est en lutte pacifique) de divers délits, engendrant ainsi leur maintien en détention, malgré l’absence de preuves concrètes de la part de l’entreprise. L’audience en première instance s’est ouverte le 27 juin à Huehuetenango pour les 7 délits suivants: pressions, menaces, attentat, sédition, incitation à la délinquance, escroquerie, atteinte à la sécurité intérieure de la nation. A l’issue de la première journée d’audience, le juge Erick José Castillo a requis la détention préventive pour chacun des trois leaders, en attendant qu’une enquête soit menée pour les deux derniers délits dont ils sont accusés. Le Ministère Public a fixé la caution de liberté conditionnelle à 1 million de quetzals par personne (soit près de 95 000 €). Le travail de CODECA en faveur des travailleurs des fincas guatémaltèques représente une avancée forte en matière de droits humains et leur détention arbitraire risque d’installer un dangereux précédent pour l’ensemble du mouvement social du pays.

Nouvelles du terrain Pauline a souhaité prolonger son engagement dans le projet ACOGUATE jusqu’à mi-septembre, avant de revenir à Paris pour entamer de nouvelles études à l’Institut des Hautes Etudes d’Amérique Latine Bonne fin de mission! A l’issue du week-end d’orientation qui s’est tenu les 17 et 18 mai derniers, cinq nouveaux accompagnateurs ont été sélectionnés pour participer au projet ACOGUATE en 2014-2015: Agathe, Clémence, Cyril, Enrique et Pau. Bienvenue au sein du Collectif Guatemala! Trois d’entre eux, bénéficiant du statut SVE (Service Volontaire Européen), sont arrivés au Guatemala début juillet pour des missions allant de 6 à 9 mois. Nous accueillons ainsi parmi nous Cyril Benoit, Pau Dachs et Clémence Minet. Bonne mission à tous!

Nouvelles du siège Le 9 juillet s’est tenue l’Assemblée Générale constitutive du Comité ICP, consortium d’associations dont l’objectif est de développer les mécanismes d’intervention civile de paix et de faire reconnaître ce nouvel outil comme un matériel de résolution des conflits et de maintien des espaces de paix. Le Collectif Guatemala a intégré le Conseil d’Administration de cette nouvelle structure aux côtés de Mouvement pour une Alternative Non-Violente (MAN), Génération Non-Violente et PBI-France. Coralie Morand, coordinatrice au siège du Collectif Guatemala, a été élue Secrétaire du Comité ICP.

Bilan de l’Assemblée Générale du Collectif Guatemala

Dates de fermeture estivale

Le 22 juin 2014, le Collectif Guatemala a tenu son Assemblée Générale annuelle, moment de débats, de réflexions et de retrouvailles intense. Une partie du Bureau de l’association a été renouvelée à cette occasion, avec l’arrivée de deux anciens accompagnateurs en son sein. Président: Thibaud Marijn Vice-Présidente: Laure Jacquemin Secrétaire: Louise Levayer Trésorière: Isabelle Tauty

Le bureau du Collectif Guatemala sera fermé du 15 au 31 août. Nous vous souhaitons à tous de très belles vacances et vous donnons rendez-vous à la rentrée, pour le lancement officiel de notre nouveau site internet, mais chut!... C’est un secret!

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Le Collectif Guatemala Qui sommes-nous ? Fondé en 1979 par des réfugiés guatémaltèques et des militants français, le Collectif Guatemala est une association 1901 de solidarité internationale. Il est composé d’associations et de particuliers sur lesquels repose la vie de l’association. Depuis octobre 2002, l’équipe s’est étoffée avec l’arrivée d’un permanent. Depuis mars 2006, l’association a ouvert un bureau de coordination pour ses activités au Guatemala (accompagnement international et campagne de soutien aux militants luttant contre le pillage de leurs ressources naturelles).

Les activités du Collectif au Guatemala

Les activités du Collectif en France

● L’accompagnement international

● L'appui aux organisations de la société civile guatémaltèque qui luttent pour plus de justice et de démocratie

√ des populations autochtones victimes du conflit armé impliquées dans des procès contre les responsables de violations massives des droits humains, √ des personnes menacées du fait de leurs activités militantes. Comment ? √ à la demande des groupes ou personnes menacées, √ en recherchant et en préparant des volontaires qui resteront au minimum 6 mois sur le terrain. Pourquoi ? √ pour établir une présence dissuasive, √ pour avoir un rôle d'observateur, √ pour relayer l'information. Les accompagnateurs/trices sont des volontaires majeur-es, de tous horizons, désirant s’engager pour une durée minimum de 6 mois. Des sessions d’information et de préparation ont lieu en France avant le départ. Au Guatemala, les accompagnateurs sont intégrés au projet international d’accompagnement ACOGUATE.

● L’outil vidéo √ soutien à la diffusion de films documentaires à la capitale et dans les communautés √ réalisation de film-documentaires comme outil de campagne et de sensibilisation en France

√ en relayant des dénonciations de violations des droits humains, √ en organisant des campagnes pour soutenir leurs revendications, √ en recherchant des financements pour soutenir leurs projets, √ en recevant en France et en Europe des représentants de différentes organisations pour leur permettre de rencontrer des décideurs politiques et financiers.

● L’information et la sensibilisation du public français Sur quoi ? √ la situation politique et sociale au Guatemala, √ la situation des droits humains, √ l'action des organisations populaires, autochtones et paysannes. Comment ? √ par la diffusion d’une lettre d’information bimestrielle, √ par l'organisation ou la participation à des conférences, débats, réunions, projections documentaires, √ par des réunions mensuelles ouvertes à toute personne intéressée, √ par la diffusion d’informations via les réseaux sociaux (Twitter, Facebook), √ par l’organisation de réunions de plaidoyer.

● Le travail en réseau avec différents types de partenaires présents au Guatemala √ associatifs, √ diplomatiques.

Merci à nos partenaires:

Contact: collectifguatemala@gmail.com

ADHÉSION / ABONNEMENT Le Collectif Guatemala vous propose plusieurs formules de soutien : 

Adhésion au Collectif, permettant de recevoir la Lettre à l’Adhérent - Solidarité Guatemala

23 €

Adhésion à tarif réduit (étudiants, chômeurs etc. joindre justificatif)

15 €

Don, un soutien supplémentaire pour nos activités

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Total :

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Nom .................................................................................... Prénom ....................................................................................................... Adresse ..................................................................................................................................................................................................... Code Postal ...................................................... Ville ............................................................................................................................... Téléphone ......................................................... Courrier électronique ....................................................................................................

□ Je souhaite être informé(e) par e-mail des activités du Collectif Guatemala □ Je souhaite faire partie du Réseau d’alertes urgentes électronique Les dons et cotisations peuvent être déductibles des impôts à hauteur de 66%.

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