Solidarité Guatemala 202

Page 1

Numéro 202 février 2013 Lettre d’information du Collectif Guatemala

Numéro spécial "Actrices de changement" Décision historique : Ríos Montt sera jugé pour crimes de génocide (édito) Sommaire Edito

p.2

par Marilyne Griffon

Actrices changement

de p.3

par Marina Yoc

Violences sexuelles durant le conflit armé p. 4-5 par Maxime Verdier

Oxlajuj B'ak'tun

p.6-7

par Amandine Grandjean et Maxime Verdier

Portrait de Samayoa

Carmen p.8-9

par Louise Levayer

Entretien avec Magda Chún p.10 par Quentin Boussageon

Brèves

p.11

Collectif Guatemala 21 ter, rue Voltaire 75011 Paris - France Tel: 01 43 73 49 60 collectifguatemala@gmail.com www.collectifguatemala.org

Directrice de publication : Isabelle Tauty Chamale ISSN 1277 51 69 Ont participé à ce numéro : Adelaïde Blot, Quentin Boussageon, Amandine Grandjean, Vanessa Góngora, Marilyne Griffon, Louise Levayer, Isabelle Tauty, Maxime Verdier, Martin Willaume, Marina Yoc.

© Vanessa Góngora

Escargot humain devant la pyramide centrale de Zaculeu, 20 décembre 2012

« Nous représentons la voix des femmes ! Pourquoi ? Car nous sommes discriminées de trois façons : naître pour être femmes, pour rester analphabètes, pour rester soumises. Ici nous renaissons, nous allons renaître, ils se sont trompés sur notre compte. Nous donnons la naissance comme la Terre mère, et nous partageons les souffrances de notre mère. Nous sommes mères et aussi nous souffrons s’ils nous enlèvent nos terres, car nous ne pouvons plus nourrir nos enfants, nous ne savons pas où aller. Ce système nous opprime ! Ce système ne nous dira pas comment nous allons vivre, nous allons lui dire comment nous voulons vivre ! » Une dirigeante communautaire lors de la célébration du nouveau cycle à Zaculeu (p. 7)

Solidarité Guatemala n°202 février 2013

1


Edito Décision historique : Ríos Montt sera jugé pour crimes de génocide Par Marilyne Griffon

M

ince était l’espoir de rédiger un jour un éditorial saluant une décision de justice historique au royaume de l’impunité. Le 28 janvier 2013 pourtant, le juge Miguel Ángel Gálvez du tribunal d’instance de Haut risque à Ciudad de Guatemala a ordonné l’ouverture du procès d’Efraín Ríos Montt, dirigeant de facto du Guatemala de mars 1982 à août 1983, et de son directeur des services secrets de l’époque, José Francisco Rodriguez Sánchez, pour crimes de génocide, crimes contre l’humanité, tortures et disparitions forcées. Le 4 février, le juge Gálvez acceptait toutes les preuves présentées par le Ministère public. Plus de 900 au total, mettant en cause la responsabilité des deux ex militaires de 86 et 69 ans, dans 15 massacres de communautés mayas ixil, ayant conduit à l’assassinat de 1 771 hommes, femmes et enfants. Trente et un ans après les faits, 13 ans après le premier dépôt de plainte, le crime est qualifié publiquement. Efraín Ríos Montt, l’incarnation des années de terreur au Guatemala devra répondre de ses crimes à partir du 14 août prochain. L’espoir renaît parmi les survivant(e)s, familles et organisations qui luttent contre l’impunité et l’oubli. Mais ils ne baissent pas les armes. L’annonce du procès a été faite après pas moins de 73 recours et une demande d’amnistie. L’élite militaire, mêlée à l’oligarchie économique et politique, crie au lynchage et remet en cause l’impartialité de personnalités du système judiciaire comme l’actuelle Procureure générale Claudia Paz y Paz, le juge Gálvez, les avocats qui, par leur travail et leur persistance, ont ouvert cette voie vers la justice. Cependant, si un nouveau projet de loi d’amnistie entre les mains de la Cour Constitutionnelle n’est pas encore sorti, la frayeur de ceux qui combattent l’impunité a été grande début 2013, à la publication d'un décret présidentiel retirant la compétence de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme pour juger des crimes commis au Guatemala avant 1987, soit avant la date de ratification par le pays du statut de la cour de justice américaine, excluant ainsi les pires années du conflit armé (1960-1996) et mettant fin aux enquêtes en cours sur 3 massacres. « Suspendu » le 7 janvier par le président Otto Pérez Molina alors même qu’il l’avait fait publier, le message de ce décret était clair : toutes les failles du droit, recours et autres embûches seront utilisés pour entraver tout procès des responsables de la répression. Ex-général en poste dans la région Ixil au début des années 80, Pérez Molina donnait déjà le ton lors de sa prise de fonction en janvier 2012 : « ici, il n’y a pas eu de génocide » (« aquí, no hubo genocidio »). Pérez Molina ne s’est pas étendu sur les poursuites actuelles contre Ríos Montt. Quelques jours plus tôt, au Forum économique mondial de Davos, il défendait son thème favori de détournement de l’attention médiatique et internationale: la dépénalisation des drogues, aux côtés du philanthrope George Soros, 7ème fortune mondiale, doublant ses demandes d’aide de financement de la lutte contre le narcotrafic via la remilitarisation du pays, déjà relancée en 2012 avec l’ouverture de deux bases militaires en terre maya. Parallèlement, le VRP guatémaltèque rencontrait les présidents de Nestlé, Meter Brabek Letmathe intéressé par le café, et de Monsanto, Hugh Grant, pour les semences et fertilisants. Tout laisse à penser que les droits fondamentaux notamment d’accès à la justice et à la terre des populations paysannes et mayas, majoritaires au Guatemala, n’étaient pas à l’ordre du jour des rencontres de Davos. Les périodes les plus obscures du pays se basaient sur les mêmes priorités de la classe dominante de satisfaire leurs intérêts et ceux des compagnies étrangères. Le coup d’Etat appuyé par la CIA à la demande de la multinationale américaine exportatrice de bananes (United Fruit Company) en 1954, avait ainsi mis fin à la première et courte expérience démocratique, accompagnée de réforme agraire et droits salariaux, qu’ait jamais connu le pays depuis la colonisation. Les intérêts défendus au mépris de la vie humaine ont conduit la dictature militaire, prise de zèle dans sa lutte anticommuniste, à planifier l’éradication, par les massacres, tortures, violations sexuelles et disparitions forcées d’une partie de la population pour soumettre totalement celle restante. Les années du gouvernement de Ríos Montt marquent l’apogée dans l’horreur de cette répression. De telles méthodes ne sont plus utilisées, mais les leaders et membres d’organisations et communautés en défense de la terre et de la justice continuent de subir des attaques, menaces, agressions et intimidations dès lors qu’ils remettent en cause l’ordre établi. ■

2

Solidarité Guatemala n°202 février 2013


Actualités Actrices de changement : une proposition pour guérir et reconstruire sa vie en toute liberté Par Marina Yoc* Les rapports de mémoire historique réalisés sur les 36 années de guerre civile au Guatemala, qui se sont soldées par 200 000 décès, 50 000 disparitions et plus d’un million de personnes déplacées et réfugiées, comprenaient également un chapitre sur les femmes, afin de reconnaître le caractère systématique, massif et généralisé des violences sexuelles dont elles ont été victimes pendant la guerre. Cependant, aucun de ces rapports n’a abordé le sujet des violences sexuelles avec autant de force que pour les autres crimes ni ne contient de recommandations à l’État pour qu’il qualifie ces violences de crimes contre l’humanité. * Guatémaltèque installée en France depuis 2010, Aura Marina Yoc Cosayaj a rédigé son mémoire sur les femmes indigènes à l’Université de Toulouse II.

O

n reconnaît aujourd’hui que les violences sexuelles commises dans le cadre de conflits armés sont passées systématiquement sous silence. Ce type de violences a été une pratique commune et massive dans toutes les guerres et dans tous les génocides, notamment pour écraser l’ennemi à travers le corps de ses femmes. Pourtant, il a été interprété comme une pratique isolée commise par des soldats « en quête de plaisir ». Pour Actrices de changement («Actoras de Cambio), un collectif de femmes enquêtant depuis dix ans au Guatemala, passer ces problèmes sous silence ou ne pas les aborder en profondeur, revient à ne pas les reconnaître, à les faire disparaître de la mémoire collective. D’où l’intérêt d’aborder ce sujet comme un exemple de lutte sociale des femmes guatémaltèques qui cherchent à « guérir, récupérer et reconstruire leur vie en toute liberté ». Ce dernier mot « liberté » est un terme difficile dans un contexte dans lequel le silence n’arrive pas par hasard, et n’est pas dénué de sens. Dans ce contexte, au contraire, le silence présente un caractère androcentrique1, raciste, patriarcal et de classes, qui prive les femmes de leur condition humaine. Ce silence et cette négation de la condition humaine dévalorisent les femmes et détruisent leur possibilité d’exister individuellement et collectivement, ce qui les empêche de mener une action transformatrice et de se défaire de la relation de pouvoir qu’a entraîné l’occupation collective et violente de leur corps, et perpétue les relations d’oppression dans la société postconflit. Aujourd’hui, au Guatemala, la violence perdure sous forme de féminicide : au cours des deux premières semaines de 2013, 25 femmes ont été tuées et en un seul jour, le 16 janvier, six femmes, âgées de 6 à 64 ans, ont été assassinées2. En réalité, pour les femmes qui font partie du collectif Actoras de Cambio, parler du « secret » qui a non seulement marqué leur psyché mais aussi leur corps est ce qui a permis de construire collectivement une proposition différente. Dans leur vie, ce « secret » a représenté des années d’invisibilité, de honte, de souffrance et de stigmatisation au sein de leur communauté. Ces années ont constitué la base d’une double victimisation que les relations oppressives du patriarcat font peser sur de nombreuses femmes dans le monde.

L’objectif du collectif fut d’initier un processus de transformation de leur vie, de leur communauté et de leur pays pour que les femmes passent du statut de « victimes » à celui « d’actrices », afin de faire naître un processus politique de guérison psychosociale et de formation. Dans ce cadre l’analyse de la justice et la mémoire historique du point de vue des femmes permettent de reconnaître et de dénoncer le fait que les violences politiques systématiques dont elles ont été la cible n’étaient pas de simples dommages collatéraux mais bien une partie d’un plan contre-insurrectionnel, particulièrement important dans les années 1980. Il faut aussi identifier comment les mécanismes de violence sont réorganisés en temps de « paix » et passés sous silence en raison de l’impunité et de la corruption qui perpétuent les inégalités profondes dans le pays. Les blessures des femmes victimes de violences sexuelles ont des répercussions sur leur vie privée et collective, mais aussi sur le tissu social communautaire. Elles ont entraîné une rupture brutale ayant provoqué des changements, aussi bien en termes de croyances, de réseaux affectifs que de relations sociales. La possibilité de parler, de partager et de réfléchir sur leurs expériences de guérison leur a permis d’identifier l’existence d’une culture patriarcale, sexiste et raciste dans le pays, ce qui leur a aussi donné la possibilité de cerner les mécanismes à l’œuvre dans la transformation en puissance du traumatisme généré par les violences sexuelles et la quête de changement dans leur propre vie et dans celle des autres. Ces expériences de guérison ont impliqué des éléments de connaissance du corps, à travers la peinture, la méditation, la déculpabilisation vis-à-vis de la honte, du péché, de la salissure imprégnant leur corps. Elles ont reposé sur une méthodologie de guérison propre comprenant des éléments spécifiques, tels que la cosmovision maya. Le collectif est en effet composé à 95 % de femmes du peuple maya, qui intègre des mécanismes de résilience3 propres. Ces actions et autoformations les ont renforcées et poussées à lancer des réseaux de soutien, de défense et de justice, au sein de leur communauté, afin que leur histoire soit connue dans tout le pays et dans d’autres parties du monde et afin de favoriser le soutien, la défense et la justice entre elles et avec d’autres femmes du pays. Ces réseaux devraient constituer une plateforme, qui articulera les forces pour dénoncer et chercher des solutions face aux nouveaux projets économiques, néolibéSolidarité Guatemala n°202 février 2013

3


Actualités raux et colonisateurs, qui remilitarisent les territoires en ayant recours à la force, à l’exploitation et à l’expropriation de terres, tout en marquant leur corps de nouveau. Pour que les femmes puissent guérir et reconstruire leur vie en toute liberté, il est indispensable de reconnaître que les violences sexuelles, dans quelque contexte que ce soit, constituent un crime intolérable. Nous avons besoin de croire que la justice est possible, que l’on peut vivre en paix et que la violence est anormale, quel que soit l’être humain qui en est la cible. ■ 1 qui envisage le monde uniquement ou en majeure partie du point de vue des êtres humains de sexe masculin 2 Escobar Sarti, Carolina. “El país donde mueren las mujeres”, Prensa Libre, 19 janvier 2013, bit.ly/10p88w5 3 En psychologie, la résilience fait référence pour un sujet à la capacité à surmonter des périodes de douleur émotionnelle et des traumatismes

Pour aller plus loin “Acompañamiento internacional, Festival de Mujeres en Defensa del Cuerpo y Territorio”, ACOGUATE, 27 octobre 2012, bit.ly/VSfrvf “Panel de la Organización de Mujeres Actoras de Cambio”, Radio Internacional Feminista, novembre 2008, bit.ly/VfsEM3 “Yo soy voz de la Memoria y Cuerpo de la libertad”, deuxième festival pour la mémoire à Chimaltenango, 2011, bit.ly/12LeZRs “Tejidos que lleva el Alma”, ECAP, UNAMG, 2009, bit.ly/11FYcQr Communiqué du peuple de Huehuetenango, “Cuerpo y Territorio ante la masacre ocurrida en Totonicapán Guatemala”

Violences sexuelles durant le conflit armé : lutte et espoir pour les femmes du Guatemala Par Maxime Verdier Le 24 septembre 2012, victimes et témoins de l’esclavage sexuel perpétré dans le détachement militaire de Sepur Zarco (1982-1986), en Alta Verapaz, témoignent en audience préliminaire.1 Une première internationale car jamais un tribunal national n’avait jugé un tel cas avant ce jour.

L

es crimes d’esclavage sont systématiques au sein des stratégies contre-insurrectionnelles2, complémentaires de la répression armée, et beaucoup plus difficiles à juger pour des raisons que nous développerons. Il s’agit d’un processus d’isolement et de destruction physique et psychologique des femmes, des familles et des communautés. L’appareil d’Etat voulait ainsi s’attaquer aux insurgés en frappant indistinctement la population et en imposant l’exemple de ces pratiques comme réponse à la subversion. Le récent conflit libyen a également laissé entrevoir l’existence de cette stratégie ordonnée par les plus hautes instances.

vivent dans le camp militaire, sur le lieu de l’assassinat de leurs maris, de leurs pères, de leurs amis tout en subissant les plus basses volontés de leurs meurtriers jusqu’en 1986. Une victime résume ainsi « veuves, nous étions les jouets des soldats ».

Au Guatemala, nous devons cette première historique à un long processus d’identification, d’accompagnement psychologique, et de reconstruction de l’Histoire à partir des mémoires profondément marquées des victimes et des témoins.

A l’occasion d’une entrevue, Paula Barrios de MTM nous explique que « les cas d’esclavage sexuel sont indissociables du génocide et de la responsabilité des instances gouvernantes de l’époque, et en tant que tel, la recherche de la vérité subit les mêmes entraves et menaces que le procès contre les responsables intellectuels du génocide ». Elle regrette qu’« il existe une politique du pardon et de l’oubli, le refus de rechercher et d’accepter la vérité du conflit armé »4.

« Veuves, nous étions les jouets des soldats » Devant le juge, 15 femmes et 4 hommes témoignent anonymement : en 1982, les forces armées régulières s’installent à Sepur Zarco avec l’aide de la population. Très vite, la tristement célèbre logique s’installe : les militaires accusent des familles d’appartenir ou de coopérer à la guérilla. Sur ces accusations arbitraires, les hommes sont arrêtés, torturés, et exécutés dans le secret des murs du détachement. Les femmes et leurs filles sont violées et réduites à l'esclavage. De nombreuses femmes 4

Solidarité Guatemala n°202 février 2013

Affronter la politique du silence, de l’oubli et de l’impunité A la suite du tribunal de conscience organisé en mars 2010 à l'initiative de nombreuses associations, et porté par la volonté des victimes d’accéder à un procès, l’association Mujeres Transformando el Mundo3 (MTM) commence un travail juridique, non sans entraves.

Au niveau communautaire, la situation est tout aussi préoccupante car les victimes cohabitent avec les coupables dans un contexte de tensions et de divisions internes à l’image de la société guatémaltèque : « justice » versus « silence, oubli et impunité ».


Actualités

© Sandra Sebastián

Une femme témoigne en audience préliminaire du 24 septembre 2012 Affronter le sexisme d’une société et le tabou du viol Le défi est d’autant plus grand que le viol demeure un sujet tabou, écrasé sous la pression sociale, le caractère patriarcal de la société et l’inconscient collectif qui attribue à la victime la faute du viol. Paula Barrios mentionne l’affaire de la « rue Roosevelt », une série récente de viols au cœur de la capitale, à laquelle le ministère de l'Intérieur aurait répondu par un communiqué appelant les femmes à « ne pas porter de tenues provocatrices ». Au-delà du sens immédiat de ce type de déclaration qui se passe de commentaires, s’installe la grave et séculaire menace de reproduire les raisonnements inconscients qui favorisent la stigmatisation de la victime du viol. Avant le début du procès, nous avions rencontré Cécilia, chargée des problématiques des femmes indigènes au sein de l’association Puente de Paz. Elle ajoute deux grands freins au changement : l’influence de l’histoire et du droit. « Le sexisme de notre société ne date pas seulement d’il y a 500 ans et du développement de la religion catholique au Guatemala; si la féminité du divin dans la société traditionnelle maya apportait un certain respect de la femme engendrant la vie à l’image de la Terre Mère, l’organisation de la communauté demeurait profondément masculine. Il serait faux de ne blâmer que la culture importée d’Europe » et d’ajouter que « les lois sont faites par les hommes, pour les hommes. Prenons

les titres de propriétés des terres : sur les documents notariés, seul le nom de l’homme est mentionné. Il est donc seul propriétaire, et la famille, aux yeux de l’Etat, c’est l’homme. Si une femme fuit le foyer pour violences ou viol conjugal, avec ou sans ses enfants, elle n’aura aucun moyen de subsistance, aucune terre à cultiver. Elle est donc liée à un foyer, à un homme, et le droit n’est pas fait pour lui offrir l’opportunité de lutter contre cette situation »5. Devant tous ces défis, à l’instar des jugements pour les crimes d’esclavage sexuel commis en Yougoslavie et au Rwanda6, pourquoi le cas de Sepur Zarco n’a t-il pas été présenté devant les instances internationales ? Paula Barrios nous répond : « Nous aurions pu présenter le cas à l’étranger… Mais c’est ici que les barrières doivent tomber ! ». ■ 1 « Les victimes témoignes des outrages des soldats ». Prensa Libre, 25 septembre 2012. http://bit.ly/13Jo4ce 2 « La violence sexuelle dans les conflits armés : une pratique cruelle, inacceptable et pourtant évitable ». Comité International de la Croix Rouge, 2 mars 2011. http://bit.ly/VNhY86 3 « Femmes Transformant le Monde » 4 « Preuves anticipées dans un cas d’esclavage sexuel durant le conflit armé interne ». ACOGUATE, 10 décembre 2012. http://bit.ly/11CTqC1 5 Entretien du 14 septembre 2012, Playa Grande, Ixcán 6 « Le viol comme méthode de génocide au Rwanda ». The New York Times – Traduction Courrier International, 14 novembre 2002. http:// bit.ly/103mTj9

Solidarité Guatemala n°202 février 2013

5


Actualités Oxlajuj B'ak'tun : changement de cycle dans le calendrier maya et perspectives des luttes du Guatemala Par Maxime Verdier et Amandine Grandjean

Les guides spirituels mayas considèrent la fin de ce cycle comme le commencement d’une nouvelle ère spirituelle, politique et sociale, à travers le réveil et le soulèvement du peuple. Retours sur la signification et les activités du Oxlajuj B’ak’tun d'après nos rencontres au Guatemala.

L

e 13 B'ak'tun dans le calendrier maya Le calendrier maya repose sur les cycles astronomiques, et plus particulièrement sur celui du Soleil et de Venus, grâce un incroyable travail d’observation et de modélisation réalisé par les scientifiques mayas ; soit quelques 3 000 ans avant que les communautés scientifiques et religieuses européennes ne reconnaissent l’héliocentrisme comme valide ! A l’inverse du calendrier Grégorien, le calendrier Hab’Solar maya ne suit pas une logique linéaire, mais cyclique. Ainsi, 13 jours consécutifs présenteront 13 nahuals différents (au jour 1 Tz’inkin, succédera le jour 2 I’x), comme le montre l’illustration ci-contre1.

La mesure cyclique du temps en comptes longs permet d’attribuer un caractère quasi unique et une interprétation à chaque jour. Pour cela il est aussi correct de parler de calendrier astronomique que de calendrier astrologique. A travers les textes sacrés du Popol Wuj, du Chilam Balam ou du Codex dit « de Madrid », les guides spirituels mayas interprètent le temps passé, présent et futur ; les trois niveaux étant indissociables. Avant la colonisation espagnole, les Mayas disposaient de milliers de textes sacrés comme ces derniers, utilisés ou rédigés pour ou par la pratique de la divination astrologique. Toutefois, l’Eglise catholique ayant souhaité la disparition totale des croyances mayas pour imposer « sa vérité », toutes traces de ces écrits ont été effacées dans de grands autodafés. Les trois uniques textes originaux restant sont la propriété de musées européens (Berlin, Madrid et Paris, Madrid). La fin du monde, injustement « prophétisée » par les Occidentaux comme événement cosmique, est perçue par les Mayas, avant tout, comme une conséquence évidente des torts de l’humain, de son irresponsabilité face à la nature et aux autres peuples. L’espoir réside dans la croyance au succès de la lutte pour le changement. Le destin de l’humanité n’est pas écrit, seul le défi qui s’impose à elle est explicite.

« Oui, la fin du monde est tout à fait possible, mais seulement si nous ne changeons pas le système qui le détruit (…) » nous explique Nicolás Lucás, guide spirituel de l’association Oxlajuj Ajpop.

Ce cycle initial se répète jusqu’à créer des comptes longs : Un Winak : vingt jours. Un Tun : 18 Winaks, soit un an. Un K’atun : 20 Tun ou 20 ans. Un B’ak’tun : 20 K’atun soit 400 ans. Un Oxlajuj B’ak’tun : 13 cycles B’ak’tun soit 5 200 ans. Le compte le plus long étant le Alawtun, soit 160 000 B’ak’tun, soit 1 152 millions d’années. Le 20 décembre 2012 est le dernier jour de l’actuel Oxlajuj (13) Ba’k’tun, la fin du treizième B’ak’tun, et au 21 décembre a débuté un nouveau cycle du calendrier ; le 1er janvier de l’an 1 si l’on se réfère à la logique grégorienne. Ce calendrier demeure valide pour des millions de Mayas vivant actuellement au Guatemala, Honduras, El Salvador, Belize et au Chiapas (sud du Mexique). 6

Solidarité Guatemala n°202 février 2013

Luttes et résistances. Zaculeu, Huehuetenango A Zaculeu, site archéologique d'une ancienne cité maya et lieu sacré, se sont réunies des centaines de personnes des différents peuples mayas du département de Huehuetenango, sur invitation du Conseil des Peuples autochtones d'Occident (CPO). Oxlajuj Ajpop y célébrait une cérémonie dans la nuit du 20 décembre. Le 21 décembre le CPO organisait une matinée de réflexion sur les luttes et résistances des peuples de Huehuetenango et du Guatemala animant à continuer et à renforcer l'organisation et l'union des peuples contre le système d'oppression existant et à défendre le droit à l'autodétermination pour un buen vivir2. Extraits choisis des discours de l'activité : Francisco Rocael de l’Assemblée départementale en défense du territoire de Huehuetenango : « Toutes et tous, nous avons entendu que le nouveau B’ak’tun serait l’espoir, le temps de la solidarité, de la lutte et de la dignité que nos peuples méritent. Mais cette possibilité dépend de nous, de chacun, de la construction d’un nouveau système politique, économique, culturel


Actualités et social. ». « La réforme présidentielle de la Constitution politique de la République, les réformes de la Loi sur l'exploitation minière et sur la carrière d'instituteur, sont des initiatives du gouvernement qui ne sont pas en faveur de nos peuples, au contraire, elles constituent des retours en arrière sur les conquêtes des luttes sociales puisqu'elles sont destinées à consolider le modèle économique d'accumulation basé sur l'agrobusiness, les mines, le pétrole, les barrages hydroélectriques, la privatisation des services publics, qui bénéficient uniquement à un nombre réduit de familles qui ont historiquement exploité et réprimé nos peuples3. »

© Vanessa Góngora

María Guadalupe Hernández, Zaculeu

Pour María Guadalupe Hernández, de l’organisation de femmes Mamá Maquín : « Nous ne sommes pas ici seulement pour commémorer, mais aussi pour dénoncer tout ce que le système et l’oppresseur nous ont imposé. La pression, la menace, la répression qui pèsent sur nous depuis 500 ans, depuis l’invasion espagnole. Nous sommes ici aussi pour dire que nous allons continuer à lutter pour nous, peuples, pour dire à nos ancêtres que nous allons défendre leurs valeurs, leurs souvenirs, leurs sentiments et leur savoir. Nous leur disons que nous ne verrons jamais la Terre Mère comme un commerce, que nous continuerons à la voir comme la mère qui donne la vie. Nous sommes ici pour prendre un engagement, pour pren-

dre cet engagement : nous dirons non aux entreprises, nous dirons non aux mégaprojets ! Et nous continuerons à lutter pour le bonheur, nous défendrons le territoire, nous lutterons pour que le corps des femmes ne soient plus un objet sexuel, nous lutterons pour nos droits, nous vivrons comme le voulaient nos ancêtres, heureux sur nos territoires, unis, libres ! » Une dirigeante communautaire ajouta : « Nous représentons la voix des femmes ! Pourquoi ? Car nous sommes discriminées de trois façons : naître pour être femmes, pour rester analphabètes, pour rester soumises. Ici nous renaissons, nous allons renaître, ils se sont trompés sur notre compte. Nous donnons la naissance comme la Terre mère, et nous partageons les souffrances de notre mère. Nous sommes mères et aussi nous souffrons s’ils nous enlèvent nos terres, car nous ne pouvons plus nourrir nos enfants, nous ne savons pas où aller. Ce système nous opprime ! Ce système ne nous dira pas comment nous allons vivre, nous allons lui dire comment nous voulons vivre ! » Alvaro Ramazzini, évêque de Huehuetenango : « L’expérience ici m’a profondément marqué et je me sens l’un de vous. Je pensais connaître mon pays. Il a fallu que je vive à San Marcos pour comprendre que je m’étais trompé, pour apprendre la force de la résistance des peuples autochtones. (…) Quand nous dénonçons les injustices, on ne nous entend pas. Je voudrais parler de la lettre que nous avons écrite avant les Accords de paix. Nous disions que deux parties du peuple ont toujours été discriminées : le peuple autochtone et nos frères et sœurs paysans. Et encore une fois, je regrette car aujourd’hui même il y a là-bas des cérémonies gouvernementales, et ici le peuple4. Cela me rend triste, car le gouvernement n’a jamais rendu réels les désirs des Accords de paix. Nous sommes un peuple pluriculturel et pluriethnique, nous devrions tous être unis ici. […] Ce pays a besoin d'une démocratie non seulement réelle mais aussi radicale, où le peuple décide de son avenir et prenne les décisions qui lui apportent le bonheur. Nous avons besoin aussi d’une économie radicalement différente, qui réponde à nos besoins et préserve nos richesses naturelles. […] Nous sommes les 99%, eux sont le reste, n’ayons pas peur de parler des différences de classes ! […] Acceptons l’indignation, et exigeons la réforme agraire intégrale dont nous avons besoin pour vivre sans faim ! […] Qu’ils ne viennent pas nous dire qu’ils défendent les droits, car défendre les droits, ce n’est pas défendre les intérêts de quelques uns contre le peuple. » ■ 1 Consultez la version intégrale de l'article “Le fonctionnement du calendrier Maya et le 21-12-2012“ sur le site internet du CG : bit.ly/XzMeiW. Propos et analyse recueillis à travers une entrevue avec Félipe Gomez, membre de l’association guatémaltèque de guides spirituels mayas Oxlajuj Ajpop. 2 La vision du buen vivir (bien-être) est revendiquée par les peuples autochtones à travers tout le continent américain. La vidéo de l'activité est disponible en ligne : bit.ly/YWKrY9 3 Communiqué du CPO “Posicionamiento Político en el Marco del Oxlajuj B’ak’tun”, 30 novembre 2012 4 A quelques mètres de la tribune du CPO avait lieu une activité promue par le gouvernement, lequel n'a pas manqué de faire du zèle sur le déploiement de l'armée, de policiers et même des “forces spéciales de police”. Voir aussi le photo-reportage de James Rodríguez : bit.ly/X7vhgx

Solidarité Guatemala n°202 février 2013

7


Portrait Carmen Samayoa, « l’enlaçeuse de mondes » Par Louise Levayer

« Malgré des soucis, assez courants pour une famille moyenne des années 60, je pense que j'ai grandi dans une atmosphère familiale pleine de musique, de danse, de blagues, d’histoires drôles, satiriques et tendres … qui m'ont appris la valeur de l'amitié et de l'humour ». C’est ainsi que Carmen décrit son enfance. Et on l’imagine bien en rencontrant ce petit bout de femme énergique, au large sourire, dont on sent très vite la créativité, l’espièglerie, la générosité et l’ouverture aux autres. Retour sur ce parcours de femme, exilée guatémaltèque, installée en France depuis 1983.

C

armen a grandi à Ciudad de Guatemala, la capitale. A l’écoute de son désir précoce de devenir danseuse, la mère de Carmen l’inscrit à l’école nationale de danse à l’âge de 9 ans, ce qui l’amènera à devenir danseuse de ballet classique pendant 6 ans. Mais, comme à l’école où l’histoire du Guatemala commence avec la

« découverte » des Amériques, la danse enseignée dans cette école d’Etat est basée sur des critères occidentaux. A 20 ans, Carmen s’inscrit à un cours d’expression corporelle : « Là j'ai trouvé le chemin vers une expression artistique qui cherchait à s'enraciner dans notre propre histoire, à comprendre l'injustice qui nous entourait ». Avec des jeunes venant de la danse et du théâtre, ils orientent leur pratique artistique vers une recherche de leur identité, de leurs racines diverses, et cherchent à révéler par leur travail une réalité sociale passée sous silence, étouffée. Ainsi naît la troupe du Teatro Vivo en 1977. « Là, je trouvais la possibilité de connecter cœur et tête, corps et esprit, conscience individuelle et collective, développement personnel et participation sociale ». « Nos créations inspirées de la réalité guatémaltèque, nos représentations ainsi que nos ateliers dans des écoles, bidonvilles, syndicats, etc. ne pouvaient qu'être considérés comme subversifs par le gouvernement militaire autoritaire et répressif des années 80 ». Carmen et ses amis du Teatro Vivo décident alors, comme des milliers d’autres Guatémaltèques, de quitter leur pays. Le 1er juillet 1980, ils se réfugient au Mexique.

© CIMI’ mondes

Carmen Samayoa

8

Solidarité Guatemala n°202 février 2013

« Je suis partie en toute hâte, dans la peur, et avec la certitude de ne pas savoir quand je pourrai rentrer. La situation était devenue impossible, nos maisons étaient surveillées, la menace de compter bientôt parmi les si nombreux séquestrés et disparus était devenue évidente ».


Portrait Au Mexique, malgré les difficultés, il leur fallait continuer à faire du théâtre par tous les moyens. « Nous ne voulons pas, nous ne pouvons pas, nous ne savons pas faire autre chose et il n'y a rien de plus clair que c'est cela notre chemin ». Pour Carmen, c’est le début d’une longue itinérance qui lui ouvre les portes d’autres cultures qui nourriront son travail et son expression artistique. Avec le Teatro Vivo, elle va jouer en Amérique du Sud, en Amérique centrale, au Canada, et aussi aux Etats-Unis où ils sont invités notamment par le comité de solidarité avec le Guatemala NISGUA1, puis en Europe. Les réseaux de solidarité avec l’Amérique centrale qui naissent un peu partout en Europe et en Amérique du Nord dans les années 80 ont été un soutien important pour la diffusion de leur travail artistique. En 1983, alors qu’ils sont en Suède où ils ont été invités, Carmen et sa troupe apprennent qu’ils ne peuvent plus rentrer au Mexique. Les réfugiés, notamment du Salvador et du Guatemala, sont arrivés en masse au Mexique et en 1982 le gouvernement a pris des mesures pour forcer le retour et empêcher leur entrée dans le pays. « Comme nous ne remplissions pas les critères économiques pour obtenir le visa, nous sommes restés en France où nous avons pu légaliser notre situation et obtenir le droit de résidence et de travail ». Ils avaient été invités dans l’hexagone pour des représentations par des membres fondateurs du Collectif Guatemala2, qui les ont informés du statut de réfugié et des démarches à mener auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) pour l’obtenir.

© CIMI’ mondes

Affiche du dernier spectacle des Enlaceurs de Mondes

Une fois le statut obtenu, la troupe a continué son itinérance, cette fois en « Nous ne voulons pas, nous ne pouvons pas, Europe, de longues pé- nous ne savons pas faire autre chose et il n'y a Dans ces spectacles elle riodes en Espagne, des refait vivre des contes, des rien de plus clair que c'est cela notre chemin . » tournées en Suisse, en mythes et des musiques Autriche et notamment en Carmen à propos de sa passion du théâtre des Amériques, marqués Allemagne où leurs specde racines précolomtacles trouvaient davantage d’écho. À Paris, Carmen a étudié à biennes, indiennes, africaines. Aujourd’hui Carmen continue l’université et appris le français. Un ami guatémaltèque, pro- sur ce chemin avec le projet « Enlaceurs de Mondes » qu’elle fesseur de théâtre au Conservatoire, leur a fait découvrir mène avec le musicien argentin Gabriel Jordan4. Carmen est l'Ariège et leur a proposé sa maison. Elle est installée depuis retournée à plusieurs reprises au Guatemala. La première fois dans cette région montagneuse et ensoleillée qui lui rappelle un en 2000. Elle avait alors présenté avec le Teatro Vivo la pièce peu les paysages du Guatemala. « Ixok » qui parle des femmes, des survivantes ayant fui les Carmen y développe de nombreux projets : cours de théâtre, spectacles, seule ou avec de nouveaux partenaires. Elle cherche à montrer la diversité et ce qu’elle nous apporte, à construire des liens entre les personnes, des ponts entre les cultures. Elle participe par exemple à l’animation du groupe de réflexion et d’échanges « Regards de Femmes » où elle donne des cours de théâtre. C’est d’ailleurs avec cette association qu’elle a organisé avec le Collectif Guatemala une rencontre à Pamiers avec Carmen Mejía et María Guadalupe Hernandez lors de leur tournée en France de décembre 20103.

massacres. Elle rêve aujourd’hui de fouler et enlacer à nouveau sa terre en y jouant ses dernières créations. ■ 1 NISGUA est l’un des partenaires du Collectif au Guatemala au sein du projet d’accompagnement international ACOGUATE. 2 Camilo, Juan Mendoza et Arturo Taracena (voir Solidarité Guatemala n°200). 3 voir Solidarité Guatemala n° 192 4 « L’Illusion du Serpent à Deux Têtes », « Pourquoi le lapin a-t-il de grandes oreilles ? ». Voir le site www.cimi.mondes.sitew.com

Solidarité Guatemala n°202 février 2013

9


Entretien Entretien avec une défenseure des droits humains Par Quentin Boussageon

L’Unité de protection des défenseur(e)s des droits humains au Guatemala (UDEFEGUA) analyse la situation des droits humains, accompagne à leur demande les leaders paysans, syndicaux, étudiants et autres représentants ou intégrants du mouvement social pacifique guatémaltèque et leur apporte sécurité et soutien psychologique lorsque ceux-ci sont menacés. Depuis l'année 2000 marquée par un regain d’agressions commise à l’égard des défenseurs des droits humains, UDEFEGUA répertorie de manière exhaustive les actes d'agression, afin de publier des rapports et créer un suivi. UDEFEGUA entend démontrer que ces agressions sont directement liées à la faiblesse d’un Etat de droit, à l’impunité reine, un contexte très éloigné de celui annoncé dans les Accords de paix signés en 1996. Magda Chún Simon, travailleuse sociale d’origine maya mam, a travaillé 2 ans à UDEFEGUA jusqu’à décembre 2012. Quelle était ta mission au sein d'UDEFEGUA? Je travaillais sur le thème de la sécurité, directement avec les organisations paysannes, de femmes, syndicales, etc. en étudiant avec eux les mécanismes de protection personnelle, organisationnelle ou collective. Ma section permettait donc de donner des © Louise Levayer outils de défense face aux Magda Chún à Paris menaces, attaques et agressions des personnes que nous qualifions de défenseurs des droits humains. Je m'occupais aussi de la vérification des cas de personnes suivies et de l'accompagnement des défenseurs dans les procès ou devant les instances institutionnelles, à l’origine ou le plus souvent ne réagissant pas face à ces menaces voire criminalisant les défenseurs en les poursuivant en justice. Quel rôle jouent les femmes au sein d’UDEFEGUA et des mouvements qui luttent en faveur des droits humains? L'équipe est composée de 24 personnes dont 13 femmes. La coordination des projets est majoritairement composée de femmes. UDEFEGUA soutient n'importe quel type de défenseur, il n'y a pas de priorité concernant le genre, cependant il s'est créé au sein de l'organisation un réseau de femmes provenant de différentes organisations, tant nationales que régionales, travaillant pour la défense des droits humains. Cet espace s'est créé car les femmes souffrent d'attaques et de menaces qui touchent directement à leur genre, les rendent vulnérables et peuvent se traduire par exemple par des attaques sexuelles. Au sein de ce réseau, ces femmes se partagent les incidents ou menaces graves dont elles ont été victimes et à partir de cela elles peuvent établir avec l'aide d'UDEFEGUA des mesures collectives ainsi qu'un accompagnement psychosocial ou d'autres types de conseils qui dépendent du cas ou du soutien légal. Ceci a permis à ces femmes d’avoir de meilleurs outils de protection et de défense. Malheureusement lors des derniers mois, il y a eu une augmentation d'assassinats et menaces à l'encontre de ces femmes luttant pour la défense des droits humains. Le rapport d'UDEFEGUA des deux premières 10

Solidarité Guatemala n°202 février 2013

semaines de 2013 a comptabilisé 33 féminicides1, des meurtres qui dans la plupart des cas restent impunis. Dans le cas des assassinats de femmes du mouvement social, il est difficile de dire s’ils sont commis pour leurs activités de défense des droits humains ou pour une autre raison, toujours est-il que les crimes envers les femmes ont augmenté. En 2012, deux défenseures de la lutte en défense du territoire et des ressources naturelles contre les mégaprojets, ont été persécutées, attaquées, menacées et sont criminalisées: Lolita Chavez du Conseil des peuples d’Occident (CPO, organisation des autorités mayas de l’Ouest du Guatemala) et Yolanda Oqueli (leader des communautés en résistance au projet de mine El Tambor à quelques kilomètres de la capitale)2. Comment décrire Claudia Virginia Samayoa et son rôle comme coordinatrice générale d'UDEFEGUA ? Le rôle que joue Claudia implique aussi les attaques et menaces à son encontre3. Elle-même a été suivie à plusieurs reprises. Son travail et celui d’UDEFEGUA ont été criminalisés notamment par les opposants aux personnes accompagnées, comme les compagnies minières qui nous accusent de soutenir des narcotrafiquants ou des groupes criminels. La ténacité et la personnalité de Claudia sont fondamentales. Grâce à son travail de lutte et de défense des droits humains, elle a acquis une reconnaissance nationale et internationale. Cela lui a permis d’accéder aux espaces institutionnels et de peser dans les décisions des organismes de l'Etat, comme le bureau du Procureur des droits humains (PDH) et le Ministère Public, entre autres. En outre le soutien de la coopération internationale est venu grâce au travail rendu visible d’UDEFEGUA par la publication de ses rapports mensuels, trimestriels et annuels qui répertorient et analysent les attaques, agressions, menaces, et d'une manière plus large, la criminalisation des défenseur(e)s des droits humains suivis par UDEFEGUA. Pus d'informations sur www.udefegua.gt.org ■ 1 Feminicidio ou femicidio en espagnol, signifie meurtre d’une femme pour sa condition de femme. 2 Sur Lolita Chavez, lire « Ils nous accusent d’être des terroristes et des usurpateurs » : bit.ly/Nt2a5N Sur Yolanda Oqueli, lire l’article d’« Un conflit minier met en jeu des vies et des moyens de subsistance » bit.ly/

LGGdfE 3 Lire le cas de Claudia Samayoa page 17 du rapport d’Amnesty International « Transformer la douleur en espoir. Les défenseurs des droits humains dans les Amériques » bit.ly/11IRkMo


Brèves A la suite de la libération des prisonniers politiques de Barillas, une délégation visite des instances nationales et internationales pour témoigner Après plus de huit mois d'emprisonnement injuste, et grâce à la lutte de leurs avocats, les huit derniers prisonniers politiques de Barillas ont été libérés, le 9 janvier dernier. Victimes de criminalisation de la part du gouvernement et des intérêts privés (qui s'acharnent à entrer sur ce territoire maya Qanjobal,) ils avaient été arrêtés dans d'obscures conditions suite à l'état de siège déclaré le 1er mai, après que soit assassiné Miguel Andrés -et deux personnes blessées- par deux gardes de sécurité privée de l'entreprise espagnole Hidro Santa Cruz, qui construit un barrage hydroélectrique sur la rivière Cambalam.* Les 17 et 18 janvier, la délégation composée d’ex-détenus politiques, de leaders du mouvement social de Barillas et de leur avocat a rencontré de nombreux acteurs de l’Etat et les représentants d’institutions internationales. Les prisonniers avaient été accusés, à tort, d’être à l’origine de la contestation sociale suivant l'attaque perpétrée par la sécurité de l'entreprise, faits pour lesquels les employés de sécurité sont accusés et en cours de procès. A l’occasion de réunions en commission parlementaire au Congrès, ou devant les représentants du Procureur des Droits de l’Homme (Procuradoría de los Derechos Humanos) et du Haut-Commissariat de l’ONU pour les Droits de l'homme, la délégation a témoigné des pressions et des menaces constantes, et de la corruption policière et militaire. Ils ont remis une pétition signée par plus de 15 000 personnes de la municipalité de Barillas, réclamant un accompagnement physique et des enquêtes objectives sur la situation des droits humains. La même pétition a également été remise au secrétariat de la Présidence de la République. Nous avons pu constater l’attention et le soutien apporté par certains députés et les instances internationales. Toutefois, face au comportement de l’Etat, les habitants de Barillas demeurent fortement préoccupés quant à leur situation de sécurité. Les menaces qui pèsent sur leurs vies et leurs familles restent une inquiétude majeure qui n’a pas à ce jour trouvé de réponse satisfaisante. « Nous vivons aujourd’hui ce que nous vivions à l’époque du conflit armé. L’armée fouille nos maisons, vide les sacs de maïs et de haricots, ils renversent les lits, retournent le linge… ils cherchent des armes. Et les enfants ont peur. Et moi je pleure. L’unique pouvoir réel à Barillas, est aujourd’hui celui de l’entreprise qui achète les services de l’Etat, de la police et de l’armée ». (Leader social de Barillas s’exprimant devant la PDH). Le 23 janvier, une délégation de parlementaires et sénateurs espagnols, en mission d'observation du respect des droits humains au Guatemala, s'est réunie à Huehuetenango avec des représentants de la résistance de Santa Cruz Barillas. A cette occasion, ils et elles ont pu présenter leurs témoignages sur les violations de droits humains provoquées par l'entreprise espagnole Hidro Santa Cruz S.A., en compagnie de membres de l'association de défense des ressources naturelles CEIBA et de leur avocat Carlos Bezares qui a présenté un exposé sur les cas de détentions arbitraires. En attendant, plus d'une vingtaine de personnes est toujours sous la menace de mandats d'arrêts et au moins deux personnes sont toujours réfugiées hors de leur foyer. Cependant le peuple est plus que jamais uni, après le retour dans leurs communautés des exprisonniers politiques, célébré par des milliers de personnes. Un leader commentait aux députés : « Barillas demande que l'entreprise s'en aille. » * Voir brèves dans Solidarité Guatemala n°198 et 200 pour plus d’informations sur les sources du conflit

Vol de données au siège de l’Association pour le Progrès des Sciences Sociales (AVANCSO) Dans la nuit du 17 janvier, des individus non identifiés pénètrent dans les locaux de l’ssociation pour le progrès des sciences sociales (AVANSCO) et procèdent au vol ciblé de données (ordinateurs, cartes mémoires, disques durs, documents…) en laissant derrière eux nombre d’équipements de valeur. UDEFEGUA (protection des défenseurs des droits humains), dans son communiqué en date du 18 janvier, dénonce une nouvelle attaque évidente contre la mission sociale d’AVANSCO au Guatemala, avec l’objectif clair de s’approprier les données des enquêtes et des analyses réalisées auprès de la population. L’infraction intervient en représailles au soutien de l’organisation à l’initiative de Loi de Développement Rural Intégral 40-84, AVANSCO subit une stratégie de criminalisation qui consiste à l’accuser de terrorisme et de « diffusion de l’idéologie communiste ». Loin d’être un événement isolé, l’association avait déjà souffert à de nombreuses reprises des méthodes de répression illégale qui s’observent dans le pays. Rappelons l’assassinat de l’anthropologue et activiste Myrna Mack Chang en 1990, et les nombreuses menaces et pressions contre les membres d’AVANSCO dans les années 2000. UDEFEGUA réclame une enquête immédiate et impartiale afin que soient déterminées les responsabilités et identifiés les responsables matériels et intellectuels de cette nouvelle attaque, et critique l’inaction du gouvernement en matière de protection des défenseurs des droits humains.

Solidarité Guatemala n°202 février 2013

11


Le Collectif Guatemala Qui sommes-nous ? Fondé en 1979 par des réfugiés guatémaltèques et des militants français, le Collectif Guatemala est une association 1901 de solidarité internationale. Il est composé d’associations et de particuliers, dont une bonne dizaine de membres actifs, sur lesquels repose la vie de l’association. Depuis octobre 2002, l’équipe s’est étoffée avec l’arrivée d’un permanent à mi-temps. Depuis mars 2006, l’association a ouvert un bureau de coordination pour ses activités au Guatemala (accompagnement international et campagne de soutien aux militants luttant contre le pillage de leurs ressources naturelles).

Les activités du Collectif au Guatemala

Les activités du Collectif en France

● L’accompagnement international √ des populations indigènes victimes du conflit armé impliquées dans des procès contre les responsables de violations massives des droits humains, √ des personnes menacées du fait de leurs activités militantes. Comment ? √ à la demande des groupes ou personnes menacées, √ en recherchant et en préparant des volontaires qui resteront au minimum 6 mois sur le terrain. Pourquoi ? √ pour établir une présence dissuasive, √ pour avoir un rôle d'observateur, √ pour relayer l'information.

Les accompagnateurs/trices sont des volontaires majeurs, de tous horizons, désirant s’engager pour une durée minimum de 6 mois. Des sessions d’information et de préparation ont lieu en France avant le départ. Au Guatemala, les accompagnateurs sont intégré au projet international d’accompagnement ACOGUATE. ● L’outil vidéo √ organisation d’ateliers vidéo destinés aux membres d’organisations communautaires pour la réalisation documentaire √ soutien à la diffusion de ces films à la capitale et dans les communautés √ réalisation de film-documentaires comme outil de campagne et de sensibilisation en France

L'appui aux organisations de la société civile guatémaltèque qui luttent pour plus de justice et de démocratie

√ en relayant des dénonciations de violations des droits de l'Homme, √ en organisant des campagnes pour soutenir leurs revendications, √ en recherchant des financements pour soutenir leurs projets, √ en recevant en France et en Europe des représentants de différentes organisations pour leur permettre de rencontrer des décideurs politiques et financiers. ● L’information et la sensibilisation du public français Sur quoi ? √ la situation politique et sociale au Guatemala, √ la situation des droits humains, √ l'action des organisations populaires, indiennes et paysannes. Comment ? √ par la diffusion d’une lettre à l’adhérent bimestrielle, √ par l'organisation ou la participation à des conférences, débats, réunions, projections documentaires √ par des réunions mensuelles ouvertes à toute personne intéressée. ● Le travail en réseau avec différents types de partenaires présents au Guatemala

√ associatifs, √ institutionnels. Contact: collectifguatemala@gmail.com

ADHÉSION / ABONNEMENT Le Collectif Guatemala vous propose plusieurs formules de soutien : 

Adhésion au Collectif, permettant de recevoir la Lettre à l’Adhérent - Solidarité Guatemala

23 €

Adhésion à tarif réduit (étudiants, chômeurs etc. joindre justificatif)

15 €

Don, un soutien supplémentaire pour nos activités

………

Total :

………………

Nom .................................................................. Prénom ................................................................................ Adresse ............................................................................................................................................................. Code Postal ........................................ Ville ..................................................................................................... Téléphone ........................................... Courrier électronique ..........................................................................

□ Je souhaite être informé(e) par e-mail des activités du Collectif Guatemala □ Je souhaite faire partie du Réseau d’alertes urgentes électronique Les dons et cotisations peuvent être déductibles des impôts à hauteur de 66%.

12

Solidarité Guatemala n°202 février 2013


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.