Pierre Claude Giansily
corbellini, capponi et les peintres d’Ajaccio – 1890-1960–
Exposition au Lazaret Ollandini-Musée Marc-Petit Ajaccio, 16 octobre-27 novembre 2010
Association Le Lazaret Ollandini-Musée Marc-Petit Colonna Édition
Catalogue disponible Ă la vente sur www.lazaretollandini.com
corbellini, capponi et les peintres d’ajaccio – 1890-1960 –
Pierre Claude Giansily
corbellini, capponi et les peintres d’ajaccio – 1890-1960 –
Exposition au Lazaret Ollandini-Musée Marc-Petit Ajaccio, 16 octobre-27 novembre 2010
Association Le Lazaret Ollandini-musée Marc-Petit Colonna Édition
Dans la même collection Léon Charles Canniccioni, peintre des types et coutumes de la Corse Pierre Claude Giansily Exposition au Lazaret Ollandini, 14 décembre 2006-13 janvier 2007
La Corse de Lucien Peri, peintre paysagiste de l’école d’Ajaccio – 1880-1948 Pierre Claude Giansily Exposition au Lazaret Ollandini, 7 décembre 2007-2 février 2008
La peinture à Ajaccio – 1890-1950 – Bassoul, Canavaggio, Frassati Pierre Claude Giansily Exposition au Lazaret Ollandini, 6 décembre 2008-31 janvier 2009
Suzanne Cornillac – 1904-1982 – La Corse : aquarelles Pierre Claude Giansily Exposition au Lazaret Ollandini, 04-30 avril 2010
sommaire Présentation par François Ollandini ................................................................................ 1 Introduction par Pierre Claude Giansily .......................................................................... 3 Préambule : L’École corse de peinture et regard sur l’École d’Ajaccio de 1890 à 1950...... 5
Première partie François Corbellini (1863-1943), un artiste de référence à Ajaccio et en Corse ................. 7 Jacques-Martin Capponi (1865-1936), peintre symboliste et théoricien .......................... 37
Deuxième partie Quelques peintres d’Ajaccio ........................................................................................... 65 Émile Brod (1882-1974), un artiste aux nombreuses facette ........................................... 67 Joseph Viangalli (1876-1962), un peintre attachant........................................................ 77 Paul Corizzi, (1883-1953), un artiste ajaccien original..................................................... 85 Mathieu Corizzi, (1891-1976), peintre de Corte et d’Ajaccio .......................................... 93 Raymond Rifflard dit Rif (1896-1981), peintre d’une période de transition...................... 99
Annexes ..................................................................................................................... 105 Bibliographie ............................................................................................................. 113
Présentation
Par
François ollandini
Présentation par françois Ollandini
A
près Canniccioni, après Peri, après Bassoul,
Chez lui, tout est lumière. Elle ne vient pas éclairer le
Canavaggio et Frassati, après Cornillac, voici
tableau de l’extérieur. Elle émane du tableau lui-même.
Corbellini, Capponi et quelques autres au
De l’intérieur du tableau. Comme si le soleil, extérieur
Lazaret. Je ne dirai rien de ces derniers, ne connaissant
au tableau, y avait accumulé sa lumière, tout au long
leurs œuvres qu’à travers ce catalogue d’exposition.
de la journée, au point de la perdre, et que les monts
Mais de Corbellini, la première des choses que j’ai à
et le village au loin en étaient si imprégnés qu’eux-
dire est qu’il fit partie de la grande famille de La Corse
mêmes envoyaient cette lumière volée au soleil.
touristique, créée par mon grand-père maternel François
Phosphorescence. C’est cette lumière de Corbellini que
Pietri, et éditée pendant près de 10 années, de décem-
l’on retrouve dans ce tableau et dans tant de ses autres
bre 1924 à octobre 1934. Corbellini en fut l’un des
tableaux que c’en est une signature.
collaborateurs les plus assidus. Il apparut pour la
Chez lui aussi, tout est tendresse. Une tendresse infinie
première fois en mai 1925, au numéro 6, et collabora
et qui n’est jamais mollesse. Chez lui, aucune violence,
jusqu’au dernier numéro. Sur un total d’un peu plus
ni dans les paysages, ni dans les personnages, et nulle
de quatre-vingt-dix numéros de la revue, il y laissa près
part ailleurs. Pas même cette violence apaisée mais qui
de quarante dessins ou aquarelles ou huiles dont
sourd encore, toujours là et que l’on trouve chez
plusieurs couvertures et plusieurs huiles en couleur.
Canniccioni.
Lors des deux dons que j’ai faits au Palais Fesch-Musée
Chez lui, pas d’opposition. Une correspondance abso-
des beaux-arts d’Ajaccio, en 2007 et 2009, sur cette
lue. Minéral, végétal, animal, humain : tous comme
petite centaine de peintures offertes, il n’y avait aucun
faisant partie d’un même monde, unifié, pacifié. Une
Corbellini. Et voici qu’enfin, je peux en acquérir un. Je
identité entre l’être et le paraître. Aucune brutalité,
l’ai acheté pour le musée Fesch. Pour compléter le don
aucun antagonisme. Un paradis sur terre.
de ma collection au musée Fesch. Et quel Corbellini !
Le minéral s’anime et vie, l’humain se minéralise. Tout
La quintessence de ce peintre ! Paysage entre tous
est de même matière, matière vivante. Tout vit de même
aimé, – celui des Calanque –, personnages et animaux,
manière. Et le tableau ainsi vit, d’une vie silencieuse,
et même un bout de mer. Couleurs dans le rouge du
son propre présent. Un éternel présent. Un présent
soleil couchant, à la rentrée des champs. Et cette
d’éternité. Un perpétuel aujourd’hui. Comme si, pour
lumière ! Et cette tendresse !
ce tableau, pour ses tableaux, le temps n’existait pas.
1
Corbellini, CaPPoni
et les Peintres d
’ajaCCio : 1890-1960
Comme si, dans ce tableau, dans ses tableaux, le temps
Dans le beau du tableau, tout est beau, tout est vrai,
ne passait pas.
tout est éternel. Chacun peut en jouir et il nous comble.
N’est-ce pas cela, la réussite artistique : prendre un
De bonheur. Le bonheur artistique, puisque c’est ainsi
événement, l’ici et le maintenant de ce paysage animé,
qu’il faut le nommer, est la preuve que le temps peut
en ce lieu et en ce temps déterminés, et le porter à
accueillir l’éternité. Le bonheur artistique crée l’éternité
l’essentiel, lui donner toute sa puissance et toute son
dans le temps.
intensité, saisir en lui ce qui échappe au temps et à
Donc, Corbellini.
l’espace, ce qui échappe à tout ce qui est montré ?
Mais je ne puis passer sous silence que Brod et Corizzi
Passer par l’événement, mais le dépasser, le surpasser,
furent aussi des collaborateurs de la Corse touristique.
le concentrer en milliards d’années et en milliards d’es-
Surtout des dessins pour Brod, surtout des aquarelles
paces, le donner enfin comme le seul espace-temps
pour Corizzi. Une quinzaine d’œuvres pour Brod, une
dont moi-même, spectateur engagé, je fais partie ?
trentaine pour Corizzi. Je me souviens surtout des
Oui, je suis ce rocher parmi les monts. Je suis ce mulet
numéros de Noël, autour des années trente. Alors entre
parmi les animaux. Je suis cette paysanne parmi les
15 et 30 illustrations, non compris les illustrations
femmes. Je suis ce paysan parmi les hommes. Je suis
photographiques. Barnett, Bassoul, Bompar, Bouchet,
dans ce tableau. Je suis ce tableau. Lui et moi, nous faisons partie du même monde, et c’est le monde de ce tableau. L e temps du tableau est mon présent. Un présent toujours présent. L’espace du tableau est mon espace. Un espace qui ne s’efface pas. Un temps à l’état pur. Un espace à l’état pur. Une éternité dans l’ici et le maintenant de ce tableau. De ses tableaux.
2
Canavaggio, Canniccioni, Chièze, Corbellini, Cottin, Labouré, Lapujade, Manera, Nick, Pedinielli, Peri, Peyrot, Siciliano, Strauss. Et parmi eux, toujours 1 ou 2 Brod. 1 ou 2 Corizzi. Venant nous souhaiter la bonne et heureuse année de la Corse touristique. François Ollandini, Président de l’association Le Lazaret Ollandini, Musée Marc-Petit.
introduCtion
Par
P i e r r e C l a u d e G i a n s i ly
Introduction par Pierre Claude Giansily
F
e « Lazaret Ollandini-musée Marc-Petit » poursuit
durée et d’avoir évoqué ensemble les questions de la
sa démarche visant à faire connaître la création
créativité artistique ainsi que les sujets et techniques
artistique corse du
xxe
siècle en accueillant
qu’ils avaient choisis.
aujourd’hui sa cinquième exposition patrimoniale consacrée à la peinture et aux peintres corses de la première moitié du xxe siècle.
Autre figure ajaccienne: Paul Corizzi (1883-1953), peintre aquarelliste, artiste amoureux de sa ville à laquelle il
Ce sont les principaux peintres de l’École d’Ajaccio qui
consacre tout son talent pendant une quarantaine d’an-
ont été présentés ainsi depuis cinq ans et Léon-Charles
nées. Il a été, comme Corbellini, un artiste prolifique,
Canniccioni (1879-1957) a bénéficié d’une exposition
essentiellement orienté vers la clientèle des touristes visi-
individuelle en décembre 2006-janvier 2007, puis Lucien
tant la Corse, « Île de Beauté », destination très en vogue
Peri (1880-1948), en décembre 2007-février 2008.
après la Grande Guerre.
Ensuite, le public a découvert dans les quatre cellules du Lazaret les œuvres de Jean-Baptiste Bassoul (1875-
Son frère Mathieu Corizzi (1891-1976) est peintre de
1934), Jean Canavaggio (1884-1941) et Dominique
Corte où il accomplit sa carrière professionnelle et pein-
Frassati (1896-1947) en décembre 2008-janvier 2009.
tre d’Ajaccio, au moment où il prend sa retraite et s’y
Plus récemment, le travail de l’aquarelliste Suzanne
installe définitivement, dans les années 1950. C’est à
Cornillac (1904-1982) à Ajaccio et dans le Sud de la
l’occasion d’une visite, voici quelques années, de son
Corse a été présenté en avril 2010.
appartement d’Ajaccio, conservé jusqu’à un passé récent dans l’état où il avait été laissé après son décès,
Au cours de cet automne 2010, voici une nouvelle étape,
que l’on a découvert son univers pictural et des aqua-
avec une exposition et le présent ouvrage évoquant
relles d’une grande fraîcheur ainsi que des aquarelles
cette riche création artistique corse de 1890 à 1960,
très originales offertes par Paul Corizzi, bien différentes
donnant l’occasion de poser un regard sur d’autres
de son registre habituel.
artistes de l’École d’Ajaccio, au sein de l’École corse de peinture. Les artistes évoqués ici ont la particularité
Artiste connu à Ajaccio et en Corse : Raymond Rifflard
d’avoir eu des relations amicales solides, sur une longue
(1902-1981), artiste attachant qui montre une Corse
3
Corbellini, CaPPoni
et les Peintres d
’ajaCCio : 1890-1960
attachée à ses traditions avec, toutefois, un style pictural
grand peintre paysagiste corse de la première moitié du
moderne. « Rif », à qui l’on doit de nombreux travaux
xxe siècle, artiste prolifique, très en vogue à Paris pendant
de décoration dans les églises de Corse fait également
plus de vingt ans ainsi que Dominique Frassati, peintre
le lien, comme peintre de chevalet, avec la nouvelle
attachant à la grande force créatrice qui fut conservateur
génération des peintres ajacciens attirés par la repré-
des musées de la ville à la fin des années 1930 et qui
sentation figurative des paysages et de certains sujets
marqua de son empreinte la peinture à Ajaccio.
traditionnels. La peinture corse a été en vogue à Paris et au-delà des Le catalogue de cette exposition a été élaboré selon la
frontières nationales dans les années 1920-1930. Elle a
même démarche que le catalogue de l’exposition Bassoul-
connu un fort regain d’intérêt au début des années 1990.
Canavaggio-Frassati de décembre 2008-janvier 2009,
L’École d’Ajaccio reçoit en 2010 un nouvel hommage,
privilégiant une approche et une présentation mettant
rendu par cette exposition. Les visiteurs et lecteurs peuvent
l’accent sur la vie et l’œuvre de ces sept artistes, évoquant
ainsi découvrir de nombreuses œuvres qui font pendant
leur personnalité, la diversité de leurs talents et de leurs
aux collections du Palais Fesch, musée des Beaux-arts
carrières tout en montrant les liens qui les unissent. Il donne aussi l’occasion d’évoquer d’autres artistes de l’École d’Ajaccio comme Jean-Baptiste Bassoul, qui fut un des pionniers et promoteurs de la peinture à Ajaccio et en Corse et Léon Charles Canniccioni, peintre des types et coutumes de la Corse par excellence, artiste d’envergure nationale et internationale et en même temps le plus parisien des peintres corses. Sont également évoqués, au fil des pages, Lucien Peri, sans doute le plus
4
d’Ajaccio qui a ouvert au public en juin 2010 un département des peintures corses, dont une part importante des collections provient de récentes donations réalisées entre 2005 et 2009. Enfin, soulignons ici que cette exposition illustre une fois de plus le fécond partenariat entre l’institution ajaccienne et « Le lazaret Ollandini-musée Marc-Petit », au service du public et de l’art. Pierre Claude Giansily Commissaire de l’exposition
Préambule
préambule L’École corse de peinture et regard sur l’École d’Ajaccio de 1890 à 1950
L
a peinture connaît en Corse un bel essor au
mentaire à celle des peintres insulaires. La presse, et
siècle, dans la continuation d’une tradition
surtout les revues, notamment au cours de l’entre-deux-
artistique résultant d’un mélange des influences
guerres, évoquent régulièrement les peintres corses et
et talents, notamment entre Corse et Italie (Piémont,
amis de la Corse, reproduisant leurs œuvres pour un
Ligurie, Toscane…), quand l’activité créatrice est concen-
large public.
xIxe
trée à Ajaccio, Bastia, en Balagne et Castagniccia principalement. L’École Corse de peinture prend une
On défini, depuis une vingtaine d’années, l’École d’Ajaccio
remarquable expansion à partir des années 1850, cette
de peinture car se trouvent réunies l’unité de lieu, l’unité
évolution étant liée notamment aux résultats d’une
de temps et l’unité de but. Cette Ecole est constituée
nouvelle prospérité économique et d’une meilleure circu-
d’un nombre important de peintres originaires d’Ajaccio,
lation des idées, en général. On observe alors la présence
installés dans cette ville ou y séjournant qui ont consacré
de nombreux peintres formés dans les meilleures écoles
une large part de leur production à la Corse et à Ajaccio.
de Rome et de Paris pouvant répondre à des commandes
Professionnels ou amateurs, ils sont en permanence, sur
de plus en plus nombreuses, émanant d’institutions ou
une durée de près de quarante ans, plus d’une dizaine
de particuliers. Ils sont aussi les créateurs d’un art corse
sur place. Ils ont pour chefs de file François Corbellini et
qui est alors doté d’une certaine originalité et moins
Jean-Baptiste Bassoul et, en commun, des valeurs basées
tributaire des apports extérieurs. Ils serviront d’exemple
sur un réalisme corse original, qu’ils affirment avec force
et de modèle pour la brillante génération des peintres
et sans excès. Ils participent au grand mouvement d’ex-
nés entre 1870 et 1890. Déjà, à la fin du siècle, une
pression culturelle et artistique fondé sur une prise de
pléiade de peintres corses est en activité, à Ajaccio,
conscience des valeurs corses ; ils conjuguent les
Bastia, à Paris, Marseille et en Afrique du Nord, créant
approches naturalistes et réalistes montrant les modes
un art corse, par le choix des sujets et par les choix tech-
de vie et la réalité sociale du moment. Ils se tiennent à
niques qu’ils opèrent. Les artistes de cette période, dont
l’écart des modes et des courants et fréquentent tous
certains ont atteint une renommée nationale et inter-
la galerie Bassoul, lieu d’échange et de contacts. L’École
nationale, ont participé de façon déterminante à la créa-
d’Ajaccio se caractérise à la fois par la place consacrée
tion des images icônes de la Corse et à la promotion
au paysage mais aussi parce qu’elle marque le début
d’une image forte et typique de leur île. Parallèlement,
d’une ère nouvelle, tant pour les artistes, plus nombreux,
et jusqu’à la fin des années 1930, on assiste à une formi-
mieux formés peignant leur monde que pour le public
dable dynamique de l’action de peindre la Corse, due
local qui trouve un intérêt grandissant dans la peinture.
surtout à l’attrait de l’Île de Beauté comme destination
Ces peintres ont ainsi créé une œuvre qui tient une place
touristique et lieu de passage et d’expérience pour les
privilégiée dans la très riche production artistique corse
artistes qui ont donné de la Corse une vision complé-
de la première moitié du xxe siècle.
5
première partie
François Corbellini
◆ PhOTO DE L’ARTISTE, EN 1920 (à gauche) ◆ UN DÉPART huile sur toile, 33 x 42 cm. © Claude Giansily
François Corbellini (1863-1943) un artiste de référence à ajaccio et en corse
F
rançois Corbellini tient une place tout à fait singu-
les villages et surtout Piana et les Calanche. Il connaît
siècle
rapidement un grand succès auprès des touristes, surtout
par sa personnalité, l’importance et la qualité du
anglais, qui séjournent à Ajaccio, alors principal centre
travail accompli sur une période de plus de cinquante
touristique de l’île en raison de son climat et du souvenir
ans à Ajaccio.
napoléonien. Plus tard, il vend énormément d’aquarelles
Dès son retour à Ajaccio peu après 1900, après avoir
aux touristes visitant la Corse assurant ainsi leur diffusion
suivi à Paris l’enseignement artistique à l’École Nationale
dans toute l’Europe.
des Beaux-arts, il se forge une solide réputation de peintre
L’art de Corbellini reflète cette préoccupation de montrer
et va dérouler jusqu’à la veille du second conflit mondial
la Corse des villes et de la ruralité. Artiste réputé, il peint
une carrière de peintre et de conservateur des musées
la beauté colorée de la Corse avec, très souvent, la
de la ville d’Ajaccio. Il est d’ailleurs régulièrement sollicité
présence de l’homme, et ses œuvres ont été largement
par les écrivains ou journalistes qui souhaitent vanter les
reproduites pendant de nombreuses années par La Corse
attraits de la Corse.
touristique, dont il était l’un des principaux collaborateurs
Aquarelliste réputé, peintre talentueux, illustrateur,
artistiques.
lière dans l’histoire des arts en Corse au
xxe
Corbellini est, avec Lucien Peri et Canniccioni, un des créateurs des images icônes de la Corse, au moment où l’île de Beauté s’affirme comme une destination touristique très prisée par une plus importante clientèle. Il est aussi l’un des peintres corses qui représente le mieux ce courant d’un réalisme régional fondé sur les valeurs traditionnelles. PêChEURS D’AJACCIO ◆
Très vite adepte de la peinture de plein air, il peint dès le
huile sur toile, 33 x 55 cm.
milieu des années 1890 Ajaccio, la ville et ses environs,
© Claude Giansily
mais aussi les rivages, les campagnes avec leurs animaux,
Corbellini, CaPPoni
et les Peintres d
’ajaCCio : 1890-1960
Parcours de François Corbellini
voie et c’est ainsi qu’il présente en juin 1889, dans une des vitrines de M. Bodoy, un petit tableau à l’huile, représentant une marine, que la presse remarque 1 en
C’est à Gênes que naît, le 22 mai 1863, François Antoine
mentionnant : [...] « … il est juste de faire observer que
Corbellini, fils de Joseph et de Madeleine Bozi. On
le brick-goélette, sujet principal du tableau, est bien
possède assez peu de détails sur son enfance mais il
assis dans l’air, et que la tonalité de sa coque se marie
est avéré que François Corbellini est attiré très jeune
très bien avec l’effet général. » L’article conclut en
par le dessin et la peinture puisque, dès 1881, il
encourageant l’artiste pour qu’il arrive au zénith de
commence à réaliser des aquarelles dans un style très
son art [...] « à force d’étude et de travail. » Les difficultés
fin rappelant les artistes italiens des siècles précédents.
pour percer en Corse sont pourtant nombreuses.
Il montre ainsi, à l’âge de dix-huit ans, son intérêt pour
Comme l’indique avec un certain réalisme un commen-
les vastes paysages et les personnages dans leur envi-
tateur d’une exposition de Corbellini dans le Petit
ronnement quotidien.
Bastiais du 9 avril 1891 : « Je résumerai mon impression sur M. Corbellini en disant que c’est un artiste d’avenir
Il reçoit des encouragements et c’est plus tardivement
remarquablement doué, ayant tout ce qu’il faut pour
qu’il décide de suivre sa vocation et de se faire connaître
arriver. Tout ce qu’on peut lui souhaiter pour le moment,
à Ajaccio. Les conditions de présentation et de vente
c’est de ne pas manquer des encouragements qui font
des œuvres d’art ne sont pas évidentes pour la majorité
souvent défaut aux jeunes artistes, c’est aussi de conti-
des peintres insulaires de cette époque et il n’existe
nuer sa carrière dans un milieu plus propice qu’Ajaccio
pas de galerie de peinture. Corbellini persiste dans sa
à la pleine éclosion de son talent. »
1. Cité dans Le réveil de la Corse et du Var, « Chronique départementale », 5 juin 1899.
Ci-contre, de gauche à droite: ◆ PAySAGE DE MÉDITERRANÉE, 1881 aquarelle, dim. n.c. © DR
◆ BATEAUx DANS LE PORT D’AJACCIO SOUS LA NEIGE huile sur toile, 32 x 46 cm © DR
◆ UN COIN D’AJACCIO Année 1880, aquarelle, dim. n.c. © DR
10
François Corbellini (1863-1943),
◆ PORTRAIT DE CORBELLINI par Jacques-Martin Capponi huile sur toile, 41 x 32, 5 cm © Palais Fesch-musée des beaux-arts d’Ajaccio/Jean-François Paccosi
un artiste de réFérenCe à
ajaCCio
et en
Corse
Corbellini entame alors sa scolarité à Paris, aidé par
Pour montrer ses travaux et ses progrès, Corbellini, élève-
le Département de la Corse, qui lui alloue plusieurs
peintre à Paris, expose dans sa ville en 1898 et 1899 à
indemnités entre 1892 et 1902, lui permettant de
la bibliothèque municipale en compagnie de Paul Casile
poursuivre ses études. Lors de la séance du conseil
et de Capponi. La presse, et notamment L’Union
général du 2 septembre 1894, le rapporteur, M. Porri
Républicaine datée du 26 mars 1899, dans « Propos
indique notamment que [...] « Déjà, un encourage-
d’art », rend bien compte de cette exposition. La liste
ment a été accordé au postulant en 1892.
des douze œuvres 6 présentées lors de l’exposition de
M. Corbellini est un artiste d’un talent sérieux et qui
1899 nous renseigne à la fois sur les thèmes choisis par
paraît digne de toute la sollicitude du conseil général.
l’artiste, où les vues d’Ajaccio et de la région de Porto et
Votre Première Commission vous propose de prendre
Evisa dominent, mais aussi sur les goûts du public ajaccien
sa demande en sérieuse considération et tout en
de l’époque. Cet article mentionne plus particulièrement
votant en principe qu’une subvention sera accordée
« [Sur la route d’Aspretto] qui a été un véritable triomphe
au sieur Corbellini, d’en confier la fixation à la commis-
pour M. Corbellini. Sur cette belle route d’Aspretto que
sion départementale. »
les derniers feux du soleil couchant colorent d’une lumière mauve, deux paysans ont arrêté leurs chevaux à l’abreu-
À Paris, il suit l’enseignement artistique à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts sous la direction de Jean-Louis Gérôme. Il est également élève de Gustave Moreau (1826-1898) dont il parlait – selon Brod 2 – avec dévotion et avec une sensibilité montrant 2. Cf. article dans Le Lien, publication insulaire, le 1er mars 1953. 3. Élu à l’académie des Beaux-Arts en 1888, Gustave Moreau est nommé professeur en 1892 et compte parmi ses élèves Matisse, Marquet, Rouault… Il emprunte beaucoup aux maîtres de la Renaissance et intègre également des motifs exotiques et orientaux. Grand dessinateur, Moreau possédait à la fin de sa vie de nombreux dessins, photographies, livres illustrés qui ont servi de base à son inspiration picturale. Selon lui, « être moderne ne consiste pas à chercher quelque chose en dehors de tout ce qui a été fait. Il s’agit au contraire de coordonner tout ce que les âges précédents nous ont apporté, pour faire voir comment notre siècle a accepté cet héritage et comment il en use. » 4. Les diplômes italiens ne sont plus reconnus en France à la fin du siècle. Voir à ce sujet : Le legs Sisco, un siècle de vie artistique Corse 1829-1933, collectif, édition Centre d’études Salvatore Viale, Bastia, avril 2007. 5. Corbellini écrira un mois après la mort de Capponi qu’il avait en grande estime une « Étude sur J.M. Capponi », datée mars 1936, publiée dans L’Année corse, 1937. 6. On peut y voir, selon l’ordre des commentaires qui en sont faits dans ce journal, les œuvres suivantes : Golfe de Porto ; Spelunca ; Montagnes à Evisa ; Maisons à Evisa ; Vue d’Ajaccio ; Vue d’Evisa ; Lisière de forêt, Aïtone ; La marine, Bonifacio ; Moutons au repos, Evisa ; Une allée ; Paysage, Evisa ; Paysage, Bonifacio.
combien il avait été marqué par le personnage et son enseignement. Il est vrai que Moreau était un artiste au style puissant épris de mystique et de symbolisme et qu’il eut une grande influence sur nombre de ses élèves 3. Pendant ces années passées à Paris, Corbellini aura de nombreuses occasions de visiter les expositions des différentes Sociétés qui organisent chaque année leurs Salons, événements majeurs, qui dominent la vie artistique. Il se trouve dans la capitale en même temps que Bassoul et Capponi ainsi que les sculpteurs
voir. Le ciel, illuminé, met des reflets sanglants dans l’eau de la fontaine qu’ils suivent dans le petit ruisseau de la route. La mer aux tonalités étranges mais justes de valeur, étend sa surface tranquille jusqu’aux noirs de l’horizon lointain. Et au fond, la ville que les premières ombres de la nuit commencent d’envahir. « Les silhouettes des cavaliers sont très caractéristiques. Les chevaux sont dessinés à la perfection. On pourrait toutefois se demander pourquoi la couleur grise de la route poudreuse ne s’altère pas un peu au contact de cette lumière mauve dont l’atmosphère est imprégnée, je crois que cela aurait donné encore plus d’air au tableau. Au demeurant M. Corbellini peut se montrer fier de cette toile et du succès qu’il en a obtenu: pour moi, en le félicitant à mon tour, je pourrai dire que je vois là une promesse pour de plus grands succès encore dans l’avenir. »
bastiais Jean-Mathieu Pekle (1868-1956) et Louis Patriarche (1872-1955) qui accomplissent une nouvelle scolarité en sus de celle accomplie à Rome
◆ SUR LE ChEMIN aquarelle, 64 x 53 cm. © Claude Giansily
dans le cadre du legs Sisco 4. Corbellini vient régulièrement à Ajaccio où la vie artistique, à la fin du siècle, est centrée autour de quelques peintres comme Paul-Mathieu Novellini (1831-1918), Aglaë Meuron (1836-1925) François Peraldi (18431920), et de quelques artistes y venant régulièrement comme Alfred de la Rocca (1855-1915). C’est avec Capponi, son aîné de seulement deux ans, qu’il a les relations les plus étroites 5.
11
Corbellini, CaPPoni
et les Peintres d
’ajaCCio : 1890-1960
le stand des chambres de commerce et donne à voir des collections minéralogiques et de bois ainsi qu’une carte en relief de la Corse. On y trouve aussi, comme « images »
◆ BONIFACIO, DESCENTE DE LA MARINE, 1898 aquarelle avec rehaut de peinture, 42 x 28 cm. © Claude Giansily
de la Corse, des photographies de Cardinali, de Guittard et des peintures de Corbellini représentant des vues d’Ajaccio, de Bonifacio, des Calanche de Piana, des villages et types corses. En mars 1909, Corbellini présente ses œuvres à Ajaccio, chez Gini, cours Grandval et, au même moment, Lucien Peri expose juste à côté, chez Cardinali 10 ; on retrouvera souvent ensemble au cours des années suivantes Corbellini et Peri. Ces deux expositions d’aquarelles sont commentées avec enthousiasme dans la presse locale. Ainsi, Ajaccio Gazette, dans son numéro du 7 mars 1909 indique que: « L’aquarelle semble être la peinture préférée des artistes ajacciens, ainsi nous est-il donné d’admirer Quelques années plus tard, Corbellini fait quelques envois au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts 7 d’œuvres représentant la Corse. Il adresse en 1901, Lumière d’automne puis, en 1902, Vieille rue au couchant et, en 1903, Mer belle aux Sanguinaires. Parmi les artistes qui figurent aux Salons en même temps que lui: en 1901, Capponi
journellement dans les vitrines de MM. Cardinali et Gini, des aquarelles exposées par le Maître M. Corbellini, dont la renommée n’est plus à faire. « M. Corbellini aime les tonalités chaudes, et possède au plus haut degré l’harmonie des couleurs ce qui fait le véritable artiste, et la justesse du dessin. » 11
et Antoine-Louis Manceaux; en 1902, Louis-Ferdinand Antoni et René Ménard. En 1903, les artistes sont plus nombreux à présenter des œuvres évoquant la Corse aux Salons : Antoni, Élise de Davidenko, Elisabeth Krouglikoff, Jules-Alexis Muenier, Alfred Roll, Paul Saïn,
Corbellini participe en 1912, 1913 et 1914 aux expositions des Beaux-Arts de Monte-Carlo qui se tiennent au Palais des Beaux-Arts, place du Casino. Il adresse en 1912 et 1913 des peintures et une aquarelle figurant des
Léon Sonnier, montrant ainsi l’intérêt grandissant alors
paysages de Corse avec un Golfe de Porto, un Village
de la Corse pour les peintres 8.
corse et Terre corse. En janvier 1914 Corbellini (qui a entraîné Peri dans cette aventure) présente une toile qui
12
Malgré cet engouement, Corbellini, qui est rentré en
est remarquée. La revue Corsica 12 en date du 1er avril
Corse, décide de ne plus faire d’envois aux Salons parisiens
1914 mentionne sous la rubrique « Monte-Carlo - La
et préfère réserver ses œuvres à d’autres manifestations
Corse à l’exposition internationale des Beaux-Arts de
organisées dans le but de faire connaître la Corse et les
Monte-Carlo. »… [...] « Dans la salle d’honneur, nous
artistes corses. C’est le cas en 1908 quand la chambre
avons eu la joie et l’orgueil de voir figurer un tableau à
de commerce et d’industrie d’Ajaccio présidée par Jean
l’huile de notre ami M. François Corbellini. C’est « Une
Lanzi 9 organise, en liaison avec la Chambre de Bastia, la
vieille rue d’Ajaccio » au soleil couchant. Cette toile,
participation de la Corse lors de l’Exposition franco-britan-
d’une facture remarquable, a été signalée par le Figaro
nique de Londres. On y trouve dans une vitrine, à côté
et les journaux d’art de la Principauté. Nous avons lu,
de la grande galerie des machines, les vins, les produits
d’autre part, dans les journaux de Paris, des notes très
agricoles, les cédrats, terrines de gibiers et autres produits.
élogieuses sur les aquarelles envoyées par M. Corbellini
La deuxième partie représentant la Corse se trouve dans
à l’exposition des aquarellistes chez Georges Petit. » 13
7. Envois qui, selon Paul Arrighi, «… valurent à l’auteur des témoignages d’intérêt du grand peintre américain Whistler et d’Alfred Roll » ; cité dans « François Corbellini », L’Annu Corsu, 1926. Rappelons ici que James Mc Neill Whistler (1834-1903) a séjourné à Ajaccio en janvieravril 1901. Il a rencontré à cette occasion à plusieurs reprises Corbellini. Par ailleurs, le peintre ajaccien François Peraldi, alors conservateur des musées d’Ajaccio, mettra son atelier installé dans son appartement situé au numéro 4, de la rue Napoléon (actuelle rue Saint-Charles) à la disposition du maître américain. 8. Voir à ce sujet : Giansily, Pierre Claude, Histoire de la peinture en Corse aux xixe et xxe siècles et dictionnaire des peintres, Colonna édition, Ajaccio, juin 2010. 9. Dont J-M Capponi a peint le portrait en 1895. 10. Le photographe Laurent Cardinali (1853-1935) est formé à Paris par François Vizzavona puis à Nice, par Albert et Ferret. Installé à Ajaccio dès 1876, il acquiert très vite une grande renommée. Comme quelques-uns de ses confrères installés à Ajaccio et Bastia, il n’hésite pas à quitter son atelier pour photographier paysages, métiers, personnages et événements. Ses photographies sont remarquées aux expositions nationales et internationales. « Entre deux reportages et un voyage sur le continent Laurent Cardinali reçoit beaucoup. Le jardin de son studio est le dernier Salon où l’on cause. De tout et de rien. Mais ce qui préside à ces rendez-vous, c’est l’amitié. Des noms illustres viennent là passer une heure avec le maître des lieux. »… « Corbellini fait quelques brèves apparitions. Il expose chez son ami Bassoul. » (cité dans Laurent Cardinali, 1853-1935, le photographe de la Corse oubliée, par Jean-Baptiste Nicolaï et Jean-Claude Fieschi, Ajaccio, éditions Cyrnos et Méditerranée, 1983). 11. L’article est complété ainsi : « M. Peri, plus jeune, a un sens artistique très prononcé, ses expositions sont très remarquées. On admire surtout dans ses aquarelles la légèreté de son coup de pinceau, les coloris clairs et transparents, aux teintes variées si savamment mêlées et une promptitude de l’exécution. » 12. Organe de promotion du tourisme en Corse. 13. Le même article indique à propos de l’aquarelle exposée par Lucien Peri, « Cabane de pêcheurs à Saint-Florent » : « C’est une aquarelle d’une transparence admirable, et le peintre a traduit avec son habituelle maîtrise le caractère si particulier de la Corse ».
François Corbellini (1863-1943),
un artiste de réFérenCe à
ajaCCio
et en
Corse
◆ AJACCIO, LA PLACE DU DIAMANT AU CRÉPUSCULE huile sur toile, 32 x 70 cm © Jean harixçalde/Le Lazaret Ollandini,musée Marc-Petit
Corbellini expose régulièrement à Ajaccio, mais il
sans doute à titre exceptionnel, en juin 1935, ses
s’agit la plupart du temps de manifestations organi-
œuvres sont présentées chez le photographe Tomasi,
sées de manière informelle. Il accorde une importance
cours Grandval. Comme on le voit, Corbellini ne
somme toute relative à ce genre d’exposition car il
recherche pas la notoriété et le prestige des grandes
est suffisamment connu en ville. On trouve en effet
galeries parisiennes et c’est sans doute sur l’insistance
ses œuvres chez le photographe Cardinali, dans le
de ses amis qu’il déroge à cette règle. Corbellini est
hall et les salons de l’hôtel des Étrangers, puis, après
aussi un des premiers peintres d’Ajaccio avec Lucien
1913, dans la galerie ouverte par Jean-Baptiste
Peri à faire au début du siècle nouveau, de la peinture
Bassoul. Celui-ci lui adresse régulièrement des
un objectif « commercial ». Il vend ses œuvres, n’at-
amateurs ou acheteurs dans son atelier du cours
tend pas les commandes et se fait progressivement
Napoléon, en face du théâtre Saint Gabriel. Plus tard,
une clientèle qui apprécie son travail. On peut ici esquisser une appréciation sur l’évolution
Ci-contre, de haut en bas: ◆ NATURE MORTE AU LIèVRE
de son style. Comme de nombreux artistes, Corbellini est un travailleur acharné et sa peinture a connu une
(détail), huile sur toile, 50 x 61 cm.
importante évolution dans le temps. Sa première
© Claude Giansily
manière est celle de ses expositions à Ajaccio au cours
◆ NATURE MORTE AU hOMARD
des années 1880-1890, à l’époque où il cherche sa
(détail), huile sur toile, 50 x 61 cm. © Claude Giansily
voie. Il peint alors des natures mortes, thème peu traité par les artistes corses ; il fait preuve, dans ce
◆ NATURE MORTE AUx POMMES ET RAISINS (détail), huile sur toile, 50 x 61 cm. © Claude Giansily
genre, de beaucoup de virtuosité, tout en respectant les règles.
13
Corbellini, CaPPoni
et les Peintres d
’ajaCCio : 1890-1960
Les marques de l’enseignement reçu aux Beaux-Arts
Impressionnistes. Par la suite, on observe des décom-
se retrouvent dans les années 1900 avec un peinture
positions de couleurs et de nuances colorées ; ensuite,
très élaborée avec parfois des compositions en grisailles
il donne à voir des tonalités musicales, jouant sur les
très poussées. Il fait dans le même temps des expé-
tons. Dans sa dernière manière, plus synthétique, on
riences dans le choix des sujets, de la composition. Il
observe une stylisation des formes, des harmonies de
cherche des débouchés comme les illustrations de cartes
lignes et de couleurs remarquables même s’il continue
postales, alors très à la mode. Peintre de plein air, il
à produire, souvent pour des commandes, des peintures
retient certains éléments de technique élaborés par les
figurant les modes et traditions de la Corse de 1900. ◆ NUAGES SUR LES ÎLES SANGUINAIRES, AJACCIO huile sur panneau, 19 x 25 cm. © Claude Giansily
◆ AU DOS, ETIQUETTE PORTANT LA MENTION « Two Corsican pictures by François Corbellini are also among the exhibits. This well-known artist received the award of the Legion of honor in 1937 ».
◆ RIVAGE aquarelle, dim. n.c. © Jean harixçalde/Le Lazaret Ollandini, musée Marc-Petit
14
François Corbellini (1863-1943),
un artiste de réFérenCe à
ajaCCio
et en
Corse
Le voyage en Algérie Corbellini se rend en Algérie en 1927, attiré comme d’autres artistes de son époque par l’Afrique du Nord, sa lumière, ses sites, ses populations. Parmi les peintres corses ayant séjourné ou voyagé en Afrique du Nord, citons Dominique Frassati qui vit de sa peinture à Oran, de 1923 à 1928, et Canniccioni qui obtient le prix de la Tunisie en 1930 et visite ce pays peu de temps après, peignant Kairouan, Djerba, Menzel et Chenini dont il présente des scènes et paysages aux Salons des Artistes Ci-contre:
Français de 1933 et 1934.
◆ DANS LA CASBAh D’ALGER huile sur toile, dim. n.c.
Les études, dessins, aquarelles et huiles ramenées
rue de la Casbah joyeusement animée et si joliment
par Corbellini à l’occasion de ce séjour montrent sa
colorée que, par la comparaison avec les autres toiles
◆ L’AMIRAUTÉ D’ALGER 14
manière de rendre avec talent la lumière et les types
tirées de la Corse, nous aurons l’intuition nette de
huile sur toile, 73 x 100 cm.
d’Alger. Parmi ces œuvres : L’amirauté d’Alger et Une
l’impression que l’Algérie a exercé sur ce peintre.
rue de la Casbah, qu’il présente en mars 1928 à l’ex-
Autant cette rue de la Casbah est gaie et mouve-
© DR Ci-dessous:
© DR
position organisée par la revue U Laricciu à Marseille
mentée, autant ces paysages et groupes de Corse
dont le programme accepte cette année des œuvres
sont doux au regard et empreints d’une sorte de
non inspirées par la Corse. Carulu Giovoni en fait la
mélancolie pour ainsi dire sous-jacente. On sent que
description suivante dans un article publié peu de
l’artiste est profondément impressionné par cette
temps après dans La Corse Touristique : « Corbellini,
pensée que la fleur insouciance n’a jamais su éclore
le doyen de nos exposants, offre à nos regards une
en Corse. »
Les peintres corses en Afrique du Nord
14. Qui a été présentée lors de l’exposition Corse-Colonies, musée de la Corse, Corte, septembre 2002-février 2003 et reproduite dans le catalogue de l’exposition. 15. Voir pour ces artistes : Giansily, Pierre Claude, Histoire de la peinture en Corse aux xixe et xxe siècles et dictionnaire des peintres, Colonna édition, Ajaccio, juin 2010.
Les Corses sont présents dans toutes les colonies françaises et particulièrement en Algérie où se trouvent près des deux tiers des Corses vivant en Afrique du Nord. Entre 1900-1950, on les trouve dans tous les secteurs d’activité et dans le domaine des arts et de la peinture. Un lien fort existe entre la Corse et l’Algérie, et les échanges sont intenses des deux côtés de la Méditerranée. Les peintres corses installés en Algérie comme Louis-Ferdinand Antoni ou Ignace d’Antony y accompliront de belles carrières : Antoni, professeur à l’école des Beaux-Arts d’Alger, est une figure dominante de la peinture algérienne, et d’Antony, installé à Oran est directeur de l’académie Nessler, dirige l’école municipale des Beaux-Arts. Olynthe Madrigali continue son activité partagée entre la Corse et l’Algérie, exposant en Corse, sur la Côte d’Azur et à Oran. En même temps, ces artistes font partie
de l’élite artistique de la Corse, participant aux manifestations parisiennes et marseillaises ainsi qu’aux manifestations artistiques organisées par leurs compatriotes à Alger, Oran, Casablanca ou Tunis, très actifs par le biais de leurs associations. Ils entretiennent des liens affectifs très forts avec la « petite patrie ». On a aussi une grande diversité dans la production de ces artistes, qui sont plus d’une dizaine en activité entre 1900 et 1940, certains peignant l’Afrique du Nord dans l’esprit orientaliste, d’autres traduisant les mêmes lieux et types avec leur sensibilité propre. Parmi ces peintres d’origine corse : François Acquatella (dit Frac), Alexandre Alfonsi, Vincent Ambrosini, Andreucci, Diane Caviglioli, Félix Calvelli, Maurice Fabiani, Leonetti, Dominique Modesti, Paul Nicolaï, Alice PoliMarchetti et Marie-Dominique Siciliano 15.
15
Corbellini, CaPPoni
et les Peintres d
’ajaCCio : 1890-1960
Le personnage ajaccien
(comme eux, non mobilisés) qui peignent la Corse et font un séjour dans la ville impériale. Corbellini a eu un impact important sur la création picturale à Ajaccio et
Corbellini est sur une période de près de quarante ans
son influence est notable sur des artistes comme Paul
l’un des animateurs de la vie culturelle et artistique
Corizzi, Joseph Viangalli, avec lesquels il entretient des
d’Ajaccio. Il a fait de solides études à Paris, aux Beaux-
relations étroites, ainsi que Bompar, notamment, qui se
arts, à une époque où la capitale européenne de l’art
réfère souvent à lui. Corbellini exercera aussi, pendant
connaissait un bouillonnement d’idées extraordinaire, ce
près de vingt-cinq ans, une activité partielle d’enseigne-
qui a enrichi sa culture artistique et personnelle. Comme
ment dans les écoles d’Ajaccio, à l’École normale de
d’autres artistes installés à Ajaccio, notamment Jean-
jeunes filles et auprès des particuliers. ◆ AJACCIO, LA RUE BONAPARTE
Baptiste Bassoul, il est de ceux dont l’avis sur la peinture,
SOUS LA NEIGE
ses modes et techniques, est recueilli et écouté avec la
Les contemporains de Corbellini vantent son esprit subtil
plus grande considération. Sa fonction de conservateur
et sa riche faculté d’observation. On dit que c’est un bril-
des musées d’Ajaccio, dont le musée Fesch qui a une
lant causeur à la légendaire érudition, qui attire dans son
certaine réputation et ses nombreux écrits sur l’art, font
atelier du 20, cours Napoléon 17 une foule de visiteurs
de lui une référence dans ce domaine. Il est, notamment
qui apprécient son art de converser tout autant que sa
pour ces raisons, en relation avec de nombreuses insti-
peinture. C’est aussi un homme qui aime parler des
tutions et avec des artistes français et étrangers.
artistes et de leur place dans la société. Dans les années trente, notamment après le décès de J.-B. Bassoul qui
Corbellini est une figure ajaccienne également parce que,
intervient en 1934, lui qui était déjà considéré comme le
après 1900, à part quelques rares exceptions, il n’a jamais
« doyen » des peintres corses continuera à assumer son
quitté sa ville. En 1914, il a cinquante et un ans et ne fait
rôle de défenseur des intérêts de la peinture corse.
16
pas la Grande guerre . Au cours de ces quatre années, ils sont quelques-uns comme lui à Ajaccio : Bassoul,
Ses mérites sont reconnus et il reçoit la rosette d’officier
Novellini, Paul Corizzi, qui tentent d’entretenir une certaine
de l’instruction publique, puis, en 1937, quelques années
animation artistique et à rencontrer les rares peintres
avant sa mort, il est décoré de la Légion d’honneur 18.
huile sur toile, 55 x 46 cm © Claude Giansily
16. Parmi les artistes peintres qui sont au front : Canniccioni, Lucien Peri et Dominique Frassati, engagé volontaire. 17. Il habite en face du théâtre SaintGabriel et assiste avec une grande détresse le 4 octobre 1927 à l’incendie qui détruit le vénérable établissement, inauguré en 1830. 18. Distinction rarement accordée aux peintres corses à l’époque (Canniccioni est un de ceux qui se voient accorder cet honneur).
◆ AJACCIO, VIEILLES MAISONS AUx TROIS-MARIE SOUS LA NEIGE huile sur carton, 10 x 17, 5 cm, oeuvre désignée au dos. © Claude Giansily
16
François Corbellini (1863-1943),
un artiste de réFérenCe à
ajaCCio
et en
Corse
parmi quelques anecdotes rapportées au sujet de corbellini...
◆ PORTRAIT DE CORBELLINI par Émile Brod
« Quand il peignait, Corbellini avait horreur de sentir derrière lui les regards indiscrets des badauds fixés sur sa toile. « Mais il racontait volontiers qu’un jour, près de Piana, où il avait dressé son chevalet, il ne cessa d’être dérangé par quelqu’un qui remuait derrière lui. Furieux, l’artiste ajaccien se retourna brusquement. Il vit alors un superbe gendarme, la mine réjouie, les bras croisés, qui lui dit dans un sourire : - Alors, nous tirons la localité ?… »
huile sur bois, 34, 5 x 26 cm. Palais Fesch-musée des beaux-arts © Philippe Jambert
19. Cité dans « Femmes de Corse », janvier 1947, Un peintre corse, Corbellini.
Voici une autre anecdote qui montre la sensibilité de Corbellini, artiste et homme attentif au monde qui l’entoure : « Dans un coin des Calanches, le peintre travaille. Des regards posés sur lui viennent l’interrompre. Il se
Corbellini illustrateur et dessinateur : un ardent promoteur de l’image de la Corse
retourne. Deux jeunes de treize et seize ans sont là. L’aîné ose parler. Ch’avette negl’occhi per ver cosi belle cose ? (Qu’avezvous dans les yeux pour voir d’aussi belles choses ?) Tu u ne verri micca ? (Toi, tu ne les vois pas ?) E veghu ava che lavete messe n’antu a carta (Je les vois maintenant que vous les avez mises sur le papier) Les enfants partent. Emu, Corbellini s’arrête de peindre et repart. Quand sur lui tombe un bouquet de cyclamens ; la jeune fille de tout à l’heure après l’avoir envoyé, s’enfuit. Et le peintre disait :« Ce geste ne pouvait s’adresser à l’homme, au vieillard que j’étais ; il était destiné à l’artiste. Je n’ai jamais connu pareille émotion ; aucune appréciation ne m’a touché autant que celle de cette enfant ignorante et sauvage » 19.
Baptiste Marcaggi « L’Île de Corse », guide du touriste, édité en 1910 par le Syndicat d’Initiative de la Corse. Les dessins de Corbellini et les photographies qui illus-
Par une abondante production « d’images » de toutes
trent ce guide sont typiques des sujets très prisés et
sortes, Corbellini a beaucoup œuvré en faveur de la
considérés à cette époque comme d’un très grand inté-
promotion touristique et culturelle de la Corse. Il réalise,
rêt touristique.
en 1899, les dessins qui permettent l’édition de cartes postales 20 artistiques, parmi les premières du genre, rompant d’une certaine manière avec les habituelles photographies. Corbellini représente Ajaccio « Station 20. Les cartes postales qui permettent d’envoyer un « Souvenir de… », sont le moyen de diffusion des images de la Corse le plus utilisé dès les années 1890. Elles sont également utilisées pour leur publicité par tous les acteurs du tourisme : hôtels, restaurants, commerces, compagnies de transports, etc. Au début, elles reproduisent des photographies de Cardinali, Moretti, Guittard. Après 1900, la concurrence met sur le marché une grande diversité de vues qui sont aujourd’hui de précieux témoignages de cette époque où le tourisme avait une autre dimension. 21. Reproduites dans Lucchini, Paul, Ajaccio, station d’hiver 1868-1916, édition du Journal de la Corse, Ajaccio, septembre 2007, p. 192. 22. Jean-Baptiste Marcaggi (18661933), historien et homme de lettres ajaccien. Il est notamment l’auteur de Bandits corses d’hier et d’aujourd’hui, publié à Ajaccio en 1932.
d’hiver », avec ses dessins et aquarelles La ville d’Ajaccio, vue de la place Miot qui figure notamment des personnages à leurs activités comme les pêcheurs tirant les filets et un homme, le panier sur la tête, allant vendre le poisson ou La ville et le Golfe « vue d’Aspretto », figurant un couple, sans doute des bergers, installé en plein air dans cet endroit isolé 21. Corbellini réalise plus tard le dessin qui illustre la couverture de l’ouvrage de Jean-Baptiste Marcaggi 22 « Un voyage en Corse », guide pratique, édité en 1906 par « L’Île de Beauté », Organe de la Fédération des
◆ DESSINS ExTRAITS DE
Syndicats d’Initiative de la Corse. Il réalise également
GUIDE DU TOURISTE
les dessins qui illustrent un autre ouvrage de Jean-
par Jean-Baptiste Marcaggi
« L’ÎLE DE CORSE »,
Bergère corse.
17
Corbellini, CaPPoni
et les Peintres d
’ajaCCio : 1890-1960
◆ DESSINS ExTRAITS DE « L’ÎLE DE CORSE », GUIDE DU TOURISTE, par Jean-Baptiste Marcaggi de gauche à droite : Paysans corses, Pêcheurs tirant le filet, La tour de Capitello, Berger corse.
Après 1900, le tourisme prend de l’essor, sous de
Autre signe de l’intérêt que présente la Corse pour le
nouvelles formes, et les publications spécialisées occu-
grand public national, figure dans Le Figaro illustré
pent une place grandissante. Parmi les revues éditées
d’octobre 1911, un très long article intitulé « La
en Corse qui touchent un large public en Corse et hors
Corse », rédigé par henry Spont. Celui-ci dresse un
de l’île, on citera Corsica (L’Île de beauté) 23, publiée de
constat réaliste de la situation du tourisme en Corse
1905 à 1914, qui est l’organe officiel de la fédération
par rapport à ses capacités potentielles en notant la
des syndicats d’initiative et Amicales corses. Imprimé
particularité de la Corse et de ses habitants par rapport
dans un petit format, comptant de très nombreux abon-
à d’autres régions touristiques et invite le lecteur à
nés, Corsica ne contient pas d’illustrations, excepté la
une excursion de l’île complète et bien documentée.
couverture reproduisant des aquarelles de Corbellini
Cet article qui vante les beautés de l’île est illustré
qui produit trois sujets au cours des dix ans d’existence
d’une soixantaine de photos, quasiment toutes de
de la publication .
henry Spont, à l’exception de quelques-unes emprun-
24
18
23. Dont le président-fondateur est l’Ajaccien Sylvestre Frasseto, qui militera avec vigueur, sur une longue durée, pour la construction d’hôtels de qualité en différents lieux touristiques de l’île. 24. La revue contient en revanche de nombreux articles de fond sur le tourisme en général, les moyens de transport, les voies de développement de l’hôtellerie et du tourisme et des informations intéressantes regroupées sous l’intitulé Chronique de la quinzaine qui évoque les Corses de l’île, ceux du continent et des colonies ainsi qu’une brève Revue de la presse.
François Corbellini (1863-1943),
un artiste de réFérenCe à
ajaCCio
et en
Corse
tées aux collections de Laurent Cardinali, Simon
(tableau) et Louis Pénicaut (peintre limousin), qui
Damiani, et du cortenais R. Breteau. Des œuvres artis-
donne une aquarelle aux tons légers intitulée Femmes
tiques complètent l’illustration de l’article avec, par
à la fontaine.
François Corbellini, une aquarelle, La Spelunca à Evisa,
25. Il s’agit de deux paysannes d’Alata, reconnaissables à leur chapeau typique, plat et rond. 26. Avec un homme sur un mulet précédé des deux femmes aux longs habits et foulards blancs sur la tête.
et deux dessins inédits : des Paysannes des environs
François Corbellini a aussi réalisé des études à l’encre
d’Ajaccio 25, et un Coin de village corse 26. henry Spont,
pour le Syndicat d’Initiative régional d’Ajaccio et de la
écrit dans cet article à propos de Corbellini : « Ensuite,
Corse qui deviendra l’ESSITAC (syndicat d’initiative et
il y a là-bas un peintre qui a dérobé une à une toutes
touristique d’Ajaccio et de la Corse) à la fin de l’année
les couleurs du ciel et de la mer et les a fixées sur la
1930 et qui est l’organe commun aux syndicats d’ini-
toile avec une fougue si juste, une si sobre maîtrise,
tiative, hôtels, agences de tourisme, et compagnies de
que je n’ose pas après lui me risquer. Le sage et
navigation de Corse, dont le Comte Peraldi est le prési-
enthousiaste Corbellini possède un pinceau magique.
dent, ainsi que pour d’autres organismes. L’ESSITAC
Ses aquarelles, comme celles de Lucien Péri, semblent
réalisera de nombreuses actions de promotion mettant
faites avec des gouttes de lumière… » Les autres illus-
à contribution les photographes corses dont Ange
trations sont dues à deux artistes réputés à Paris :
Tomasi. Corbellini figure également dans de nombreuses
René Ménard (1862-1930), avec un Paysage corse
publications.
◆ 4 VUES DES PRINCIPALES VILLES CORSES Corte, 18 x 13 cm (à vue), porte la mention au dos « Imprimerie moderne, Ajaccio » et le n° 7178 Bastia, 7 x 16 cm (à vue) Calvi, 10 x 19 cm (à vue), datée mai 1916, porte la mention au dos « Imprimerie moderne, Ajaccio » et le n° 426 Ajaccio, 6 x 16 cm (à vue) © Claude Giansily
19
Corbellini, CaPPoni
et les Peintres d
’ajaCCio : 1890-1960
Corbellini est l’un des collaborateurs artistiques de La Corse touristique qui reproduit très souvent ses dessins et aquarelles illustrant parfois des articles des contes ou de brèves histoires comme cela se fait couramment. Un de ses dessins, Maison de Napoléon 1er à Ajaccio, est reproduit en 1933 en première de couverture du numéro de juillet-août de La Corse touristique 27. Il a également fourni l’Annu Corsu qui lui ouvre ses colonnes et reproduit nombre de ses œuvres 28. Corbellini a illustré Fleuve de sang de Jean-Baptiste Marcaggi 29 (édition de 1925), avec des bois, ainsi que Heures corses… et autres, de Jean Makis 30, édité en 1953, avec des dessins, cet ouvrage étant également agrémenté de dessins de Frassati et de bois de Chièze 31. Dans tous les cas, ses travaux sont élaborés avec un très grand soin et son fonds d’atelier, dispersé au cours des trente dernières années, permet de constater la rigueur et la précision qu’il apporte afin que les reproductions de ses dessins soient les meilleures possibles et les mieux adaptés à la commande reçue. modernisme avec leurs contrastes de couleurs et leur Citons encore la création de reliures d’ouvrages de J.B.
aspect décoratif novateur. Les autres affiches 33 repré-
Marcaggi offerts au Président de la République
sentant la Corse au cours de cette période sont dues
Alexandre Millerand lors de sa visite à Ajaccio, le 4 mai
en 1928 aux pinceaux de peintres comme André
1922 32.
Strauss, avec son Evisa, et Adolphe Cossard, qui figure le Col de Bavella. Corbellini a été aussi sollicité pour
De la fin des années 1890 et jusqu’à la fin des années 1930 sont éditées, pour la promotion de l’Île de Beauté, ses attraits et les moyens de transport pour s’y rendre,
réaliser une affiche comme le montre ce projet pour les Calanche de Piana, réalisé sans doute dans le courant des années 1920.
des affiches de belle qualité dont certaines exécutées par des grands noms de la spécialité. Pour les premières affiches, il est fait appel à des artistes comme Ribera, Brun ou Dellepiane, plutôt qu’à des artistes corses. Certains des artistes sollicités vingt ans après connaissent assez peu ce genre qu’ils traitent à la manière de la peinture de chevalet. Il est également fait appel à Roger Broders, affichiste confirmé qui réalise en 1923 deux affiches : Le tour du Cap Corse et Les Calanche de Piana, cette dernière sera d’ailleurs exposée à l’entrée de l’exposition des arts décoratifs de Paris de 1927 et, en 1928, La plage de Calvi qui connaît un grand succès. Les affiches de Broders sur la Corse reflètent un grand
20
Par ses très nombreux travaux d’illustrateur, largement diffusés par la presse, les ouvrages et les guides ou dépliants de toutes sortes, Corbellini est assurément l’un des artistes les plus actifs pour la promotion de l’image de la Corse pendant près d’une quarantaine d’années et jusqu’au milieu des années 1930.
Ci-dessus: ◆ CALANChE DE PIANA Étude pour une affiche, années 1920-1930 © Jean harixçalde/Le Lazaret Ollandinimusée Marc-Petit Ci-contre: ◆ BERGER CORSE aquarelle, 22 x 17, 5 cm. © Claude Giansily
27. Qui mentionne que cette œuvre a été reproduite dans le New York Times Magazine peu de temps auparavant. 28. L’Annu Corsu (ou L’Année Corse) rend hommage Corbellini dans sa livraison de 1939 en évoquant… « le grand artiste qui a bien voulu depuis nos débuts, mettre à notre disposition de nombreux dessins originaux et clichés, tous appréciés de nos lecteurs. » 29. Corbellini est un ami fidèle de Marcaggi. À la célébration de ses obsèques, le 31 janvier 1933, Corbellini tient les cordons du tuyau de poêle avec Campiglia, 1er adjoint, faisant fonctions de maire, Vincent de Peretti, juge de paix et Jean Lanzi, ancien président de la chambre de commerce d’Ajaccio. 30. Jean Makis, de son vrai nom Nicolas de Susini (Sartène, 1883-Ajaccio, 1953) est poète, écrivain, journaliste et parfois auteur polémique. Il fonde « La Nouvelle Corse » (1920-1939) puis « La Dépêche Corse » (1935-1943). Il affiche en 1940 des opinions anti-communistes et tente de montrer dans « La jeune Corse » que confiance peut être faite au Maréchal et à Mussolini, ce qui lui vaudra, pour d’autres raisons et déclarations publiques, d’être arrêté en 1946 pour collaboration puis jugé en 1947 pour être finalement acquitté. 31. Corbellini est contacté par Jean Makis dans le courant des années 1930. il s’agit à l’époque d’un projet de regroupement de différentes œuvres de l’auteur comme Heures Corses, Conférence littéraire en hommage à la mémoire de Francis Lanzi, poète auteur dramatique, ainsi que divers poèmes et œuvres de théâtre comme Le départ, poème dramatique en un acte, La rose de cachemire, drame lyrique en un acte. Dans cet ouvrage préfacé par François Pietri, publié l’année de la mort de Jean Makis, le parti retenu est celui de publier ce recueil avec seulement la première partie contenant les illustrations commandées à l’origine du projet, c’est-à-dire à la fin des années 1930. 32. Reproduites dans Lucchini, Paul, Ajaccio, station d’hiver 1868-1916, op. cit., p. 192. 33. Ces affiches et bien d’autres, anciennes et contemporaines, consacrées à la Corse ont été offertes en 1999 au musée de la Corse par la famille et le groupe Ollandini.
François Corbellini (1863-1943),
un artiste de réFérenCe à
ajaCCio
et en
Corse
Le peintre talentueux, l’aquarelliste réputé ◆ AU MARChÉ, LES VENDEUSES huile sur toile, 18 x 24 cm
Corbellini est surtout connu comme aquarelliste alors même qu’il est un peintre aux grandes qualités tech-
© Claude Giansily
niques. On trouve dans ses peintures à l’huile une robuste composition et une utilisation des couleurs montrant son attachement à la peinture en plein air qui permet de jouer sur les impressions données par la lumière souvent par l’utilisation de couleurs vives. Il traite alors ◆ QUAI D’AJACCIO huile sur toile, 18 x 24 cm © Claude Giansily
les sujets qui lui sont les plus familiers: les vues d’Ajaccio, de Piana et du golfe de Porto, tout proche. Il donne aussi de très émouvantes scènes de la Corse traditionnelle avec notamment des retours des champs où les
34. Sa « Vue de Piana et du Golfe de Porto », peinte en 1934 a été présentée lors de l’exposition « images de la Corse 1850-1950 Collections du musée Fesch et donation François Ollandini » 29 février-15 avril 2008, musée Fesch, Ajaccio. Elle est désormais exposée au palais Fesch, musée des Beaux-Arts d’Ajaccio.
personnages abondent, occasion de donner de nombreux détails vestimentaires 34. Il garde un répertoire limité dans la description de certaines traditions et ne saisit pas ces occasions pour dresser un inventaire des habits des gens qu’il représente.
◆ AJACCIO, LA ROUTE DES SEPT ChAPELLES huile sur toile, 54 x 80 cm © DR
21
Corbellini, CaPPoni
et les Peintres d
’ajaCCio : 1890-1960
◆ AJACCIO, LES PêChEURS, FIN DE JOURNÉE huile sur toile, 42, 5 x 73 cm © Claude Giansily
◆ PêChEURS DANS UNE CRIQUE aquarelle, 33 x 42 cm © Jean harixçalde/Le Lazaret Ollandini-musée Marc-Petit
22
François Corbellini (1863-1943),
un artiste de réFérenCe à
ajaCCio
et en
Corse
Comme aquarelliste, Corbellini est un artiste prolifique
Il peint la vue des oliveraies situées sur les hauteurs de
et sa production était évaluée, en 1955, à près de deux
la ville ou la vue du mont Cacalovo, une constance
mille pièces. Corbellini connaît un grand succès, dès le
dans cette approche chez les peintres ajacciens et les
courant des années 1890, auprès des touristes, surtout
peintres visiteurs de la Corse de passage à Ajaccio.
anglais, qui séjournent à Ajaccio, alors principal centre touristique de l’île en raison de son climat et du souvenir
Comme Bassoul et Peri, il est aussi séduit par des
napoléonien. Par la suite, et après 1916 , les choses
endroits plus intimistes : une petite placette de quartier,
évoluent et parmi ses clients de choix, il y a les officiers
des ruelles étroites bordées de hauts immeubles où
35
de l’escadre, quand celle-ci est au mouillage dans la rade
sèche le linge, des coins du port avec seulement
d’Ajaccio. Ils connaissent sa réputation et viennent lui
quelques bateaux reflétant leurs coques multicolores
acheter aquarelles et peintures. Les touristes de la compa-
sur l’eau.
gnie Paris-Lyon-Méditerranée (P. L. M.) en font de même.
◆ AJACCIO, LES hAUTEURS DE LA VILLE aquarelle, 30 x 44 cm
Les aquarelles de Corbellini sont avant tout empreintes
© DR
d’un grand réalisme et d’une poésie qui nous touche. Corbellini a consacré en grande partie ses sujets au paysage corse dont il savait rendre la variété pittoresque avec un mode toujours séduisant. Dans ce genre, son registre est extrêmement varié : il peint de nombreux aspects d’Ajaccio, de Piana et sa région, il décrit les métiers des gens de la ville et des campagnes de Corse. 35. Après quarante-huit années d’existence, il est mis fin au classement d’Ajaccio « station d’hiver ».
Pour les vues d’Ajaccio, il est très souvent, comme Bassoul et Peri, attiré par les approches panoramiques.
◆ AJACCIO, VUE DES hAUTEURS DE LA VILLE aquarelle, 27 x 41 cm © Claude Giansily
23
Corbellini, CaPPoni
et les Peintres d
’ajaCCio : 1890-1960
Ci-contre : ◆ AJACCIO, PRèS DE LA CAThÉDRALE aquarelle, 32 x 17 cm. © Claude Giansily Ci-dessous: ◆ AJACCIO, PRèS DES QUAIS, LE JOLI BAR aquarelle, dim. n.c. © DR ◆ AJACCIO, LA ChAPELLE SAINTE-LUCIE aquarelle, 21, 5 x 30, 5 cm. © Jean harixçalde/Le Lazaret Ollandinimusée Marc-Petit
24
François Corbellini (1863-1943),
un artiste de réFérenCe à
ajaCCio
et en
Corse
◆ AJACCIO, UN COIN DU PORT aquarelle, 47 x 60 cm © Claude Giansily
Par la multitude de ses vues d’Ajaccio, Corbellini fait
Ajaccio, lors de l’exposition consacrée aux peintres
œuvre à la fois d’ethnographe et d’historien, montrant
d’Ajaccio et de la Corse, au titre desquelles : « La jetée
des objets aujourd’hui disparus et des lieux considéra-
des Capucins », « Le lavoir et A Porta bomba » et « Le
blement transformés. C’est le cas avec de nombreuses
cirque Comeli », qui rappelait des souvenirs aux anciens
œuvres qui ont pu être appréciées en août 1992 à
Ajacciens.
◆ AJACCIO, LA JETÉE DES CAPUCINS aquarelle, 47 x 60 cm © DR
25
Corbellini, CaPPoni
et les Peintres d
’ajaCCio : 1890-1960
26 ◆ PêChEURS DANS LE GOLFE D’AJACCIO aquarelle, 21 x 35 cm. © Jean harixçalde/Le Lazaret Ollandini/musée Marc-Petit
François Corbellini (1863-1943),
un artiste de réFérenCe à
ajaCCio
et en
Corse
27
Corbellini, CaPPoni
et les Peintres d
’ajaCCio : 1890-1960
◆ PêChEURS AU FILET dessin à l’encre, dim. n.c. © Claude Giansily
Ci-dessous: ◆ ÉTUDE DE BARQUE crayon, 21 x 30 cm. © Jean harixçalde/Le Lazaret Ollandinimusée Marc-Petit
◆ RETOUR DE PêChE, CAPO DI FENO aquarelle, 30 x 38 cm. © DR
28
François Corbellini (1863-1943),
36. Comme Lucien Peri, il fait de très nombreuses études de bateaux et barques au crayon, en saisissant toutes les particularités pour les rendre fidèlement dans ses huiles et aquarelles.
un artiste de réFérenCe à
ajaCCio
et en
Corse
Corbellini est également peintre par excellence des
près de leurs petits étals avec peu de produits à vendre,
types locaux : paysans, pêcheurs, habitants d’Ajaccio
souvent à même le sol ou le forgeron, à son ouvrage
et des environs et notamment de la route des
ou sur son lieu de travail. Dans tous ces cas, il montre
Sanguinaires, Barbicaja, Vignola, Capo di Feno, ou, sur
des gens modestes dont on devine l’humilité et la
la rive Sud, Cruciata et d’autres lieux. Il peint les pêcheurs
simplicité. Il ne fait pas le portrait de ces gens mais
sur les quais, sur leurs barques , à leurs différentes
crée une ambiance, subtile, de jeux d’ombres et de
occupations et les petits métiers du marché d’Ajaccio,
lumières, nous donnant à découvrir, par nous-mêmes,
avec les vendeurs et les vendeuses.
qui ils sont et la beauté de leur tâche.
36
Ce que peint Corbellini, avec une attention que l’on devine affectueuse, ce sont des gens de la terre, des campagnes et des montagnes. Ce sont aussi les gens qui vivent près de la mer et qui vivent de la mer : les pêcheurs. Ses tableaux et aquarelles les montrent dans leurs attitudes, au travail. Il les décrit également dans les rues, près des places et monuments d’Ajaccio, le Ci-contre :
berceau de Napoléon Ier, là où ils se retrouvent pour
◆ SCèNE DE RUE À AJACCIO
discuter, échanger leurs opinions, évoquer toutes sortes
aquarelle, 12 x 15, 5 cm. © Jean harixçalde/Le Lazaret Ollandinimusée Marc-Petit
de choses d’un quotidien partagé entre tous, sans barrières. Corbellini représente les vendeuses au marché,
Ci-contre: ◆ AJACCIO, AU MARChÉ COUVERT aquarelle (détail), 25 x 42 cm. © Claude Giansily Ci-dessous: ◆ AJACCIO, AU MARChÉ aquarelle (détail), 17 x 12 cm. © Claude Giansily
29
Corbellini, CaPPoni
et les Peintres d
’ajaCCio : 1890-1960
Ci-dessus : ◆ AJACCIO, ChEz LE FORGERON aquarelle, 27 x 43 cm. © DR
◆ AJACCIO, LA FORGE aquarelle, 29, 5 x 46 cm. © Jean harixçalde/Le Lazaret Ollandinimusée Marc-Petit ◆ PAySANNE À ASPRETTO aquarelle, 24, 5 x 37, 5 cm. © Jean harixçalde/Le Lazaret Ollandinimusée Marc-Petit
Ci-dessous : ◆ À LA CAMPAGNE dessin, 16 x 27 cm. © Claude Giansily
30
François Corbellini (1863-1943),
un artiste de réFérenCe à
ajaCCio
et en
Corse
Corbellini est considéré comme l’un des meilleurs pein-
le peintre corse le plus attentif à cet aspect de la vie
tres animaliers corses. Il est en effet l’un des rares
rurale qui prédomine alors dans l’ensemble de la Corse.
artistes qui aborde ce type de sujet comme un thème d’un intérêt suffisant en soi pour y consacrer dessins et aquarelles alors que d’autres artistes réalisent d’ex-
◆ AJACCIO, LA CITADELLE crayon, env. 20 x 15 cm. © DR
cellentes représentations des animaux au sein de plus larges compositions mettant en scène l’homme et ses 37. C’est le cas notamment de Canniccioni, cf. Giansily, Pierre Claude : Léon Charles Canniccioni, peintre des types et coutumes de la Corse, « Association Le lazaret Ollandini », diffusion, Colonna édition, 2006. 38. Cornu, Paul, « Corse, mère des arts », La Corse touristique et hôtelière, n° 16, septembre 1955.
occupations quotidiennes ou ponctuelles 37. Paul Cornu écrit d’ailleurs au sujet des œuvres de Corbellini 38 : « Son fusain rigoureux et l’arc-en-ciel de sa palette savaient fixer la malicieuse posture des chèvres, la vigueur nerveuse des petits chevaux et des mulets, compagnons inséparables du paysan et du paysage corses » Dans ce genre, Corbellini est, sans conteste,
◆ LES ChèVRES dessin, 26 x 43 cm. © Claude Giansily
Ci-contre: ◆ SCèNE ChAMPêTRE aquarelle, 33 x 50 cm. © DR
31
Corbellini, CaPPoni
et les Peintres d
’ajaCCio : 1890-1960
Ci-contre, de gauche à droite : ◆ ROUTE DE PORTO huile sur toile, 65 x 100 cm. © Claude Giansily ◆ PIANA ET LE GOLFE DE PORTO aquarelle, 28 x 38 cm. © DR
Comme peintre paysagiste, Corbellini n’a pas beau-
massifs montagneux du centre de l’île, souvent au
coup parcouru les régions de Corse, contrairement à
prix de laborieux périples et parfois à pied, sur des
Bassoul qui, pour des raisons professionnelles ou pour
sentiers escarpés. Corbellini, un peu à l’instar de
ses loisirs, à peint de nombreux lieux : Bastia, Bonifacio,
Canniccioni et d’autres artistes comme Brod, Paul
Calvi, Girolata, Ota, Corte, Occhiatana, Casanova,
Corizzi et Viangalli, a restreint son périmètre géogra-
Riventosa, Bisinchi. Autre peintre qui a planté son
phique et si celui-ci est réduit, il est en revanche très
chevalet dans une multitude d’endroits : Lucien Peri,
étendu par ses sujets et un répertoire toujours varié
n’hésitant pas à s’aventurer dans les endroits les plus
et renouvelé. Parmi quelques villes et villages qu’il a
sauvages du littoral corse où vers les sommets des
peints : Bastia, Nonza, Bastelica, Bonifacio.
Ci-contre, de haut en bas et de gauche à droite : ◆ LES CALANChES, COUChER DE SOLEIL huile sur toile, 19 x 26 cm. © Claude Giansily ◆ FORêT DE zIPITOLI, BASTELICA huile sur panneau, 18 x 24 cm. © Claude Giansily
◆ NONzA aquarelle, 38 x 27 cm. © Claude Giansily
32
François Corbellini (1863-1943),
un artiste de réFérenCe à
ajaCCio
et en
Corse
La production de Corbellini comme celle des autres
habitants de l’île. Toutes ces œuvres nous donnent l’oc-
artistes corses de son temps, aux tempéraments divers
casion de constater combien notre société a évolué,
et aux approches esthétiques différentes, est une des
sur une période assez courte, à la fois vers un moder-
facettes du témoignage de notre passé socio-culturel
nisme imposé par les progrès techniques mais aussi
et d’une diversité qui en faisait le charme, alors même
dans les mentalités, en modifiant certaines de nos tradi-
que la rudesse de la vie était le sort de la majorité des
tions parmi les plus anciennes.
◆ BASTIA, POSTA VECChIA aquarelle, 29 x 38 cm. © Jean harixçalde/Le Lazaret Ollandini-musée Marc-Petit
33
Corbellini, CaPPoni
et les Peintres d
’ajaCCio : 1890-1960
Le conservateur des musées d’Ajaccio
lesquelles l’art rétrospectif d’une région, où la production de ses artistes contemporains sont mis en lumière. Cependant, le Musée Fesch, qui par le nombre, la qualité
C’est en 1920 que Corbellini succède à François Peraldi
et le choix des œuvres anciennes, peut sans contester
qui a occupé bénévolement la fonction de conservateur
(sic) se classer parmi les plus intéressant de province,
des musées d’Ajaccio à partir de 1874. Au cours des
notre Musée, depuis sa fondation par le Cardinal Fesch
années vingt, le musée Fesch connaît une augmentation
est resté figé jusqu’à ce jour figé dans son magnifique
de sa fréquentation due au nombre croissant de
isolement, sans contact avec le milieu, presque sans
touristes, enregistrés en Corse 39. Corbellini dispose de
aucun lien avec l’art moderne. « Sans doute, on ne saurait
peu de moyens pour le fonctionnement de l’établisse-
prétendre évoquer ici un art insulaire. […] Mais, si tard
ment, qui est réputé pour ses collections des écoles
venus qu’ils soient dans la famille des arts, des Corses
italiennes, flamandes, françaises, espagnoles et, c’est
aujourd’hui, conscients de leur sensibilité révèlent une
par ses travaux et publications, qu’il s’attache à valoriser
ardeur pleine d’ambitieux espoirs. Déjà dans des expo-
les collections de ce musée et du musée napoléonien
sitions, les concours, des talents se manifestent s’affirment
de l’hôtel de Ville.
chaque jour plus nombreux. »
Dans différentes éditions du « Guide bleu Corse », la
Corbellini appelle les artistes auxquels il s’adresse à faire
partie musée Fesch est rédigée par lui, avec une grande
le don d’une œuvre, annonce la création d’une salle
précision et une manière très détaillée. Corbellini est
réservée à l’exposition des œuvres données, cite les
aussi l’un des collaborateurs de la revue KyRNOS 40 qui
artistes figurant déjà au musée à la suite de donations
publie, dans le deuxième numéro de juillet-septem-
et, en conclusion, indique :
bre 1925, « Le cardinal Fesch, collectionneur d’œuvres
« Dans le cadre du Musée, les œuvres des artistes insu-
d’art ». Corbellini est également l’auteur de divers arti-
laires constitueront désormais une sorte de manifestation
cles sur les œuvres d’arts du musée Fesch, et d’un arti-
permanente de l’activité et de la caractéristique de leur
cle : « Études sur l’œuvre de Delacroix se trouvant à la
talent, dont l’absence presque totale de représentation
cathédrale d’Ajaccio », publié dans La Corse touristique
au Musée est faite pour surprendre. Elles formeront
de décembre 1928.
progressivement, avec les œuvres anciennes, un ensemble qui en renouvellera l’attrait et retiendra l’attention des
Dans le même temps, il constate la faiblesse des collec-
3 000 visiteurs que le Musée reçoit annuellement, la
tions de la peinture corse contemporaine dans les collec-
plupart étrangers attirés dans l’Île par ses beautés natu-
tions du musée qui compte pourtant un fonds de qualité
relles et des souvenirs illustres.
résultant de donations et de dépôts de l’État réalisés
« Le geste généreux des artistes Corses aura une double
entre 1866 et 1926 41. Dans une lettre du 16 mars
signification. hommage de leur attachement à la terre
1928 au titre évocateur : « Pour un groupement au
natale, il témoignera de leur désir de contribuer à l’ini-
musée d’Ajaccio, d’œuvres d’artistes corses », il appelle
tiation du sens de la beauté, et du développement des
de ses vœux la constitution d’un fonds corse par dona-
facultés artistiques de leurs compatriotes. »
tion des artistes vivants. Cette lettre
42
est adressée à
Dionisi, (Premier Grand prix de Rome en 1923), et à
Cet appel à la générosité des artistes ne semble pas
d’autres artistes dont on ne connaît pas les noms.
avoir été entendu ni suivi d’effets immédiats. Ainsi, au début de 1932, lorsque le musée rouvre après quelques
Corbellini écrit notamment: […] « A ce moment, partout
34
semaines de fermeture pour cause de travaux, l’accent
en province, par la seule générosité du patriotisme local
est mis sur la nature des collections. La revue La Corse
se créent ou s’enrichissent des collections publiques dans
touristique qui se fait le porte-parole du conservateur
39. À la fin des années 1890 près d’un millier de personnes passent l’hiver à Ajaccio. En 1925, le nombre de touristes est évalué à 10 000 pour la Corse et, en 1950, la compagnie générale transatlantique transporte 40 000 personnes et les différents services aériens 10 000. En 1960, ce sont près de 100 000 touristes qui viennent en Corse. 40. Dont le premier numéro est publié en avril-juin 1925. Revue éphémère pour laquelle Corbellini donne article et dessins. 41. Voir à ce sujet : Costamagna, Philippe, « Des premiers dépôts de l’Etat à la donation Ollandini : la formation du département des peintures corses du Palais Fesch, musée des Beaux-Arts d’Ajaccio », dans Giansily, Pierre Claude et Perfettini, Philippe, Les peintures corses, catalogue raisonné des collections du Palais Fesch, musée des Beaux-Arts d’Ajaccio, décembre 2009, Silvana editoriale, Milan. 42. Reproduite dans son intégralité en annexe. (voir pages 111-112 du présent catalogue).
François Corbellini (1863-1943),
un artiste de réFérenCe à
ajaCCio
et en
Corse
signale à ce sujet : « Il y a cependant, pénurie d’œuvres
bre 1938, comme conservateur des musées d’Ajaccio.
modernes. Nous nous permettons à ce propos, de faire
Ce triptyque intitulé de la main de l’artiste sur le châssis
appel aux représentants élus de la Corse, dont l’inter-
« En Corse vers 1900 » est une synthèse de la meilleure
vention auprès de l’administration des beaux-arts pourrait
production de Corbellini. Il a été réalisé selon toute
provoquer des envois fort désirables. » Il faudra attendre
vraisemblance au milieu des années 1930. Les différents
le début des années 1950 pour constater des donations
éléments de cette scène se déroulent sans doute à
d’œuvres répondant à l’esprit de cette démarche initiée
Piana, village qui a souvent servi de cadre à ce type de
43
par Corbellini en 1928 .
compositions. On appréciera la qualité des descriptions des personnages, de leurs attitudes et de leurs vête-
On lui doit également une très intéressante réflexion,
ments : les hommes avec leurs habits de travail aux
« Sur un art corse », contenue dans L’Île, nouvelle série,
tissus grossiers ; les femmes avec des habits colorés.
janvier-mars 1937 qui, de façon très structurée et détail-
Par cette composition, Corbellini rejoint les préoccu-
lée, tente de montrer les conditions du développement
pations de Canniccioni qui montre au même moment
de l’art en Corse, notamment dans un passé récent.
des images de la Corse du début du siècle 45. Cette
Le texte intégral de cette production figure en annexe
œuvre a été offerte à la ville d’Ajaccio par
du présent ouvrage.
Mme Marcangeli en 1968. Elle est présentée au département des peintures corses du Palais Fesch, musée
Depuis juin 1936, François Corbellini a l’occasion de
des Beaux-Arts d’Ajaccio.
travailler avec Dominique Frassati qui a été nommé
43. C’est en 1948 que Jean Leblanc, est nommé à Ajaccio par la direction des musées de France. Il est chargé de l’organisation des musées en Corse. Sa première tâche est consacrée à la réorganisation du musée Fesch d’Ajaccio. En 1952, il crée le musée d’ethnographie corse de Bastia dont les collections sont installées dans de nouveaux locaux. En 1954, il procède à une nouvelle organisation du musée Pascal Paoli à Morosaglia et en 1955, à la création d’un musée d’histoire corse à Corte. Chef de la mission permanente de recherche scientifique en Corse de 1952 à 1957, il organise, avec des moyens limités, un réseau visant à promouvoir une plus large connaissance des richesses artistiques de la Corse. Dans le même temps, et grâce à ses relations avec certains artistes, il veille à l’augmentation des collections du musée Fesch et réceptionne de nombreux dons. 44. Voir Giansily, Pierre Claude : La peinture à Ajaccio : 1890-1950 : Bassoul, Canavaggio, Frassati, « Association Le lazaret Ollandini », diffusion, Colonna édition, Ajaccio, 2008. 45. C’est avec soixante-sept fusains de cette veine que Canniccioni illustre l’ouvrage de Pierre Dominique, La Corse, types et coutumes publié en 1935 qui rejoint la grande tradition des écrits sur la Corse, terre de mystères aux charmes nombreux et originaux qui remonte à la fin du xVIIIe siècle qui a donné nombre de récits, romans, et images de la Corse et de ses habitants.
conservateur adjoint du musée Fesch d’Ajaccio ; les
Par le hasard des circonstances, c’est avec ce triptyque
deux hommes ont de nombreuses affinités, puisque
et le tableau intitulé « Vue de Piana et du golfe de
Frassati est déjà un peintre confirmé 44. Quelques mois
Porto », provenant de la donation Marie-Jeanne et
plus tard, Corbellini quitte ses fonctions de conservateur
François Ollandini, que Corbellini est aujourd’hui repré-
permettant la nomination en janvier 1937 de Frassati
senté dans le musée auquel il s’était tant attaché et
comme conservateur du musée Fesch, puis, en septem-
consacré de si nombreuses années de sa vie.
◆ VUE DE PIANA ET DU GOLFE DE PORTO 1934, huile sur toile, 40 x 146 cm
© Palais Fesch-musée des Beaux-Arts d’Ajaccio/Jean-François Paccosi
35
Corbellini, CaPPoni
et les Peintres d
’ajaCCio : 1890-1960
Corbellini passe les dernières années de sa vie dans un
sont pratiquées depuis quelques décennies dans d’au-
certain désarroi. Ce sont les années de la guerre au
tres régions françaises.
cours de laquelle certains artistes disparaissent, comme Jean Canavaggio, à Ajaccio, en mars 1941. Corbellini
Corbellini aura été, avec Lucien Peri et Canniccioni, l’un
vit à Piana, ce village qu’il a tant aimé et tant peint, où
des principaux producteurs des images icônes de la
il s’était retiré depuis quelques années, un peu à l’écart
Corse au moment où l’île de Beauté s’affirmait comme
des soucis que connaissaient les habitants d’Ajaccio 46
une destination touristique de plus en plus prisée. Il est
et de Bastia, notamment. Les événements vont s’ac-
aussi un des peintres corses qui représente le mieux ce
célérer avec la libération d’Ajaccio, le 9 septembre
courant d’un réalisme régional fondé sur les valeurs
1943, et le 4 octobre, de toute la Corse qui devient
traditionnelles. Ces peintres qui ont montré par leur
ainsi le premier département français libéré. Les hommes
travail une vision originale et authentique de la Corse
et les artistes ne sont pas épargnés par les soucis d’un
que tant d’autres peintres avaient des difficultés à
quotidien qui demande beaucoup d’énergie et d’espoir
comprendre et à interpréter avec une justesse mesurée.
en de meilleurs lendemains.
46. Malgré les circonstances, les artistes se soutiennent entre eux. Certains décident d’agir et prennent diverses initiatives, comme en mars 1941 avec la constitution du Centre Artistique Ajaccien (CAA) dont le président est Dominique Frassati, le viceprésident Jérôme Casalonga, avec le concours actif de François Bassoul, Dominique Antonioli et Jean Silvy. L’atelier fonctionne jusqu’à fin 1943 avec une trentaine d’élèves assidus ce qui est considérable à cette époque. La galerie Bassoul ferme ses portes pendant plusieurs mois en 1944-1945. 47. Jean-Baptiste Bassoul confie l’entreprise à son fils aîné Philippe (19091983) en 1930. Il meurt le 2 juin 1934. Philippe Bassoul est alors rejoint par son frère François (1913-2001), qui était étudiant à l’école des Arts décoratifs de Tours. Les deux frères gèrent ensemble l’entreprise de peinture en bâtiment et la galerie. Une des dernières œuvres de Corbellini: ◆ LE PORT D’AJACCIO, 1941
C’est à Piana que François Corbellini est décédé, le 1er novembre 1943. Après cette année 1943 riche en événements de toute nature, la vie reprend très progressivement son cours normal et les Ajacciens cherchent à trouver un nouveau rythme. Sous l’impulsion de François Bassoul, l’un des fils de J.-B. Bassoul 47, la galerie du cours Grandval prend dès l’automne 1945 une nouvelle ampleur avec l’organisation et l’enchaînement d’expositions de peintres ajacciens des années 1900-1940 et d’artistes contemporains. En décembre 1946, François Bassoul présente au public ajaccien une exposition rétrospective de l’œuvre de Corbellini, chaleureusement saluée par toute la presse insulaire. Sa place parmi les grands artistes corses est alors rappelée en des termes élogieux. Peintre et aquarelliste prolifique, omniprésent sur la scène artistique corse sur une période d’une quarantaine d’années, la notoriété de Corbellini n’est pas limitée à Ajaccio et à la Corse, il est connu et apprécié à Paris, Marseille. Il fait partie de ces artistes qui ont marqué la transition avec les peintres du xIxe en participant avec vigueur à la création d’un certain réalisme corse, sans fard et sans faux-semblant. Ces artistes ont participé au grand mouvement d’expression culturelle et artistique basé essentiellement sur une prise de conscience des valeurs corses et leur diffusion. Ils arrivent à conjuguer les approches naturalistes et réalistes qui
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huile sur toile, 81 x 65 cm. © Claude Giansily
première partie
Jacques-Martin Capponi
Corbellini, CaPPoni
et les Peintres d
◆ PhOTO DE L’ARTISTE, EN 1930 (à gauche) ◆ DEUx ÉTUDES (à droite) pastel sur papier, 10, 7 x 8, 3 cm. © Claude Giansily
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’ajaCCio : 1890-1960
jaCques-martin CaPPoni (1865-1936),
Peintre symboliste et théoriCien
Jacques-martin capponi (1865-1936) peintre symboliste et théoricien
J
acques-Martin Capponi est un peintre de la géné-
à Ajaccio et, par le regard que l’on peut poser à pré-
ration des artistes nés dans les années 1860-1870,
sent sur son travail, on perçoit combien cet aspect est
comme Corbellini, Bassoul et Canniccioni, qui ont
intéressant pour notre connaissance de quelques-unes
adopté une démarche innovante par le choix de leurs thèmes, en relation avec la réalité quotidienne qu’ils abordent avec authenticité pour en figurer avec réalisme les valeurs et par un traitement pictural montrant une nouvelle image de l’art corse. Ils seront accompagnés dans ce vaste mouvement par de plus jeunes artistes qui donneront ainsi un large aperçu des talents artistiques du moment, comme Lucien Peri et Jean Canavaggio à partir des années 1920, puis, Dominique Frassati dans FEMME À LA ROSE ◆
des personnalités de la ville de la fin du du début du
xxe
xIxe
siècle et
siècle. Par son action en faveur de l’art
à Ajaccio à la tête de l’école municipale de dessin et par la remarquable qualité de son travail, il a amplement participé à cet effort qui visait à démontrer, dans le courant des années 1920, la capacité de la Corse à produire des artistes de haut niveau, idée fortement défendue par Corbellini notamment.
les années 1930-1940.
huile sur panneau, 18 x 22 cm (avec cadre 22, 5 x 27 cm). © Jean harixçalde/Le Lazaret Ollandinimusée Marc-Petit
La formation de Capponi à Paris, où il reçoit l’enseignement de grands maîtres aux compétences reconnues mais peu ouverts aux nouvelles tendances de la peinture, va influencer son style et sa carrière. Pour cette raison, Capponi se démarque des autres peintres en ce qu’il accorde un fort intérêt pour les sujets religieux et historiques, délaissant les sujets traités par ses amis ajacciens ; il apparaît aussi comme un des rares peintres
1. Avec le peintre Joseph Viangalli évoqué dans le présent ouvrage.
symbolistes corses 1 de la première moitié du xxe siècle. Capponi a été également un peintre portraitiste réputé
39
C
ette exposition fait une place d’honneur à deux personnalités : François Corbellini (1863-1943) et Jacques-Martin Capponi (1865-1936). Corbellini, artiste de référence et conservateur des musées de la ville d’Ajaccio a été avec Bassoul la principale figure de cette Ecole. C’est l’importance et la variété de son travail pictural, notamment en relation avec les touristes étrangers séjournant à « Ajaccio station d’hiver » de la fin du xIxe siècle puis avec la nouvelle clientèle touristique de l’île de Beauté des années 1920-1930 qui est mise en avant, ainsi que ses efforts pour la reconnaissance et la défense d’un art corse.
r u s e nt e v la à e m l o b i c . n i po landin s i d l e o u t g e r lo a a z t a a l . C www À côté de Corbellini et de ses nombreux amis peintres, Capponi, un bel artiste dont on découvre toute la place qui lui revient depuis quelques années seulement. Ce peintre de grand talent, adepte des valeurs du symbolisme et fervent théoricien, prendra, peu après 1905, des positions tranchées sur l’art se coupant alors de ses amis peintres ajacciens. Le grand bonheur de la découverte d’une malle dans un grenier d’une maison de village, chez des proches de l’artiste et de son épouse, contenant une large partie de son fonds d’atelier et une somme importante de ses travaux de recherche sur la technique des couleurs permet aujourd’hui de mieux parler de sa passion pour la peinture et de sa personnalité.
On évoquera aussi quelques-uns des amis de Corbellini, des peintres aux destins originaux comme Emile Brod (18821974), peintre et musicien, qui par la longueur de sa carrière, fait le lien avec la nouvelle génération de peintres ajacciens des années 1950-1970 et Joseph Viangalli (1876-1962), artiste ajaccien peu connu jusqu’à présent, très bon technicien, qui a produit une peinture originale par la variété et le choix de ses sujets ainsi que de leur traitement, rappelant parfois les peintres Nabis…
30 € isbn 978-2-915922-43-1 Distribution: Colonna Édition En couverture, de gauche à droite: ◆ CORBELLINI: PêChEURS DANS LE GOLFE D’AJACCIO, (détail) ◆ CAPPONI: PORTRAIT DE CORBELLINI ◆ CAPPONI: FEMME À LA ROSE, (détail)
ce catalogue a été édité par l’« Association le lazaret Ollandinimusée Marc-Petit » avec l’aide financière de la Collectivité territoriale de Corse.