LE PLUS ANCIEN JOURNAL ANTIRACISTE DU MONDE
n° 652 / octobre 2014 / Prix de vente : 8 €
ENTREPRISES…
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DISCRIMINATIONS, DISCOURS ET RÉALITÉ POUR LA PAIX ICI, MAINTENANT…
LES MINISTÈRES SONT “LOIN D’ÊTRE EXEMPLAIRES” !
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LIVRE : 100 MOTS POUR SE COMPRENDRE
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ÉDITO
ALAIN JAKUBOWICZ | Président de la Licra
Pour un Grenelle de la fraternité ous n’avions pas besoin des statistiques alliance » de l’extrême droite et de l’extrême pour le savoir. Les chiffres n’en font pas gauche quand il s’agit de taper sur les juifs. Des moins froid dans le dos. Les actes antisé- « Juif, la France n’est pas à toi » de la manifesmites ont augmenté de 91 % au cours des sept tation « Jour de colère », aux « Mort aux juifs » premiers mois de l’année. Ces actes ne sont pas des manifestations parisiennes contre Israël, c’est seulement plus nombreux, ils sont aussi plus vio- du même antisémitisme qu’il s’agit. Et ce sont lents. Le problème avec les chiffres, c’est qu’ils bien souvent les mêmes manifestants. sont froids, désincarnés, déshumanisés. Plus ils 2) Nous avons, il faut en convenir, largement sont élevés, plus ils éloignent de la réalité de sous-estimé la pénétration du discours antisémite dans ce qu’il est convenu d’appeler « les quarceux dont ils sont censés parler. Derrière les 527 actes de violence antisémite tiers ». Si les événements de Gaza en constituent recensés entre le 1er janvier et le 31 juillet 2014, le prétexte, le mal est incontestablement plus il y a 527 noms, 527 visages, 527 lieux, 527 his- profond. Force est de constater que c’est toute toires, 527 humiliations, 527 souffrances. Les l’idéologie de l’extrême droite antisémite la plus victimes n’ont en commun que ce qui les désigne virulente qui est aujourd’hui distillée auprès d’une jeunesse désœuvrée, à qui on désigne les juifs – le fait d’être juives ou présumées telles. Si les statistiques sont impuissantes à traiter les comme les responsables des malheurs du monde. conséquences, elles aident à analyser les causes. 3) Si les événements qui se sont produits sont d’une gravité sans égale, Ainsi confirment-elles la on ne peut, comme cerflambée des actes anti« Les pires criminels tains l’ont fait, les compasémites en janvier, au rer à la nuit de Cristal moment de l’affaire ne sont pas toujours ou parler de pogroms. Dieudonné M’Bala et de ceux qui se salissent On ne peut pas non plus la manifestation « Jour en conclure que la France de colère », puis en juilles mains… » est antisémite. Même si let, dans la foulée des on peut regretter l’abmanifestations pro-Gaza. Le lien entre les paroles et les actes, que nous sence de réaction de la société française dans son dénonçons depuis des années, est ici clairement ensemble, la condamnation a été unanime et établi, et avec lui la responsabilité de ceux qui ferme, tant de la part des médias que de la classe distillent la haine. Il n’est pas surprenant que les politique et du gouvernement. violentes diatribes antisémites d’un ex-comique 4) Face à cette situation, chacun doit prendre ses adulé dans les quartiers, d’un idéologue natio- responsabilités. Et la première responsabilité est nal-socialiste manifestement « dérangé » et d’une d’établir clairement d’où vient le mal, pour le poignée d’activistes islamistes fondamentalistes combattre sans concession. Il ne s’agit pas de jeter l’anathème sur telle ou telle communauté, suscitent des « vocations »... Si les auteurs des faits qui se sont produits cet mais d’analyser pourquoi et comment nous en été doivent être poursuivis, jugés et condamnés, sommes arrivés là. ceux qui les excitent et les incitent doivent être Cela sera long et difficile, mais notre pays ne mis hors d’état de nuire. Les pires criminels ne manque ni de compétences, ni de bonnes volontés. sont pas toujours ceux qui se salissent les mains… J’appelle pour cela à un « Grenelle de la FraterAu-delà de ces constats, les événements de ces nité », réunissant les acteurs politiques, sociaux derniers mois nous livrent quelques enseignements. et associatifs. 1) Ils confirment en premier lieu la « sainte C’est de l’avenir de la France dont il s’agit.
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LA LICRA | LE DROIT DE VIVRE N° 652 | OCTOBRE 2014 • Fondateur : Bernard Lecache • Directeur de la publication : Alain Jakubowicz. • Directeur délégué : Roger Benguigui • Rédacteur en chef : Antoine Spire • Comité de rédaction : Sarah Alcalay, Delphine Auffret, Alain Barbanel, Karen Benchetrit, Maria Giuseppina Bruna, Michèle Colomes, Alain David, Rémi Dreyfus, Georges Dupuy, Jean-Marc Eskenazi, Marina Lemaire, Alain Lewkowicz, Justine Mattioli, Déborah Piekarz, Mano Siri, Abel Sorkine. • Coordinatrice rédaction : Mad Jaegge. • Éditeur photo : Guillaume Vieira. • Abonnements : Patricia Fitoussi. • Maquette et réalisation : Sitbon & associés Tél. : 04 37 85 11 22. • Société éditrice : Le Droit de vivre 42, rue du Louvre, 75001 Paris Tél. : 01 45 08 08 08 E-mail : ddv@licra.org • Imprimeur : Riccobono Offset Presse 115, chemin des Valettes, 83490 Le Muy • Régie publicitaire : OPAS Hubert Bismuth 41, rue Saint-Sébastien, 75001 Paris Tél. : 01 49 29 11 00 Les propos tenus dans les tribunes et interviews ne sauraient engager la responsabilité du « Droit de vivre » et de la Licra. Tous droits de reproduction réservés - ISSN 09992774 - CPPAP : 1115G83868
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LE MOT
ANTOINE SPIRE | Rédacteur en chef
En suivant notre chemin ’été français fut chaud ! Les retombées de dans les cortèges pro-palestiniens, signifiant que la la guerre de Gaza ont enflammé les conscien- démocratie égalitaire, sociale, n’existe que pour les ces, et certains d’entre nous, affolés par les juifs, tandis que d’autres connaissent la mise à débordements violents des manifestations pro- l’écart et la stigmatisation. Le pouvoir politique ne palestiennes, affirment bien rapidement que la s’occuperait que d’une partie des Français, ignorant France s’est laissée aller à un antisémitisme agressif. les habitants des périphéries, marqués par la relégation Qui sont ces hommes et ces femmes de gauche et le chômage. Là encore, l’antisémitisme se taille qui, depuis quelques années, n’ont pas répugné à la part du lion. C’est de cela qu’il sera question lors défiler aux côtés des islamistes ? Ils ont toujours de notre université d’automne au Havre. affirmé que la religion était « l’opium du peuple », Pour autant, nous avons maintenu notre dossier alors que leurs alliés exhibent la leur, souvent consacré au racisme en entreprise. Ce fléau frappe transformée en dogme. Ils sont pour l’égalité au quotidien de nombreux Français, et l’affirmation hommes-femmes, pour la liberté sexuelle, qui du respect de la diversité cache la souffrance de font horreur aux islamistes ; ils défendaient les ceux qui ne sont pas promus, pour ne pas parler droits de l’homme, la culture et la démocratie, de ceux qui ne sont pas embauchés parce que non conformes à l’image alors que leurs alliés stéréotypée, et fausse, du les considèrent comme de vieilles lunes occi« Un droit à l’indifférence Français blanc et cathodentales. Comment des de son collectif de travail ? » lique. Mais le racisme fleurit avocats déterminés de la aussi entre collègues, laïcité peuvent-ils soutenir ces partisans d’un islam conquérant, opposé pourrissant la vie de nombre de nos concitoyens. à tout ce qui n’est pas lui ? Il faut le dire : la Face à la montée des communautarismes, une haine d’Israël aveugle ces anciens révolutionnaires écrasante majorité de salariés souhaite pourtant « avoir la paix » avec ses collègues sur les quesque l’antisémitisme islamiste ne gêne pas. Cette situation a provoqué chez certains juifs tions religieuses et ethniques, qui font souvent français un sentiment de peur compréhensible. surréagir en France. Pourtant, la France et ses institutions n’ont pas Selon le rapport de l’Observatoire du fait religieux tremblé face aux conséquences françaises du en entreprise, présenté en mai dernier à l’Assemblée conflit. Le gouvernement s’est employé à défendre nationale, la religion n’est pas taboue dans le avec résolution la sécurité de tous, et les débor- monde du travail. Le fait religieux ne suscite pas dements antisémites de l’été ont été sanctionnés d’hostilité lorsqu’il correspond à une pratique personnelle non imposée aux autres, et qu’il n’inpar la justice avec mesure mais rigueur. Cependant, la gestion du conflit en France a exacerbé terfère pas avec la réalisation du travail. le sentiment de « deux poids deux mesures » des Chacun n’est-il pas légitime à exiger un droit à quartiers populaires. Le mot « demi-cratie » est né l’indifférence de son collectif de travail ?
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SOMMAIRE | LE DROIT DE VIVRE ÉDITORIAL | p. 3 par Alain Jakubowicz LE MOT | p. 5 par Antoine Spire ACTUALITÉS | p. 6 à 11 • Enfin vint le moment de ce rassemblement républicain : pour la paix ici, maintenant… • Bien sûr... • Un été français • Le spectre de Sangatte de retour à Calais… DOSSIER Entreprises | p. 13 à 26 Pour une vraie diversité
UNIVERSITÉ D’AUTOMNE | p. 27 à 30 « Stop aux communautarismes ! Pour l’universalité des droits de l’homme » MÉMOIRE | p. 32-33 • 1939-2014 : la terrible leçon du Camp des Milles INTERNATIONAL | p. 34 à 37 • Les énigmes du Rwanda, vingt ans après • “Le génocide subi par les Tutsis : les fantasmes, les faits” • Juifs séfarades : l’an prochain à Cordoue ? CHRONIQUE DE LA HAINE | p. 38 • L’affaire Baby Loup • L’affaire Vikernes
SPORT | p. 39 • La fête du foot a aussi nourri un été pourri CULTURE | p. 40 à 48 LIVRES / • 100 mots-clefs du nouveau lexique citoyen • Un blues âpre comme une Gitane • L’enfance revisitée de Riad Sattouf • Il y a un siècle tombait Péguy • Charlotte Salomon retrouvée FESTIVALS / • Rire et rêve andalou à Ramatuelle-sur-l’Oued • Coups de théâtre pour la Licra en Avignon
EXPOSITION / • Le secret des fresques de la Sixtine VIE DES SECTIONS | p. 49 à 52 PORTRAIT / • Nouvelle vague militante à la Licra ! VIE DES SECTIONS / • Licra Paris : des élections mi-octobre, enfin… • Zohra Bitan déconstruit les mythes • Tweeter ou Geek antiraciste, “Pousse Ton Cri“ sur la Toile COURRIER | p. 53 à 54
ACTUALITÉS
Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°652 | octobre 2014 | 6
Enfin vint le moment de ce rassemblement républicain : pour la paix ici, maintenant… Le dimanche 3 août 2014, à Paris, à l’appel individuel de Celena, puis de SOS Racisme, de « La Paix maintenant ! », etc., et de la Licra – puisque j’y étais…(1) –, s’organisa une première riposte aux débordements antisémites et racistes auxquels avait donné prétexte la compassion pour les Palestiniens, voire une prétendue « défense » d’Israël...
© Pierre Andrieu / AFP
Rassemblement républicain pour la paix, dimanche 3 août 2014 à Paris, devant l’église Saint-Germain-l’Auxerrois. >
n dépit de la date improbable, du caractère delà de la compassion pour les Palestiniens ou de précipité de l’annonce, nous étions à vue la solidarité avec Israël, c’est la réalité d’un antade nez dans les 500 ce dimanche 3 août gonisme qui illustrait, dans les manifestations, 2014, 14 heures, sur la place du Louvre, à Paris. surtout, une détestation implicite (et parfois explicite) Ce n’est pas beaucoup, sans doute, au regard des où n’étaient absents ni l’antisémitisme, ni le 20 000 dont s’est réclamée la précédente mani- racisme. D’où le message de fraternité républicaine qu’elle voulait faire surfestation pour la Palesgir : « Nous sommes en tine. Néanmoins ce n’est Un mot d’ordre, fraternel France, et la France, c’est pas rien, et c’est prometla possibilité de coexister teur pour la suite. Tout et républicain : dans nos différences et comme l’autre rassem« juifs et musulmans, dans nos désaccords. » blement dijonnais du Au-delà de ce premier mercredi 30 juillet, l’inimain dans la main ! » discours on réclama une tiative en revint à des in« Marseillaise », entondividus – principalement une jeune fille, Celena, mobilisant par réseaux née tant bien que mal par la foule. Puis ce fut le sociaux interposés et trouvant immédiatement tour de Dominique Sopo, qui insista sur la l’oreille et l’appui moral d’associations – SOS nécessité de ne pas céder au climat de haine antiracisme, la Licra, l’UEJF, d’autres encore, comme sémite qui s’était développé tout au long du mois « La paix maintenant » France, etc. : cela sur le de juillet, et de ne pas avoir peur de faire valoir thème de la République et de la paix, des drapeaux l’évidence de la fraternité. Patrick Klugmann prit tricolores, avec « La Marseillaise » et le mot ensuite la parole au nom de la Mairie de Paris. d’ordre « Juifs et musulmans, main dans la main ». Remerciant Celena, il insista lui aussi sur la dimension républicaine, le fait que tout étranger, de quelque origine qu’il soit, pouvait trouver à LA MAIRIE DE PARIS EST LÀ SOS était donc là, solidement représenté par son Paris les conditions d’une existence et d’une coexistence apaisées, et qu’il ne fallait pas perdre président Dominique Sopo, un service d’ordre efficace, une sono efficace également. Une animatrice cela. présenta différents orateurs, dont la première fut naturellement l’initiatrice de l’événement, qui AVEC L’IMAM, LE PÈRE DUBOIS, LE raconta comme elle put, secouée par des sanglots GRAND RABBIN ET UNE RABBINE… d’émotion, comment elle en était arrivée à l’idée D’autres messages furent lus : du Grand Rabbin et à la réalité de cette manifestation : comme pour de France, rappelant et commentant le verset beaucoup de participants, ce qui se passe en ce « Paix au proche et au lointain » – la paix n’est moment lui est insupportable. Le sentiment qu’au- pas seulement un bien pour les plus proches, elle
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1. La Licra avait appelé à cette manifestation. Les vacances aidant, il n’y eut pas grand monde.
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n’existe pas sans les plus éloignés (en tous les sens de ce mot) ; de l’imam de Bordeaux demandant de condamner, certes, le condamnable, mais de mettre la paix au-dessus des conflits, et de se souvenir, lorsqu’on est musulman, que le judaïsme est une valeur de l’islam, et que l’antisémitisme, au contraire, éloigne radicalement de l’islam ; un message signé d’une rabbine, prenant prétexte de la proximité géographique du Pont Neuf, développa le thème de la nécessité de bâtir de nouveaux ponts, d’autres ponts neufs ; le Père Dubois avait également laissé un message transmis depuis la Roumanie, où il continue de rechercher de nouveaux éléments sur l’extermination des Juifs et des Roms. D’autres messages, enfin, furent lus, émanant de diverses petites associations, pour finir par les prises de parole de quelques-uns des organisateurs qui rappelèrent l’itinéraire qui les avait conduits à cette manifestation : comme pour Celena – laquelle eut le dernier mot –, c’était le sentiment qu’il n’était plus possible de continuer ainsi, que quelque chose de mal se passait.
DANS UNE AMBIANCE « MARSEILLAISE » ET WOODSTOCK Tous ces discours furent ponctués de pauses musicales de deux types (si on excepte la « Marseillaise ») : un mélange de chants juifs et de chants arabes, et d’autres qui me rappelaient l’époque de Woodstock. Bref, une atmosphère à la fois multi-kulti et peace and love, ponctuée de surcroît de références religieuses (il allait presque de soi dans les prises de parole qu’on était juif ou musulman, qu’on allait à la synagogue ou à la mosquée, que l’antisémitisme se traduisait par les attaques contre les synagogues et les juifs à kippa, et le racisme par les profanations de mosquée). Tout cela est évidemment sympathique dans sa naïveté même. Certes, on peut se demander (je me suis demandé) ce que ces jeunes gens qui se réclament de la fraternité et de l’amour pourraient répondre à quelqu’un saisi par le sérieux et l’horreur de la guerre, qui aurait tout perdu, ses biens, ses proches. On ne fait pas l’impasse avec quelques bons sentiments sur le tragique de l’Histoire. Mais il faut être juste : cette naïveté de surface recouvre aussi quelque chose qui, selon moi, est un sentiment fort et vrai : le sentiment que quelque chose d’inacceptable est en train de nous arriver, ici, en marge de ce qui se passe là-bas, et qui doit entraîner la protestation – quand bien même ceux qui se sont ainsi lancés n’ont pas les mots justes (est-ce d’ailleurs si sûr ?). Et le fait que ce sont justement ceux qui n’ont pas les mots justes qui ont osé s’avancer, franchir les barrières de leur timidité, qu’ils ont senti qu’il fallait dire quelque chose là où nous, les aînés qui avons les mots et qui savons les choses, attendons l’occasion, la conjoncture, et finalement laissons simplement passer un orage qui risque de ne jamais passer, d’ailleurs, de ne pas passer tout seul en tout cas, me semble en soi émouvant et plein d’enseignement.
ACTUALITÉS
L’INERTIE DES AÎNÉS Quant à cette inertie des aînés, je voudrais ajouter un mot – d’humeur – sur la Licra : dans les derniers temps, nous nous sommes réunis sur des sujets divers, et parfois des sujets futiles. On a perdu beaucoup de temps et d’énergie, à Paris notamment, pour des questions de prérogatives personnelles et de conquête d’un pouvoir (d’une apparence de pouvoir). Et il y a eu des prises de position presque violentes pour dire la nécessité « Bâtissons de nouveaux d’agir. Mais n’étionsponts Neufs… » pour nous pas dans la situation des fameux personnages une « Paix au Proche… d’opéra qui chantent, imet au lointain... » mobiles : « Marchons, marchons ! » Aujourd’hui, il fallait marcher, et la Licra était insuffisamment représentée, après qu’on ait les uns et les autres avancé et accepté l’idée d’une grande manifestation républicaine pour la paix (le thème même de ce rassemblement). J’étais, moi, petit homme, à ce qu’il me semble, l’un des rares adhérents présents de la Licra, le seul à en représenter les instances, en tout cas. Même le 3 août, il nous faut veiller ! Alain David
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Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°652 | octobre 2014 | 8
Bien sûr... Et si le deux poids, deux mesures s’inversait… On pleure légitimement les enfants de Gaza, mais que fait-on de l’angoisse de l’épicier juif de Sarcelles dont on a brûlé la boutique casher ?
© Erez Litchfeld / SIPA
Rosiers en 1982, après Mohammed Merah et bien d’autres, les Français de religion juive ontils manifesté en incendiant au passage des boucheries halal ou tenté de brûler des mosquées ? Ont-ils crié en public « Mort aux goyim ? » en réponse aux « Mort aux juifs » proférés en marge de Jour de colère, lors de la manifestation anti mariage gay ? Oui, il y a quelque chose de pourri au royaume du vivre ensemble quand une communauté ne se perçoit plus en sécurité. Quand elle commence à se sentir plus protégée par des groupes de défense aux relents douteux que par la police républicaine. Quand refleurissent, dans la rue, les haines rances des années de plomb, alors, c’est la République qui est touchée au cœur.
APPLIQUER LA LOI, TOUTE LA LOI, RIEN QUE LA LOI. FERMEMENT. ÉGALITAIREMENT
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Manifestation à Paris, le 24 mai 2014, en soutien aux victimes de l’attentat perpétré au Musée juif de Bruxelles.
Bien sûr, il ne saurait y avoir de hiérarchie dans le combat antiraciste, et l’antisémitisme ne saurait être la seule bataille à mener. Mais son retour violent et les remugles qui sortent des égouts de familles politiques en principe opposées ne doivent pas être niés. Noyés dans le fourre-tout de l’importation en France du conflit israélo-palestinien ou du retour d’un extrémisme catholique antijuif provoqué par le mariage gay. Bien sûr, décréter que la lutte contre le racisme est une cause nationale est bien. Mais il faut aller plus loin. Rappeler dans les écoles, dans les mairies, dans les édifices religieux, partout, à L’IMPORTATION DU CONFLIT chaque occasion qui se présente, encore et encore, ISRAÉLO-PALESTINIEN A BON DOS A-t-on demandé à l’épicier juif de Sarcelles ce l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme qu’il pensait de Gaza avant de brûler sa boutique et du citoyen de 1789, de la République une et casher ? A-t-on interrogé le rabbin de Garges sur indivisible : « Nul ne doit être inquiété pour ses ce qu’il pensait, lui aussi, de Gaza, avant de opinions, même religieuses, pourvu que leur tenter d’incendier sa synagogue ? Non, bien sûr ! manifestation ne trouble pas l’ordre public établi Pour certains – très jeunes – des manifestants, il par la loi. » Et appliquer la loi, toute la loi, rien que la loi. Fermement. ne s’agissait ni plus ni Egalitairement. moins que de casser « Pour certains […] Dénoncer sans relâche et du juif. combattre l’antisémitisme Il faut donc regarder la des manifestants, il ne est aussi capital – ni plus réalité en face. Recons’agissait ni plus ni moins ni moins – que de dénonnaître qu’être antisémite cer sans relâche et combatà visage découvert en que de casser du juif… » tre tout racisme, à quelque France est redevenu communauté qu’il s’atpossible. On pourra y trouver toutes les explications et toutes les excuses taque. Tout le monde s’y retrouvera. possibles. Les militants de la Licra sont bien John Donne écrivait en 1624 : placés pour le savoir, c’est aussi leur combat : « Aucun homme n’est une île, un tout, complet les enfants d’immigrés maghrébins et leurs parents en soi […] N’envoie jamais demander pour qui sont victimes d’un racisme intolérable. Mais sonne le glas. Il sonne pour toi. » après la bombe contre la synagogue de la rue Bien sûr. Copernic en 1980, après la tuerie de la rue des Georges Dupuy ien sûr, en France, manifester est un droit intangible. Bien sûr, chacun est libre d’avoir les opinions qu’il veut. A condition, bien sûr, qu’elles respectent l’autre. Bien sûr, la politique israélienne peut être critiquée. Bien sûr, il faut déplorer toutes les victimes innocentes, celles de l’opération Bordure protectrice tout comme celles des roquettes du Hamas. Bien sûr, de tout temps, en fin de manifestation, il y a eu des casseurs et des débordements.
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9 | n°652 | octobre 2014 | LE DROIT DE VIVRE | Licra
Un été français La manifestation de solidarité avec les Israéliens stigmatisait aussi un antisémitisme qui contribue à l’émigration de certains juifs. e 31 juillet, environ 5 000 personnes se dissolution de la Ligue de défense juive, évoquée sont rassemblées devant l’ambassade très opportunément ce matin-là par le ministère d’Israël, à Paris, afin de montrer leur de l’Intérieur (et qui semble totalement passée soutien à l’Etat hébreu engagé dans une opération aux oubliettes depuis). A la fin du sujet, une question non formulée plane insidieusement : militaire d’envergure contre le Hamas. Cet appel, lancé par le Crif et relayé par l’immense « Les juifs français seraient-ils violents ? » majorité des associations juives de France, survient Etrange manière de renvoyer dos à dos les maniquelques jours après les scènes de violence qui festants du 31 juillet et les individus qui avaient ont eu lieu à Barbès, lors d’une manifestation de pris part aux scènes de guérilla urbaines dans le soutien à Gaza, et après l’incendie d’une pharmacie 18e arrondissement de Paris, quelques jours auet d’une épicerie casher à Sarcelles. paravant. Il prend aussi racine dans un contexte qui dépasse Gérer ces événements en jouant au « tout est le cadre du conflit moyen-oriental. En décembre égal à tout » est périlleux. De ces manipulations 2013, nombre d’invectives antisémites avaient égalitaristes naissent des interrogations qui, les été lancées lors de l’affaire de l’interdiction du unes s’ajoutant aux autres, finissent d’empoisonner spectacle de Dieudonné. En janvier 2014, les un « vivre-ensemble » agonisant. manifestants de « Jour de colère » avaient hurlé « Mort aux juifs » dans les rues de Paris. En mai LES ALIYOT ET... RETOURS de la même année, Mehdi Nemmouche, se pro- L’été s’achève. Depuis le début septembre, Israël clamant émule de Mohammed Merah, assassinait communique sur le nombre d’aliyot (départs) froidement quatre personnes au Musée juif de des juifs de France. Que ces départs soient motivés Bruxelles. par des raisons religieuses, économiques, ou par La liste est beaucoup trop longue, et c’est aussi la peur – et qu’il y ait aussi des retours –, les une grande lassitude que l’on sent dans les rangs chiffres sont là : entre le 1er janvier et le 31 août des manifestants ce jour-là. Malgré tout, le désir 2014, 4 556 des 500 000 Juifs français ont quitté d’exprimer la solidarité l’Hexagone pour s’insenvers Israël sous les taller en Israël (+50 % « Il existe en France roquettes du Hamas va par rapport à 2013). Aude concert avec l’attadelà même de son évident un antisémitisme dont chement à la France. La manque d’efficacité, la les racines plongent plus « Marseillaise » est entondemande lancinante de née avec autant de ferloin que l’existence même non-importation du conflit veur que l’« Hatikvah », israélo-palestinien en de l’Etat d’Israël. » l’hymne israélien. La France n’est pas suffi« Prière pour la Répusante, car il semble blique française » (dite lors de chaque shabbat qu’une bonne partie du problème soit ailleurs. Il dans les synagogues consistoriales) est naturelle- existe en France un antisémitisme dont les racines ment reprise de concert avec le Grand Rabbin plongent plus loin que l’existence même de l’Etat Korsia : « Regarde avec bienveillance depuis Ta d’Israël. Il persiste envers et contre tout. Le nier demeure sainte, notre pays, la République fran- ne sert plus à rien. çaise, et bénis le peuple français. Amen. Que la Delphine Auffret France vive heureuse et prospère. Qu’elle soit forte et grande par l’union et la concorde. Amen. »
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LES CHIFFRES • Nombre de manifestants devant l’ambassade d’Israël, le 31 juillet 2014 : « 4 500 selon la police, 6 000 selon les organisateurs » (in Le Monde.fr du 31 07 2014 « Paris : une manifestation de soutien à la “légitime défense” d’Israël ». • Nombre d’alyot : 4 566 Juifs ont quitté la France pour s’établir en Israël entre le 1er janvier et le 31 août 2014. AFP, le 6 septembre 2014 (Statistiques collectées par le ministère israélien de l’Intégration.) • De janvier à fin juillet 2014, les actes antisémites recensés en France ont progressé de 91 % par rapport à la même période de 2013. Ce sont pour moitié des faits de violence, pour moitié du vandalisme. Deux pics importants correspondent à l’affaire Dieudonné et à la manifestation « Jour de colère », et, en juillet, aux manifestations antiisraéliennes organisées en France.
Manifestants et banderoles israéliennes lors du rassemblement devant l’ambassade d’Israël. <
Les participants se sont dispersés sans le moindre heurt avec, pour la plupart, le sentiment d’avoir été au bon endroit au bon moment – pour une fois. Mais nombreux sont ceux qui reçurent comme une douche froide (à défaut d’être vraiment surprenante) le traitement médiatique de ce rassemblement. Sur les principales chaînes d’info continue, le reportage sur la manifestation pacifique et bon enfant prenait à peine plus d’une minute, avant que le journaliste n’embraye sur la possible
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UN TRAITEMENT MÉDIATIQUE QUI EMPOISONNE LE VIVRE ENSEMBLE
ACTUALITÉS
11 | n°652 | octobre 2014 | LE DROIT DE VIVRE | Licra
Le spectre de Sangatte de retour à Calais… Douze ans après la fermeture à grand spectacle du centre de Sangatte par Nicolas Sarkozy, Natacha Bouchart, la maire UMP de Calais, constatant que l’afflux de migrants illégaux vers l’Angleterre n’a fait que s’amplifier, vient de réclamer au ministre (PS) de l’Intérieur la réouverture d’un nouveau type de centre d’urgence humanitaire. ccroupis sur le bitume, trois Soudanais mangent le repas quotidien offert par l’association Salam. A côté d’eux, un jeune homme se lave avec une bouteille de Coca remplie d’eau. Omar lance des miettes de pain aux pigeons. Il explique, le sourire nostalgique, qu’en Syrie il possédait un élevage de pigeons voyageurs. Nous sommes à Calais, petite ville du nord de la France, à quelques encablures de l’Angleterre. A Calais, on trouve le monde entier : Afghans, Iraniens, Erythréens, Soudanais, Syriens… Ce soir ils sont peut-être 700, voire plus, réunis sur le lieu de distribution de nourriture, quai de la Moselle. Une aire à ciel ouvert, à deux pas du port. Ici, loin de la guerre, des taliban, de Bachar Al-Assad et autres dictateurs, les migrants restent vivants, c’est déjà ça. Sardar, 25 ans, à Calais depuis deux mois, travaillait dans un supermarché à Nangarhâr, province de l’est de l’Afghanistan. Ses beaux yeux verts sont tournés vers l’Angleterre… « Mon père a été tué par les taliban, j’ai préféré fuir. Je suis passé par l’Iran, la Turquie, la Grèce et l’Italie. En Angleterre, je ne sais pas où j’irai ni ce que je trouverai, mais la vie est meilleure pour les réfugiés. Làbas, j’aurai des indemnités, un travail. J’aiderai mes six sœurs et ma mère restées en Afghanistan. » Le jour, les migrants errent dans la ville, dorment, s’ennuient, préparent le thé. Ils réclament des tentes, des duvets, de la nourriture, des douches, des vêtements, des abris, des soins… La nuit, ils sont des silhouettes furtives, des clandestins traqués à la recherche de camions en partance pour l’Eldorado anglais. Certains exilés ne se cachent même plus. En plein jour, ils escaladent les grilles du port et ouvrent les camions sous le nez des policiers. D’autres s’aventurent à la nage. « Deux fois j’ai essayé d’approcher un ferry à la nage, mais l’eau était sale et glacée et la police était là. Depuis, j’ai payé un passeur 500 euros et je peux tenter autant de fois que je veux le passage par camion. Après l’Erythrée, le Soudan et l’Ouganda, je suis ici, rien ne m’arrêtera. En Angleterre, je voudrais reprendre mes études de statistiques et ouvrir ma propre boîte de sondages », explique John, Erythréen de 25 ans.
« CE QUE LES MIGRANTS ONT DE MOINS QUE MOI ? DEMANDEZ-LE À MARINE LE PEN » La fermeture de Sangatte par Nicolas Sarkozy, en 2002, n’a pas affaibli l’immigration clandestine. Les jungles (prononcez « djeungles ») sont apparues sur le littoral et les squats se sont multipliés dans le centre-ville. A chaque conflit, les migrants
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Sarah Alcalay
Des réfugiés qui occupaient le squat du quai de la Loire, dit « camp des Syriens », démantelé le 28 mai 2014.
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arrivent, et ils sont de plus en plus nombreux. Les Calaisiens, eux, assistent au spectacle quotidien de la détresse humaine, tantôt compatissants, tantôt insensibles, parfois haineux. « Les migrants, dehors ! Ce qui me gêne ? C’est de les voir. Ce qu’ils ont de moins que moi ? Demandez à Marine Le Pen », s’agace un habitant en voyant passer quelques réfugiés devant lui. Un groupe de Syriens vient d’arriver. Après un périple infernal, les six hommes sont épuisés, à bout. Lors une halte au camp de Téteghem, près de Dunkerque, ils se sont fait voler 5 000 € par un passeur, toutes leurs économies… Les Syriens s’effondrent, en larmes. Médecins du Monde leur offrira quelques nuits d’hôtel, trois nuits précieuses de répit et de tranquillité, au chaud. Le 28 mai 2014, à 6 heures du matin, les squats du quai de la Loire et du quai de la Batellerie ont été démantelés et les abris de fortune broyés par des bulldozers. Depuis, les migrants (ils seraient 1 200) se sont dispersés dans la ville et les dunes. Un collectif « antimigrants » s’est créé. Le 7 septembre dernier, les membres – principalement d’extrême droite – de Sauvons Calais ont craché leur haine des étrangers devant l’hôtel de ville. Certains ont levé le bras pour faire le salut nazi et ont appelé à « tabasser du migrant ». Sur les réseaux sociaux, à visage découvert, des sympathisants de Sauvons Calais se déchaînent et proposent « la réouverture des chambres à gaz »… La préfecture n’a pas interdit la manifestation. La municipalité semble se trouver dans une impasse et déplore la présence d’exilés dans ses rues, invoquant l’insalubrité, l’épidémie de gale et la pollution visuelle. Qu’ils soient réfugiés politiques ou non, les migrants, ça ne fait pas beau pour les touristes.
À SUIVRE Le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve réfléchit à une solution d’urgence pour mettre fin à l’errance des migrants dans les rues. Un centre d’accueil de jour, dédié aux exilés, pourrait prochainement être mis en place à Calais.
À LIRE Correspondante pour « Libération », Haydée Sabéran a publié en 2012 « Ceux qui passent », une analyse approfondie de la situation complexe des migrants dans le Nord-Pas-de-Calais. Pour retracer la vie d’errance des intéressés, elle les a interrogés un par un.
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Maria Giuseppina Bruna.
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POUR UNE VRAIE DIVERSITÉ LA NOTION DE « DIVERSITÉ » est affublée, en France, d’une connotation réductrice renvoyant aux seules catégories minoritaires et minorisées que dénombre notre société. Dans une acception élargie, la « diversité » renvoie à la complexité et à l’hétérogénéité du social. A la manière d’un « bouquet des singularités », elle donne à voir la variété qui est inhérente à la société. A ce titre, elle constitue une réalité démographique indéniable, spécifique de la modernité. A la lisière de l’obligatoire et du volontaire, la mise en œuvre de politiques de diversité en entreprise se place à la jonction de préoccupations éthiques, d’obligations juridiques (prévention des discriminations et des inégalités de traitement), d’enjeux de réputation et de calculs économiques (performance globale). Une politique de diversité se propose ainsi de réaliser une triple égalité (de droits, de traitement et des chances) parmi tous les salariés. Irréductible à une mode managériale ou à l’accumulation d’initiatives superficielles et éparses, la conduite de politiques de diversité se configure comme un enjeu stratégique, doté d’un potentiel qui transforme les discours, les programmes et les pratiques managériales. Appelées à assurer l’égalité entre l’ensemble des salariés, ces politiques portent en elles un caractère universaliste et insufflent l’espoir d’un renouveau éthique du management. Et cela, bien qu’elles ciblent au nom du principe d’équité des groupes sociaux spécifiques (femmes, salariés en situation de handicap, jeunes, seniors, « minorités visibles », homosexuels…). Donnant à voir l’engagement d’organisations responsables en faveur du bien-être au travail, de la cohésion sociale et de la performance globale, la conduite des démarches de diversité érige les entreprises en catalyseurs d’intégration sociale par le travail et en acteurs d’un renouveau de la confiance. Maria Giuseppina Bruna, déléguée exécutive de la Licra en charge de la diversité
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Pour faire reculer les discriminations, les ministères sont “loin d’être exemplaires !“ Rencontre avec Claude Bébéar, ancien président du groupe AXA. Pour ce fondateur de l’Institut Montaigne, l’entreprise a tout à gagner à ouvrir ses portes à la diversité culturelle et ethnique. Dans le contexte de la mondialisation de la concurrence, l’émergence de ces nouveaux talents constitue un avantage déterminant. L’agence des Philippines du groupe AXA. >
REPÈRES L’Institut Montaigne 59, rue La Boétie 75008 Paris Tel:+33(0)1 53 89 05 60 E-mail : info@institutmontaigne.org Ce réservoir d’idées qui s’apparente à un think tank indépendant est un lieu de réflexion et de débats. Sa vocation est d’apporter des propositions concrètes et des pistes de réflexion dans les domaines de l’action publique, de la cohésion sociale, de la compétitivité et des finances publiques. L’institut Montaigne est partie prenante du débat sur l’égalité des chances.
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Claude Bébéar, ancien président du groupe AXA.
Vous avez présidé le groupe AXA et connaissez bien le monde des entreprises. Avez-vous constaté des formes de discrimination ? Qu’est-ce qui vous a choqué ? Claude Bébéar. Au cours de ma carrière, j’ai pu
L’enjeu, aujourd’hui, c’est d’aider les petites et moyennes entreprises à s’équiper pour faire face à ce défi.
constater que les discriminations existaient sous toutes leurs formes et à tous les niveaux dans les entreprises : vis-à-vis du genre, de l’âge, de la couleur de peau ou encore du physique. Je ne parlerai pas de discrimination volontaire : souvent, les recruteurs croient, à tort et sans en avoir conscience, que leurs collaborateurs ou leurs clients ne souhaitent pas quelqu’un de différent. La plupart du temps, c’est faux. Il suffit parfois qu’ils en prennent conscience pour que la discrimination cesse. Ce qui me choque vraiment, ce sont les exclusions a priori, qui sont faites à la simple lecture du CV. Le film de Yamina Benguigui, « Le Plafond de verre », montre bien ces situations et la façon dont, même inconsciemment, les recruteurs discriminent certains candidats.
Le groupe AXA est-il un bon élève ? C.B. Le groupe AXA s’est engagé fortement
Les DRH sont-elles, à votre avis, suffisamment formées à ce sujet ?
Vous avez rédigé avec Yazid Sabeg, en 2004, un rapport intitulé « Des entreprises aux couleurs de la France ». Vous aviez alors mis en avant l’anonymat des CV, qui avait suscité de vives polémiques. Quel bilan en tirez-vous aujourd’hui? C.B. Il faut se garder de toute généralisation.
La formation à ces questions est essentielle. Dans les grandes entreprises, un effort massif a été fait au cours des dernières années. Cela demande des moyens, une organisation structurée.
sur ce sujet. Par exemple, nous avons très tôt mis en place l’anonymisation des CV pour éviter les refus a priori et permettre à tous les candidats d’être reçus. Notre entreprise y a beaucoup gagné, en ouverture d’esprit et en talents. La lutte contre la discrimination en entreprise n’est pas affaire de compassion, mais plutôt d’intérêts bien compris. C’est un enjeu économique et social évident. Pour de nombreuses sociétés, s’ouvrir à la diversité peut être un véritable avantage comparatif. Je pense notamment à la diversité des profils des commerciaux, qui se doit d’être à l’image de la diversité de la clientèle
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Le CV anonyme est un outil intéressant, dont le développement doit être encouragé, mais qui est lourd à mettre en place. Cela demande une DRH très équipée : comment voulez-vous qu’une petite entreprise, qui parfois n’a même pas de service de Ressources humaines, applique cela ?
Comment l’Etat peut-il peser de son poids dans le secteur marchand pour éradiquer cette discrimination ? C.B. L’Etat est loin d’être exemplaire ! Regardez
Comment jugez-vous aujourd’hui la « discrimination positive » lancée sous la présidence de Nicolas Sarkozy ? C.B. Pour moi, la discrimination positive peut se résumer ainsi : quand deux personnes ont les mêmes compétences et qualités, je vais choisir celle qui a eu le moins de chances de réussir. Il ne s’agit pas d’imposer des candidats qui n’ont pas le niveau, mais de rétablir une certaine forme d’égalité des chances. La discrimination positive est intéressante quand elle est temporaire.
Les testings et les baromètres ne sont-ils pas des l’administration : est-elle vraiment aux couleurs formes de « succès damnés » qui ne changent pas de la France ? Et les bancs de l’Assemblée ? grand-chose dans la pratique ? On y compte à peine 25 % de femmes. Quant C.B. Au contraire ! Comment mener une action aux minorités ethniques… Il y a un véritable sans avoir des éléments d’évaluation de la sieffort à faire pour diversifier les profils des tuation ex ante et ex post ? L’évaluation est fonctionnaires et renouveler les élus. La fin du essentielle pour savoir où nous en sommes. cumul des mandats, y compris dans le temps, Or, en France, les donest indispensable. nées collectées dans le L’Etat a par ailleurs claicadre légal actuel ne rement un rôle à jouer « La lutte contre permettent pas d’apen agissant de manière la discrimination préhender les discrimitrès précoce sur le en entreprise n’est nations sur la base de système éducatif. Les ethnique. entreprises ne font pas affaire de compassion, l’origine La méthode du testing qu’hériter d’une situamais plutôt d’intérêts a évidemment ses limition donnée, et l’école tes, mais elle permet ne fait pas son travail : bien compris. » d’avoir des éléments chaque année, près de objectifs pour mesurer 150 000 jeunes quittent les discriminations. Grâce à ces testings, des notre système éducatif sans diplôme ni qualientreprises ont pris conscience de mauvaises fication. Ce sont eux qui restent ensuite à la pratiques qui avaient lieu dans leurs équipes porte de nos entreprises. L’incapacité de notre sans qu’elles en soient informées. Il est temps pays à intégrer ses jeunes, d’où qu’ils viennent aujourd’hui en France d’avoir une approche et quel que soit leur niveau social, est choquante. objective, rigoureuse de ces questions. Et de Avez-vous le sentiment que la situation s’est s’appuyer sur des données précises, pour bien améliorée sur le terrain depuis la remise de ce rap- comprendre les mécanismes à l’œuvre et agir port ? La discrimination raciale et antisémite a-t-elle avec efficacité. reculé en France ? C.B. L’Institut Montaigne vient de mener une grande réflexion sur ce thème, dix ans après le lancement de la Charte de la diversité. On constate que malgré la persistance des discriminations, la mesure de la diversité relative au sexe, au handicap et à l’âge a permis de mettre en œuvre des actions qui ont des effets réels, même si c’est encore insuffisant. Par contre, dans le cas des discriminations ethniques, nous ne disposons que de données lacunaires qui rendent impossible la mise en place d’une quelconque évaluation des politiques menées. Le refus des « statistiques ethniques » en France n’exclut pas toute possibilité d’étude et il devrait être possible, dans un cadre réglementé, d’utiliser des données objectives – telles le lieu de naissance des parents ou le ressenti d’appartenance déclaré par les personnes – pour mesurer l’efficacité des politiques de diversité.
Les syndicats et les politiques sont-ils un relais indispensable pour ces changements, ou doit-on plus attendre de la société civile ? C.B. Je ne pense pas que les syndicats, en France, soient aujourd’hui de véritables leviers : ils devraient l’être, mais sont trop tournés vers la défense des insiders, ils ne sont pas suffisamment progressistes. Quant aux hommes politiques… ils connaissent trop peu l’entreprise et sont eux-mêmes très peu représentatifs de la population. Pourtant, ils devraient être le relais indispensable. L’Institut Montaigne s’est beaucoup intéressé à la diversité en politique, et a récemment mené une enquête dirigée sur les hommes et femmes politiques issus de l’immigration. Il s’agit d’un phénomène nouveau et captivant. Les partis comme les syndicats devraient faire des efforts de ce côté-là et ouvrir leurs portes aux nouveaux profils issus de la diversité. Propos recueillis par Alain Barbanel
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CV anonyme : enfin, le décret ? Il n’y aura jamais eu que huit ans d’attente. Saisi par plusieurs associations, le Conseil d’Etat a enjoint au gouvernement de sortir le décret d’application de la loi du 31 mars 2006 sur l’égalité des chances, qui oblige notamment toutes les entreprises de plus de 50 salariés à recourir au CV anonyme pour tous les recrutements. Le Conseil aimerait que ce soit chose faite à la fin de 2014. Certains pessimistes pensent que le gouvernement trouvera bien un moyen de retarder une nouvelle fois l’échéance. GD
Charte de la diversité Lancée fin 2004 par Claude Bébéar et Yazid Sabeg, la Charte de la diversité est un texte d’engagement proposé à la signature de toute entreprise qui accepte de garantir la promotion et le respect de la diversité dans ses effectifs. Ce texte a donc une valeur morale plus que juridique, mais cette charte rappelle des principes importants du droit français, qui eux sont d’application obligatoire, dont les principes d’égalité devant la loi, de respect de la dignité humaine, et l’interdiction de certaines discriminations…
Testing Le test de discrimination ou test de situation s’est tout d’abord pratiqué à l’entrée des boîtes de nuit. Dans les entreprises, il consiste à vérifier, par l’envoi de deux CV en tous points comparables à l’exception du nom des candidats, l’existence d’une discrimination à l’embauche.
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L’égalité de traitement, un travail de longue haleine Femmes, seniors, salariés issus de l’immigration : l’entreprise continue d’être un haut lieu des discriminations, encore aggravées par la crise économique. Si l’inégalité de traitement se manifeste principalement à l’embauche, elle peut concerner aussi toute la vie professionnelle en termes de carrière et de rémunération. Aux Etats-Unis, le groupe de vêtements pour jeunes Abercrombie & Fitch, qui recrute ses vendeurs « au physique », s’est vu condamné pour discrimination à une amende de 40 millions de dollars. >
C’était une mesure réclamée par le Conseil économique et social en 2008. C’est chose faite depuis le 21 février 2014. La loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine a introduit définitivement l’adresse parmi les critères prohibés de discrimination. Ainsi la discrimination territoriale – en clair, l’inégalité de traitement des habitants du seul fait de leur appartenance à un quartier dit « sensible » – est aujourd’hui le 20e cas de discrimination prévu par l’article L 1132-1 du code du travail. Rappelons que les 19 autres critères sont : l’origine, le sexe, les mœurs, l’identité sexuelle, l’âge, la situation de famille, la grossesse, les caractéristiques génétiques, l’appartenance – ou non – à une ethnie, ou à une nation, ou à une race, les opinions politiques, les activités syndicales, les convictions religieuses, l’apparence physique, le nom de famille, l’état de santé et le handicap. Ajoutons, en dehors du strict L 1132-1, l’exercice normal du droit de grève, le fait d’avoir témoigné d’agissements de discrimination, et les fonctions de juré. Une prochaine étape devrait concerner les lanceurs d’alerte. GD
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Les critères de discrimination
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rand groupe américain recherche Cau30 % DES SALARIÉS SONT CONCERNÉS DE PRÈS OU DE LOIN casiens jeunes, bien coiffés, grands, Abercrombie & Fitch est l’arbre qui cache la sveltes, musclés, avenants. Recherche forêt des discriminations au travail. Qu’il s’agisse Caucasiennes élancées, élégantes, sexy et soud’embauche, de gestion de carrière ou de riantes. » Jamais Abercrombie & Fitch, qui s’est départ à la retraite, le traitement inégal à implanté à Paris, n’a passé cette petite annonce, compétence égale – réfléchi ou non, sur une qui tombe de facto sous le coup de l’article plus ou moins grande échelle – fait partie du L 1132-1 du code du travail et ses vingt critères quotidien des 14 millions de discrimination au de salariés employés travail (voir ci-contre). « La discrimination liée dans les 3,14 millions Mais le groupe de vêted’entreprises françaises. ments pour jeunes est à l’origine est la plus Sans parler de la foncconnu pour un curieux difficile à prouver. » tion publique. recrutement, où le tour Benoît Rey, Défenseur des droits Et la crise qui frappe des pectoraux et la coudepuis 2008 n’arrange leur de la peau sont plus rien. Début 2013, selon le baromètre du importants que les diplômes. Aux Etats-Unis, la Défenseur des droits (qui a récupéré feu la relégation du personnel hispanique et asiatique Halde), 30 % des salariés affirmaient avoir été dans les arrière-boutiques lui a déjà valu une victimes de discrimination au travail ou connu amende de 40 millions de dollars. un proche qui en avait été victime. L’an passé, En France, le Défenseur des droits s’est autosaisi les inégalités de traitement ont représenté pour savoir s’il était légitime de demander à 20 % des 80 000 réclamations reçues par le un simple vendeur les qualités physiques d’un Défenseur. danseur ou d’un top modèle.
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Jean-François Amadieu, le responsable de technicien intérimaire d’origine maghrébine, l’Observatoire des inégalités et auteur du très qui s’était vu refuser un CDI pour un poste sur critique « DRH, le livre noir », constate : « Aulequel il avait déjà travaillé sans problème en jourd’hui, les patrons considèrent qu’il y a CDD, avait été victime d’autres priorités vitales que la lutte contre les de pratiques discrimidiscriminations. » Max Mamou, avocat et pilier natoires, le Défenseur « La notion de diversité de AlloDiscrim, tempère : « L’entreprise n’est a dû étendre l’analyse tourne le dos au principe pas plus raciste aujourd’hui qu’hier, mais ses au bassin d’emploi. de l’égalité, fondateur de Résultat : alors qu’à salariés, mis sous pression, mettent sur le compte d’une discrimination tout changement égales, les la République française. » compétences mal expliqué dans la façon de manager. » personnes originaires Jean-François Amadieu, responsable La plus importante manifestation de discrimid’Afrique du Nord rede l’Observatoire des inégalités nation intervient à l’embauche. Les chiffres présentaient 20 à 30 % sont accablants, notamment au niveau du resdes travailleurs suscepsenti. Une enquête Défenseur des droits-Ifop tibles d’être embauchées, l’entreprise n’avait et Organisation internationale du travail indique procédé à aucune embauche en CDI parmi que les discriminations à l’embauche sont percette catégorie de population. Airbus — un çues comme fréquentes par 87 % des demangroupe qui se targue pourtant de sa diverPOUR EN SAVOIR PLUS deurs d’emploi. sité — a été condamné à payer des dommages Les critères les plus discriminants sont : être et intérêts. Abondance de biens… enceinte (89 %), être âgé de plus de 55 ans Les discriminations en UNE NOUVELLE GÉNÉRATION R.H. (88 %, dont 94 % chez les 50 ans), être obèse entreprises sont – plus Bien sûr, les choses commencent à bouger. (78 %) et handicapé (72 %). ou moins – suivies par : Une nouvelle génération plus ouverte, sensible Selon l’Observatoire des inégalités, un candidat l’Observatoire des aux pratiques des autres pays, arrive aux made 48-50 ans a 3 fois moins de chances qu’un discriminations (Panthéon nettes des Ressources humaines (RH) et du candidat jeune d’obtenir un entretien ; un canSorbonne), l’Observatoire du fait religieux management. Par ailleurs, les salariés sont de didat d’origine maghrébine 3 fois moins de en entreprise (groupe plus en plus au courant de leurs droits. « En chances qu’un candidat blanc ; un handicapé, Randstad), l’Observatoire 2014, il est rare qu’un patron ignore le sujet », 2 fois moins. Et la situation s’aggrave nettement des inégalités (groupe constate Bruce Roche, président de l’Association quand il s’agit d’un poste commercial, comme d’universitaires), française des managers de la diversité (AFMD). ce boulanger qui avait refusé un Noir parce l’Observatoire sur D’autant qu’à l’embauche, les managers disque sa clientèle n’aimerait pas. Ouvertement. la responsabilité sociale posent aujourd’hui d’un certain nombre de Benoît Rey, spécialisé dans le secteur de l’emploi des entreprises pratiques de non-discrimination plus ou moins privé chez le Défenseur des droits et ancien (grandes entreprises efficaces. En vrac, le CV filmé qui met en de la Halde, analyse : « La discrimination liée à des secteurs privé et valeur le candidat, la double lecture des CV, l’origine est le premier motif de plainte, mais public), le réseau le testing interne (fréquemment utilisé), la elle est devenue la plus compliquée à prouver. » Ressources pour l’égalité détermination des critères de sélection en Bien sûr, çà et là, certains employeurs fournisdes chances et fonction des qualités attendues plutôt que sent eux-mêmes, oralement ou par écrit, la l’intégration (structures du type de formation, ou le recrutement par preuve de leurs turpitudes. La société Daytona régionales intervenant simulation (labellisé par la Halde en 2007), (la Licra s’est portée partie civile) avait créé dans ces domaines), des experts en économie qui recrute sur la base d’exercices de mise en un fichier Excel de données indiquant l’origine responsable comme condition par rapport au poste. de ses employés. Vigeo ou Novethic, Porté aux nues au départ, malgré le bien que Mais, dans l’ensemble, « les enquêtes sont souet l’Autre Cercle peuvent en dire ceux qui l’ont adopté comme vent très parcellaires », note Benoît Rey. (association LGBT). Axa, le Défenseur des droits ou le Conseil Le testing (envoi de deux CV en tous points GD général de l’Essonne, le CV anonyme – en clair, comparables, à l’exception du nom des candila suppression de tout élément qui pourrait indats), que pratiquent – notamment – l’Obserfluencer les recruteurs – a du plomb dans l’aile. vatoire des inégalités et SOS Racisme, est une Une évaluation de Pôle Emploi et du Centre bonne façon de prouver la différence de traide recherches en économie et statistiques, tement. Mais cette méthode, acceptée au pénal, taillée en pièces par Jean-François Amadieu, est en général difficilement recevable au civil. grand prêtre du CV anonyme, a pointé ses faiMême si la charge de blesses. Comme le risque de diminuer les la preuve revient à l’enchances du candidat quand un recruteur est treprise dénoncée, faire « En 2014, il est rare qu’un bienveillant vis-à-vis du cursus d’une personne admettre de fortes prépatron ignore le sujet » issue de l’immigration. « Le CV anonyme n’est somptions de discrimiBruce Roche, président de l’AFMD pas la panacée. Il est un outil comme un autre », nation nécessite de estime Sébastien Bompard, le président de A déployer des trésors compétences égales, une association de cabid’imagination. D’autant qu’à 10 % de chômage, nets de recrutement qui développe la sensibiles salariés ne se bousculent pas pour témoigner lisation aux bonnes pratiques. contre leur employeur. Pour démontrer qu’un
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UN « PATRIMOINE CULTUREL SYMBOLIQUE »
POUR EN SAVOIR PLUS Rapports sur les discriminations en entreprise • « Lutter contre les discriminations au travail : un défi collectif », Laurence Pécaut-Rivolier, mission interministérielle, 2013. • « Evaluation de l’impact du CV anonyme », Luc Behaghel, Bruno Crépon, Thomas Le Barbanchon, Crest 2011. • « Les écarts de taux d’emploi selon l’origine des parents », Romain Aeberhardt, Elise Coudin, Roland Rathelot, FrancePortrait social, 2010. • « Perceptions des discriminations au travail : regards croisés public/privé - baromètre vague 4 » La Halde-CSA, janvier 2011. « Diversité du capital humain et performance économique », IMSEntreprendre pour la Cité, Goodwill Management, déc. 2010. GD
conseiller auprès du directeur des programmes attend le jugement de la cour d’appel, qui devra aussi statuer sur son licenciement abusif.
En 2014, les responsables de RH ne veulent pas prendre de risques. Ce qui défavorise LES GROUPES DANS LE GRAND BAIN d’emblée les profils atypiques. Le copié collé, DU MANAGEMENT DE LA DIVERSITÉ la référence tacite à des parcours qui ont fait Tout effacer prendra du temps et aura un coût leurs preuves et la reproduction sociale restent certain. « Il faut convaincre les patrons qu’inla base d’une majorité de pratiques d’embauche vestir pour effacer les discriminations leur sera de moyen et de haut niveau. bénéfique en termes d’image et de bon foncValérie Boussard, sociologue du travail à l’unitionnement de l’entreprise », affirme Bruce versité de Paris-Ouest, explique : « Plus on Roche, qui travaille avec de grosses PME. monte, plus celui qui connaît les règles du jeu, En écho, Sébastien les codes et les clefs, Pommard : « Si les pal’emportera. » Il est un « Si les patrons trons ne s’impliquent patrimoine culturel pas fortement, leurs symbolique (dixit Bourne s’impliquent pas ne le feront dieu) étranger aux fafortement, leurs managers managers pas. » Emmenés par milles immigrées, et que Axa, Suez, Peugeot ou l’on enseigne très peu ne feront rien » S. Bompard, président de Total, les 254 grands dans les écoles de la « A compétences égales » groupes qui emploient République. 30 % des salariés franDIVERSITÉ ET ÉGALITÉ çais n’ont pas attendu, suivis par leurs sousDE TRAITEMENT DES SALARIÉS traitants, pour se jeter dans le grand bain du Malheureusement, la discrimination ne s’arrête management de la diversité. Multipliant les pas à l’embauche. Qu’il s’agisse de rémunération chartes et se faisant labéliser par l’Afnor. ou de progression de carrière, elle peut acMais de plus en plus d’observateurs y voient compagner le salarié tout au long de sa vie de pures opérations de communication et professionnelle. dénoncent des engagements sans obligation A poste égal et à compétences semblables, de résultat. Quand il ne s’agit pas purement et une femme gagne en moyenne 25 % de moins simplement de cacher une pratique interdite. qu’un homme. A peu près la décote que subit Ainsi est-il plus facile de mettre une femme un descendant d’immigré. dans un conseil d’administration que de s’attaAbdou Kimba en sait quelque chose. Cadre quer au fameux « plafond de verre » et à l’inétitulaire d’un DEA de sciences de la communication galité homme femme. (bac + 5), il a été classé en catégorie D (théoriL’un des plus sévères est Jean-François Amaquement réservée au bac + 2) par son employeur, dieu, qui écrit : « La notion de diversité tourne Canal France International. Conséquence : un écart le dos au principe d’égalité, fondateur de la de salaire de 700 à 1 000 euros par mois par République française. » Georges Dupuy rapport à des collègues bac + 3. Cet ancien
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La diversité, une chance à saisir Initiées par de jeunes entrepreneurs, de nombreuses initiatives sont prises sur le terrain pour favoriser la diversité en entreprise. A l’exemple du Centre des jeunes dirigeants d’entreprise (CJD), ou de cabinets de recrutement spécialisés.
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ujourd’hui, en France, si vous êtes une femme habitant en banlieue, seule, divorcée avec enfant et issue de la diversité, mécaniquement, vous ne trouvez pas de travail. » Said Hammouch, fondateur et animateur de Mozaïk RH, un cabinet de recrutement et de conseil en Ressources humaines spécialisé dans l’égalité des chances, se bat depuis des années contre le fatalisme qui veut qu’à diplôme et compétence égaux, un jeune issu de l’immigration ait cinq fois moins de chances d’accéder au job souhaité que son concurrent de souche française. « Il y a d’un côté les peurs et les fantasmes entretenus par le recruteur. Il sélectionne déjà sur la localisation géographique du candidat, qui symbolise pour lui le niveau social et l’origine ethnique ; et, de l’autre, l’autocensure des candidats qui n’y croient plus, perdent leurs moyens, et rentrent petit à petit dans une logique de victimisation », analyse Said Hammouch.
ROMPRE LE CERCLE VICIEUX Aussi faut-il rompre ce cercle vicieux et, « sans idéologie et pression politique », renouer la communication entre des individus « qui ont perdu l’habitude de se parler ». Sur le terrain, avec à son actif pas moins de 3 000 points de contact en Ile-de-France, Mozaïk RH ne chôme pas. Ses consultants bien implantés dans les quartiers ont généré depuis 2008 plus de 10 000 entretiens et 2 500 contrats signés. Au total, depuis sa création, le cabinet a accompagné 100 000 candidats ! L’an dernier, ce sont plus de 500 jeunes diplômés des quartiers qui ont trouvé un emploi ou un stage de fin d’étude. « Nous sommes sollicités par les entreprises dans les quartiers, et nous accompagnons les candidats sur la base d’un coaching individualisé pour les aider à mieux se présenter, les mettre en confiance pour les entretiens, et valoriser leurs compétences, sans a priori. »
INTÉGRER LES ENTREPRISES DANS LEUR TERRITOIRE Afin de briser les tabous entre recruteurs et demandeurs d’emploi issus des quartiers, Said Hammouch s’est rapproché des décideurs afin d’avoir une parfaite connaissance de leurs besoins. C’est auprès du CJD (Centre des jeunes dirigeants d’entreprise) qu’il a trouvé le partenaire le plus à l’écoute. « C’est un organisme patronal qui se pose les bonnes questions et qui milite en faveur de l’homme », explique le jeune patron de Mozaïk RH.
Une démarche qu’Olivier de Pembroke a faite sienne. A 35 ans, ce manager dirige depuis dix ans une entreprise de courtier en transport de marchandises à Stains (Seine-Saint-Denis). « Le CJD, en 2004, s’était beaucoup impliqué dans la Charte de la diversité. Depuis, nous faisons en sorte d’intégrer nos entreprises dans leur territoire, avec des collaborateurs qui leur ressemblent. Cette démarche est au cœur de notre action. Pour le CJD, la seule discrimination qui vaille doit être celle des compétences pour un poste. » Président du CJD de la section Seine-Saint-Denis, Olivier de Pembroke intervient sans relâche dans sa région pour l’accès à l’égalité des chances : organisation de speedmeeting qui réunit, l’espace d’un soir, élèves, candidats à l’embauche et patrons ; intervention dans un grand nombre d’écoles pour instaurer la confiance des jeunes vis-à-vis des entreprises et réciproquement ; rapprochement avec des associations pour leur donner de la visibilité sur le monde des entreprises et transmettre des valeurs ; création d’un « Café-Emploi », lieu de rencontre, à Garche-les-Gonesse, entre demandeurs d’emploi et jeunes patrons, en collaboration avec Mozaïk RH… « Beaucoup de PME sont impliquées dans ces actions, se félicite le responsable du CJD. Il faut être force de proposition. La diversité nourrit les relations humaines dans une entreprise. C’est une chance qu’il faut saisir ! » Alain Barbanel
A Lille, le 35e congrès national du CJD a rassemblé 1 800 dirigeants d’entreprise.
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La diversité en kit Sous forme de quizz, questions-réponses et échanges, le « KIT plénière » est un outil de sensibilisation aux enjeux de la diversité que le CJD propose aux dirigeants.
REPÈRES Centre des Jeunes Dirigeants, 19, avenue Georges-V, 75008 Paris. Tél. : 33 1 53 23 92 50. www.cjd.net
Les bonnes pratiques « Faire de la diversité une ressource pour entreprendre » une expérimentation du CJD entre 2004 et 2006, est devenu un recueil de pratiques « pour sortir des conformismes » par une approche globale et positive de la diversité.
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L'homosexualité reste un tabou dans le monde du travail Pour les responsables des Ressources humaines récemment éveillés aux discriminations sexistes et racistes, la lutte contre l’homophobie dans les situations de travail est loin d’être une priorité. « Philadelphia », de Jonathan Demme, l’un des premiers films grand public à aborder ouvertement la question de l’homophobie dans l’entreprise. <
Des associations professionnelles Certaines groupes ou sociétés ont leur propre association LGBT : SFR, la SNCF, d’Air France, etc. D’autres, plus sectorielles (Cash ou Energay), sont fédérées autour du collectif Homoboulot.
Des avancées très différentes Certaines entreprises affichent leur combat contre l’homophobie. Les départements RH de Sodexo et IBM ont un responsable dédié aux questions LGBT. Chez Accenture, le président, Christian Nibourel, s’exprime en première ligne.
convergence entre vie privée et vie en entreprise, mais où l’homosexualité n’est pas tolérée. » Ici réside un premier décalage. Pour Anne (le prénom a été changé), cadre salariée dans une société de finances, les RH sont garantes de l’accueil et de l’intégration. « Si elles ne se préoccupent pas de notre bienêtre, qui le fera ? Surtout dans des structures où nous n’avons pas d’association pour nous représenter. Pourquoi n’est-ce pas traité sur un pied d’égalité avec le racisme ? » La réponse relève d’un certain cynisme : lutter contre l’homophobie n’est pas prioritaire. « Nous identifions onze cercles de diversité, mais notre focus porte sur la parité », explique Véronique. Elle admet que la loi est plus contraignante. « Le cadre crée le besoin et le risque légal est moindre : sur les cas rapportés au Défenseur des droits, l’homophobie n’arrive qu’en troisième position. » Guillaume s’en étonne : « L’homophobie doit être l n’est pas simple d’identifier l’homophobie portée au même niveau que les autres discrimidans l’entreprise. Véronique et Valérie sont nations. D’autant que les biais de représentation responsables de la Diversité et du Bien-Etre sur lesquels travaillent les RH reposent sur les chez un acteur informatique. « Les dérives ne mêmes clichés. » Chez le prestataire de services, nous sont pas remontées », expliquent-elles. la lutte contre l’homophobie est intégrée au proPourtant, elles admettent que certains propos gramme Bien-être, mais la priorité est placée en inappropriés sont tolérés. fonction du risque dans l’enceinte. Muriel avoue : Certaines personnes ne « Face à un certain souhaitent donc pas communautarisme, nous « Nombreux sont ceux qui portons l’attention sur parler : se dévoiler serait se mettre en danger. pensent que, comme pour des situations potenPour Guillaume, en tiellement plus conflicla religion, l’entreprise n’a tuelles. Là, on sait que ça charge des partenaires dans la même entrefera moins de bruit. » pas à s’immiscer dans le prise, c’est au départeJ.-M. Monnot idendomaine de la vie privée. » Mais ment RH d’être plus actifie un autre type de tif : qu’est-ce qu’ils font, risque : lorsque la comà leur niveau, pour connaître notre ressenti ? munauté homosexuelle n’est pas intégrée, la Est-ce qu’une étude a été menée ? mobilité est plus importante. Il en va alors de Mais la sensibilisation à l’homophobie n’est la conservation des talents. pas portée par les RH. A la conférence DBP EN FINIR AVEC (Diversity Best Practices) Paris sur les pratiques LA MINORITÉ INVISIBLE ? en matière de diversité, le 21 mai, Jean-Michel La solution serait donc de gagner en visibilité. Monnot, vice-président chez Sodexo, détaille : Pour Véronique, la constitution d’un groupe « Il y a de la frilosité sur le sujet. Nombreux fait naître un sentiment d’autorisation : « Le messont ceux qui pensent que, comme pour la resage doit être porté par la hiérarchie, mais ligion, l’entreprise n’a pas à s’immiscer dans le aussi par des personnes jouant le rôle de modomaine de la vie privée. » dèles. » Sauf que la prise de parole sur le sujet NI DE LA RESPONSABILITÉ est rapidement assimilée à du militantisme. DES D.R.H., NI PRIORITAIRE… Les RH devront invalider cette perception s’ils Muriel, directrice RH chez un prestataire de souhaitent accompagner ce changement. Jean-Marc Eskenazi services, le concède : « Il existe une zone de
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La discrimination positive : une fausse bonne idée Peu transposable au modèle républicain, l’« affirmative action » version française semble inadaptée. Place à l’action positive !
EN FRANCE, LE RATTRAPAGE N’A PAS EU LIEU La France, elle, prise par sa propre logique républicaine d’égalité et d’intégration par assimilation, est à la traîne. Erigée en principe par la loi du 10 juillet 1987, la discrimination positive made in France semble battre de l’aile. Si elle a fait l’unanimité sur l’instauration de quotas de travailleurs handicapés dans les entreprises et de femmes dans les conseils d’administration, le législateur s’est montré timide. « Près de trente ans après l’application de la loi, les chiffres du chômage des handicapés et des femmes restent éloquents et explosifs. Ces quotas sont nécessaires, mais combien d’entreprises préfèrent payer une amende plutôt que d’embaucher un handicapé ? Si les entreprises ne sont pas contraintes, elles ne recruteront pas de handicapés, parce que ça demande un effort d’adaptation. Les femmes seront, elles, victimes
des mêmes préjugés et des mêmes stéréotypes. Si le législateur ne prend pas ses responsabilités, les conséquences sociales seront désastreuses », constate Saïd Hammouch, fondateur et dirigeant de Mosaïk RH(1). Instaurée dans une logique de rattrapage, la discrimination positive n’a cependant pas tenu ses promesses. Le rattrapage n’a pas eu lieu dans une France qui refuse son caractère polyethnique et qui ne sait toujours pas comment intégrer les minorités ethniques qui la composent, ni même lutter efficacement contre la persistance de pratiques racistes ou sexistes, et encore moins faire face à l’accentuation des inégalités socio-éconmiques. Le rapport 2005 du Bureau international du travail ne montret-il pas qu’à compétence égale, un postulant d’origine africaine ou maghrébine a cinq fois moins de chances d’être convoqué à un entretien d’embauche ? « Pourquoi continuer à débattre de cette question, sachant que les quotas ethniques sont interdits et qu’elle est, à la base, en totale opposition à la loi ? Nous ne sommes pas des Anglo-Saxons. La diversité de la société est telle que la vraie réflexion est celle de l’action positive, de la promotion des compétences et de la diversité. Il faut que le fait de recruter sur le seul critère de la compétence devienne quelque chose de normal, et que l’on mette en place des structures qui le garantissent », professe M. Hammouch. Un vœu pieux ? A l’évidence, on en est loin : êtes-vous pour ou contre la discrimination positive ? Pour ou contre le CV anonyme ? Pour ou contre la parité ? Autant de questions qui, confrontées à la loi, continuent à ne pas trouver de réponse. Alain Lewkowicz
À NOTER Le BEE sud-africain Faisant l’objet de nombreuses fraudes et accusé de ne pas avoir produit encore suffisamment d’industriels noirs, le Black Empowerment, version sud-africaine de la discrimination positive, vient pourtant de fêter ses 10 ans. Ce programme d’émancipation des Noirs, a tout de même permis l’émergence d’une classe moyenne multiraciale inexistante sous l’apartheid.
Des sondages aussi confus que le débat Si une majorité de Français souhaite que soit menée une lutte vigoureuse contre le racisme, tout en s’opposant au principe de discrimination positive, ils sont beaucoup moins nombreux à trouver que les minorités visibles ne sont pas assez présentes dans l’espace public. Pire encore : de l’extrême droite à l’extrême gauche, les sondés se disent majoritairement favorables à la mise en place de statistiques ethniques.
Berkeley, l’université phare en matière de discrimination positive. >
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ême les Américains l’ont compris : le principe de discrimination positive, ou comment instituer des inégalités pour promouvoir l’égalité, est désormais obsolète. Après cinquante ans d’affirmative action, la Cour suprême des Etats-Unis met fin à cette pratique dans les universités publiques du Michigan. Et la tendance serait la même sur le marché de l’emploi. Une victoire pour l’égalité. Si elle a permis aux minorités ethniques d’exister à l’égal des autres, tous les sondages d’opinion montrent que la grande majorité des Américains estime qu’elle n’a plus lieu d’être, jugée inadaptée à l’image de la société d’aujourd’hui. Une révolution dans un pays où le communautarisme reste la pierre angulaire du consensus social.
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1. Mosaïk RH est un cabinet de recrutement et de conseils en ressources humaines, spécialisé dans la promotion de la diversité auprès des entreprises privées et publiques.
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La mode du “diversity business” fera-t-elle reculer les discriminations ?
© Troy House/Corbis
La « diversité » entrepreunariale a la cote. Réticents à la « discrimination positive », des managers français se lancent dans la promotion des compétences comme sur un marché gagnant/gagnant.
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Salariés étrangers Si la question de la gestion des salariés étrangers, souvent amalgamée à celle du fait religieux dans l’entreprise, se fait de plus en plus pressante, les syndicats sont unanimes : « Le climat social et international provoque un risque de repli identitaire et communautaire au sein même des entreprises », constatent-ils. S’ils restent vigilants en faisant de la Charte de la laïcité un garde-fou, c’est le bien vivre ensemble qui l’emporte. « Il est rare de voir ces questions remonter dans les fédérations et au niveau national. Ça se discute entreprise par entreprise », se félicite-t-on chez FO.
n réponse au Premier ministre Manuel Valls qui déclarait aimer les entreprises, tous les indicateurs montrent que les entreprises, elles, n’aiment pas tout le monde. Les discriminations en rapport avec l’emploi représentent encore plus de la moitié des réclamations portées à la connaissance du Défenseur des droits. Les discriminations sont légion, et les politiques mises en place pour les éradiquer ont du mal à tenir leurs engagements. L’heure est au donc changement de braquet et de philosophie. Entre sanctions légales et encouragements financiers, la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations incite les employeurs à favoriser la diversité au sein de leur organisme. Désormais on entend promouvoir l’égalité des chances sur l’unique critère de compétence. Manager les ressources humaines au sein d’une entreprise devient peu à peu synonyme de mise en place de tout un éventail d’outils capables de mettre à mal les préjugés et les stéréotypes fortement ancrés dans l’inconscient collectif, et responsables des comportements discriminants. Contraintes par la loi, les entreprises doivent s’adapter.
DES CHARTES ET CONVENTIONS QUI PEUVENT RAPPORTER GROS Si certaines font comme si la société n’avait pas changé, provoquant de la discrimination et de l’inégalité, tandis que d’autres se mettent en conformité pour échapper à la sanction, elles sont de plus en plus nombreuses à vouloir afficher publiquement leur politique de recrutement.
Altruistes, les entreprises ? « La diversité en entreprise : transformez vos obligations en opportunités. » C’est par ce slogan que l’ensemble des cabinets de conseil en diversité et les organismes chargés d’attribuer trophées, récompenses et autres labels qui ont vu le jour depuis l’application de la loi s’adressent aux entreprises. A travers des chartes, des conventions et des partenariats, la diversité devient un avantage commercial qui peut rapporter gros en termes d’image, de confiance auprès des clients, des consommateurs et de la société en général, qui voit dans l’entreprise le reflet de ce qu’elle est, diverse et mondialisée. « Tout ce qui permet aux entreprises de gagner de l’argent est bon à prendre. Elles ont raison d’être opportunistes », précise Jamila Ysati (voir page 25 de ce numéro), auteur en 2004 d’une thèse consacrée aux prix décernés aux entreprises.
LES ÉQUIPES DE CLONES, ÇA NE FONCTIONNE PLUS Le sociétal devient un élément de business. « Les responsables des ressources humaines ne doivent plus projeter leurs stéréotypes largement partagés sur leurs employés. Ils doivent désapprendre qu’un maçon portugais est forcément meilleur qu’un autre, ou qu’une nounou africaine est forcément plus chaleureuse qu’une suédoise », explique Sophie Durant, directrice de la communication de Randstad, entreprise de recrutement. Et puis, les équipes de clones, ça ne fonctionne plus. Pérenniser l’entreprise passe par la diversité. « Les entreprises labellisées ont compris que c’était une manière d’être plus fortes économiquement, et donc de faire plus de profit », explique Olivier Gibert, responsable presse de l’Afnor-Certification, garante du label diversité créé par l’Etat en 2008. Respectant les 18 critères de lutte contre les discriminations prévus par la loi, ce label est un atout. « Ça ne veut pas dire que l’entreprise est exemplaire en matière de lutte contre les discriminations et de diversité, mais ça veut dire qu’elle a mis en place toutes les structures en interne pour lutter contre », poursuit Olivier Gibert.
UN PARATONNERRE NOMMÉ CHARTE DE LA LAÏCITÉ Chez Paprec, entreprise de recyclage, l’affaire Baby-Loup a provoqué son effet. C’est désormais le principe de précaution qui permet de gérer
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les cinquante nationalités qui composent le ET LES SYNDICATS, DANS TOUT ÇA ? personnel. Sa recette : la Charte de la laïcité. Si les géants du CAC 40 ou ceux de l’audiovisuel « C’est de la com pour nous. On nous accuse s’empressent à nommer un responsable diverde faire du United Color of Benetton. Mais sité, les syndicats restent circonspects. « Les c’est exactement ça qu’on a voulu traduire à labels, c’est bien sur le papier. Mais les grandes une époque où la religion, avec des salariés entreprises le vampirisent. Elles l’achètent, issus de l’immigration ou en provenance de elles en font un produit », disent-ils tous. l’étranger, prend de plus en plus de place dans Certes, il ne suffit pas de tout repeindre en l’entreprise », se réjouit Régis Faour, le directeur vert pour être écolo. de la communication. Pourtant… « C’est une Si la question des signes « Transformez bonne chose qu’au nireligieux au sein d’une veau des directions entreprise privée fait vos obligations d’entreprises, on prenne débat, Paprec affiche la en opportunités. » en compte ces quescouleur : « On a eu le tions en disant : pas de cas d’un chauffeur intéça chez nous ! On est dans le registre de la rimaire qui était musulman et qui ne souhaitait sensibilisation, si on ne le faisait pas, ça serait pas dire bonjour aux femmes quand il se prépire. Qu’elles pensent que c’est vendeur, ça sentait chez nos clients. Ce n’est pas acceptable, nous va ! Sans illusions », conclut Sophie Bénard, d’autant que nous sommes pour l’égalité chargée de presse auprès du défenseur des homme-femme. C’est pour éviter ça que nous droits. Un début, mais un bon début ! avons signé la Charte et qu’on a dû se séparer A quand un comédien noir dans le rôle de de lui. On est une société laïque, tout de même. Molière à la Comédie Française ? Celui qui ne souhaite pas y adhérer n’a rien à Alain Lewkowicz faire dans notre entreprise. »
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À NOTER Le label diversité hors de portée de certaines bourses Si l’Afnor adapte ses tarifs à la taille de l’entreprise, le label diversité coûte cher : 15 000 euros en moyenne, sans tenir compte du coût humain à la charge de l’entreprise qui devra mobiliser les ressources humaines nécessaires à la mise en place des structures que le label impose. Et les TPE, les Très petites entreprises ? Sur les 2 millions d’entreprises françaises de plus de 50 salariés, seules 400 ont été labellisées.
Pour la CFDT, certains employeurs sont dans le déni du racisme ordinaire ! Jean-Louis Malys, secrétaire national de la CFDT, revient sur l’état du dialogue avec les entreprises sur le thème de la discrimination raciale. En dépit d’un environnement législatif bien encadré, il est souvent difficile.
Jean Louis Malys.
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formes de discrimination, qu’elles soient raciales ou qu’elles concernent, par exemple, le sexe ou les apparences. Chacune prend des formes différentes et nécessite des réponses spécifiques. La première, qui n’est pas la plus courante, est le racisme, l’exclusion, proclamés et assumés. La réponse ne peut être que la loi et la condamnation sans faiblesse. La seconde, plus insidieuse, est basée sur des idées reçues qui s’accompagnent d’une forme de paresse, de conformisme. Là, l’action doit être fondée sur l’égalité de traitement, la persuasion et la mise à disposition d’outils pour déconstruire ces a priori et montrer les intérêts de la diversité et de l’égalité. La troisième est davantage liée aux difficultés sociales, scolaires, éducatives, qu’aux questions d’origine
ou d’apparence. La réponse se trouve dans l’égalité des chances et le dialogue social pour permettre l’insertion et la promotion professionnelle.
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Quelles sont, selon vous, les principales formes de discrimination raciale dans les entreprises ? Jean-Louis Malys. Pour la CFDT, il existe trois
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REPÈRES Jean-Louis Malys Responsable, à la CFDT, de la politique sur les retraites, de la politique de l’immigration, de la lutte contre les discriminations et de la lutte contre le racisme, Jean-Louis Malys est par ailleurs responsable de la presse confédérale, des systèmes d’information, des relations extérieures et des relations avec le monde associatif.
Diversité, mode d’emploi Le document « Construire un accord d’entreprise sur la diversité et contre les discriminations » a été réalisé en partenariat avec la Région Lorraine, la Commission européenne et l’ACSE (l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances). Cet outil à l’usage des élus de CE et de délégués syndicaux indique la marche à suivre pour construire un engagement de l’entreprise sur la diversité. www.lacse.fr
À NOTER 45 entreprises s’engagent L’accord national de la diversité dans l’entreprise a été signé le 12 octobre 2006, dans le cadre d’accords professionnels de branche. Il regroupe à ce jour 45 entreprises, dont la plupart sont issues de grands groupes tels que Danone, Suez, AXA, PSA Peugeot Citroën, Snecma, TF1, Groupama, etc. Pour tout renseignement sur la Charte de la diversité : www.halde.fr www.imsentreprendre.com
Estimez-vous que la situation s’est dégradée ces dernières années ? J.-L. M. Pas forcément en quantité, mais les débats de société fournissent d’autres alibis ou « préjugés » sur lesquels peuvent se construire, et parfois se renforcer, des discriminations. Compte tenu de l’évolution des lois, des institutions et des divers engagements des acteurs économiques, en données relatives, on peut considérer que cela s’est aggravé. Par ailleurs, la CFDT condamne toutes les tentatives d’instrumentalisation de faits de société ou d’événements internationaux pour alimenter le racisme et l’antisémitisme.
La CFDT est-elle davantage sollicitée sur ce sujet en période de fort chômage ? J.-L. M. Sur le racisme, nous ne sommes pas plus sollicités, et c’est nous qui prenons souvent l’initiative sur les inégalités au travail, en mobilisant nos équipes sur le racisme et l’antisémitisme, en participant activement à la mobilisation de la société.
Comment la CFDT aborde-t-elle la discrimination raciale et antisémite dans le monde du travail ? J.-L. M. Nous faisons en sorte de travailler avec les autres acteurs. Par ailleurs, nous nous situons sur le terrain de l’égalité au travail, où nous ne sommes pas forcément face à des actes racistes ou antisémites, mais néanmoins discriminants. Nous portons principalement notre attention sur les inégalités de traitement, et cherchons à créer des espaces de dialogue en nous inspirant largement de l’accord national du 12 octobre 2006 relatif à la diversité dans l’entreprise. Nous tentons d’intégrer cette question dans une approche globale en matière d’égalité et d’emploi, en élargissant les thématiques à d’autres questions longtemps restées orphelines, comme l’orientation sexuelle, le diabète ou la pauvreté.
Menez-vous des actions particulières à ce sujet ? J.-L. M. Nous sommes, bien sûr, présents aux côtés des associations dans toutes les mobilisations morales et citoyennes de la société : marches, rassemblements, manifestations, colloques. Nous menons des actions dans les entreprises par le dialogue social, à travers les institutions représentatives du personnel. Nous sensibilisons nos équipes syndicales à ces problématiques. Tout récemment, des actions particulières ont été menées sur la montée des populismes. La CFDT considère que le Front national n’est pas un parti comme les autres, et que les extrémismes de tout bord constituent un danger pour le « vivre ensemble ».
Comment percevez-vous la position des instances patronale ? Se montrent-elles coopératives ? J.-L. M. Deux réalités différentes coexistent :
celle d’entreprises pionnières qui mettent en place de vrais outils, et celle du patronat institutionnel qui, malgré nos demandes réitérées, a déserté les espaces de dialogue et d’évolution de cette thématique.
Pensez-vous que les entreprises sont plus sensibilisées aujourd’hui à cette question ? J.-L. M. Oui, certaines entreprises, surtout parmi les plus grandes, communiquent — et parfois agissent — de plus en plus sur ces questions. C’est une bonne chose. Elles y trouvent souvent des intérêts : baisse du risque de contentieux juridiques, valorisation de l’image, mais aussi besoin de recruter largement pour atteindre certaines compétences. Pour les plus petites entreprises, c’est moins évident, par manque de lieu pour intervenir sur ces questions et par peur, pour elles, de se sentir culpabilisées… Certains employeurs sont dans le déni et considèrent qu’aborder ces questions constituerait une forme d’aveu.
On reparle à nouveau du CV anonyme. Quelle est votre position à ce sujet ? J.-L. M. Ce n’est pas la solution miracle, mais son approfondissement permet une forme d’objectivation utile des compétences et des profils.
Existe-t-il une démarche commune entre les différents partenaires sociaux pour faire avancer le débat ? J.-L. M. Malgré le contexte syndical divisé, nous portons sur ces questions une vision assez identique, car défendre les salariés suppose de reconnaître l’égalité entre eux, quelles que soient leurs différences. Par contre, avec les organisations patronales, il n’y a pas de désaccord formel, mais c’est un sujet qu’ils ne veulent pas aborder avec nous.
Quelles seraient, selon vous, les actions les plus efficaces à mener pour éradiquer ce rejet ? J.-L. M. Ces sentiments de rejet de l’autre sont la résultante d’une vision étroite de notre société. L’action publique pour combattre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations est une nécessité dans le domaine éducatif comme dans les domaines politique, urbain, social et citoyen. En ce qui concerne le monde du travail, au-delà de l’action que mènent la CFDT et d’autres organisations dans les entreprises et vers les salariés, il serait nécessaire de replacer cette question dans le dialogue social en poursuivant les pistes tracées par l’accord diversité du 12 octobre 2006. Il faut également envoyer des messages sans ambiguïté sur la richesse de notre société, et plus particulièrement en matière de politique de la ville ou de politique d’immigration. Propos recueillis par Alain Barbanel
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”Beurs, Blacks et entreprise“ : peut mieux faire ! Universitaire et manager, Jamila Ysati a recensé les réticences à embaucher des jeunes dits « issus de la diversité ».
À LIRE
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Jamila Ysati : « Beurs, Blacks et entreprise ». Ed. Eyrolles, 2005, coll. « Document », 240 p.
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aidar, 20 ans, est en deuxième année de BTS comptabilité. Avec 14 de moyenne, ce fils de maçon est un bon élément. Mais quand il décroche un stage dans un cabinet, on lui dit tout de go : « Le client ne voulait pas avoir affaire à un Arabe. » Peu de temps après, on le débauche pour prendre à sa place le fils d’un client… « Il y a des têtes qui ne passent pas », commente, dépité, Haidar. Cet exemple de discrimination raciale à l’embauche cité par Jamila Ysati, universitaire à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, dans son ouvrage « Beurs, Blacks et entreprise », est loin d’être un cas isolé. « On peut estimer aujourd’hui que 30 % des Français sont victimes de discrimination, soit un sur trois ! Et la crise est un processus qui accentue le phénomène », explique-t-elle.
aux entretiens d’embauche, ne recrutent pas pour autant facilement les jeunes issus de l’immigration. » Dans les faits, à niveau de compétence égale, les employeurs donnent la préférence aux jeunes Français de souche. « C’est un sujet vicieux, car personne ne reconnaît qu’il est raciste », souligne Jamila Ysati, qui constate que la discrimination est moins flagrante dans les grandes métropoles, qui respectent davantage la diversité sous l’influence des grands groupes dont les sièges sociaux y ont élu domicile. Les signataires de la Charte de la diversité ont bien formé leurs salariés. Mais qu’en est-il aujourd’hui, avec la crise ?
TESTING, C.V. ANONYME, CHARTE : UN BILAN MODESTE
« Cela étant, on ne peut qu’encourager les bonnes pratiques et le volontariat, qui existent heureusement en France et qui émanent de l’initiative de chefs d’entreprises convaincus, essentiellement dans des PME et plutôt en province. Mais ceux-là n’occupent pas le devant de la scène. Dans le contexte actuel, il est urgent que les pouvoirs publics fassent des efforts, surtout le système éducatif, puisque c’est là que les rôles sont distribués », recommande Jamila Ysati.
Que s’est-il passé depuis 2005, qui a vu éclore la démarche du testing, du CV anonyme, et surtout l’apparition de la Charte de la diversité ? Pour l’auteur de cette étude, pas grand-chose. « Certes, on a ouvert le débat, les entreprises ont évolué en termes de prise de conscience, les médias et les gouvernements ont ouvert leurs portes aux Français issus de la diversité. mais concrètement, sur le terrain, on constate que les entreprises, si elles facilitent l’accès
DES RÔLES DISTRIBUÉS DÈS L’ÉCOLE
Alain Barbanel
La HALDE Attirant l’attention sur les minorités visibles dans l’entreprise, le rapport de l’Institut Montaigne a eu pour effet une nouvelle loi, datée du 30 décembre 2004 («J O » n° 304), instituant la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde). Dans la foulée, une quarantaine d’entreprises ont signé la Charte de la diversité, le 22 octobre 2004.
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Jamila Ysati.
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Quand la moutarde leur monte au nez A Dijon, trois cas concrets de discrimination, à la gare, à l’école et à l’hôpital… Trois calvaires professionnels sélectionnés parmi des centaines…
© Madilen / Stock Photo
élève. L’administration lui tombe dessus : « Mais ce qui m’a fait vraiment mal, c’est l’absence de soutien des collègues, le vide autour de moi : tout d’un coup, j’ai compris ce que j’étais : pas une femme, pas une syndicaliste, pas une femme de gauche, une militante. Juste une Arabe. »
Les vaches et les couleurs Habibatou est vétérinaire. Après des études en Allemagne, ne pouvant s’établir en Afrique, elle choisit un village près de Dijon – et se heurte à tous les préjugés imaginables : comment une femme, noire, pourraitelle accoucher les vaches ? Après bien des problèmes avec les clients, son associé, la municipalité, elle essaie de se maintenir.
Brave collègue… Rachid conduit un bus à Divia (l’équivalent dijonnais de la RATP). Après un accident – où sa responsabilité n’est pas engagée – et une période de dépression, il se heurte à une collègue qui, profitant de la situation, crée un climat où le racisme est quotidien. Actuellement, Rachid est de nouveau en arrêt, en dépression.
Alvil travaille à la SNCF. Il a rejoint la section Licra de Dijon il y a huit mois. « Il y a huit ans, je suis intervenu pour soutenir un collègue victime de propos racistes de la part d’un cadre. Depuis, je n’ai pas avancé dans ma carrière. On me fait faire des remplacements correspondant à des postes bien audessus de mes qualifications officielles, souvent de longs remplacements. Mais on ne me titularise pas. Alors que d’autres, arrivés après moi, avec des qualifications moindres, évoluent, moi je stagne. Et ça dure depuis huit ans. J’ai tout essayé, démarches syndicales et tout. Mais on me donne de fausses raisons. Il n’y a rien à me reprocher professionnellement, pas de fautes, pas même un retard. Et, dans mon service, je suis le seul Maghrébin. » La Licra a fait une démarche auprès du service. Il nous a été répondu que l’évolution de carrière d’Alvil était normale : ce qui, au regard de la situation telle que nous avons pu l’appréhender en consultant les tableaux de service, est pour le moins discutable. Nous avons conseillé à Alvil de porter l’affaire, dans un premier temps, devant le tribunal des prud’hommes, pour vérifier qu’il n’y a pas d’anomalie du point de vue du droit du travail. Si le tribunal lui donne raison, nous pourrons poser la question de la discrimination. Martine a travaillé à l’infirmerie d’un établissement scolaire de Dijon. Toujours près des élèves, attentive aux situations humaines, elle n’a jamais cédé sur les questions de principe, n’hésitant pas à tenir tête à l’administration. L’année dernière, suite à un incident, des parents la mettent en cause sur l’assistance qu’elle porte à un
Nordine, la trentaine, qui a fait des études assez poussées, un BTS, une réelle culture littéraire, s’est retrouvé cuisinier à l’hôpital de Dijon. Il a été pris dans un véritable tourbillon. « Quelques-uns de mes collègues ont tracé autour de moi un cercle infernal. Je dépendais d’eux pour tout, pour le service, pour les horaires ; j’étais de toutes les corvées, toutes les fautes m’étaient imputées, et même, on en inventait contre moi. Et je ne parle pas des mots, des blessures au quotidien, des injures racistes. Je ne m’en sortais pas, j’ai craqué, plusieurs fois. J’ai dû divorcer. J’essaie encore de tenir, pour ma petite fille… » La Licra est intervenue auprès de la DRH de l’hôpital, un conseil de discipline a été réuni, des sanctions prises. Nordine a changé de service. Mais les dégâts commis sont-ils réversibles ? Il a actuellement quitté Dijon. On lui souhaite bonne chance, et du courage. J’ai recueilli bien d’autres témoignages. Ils présentent une caractéristique commune : des situations de psychodrame liées aux conditions de travail, aux rapports de pouvoir mal dominés, dérivant, tout naturellement si on peut dire, en situations de racisme dans lesquelles, souvent, la victime, isolée, voit se refermer sur elle un « cercle infernal ». Elle réagit alors comme elle peut. Et cela est vrai dans tous les milieux, quel que soit le degré d’instruction de la victime (un médecin, un vétérinaire sont tout aussi fragilisables qu’un agent hospitalier ou un agent municipal) : c’est chaque fois le monde qui leur tombe sur la tête. La solution serait de sortir du psychodrame, de rétablir le regard extérieur, républicain. C’est rarement facile. Alain David
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20 € p ar an
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UNIVERSITÉ d’automne
LE PROGRAMME
« Stop aux communautarismes ! Pour l’universalité des droits de l’homme » La tentation communautariste gagne nombre de consciences. Certains de nos concitoyens, lorsque l’attention publique se porte sur les revendications et la mémoire d’une communauté, s’empressent de déplorer qu’il y aurait « deux poids deux mesures » et des groupes privilégiés par l’Etat et les institutions publiques. Ce sentiment est-il légitime ? Y a-t-il un palmarès des souffrances avec ses dérives communautaristes ? La lutte des groupes ethniques ou religieux pour la reconnaissance doit-elle connaître des limites ? Pendant trois jours, au Havre, notre université d’automne dira « Stop aux communautarismes » pour esquisser une réflexion sur l’universalité des droits de l’homme. Des intellectuels, des militants, des politiques évalueront la conjoncture pour esquisser ce que pourrait être une convergence des mémoires et le respect par tous de l’histoire spécifique de chaque groupe. Différents ateliers permettront de construire cette réponse universaliste aux communautarismes. Antoine Spire
VENDREDI 17 OCTOBRE AU PASINO DU HAVRE
Alain Chouraqui
Table ronde n°1 : « CONVERGENCE DES MÉMOIRES » 18 h 30–20 h 30 Présentation du film sur le même thème par Alain Chouraqui, président de la Fondation du camp des Milles, directeur de recherches au CNRS. Animateur : Antoine Spire Intervenants : Alain Jakubowicz, Pierre Tartakowski, Pierre Mairat, Dominique Sopo.
Pierre Tartakowsky, fut rédacteur en chef d’« Opinion », la revue des cadres de la CFDT. Président de la LDH depuis 2011, il est l’auteur de nombreux ouvrages.
Pierre Mairat, avocat, coprésident du Mrap (avec Bernadette Hétier).
Alain Jakubowicz, président de la Licra.
Dominique Sopo, président de SOS-Racisme.
fut, dès le début des années 80, l’un des premiers défenseurs du camp des Milles, qu’il a opiniâtrement sauvé de la destruction. Chercheur au CNRS, il est aujourd’hui le président de la Fondation du camp des Milles. Situé à Aix-en-Provence, ce camp d’internement et de déportation est décrit par les historiens comme « un Vel d’Hiv du Sud administré par les autorités françaises ». Le mémorial du camp des Milles est un lieu de mémoire, mais aussi un espace culturel et de pédagogie active.
UNIVERSITÉ d’automne
Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°652 | octobre 2014 | 28
Séta Papazian est présidente du collectif Vigilance arménienne contre le négationnisme (VAN), créé en 2004. Ancienne élève de l’Ensad de Paris (Arts déco), elle fut illustratrice d’albums pour enfants, ainsi « La Goutte de miel » (Ed. Parenthèses, 1980, primé à la Foire internationale du Livre de Leipzig). Elle a également travaillé durant vingt ans dans le domaine de la publicité et de la communication.
Rafaelle Maison est professeur de droit international à l’université Paris XI. Elle est l’auteur de « La Responsabilité individuelle pour crime d’Etat » (Ed Bruylant, 2004). Sa présentation générale des « archives de François Mitterrand » sur le Rwanda dans la revue « Esprit » (mai 2010) faisait notamment ressortir le rôle déterminant de Mitterrand dans le soutien militaire et diplomatique au régime génocidaire.
Antoine Spire
Alain David
Fabrice D’Almeida enseigne à l’Institut français de la presse (IFP), au sein de l’université Paris II Panthéon Assas. Spécialiste de l’histoire des médias, il s’intéresse tout particulièrement à l’internationalisation des médias et aux mécanismes de la propagande. Il a publié « La Manipulation, Histoire des médias en France : de la Grande Guerre à nos jours » (avec C. Delporte), « Une histoire mondiale de la propagande : De 1900 à nos jours ».
Annette Bloch
SAMEDI 18 OCTOBRE AU PASINO DU HAVRE Ateliers 9 h 30–12 h 30 • Atelier 1 : « Comment parler des génocides sans les opposer les uns aux autres ? » Animateur : Alain David, vice-président de la Commission Mémoire, Histoire et Droits de l’Homme de la Licra, Intervenants : Rafaelle Maison, professeur de droit international à l’université Paris XI, Jacqueline Costa-Lascoux, sociologue. Seta Papazian, présidente du collectif VAN. • Atelier 2 : « La laïcité est-elle un rempart contre les communautarismes ? » Animatrice : Annette Bloch, vice-présidente de la Licra, Intervenants : Jean-Michel Quillardet, ancien Grand Maître du Grand Orient de France, Bernard Kanovitch, spécialiste des relations avec le monde musulman au sein du Crif, Chems-Eddine Hafiz, vice-président du Conseil français du culte musulman. • Atelier 3 : « Universalisme des droits et liberté d’expression » Animateurs : Martine Benayoun, présidente du Cercle de la Licra, Philippe Schmidt, président de la Commission internationale de la Licra. Intervenants : Fabrice d’Almeida, professeur des universités, Gaspard Koenig, écrivain, Yamina Thabet, présidente de ATSM (association tunisienne de soutien des minorités). • Atelier 4 : « Activite juridique : procédures et qualifications pénales des infractions » Animateurs : avocats membres de la Commission juridique de la Licra.
Yamina Thabet
Jacqueline Costa-Lascoux est directrice de recherche au CNRS. Elle a été membre du HCI (Haut Conseil à l’intégration) et directrice de l’OSII (Observatoire des statistiques de l’immigration et de l’intégration). Elle a fait partie de la commission Stasi sur la laïcité. Sociologue de l’immigration et de la laïcité, elle est auteur de très nombreux articles et ouvrages, dont « Renault sur Seine », « Hommes et lieux de mémoires de l’industrie automobile » (La Découverte, 2007) et « L’Humiliation. Les Jeunes dans la crise politique » (L’Atelier, 2009).
Martine Benayoun
Philippe Schmidt
Gaspard Koenig
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UNIVERSITÉ d’automne
Bernard Kanovitch est rhumatologue, professeur honoraire à l’université Paris XI, et ancien chef de service à la fondation Rothschild. Il a appartenu au Comité consultatif national d’éthique et au Conseil national du Sida. Il a publié, en 2012, « L’Ethique biomédicale : posture ou imposture ? » Engagé dans les instances communautaires juives, il a notamment présidé le centre Rachi d’art et de culture, et il a travaillé sans relâche au dialogue interreligieux en tant que président de la Commission des relations avec les musulmans au sein du Crif. Attaché à la laïcité, il estime que le rapprochement entre les religions permettra de bâtir une civilisation de l’universel. Enfant caché durant la Shoah, il raconte son parcours de juif et de républicain dans « Itinéraire d’un juif français ».
Table ronde n°2 : « CONCURRENCE DES MÉMOIRES, SENTIMENT DU DEUX POIDS, DEUX MESURES » 14 h 30–16 h 30 Intervenants : Rokhaya Diallo, essayiste, Yves Ternon, historien, Sonia Combe, historienne, Pascal Bruckner, romancier et essayiste, Catherine Coquio, présidente de l’Association internationale de recherche sur les crimes contre l’humanité et les génocides.
12 h 30-14 h Cocktail déjeunatoire au Pasino.
Sonia Combe, historienne, chercheuse au CNRS et rattachée au centre Marc-Bloch de Berlin, est spécialiste de l’histoire contemporaine des ex-pays de l’Est. Conservateur d’Etat, elle a longuement étudié l’utilisation des archives et publié de nombreux livres et articles à ce sujet : « Archives interdites. Les peurs françaises face à l’histoire contemporaine », « Une société sous surveillance. Les intellectuels et la Stasi ». Son dernier ouvrage, « Une vie contre une autre. Echange de victime et modalités de survie dans le camp de Buchenwald », contribue à explorer un sujet tabou de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, les modalités de la survie dans les conditions extrêmes.
Catherine Coquio est professeur de littérature comparée à l’université Paris 7. Elle travaille sur l’approche textuelle des génocides et les rapports entre histoire et fiction. Elle est l’auteur d’ouvrages majeurs dans son domaine de recherche : « Parler des camps, penser les génocides » (dir), « L’Histoire trouée : négation et témoignage » (dir.) « Rwanda. Le réel et les récits, L’enfant et le génocide » (avec A. Kalisky), « Roms, tsiganes, nomades, un malentendu européen » (avec Jean Luc Pouyeto), Ed. Karthala.
Rokhaya Diallo est diplomée de droit international et de marketing en distribution industrielle audiovisuelle. Journaliste pour la télévision et la radio, elle anime « Fresh Cultures » sur Le Mouv’ et présente et coréalise « Egaux mais pas trop » sur LCP. Elle a fondé en 2006 l’association « Les Indivisibles », qu’elle préside. Elle a publié notamment « Racisme, mode d’emploi » (Ed. Larousse, 2011) et « La France une et multiculturelle » (Ed. Fayard, 2012).
La formation initiale d’Yves Ternon l’avait conduit vers la chirurgie, mais dès le milieu des années soixante, sa passion de l’histoire l’a amené vers la recherche et un nouveau doctorat. Spécialiste de la notion de négationnisme appliquée aux génocides arméniens, rwandais et à la Shoah, il est l’auteur de nombreux ouvrages, tels « Les Arméniens. Histoire d’un génocide », « L’État criminel. Les génocides au XXe siècle », « Du négationnisme. Mémoire et tabou ». Yves Ternon est membre du Conseil scientifique du mémorial de la Shoah et, depuis 2013, président du Comité scientifique international pour l’étude du génocide arménien (CSI), qui procède à l’étude comparée des génocides contemporains.
Pascal Bruckner est romancier et essayiste. Depuis 1986, il enseigne dans des universités américaines, notamment celle de New York. Parmi ses œuvres romanesques, citons : « Lunes de fiel » (adapté à l’écran par Roman Polanski) ; « La Tentation de l’innocence » (prix Médicis « Essai » en 1995) ; « Les Voleurs de beauté » (prix Renaudot en 1997) ; l’essai « Le Sanglot de l’homme blanc » – une charge contre les dérives narcissiques et destructrices qui seraient, selon lui, celles du tiers-mondisme. En 2011, il critique l’écologie radicale dans « Le Fanatisme de l’apocalypse ». Il vient de publier « Un bon fils » aux Editions Grasset.
UNIVERSITÉ d’automne
Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°652 | octobre 2014 | 30
SAMEDI 18 OCTOBRE AU PASINO DU HAVRE Table ronde n°3 : « QUELLES LIMITES AUX REVENDICATIONS IDENTITAIRES DANS UN CADRE RÉPUBLICAIN ET UNIVERSALISTE ? » 17 h–18 h 30 Jacqueline Costa-Lascoux, sociologue, Louis-Georges Tin, président du Cran, Chems-Eddine Hafiz, vice-président du Conseil français du culte musulman, Jean-Michel Quillardet, ancien Grand Maître du Grand Orient de France, Sacha Reingewirtz, président de l’UEJF.
19 h Réception à la mairie du Havre, par Edouard Philippe, député-maire du Havre. 20 h 30 Soirée culturelle au Petit Théâtre. Chants, poésies, danses du monde. Par la compagnie Univers’Elle et la section Licra-Le Havre.
Chems-Eddine Hafiz est avocat aux barreaux d’Alger et de Paris. Il siège comme arbitre international auprès du Centre de conciliation, d’arbitrage et d’expertise de la chambre de commerce franco-arabe. Il a fondé l’Association des avocats algériens de France en 2001. Il est président d’honneur, membre fondateur de l’Association Euro-Maghreb des avocats de droit des affaires (Aemada).
Jean Michel Quillardet est avocat à la cour d’appel de Paris et ancien Grand Maître du Grand Orient de France. En 2008, il a fondé avec Antoine Sfeir l’Observatoire international de la laïcité contre les dérives communautaires, dont il assure la présidence. Depuis 2009, il est membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Il est notamment coauteur du « Guide du droit du travail des PME » (Ed. Dallian), coauteur de « Le Malentendu maçonnique » (Ed. Detrad), et collaborateur du « Dictionnaire de la laïcité » (Ed. Armand Colin, 2011).
Louis George Tin, ancien élève de l’Ecole normale supérieure, est maître de conférences à l’université d’Orléans. Après un long parcours de militant, il est actuellement président du Conseil représentatif des associations noires (CRAN) de France, dont il fut le porte-parole depuis sa création en 2005. En 2003, il dirige le « Dictionnaire de l’homophobie », livre collectif rassemblant 75 auteurs, publié aux Presses universitaires de France, avec une préface de Bertrand Delanoë.
Edouard Philippe
Sacha Reingewirtz
Jacques Toubon
DIMANCHE 19 OCTOBRE AU PASINO DU HAVRE Rencontres-débats : « DROITS DES MINORITÉS ET UNIVERSALISME RÉPUBLICAIN » 10 h 30–12 h Animateur : Yvan Levaï. Intervenants : Jacques Toubon, Défenseur des droits. Bernard-Henri Lévy, philosophe.
est actuellement Défenseur des droits. Il a fait précédemment une carrière politique d’exception. Relevons seulement : député de Paris, il a dirigé la mairie du 13e ; il a succédé à Jack Lang au ministère de la Culture au sein du gouvernement Balladur en 1993, puis fut ministre de la Justice en 1995. Il a par la suite été élu député européen. Jacques Toubon a présidé depuis 2005 le conseil d’orientation de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, qu’il avait contribué à créer.
Bernard-Henri Lévy
Yvan Levaï
Participation aux frais : 60 euros. Inscrivez-vous sur le site internet de la Licra : www.licra.org ou envoyez votre chèque par courrier au : 42 rue du Louvre – 75001 Paris. Les tables rondes seront animées par Ivan Levaï et Antoine Spire, journalistes.
MÉMOIRE
Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°652 | octobre 2014 | 32
1939-2014 : la terrible leçon du camp des Milles Sur l’emplacement du camp où furent internés des juifs allemands anti-fascistes, Alain Chouraqui nous apprend à agir avant qu'il ne soit trop tard.
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Camp de Milles, ouvert en 1939 dans la zone dite « libre ».
Le camp des Milles est le seul grand camp français d’internement et de déportation encore intact. Votre fondation a enfin pu l’ouvrir au public fin 2012, après trente ans de combat militant. Que présente-til au visiteur ? Avec quels objectifs ?
À NOTER La Fondation du camp des Milles – Mémoire et Education, reconnue d’utilité publique par décret du Premier ministre, rassemble l’Etat et les autres partenaires publics, privés et associatifs concernés. Elle gère aujourd’hui le Site mémorial du camp des Milles, inauguré en septembre 2012 par le Premier ministre.
Alain Chouraqui. Le camp des Milles a vu passer 10 000 internés de 38 nationalités, dont de nombreux artistes et intellectuels comme Max Ernst ou Hans Bellmer, des hommes politiques, des journalistes… Son histoire témoigne des intolérances successives, xénophobe, idéologique et antisémite, qui conduisirent à la déportation de plus de 2 000 hommes, femmes et enfants juifs depuis le camp des Milles vers le camp d’extermination d’Auschwitz. Ils faisaient partie des 10 000 juifs de la zone dite « libre » qui, avant même l’occupation de cette zone, ont été livrés aux nazis par le gouvernement de Vichy, puis assassinés dans le cadre de la Solution finale. L’ambition du Site mémorial du camp des Milles est de rappeler cette histoire tragique, et de s’ap-
puyer sur l’histoire de la Shoah et d’autres génocides pour présenter un « volet réflexif » inédit, visant à renforcer la vigilance et la responsabilité du visiteur face aux menaces permanentes du racisme, de l’antisémitisme et du fanatisme. Ce « volet réflexif », aujourd’hui reconnu par l’Unesco, présente pour la première fois sur un lieu de mémoire des connaissances scientifiques pluridisciplinaires qui permettent au visiteur de mieux comprendre les engrenages – résistibles – et les mécanismes humains récurrents (préjugés, passivité, effet de groupe, soumission aveugle à l’autorité…) qui ont conduit et peuvent conduire au pire. Il s’agit ainsi de donner au visiteur des outils de réflexion sur la responsabilité de chacun dans une « montée des périls ». Cette section « réflexive » se termine par un « Mur des actes justes », mur présentant la diversité des actes de sauvetage et de résistance aux quatre grands crimes à caractère génocidaire du xxe siècle, – contre les Arméniens, les Juifs, les Tsiganes, et les Tutsis au Rwanda. Un hommage, et une invitation à la responsabilité individuelle.
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On peut aussi visiter l’exposition nationale de Serge Klarsfeld sur les « 11 000 enfants juifs déportés de France à Auschwitz ». Il s’agit d’une collection exceptionnelle de documents rares, présentée de manière permanente dans les lieux. A quoi s’est ajoutée, depuis juillet, l’exposition nationale réalisée par l’OSE sur « les Enfants sauvés ». Ces expositions prennent un relief particulier au camp des Milles, d’où furent déportés une centaine d’enfants juifs à partir de l’âge de 1 an, tandis que d’autres purent être sauvés par les organisations de secours. Que pensez-vous de la montée de l’antisémitisme et du racisme aujourd’hui ? A.C. Je suis inquiet, bien sûr, de voir toute la société, y compris les juifs et les musulmans, prise en tenaille entre des islamistes radicaux et l’extrême droite héritière de Vichy, dont les crispations identitaires et les haines peuvent d’ailleurs se nourrir entre elles, voire se rejoindre dans une haine commune de la démocratie et des juifs. Coup sur coup, en une dynamique rapide, se sont enchaînés la stigmatisation des Roms, des insultes racistes contre une ministre antillaise, une forte augmentation des violences contre les juifs et les musulmans, jusqu’au paroxysme des assassinats de Toulouse, Montauban, Bruxelles, donnant une résonance tragique aux « Mort aux Juifs » entendus dans une foule parisienne dont certains prirent pour cibles des synagogues, des centres culturels, des commerces, voire des domiciles de personnes juives… A Paris, en 2014 ! Face à cette insupportable violence antisémite, il y a cependant deux facteurs majeurs dans notre pays, qui devraient faciliter l’apaisement des plus anxieux : l’existence d’un paradoxe entre un sentiment antisémite à un niveau historiquement bas dans le peuple français, et une violence antisémite croissante chez une minorité, nourrie à la fois par l’antisionisme et par des préjugés anciens entretenus par l’extrême droite. Et puis, les pouvoirs publics sont aujourd’hui très attentifs à combattre le racisme et l’antisémitisme. C’est là que l’on voit d’ailleurs à quel point il est essentiel que le pouvoir ne bascule pas vers un régime autoritaire aux tendances nationalistes et intolérantes. Le désarroi que provoque parfois la tenaille des extrémismes devrait être remplacé par l’apprentissage progressif d’une société aujourd’hui plus violente et plus raciste, qui implique à la fois de prendre fermement toutes les mesures de sécurité nécessaires, mais aussi de continuer à vivre normalement et de ne pas faire le jeu des ennemis de la République. Le mauvais sort fait aux minorités est le plus souvent révélateur de maux profonds dans toute la société, et alerte sur des dérives ou des basculements mortifères pour tous, y compris pour ceux qui croient encore que l’arbitraire ne touche que les autres. L’Histoire nous apprend notamment
MÉMOIRE
que l’antisémitisme est un cheval de Troie dangereux contre la République et les libertés de tous. Car les racismes, l’antisémitisme et les intolérances religieuses, s’ils ne sont pas immé« L’histoire apprend qu’il diatement combattus, ont un pouvoir de contamifaut réagir vite et fort nation et un potentiel exau potentiel explosif plosif exceptionnels, justifiant une vigilance et des racismes et aux une fermeté elles-mêmes engrenages qui peuvent exceptionnelles. L’irramener au pire les sociétés tionnel des passions et de la violence racistes démocratiques. » peut très vite empêcher le débat démocratique d’apaiser normalement les tensions inévitables d’une société. Ne voit-on pas aujourd’hui que le racisme devient l’aliment principal des extrêmes, au point d’unir souvent ultradroite et ultragauTOPOGRAPHIE che ? Ce fut d’ailleurs le cas du national-socialisme, parfois rebaptisé aujourd’hui nationalLes expositions populisme pour avancer masqué. permanentes du Site mémorial sont organisées sur 15 000 mètres carrés et 7 hectares en plein air. En sortant du bâtiment principal, le visiteur accède à une salle des Peintures où se trouvent d’immenses peintures murales colorées et ironiques, réalisées par les internés. Le chemin des Déportés, emprunté pendant l’été 1942 par les déportés, conduit enfin au wagon du Souvenir, situé à l’endroit même de leur départ. Enfin, une exposition temporaire, réalisée au Rwanda même par le Site mémorial, est actuellement présentée pour le 20e anniversaire du génocide des Tutsis.
REPÈRES Alain Chouraqui, directeur de recherche au CNRS, est titulaire de la chaire Unesco « Education à la citoyenneté, sciences de l’homme et convergence des mémoires ».
Au camp des Milles, pour la première fois dans le monde, vous présentez ces mécanismes sur un lieu de mémoire. A.C. Auschwitz est devenu un repère pour toute l’humanité, et c’est ce repère partagé que la conscience et la loi interdisent absolument d’affaiblir. Entre autres leçons majeures, la Shoah livre deux clés de compréhension universelles et utiles au présent. – C’est dans les commencements des engrenages dangereux qu’il faut réagir fermement, chacun à sa manière et à sa place, car si les résistances contre les extrémistes finissent toujours par être efficaces, elles sont de plus en plus difficiles, voire sanglantes, au fil du temps et de certains emballements parfois non maîtrisables ; en quelques mois, des provocateurs violents et une alliance avec des partis démocratiques affaiblis ont pu – et peuvent encore – conduire à l’autoritarisme criminel et aux premiers camps… – Dans une démocratie, c’est le basculement vers un pouvoir autoritaire qui constitue l’étape décisive dans les atteintes à toutes les libertés, et notamment dans le crescendo antisémite ou raciste. Un tel pouvoir peut arriver par les urnes, sans même qu’une majorité soit nécessaire : a-t-il fallu l’adhésion de plus d’un tiers des Allemands pour installer Hitler ? Mais le vote ne donne pas pour autant une légitimité démocratique à un tel pouvoir, car la démocratie est un régime politique qui comprend d’autres principes essentiels que l’élection au suffrage universel (respect de l’opposition, des minorités, des médias, des droits et libertés en général…) ; sinon le nazisme ou le stalinisme devraient être considérés comme démocratiques ! Propos recueillis par Abel Sorkine
INTERNATIONAL
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Les énigmes du Rwanda, vingt ans après Avec Annie Faure, nous avons été reçus, pour la Licra, dans un pays qui tente encore de se relever du génocide. Aux fameux « gatchatchas », ces « tribunaux sur l’herbe » où, au village, on juge les génocidaires, semble correspondre (en attendant mieux ?) une « démocratie sur l’herbe »... qui n’a rien d’un pique-nique. d’un patriotisme qui affleure à tous les niveaux de la vie quotidienne. Je lui dis aussi ma difficulté à comprendre comment il peut y avoir cohabitation entre rescapés et génocidaires. Comment cette cohabitation impossible se mue-telle en patriotisme ? Il m’écoute, approuve, confirme, explique sans que je comprenne. Oui, le patriotisme ? Oui, la chose impensable de vivre après. « Il y a vingt ans, il n’y avait rien, vous savez… » « Il n’y a plus de distinction entre Tutsi et Hutu... » UNE « VOLONTÉ GÉNÉRALE » « Les gacaca… ». « Nous n’avons pas le choix… » INCARNÉE PAR PAUL KAGAMÉ [J’entendrai assez souvent cette dernière phrase Je lui présente la Licra, son engagement, les interrogations que nous avons sur le Rwanda actuel. au cours de mon séjour. Elle me rappelle le « en bréra » israélien : « No Je suis face à un homme choice !» – La compadans la quarantaine, s’exDes ordinateurs partout, raison avec Israël me primant à voix lente, viendra d’ailleurs souchoisissant ses mots en et un patriotisme vent à l’esprit –. « Nous français, très à l’écoute à fleur de peau… devons d’abord compter de son interlocuteur. sur nous-mêmes. » « La Je l’interroge sur la société rwandaise, lui dis mes impressions... d’un pays réussite du pays est la réponse que nous apportons épris de modernité (des ordinateurs partout…), au génocide. »] nnie Faure et moi-même avons été reçus à Kigali, au Rwanda, par Jean de Dieu Mucyo. C’est un rescapé, ancien ministre de la Justice, ancien procureur général, responsable d’un rapport volumineux sur les responsabilités françaises (plus de 300 pages qui mettent en cause 13 personnalités civiles et une vingtaine de militaires).
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A l’origine, les tribunaux communautaires villageois, gatchatcha en rwandais, permettaient de régler les différends familiaux ou de voisignage.
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Je me risque à poser des questions sensibles, en REPÈRES essayant d’y aller progressivement : les partis Les gacaca politiques, la presse, l’opposition ? (prononcez gatchatchas) M. Mucyo ne se montre pas embarrassé, m’en- Ces « tribunaux sur courage même à aller au bout de mon question- l’herbe », bricolés pour nement. Oui, bien sûr, il existe des partis, et une juger, en l’absence de tout vie démocratique, la Constitution empêchant tout appareil juridique, deux parti de dépasser 49 %, afin de faire barrage à millions de génocidaires, l’hégémonie d’un parti et ne pas se retrouver sont des tribunaux de proximité, pendants d’un dans la situation antérieure au génocide. Oui, bien sûr, il y a une opposition. Sur le coup, génocide de proximité. je ne comprends pas très bien la distinction qu’il Les historiens et les introduit : le débat, explique-t-il, fait partie de la juristes auront à évaluer vie politique : partout, du conseil de village le rôle de ces tribunaux jusqu’au Parlement, aucune décision ne se prend – considérés avec faveur sans avoir été débattue. Mais on veut éviter par l’historienne Hélène Dumas (« Le Génocide ensuite tout ce qui peut diviser et ramener à au village », Seuil, 2014). l’atmosphère d’avant, de sorte qu’une opposition dure ne fait pas partie des mœurs du Rwanda. J’interprète progressivement ce qu’il essaie de me dire. Nous sommes dans un système à la Rousseau. Ce qui prévaut, c’est une sorte de démocratie directe et la référence à une « volonté générale » incarnée par Kagamé. Un gros effort Les Hutus rentrés du est fait en direction d’une démocratie sociale (la Congo ont toute leur place, peine de mort supprimée à condition de filer droit… depuis 2007, un système de sécurité sociale, un effort pour prendre en compte les personnes âgées, une place importante accordée aux femmes – 60 ou 65 % au Parlement). Mais le formalisme oppositionnel à l’occidentale n’est pas de mise. Les partis participent au projet commun.
LES ATTENTATS ANTI-TUTSIS N’ONT PAS CESSÉ... Je l’interroge alors sur l’autoritarisme de Kagamé, sur le sort réservé à ce qui serait une opposition déclarée. J’évoque cet opposant tué en Afrique du Sud en janvier dernier. Kagamé, me répond-il, a derrière lui le peuple rwandais dans son ensemble. Il doit faire face à d’énormes problèmes, à la menace d’un retour des génocidaires. Et il me raconte comment le Front patriotique rwandais a œuvré pour le retour des Hutus réfugiés au Congo (à la faveur de l’opération Turquoise). Ils ont leur place, toute leur place, mais à condition de contribuer à la réussite du pays, non de l’entraver ; non, surtout, de fomenter des attentats. Car il y a des attentats, du terrorisme, des bombes lancées sur des marchés. Bref, il ne me répond pas sur le fond de ma question. Mais le pouvait-il, et était-elle d’ailleurs complètement pertinente ? N’était-ce pas une question d’Occidental, alors même que chaque geste de la vie quotidienne est une sorte de miracle conquis sur l’impossible qui a eu lieu. Je pose une dernière question sur l’avenir : tout est-il suspendu à Kagamé ? Ce dernier va-t-il solliciter, contre la Constitution, un troisième
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1. Les Tutsis de la région avaient été concentrés dans l’école technique de Murambi, dans la préfecture de Gikongoro. Fin avril 1994, sous la directive du préfet Laurent Bucyibaruta, 50 000 d’entre eux furent massacrés. Fin juin, les militaires de Turquoise y établirent leur état-major – et aménagèrent, au-dessus d’un charnier, un terrain de volley. Une exposition permanente dresse la longue histoire du génocide.
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mandat ? Evidemment, Mucyo ne connaît pas la réponse, mais il m’assure que la volonté populaire est là et que l’avenir n’est pas seulement entre les mains de Kagamé, qu’un après-Kagamé est envisageable. [Je passe donc sur le reste, notre visite de Murambi(1), mes impressions au jour le jour d’un incroyable pays, notamment la rencontre avec plusieurs femmes qui ont déposé, ou qui vont le faire, pour des faits de viols, contre des militaires français devant le pôle sur les génocides, les conversations très instructives avec Vénuste Kayimahé, écrivain, rescapé, qui nous a servis d’interprète, et Jean-Loup Denblyden, présent au colloque organisé à Paris par la Licra].
L’HORREUR SANS NOM PÈSE ENCORE SUR LA LANGUE ET SUR LA RELIGION Ce voyage fut plus qu’aucun autre initiatique pour moi : non seulement parce qu’il m’a mis au cœur du cœur des ténèbres (pour me référer à la nouvelle de Conrad, dont la pensée, depuis des années, ne me quitte pas), mais parce que le génocide, présent ici à chaque instant de la vie quotidienne, prend place, ou plutôt projette son non-lieu dans un pays tout entier tendu vers l’affirmation du présent et de l’avenir. La croissance y est importante (entre 6 et 8 %), l’espérance de vie a progressé d’une quinzaine d’années depuis 1994, la corruption a, selon ce qu’on m’a dit et que j’ai lu, à peu près disparu. Le contraste reste sans doute grand entre une classe moyenne qui accède à une modernité conduite à marche forcée et les déshérités, des villes et des campagnes. La religion, partout présente (pour l’essentiel le christianisme, malgré le rôle catastrophique joué par l’Eglise, dont les prêtres ont souvent participé activement au génocide ; il y a 10 % de musulmans), continue à jouer son rôle d’« opium du peuple ». Malgré tout, malgré les nuances, malgré tout ce qui m’échappe : y a-t-il une littérature ? quel est le niveau de l’enseignement ? (Kagamé fait venir à prix d’or des enseignants de grandes universités américaines) ; quel est le destin de la langue, dans sa confrontation au génocide ? – cette question, si importante chez Paul Celan pour l’Occident, aurait certainement sa place, mais malgré mes conversations avec Denblyden et Vénuste, je ne suis pas parvenu à en prendre la mesure –, il me semble maintenant, je crois, entendre quelque chose des réponses lentes de Mucyo. Elles ne sont pas théoriques, elles prennent leur sens à même son expérience de rescapé, de survivant, d’acteur de ce nouveau Rwanda, d’un peuple qui a traversé une horreur sans nom, mais de telle manière qu’à tort ou à raison je me persuade que cette horreur dépose en creux sa trace dans notre destin occidental. Alain David
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Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°652 | octobre 2014 | 36
“Le génocide subi par les Tutsis : les fantasmes, les faits” Le colloque organisé en juin à la Cité universitaire de Paris a dénoncé les faux-fuyants négationnistes dans cette affaire, dont la thèse perverse du « double génocide ». e 21 juin dernier, quatre-vingt-dix personnes assistaient au colloque « Le génocide subi par les Tutsis : les fantasmes, les faits », organisé à l’initiative de la Licra, grâce à Alain David, à la Maison Heinrich Heine de la Cité universitaire de Paris. Il réunissait des intellectuels et de grands témoins soucieux de vérité autour de quatre tables rondes portant sur les questions de la souffrance, de la recherche et des faits, de la place du droit et de la négation. L’objectif : prendre la mesure de cet événement relégué, voire nié, par une partie de la société française. Annie Faure se souvient : de cet infirmier qui croit très sérieusement aux « différences morphologiques entre Hutus et Tutsis », parce qu’on le lui a dit ; du cri strident d’Angélique, 6 ans, dans la cour de l’hôpital, violée. Marcel Kabanda cite la question de sa fille : « Pourquoi frappe-t-on les morts à coups de machette ? » Car ôter la vie n’était pas le seul but : il fallait que ce fût dans une souffrance extrême. Aussi les rescapés, les mères d’enfants nés des viols collectifs vivent dans un état de sidération permanente, ce sont des morts debout. Pour Véronique Nahoum-Grappe, le viol est une arme de guerre, un « meurtre de genre » où l’enfant né du viol est désaffilié, abolissant la généalogie haïe.
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« Les “cultures de la haine” excellent à brosser un portrait monstrueux de l’autre qui justifie “tout” ce qu’on peut lui faire… »
LA CONSTRUCTION DIFFICILE DE LA MÉMOIRE DU GÉNOCIDE Tant de questions sont encore sans réponse, pointant l’entreprise négationniste au cœur de l’Etat français. Pourquoi les autorités françaises ne communiquent-
elles pas les pièces à conviction ramassées sur les lieux de l’attentat qui coûta la vie au Président rwandais ? Pourquoi Kouchner a-t-il dit que les génocidaires étaient formés à l’ambassade de France ? Pourquoi l’opération Turquoise avaitelle comme première mission de stopper l’avancée du Front ? Pourquoi a-t-il fallu la désobéissance des troupes pour que le sauvetage soit enfin organisé ? Pour Rémi Korman se pose donc la question de l’écriture de l’histoire : avec quelles sources, quelles archives ? Très peu de chercheurs parlent le kinyarwanda : il y a donc un gros manque de monographies locales. Par contre, beaucoup d’autobiographies de génocidaires ont été publiées par des maisons d’édition négationnistes. Au Rwanda, le problème n’est pas celui de l’accès aux archives, mais du désintérêt général dont elles souffrent, créant des problèmes de conservation et occasionnant leur disparition ou leur destruction.
LA PLACE DU DROIT DÉPEND DE LA MÉMOIRE ET DE L’HISTOIRE Le droit oriente la représentation et la définition des faits génocidaires : car les victimes y sont éliminées pour ce qu’elles sont et non pas pour ce qu’elles font. Et, dans le droit français, le génocide implique l’existence d’un plan concerté, qui doit donc être établi. Mais le fonctionnement de la justice ne remplace pas le travail de l’historien : il faut des preuves, un débat contradictoire, alors que, pour l’historien, il s’agit d’établir des faits. Il faut donc appréhender le droit avec précaution…
IMPLICATION DE LA FRANCE ET NÉGATIONNISME La thèse du double génocide est perverse : renvoyant dos à dos les deux parties, elle occulte le génocide des Tutsis, en mettant l’accent sur le massacre des Hutus et sur leur exode, aboutissant à faire porter aux Tutsis le chapeau du massacre dont ils sont victimes : « Les Tutsis seraient les juifs de l’Afrique, il y aurait un complot international tutsi… » Le négationnisme est une arme de guerre qui frappe encore ! Il y a une responsabilité des médias dans cette entreprise : quand Alain Juppé ou Gérard Longuet parlent de l’honneur des soldats français, quand Paul Quilès prétend que « c’est un génocide qui ne concerne pas la France », ils perpétuent la thèse selon laquelle la France a joué, dans un contexte difficile, un rôle humanitaire conforme à son image de patrie des droits de l’homme. Ce ne fut pas le cas. Mano Siri
INTERNATIONAL
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Juifs séfarades : l’an prochain à Cordoue ? En juin dernier, le gouvernement espagnol a adopté un projet de loi facilitant la naturalisation des descendants des centaines de milliers de Juifs séfarades expulsés en 1492. eur nombre est estimé à environ trois millions et demi dans le monde : en France, en Turquie, au Mexique, en Argentine, au Chili, aux Etats-Unis et, bien sûr, en Israël, qui compte la première communauté séfarade du monde (1,4 million de personnes). L’annonce du projet de loi, dès février, y a suscité le plus grand intérêt. Des milliers d’Israéliens seraient, de fait, éligibles à la citoyenneté espagnole, sans avoir à renoncer à leur nationalité(1).
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Statue de Maïmonide dans l’ancienne Juderia de Cordoue.
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Cette décision, destinée, selon le ministre de la Justice, à « réparer l’erreur historique et la dette envers cette communauté qui a contribué à diffuser la langue et la culture espagnole dans le monde entier », s’inscrit dans le travail de réconciliation nationale engagé en 1992 par le roi Juan Carlos. leurs origines, et, fait nouveau depuis juin, passer Le 31 mars 1992, cinq cents ans jour pour jour examen en espagnol. après la signature de l’édit d’expulsion de tous « Pour la majorité des requérants israéliens, il les Juifs de leurs royaumes par les rois catholiques s’agit moins de retourner vivre sur la terre de (Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille), celui- leurs ancêtres que de décrocher un passeport ci accomplissait un geste symbolique sans précédent européen, précise Yoram Zara, avocat de Tel dans l’histoire de l’Espagne, en se rendant au Aviv, qui traite plus de 2 000 demandes. C’est côté du Président israélien Haïm Herzog à la devenu un sport national, car de plus en plus grande synagogue de Madrid (la première inaugurée d’étudiants et de salariés s’expatrient pour des motifs professionnels. » depuis 1492, en 1968), Et de souligner l’impact proclamant les Séfarades La loi de réparation restera vraisemblablement très à nouveau « chez eux en limité de la loi. « 90 % Espagne ». symbolique pour demandeurs sont des Les Juifs en ont été bannis les descendants des milliers des jeunes de 20 à 30 ans. après avoir fait partie du La plupart, d’origine mamonde ibérique pendant de marranes torturés rocaine(2), n’ont pas les au moins mille cinq cents par l’Inquisition. ans, dès l’époque romaine. documents requis et ne Avant 1492, au moins parlent pas espagnol. » 200 000 Juifs y vivaient, sur plus de 6 millions Le reste des demandeurs est constitué de concid’habitants. Entre 50 000 et 60 000 se convertirent, toyens d’origine turque ou grecque. Eux disposent 160 000 quittèrent le pays. la plupart du temps des documents et parlent un peu l’espagnol, « mais ils iront probablement dans un autre pays européen que l’Espagne, où UN AUTRE GENRE DE LOI DU RETOUR, sévit la crise », ajoute l’avocat. ENTRE INTÉRÊT ET SCEPTICISME… Si certains ont souligné l’intérêt bien compris Il y a donc un pas entre l’enthousiasme suscité qu’avait l’Espagne, très affaiblie économiquement, par cette loi, dont les premières applications sont à adopter aujourd’hui une telle mesure, le geste attendues au printemps 2015, et les départs en demeure symboliquement fort. Les autorités nombre pour l’Espagne. espagnoles ont établi une liste de plus de cinq D’autant que le pays est loin d’être exempt d’anmille patronymes, pour faciliter l’identification tisémitisme : selon un sondage très officiel du ministère espagnol des Affaires étrangères(3), plus des personnes éligibles à la citoyenneté. Après l’annonce, en février, du projet de loi, la d’un tiers de la population a une opinion des Fédération des communautés juives d’Espagne Juifs défavorable, voire hostile, 17 % en raison recevait déjà plus de cinq mille demandes de du conflit au Proche-Orient et près de 30 % en renseignements en moins d’un mois. raison de « leur religion, leurs coutumes, leur Les demandeurs doivent fournir un certificat mode de vie »… d’état civil ou un document rabbinique prouvant Karen Benchetrit
© Nicolas Vollmer
SYMBOLE FORT D’UNE « LOI DE REPENTANCE »
REPÈRES Séfarade Appliqué aux Juifs dont les ancêtres vécurent dans l’Espagne médiévale, le mot vient de l’hébreu et désigne dans la Bible le monde ibérique.
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1. La loi espagnole n’autorise pas la double nationalité, à quelques exceptions près : ressortissants d’Andorre, du Portugal et des anciennes colonies. 2. La plupart des membres de l’actuelle communauté juive d’Espagne (moins de 40 000) sont issus du Maroc, avec deux vagues d’immigration : à l’heure de l’indépendance marocaine, et dix ans plus tard, lors du déclenchement de la guerre des Six Jours. 3. Voir aussi le rapport produit en 2010 par la Fédération des communautés juives d’Espagne, avec l’ONG Mouvement contre l’intolérance, et le rapport de l’Anti-Diffamation League.
CHRONIQUE de la haine
Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°652 | octobre 2014 | 38
L’affaire Baby Loup
© Xavier Frère
Après deux cassations, la justice finit par trancher contre le port en crèche du foulard « islamique ».
HISTORIQUE La Halde avait d’abord jugé le renvoi de l’éducatrice discriminatoire. En 2010, Jeannette Bougrab, la nouvelle présidente, avait fait procéder à un nouvel examen. En 2013, Dominique Baudis avait demandé une clarification de la loi sur la laïcité. L’Observatoire de la laïcité avait conclu, en octobre 2013, que le droit actuel suffisait.
i vous n’avez rien suivi à cette affaire… Une salariée revenant d’un long congé parental est licenciée en 2008 par la crèche Baby Loup, en raison de sa récente adoption du port du voile « islamique ». Le renvoi s’effectue pour « insubordination caractérisée », dénomination habituelle du licenciement quand un salarié ne respecte pas le règlement intérieur. Celui-ci énonce que le principe de liberté et de conscience du personnel ne peut faire obstacle à la laïcité et la neutralité exigées lorsque l’employé est au contact des enfants. Baby Loup est une crèche singulière : ouverte quasiment 24 heures sur 24, dans une cité très sensible, elle accueille un public divers et précaire. Financée
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à plus de 80 % par des subventions publiques, l’association reste privée, raison pour laquelle il ne peut s’y appliquer le principe de laïcité. Ce n’est pas l’appartenance à une religion qui était en cause, mais son affichage ostensible. Un règlement intérieur peut-il restreindre la liberté d’expression, dont la manifestation d’une religion est l’une des composantes ? Cette éducatrice était en relation avec de jeunes enfants. Les enfants de cet âge sont-ils particulièrement influençables ? La décision de justice souligne que la liberté de conscience des enfants prime sur la liberté de manifester sa religion, les atteintes à la liberté devant toujours être justifiées et proportionnées. Les débats ont mis en lumière les concepts d’islam, de laïcité et de liberté d’expression, entre la bonne marche de l’entreprise et le droit du travail, entre l’administration publique et la société privée. Cette longue procédure judiciaire a été marquée par un fait rare : un double examen par la Cour de cassation, le dernier datant du 25 juin. Pour de nombreux commentateurs, cet arrêt ne rayonnera pas plus loin que sur les crèches privées, et ne concernera pas les entreprises en général. Aujourd’hui Baby Loup, ouverte en 1991 à Chanteloup-les-Vignes, a déménagé à ConflansSainte-Honorine, à 6 kilomètres, en raison de l’atmosphère intenable dans laquelle a été plongé le personnel depuis le début de cette saga. Déborah Piekarz
L’affaire Vikernes Le Viking black métal égaré en Corrèze ne pourra plus hurler sa haine des juifs et des musulmans. et ex-musicien norvégien de black métal était poursuivi pour « incitation et provocation à la haine raciale » et « apologie de crime contre l’humanité », en raison d’écrits sur son blog (audience le 3 juin, délibéré le 8 juillet 2014). La Licra, représentée Me Philip Gaffet, et SOS racisme étaient parties civiles. Maigres charges finalement retenues après la garde à vue de Christian Vikernes et la fouille en bonne et due forme de sa maison en Corrèze, en juillet 2013, alors que le renseignement intérieur le soupçonnait de planifier un attentat. L’homme s’était installé en France avec sa famille, après seize ans de détention pour meurtre dans son pays d’origine. Sur son blog, il traitait les juifs de
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« parasites et moisissures », entre autres, les musulmans et les gitans de « vermines ». Pour lui, les chrétiens, les homosexuels et les féministes étaient responsables du déclin de la pureté de l’Europe. Il appelait à voter pour Marine Le Pen, « Jeanne d’Arc moderne ». Alors que, devant les policiers, il revendiquait un « national-paganisme » et dénonçait juifs et musulmans, il affirma devant la cour que ses propos avaient été mal traduits ou tronqués. Son surnom de « loup » (varg, en norvégien) était donc usurpé ce jour-là. Mais le parquet ne s’est pas laissé tromper par ce revirement de stratégie, tout comme la cour, qui l’a condamné à six mois de prison avec sursis et 8 000 euros d’amende. D.P.
SPORT
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La fête du foot a aussi nourri un été pourri La FIFA n’a sanctionné aucun des actes racistes commis sur les terrains brésiliens. Ce ne sont pas les actes racistes de supporters qui sont les plus graves, c’est l’absence de sanction et l’impunité.
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CONJURER UNE DÉMONSTRATION RACISTE EN MONDOVISION… Les victoires retentissantes de la Selaçao et le talent des joueurs noirs et métis ont permis à ces derniers de trouver, au fil du temps, leur place dans l’équipe. Mais l’Histoire laisse des traces et, comme pour conjurer les vieux démons, la présidente du Brésil, prenant les devants, avait promis une coupe du monde sans racisme, souhaitant montrer que la force du Brésil, « dans le football et dans la vie, vient de notre diversité ethnique, dont nous sommes fiers ». Navi Pillay, haut commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, s’était elle aussi mobilisée pour que la coupe du monde ne revête pas des allures de gigantesques démonstrations racistes en mondovision. « C’est une bonne occasion de réfléchir à la façon dont le sport doit favoriser la cohésion sociale, rassembler des cultures différentes pour célébrer une compétition saine ; et surmonter le manque d’assurance, et même le mépris, qui, bien
trop souvent, divisent des pays et des communautés dans les arènes politiques et sociales ». La mobilisation antiraciste est allée jusqu’au pape qui, dans un message lu en ouverture de la compétition, a appelé à abolir « tout racisme, égoïsme, intolérance et exploitation de l’autre ». Le pape n’aura pas suffi. Les bannières des supporters croates nostalgiques des Oustachis rivalisaient avec les croix celtiques russes, et les supporters suisses délicatement grimés en « Y’a bon Banania » n’avaient rien à envier au streaker néo-nazi qui fut chassé du terrain par un joueur ghanéen. Les alertes de FARE (dont la Licra est partenaire) sont restées lettre morte. La Fifa n’a sanctionné aucun des actes racistes commis sur les terrains brésiliens.
LES GAGNANTS DE LA COUPE… En France, le racisme sur fond de ballon rond s’est adapté aux problématiques locales. Le Bloc identitaire(1), à la manœuvre depuis des mois, a orchestré une campagne contre les supporters algériens, demandant l’interdiction des drapeaux et couleurs algériens sur le sol français, et inondant l’espace public d’une affiche toute en subtilité : « L’Algérie, c’est ton pays. Retournes-y. » Les dégradations perpétrées par les supporters des Fennecs algériens ont envenimé une situation préalablement rendue explosive à coup de tweets enragés et manipulateurs. Non, les églises lyonnaises n’ont pas été incendiées par des jeunes enroulés dans des drapeaux algériens, non, les immeubles de Barbès n’étaient pas intégralement pavoisés aux couleurs de l’Algérie, et les cadavres ne jonchaient pas les Champs-Elysées… Qui a gagné la coupe du monde ? Certainement pas le Brésil. Ni la France. Ni l’Algérie. Par contre, du côté des Le Pen, on a sablé le champagne…
On a les victoires qu’on peut ! Sur les réseaux sociaux, Marion Maréchal Le Pen avait chanté victoire ! « Les incidents autour de la victoire de l’Algérie sont une défaite pour la politique d’intégration menée par l’#UMPS. »
Présentation, avant l’ouverture de quelques matchs, d’une banderole « Dites non au racisme ».
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ntimement lié à la religion et à la politique, le football a construit l’identité brésilienne. Mais logiquement, oserait-on dire, il a toujours eu partie liée au racisme dans cet immense pays originellement marqué par l’esclavage et la ségrégation. Ainsi, dès les années 1920, l’intégration des joueurs métis dans la sélection nationale brésilienne a déchaîné les passions et la haine envers ceux qui étaient surnommés les « macaquitos ». Là-bas, tout le monde garde encore en mémoire l’histoire de ce joueur transféré dans un club huppé (et raciste) de Rio, qui se recouvrait le visage de poudre de riz pour éclaircir la couleur de sa peau et jouer sans être en butte aux insultes des spectateurs ou même des arbitres. Le subterfuge a fonctionné, jusqu’au jour où, la sueur coulant sur le visage de l’attaquant a laissé des traces noires qui l’ont soudain fait ressembler à un zèbre…
Delphine Auffret
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1. Généralement classé à l’extrême droite de l’échiquier politique, le Bloc identitaire est un mouvement politique français créé le 6 avril 2003. Il s’agit d’une composante d’un courant dit « identitaire », apparu au cours des années 2000 à la suite de la dissolution par le ministère de l’Intérieur d’un groupe d’extrême droite.
CULTURE Livres
Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°652 | octobre 2014 | 40
100 mots-clefs du nouveau lexique citoyen
© Licra
Pour ne pas rester sans mot devant l’insupportable, et tâcher d’avoir le dernier...
u temps des joutes verbales en 140 signes et des flots d’info en continu, les mots virevoltent, armes de combat, invectives ou éléments de langage. Leur sens même est alors sujet à caution, mouvant. Et quand ces termes sont liés au champ sémantique du racisme, à l’antisémitisme, le flou sémantique est lourd de conséquences. Terreau d’ignorance, il nourrit la méconnaissance et engendre la peur de l’Autre. « 100 mots pour se comprendre ; contre le racisme et l’antisémitisme » est un opuscule aux allures d’aide-mémoire, qui permet de remettre à l’heure les pendules du sens.
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REPÈRES « 100 mots pour se comprendre ; contre le racisme et l’antisémitisme », sous la direction de Mano Siri et Antoine Spire. Ed. Le Bord de l’Eau, 158 p. Parmi les auteurs : Henri Atlan, Boris Cyrulnik, Frédéric Encel, Sabrina Goldmann, Aurélie Filippetti, Robert Redecker, Vincent Peillon, Antoine Sfeir…
hantent tous les débats qui secouent régulièrement notre pays. A eux cent, ils brossent en creux les grands traits d’un portrait hexagonal qui nous inquiète, nous divise ou nous mobilise. Le système de renvoi d’un mot à l’autre permet d’étoffer la réflexion au fil d’une lecture dynamique et cursive. Papillonnant d’article en article, on se prend parfois à regretter l’absence de notice pour des termes que l’on retrouve pourtant de façon récurrente dans l’ouvrage. Ainsi, alors que le Front national rêve de déchoir certains Français de leur nationalité et s’offusque de l’existence même de la notion de double nationalité, on aurait aimé connaître l’histoire du mot « apatride » et son statut juridique contemporain. Certains termes élucidés sont aujourd’hui tellement galvaudés (citoyen, laïcité, race, respect… pour ne citer que ceux-ci) que la lecture de nombre d’entrées prend des allures de rafraîchissant retour aux sources intellectuel et politique.
… DANS LES LYCÉES, LES SECTIONS DE LA LICRA, SUR FACEBOOK
Ces « 100 mots pour se comprendre » font donc aussi figure de terrain commun, de socle pour le débat démocratique. Un débat déjà clairement suggéré par les articles conçus avec leur contrepoint, tels « Coran » ou « Esclavage ». La vérité révélée et monolithique n’a pas de place dans cet ouvrage qui assume les partis pris des uns – à l’image de celui de Maurice Goldring, auteur de l’entrée Droite-Gauche – ou les déclarations pasCENT MOTS COMME SOCLE sionnées des autres (telle celle de Gérard Filoche POUR UN DÉBAT DÉMOCRATIQUE… Composé sous la direction d’Antoine Spire et qui, parlant des militants : « La force des militants, de Mano Siri, respectivement vice-président de c’est de renverser les exploitations et les oppresla Licra et présidente de la commission Culture sions, grâce à leurs convictions. Le courage et de l’association, il est le fruit de la réflexion l’opiniâtreté sont leur lot. […] Capables de s’ind’universitaires, de militants du monde associatif, digner, ils organisent et participent à des luttes de philosophes, de responsables religieux ou qui changent la face du monde. » On espère que les esd’acteurs de premier plan quisses de discussions de la vie publique. Par le biais de courtes « Un flou sémantique lourd initiées dans les « 100 mots pour se comprennotices, il rassemble l’esde conséquences. » dre » se poursuivront sentiel du vocabulaire ciailleurs et sur d’autres toyen d’une France où les minorités sont vilipendées chaque jour un supports. Dans les lycées et dans les sections de peu plus et où chaque segment de la société se la Licra, bien sûr, mais aussi sur les pages Facereferme sur lui-même, terrorisé. Race, identité, book, hauts lieux de dérapages sémantiques obsintégration, antisémitisme, intégrisme, islam, curantistes et férocement enkystés. roms, sionisme, laïcité… : les cent termes choisis Delphine Auffret
Le racisme n’est pas une opinion c’est un délit
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CULTURE
41 | n°652 | octobre 2014 | LE DROIT DE VIVRE | Licra
Un blues âpre comme une Gitane « Gipsy blues », de Jean Vautrin, est un roman rebelle et vindicatif, conçu dans l’urgence d’une « barbarie à nos portes »... et à l’honneur des cultures tziganes. « Au creux de la vague, la musique est d’un grand réconfort. » En écrivant la vie brève et rude d’un jeune gitan, le romancier nous fait entendre celle de la culture gitane. «
ipsy blues » est le récit à rebours d’une de recommencer avec ce monde vivant « des mort annoncée. Celle de Cornélius Runkele, gitans, des Tziganes et des bohémiens, comme un jeune homme qui s’interroge sur son on disait autrefois. Les sources sont là ». Des destin : « J’ignorais qu’en naissant tzigane, je sources nourries par l’état du monde et un besoin serai rabaissé au rang de gueux, de sauvage, de de s’indigner. « J’ai besoin d’avoir recours à chien errant qui ne connaît ni les lois ni la l’indignation et la révolte contre l’injustice. morale ordinaire. » Et sur celui de son peuple : Comme Dickens, Hugo, Vallès ou Jean Guillou. J’ai toujours partagé « Nous sommes les surl’aventure des hommes, vivants d’un destin de et je crois pouvoir dire, sang. » Dans une langue « Dans votre monde modestement, que je me qui claque autant qu’elle de bruit et d’argent, suis toujours engagé émeut, l’auteur de « La Vie ripolin » raconte celle auprès des pauvres, des il est trop tard pour nous, d’un accidenté qui perd différents, des agraphés les Roms… » sa mère à la naissance, de la vie. » Et d’ajouter est élevé par sa tante, qu’il s’attaque aux situapasse un CAP, aime les livres, et passe, aussi, par tions où les minorités n’ont pas le dernier mot. la case Gendarmerie. « Car les mots sont magiques : ils donnent la « J’ai voulu prendre l’exemple d’un jeune qui faculté de se défendre. » croyait à l’éducation. Qui est forgé par ses lectures. Il n’est pas nickel, mon gitan, dit-il, COMME UN ÉTUDIANT avec tendresse. Il est sur le bord du chemin… » Et la langue ? Comment l’a-t-il abordée ? « Je Hélas, certains chemins sont déjà tout tracés ! l’avoue, confie-t-il, je n’avais aucune base. » Ce n’est pas la première fois que l’auteur s’intéresse Alors, pendant trois ans, l’écrivain âgé de 81 ans à la culture gitane. a sérieusement étudié les mots des gitans. « J’ai trouvé un dictionnaire gitan et aimé un “Atlas des Tziganes”(1). J’ai lu des échanges À LA SOURCE, LE BESOIN entre gitans et découvert un argot qu’ils emploient, DE S’INDIGNER En 1960, il avait tourné un film, « La Mauvaise des différences. Je recommande particulièrement Route » et rencontré un manouche, Jean-Claude. “Les Roms dans les belles lettres européennes(2).” « Il rêvait d’avoir une voiture. Poursuivi par les J’ai noirci des carnets entiers. » Et de noirceur, flics après en avoir volé une, il s’était jeté dans il est bien question dans ce texte. Vautrin dénonce la Seine. » « la barbarie » qui est à nos portes. « Quand je Cette expérience au goût d’échec a fondé l’envie vois ces meetings spontanés de jeunes avec des tatouages de SS, c’est d’une violence incroyable. » Même constat sur le devenir du peuple rom. « Dans votre monde de bruit et d’argent, il est trop tard pour nous, les Roms », écrit-il. Vraiment ? « J’espère que le livre servira un peu à cette cause perdue d’avance. On n’est pas prêt à partager. Notre société est égoïste. Quand je lis dans la presse trois pages sur “l’invasion” des Roms en Suède, je note l’emploi du mot invasion ! Et si j’entends parfois parler d’un “pouvoir gitan” qui leur donnerait une certaine indépendance, je ne vois franchement pas comment… » Aurait-il, par hasard, un ami rom comme d’autres ont un ami arabe ou juif ? « Oui, j’ai une vraie amitié avec un gitan, un homme du voyage. Il jardine chez moi et vient me soutirer du pognon, dit-il en riant. Et comme il est pasteur, il m’offre des passages de la Bible. » Comme si l’auteur de « Un grand pas vers le bon Dieu », prix Goncourt en 1989, en avait besoin…
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Marina Lemaire
Jean Vautrin
Après des débuts en tant que cinéaste sous le nom de Jean Herman, Jean Vautrin a poursuivi une carrière de scénariste et dialoguiste, avant de recevoir de nombreux prix littéraires pour ses romans. Il est notamment l’auteur de « Billy-ze-Kick » (1974), « Patchwork » (1983) ou encore « Le Cri du peuple », sur la Commune de Paris (1992).
À LIRE Jean Vautrin : « Gipsy Blues ». Ed. Allary. 362 p., 18,90 euros.
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1. Ed. Autrement. 2. Ed. L’Harmattan.
CULTURE Livres
Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°652 | octobre 2014 | 42
L’enfance revisitée de Riad Sattouf Où son père, syrien, lui confiait : « Ta mère (Clémentine, blonde et bretonne…) adorait les juifs, elle avait tous les disques d’Enrico Macias ! »
À LIRE Riad Sattouf : « L’Arabe du futur, une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984) » Ed. Allary. 158 p., 20,90 euros. A suivre : deux autres tomes prévus d’ici 2016.
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Riad Sattouf.
iad Sattouf est franco-syrien. A 36 ans, le dessinateur des trois tomes hilarants de « La Vie secrète des jeunes », également réalisateur du film « Les Beaux Gosses » (2009), explore son enfance au Moyen-Orient dans un roman graphique épatant : « L’Arabe du futur »(1).
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DE SYRIE EN BRETAGNE, EN PASSANT PAR LA LIBYE DE KADHAFI L’Arabe du futur, c’est celui dont rêvait son père, Abdel-Razak Sattouf. Né dans un petit village de Syrie, il était venu en France étudier l’histoire à la Sorbonne à la fin des années 70. Il y a trouvé une épouse bretonne, Clémentine. Ce père dépeint dans « L’Arabe du futur » croyait à l’éducation des Arabes « pour sortir de l’obscurantisme religieux ». Il adorait les dictateurs et les pistolets ! Et, pour réaliser son rêve de réussite personnelle,
il avait accepté, en 1978, un poste d’enseignant en Libye. Une Libye desséchée, où toute nouvelle famille recevait le fameux « Livre vert ». Pas le guide touristique vert, non. Celui de Mouammar Kadhafi aux règles originales. La propriété des biens n’existait pas : personne dans la maison en journée ? N’importe qui pouvait en prendre possession. Et si l’envie de changer de travail vous prenait, une loi obligeait de toute façon les gens à changer de métier. Après un retour en Bretagne, la famille de Sattouf s’installera un moment en Syrie, ce pays « qui semblait en construction ». Riad y apprend la vraie vie : les bagarres avec les cousins et les moqueries sur ses « cheveux jaunes de fils de juive ». Chaque rencontre avec la famille syrienne paternelle ou la famille maternelle bretonne souligne la complexité et la richesse du couple parental. « C’est quoi, Juif ? », demande-t-il à son père. « Ta mère, elle aime les Juifs ! Quand je l’ai rencontrée, elle avait tous les disques d’Enrico Macias ! » On le voit encore dans cette BD limpide : l’humour dénoue les tensions. Mais plus souvent en famille qu’en politique. Marina Lemaire
CULTURE
43 | n°652 | octobre 2014 | LE DROIT DE VIVRE | Licra
Il y a un siècle tombait Péguy Révélé à lui-même par « l’Affaire » (la seule d’alors, l’Affaire Dreyfus…), la « mystique » républicaine de ce grand poète catholique est encore riche d’enseignements contre les politiques politiciennes et la montée des populismes. e 5 septembre 1914, près de Villeroy, à l’âge de 41 ans, le lieutenant Charles Péguy disparaît au feu, tué d’une balle en pleine tête. La commémoration de 1914 est peut-être l’occasion de dire en quel sens ce qui prit très vite l’allure d’une œuvre prophétique doit continuer à nous instruire. Péguy, effectivement, s’est voulu prophète : par la parole, une parole appliquée à transcrire le tremblement de l’histoire – les siècles des siècles d’une histoire à la Michelet, fécondée à tout instant par cette littérature apprise sur les bancs des écoles de la IIIe qui naissait, c’est-à-dire qui vivait sa « réforme intellectuelle et morale » : « la République, notre royaume de France ! » Prophète, donc, au sens de la Poésie, au sens de l’Histoire, au sens de la Littérature, prophète de par sa phrase vertigineuse, où chaque mot en charge de la totalité du passé, par une modification infime, module dans un tournoiement infini les chances de l’imprévisible qui vient. Mais c’est peut-être l’Affaire Dreyfus – l’Affaire – qui révèle Péguy à lui-même. En témoigne, en 1907, « Notre Jeunesse ».
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MYSTIQUE ET POLITIQUE
Le lieutenant Charles Péguy en 1914, dans son costume d’officier.
REPÈRES
la IIIe République a pu s’entrelacer avec ce qui était à lire « depuis toujours » – la prophétie d’Israël – et devenir l’antisémitisme dans ses outrances insoupçonnées.
Un leitmotiv dans cet incroyable livre : « Tout commence en mystique et finit en politique. » La « mystique », c’est donc le contraire de la politique. La politique est la gestion du possible, DÉNÉGATION ET RESSENTIMENT l’organisation du présent orienté sur un avenir Où en sommes-nous à cet égard ? Disons, rapimaîtrisable, et surtout cette habileté à ignorer ce dement, sobrement, qu’il n’y a plus aujourd’hui qui de la vie n’est pas le possible. Ulysse se « l’Affaire ». Comme l’aurait formulé Péguy, la faisant attacher au mât de son navire est le héros politique a pris le pas sur la mystique – la politique de la politique, trichant républicaine sur la mysavec le chant abyssal des tique républicaine, la « Les Juifs lisent depuis sirènes. La mystique en politique juive sur la est l’exact contraire. mystique juive. toujours, les protestants Pourtant, en l’occurrence, En français vernaculaire lisent depuis Calvin, Péguy découvre que la d’aujourd’hui, nous sommystique ne relève pas mes à l’époque de la les catholiques d’un mythe grec, mais mondialisation. Non que depuis Jules Ferry. » est apportée à la Répul’Europe, sur le motif blique par le judaïsme. précis du judaïsme, n’ait « Les Juifs, écrira-t-il plus tard, lisent depuis rencontré, en une tragédie absolue, de nouveau toujours, les protestants lisent depuis Calvin, les sa mystique. Mais celle-ci ne s’aperçoit plus que catholiques depuis Jules Ferry. » C’est un mot, sur le mode de la dénégation et du ressentiment mais ce n’est pas qu’un mot : d’abord, Ferry, ce – les caractéristiques de l’antisémitisme qui n’est pas si mal, et d’autre part, Péguy lit et vient – , la mondialisation nous plonge comme apprend à lire en un lieu qui est le cœur battant jamais dans le régime de ce qui fut pour Péguy la de la République (la « République des lettres »), chute dans le politique. un lieu où, en 1898, il découvre avec Lucien Puisse l’occasion, offerte par la commémoration, Herr, le bibliothécaire de l’Ecole normale supé- de relire sa prophétie, donner accès à l’étincelle rieure, l’Affaire dans ce qu’elle a d’impérieux. de ce qui fut pour lui la mystique. Mais c’est Bernard-Lazare, le « prophète juif », Alain David dit-il, qui lui a donné à entendre l’inouï : comment
Mona Ozouf : « Jules Ferry. La liberté et la tradition ». Gallimard, 2014. Mona Ozouf, grande historienne de la République (la Ièreet la IIIe), qui n’hésite pas à croiser son travail d’historienne avec ce que lui apporte la lecture de la littérature, s’emploie dans ce livre à réhabiliter celui qui fut l’un des hommes les plus détestés de la vie politique française – dont elle montre cependant à quel point il sut installer la IIIe République dans ce qui était pour cette dernière le plus improbable : la durée.
CULTURE Livres
Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°652 | octobre 2014 | 44
Charlotte Salomon retrouvée David Foenkinos reconstitue le destin tragique de Charlotte Salomon, une artiste peintre juive allemande tuée à Auschwitz en 1943, à l’âge de 26 ans. Entretien avec l’auteur.
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Charlotte Salomon : « Leben ? oder Theater ? Ein Singspiel ». Gouache sur papier (1940 – 1942 ?)
REPÈRES David Foenkinos : « Charlotte ». Ed. Gallimard, 220 p., 18,50 euros. En lice pour le Goncourt, le livre sera probablement adapté au cinéma. A ne pas manquer, en janvier 2015, l’adaptation cinématographique des « Souvenirs », de David Foenkinos : la fugue d’une grand-mère de sa maison de retraite… rattrapée par son petit-fils. Un petit bijou de tendresse et d’émotions, réalisé par Jean-Paul Rouve.
Au Musée juif d’Amsterdam Albert Salomon, le père de Charlotte, a appris la mort de sa fille à son retour des camps. Avec sa femme Paula, ils sont retournés sur ses pas en France. En 1947, le Dr Moridis leur a remis l’œuvre que Charlotte lui avait demandé de garder : « C’est toute ma vie », avait-elle confié. « Vie ? ou Théâtre ? » est son autobiographie constituée de gouaches, d’images et de textes. Ses parents l’ont léguée au Musée juif d’Amsterdam.
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1. Fin 1943, la Gestapo entre à Nice et y organise la traque des Juifs, selon un plan établi par Rôtke et Brunner. Les rafles sont pratiquées avec une cruauté jusque-là inusitée en France. 2. A qui Charlotte Salomon confia son œuvre. 3. David Foenkinos a luimême été opéré du cœur à l’âge de 16 ans.
vec « Charlotte », son treizième roman, David Foenkinos change de registre. Sa plume habituellement légère s’est chargée de plomb, mais d’un plomb lumineux. En quête de sincérité, il a puisé son inspiration dans l’unique œuvre de Charlotte Salomon, « Vie ? ou Théâtre ? », une autobiographie en textes et peintures. Retour sur une obsession.
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Qu’est-ce qui vous a poussé à raconter le destin de cette artiste ? David Foenkinos. D’abord, j’ai toujours été attiré par l’Allemagne. Dans mes livres, il y a souvent des personnages allemands. J’aime les stylistes des années 20, la peinture des années 30, j’adore Berlin. J’ai découvert par hasard l’œuvre de Charlotte Salomon, dont la beauté visuelle, moderne, avec une musique et des textes, m’a bouleversé. J’ai su que j’allais la faire connaître. Elle ne m’a plus jamais quitté. Pourquoi est-elle méconnue ? D. F. Il y a des génies qui ne passent pas le temps. C’est stupéfiant, car son œuvre est d’une grande modernité. Le livre est sorti le 21 août, et ce jour-là, j’étais devant ses tableaux au musée de l’Holocauste de Chicago. Mais j’ai envie de transmettre son histoire au plus grand nombre. Ecrire sur cette période et sur une famille dans laquelle il y a une succession de suicides n’a pas dû être franchement gai ! D. F. J’ai fait des années de recherches. Je connais tout de sa vie. J’ai étudié tout ce qui s’est passé à Nice en 1943(1). Et sans trop encombrer mon livre de références, je devais écrire l’horreur qu’a été l’arrivée d’Alois Brunner à Nice, la traque atroce des juifs pendant cette période […]. A la fin de l’écriture, j’ai ressenti un soulagement. J’allais pouvoir faire partager la vie de Charlotte. Mais l’écriture a été parfois douloureuse. Ça m’a effrité. Sur les lieux où elle a vécu, j’ai ressenti de grandes émotions. Parfois insoutenables. Alors j’écrivais une ligne. Puis j’arrêtais. Et j’avais à chaque fois un sentiment de plomb. Je recommençais. Et ça a donné cette aération. Car il y en a eu des milliers, des témoignages sur des femmes qui ont pris des trains pour Auschwitz. Mais là, j’étais dans la nécessité. Ça m’a même libéré de ce que pouvaient penser les gens. Charlotte Salomon a été dénoncée aux Allemands. Vous êtes retourné à Villefranche-sur-Mer, où on sait qui l’a dénoncée. Pourquoi ne pas le dire, finalement ?
D. F. Elle s’occupait des enfants, tout le monde connaissait cette artiste douce et discrète. Quand je discute avec la fille du Dr Moridis(2), j’entends cette phrase de la collaboration : « Tout le monde sait »… Dans les petits villages, tout le monde savait tout. Mais la mort est déjà passée. Allaisje aller sonner chez le fils ou la fille de quelqu’un qui l’avait dénoncé ? C’est une responsabilité énorme. Et puis, quel précipice d’être placé devant l’idée qu’on peut trouver la personne qui a mis fin à la vie d’une femme de 26 ans, enceinte de cinq mois ! Que faut-il retenir d’elle ? D. F. Le génie artistique et l’inventivité. Au moment où elle peint, sa grand-mère s’est suicidée sous ses yeux ; elle apprend le suicide de sa mère, caché par toute sa famille ; son grand-père la harcèle… Elle est dans un état de délabrement psychique énorme, et pourtant, elle trouve en elle de la beauté et de la lumière pour créer une œuvre ! On peut être acculé au désespoir, au bord de la mort et de la folie, et trouver une force intérieure en soi. J’aimerais que cela soit un exemple pour les gens, ceux qui ont été malades, ceux qui ont souffert(3)… Elle est le symbole que l’on peut renaître de ses cendres. Propos recueillis par Marina Lemaire
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Festival CULTURE
Rire et rêve andalou à Ramatuelle-sur-l’Oued « Rêve de Paix », du 27 juillet au 12 août 2014 : Jacqueline Franjou, présidente, et Michel Boujenah, directeur artistique, ont clôturé les trente ans du Festival sous le signe de l’humour, du rire, et de la paix, en hommage à Jean-Claude Brialy, créateur avec Jacqueline de cet amphithéâtre magique.
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UN PASSEUR NOMMÉ ENRICO Enrico Macias, instituteur natif de Constantine, la ville au Pont suspendu, construite sur un rocher dominant différentes communautés, dresse des ponts entre les hommes, en passeur de paix universelle. Enrico est né Gaston Ghrenassia en 1938. Son père est violoniste dans la formation de l’immense Cheikh Raymond Leyris, maître du maalouf, la musique arabe classique de l’Est algérien. Il se révèle très vite un surdoué de la guitare. D’abord élève de Cheikh Raymond, il devient l’un des musiciens de son orchestre en 1956, et il épousera sa fille, Suzy, en 1962. Un an après l’assassinat du maître, en juin 1961, sonnant le glas de l’Algérie communautaire où juifs et musulmans jouaient ensemble la même musique. Entre Orient et Occident, entre arabisme et judéité, cet inlassable défenseur du métissage musical et du rapprochement entre les communautés, à qui l’ONU a décerné le titre de « Chanteur de la Paix », a enchanté le Festival. Il a fait danser et chanter les spectateurs sous les étoiles, en arabe, puis en hébreu, sous le rythme de la musique arabo-andalouse. Avec son orchestre multiculturel, ce semeur de paix et d’espoir a rapproché pour un soir « les enfants de tous les pays », y compris ceux d’Ismaël et d’Israël.
LA « VIE RÊVÉE » DE MICHEL BOUJENAH Le nouveau spectacle de Michel Boujenah, « Ma vie rêvée », est une projection en toile de fond dans la vie réelle des valeurs de la Licra, en particulier celle de l’Union de toutes les communautés pour la paix et la démocratie dans le monde. « J’ai toujours pensé qu’il était plus passionnant de rêver sa vie que de la vivre. Je vais le faire, mais si tout cela n’était pas entouré de la plus grande dérision possible, ce serait horrible. Alors on va rire, je ferai tout pour cela puisque je me demande souvent si j’écris pour faire rire ou si je fais rire pour écrire. » Cette autobiographie imaginaire d’une poésie inégalable a remporté un vif succès lors de la soirée de clôture du Festival. Le début de son spectacle donne le la : « Là où je suis né, toutes les fêtes étaient célébrées à l’école : le ramadan, kippour, la naissance du petit Jésus et la Madone ! » Cet artiste multifacettes, émouvant et drôle, passant du répertoire comique au tragique, a surpris son auditoire avec ses nombreux personnages hauts en couleurs : la mère tunisienne possessive et inquiète, l’enfant espiègle jonglant avec les mots philosophiques, faisant revivre Raymond Devos, le psychanalyste psychanalysé par sa patiente, le rapatrié voulant s’intégrer avec un accent pointu dans un costume trop serré, etc. Enrico et Michel, deux enfants optimistes ont trouvé « le soleil trop noir » en débarquant à Paris, mais ont réussi à conquérir la ville par leur talent.
À NE PAS MANQUER Michel Boujenah, « Ma vie rêvée », au Théâtre Edouard VII, Paris, 75009. A partir du 18 nov. 2014.
En chanson « Je suis un Juif espagnol Je suis un Grec arménien Je suis un Français créole qui devient Un étranger parisien Je suis partout où les hommes ont besoin De parler à quelqu’un. Moi je suis un juif arabe je suis noir américain je suis un fils de nomade ou d’indien Qu’importe mon destin. » Extraits de la chanson : « Juif espagnol » de Enrico Macias.
Michèle Colomes
© Cyril Bruneau
Enrico Macias.
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’adore cette réplique de l’un de mes collègues saltimbanques à qui l’on demandait : “ Pourquoi riez-vous alors que le siècle est sombre ?– Mais je ris parce que le siècle est sombre !” », s’exclame Michel Boujenah, en cette période de terrorisme et de guerre. La force de ce festival vivant, populaire et libre, tient en son éclectisme et sa dimension conviviale sous l’air maritime puissant du Var.
CULTURE Avignon
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Coups de théâtre pour la Licra en Avignon
© DR
Dans un Festival mis sous pression par la lutte des intermittents, seuls deux spectacles furent annulés et la Licra fit bonne figure, faute de débats qui fassent un tabac.
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« Les Vibrants », d’Aïda Asgharzadeh, un hymne à la vie des « gueules cassées » Mise en scène : Quentin Defait.
’était un curieux festival : les médias ne cessaient de dire qu’il était bloqué, que des spectacles étaient annulés… bref, que « les intermittents du spectacle étaient en train de le saborder… ». Il y eut deux spectacles du In annulés en tout début de festival, ce furent les seuls. Il faut rappeler qu’à Avignon, il y a deux festivals : le In, créé par Jean Vilar en 1946 sur les conseils de René Char, et le Off, créé dans les années 70 en réaction au premier, et dont le Théâtre du Chien Qui Fume, notamment, a porté le flambeau, lui donnant le visage qu’on lui connaît aujourd’hui : plus de 1 200 spectacles s’y donnent chaque jour pendant plus de trois semaines. La cuvée de cette année était donc particulière, car toutes les compagnies étaient au rendez-vous, mais le public, échaudé par les annonces médiatiques à répétition, était moins nombreux que les autres années : on ne se bousculait pas rue des Teinturiers…
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LE « DDV » DIFFUSÉ DANS LES RUES D’AVIGNON Malgré cela, nous avons, sans difficulté aucune, distribué tous nos « Droit de vivre », plus de 1 500 ! Et diffuser le « DDV » dans les rues d’Avignon, alors qu’un peu partout en France se déroulaient des manifestations anti-israéliennes et pro-palestiniennes, fut une expérience intéres-
sante. Parce qu’à de très rares exceptions près, les gens que nous croisions et à qui nous proposions notre journal ne rechignaient pas à le prendre : au contraire, ils étaient intéressés, surpris que nous soyons là et attirés par notre dernière « Une » qui soulignait l’engagement de la Licra dans le combat contre l’homophobie. Ils ne nous assimilaient pas à une organisation seulement préoccupée du sort des juifs : la portée universaliste du combat antiraciste que notre « Une » annonçait les séduisait.
UN DIALOGUE CONSTRUCTIF AVEC LES DIRECTIONS DES THÉÂTRES L’autre point positif réside dans les liens inaugurés et renforcés depuis trois ans avec chacun des quatre théâtres permanents d’Avignon : les Théâtres des Halles, du Balcon, Golovine et du Chêne Noir, qui sont les piliers de la vie théâtrale avignonnaise. Non seulement nous avons pu mettre notre journal dans les présentoirs de ces théâtres, mais les liens noués avec chacun d’entre eux nous amènent à modifier notre politique de labellisation pour les années à venir. Le Festival est l’occasion idéale pour repérer des spectacles et nouer des relations durables avec des compagnies – certaines d’entre elles, dont nous venions de labelliser le spectacle, étaient
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d’ailleurs présentes avec une nouvelle pièce, et nous ont accueillis avec joie et fierté d’avoir été ainsi « choisis » – mais il nous est apparu, pour les prochaines éditions, qu’il serait plus efficace de s’y prendre autrement. Convenir, avec ces quatre théâtres qui se déclarent prêts à nous accueillir, de sélectionner dans leur programmation, dans la mesure où celle-ci s’y prête, une pièce parmi celles qui seront données au prochain Festival, et la labelliser en vue de cette prochaine édition. Les directions des théâtres permanents d’Avignon, qui connaissent et estiment la Licra depuis longtemps, sont intéressés par cette perspective d’une mise en valeur de leur programmation et d’un partenariat avec la Licra qui impliquerait soutien et promotion, mais aussi possibilité d’organiser des débats à l’intérieur de ces théâtres.
Avignon CULTURE
qu’une vingtaine de personnes. Il en fut de même pour les trois débats auxquels la LDH nous invita à participer autour de Jaurès. Il ne faut pas se cacher qu’en terme d’affluence, ce fut un échec : à chaque fois, une quinzaine de personnes, outre les débateurs, étaient présentes. La préparation de ce type d’événement implique un fort investissement de la section locale. Avignon est une formidable scène, un véritable amplificateur pour qui sait s’y faire entendre : c’est ce que nous n’avons pas réussi à faire pour les débats, alors que notre présence dans les rues, l’accueil réservé dans les théâtres et par les compagnies partenaires, étaient, eux, bien réels. Mano Siri
LES DÉBATS L’autre leçon, moins glorieuse, de ce festival en demi-teintes, c’était, malgré l’implication de la commission Culture, le peu d’affluence aux débats dont nous étions soit les initiateurs, soit les invités. La salle de la mairie était à peu près remplie pour le premier, qui réunissait Antoine Spire et Alain Timar, directeur du Théâtre des Halles, autour de sa formidable adaptation du texte d’Albert Cohen, « Ô vous, Frères humains », . Mais le débat passionnant qui eut lieu deux jours plus tard au même endroit autour de « Othello, le Maure », de Shakespeare, pour lequel nous avions invité Louis-Georges Tin, président du Cran, à venir échanger avec nous sur cette figure de l’homme noir du théâtre élisabéthain, ne réunissait
Quelques spectacles à voir et à faire voir Ô vous frères humains Porté par trois comédiens talentueux qui en soulignent la promesse d’universalité, ce texte est comme amplifié par la mise en scène d’Alain Timar. Là où le rappel des humiliations subies – ici, la découverte de l’antisémitisme dans sa forme la plus virulente – est souvent le prétexte justifiant une forme de « droit de haïr » en retour, ce souvenir est le point de départ d’une méditation qui pousse Albert Cohen à nous lancer un appel : briser la chaîne de la haine. Noga / Patrick Bebey forment un couple de scène où la musique, aux accents jazz et world, est le fil conducteur de leur dialogue : comme une conversation dans le temps et l’espace où se croisent le français, l’anglais, l’hébreu et le bassa, d’une chanson à l’autre : un morceau de bonheur qui réactualise la rencontre entre les expériences juives et africaines, loin de toute concurrence mémorielle.
Les Vibrants Le nouveau spectacle d’Aïda Asgharzadeh est un hymne à la vie de ceux qui auraient préféré mourir : les « gueules cassées », ces soldats défigurés par la guerre de 14-18. Ils se vécurent monstrueux et ne s’en remirent pas. Dans cette pièce où nous éprouvons tout, à travers le regard d’une gueule cassée, nous ne pouvons pas ne pas comprendre la puissance excluante et menaçante du regard de l’autre. Mais nous y apprenons aussi que le théâtre, capable de transformer notre regard, de nous faire éprouver l’innommable pour nous en libérer, peut guérir ceux que la vie semble avoir condamnés. La Jeune Fille et la Mort D’Ariel Dorfman. « Tant que subsiste la mémoire des faits, dit Stefan Zweig, il ne peut y avoir de pardon ». Une jeune femme croit reconnaître dans l’homme que son mari a invité son ancien tortionnaire, du temps
de la dictature de Pinochet. Le huis clos troublant et brûlant qui s’ensuit pose clairement le problème de ce qui est impardonnable – la torture –, et de l’impossibilité de pardonner. Chants d’exil Sur une forme légère de cabaret parlé-chanté accompagné par la musique de Kurt Weill, la pièce raconte la vie de Brecht, faite d’exils et de résistances, au pouvoir nazi, au maccarthysme…, donnant à entendre que les artistes sont avant tout des citoyens du monde, cosmopolites par définition et par affirmation. On en ressort chargé d’un vent de liberté et d’une ardeur au combat contre tous les racismes et contre l’antisémitisme – qui n’est pas un racisme parmi les autres, malgré ce que certains voudraient.
CULTURE Exposition
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Le secret des fresques de la Sixtine Voir la Chapelle les yeux au firmament ne dispense pas de sérieux décryptages des rapports judéo-chrétiens. a famille Borgia doit sa célébrité à sa cruauté sanguinaire, et aussi à ses hommes d’Etat, ses papes et ses personnalités hors du commun, qui furent mécènes des plus grands artistes de la Renaissance italienne : Giovanni Bellini, Della Robbia, Dosso Dossi, Andrea Mantegna, Melozzo da Forti, Michel-Ange, Pérugin, Pintoricchio, Raphaël, Titien, Luca Signorelli,Verrocchio, Léonard de Vinci, etc.Parmi les œuvres présentées au musée Maillol, à Paris, pour l’expositon « Les Borgia et leur temps », la Pietà attribuée à Michel-Ange, une statue belle et émouvante, en terre cuite, a été découverte récemment par un juif italien pratiquant, Roy Doliner, co-auteur avec le rabbin Benyamin Blech du livre « Les Secrets de la chapelle Sixtine », qui démontre la présence de signes cabalistiques dans ce lieu chrétien. Ce consultant en histoire a utilisé la méthode du Talmud, pro-
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La Pietà attribuée à Michel-Ange. >
cédure très précise et complexe d’investigation pour retrouver le créateur d’un objet perdu. Un collectionneur avait fait l’acquisition d’une statue chez un antiquaire de la province de Bologne, attribuée après sa restauration à Andréa Bregno, sculpteur à succès à Rome, au xve siècle. Le collectionneur, non convaincu, entra en relation avec Roy Doliner pour expertiser cette œuvre en précisant : « La dernière phase de restauration a mis en lumière des signes mystérieux sur le dos de la statue, qui ressemblent à des lettres hébraïques. » Roy découvrit sur une table de cuisine, au milieu de cahiers d’enfants, ce chef-d’œuvre. Il conclut : « Ce ne sont pas des lettres hébraïques, mais je crois que vous avez juste acheté un chefd’œuvre inconnu de Michel-Ange. Il se peut même qu’il soit antérieur à sa Piéta du Vatican. » Michèle Colomes
REPÈRES « Les Borgia et leur temps. De Léonard de Vinci à Michel Ange », exposition au musée Maillol, fondation Dina-Vierny. 59-61, rue de Grenelle, 75007 Paris. Du 17 sept. 2014 au 15 fév. 2015. Catalogue de l’exposition : coédition musée Maillol/Ed. Gallimard.
Contrepoint : un Cupidon païen sur la Pietà a petite statue en terre cuite est une maquette de la Pietà que Michel Ange voulait réaliser. Le jeune sculpteur voulait qu’elle soit l’expression de l’amour, de la beauté et de la spiritualité – puisés à toutes les sources, chrétienne, juive et grecque. Ainsi, on peut-on noter la présence étrange d’un Cupidon, fils de Vénus, dieu de l’amour grec. Pour ceux des experts qui attribuent la Pieta à Michel-Ange, la présence du Cupidon équivaudrait à une signature de l’artiste proche du courant néoplatoniste qu’il avait fréquenté à ses débuts à Florence. De fait, loin de l’enfant joufflu et ailé qui s’amuse à tirer ses flèches amoureuses sur les mortels et immortels, l’humaniste féru de mythologie classique autant que d’Ancien Testament (voir le
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plafond de la Sixtine) qu’est Michel-Ange sait que pour les Grecs, fondamentalement, le petit dieu de l’amour, né du chaos primitif, est un dieu créateur qui assure la cohérence du cosmos et que, selon les néoplatoniciens, connaissance et amour sont intimement liés. Aidant la Vierge à soutenir son fils mort, Cupidon est le symbole de l’amour charnel qui se met au service de l’amour spirituel. L’Eglise catholique fera supprimer cette symbolique païenne du chef d’œuvre de Saint-Pierre de Rome. Mais Michel-Ange n’aurait pas totalement obéi. La pièce en travers du vêtement de la Vierge, qui porte sa signature, serait, dit-on, la bride du carquois de Cupidon. Georges Dupuy
VIE DES SECTIONS
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Nouvelle vague militante à la Licra ! C’est de cette Nouvelle Vague, active sur le terrain local et branchée sur la Toile mondiale, que Gladys est l’un des personnages. Zoom sur cette militante de 25 ans, venue de la Meuse à Reims, en « batailleuse rassembleuse ». gée de 25 ans, Gladys Guden est originaire de Blercourt, un petit village situé à côté de Verdun, en Lorraine, dans la Meuse. Elle vit aujourd’hui à Reims, où elle est étudiante en formation d’éducatrice spécialisée. Elle fait partie de cette nouvelle vague qui déferle dans les sections de la Licra, et offre un regard différent, novateur. Férue d’arts, entre architecture, photographie et culture rock, elle cultive l’éclectisme et navigue entre les disciplines et les engagements.
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L’ARRIVÉE DE CETTE MILITANTE : UN CHANGEMENT DE BRAQUET POUR LA SECTION ! Très préoccupée par les maux sociaux et sociétaux dont souffre son pays, elle a adhéré à la Licra en mai 2013 et participe activement aux actions de la section. Claude Secroun explique qu’elle s’occupe « à la fois de la commission Jeunes et du compte Twitter de la section ». Dans le climat actuel plutôt délétère et propice à la libération des paroles racistes et antisémites, Gladys Guden s’attache à être très vigilante et présente sur Internet. En effet, le web est devenu un instrument de propagande incontrôlable et un véritable défi pour la Licra et ses sections. Lucide, Gladys a trouvé dans son implication militante le moyen de communiquer et de transmettre un message clair, en opposition à la
communication nauséabonde, contrefaite et protéiforme, qui essaime sur Internet. Gladys Guden a aussi la qualité de pouvoir rassembler : Anne-Marie Ducos estime qu’elle est « une jeune fille qui a du charisme, puisqu’elle a entraîné avec elle d’autres adhésions ! ». La montée des extrémismes l’effraie et conditionne sa motivation : « J’ai l’impression que les jeunes sont désorientés politiquement et ne savent plus qui croire, ni comment. » Son adhésion s’est accompagnée d’une volonté de renouveler les outils de communication à destination des jeunes.
DÉVELOPPER LA COMMUNICATION ET L’ÉCHANGE La force d’une association comme la Licra, ce sont ses sections, véritables ouvrières sur le terrain. Gladys souhaiterait davantage d’échanges entre la Licra nationale et les sections : ils sont « souvent limités à la newsletter », regrette-telle. Accroître la communication sur ce que réalisent les sections serait appréciable, puisqu’elle considère que « chacune de nos villes développe autant de projets différents et variés ». Echanger est un moyen d’acquérir de l’expertise et/ou de la compléter. « Cela permettrait, estime Gladys, de partager nos idées entre militants et de mettre en commun nos outils. » Justine Mattioli
Gladys Guden, en bas à gauche.
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Elle a découvert la Licra, plus précisément la section de Reims, à l’occasion d’un stage effectué dans le cadre de l’IRTS (Institut régional du travail social), en 2012. Elle explique que son choix a été motivé par son « intérêt pour l’histoire et les événements qui y sont liés ». Claude Secroun, vice-président de la section de Reims, décrit la personnalité de Gladys comme « très attachante ». « Elle manie l’humour et est toujours enjouée, elle apporte de la joie à nos réunions ! », complète-t-il. Anne-Marie Ducos, présidente de la section, corrobore ce constat, ajoutant que Gladys a « beaucoup de personnalité ». Pétrie de bonnes intentions, altruiste, elle s’intéresse à la Licra qu’elle considère comme une association de terrain lui « apportant sur le plan professionnel une connaissance approfondie de la population et du territoire rémois ». En effet, elle envisage son implication à la Licra comme une valeur ajoutée dans la perspective de son futur métier d’éducatrice spécialisée.
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MILITER À LA LICRA : UN CHOIX RÉFLÉCHI, ENTRE QUÊTE DE SENS ET VOLONTÉ D’ACTION
REPÈRES Gladys Guden fait partie du bureau exécutif de la section de Reims, et prend également part aux réunions de la Licra Jeunes. Le compte Twitter de la Licra Reims dont elle s’occupe : @Licra_Reims.
VIE DES SECTIONS
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Licra Paris : des élections mi-octobre, enfin…
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Grâce à l’ACA et à son règlement des problèmes au cas par cas, ce sont plus de 800 adhérents qui sont appelés à voter, le 15 octobre, à la mairie du 3e arrondissement de Paris, afin d’élire le président de la fédération de Paris.
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La tour Eiffel vue depuis Notre-Dame de Paris.
REPÈRES L’ACA, Autorité de contrôle et d’arbitrage Créée en 2011 avec les nouveaux statuts de la Licra, l’Autorité de contrôle et d’arbitrage (ACA) est composée de cinq membres élus par le Conseil fédéral pour cinq ans. Y siègent aujourd’hui Annette Bloch, Pierre Fournel, Patrick Quentin (son président), Claude Secroun (à la suite de Michel Zaoui, venu remplacer David-Olivier Kaminski dès lors que celui-ci s’était porté candidat) et Mario-Pierre Stasi (à la suite de Pierre Bernheim).
ne élection très attendue. Non seulement parce que la section de Paris est la première en termes d’effectifs, mais aussi parce que cette élection a fait l’objet de reports successifs depuis près d’un an. De fait, le mandat de son président a pris fin en novembre 2013, et la première assemblée générale de la section de Paris aurait dû avoir lieu en janvier dernier. A l’origine de cette situation inédite à la Licra, des désaccords qui ont opposé les deux candidats déclarés lors du premier appel à candidatures : soit, Gérard Unger, candidat sortant au terme de deux mandats successifs (de 2007 à 2013), et David-Olivier Kaminski, le premier ayant fait la liste d’irrégularités de la part du second, l’accusant de pratiquer un « entrisme dangereux ». « Mon compétiteur a fait inscrire environ cinq cents nouveaux adhérents, dont beaucoup n’habitent pas Paris, et ce en un temps record, déplore Gérard Unger, qui est aussi président de la commission Mémoire et Histoire. Au-delà de ces adhésions, une grande proportion de ces nouveaux inscrits a payé un tarif réduit [réservé aux chômeurs et étudiants], et beaucoup de ces nouvelles adhésions ont été réglées en liquide. »
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UN AFFLUX D’ADHÉSIONS… ET DE SOUPÇONS « On me fait un mauvais procès », regrette DavidOlivier Kaminski, qui a travaillé au sein de la commission juridique (au côté de Michel Zaoui) avant de devenir le conseiller spécial d’Alain Jakubowicz. « A l’annonce de ma candidature, de nombreuses adhésions ont en effet suivi. Mais n’est-ce pas ce que l’on peut souhaiter de mieux pour la section de Paris ? » C’est dans ce climat de suspicion que le bureau exécutif de la Licra saisissait, le 25 février, l’Autorité de contrôle et
d’arbitrage de la Licra (l’ACA, voir encadré) afin qu’elle mène l’enquête et rende ses décisions, en vertu des missions qui lui sont conférées. Entre-temps, une nouvelle péripétie n’avait sans doute pas apaisé le climat déjà bien tendu : le bureau de Paris refusait une troisième candidature, celle de David Pierre-Bloch, fils de Claude PierreBloch et petit-fils de Jean Pierre-Bloch. La candidature avait été déposée, il est vrai, au-delà de la date limite réglementaire. Reste que le problème majeur qui s’est posé pour cette élection est clairement lié à l’afflux d’adhérents. Comme le confirme Pierre Fournel, l’un des cinq membres de l’ACA : « Leur nombre a plus que doublé entre 2012 et 2014, passant de 350 à environ 800 adhérents. Le processus électoral a suscité une mobilisation, une volonté de constituer des équipes, de renouveler le vivier d’adhérents et, évidemment, d’engranger des suffrages. A l’ACA, notre premier travail a consisté, dès février et pendant des semaines qui ont suivi, à étudier la provenance et la régularité de ces nouvelles adhésions. »
AUX PREMIÈRES LOGES, LE TRAVAIL D’UNE INSTANCE INDÉPENDANTE Face aux suspicions, notamment sur des bulletins payés en liquide, l’essentiel était de sécuriser le vote. « Et nous y sommes arrivés, en proposant une solution certes inhabituelle à la Licra, indique Pierre Fournel : demander à chaque votant, au moment de l’élection, de présenter une pièce d’identité, ou, dans le cas d’une procuration, l’envoi d’une photocopie Ce qui est conforme aux bonnes pratiques républicaines. Quant aux adhésions à tarif réduit, il a été convenu de demander d’apporter un justificatif de sa situation. » Au final, une vingtaine de nouvelles adhésions contestées (pour cause de changement d’adresse) ne seront pas intégrées au vote. L’ACA a rendu ses conclusions début juillet : elle n’a pas constaté de fraude avérée. « Il n’existe aucun formalisme, à ce jour, dans le renseignement d’un bulletin d’adhésion. Par ailleurs, près de 20 % des nouveaux adhérents vivent en dehors de Paris, soit la même proportion qu’en 2012. Enfin, il existe une liberté des adhérents de choisir leur section, quel que soit le lieu de leur domicile », rappelle Pierre Fournel. « Une ambition s’est clairement affirmée, déclarait début septembre Gérard Unger à propos de son compétiteur (répondant aux questions du « Droit de vivre ») et alors qu’il avait retiré sa candidature au lendemain de la décision rendue par l’ACA. « Je ne crie pas du tout au crime de lèse-majesté, mais ce qui me choque, je le répète, ce sont les
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irrégularités nombreuses qui ont accompagné sa candidature. » « Mon ambition, c’est que la section de Paris soit vraiment le fer de lance de la Licra, répondait de son côté David-Olivier Kaminski. J’estime qu’on doit pouvoir faire un don à la Licra comme on donne à la Ligue contre le cancer. Je n’ai de conflit avec personne, il faut simplement recréer un vrai processus électoral. »
UNE CRISE RÉVÉLATRICE D’UN PROCESSUS DÉMOCRATIQUE EN COURS… Sur ce point, l’élection de 2010 pour la présidence nationale a sans nul doute ouvert une ère nouvelle, comme l’évoque Pierre Fournel. « Elle a, de fait, inauguré un processus démocratique inédit à la Licra ; quatre candidats étaient opposés, de manière très ouverte, alors que, jusqu’ici, il y avait souvent eu, dans l’histoire de l’association, une figure tutélaire qui s’imposait. Avec cette élection, l’idée qu’il était temps de moderniser nos statuts a fait consensus. » A la demande du président
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élu, Michel Zaoui a donc engagé, avec une équipe d’une dizaine de membres, une large réflexion : les statuts ont été longuement discutés, amendés et approuvés par les sections, puis adoptés par l’assemblée générale en mai 2011. Au rang de ces nouveaux statuts figurait justement la création de l’ACA. Avec l’idée qui était indispensable de substituer à l’ancienne commission électorale, dont les trois membres étaient désignés par le président, une autorité statutairement indépendante. Ces cinq membres ont été élus par le Conseil fédéral en novembre 2011. Aujourd’hui, le processus électoral a été réouvert par l’ACA, un nouvel appel à candidatures a été lancé en août, l’ACA demandant aux candidats de déposer leur profession de foi afin de se recentrer sur l’essentiel – leurs ambitions et projets pour la section –, et la date du vote fixée au 15 octobre. La situation est donc ouverte et les résultats de la mi-octobre devraient indiquer la direction que la section de Paris prendra pour les trois ans à venir. A suivre… Karen Benchetrit
REPÈRES
Zohra Bitan déconstruit les mythes
Zohra Bitam : « Cette gauche qui nous désintègre », Ed. François Bourin.
Le 26 juin dernier, au Cercle de la Licra, l’ancienne porte-parole de Manuel Valls a présenté son livre « de rupture »… et à la fois très personnel sur « Cette gauche qui nous désintègre ». ès les premiers mots prononcés par Zohra Bitan, il est aisé de percevoir la forte personnalité de cette femme, engagée au PS à l’âge de 27 ans, puis conseillère municipale et ancienne porte-parole de Manuel Valls lors de la primaire socialiste, en 2011. Que révèle la lecture de ce pamphlet autobiographique ? Sans doute de véritables désillusions, à la hauteur des espérances initiales de l’auteure. Par le prisme de la politique de la Ville, elle
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égraine les écueils du PS et les conséquences ravageuses sur les banlieues. Le vocable usité est percutant, souvent cru, et dénote l’implication de Zohra Bitan. La récurrence des termes « assistanat », « assistés » et « assistance » souligne le profond hiatus entre les politiques publiques prodiguant un soutien, déculpabilisant, et les réalités sociales au cœur des cités. Selon l’auteure, le PS a appliqué une législation illustrant davantage la poursuite des succès électoraux : un véritable « business », qu’elle qualifie de « déni de réalité ». N’est-ce pas pourtant la triste réalité de la politique française, locale ou nationale, tous partis confondus ? Journal intime semblant avoir des visées cathartiques, l’ouvrage expose la vie de Zohra Bitan de sa prime jeunesse à la maturité. Il s’agit d’un récit émotionnel où apparaissent à plusieurs reprises les termes « bougnoules », « arabe », « arabitude », « immigrés ». Ces termes semblent exprimer la frustration d’avoir été ramenée, dans le pays qu’elle aime, à sa condition d’immigrée. L’objectif poursuivi semble être la reconnaissance recherchée. Mais dans quel but, pour aller où ? Justine Mattioli
Zohra Bitam Fille d’immigrés algériens, elle a vécu à proximité de quartiers de banlieues. Aujourd’hui cadre de la fonction publique territoriale, elle est engagée dans maints projets, et notamment à la Licra où elle est déléguée exécutive, chargée des actions dans les territoires.
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Tweeter ou Geek antiraciste, “Pousse Ton Cri“ sur la Toile A l’initiative de quatre associations – l’UEJF, le Mrap, SOS Racisme et la Licra –, la soirée de lancement de la campagne « Pousse Ton Cri » a eu lieu dans les locaux de Google France. Animée par Yoram Elkaim, directeur juridique chez Google, elle a réuni plus de deux cents personnes d’une moyenne d’âge de 30 ans. LES DÉFIS DES ASSOCIATIONS ANTIRACISTES
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www.poussetoncri.fr
Les “hangouts” de Google Ces chats vidéo auront lieu les 17 et 24 septembre, puis le 3 octobre. Chacun traitera d’une thématique précise : la lutte contre le racisme dans le monde du sport, de la musique et sur Internet. Ils s’effectueront en partenariat avec le Huffington Post (www.poussetoncri.fr).
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1. Google a été l’objet de poursuites par des associations antiracistes françaises au sujet de son « Google suggest », c’est-àdire le service de suggestion du moteur de recherche. Le mot « juif » apparaissait inlassablement et mécaniquement, contigu à des noms de personnalités. 2. Les hangouts, ou vidéobulles, sont des applications permettant d’envoyer des messages et de participer à des appels vidéo avec plusieurs personnes et sur différents appareils.
La France plie sous le poids des crises économique, sociale et sociétale. Le concept du « vivre ensemble » est menacé et le délitement du lien social avéré. Le XXIe siècle marque l’avènement des nouvelles technologies, d’un monde sans frontières où le lien social a muté pour devenir multiple, omniscient et complexe. La condition d’existence d’une association est son implantation locale, sa présence sur les terrains géographique et virtuel. Dominique Sopo, président de SOS Racisme, rappelle l’importance d’« investir pleinement l’espace virtuel, notamment ceux prisés par les nouvelles générations ». es interventions de Rokhaya Diallo et Jigmé Alain Jakubowicz, président de la Licra, reconnaît Théaux ont initié la soirée. Entre la publi- que « nos adversaires ont pris une longueur cation d’ouvrages pédagogiques et la d’avance […] La toile, dans ce combat-là, est un conduite de l’association Les Indivisibles, Rokhaya lieu transgressif ». Diallo insiste sur « l’importance d’utiliser Internet Bernadette Hétier, coprésidente du Mrap, estime pour contrecarrer, voire submerger, les discours qu’il faut « continuer cette bataille avec les outils actuels […] il faut associer l’arme de la Justice de haine ». La chaîne Youtube de Jigmé Théaux propose à celle de la technologie ». un contenu susceptible de générer « débats et Sacha Reingewirtz, président de l’UEJF, admet qu’aujourd’hui « Internet renforce le délitement ouverture d’esprit ». du “vivre ensemble“ » et souligne qu’« il faut réinvestir ce champ […], produire du contenu LE PARAMÈTRE NUMÉRIQUE positif qui redonne l’envie de vivre ensemDANS LA PRATIQUE MILITANTE Après l’affaire « Google Suggest(1) », en 2012, ble ! ». qui a écorné l’image du géant californien, l’entre- Les quatre associations présentes développent prise est convenue d’un accord avec les différentes des stratégies pour s’immiscer sur la toile, entre associations. A la recherche d’une revalorisation contre-discours et plaidoyer pour un futur débarde son e-réputation, Google a proposé de financer rassé le plus possible d’affirmations racistes. Sans candeur sur les moune campagne counter tivations de Google, speech (le contre-dis« Internet : entre entreprise multinationale, cours) pour lutter contre nous soutenons cette acle racisme, l’antisémidémocratisation des tion qui marque l’implitisme et la xénophobie. moyens d’expression cation inédite mais La conception de la planécessaire des moteurs teforme a été prise en et levier d’action de recherche dans l’anacharge par l’agence diincontournable » lyse et la surveillance des gitale Netscouade. La contenus multimédias. page d’accueil, ludique, intuitive, permet d’enregistrer et de partager la La campagne « Pousse Ton Cri » est une promesse, vidéo d’un « cri » et d’en expliquer la nature, les un alliage générationnel et associatif, somme raisons. Il est également possible de signaler un toute une renaissance. contenu raciste et de participer à des hangouts(2). Il ne rend pas caduques les combats plus tradiCet écrin digital illustre une initiative collective tionnels, et n’exonère indéniablement pas de la des associations antiracistes, qui démontre qu’elles nécessité d’une réflexion de fond. Mais il est ont intégré le paramètre numérique dans leur indispensable. pratique militante. Justine Mattioli
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« LES PHOBIES, ET NOTAMMENT L’HOMOPHOBIE, NE SE SITUENT PAS SUR LE MÊME PLAN QUE LE RACISME ET L’ANTISÉMITISME » ien sûr, il faut combattre les discours de haine et de rejet violent de l’autre différent, dont l’homophobie. Et ce ne sont pas les motifs qui manquent en ces moments inquiétants, où le pacte social est mis à mal dans un vertige de destructivité. Les données constitutives de naissance – couleur de peau, apparence, milieu familial… –, auxquelles l’individu ne peut échapper et qui s’imposent à lui, ne sont pas du même ordre que ce qui relève d’une construction sociale, d’une subjectivité en élaboration et d’un choix possible. L’orientation sexuelle, l’orientation religieuse ou non, l’inscription dans une trajectoire de vie ne sont pas génétiquement programmées. N’essentialisons pas des différences qui peuvent être plurielles dans un même moment et varier au cours d’une vie. Le champ des phobies est sans limite, et il y a risque à diluer ce qui est au cœur du combat contre le racisme et l’antisémitisme. On n’en aura jamais fini avec la haine, la
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connerie, la bêtise et les blagues lourdingues qui peuvent nous rattraper. Alain Gouiffes (Rouen)
RÉPONSE Vous avez parfaitement raison : l’homophobie ne se situe pas sur le même plan, mais comme le dit notre président : « Les manifestations d’homophobie et les souffrances qu’elles causent sont les mêmes : violences verbales et physiques, avec cette circonstance s’agissant de l’homophobie, que le rejet provient souvent du cercle familial accroissant le sentiment d’humiliation et de honte des victimes. » Quant aux auteurs de discrimination homophobe, ils sont les mêmes que les racistes : extrémistes politiques et intégristes religieux. Si comparaison n’est pas raison, il n’empêche que racisme et homophobie ont bien une parenté. Antoine Spire
ISRAËL, MON DOUX AMOUR
RÉPONSE
ous avons conservé notre abonnement au « DDV » pour observer l’évolution de votre état d’esprit. Hélas, nous n’y avons pas vu grand changement. Vous continuez à fustiger l’extrême droite en « oubliant » de vous attaquer régulièrement aux déclarations venimeuses de l’extrême gauche. Mais hélas, compte tenu du développement effrayant de l’antisémitisme, comme vous êtes la seule association qui affirme le combattre, nous nous voyons contraints de renouveler votre abonnement. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre article sur le racisme en Israël. Je suppose que c’est le premier d’une longue série sur le racisme en Iran, Irak, Liban, etc. Et, d’une manière plus générale, dans tous ces pays d’où viennent les sans-papiers immigrant en Israël. […] Pour quelle raison dites-vous « TelAviv » pour parler d’Israël ? Peut-être que, comme d’autres, vous ne reconnaissez pas Jérusalem comme la capitale d’Israël… Pourriez-vous me dire pour quelles raisons vous ne dénoncez pas très régulièrement et avec force l’antijudaïsme virulent des islamistes intégristes qui appellent en permanence à la destruction d’Israël et au meurtre de tous les Juifs ?
Nous nous attaquons régulièrement aux déclarations venimeuses de l’extrême gauche : pour ne prendre que les trois derniers numéros du « DDV », je vous renvoie aux éditos de notre président et de moi-même, aux pages 11, 25 (à propos du boycott d’Israël), 28, 29 dans le numéro 649, pages 22, 23, 24, 38 dans le numéro 650, page 4 dans le numéro 651. Nous traitons du racisme dans tous les pays, et si nous avons parlé des immigrants illégaux en Israël, nous ne manquons pas de fustiger tous ces pays où les droits de l’homme sont foulés au pied : la Turquie et l’Ukraine dans le numéro 649, l’Iran, l’Italie, l’Ukraine encore dans le numéro 650, les pays de l’est de l’Europe, et la Suisse dans le numéro 651. Israël est une démocratie, et les démocraties qui proclament leur attachement aux droits de l’homme (la France en est) doivent rendre des comptes lorsque la réalité dément les discours. Si nous écrivons « Tel-Aviv » dans notre titre, c’est parce que c’est là que s’est déroulée cette manifestation d’étrangers qui revendiquaient leurs droits. Donc, à nos yeux, Tel-Aviv ne remplace pas Israël. Enfin, Jérusalem, capitale choisie par les gouvernements israéliens, est la capitale d’Israël. C’est une évidence.
Gaby Amouyal
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COURRIER
LA LICRA ENTRE ÉMOTION ET DÉTENTE La Licra Drôme était présente avec plusieurs de ses militants, dont Pierre Pieniek, son président, à la cérémonie de remise, à titre posthume, par Rahamim Yaacov, consul d’Israël à Marseille, de la médaille et du diplôme des Justes parmi les Nations à Léa et René Robin, représentés par leur fils Jacques Robin. On notait également la présence à l’hôtel de ville des personnes suivantes : Poët-Laval, reçu par JeanClaude Roz, maire ; Mme Thomas, sous-préfète de Die ; Hervé Mariton, député ; Philippe Bérard, conseiller général ; M. Fichtenberg, membre des Eclaireurs israélites de France ; Pierre Osowiechi, vice-président du comité français pour Yad Vashem ; Arielle Krief, déléguée du Comité français pour Yad Vashem. Cet institut de Jérusalem décerne cette distinction aux personnes non juives qui ont, au péril de leur vie, sauvé des juifs sous l’Occupation. La famille Robin a en effet soustrait Samuel Gryszpan au régime de Vichy et à la barbarie nazie. Elevé avec leur fils comme des frères, ils étaient pour tous des enfants du village parmi les autres, où se cachait également un autre enfant juif, à Poët-Laval, pas loin de Dieulefit, pays des Justes où tant d’enfants ont été sauvés. En 1942, Samuel, juif polonais originaire de Belgique, a 5 ans, Jacques 6 ans, protestant, fils du potier. A tout partager jusqu’en 1944, des liens très forts se sont noués. Et puis le temps qui file, 70 ans déjà... Ils resteront amis et en contact pour toujours. Samuel – c’est lui qui a entrepris cette reconnaissance envers la famille Robin – reviendra régulièrement de la banlieue parisienne où il vit, voir Jacques, étonné de réaliser que cette histoire qui lui paraissait ordinaire était un acte d’héroïsme qui méritait d’être mis en lumière... Ils étaient côte à côte encore, ce 27 juillet à Poët-Laval. La Licra Drôme poursuivait la journée par un pique-nique et une promenade aux alentours de Dieulefit. M.S.
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CAVIARDAGE ? n peut publier ou ne pas publier la lettre d’un lecteur, mais si on la publie, encore faut-il avoir l’honnêteté de ne pas la caviarder pour en dénaturer le sens. Or, c’est ce que le « DDV » a fait en ce qui concerne ma lettre sur l’article de Mano Siri. Vous avez soigneusement supprimé les trois premières lignes de ma courte lettre, qui montraient que les intentions de l’auteur de l’article étaient, de façon indirecte, de remettre en question le droit à l’existence d’Israël. Je persiste à penser que Mme Siri dévoie le combat antiraciste à des fins de basse propagande, et je n’admets pas que le « Droit de vivre » se complaise à hurler avec les loups.
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Veuillez publier ce rectificatif et ma lettre dans sa totalité. Salutations. H. Nahmiyaz
RÉPONSE Nous gardons la substantifique moelle de chaque lettre, ne pouvant pas consacrer tout le journal aux lettres de lecteurs. Ni Mano Siri, ni qui que ce soit à la Licra ne remet en cause le droit à l’existence d’Israël. La légitimité de l’Etat nous paraît même essentielle face à ceux qui l’attaquent, mais nous ne nous alignons pas forcément sur la politique du gouvernement d’Israël, que certains d’entre nous se permettent de critiquer. A.S.
À PROPOS DE L’ÉTÉ Quelques citoyens ont décidé de se démarquer des cortèges de haine qui opposent ou réunissent des partisans de la paix à Gaza et des antisionistes qui sont en fait des antisémites parlant un langage et pratiquant des actions qu’on croyait oubliées. La Licra me semble être l’organisme le mieux préparé pour contrer ces cortèges qui sont apparus récemment pour défendre nos valeurs d’entente entre citoyens de France... La règle première et fondamentale est qu’il s’agit bien de rassembler, pas de défiler. Où ? Ni un lieu trop connoté à gauche (Bastille, République) ou trop connoté à droite (Concorde, Opéra). Un lieu contrôlable par le service d’ordre du rassemblement ou par la police, le Champ de Mars ? Avec qui ? Avec tous ceux qui sont fidèles aux vertus républicaines et qui ne considéreront pas ce rassemblement comme un lieu propice à faire la publicité de leur groupe. Une réponse peut être dans le choix du slogan majeur de ce rassemblement. Je suggérerais : « Vive la République, une et indivisible. »
La Licra a eu la tristesse d’apprendre le décès de
Madame la baronne Philippine de Rothschild Elle présente ses sincères condoléances à ses enfants et à sa famille. Comédienne, négociante en vins, « la Baronne » assuma avec courage et persévérance un destin hors du commun en faisant prospérer le fameux « Mouton Rothschild », un vin exceptionnel. La baronne Philippine de Rothschild a toujours eu à cœur de soutenir avec vigueur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Elle était membre de notre comité d’honneur, et avait une place particulière dans le cœur des militants. La Licra se souviendra d’une femme engagée et généreuse, qui manquera à notre combat.
Rémi Dreyfus
Valeurs républicaines et religions endant de nombreux mois, la section de Neuilly-La Défense de la Licra a mené un travail rigoureux et approfondi sur les convergences entre les valeurs de la République française et les valeurs des religions. Il s’agit d’un travail exceptionnel et d’une réflexion exigeante autour des valeurs fondatrices et des principes républicains de liberté, d’égalité, de fraternité, et des autres références de la Licra, comme la laïcité ou la solidarité. Pour chaque valeur républicaine, la section de Neuilly a fait un travail d’approfondissement et a donné la parole à des autorités religieuses de référence, pour voir quelles pouvaient être les convergences, les équivalences ou les absences dans les textes fondateurs des trois grandes religions monothéistes : chrétienne, juive, musulmane. De plus, ces autorités religieuses ont pris le soin de justifier pourquoi elles avaient choisi
P POUR L’ACHAT, S’ADRESSER À : Licra Neuilly-La Défense, Maison des Associations, 2 bis, rue du Château 92 200 Neuilly sur Seine. Ou par mail : licra.nld@orange.fr Prix : 15 euros + frais d’expédition.
tel texte, telle référence plutôt qu’une autre. Personnellement, j’ai beaucoup appris à la lecture des premières épreuves de ce travail, et je m’en sers souvent pour préparer une intervention en lien avec les questions religieuses. Au moment où il nous faut réfléchir aux conditions d’application de la laïcité dans l’espace public, dans les entreprises… pour faciliter le « vivre ensemble », ce document est particulièrement bienvenu. Il faut le faire connaître auprès de nos partenaires comme ceux de l’Education nationale, des Sports, de la Justice ou de l’éducation populaire, auprès de tous les « encadrants » avec qui nous travaillons. Ils y trouveront beaucoup de réponses précises et étayées aux questions qu’ils se posent. Bonne lecture, et encore merci à la section de Neuilly. Roger Benguigui