Catalogue de l'exposition "L'antisémitisme, du Moyen-Age à nos jours"

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L’ANTI­SÉMITISME DU MOYEN-ÂGE À NOS JOURS LIVRET DE L’EXPOSITION


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POURQUOI CE LIVRET DE L’EXPOSITION ? Depuis janvier 2006, la Licra Rhône-Alpes est devenue dépositaire de l’exposition « L’antisémitisme du Moyen-âge à nos jours » ; celle-ci a été inspirée par Ernest Nives, survivant de la Shoah, d’origine autrichienne, en hommage à sa mère disparue dans la nuit de Birkenau. Membre de l’Amicale Bléchammer (camp non loin d’Auschwitz), ainsi que de l’Association Survivors of the Shoah aux USA, Ernest Nives a financé la conception et la réalisation de cette exposition. Ce travail considérable a été documenté par une équipe d’historiens néerlandais, en particulier par l’historienne Johanna Kiens Meyer de la fondation d’Auschwitz et par Daniel Cil Brecher et conçue par Floris Guntenaar. Ceux-ci ont travaillé sur l’évocation des périodes les plus marquantes de la persécution des juifs à partir d’une recherche iconographique approfondie. Cette exposition a été soutenue par un Comité d’Honneur où figuraient notamment Peter Brook, Blanch Wiesen Cooke, Frank Dunlop, Spalding Gray, Marsha Norma, Natacha Parry, Alexandra Pisar Pinto, Roman Polanski, Anne Sinclair, Agnès Varda et par la Fondation Esther Natan et Pépo Tchénio. Afin de présenter une idée plus juste et plus nuancée des relations entre Juifs et Musulmans, éminemment variables selon les lieux et les époques, nous avons adjoint, en juillet 2010, quatre panneaux supplémentaires : « Les relations juifs-musulmans du VIIe siècle à nos jours », réalisés par un collectif d’historiens, animé par Frédéric Abécassis, Maître de conférences à l’Ecole normale supérieure de Lyon. Par ailleurs, trois autres panneaux ont été réalisés : « Les relations juifs-chrétiens de 1946 à nos jours » et « Les Justes ». En France, l’exposition a circulé dans de très nombreuses villes : à Paris dans les Mairies du 9ième, du 11ième, du 20ième, à Brest à la Mairie, à Clermont-Ferrand au CHRD, à Rouen au CRDP, à Montpellier au Pavillon de l’Hôtel de Ville, à Tours à la Mairie, à Grenoble à la Mairie à Lyon, à l’Eglise Saint-Bonaventure, à Valence au Conseil Général de la Drôme, à Nîmes au Colisée, à Reims au Collège Saint Rémi. à Roanne à la Médiathèque, à Marseille à la Mairie, à Aix en Provence à la Mairie… et dans de très nombreux établissements scolaires. Elle a connu aussi une diffusion à l’étranger en Russie, en Pologne, aux Etats-Unis… Cette exposition est aujourd’hui installée en permanence au Camp des Milles, où elle fait partie du fond documentaire de ce site. Elle a fait l’objet de reproductions en plusieurs exemplaires, facilement transportables, pour être installée dans divers lieux. La richesse documentaire, la clarté des exposés, font de cette exposition un outil d’information exceptionnel. L’actualité tragique de ces derniers mois nous montre combien il est utile de rappeler quelques constantes de l’histoire et la nécessité de mettre en garde les individus jeunes et adultes contre les évolutions historiques et politiques qui peuvent se révéler lourdes de périls... Face à la banalisation du racisme et à la multiplication des violences antisémites, nous avons souhaité réaliser ce livret pour une lecture plus attentive et plus exhaustive du contenu des panneaux de l’exposition, afin de répondre aux nombreuses demandes exprimées par des visiteurs. Notre mission est de défendre les valeurs universelles que sont la tolérance, le respect de la différence, et les droits de l’homme. Espérons que ce catalogue sera un outil de plus pour défendre ces valeurs.

Le format de ce livret nous a contraint à reprendre environ 90% des illustrations des panneaux de l’exposition et en modifiant parfois leur ordre.


L’Antisémitisme du Moyen-âge à nos jours L’antisémitisme accompagne l’histoire du peuple juif depuis de nombreux siècles. Une équipe d’historiens néerlandais a travaillé sur l’évocation des périodes de persécution qui ont marqué la mémoire du peuple juif. L’exposition proposée aujourd’hui est un voyage dans le temps et dans l’espace. Elle raconte en mots et en images, grâce à une recherche iconographie approfondie, les sombres épisodes de la mémoire juive à travers un assemblage de trente panneaux thématiques allant de la première croisade à l’antisémitisme contemporain sur Internet. Le Moyen-âge, la Montée de l’antisémitisme, le Nazisme et la Shoah sont les trois grands chapitres qui composent cette exposition à vocation pédagogique. Il s’agit d’abord d’informer le visiteur sur les origines de cette idéologie de la haine et sur son cheminement à travers les siècles. Mais ce projet a aussi pour ambition de susciter dans l’esprit de tout à chacun la volonté de défendre les valeurs universelles que sont la tolérance, le respect de la différence et des Droits de l’Homme. Cette réalisation a été inspirée par Ernest NIVES, survivant de la Shoah, en hommage à sa mère disparue dans la nuit de Birkenau. Aujourd’hui il invite le public français à le rejoindre dans le combat de la mémoire. Pourquoi cette exposition ? Les préjugés à l’égard des gens ou des cultures peu connues apparaissent dans tous les pays et à toutes les époques. Certains préjugés sont anodins ; toutefois d’autres sont beaucoup plus pernicieux et peuvent engendrer oppression et persécution. Historiquement, les Juifs sont certainement l’un des peuples ayant le plus souffert des préjugés. En Europe, la haine des juifs est ancrée dans le christianisme, religion qui s’est développée à partir du judaïsme. Durant des siècles, les Juifs, minorité religieuse de l’Europe chrétienne, ont été souvent mal compris, inspirant la suspicion chez les gens, opprimés par l’Eglise et exploités par les dirigeants. L’intolérance religieuse a conduit à la discrimination et à l’isolement. Un climat s’est instauré et a rendu crédibles nombre de légendes et de mythes concernant les Juifs et le judaïsme, dont certains subsistent encore de nos jours. Cependant, en dépit de ce contexte très difficile, les communautés juives ont entretenu leur religion, tout comme leurs traditions sociales et culturelles. Cette exposition illustre l’histoire des attitudes hostiles aux juifs et de l’antisémitisme actuel, forme d’intolérance qui, durant le XXe siècle, a causé la mort de millions de gens. L’exposition décrit également l’histoire des Juifs en Europe afin d’apporter la lumière sur leur vie, leur religion et leur culture. L’histoire de l’antisémitisme démontre combien les préjugés et l’intolérance, peuvent s’avérer dangereux, en particulier en période d’incertitude politique et d’accroissement des tensions sociales.

Cette photo, prise en Autriche en 1929 ou 1930, montre la famille NIVES. Le père Bernard fut emprisonné à Dachau et Buchenwald entre avril 1938 et février 1939, avant de se réfugier avec sa famille en France. Grâce à l’aide que leur fournirent des Français, ils purent être sauvés. Fred, l’aîné, émigra aux Etats-Unis en 1940 et servit dans l’armée américaine. Ernest, le cadet, né à Vienne, le 8 avril 1925, fut arrêté par la police de Vichy avec sa mère Julia, le 26 août 1942 à Laspardelières, dans le centre de la France. Ils furent déportés à Auschwitz à bord du convoi 32, le 14 septembre 1942. Ernest survécut. Aujourd’hui établi à New-York, il a contribué à l’organisation de cette exposition, dédiée à la mémoire de sa mère, assassinée à Auschwitz. Le vernissage est en hommage à Paul Leperq qui a été un homme de conviction, épris de liberté et dépourvu de tout préjugé.

Textes et Recherches Documentaires : Joke Kniesmeyer et Daniel Cil Brecher Graphisme : Hans Schabracq et Iwan Baan Conception et montage : Floris Guntenaar, Pim Haanen (Expofast.com) Traduction : Rolande Translations, Montréal, Canada

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Images chrétiennes des juifs Dans l’Europe du Moyen Âge, le christianisme est la religion dominante. Non seulement l’Église catholique détient-elle la plus haute autorité morale, mais encore les évêques coopèrent-ils avec la noblesse dans le gouvernement des états chrétiens. Puisque l’origine du christianisme remonte aux communautés juives du Moyen-Orient, l’attitude de l’Église envers les juifs reste indécise : fautil obliger ou inciter tous les juifs à se convertir au christianisme, ou faut-il leur permettre de continuer de pratiquer leur religion, avec de nombreuses restrictions, en les maintenant en marge de la société et en leur rappelant constamment la supériorité du christianisme sur le judaïsme ? Dans beaucoup d’églises apparaissent des images symbolisant la « Victoire du christianisme (Ecclesia) sur le judaïsme (Synagoga) ». Les juifs sont dépeints comme des traîtres et des déicides. Souvent, ils sont représentés avec un porc, image particulièrement insultante puisque la religion juive considère les porcs comme impurs. Puisque le christianisme est devenu la religion officielle de l’Empire romain, de nombreuses illustrations bibliques du Moyen Âge minimisent le rôle des Romains dans le procès et la crucifixion du Christ. Ce sont plutôt des juifs vêtus de costumes moyenâgeux qui sont représentés comme les principaux coupables. A une époque où la grande majorité de la population est illettrée, cette iconographie d’église joue un rôle essentiel dans la propagation d’une image négative des juifs et du judaïsme.

Scène biblique : Judas compte l’argent de la trahison. Il est représenté comme un juif du XIIIe siècle coiffé du bonnet pointu obligatoire.

« L’Eglise contre la Synagogue » : l’Eglise est représentée comme un Roi chevauchant un lion, la Synagogue comme une femme aux yeux bandés, la couronne tombant sur la tête, sa lance brisée.

Eglise de Naumburg (Allemagne), XIIIe siècle.

Vitrail dans l’Eglise de Werben (Allemagne).

La Croix vivante sur une fresque italienne : un bras de la croix couronne un jeune homme chevauchant un lion (l’Eglise) ; l’autre transperce d’une épée une femme aux yeux bandés assise sur une chèvre (la Synagogue). Fresque de la Cathédrale San Petronio de Bologne (Italie), vers 1400.

« L’Eglise contre la Synagogue » : l’Eglise, à gauche, est un jeune homme couronné portant la croix et le calice. La Synagogue est une femme aux yeux bandés, la hampe de son étendard brisée. Elle tient les Tables de la Loi à l’envers. Cathédrale de Strasbourg (France), vers 1230.

« L’Eglise contre la Synagogue » : L’Eglise est un chevalier à cheval, menaçant de son épée la Synagogue, juif chevauchant un porc. Cathédrale d’Erfurt (Allemagne), vers 1420.

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Le gouverneur romain Ponce Pilate, qui condamna Jésus à mort, est représenté comme un juif se lavant les mains du crime qu’il vient de commettre. Psautier de Liège (Belgique), XIIIe siècle.


La Première Croisade

Les croisades confirment, dans les dogmes de l’Église et les lois des États de toute l’Europe chrétienne, le statut des juifs comme sujets de second ordre. Elles inaugurent, pour la grande majorité des juifs d’Europe, une période d’oppression et d’insécurité qui ne prendra fin qu’au XVIIIe siècle.

En 1905, le pape Urbain demande aux croyants de partir en croisade afin « d’exprimer leur amour pour Dieu en tuant les ennemis du Christ en Orient ».

Trois juifs, reconnaissables à leurs bonnets, sont passés au fil de l’épée par des chevaliers chrétiens. Illustration biblique de la période des persécutions menées par les croisés, France, 1250.

Dans un manuscrit allemand du Moyen Âge, les juifs sont représentés brûlant en enfer, avec le diable à droite. L’inscription du chaudron précise « Juda » (« juifs »). Illustration du Hortus Deliciarum, 1175.

Pendant les 700 premières années du christianisme, les communautés juives d’Europe sont rarement menacées directement. La situation change lorsque le pape Urbain exhorte les fidèles en 1095 à partir en croisade pour libérer Jérusalem des infidèles. En chemin pour Jérusalem, les croisés déciment les communautés juives le long du Rhin et du Danube. « Comment, s’exclament-ils, devrions-nous attaquer les infidèles en Terre Sainte, et laisser en repos les infidèles en notre sein ? ». Le 25 mai 1096, environ 800 juifs sont assassinés à Worms (Allemagne), et beaucoup d’autres choisissent le suicide. A Revensburg, les juifs sont jetés dans le Danube, pour y être « baptisés ». A Mayence, Cologne, Prague et dans beaucoup d’autres villes, des milliers de juifs sont tués, leurs biens pillés.

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Les livres sacrés des juifs sont condamnés. En 1239, le pape Grégoire ordonne le procès du Talmud sous prétexte que ce livre contiendrait des mensonges au sujet de la vie du Christ et de la Sainte Vierge. Il exige qu’il soit confisqué et brûlé. Le Talmud sera sujet à suspicion jusqu’au XXe siècle. Panneau par Berruguete, XVe siècle.

Carte : Attaques contre des communautés juives au début de la Première Croisade en 1096.


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Les mythes antijuifs Au Moyen Âge, la croyance aux miracles et aux légendes est courante. Deux mythes à caractère antijuif font leur apparition en Europe : profanation de l’hostie et meurtre rituel. Ces deux mythes survivront jusqu’au XXe siècle. Selon d’autres croyances populaires du Moyen Âge, les juifs portent des cornes et une queue, attributs du diable. En 1215, l’Église proclame que la chair et le sang de Jésus-Christ sont contenus dans l’hostie et le vin consacrés. A partir de cette date, des rumeurs commencent à circuler selon lesquelles les juifs volent, mutilent ou brûlent l’hostie afin de tuer Jésus une fois de plus. Les miracles font partie intégrante de ces mythes : l’hostie mutilée saigne, prouvant le bien-fondé de la doctrine et la vérité de la foi chrétienne. Selon l’accusation de meurtre rituel, les juifs tuent des enfants chrétiens afin de satisfaire leur prétendu besoin de « sang chrétien » pour la confection du pain de la Pâque ou pour d’autres rites religieux. Même si le haut clergé et l’État s’opposent dans bien des cas à la propagation de ces rumeurs, celles-ci se perpétuent dans les croyances populaires, soutenues et encouragées par le clergé local, qui transforme les lieux des prétendus meurtres en lieux de pèlerinage. L’accusation de meurtre rituel sert de leitmotiv aux légendes les plus néfastes et les plus cruelles faisant partie de l’arsenal des croyances antijuives, perpétuant le mythe de la nature mauvaise et inhumaine des juifs et incitant les populations chrétiennes à une vengeance sanglante. Les accusations de meurtres rituels refont surface au XXe siècle en Russie et dans la propagande nazie.

Gravure sur bois montrant la prétendue « profanation de l’hostie » par des juifs à Passau (Bavière) :

Des juifs (portant la rouelle) amènent dans la synagogue une boîte contenant l’hostie.

Prétendue « profanation de l’hostie » par des juifs à Sternberg : 27 juifs sont brûlés. Gravure sur bois (Allemagne), 1492.

Transpercée par un juif, l’hostie saigne.

Arrestation des juifs…

La magnifique synagogue de Regensburg est détruite après une prétendue profanation de l’hostie. Cette gravure a été réalisée d’après des croquis faits juste avant la destruction de l’édifice. Une chapelle mariale est construite sur le site. Gravures d’Altdorfer, 1519.

… et mise au bûcher.

« Le meurtre de Simon de Trente par des juifs » : une des plus notoires accusations de meurtre rituel, à Trente (Italie) en 1475. Après qu’un franciscain fanatique ait prêché contre les juifs pendant le Carême, on retrouve le corps d’un enfant près d’une maison juive. Tous les juifs de la ville sont arrêtés. Après 15 jours de torture, 17 juifs avouent. Huit sont exécutés sur le champ, et 5 autres plus tard. Simon est béatifié et vénéré comme martyr jusqu’à ce que l’Eglise interdise son culte en 1965. Illustration des Chronicarum Mundi, Nuremberg, 1493.


La discrimination systématique En 1215, le pape décrète que les juifs doivent porter sur leurs vêtements des marques spécifiques pour les distinguer plus clairement des chrétiens. L’Église veut empêcher les chrétiens de fréquenter des juifs à leurs dépens. Ces signes vestimentaires distinctifs ne sont pas uniformes ; dans certains endroits, les juifs doivent porter une rouelle jaune ou rouge, ailleurs un bonnet pointu, le « bonnet juif ». Au fur et à mesure des années, les juifs sont obligés de vivre dans des ghettos entourés de murs. Vu l’interdiction d’agrandir le ghetto, celui-ci devient de plus en plus surpeuplé. La discrimination va encore plus loin, jusqu’à nier un droit encore plus fondamental : les juifs n’ont pas le droit de résider en permanence dans les villes et les villages. De plus en plus, ils doivent s’adonner au commerce, au colportage et au prêt sur intérêt, et sont seulement admis dans les villes pendant une période limitée, lorsque le développement économique exige l’expansion des échanges commerciaux et du crédit. Ils sont frappés d’impôts supplémentaires. Lorsque la situation économique change ou que les marchands locaux sont trop endettés envers eux, leurs permis ne sont pas reconduits. Souvent, les juifs sont purement et simplement expulsés. De nombreuses communautés doivent verser des impôts au roi ou au prince en retour de sa « protection ». Dans les États allemands, les juifs sont considérés comme la propriété de l’Empereur, qui vend aux princes et évêques locaux le droit de les taxer. Souvent, les communautés juives sont tiraillées entre les intérêts économiques rivaux des citadins et des princes locaux « propriétaires » des juifs.

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Fresque : Prophète portant le bonnet juif. Chapelle du Saint-Sépulcre, Winchester (Angleterre), XIIIe siècle.

Les règles vestimentaires discriminatoires apparaissent dans les manuscrits juifs. Cette illustration du Pentateuque montre Moïse recevant les Tables de la loi ; tous les Israélites portent le bonnet juif médiéval. Pentateuque de Regensburg, vers 1300.

Un couple juif portant la rouelle jaune obligatoire. L’homme tient une bourse et des gousses d’ail, attributs fréquents dans la représentation des juifs.

Fragment d’une fresque espagnole : La Descente de Croix, avec un couple juif portant la rouelle jaune. Chapelle Santa Lucia, Tarragone, XIVe siècle.

Worms (Allemagne), XVI siècle. e

Bonnet juif : Formes et dimensions selon les règles en vigueur à Francfort (Allemagne). Gravure du XVe siècle.

Les juifs doivent solliciter des permis pour résider et travailler dans une ville, privilège que concèdent les princes, évêques ou magistrats municipaux moyennant finances. On voit ici l’emperur Henri VII réaffirmer le privilège des juifs de Rome. Miniature du Codex Balduini, début XIVe siècle.

Le ghetto de Rome à la fin du XIXe siècle. En 1555, le pape ordonne aux juifs de Rome de vivre dans un ghetto dans des conditions particulièrement pénibles : ce quartier est en effet fermé entre le lever et le coucher du soleil. Cette situation dure jusqu’en 1868.

La rue des juifs à Francfort (Allemagne) : Créée en 1462, en forme de croissant, située hors des murs de la ville, elle a seulement deux ouvertures. Estampe de Merian, 1624.


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L’usure Pendant la seconde moitié du Moyen-âge, les villes se développent et le commerce connaît une grande expansion. De nombreuses fonctions économiques antérieurement dévolues aux juifs sont prises en charge par d’autres groupes. Un nombre croissant de professions et de métiers s’organisent en guildes. Puisque seuls les membres des guildes sont admis à pratiquer ces professions, et que les nouveaux membres doivent prêter serment sur le Nouveau Testament, les juifs en sont en pratique exclus. En Europe occidentale et centrale, les juifs doivent au fur et à mesure renoncer à toutes les professions. En définitive, il ne leur reste que le commerce ou le prêt sur intérêt. De nombreuses communautés juives sombrent dans la pauvreté, et quelques-unes seulement continuent de prospérer. L’Église interdit aux chrétiens de prêter sur intérêt, mais le besoin de crédit augmente dans une économie en expansion. Les juifs sont souvent les seuls prêteurs. Les taux d’intérêts sont élevés en raison des risques et de la pénurie de capitaux. Les juifs sont identifiés à l’usure, c’est-à-dire au prêt d’argent à des intérêts exorbitants. Un autre stéréotype du « juif » apparaît, le pauvre colporteur d’articles d’occasion. Ces deux images contradictoires des juifs, l’usurier dur et injuste et le colporteur pauvre et rusé, survivront jusqu’au XXe siècle.

Mise en garde contre « l’usure juive ». Gravure sur bois, Moravie, vers 1475.

Un jeu de cartes représentant un juif (portant la rouelle jaune) et deux attributs antijuifs classiques : la bourse et le porc. Allemagne, XVe siècle.

Un paysan et un usurier juif. Gravure sur bois, Augsbourg, 1531.

« Le juriste, le juif et la femme font sombrer le monde dans la folie. » Le juif est représenté portant la bourse et la rouelle. Allemagne, vers 1600. « La cupidité juive ». Manchester (Angleterre), 1773.

Un juif prête serment devant les autorités chrétiennes : Prêter serment faisait partie de la plupart des transactions licites. Même ici, les juifs sont humiliés. Ils doivent se tenir pieds nus sur une peau de porc, leur bras droit nu placé sur les Dix Commandements en hébreu. Placard de Breslau (Pologne), XVIIe siècle.

Caricature d’un colporteur juif. Italie, vers 1700.


Les juifs de Pologne et de Lituanie

Vue de Cracovie (Cracovia, à droite) et Kazimierz (Casimirus, à gauche) : A la fin du XVe siècle, les juifs sont expulsés de Cracovie. La Communauté juive s’établit alors dans la ville voisine de Kazimierz. De nombreuses villes polonaises aménagent des quartiers réservés exclusivement aux juifs. Gravure tirée du « Liber Chronicorum », Nuremberg, 1493. Un juif (à droite) et un turc (à gauche) sont conduits en enfer par la Mort. Détail d’un tableau, artiste inconnu, Eglise Saint-Bernard, Cracovie, XVIIe siècle.

Pendant des générations, on croyait que les juifs enlevaient les enfants chrétiens et les assassinaient rituellement pour prendre leur sang. Ce tableau exposé dans une église représente le prétendu enlèvement d’un enfant chrétien par un juif.

Une scène biblique : Jésus chassant les marchands du temple ; les prêteurs sont des juifs portant des costumes moyenâgeux.

Eglise Saint-Paul, Sandomierz (Pologne), vers 1710 Oxford.

Eglise Sainte-Catherine, Cracovie, vers 1470.

Bogdan Chmielnitski, chef de la révolte des Cosaques contre la férule polonaise en Ukraine, en 1648. Chmnielnitski tenta aussi de débarrasser l’Ukraine de tous les juifs, identifiés au régime polonais. Pendant la révolte, 300 communautés juives sont exterminées et des dizaines de milliers de juifs tués. Ces massacres sont considérés comme le premier pogrom moderne et laisseront les juifs de Pologne traumatisés pendant des générations. Chmielnitski est considéré comme un héros national par les nationalistes ukrainiens.

L’accusation de meurtre rituel. Musée régional de Iaroslav, artiste inconnu, première moitié du XVIIIe siècle.

Statue de Bogdan Chmielnitski, Kiev (Ukraine).

Les groupes juifs qui émigrent en Pologne et en Lituanie à partir du XIIIe siècle forment le noyau des communautés juives polonaises et russes. Les rois de Pologne invitent les juifs à s’établir dans leurs États, dans l’espoir de relancer l’économie. Après l’expulsion des juifs d’Espagne et les persécutions qui se poursuivent en Europe occidentale, la Pologne et la Lituanie deviennent dès le XVIe siècle le nouveau centre de la vie culturelle juive en Europe. On y parle le yiddish, mélange d’allemand médiéval et d’hébreu. Les juifs de Pologne jouissent d’une plus grande liberté dans le choix de leurs professions, mais leur statut juridique reste le même que dans l’Europe de l’Ouest. Certaines villes, comme Varsovie en 1527, reçoivent le privilège « de ne pas avoir à tolérer de juifs », ce qui signifie que les juifs ne sont pas autorisés à s’y établir. En Lituanie, cependant, les juifs ont pratiquement les mêmes droits que la population chrétienne et commencent à former, avec elle, une classe d’artisans et de marchands. Comme les juifs savent généralement lire et écrire, ils administrent souvent des domaines appartenant à l’État ou à la noblesse, et prennent en mains la perception des impôts ou la vente du sel et de l’alcool. Ce rôle d’intermédiaire entre la noblesse et l’importante population rurale les rend particulièrement vulnérables pendant les périodes de difficultés économiques. A la fin du XVIe siècle, la Contre Réforme déclenche non seulement la persécution des protestants, mais encore des flambées de violence antijuive. Les juifs étaient considérés comme des concurrents au plan économique. De plus, leur langue, leur religion et leur tenue vestimentaire différentes en faisaient des boucs émissaires.

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Un hassid, sa femme et sa fille portant des costumes typiques du XVIIIe siècle. Le Hassidisme, mouvement religieux alliant une pièté joyeuse à des idées mystiques et messianiques, prend naissance dans les régions de Pologne les plus ravagées par les massacres de Chmielnitski et la persécution du XVIIIe siècle. Le rabbin charismatique Israël Ben Eliézer visite les communautés juives comme thaumaturge (baal shem tov), dispense des conseils et s’entoure de disciples. C’est le début du hassidisme. Après sa mort en 1760, ses adeptes propagent son enseignement dans toute l’Europe orientale.


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Les expulsions et la peste noire Après les croisades, les expulsions des communautés juives entières deviennent fréquentes. En 1290, tous les juifs d’Angleterre (environ 16 000 personnes) sont expulsés. Ce n’est qu’au XVIIe siècle que des communautés s’établissent de nouveau dans ce pays. En 1306, les juifs sont aussi expulsés de France. Des accusations de meurtre rituel et des émeutes antijuives aboutissent à des expulsions. Profitant des sentiments antijuifs, les seigneurs locaux, les magistrats municipaux ou les marchands saisissent l’occasion de se débarrasser des prêteurs juifs envers qui ils sont endettés, ou encore qui constituent pour eux des concurrents indésirables. Les intérêts économiques motivent à la fois l’acceptation et l’expulsion des juifs. Le XlVe siècle est assombri par une immense catastrophe : l’Europe est frappée par la peste. Entre 1348 et 1350, les épidémies tuent des millions de personnes, le tiers de la population européenne. Les causes réelles étant inconnues, les étrangers, les voyageurs et les juifs (la seule minorité non chrétienne dans tous les pays affectés) sont accusés d’avoir répandu la maladie. Beaucoup de gens croient que les communautés juives se vengent des décennies d’hostilité antijuive en empoisonnant les puits et les sources d’approvisionnement en eau. Au fur et à mesure de la progression de l’épidémie depuis l’Espagne et l’Italie, vers le nord jusqu’en Angleterre et en Pologne, environ 300 communautés juives sont attaquées et des milliers de juifs sont tués. Dans les États allemands, presque toutes les communautés juives sont expulsées. En 1478, le pape permet la création d’une Inquisition spéciale en Espagne visant essentiellement la persécution des juifs restés fidèles au judaïsme après les conversions forcées. Des milliers d’autodafés (« actes de foi ») ont lieu, au cours desquels des juifs sont brûlés sur le bûcher, ou étranglés s’ils avouent. En 1492, les Rois Catholiques, Ferdinand et Isabelle, expulsent tous les juifs du Portugal et d’Espagne, exilant environ 150 000 personnes et détruisant les communautés prospères de la péninsule ibérique. Des expulsions sporadiques de communautés juives se poursuivront en Europe wjusqu’au XIXe siècle.

Le roi Philippe Auguste expulse les juifs (portant la rouelle jaune) de France. L’expulsion quasi-totale des juifs de France se déroule en 1306. Miniature d’une chronique française, 1321. Chronique de la Peste noire, scène de mise au bûcher. Chronique flamande, 1349.

Moyses Hall, à Bury St. Edmunds : Généralement considéré comme une synagogue avant l’expulsion. A la fin du XIIIe siècle, les juifs d’Angleterre sont devenus si pauvres que les taxes qu’ils rapportent au roi sont négligeables. Lorsque les banquiers chrétiens prennent en charge le rôle de prêteurs, les juifs ne sont plus indispensables économiquement. En 1290, le roi Edouard 1er ordonne le bannissement de tous les juifs du pays. Carte postale anglaise, vers 1900.


Les expulsions et la peste noire 9

Après l’arrestation et l’exécution de Fettmilch en 1616, le retour des juifs est célébré en grande pompe. En signe de protection, les armes de l’empereur sont apposées aux portes de la ville ; néanmoins, la communauté ne doit pas excéder le nombre de 500 familles.

Edit de Ferdinand et Isablle ordonnant l’expulsion des juifs d’Espagne en 1492. Environ 150 000 juifs sont exilés, et l’un des centres culturels les plus florissants d’Europe est détruit.

Gravure allemande, 1616.

Mur de l’ancienne synagogue décoré avec des caractères hébraïques. Celle-ci devint une église après l’expulsion des juifs. Eglise Il Transito, Tolède (Espagne) XIVe siècle Francfort, le 23 août 1614 émeute antijuive dirigée par Vincent Fettmilch. Selon les textes « 1380 personnes de tous âges furent comptées sortant par la porte » et furent forcées d’embarquer sur des bâteaux amarrés sur les rives du Main. Alors que les juifs participent à la vie économique de la ville, Fettmilch mène une campagne antijuive auprès des petits artisans et commerçants.

Ce manuscrit biblique, écrit dans le style judéoportugais dans les années 1490, fut emporté en Italie par son propriétaire après l’expulsion des juifs du Portugal.

Gravure contemporaine de Georg Keller.

Page de garde du Livre d’Isaïe : écrit et en partie illustré à Lisbonne (Portugal), d’autres enluminures peintes à Florence (Italie), fin du XVe siècle.

« La seconde expulsion des juifs de Prague, sur l’ordre du Roi, la raison en étant tenue secrète… ». Soixante-dix mille juifs doivent quitter la ville en 1745. Ils obtiennent la permission de revenir 3 ans plus tard, après avoir promis de payer des impôts plus élevés. Gravure allemande, 1745


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L’émancipation La Réforme du XVIe siècle suscite une nouvelle appréciation de l’Ancien Testament en hébreu et une meilleure compréhension de la religion juive. Après les ravages des guerres entre protestants et catholiques, l’esprit de tolérance religieuse se répand en Europe, et les attitudes à l’égard des juifs (qui ne sont plus la seule minorité religieuse) commencent à changer. Le Siècle des Lumières - le XVIIIe siècle - affirme l’égalité entre tous les êtres humains. Les conditions sont réunies pour que les juifs soient acceptés dans les sociétés européennes. Les restrictions quant au domicile et à l’exercice d’une profession sont peu à peu abrogées, et les juifs jouissent de droits de plus en plus étendus. Les États-Unis et la France révolutionnaire sont les premiers États à conférer aux juifs le statut de citoyens à part entière. La plupart des États européens les imitent dans le cours du XIXe siècle. En Russie, toutefois, les juifs doivent attendre encore un siècle (jusqu’à la révolution de 1917) avant d’accéder au statut de citoyens libres. Au XIXe siècle, dans des pays comme l’Allemagne et la Russie, le débat porte sur la manière de rendre les juifs utiles à la société. Les métiers dans lesquels des siècles de discrimination les ont relégués (petit commerce, colportage, prêt sur intérêt) sont considérés contre nature ; leurs coutumes religieuses, leur langue, leur habillement sont jugés barbares. En Allemagne et en Russie, l’émancipation des juifs dépend de leur « assimilation ». Les juifs profitent de leur liberté nouvelle et entrent dans de nouvelles professions, fréquentent les mêmes écoles et universités que le reste de la population. Mais les juifs sont toujours considérés comme différents, et il est leur beaucoup plus difficile de parvenir à l’égalité sociale, d’être acceptés. Beaucoup de non-juifs réagissent avec suspicion, voire avec effroi, lorsque les juifs commencent à sortir de leur isolement et abandonnent leurs occupations traditionnelles. Les intérêts économiques entrent également en jeu ; dans certaines régions, les efforts des juifs pour s’adonner à de nouvelles activités suscitent une vive résistance. Les nationalistes créent de nouveaux obstacles aux juifs. De plus en plus, les peuples se définissent en fonction d’éléments communs : culture, sang, langue ; même les juifs convertis au christianisme et entièrement assimilés sont désormais considérés comme des étrangers. Le nationalisme ravive les intolérances religieuses ; c’est la base de l’antisémitisme moderne.

Napoléon 1er accordant la liberté de culte en 1802 : l’empereur aide la Synagogue à se redresser. Les juifs pouvaient désormais pratiquer librement leur religion : on attendait cependant d’eux qu’ils abandonnent leur culture et leur identité propres. Eau-forte, vers 1806.

Etats-Unis 1789 France 1791 Pays-Bas 1796 Canada 1832 Angleterre 1856 Italie 1861 Empire Austro-Hongrois 1867 Allemagne 1871 Suisse 1874 Bulgarie 1878 Serbie 1878 Empire Ottoman 1908 Espagne 1910 Empire russe 1917

Les dates indiquées sont celles à partir desquelles les juifs ont bénéficié de l’égalité totale. Dans certains pays, l’émancipation fut réalisée par un seul acte. Dans d’autres, on accorda d’abord des droits limités aux juifs, dans l’attente de leur assimilation.

Dates de l’émancipation complète dans divers pays.

Le dernier « juif protégé ». Son droit de domicile devait être renouvelé régulièrement contre paiement d’une taxe spéciale, abolie en Prusse en 1812. Dans ce tableau, il s’adonne encore à un métier juif traditionnel, le colportage. Musée historique, Lubeck (Allemagne), vers 1830.


L’émancipation 11

Trois juifs alsaciens sont exhortés à renoncer à leurs métiers traditionnels - l’artisanat, le petit commerce et la musique (représentés par l’outil ou l’instrument accrochés à l’arbre) - et à s’adonner plutôt à l’agriculture (représentée par une charrue).

Cinq générations de la famille Kalischer en 1889. Après les massacres perpétrés à l’instigation de Chmielnitski en 1648, la famille émigra d’abord en Pologne occidentale, puis en Allemagne. Au XVIIIe siècle, plusieurs rabbins et talmudistes renommés figurent parmi ses membres. Au XIXe siècle, on trouve des avocats, des médecins, des banquiers, des comédiens et écrivains, professions ouvertes aux juifs pour la première fois. Un seul membre de la famille, un compositeur, devait se convertir au christianisme au milieu du XIXe siècle.

Frontispice de la polémique intitulée « Les juifs alsaciens - faut-il leur accorder des droits égaux ? », publiée en 1790. « Le Siècles des Lumières : Dalles et sa famille » : une caricature des juifs nouveaux bourgeois, prenant des leçons de danse. Gravure, fin du XVIIIe siècle.

Le philosophe juif Moses Mendelssohn (1729-1786), principal investigateur de l’émancipation, traduisit l’Ancien Testament en allemand. Il voulait que les juifs connaissent mieux leur religion, apprennent la langue parlée dans leur pays, et se familiarisent avec les idées du Siècle des Lumières. Portrait de Mendelssohn dédié au roi FrédéricGuillaume II de Prusse en 1787 par l’Ecole Libre Juive de Berlin. Fondée en 1778, cette école offrait aux pauvres un enseignement gratuit. Ce fut la première école à enseigner à la fois des matières religieuses et générales.

Personnages de la pièce antijuive intitulée « Notre société », de Karl Sessa. Malgré certaines protestations, cette pièce fut jouée en 1819. Elle tourne en dérision les manières des juifs, surtout ceux qui occupent de nouveaux postes ou qui sont entrés dans de nouvelles professions. Ces panneaux montrent la transition entre la situation antérieure et le nouvel état de choses : riches et pauvres, marchands et colporteurs, étudiants et artistes. Nürnberger Bilderbogen 1825.

« Du nouveau, et déjà une immense réussite ! » Levi Strauss (1829-1902) naquit en Bavière, où le numerus clausus subsista jusqu’en 1861 et où seul le fils aîné était autorisé à se marier. Strauss émigra en Californie et commença en 1853 à confectionner des pantalons en serge bleue renforcée de rivets de cuivre. Ce vêtement, vendu sous la marque Levis, remporta un grand succès auprès des chercheurs d’or et des fermiers, et devint populaire dans le monde entier. Publicité de Levi Strauss & Co, vers 1880.


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L’antisémitisme populaire Au XIXe siècle, les opinions et les stéréotypes antijuifs changent. L’exclusion des juifs et la discrimination à leur égard ne sont plus fondées sur les seules différences religieuses. Lorsque le terme « antisémitisme » fait son apparition à la fin des années 1870, le statut des juifs d’Europe occidentale est problématique ; malgré l’égalité des droits, ils sont perçus comme des étrangers. Depuis le début du XIXe siècle se répand la notion de « peuple » ou de « nation » ; celle-ci ne se limite pas à de simples regroupements d’individus, mais à des entités déterminées par le climat, la terre et les traditions. Ces idées, largement influencées par le mouvement romantique allemand, vont à l’encontre des principes fondamentaux du Siècle des Lumières. De manière générale, est qualifiée de juif toute personne indésirable. Pour beaucoup, le juif symbolise la faiblesse, les mœurs faciles, la laideur physique : l’opposé de l’idéal national. Nombre de ces nouveaux stéréotypes prennent naissance à une époque d’industrialisation et d’urbanisation croissantes. Ces rapides changements sociaux et économiques sont porteurs de grande tension et de conflits sociaux, et beaucoup considèrent qu’ils sont destructeurs et contre nature. Les juifs quittant la marginalité et profitant des nouvelles possibilités qui s’offrent à eux sont souvent identifiés comme responsables. Ainsi naît à cette période le stéréotype du juif exploiteur et usurier qui profite du malheur des autres, ainsi que le mythe de la toutepuissante conspiration juive.

Dans cette caricature, les juifs sont accusés de spéculer sur le grain afin de dominer le monde. Les globes et les serpents - l’animal biblique symbole du péché - se retrouvent encore souvent dans les caricatures antisémites d’aujourd’hui, pour représenter l’influence prétendue corruptrice des juifs. Autriche, vers 1900.

Une image courante dans les caricatures antisémites : le juif tenant le monde entre ses mains. « Rotschild », par C. Léandre, France, 1898.

Un thème antisémite populaire : le juif poltron et faiblard. Un soldat juif s’enfuyant : « Waï, waï, au secours, ils vont me tuer… (…) « Mais Schabs’l, tu ne me reconnais pas, c’est Herschl, je viens te relever…» Vienne, 1848.

Les cartes postales, très en vogue au XIXe siècle, traitaient souvent de thèmes antisémites. Cette carte allemande raille la prétendue tendance des juifs à adopter des attitudes ostentatoires.

« La Bourse » : carte postale française d’une série sur les stations de métro de Paris, reprend l’image bien connue des juifs qui courent après l’argent. « Le juif errant ». Les juifs sont considérés comme apatrides. Gustave Doré, gravure sur bois polychrome, 1852.

Les conséquences de la Révolution française aux yeux de l’artiste antisémite français Caran d’Ache. Opprimé par la noblesse, le paysan voit son fardeau alourdi par le juif. La Révolution française : avant et après, gravure de Caran d’Ache, 1898.


L’antisémitisme politique Vers la fin du XIXe siècle, un nombre croissant d’individus reçoivent le droit de voter. De nouveaux partis se créent, préfigurant les mouvements de masse modernes. Les groupes et les classes qui détiennent le pouvoir depuis des siècles sont aux prises avec un phénomène nouveau : ils doivent se mesurer à d’autres dans l’arène politique. Les partis commencent à recourir aux moyens modernes de propagande de masse afin d’attirer les électeurs. L’exploitation des sentiments antisémites se révèle un moyen efficace de briguer la faveur de l’électorat. Puisque les juifs militent en général dans les partis libéraux et socialistes, les forces conservatrices utilisent une propagande antisémite pour attaquer leurs ennemis politiques, qu’ils prétendent corrompus par la présence des juifs. Pendant la crise économique des dernières décennies du siècle, des partis politiques ayant l’antisémitisme pour seul programme se créent en France, en Allemagne et en Autriche, et connaissent pendant quelque temps un très grand succès. Mais les partis conservateurs ne sont pas les seuls à exploiter les préjugés antisémites. Même certains socialistes considèrent le capitalisme comme une expression de l’esprit d’exploitation juif ; à leurs yeux, la lutte contre le capitalisme doit avoir pour cible le capital juif ou le caractère capitaliste du judaïsme. Ces tendances, se manifestant au sein des partis socialistes, sont en général combattues par les dirigeants, notamment Jean Jaurès en France et Karl Kautsky en Allemagne.

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En 1886, l’écrivain français Edouard Drumont publie « La France juive », qui devient la bible du mouvement antisémite. Outre les accusations habituelles, comme l’usure et le meurtre rituel, il alléguait que les juifs avaient organisé le pillage des églises pendant la révolution française. Illustration de « La France juive », Edouard Drumont, 1886.

Affiche d’Adolphe Willette, “Candidat antisémite”, aux élections françaises de 1889 : « Il n’est pas question de religion, le Juif est d’une race différente et ennemie de la nôtre… le JUDAÏSME, voilà l’ennemi ! ».

Karl Lueger (en voiture, à gauche), fut élu maire de Vienne en 1897 après avoir proposé un programme antisémite. Il conserva sa charge et resta très populaire jusqu’à sa mort en 1910. C’est pendant cette période que le jeune Adolf Hitler résida à Vienne, où il tenta sans succès de s’inscrire à l’Académie des Beaux-Arts. Aquarelle de Wilhelm Gause, 1904.

Adolf Stoecker, prédicateur à la cour de l’Empereur d’Allemagne à Berlin, et chef du Mouvement social-chrétien. Ce parti, groupant ouvriers et petits bourgeois s’alliant à l’antisémitisme chrétien traditionnel, manifeste contre l’exploitation capitaliste juive. Noces d’argent, photo, de 1893.

Aux yeux des antisémites, le juif règne partout. Sur cette carte postale antisémite française, « Le rêve des vautours d’Israël », le juif avec son sac d’argent est représenté comme le nouveau souverain de Russie. Carte postale, 1905.

Le juif représenté en serpent sur une affiche électorale du parti social-chrétien autrichien : « Chrétiens allemands, sauvez l’Autriche ! ». Affiche de Steiner, 1920.

Le premier numéro du journal antisémite « La Libre Parole » : La France souffre pendant que le juif s’enrichit. Edouard Drumont, le directeur du journal, fut élu député après avoir proposé un programme de mesures antisémites en 1892.


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L’affaire Dreyfus En dépit de l’égalité conférée par les lois et de l’intégration croissante des juifs dans les sociétés occidentales à la fin du XIXe siècle, l’antisémitisme reste une menace pour eux. A présent, les attaques antisémites sont combattues par les défenseurs des droits de la personne. Ces deux facteurs se retrouvent dans l’affaire Dreyfus, affaire antisémite qui polarisa la société et toutes les forces politiques en France pendant des années. En 1894, le capitaine Alfred Dreyfus est accusé d’être un espion à la solde de l’Allemagne, adversaire de la France pendant la guerre précédente. Seule preuve : quelques mots sur un bout de papier trouvé dans une corbeille par une femme de ménage, et dont l’écriture ne correspond pas à celle de Dreyfus. Mais Dreyfus est juif, le seul juif de l’état-major général français. Et les juifs sont considérés comme des apatrides, incapables de manifester une loyauté suffisante vis-à-vis du pays dans lequel ils vivent. Dreyfus est convaincu d’espionnage, en partie sur la foi de preuves créées de toutes pièces par des officiers antisémites, et condamné à l’emprisonnement à perpétuité. Il est déporté à l’Île du Diable, au large de l’Amérique du Sud. Lors de sa dégradation publique, la foule, incitée par la presse antisémite, hurle des slogans antijuifs. Un journaliste prend la défense de Dreyfus, mais le véritable coupable, le commandant Esterhazy, continue de bénéficier de la protection du gouvernement. L’affaire divise la France en deux camps. D’un côté, le gouvernement, les partis conservateurs, l’Église et l’armée considèrent que l’honneur de la nation ne doit pas être sacrifié pour un juif, qu’il soit coupable ou innocent. De l’autre côté, sous l’impulsion de l’écrivain Émile Zola et de l’homme politique Jean Jaurès, se rassemblent les partisans des droits de l’homme. D’autres procès s’ensuivent, mais il faudra attendre plus de dix ans pour que Dreyfus soit enfin innocenté. L’affaire a un retentissement mondial. Theodor Herzl, journaliste juif viennois qui assure la couverture du procès, conclut que l’assimilation n’offre aucune protection contre l’antisémitisme, si un juif intégré au point d’être officier français n’est pas en sécurité. Si les juifs demeurent des étrangers dans leur pays de résidence, ils doivent fonder leur État. Son livre, L’État juif, une solution moderne à la question juive, paraît en 1896 et aboutit un an plus tard à la fondation de l’Organisation sioniste.

La dégradation de Dreyfus après sa condamnation : ses galons et ses boutons sont arrachés, son sabre cassé. Le Petit Journal, 13 janvier 1895.

Photo d’Alfred Dreyfus prise par la police après sa condamnation. Les épaulettes et les boutons ont été arrachés de son uniforme.

La révision du procès d’Alfred Dreyfus. Il clama son innocence, mais le tribunal conclut une fois de plus à sa culpabilité, avec circonstances atténuantes, ce qui lui épargna d’être déporté de nouveau à l’Ile du Diable. Estampe anglaise contemporaine, 1899.

De nombreuses cartes postales traitent de l’Affaire. Celles-ci reprennent l’image antisémite bien connue du traître juif, symbolisée par un serpent. De la série de cartes postales intitulée « Musée des horreurs  », n°6 : « Le traître ».

La campagne de réhabilitation de Dreyfus fut considérée par la presse antisémite comme une conspiration juive. « Judas défendu par ses frères » montre Dreyfus recevant de l’argent d’un allemand, tandis que des juifs représentés de manière caricaturale distribuent des pamphlets intitulés « L’erreur judiciaire ». La Libre Parole, 1898.

Affiche antisémite : l’expulsion des juifs de France. La légende proclame  : « Vive la France ! Vive l’armée ! A bas les juifs ! Mort aux traîtres  !  ». L’affiche réclame également le boycottage des commerces juifs.

L’écrivain Emile Zola et sa famille, lisant L’Aurore, journal dans lequel, le 13 janvier 1898, il publia son célèbre article « J’accuse » après qu’une cour martiale eût réfuté la culpabilité du commandant Esterhazy. Pour cet article, Zola fut condamné à un an d’emprisonnement et dut s’exiler en Angleterre.

Théodore Herzl, jeune journaliste à Vienne, vers 1878. Dans « L’Etat juif », il écrit : « Nous avons honnêtement tenté de nous assimiler partout dans les sociétés qui nous entouraient, ne conservant que la religion de nos pères. Mais on ne nous permet pas de nous assimiler. Nous sommes des patriotes loyaux, d’une loyauté parfois excessive… en vain. Nous sacrifions nos vies et nos biens à l’instar de nos concitoyens… en vain. Nous œuvrons pour le bien des pays dans lesquels nous sommes nés… en vain. Là où nous vivons depuis des siècles, on nous appelle toujours étrangers. Même si nous sommes bons patriotes, nous ne pouvons être certains d’être laissés en paix. Je crains que nous ne soyons jamais laissés en paix. »


Les « Protocoles des Sages de Sion » À la fin du XIXe siècle, à Paris, un auteur inconnu au service de l’Okhrana, la police secrète russe, compose une publication qui est devenue une source d’inspiration importante pour la plupart des théoriciens du complot juif : il s’agit des « Protocoles des Sages de Sion ». Ces « Protocoles » sont censés être le procès-verbal d’une conférence de dirigeants juifs qui complotent pour dominer le monde. Les « Sages de Sion » sont accusés d’empoisonner l’État en répandant les idées libérales, en contestant la juste place de la noblesse, en fomentant le désordre social et la révolution. Les « Protocoles » sont publiés en Russie, en 1905. Ils passent d’abord quasi inaperçus, mais il n’en est plus de même après la Révolution. Les adversaires des bolcheviks citent les « Protocoles » pour expliquer les changements soudains et radicaux qui interviennent en Russie et pour justifier les actes de violence antisémite perpétrés pendant la guerre civile russe. Dès 1921, il est établi que les « Protocoles » sont un faux : l’auteur a plagié des chapitres entiers d’un pamphlet français datant de 1864 et dirigé contre Napoléon III, où il n’est pas question de juifs. Malgré cela, les dirigeants du mouvement national-socialiste allemand, notamment Hitler et Goebbels, sont fortement influencés par les « Protocoles ». Dans « Mein Kampf », Hitler revient souvent sur la thèse principale des « Protocoles », la prétendue « conspiration juive » qui viserait à dominer le monde et contre laquelle la nation allemande doit se défendre. Ainsi, les « Protocoles » contribuent à justifier la politique nazie de discrimination antijuive et d’extermination. Après la Deuxième Guerre mondiale, les « Protocoles » font de nouveaux adeptes dans le monde arabe, trouvant ainsi une « explication » aux défaites militaires des pays arabes en guerre contre Israël. Encore aujourd’hui, des groupes (surtout néo-nazis et antisémites) distribuent cet ouvrage.

Sergei Nilus publia la première édition des « Protocoles » en 1905.

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La révolution bolchévique est vue en tant que « complot » juif : pour preuve certains dirigeants bolcheviks étaient d’origine juive. Edition des « Protocoles » publiée par des émigrés russes à Paris, 1927.

Edition espagnole des « Protocoles » : « Le gouvernement mondial invisible ou le programme juif pour subjuguer le monde ». 1930.

Edition française : « Le péril juif Texte intégral des Protocoles des Sages d’Israël ». 1934.

13.5 Frontispice d’une édition polonaise des « Protocoles », publiée pendant l’occupation nazie de la Pologne.

13.2 Couverture d’une traduction arabe des « Protocoles », publiée en 1972.

Poznan, 1943.

Cette traduction anglaise des « Protocoles » reprend l’image antisémite classique du juif, serpent enserrant le monde. Londres, 1978.

Couverture d’une édition russe des « Protocoles » publiée en 1992. Déjà en 1922, un tribunal ukrainien déclarait que les « Protocoles » étaient un faux. En 1934 un tribunal suisse rendait le même verdict.


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Les pogroms en Russie Dans l’Empire russe, les tsars ne tolèrent pas les juifs, considérés comme ennemis du Christ. Les centaines de milliers de juifs qui sont incorporés dans l’Empire russe après l’éclatement de la Pologne sont autorisés à vivre seulement dans une zone spéciale, appelée « enclave d’établissement » (la « Zone »), où ils tombent sous le coup de nombreuses lois discriminatoires. Les juifs espéraient une amélioration de leur sort, mais ces espoirs furent anéantis par la répression qui suivit l’assassinat du tsar Alexandre Il en 1882. Le gouvernement réagit à l’attentat en recourant à une méthode qui a fait ses preuves : blâmer les juifs. Une vague de pogroms (plus de 200 en 1881 seulement) déferle sur la Zone, déclenchant un exode de réfugiés. Au début du XXe siècle, le gouvernement tsariste déclenche une guerre avec le Japon pour tenter de détourner l’attention d’un mouvement révolutionnaire de plus en plus puissant. La presse antisémite accuse les juifs de conspirer avec l’ennemi pendant la guerre ; la défaite catastrophique de la Russie donne le signal d’une vague de pogroms. Les « centuries noires », groupes nationalistes extrémistes, affirment ouvertement leur programme d’extermination des juifs. Mais le mouvement le plus violent éclate en 1905, lorsque le tsar est obligé d’accorder une constitution. Organisés surtout par la Ligue monarchiste « Union du peuple russe », et avec la collaboration des responsables locaux, des pogroms ont lieu dans plus de 300 villes. Bilan : près de 1 000 morts et des milliers de blessés. Comme les pogroms paraissent avoir été autorisés par les autorités, le désespoir se répand dans les communautés juives. Entre 1881 et 1914, on estime à 2 millions de juifs le nombre d’émigrants quittant la Russie, la plupart pour les Etats-Unis.

Première page de « Pluvium », hebdomadaire antisémite publié à Saint-Pétersbourg.

Manifestation lors des obsèques de Kagan, assassiné en prison à Mosir (Biélorussie), le jour de la proclamation de la constitution par le tsar en octobre 1905.

Pluvium, février 1907.

Le drapeau de l’Union du peuple russe est solennellement remis à la section locale de l’Union à Belce (Bessarabie), 11 janvier 1907.

Des victimes, la plupart très jeunes, de l’un des pogroms d’Ekaterinoslav, en 1905. Cette photo fut publiée comme carte postale par l’organisation d’autodéfense Poalei Zion, informant l’opinion publique sur les pogroms de 1905-1906.

Trois membres de l’Union générale des travailleurrs juifs victimes des pogroms à Odessa. En 1905-1906, on dénombra plus de 650 flambées de violence dans lesquelles 3 103 juifs trouvèrent la mort.

Mendel Beilis libéré après deux années passées en prison. Il émigra aux Etats-Unis et fut le dernier juif européen qui eut à se défendre contre l’accusation de meurtre rituel ; son procès permit au monde entier de connaître le sort des juifs russes.

En mars 1911, on trouve le cadavre d’un jeune garçon chrétien à Kiev. Les autorités tsaristes en profitent pour brandir l’accusation millénaire de meurtres rituels. Mendel Beillis, un juif de Kiev, est arrêté, bien que les coupables soient déjà connus. Pendant plus de deux ans, les autorités tentent de constituer un dossier d’accusation. Malgré cela en 1913 Beilis est acquitté.

Pendant le procès Beilis, des dépliants antisémites sont distribués à Kiev, appelant les chrétiens à surveiller leurs enfants pendant la Pâque juive.


L’antisémitisme sous le régime soviétique avant 1941 La guerre civile qui éclate après la révolution bolchevique transforme l’Ukraine, où vivent 60 % des juifs russes, en champ de bataille. L’Armée d’Ukraine lutte pour l’indépendance tandis que les armées « blanches » cherchent à renverser le gouvernement bolchevique ; toutes participent cependant à des attaques antijuives assorties de pillages et de meurtres. Lorsque les Ukrainiens battent en retraite devant l’Armée rouge en 1919, une vague de violence antijuive sans précédent entraîne des dizaines de milliers de morts. Les armées blanches commettent elles aussi pillages, viols et meurtres, reprenant le vieux slogan « Frappez les juifs, sauvez la Russie ». Elles aussi doivent battre en retraite à leur tour et passent leur rage sur les communautés juives qui se trouvent sur leur chemin. On recense pendant la guerre civile quelque 2 000 pogroms, qui se soldent par environ 100 000 morts et plus d’un demi-million de juifs chassés de leurs foyers. Les sections juives du parti communiste sont utilisées par le nouveau gouvernement pour appliquer la doctrine marxiste de l’assimilation forcée. La majorité des juifs russes militent dans les diverses organisations sionistes ; ils sont les premiers à être éliminés, et des milliers de sionistes sont déportés en Sibérie. L’attaque systématique contre toute religion organisée affecte également le judaïsme. Les synagogues et les écoles sont fermées, les livres et les objets du culte confisqués et détruits. Les titulaires de charges religieuses et communautaires juives, comme les rabbins et les abatteurs rituels, sont contraints à démissionner ; ceux qui refusent sont arrêtés et déportés. A la fin des années 1920, l’emploi de l’hébreu est officiellement interdit en Union Soviétique ; c’est la seule langue qui fasse l’objet d’une telle interdiction. Toute éducation religieuse juive est désormais impossible.

Des membres de la bande de l’ataman Struk, responsables d’un grand nombre de pogroms dans la région de Tchernobyl.

Des rouleaux de la Torah empilés avant leur destruction dans la synagogue de Vitebsk, l’une des quelque 650 synagogues fermées dans les années 1920. Un procès-spectacle fut également organisé à Vitebsk contre la kheyder, l’école juive traditionnelle, ce qui entraîna sa fermeture immédiate.

Juifs assassinés par la bande de l’ataman Struk, avant leur enterrement ; Ivankoff, 1919. Ni struk ni aucun autre ataman ne fut jamais appréhendé pour ces meurtres.

Quatre victimes d’un pogrom à Khodorkovtsy soignées à l’hôpital Alexandrov à Kiev.

Le judaïsme est l’une des religions attaquées dans cette affiche de la revue Bezjbozjnik (L’Athée), 1922. Dès 1934, 28 % des églises orthodoxes, 42 % des mosquées et 52 % des synagogues de l’Union soviétique sont fermées.

La synagogue de Minsk transformée en théâtre juif d’Etat, 1934. A Minsk et à Odessa, plusieurs personnes furent tuées après la fermeture forcée des synagogues par l’armée. 15.5 Affiche antisémite publiée par les Blancs, représentant Trostky : « Paix et liberté en Sovdepya » (République soviétique).

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L’antisémitisme en France avant la Seconde Guerre mondiale En France, la fin du XIXe siècle est marquée par diverses catastrophes nationales : défaite dans la guerre contre la Prusse, perte de l’Alsace-Lorraine et drame de la Commune de Paris. Le nationalisme français, jadis progressiste, cherche maintenant les sources de son inspiration dans le passé ; il devient de plus en plus « revanchard », intolérant et antisémite. L’Action Française fondée en 1899 pendant l’affaire Dreyfus, avec à sa tête Charles Maurras, est le mouvement le plus influent. Son idéologie va à l’encontre de tous les idéaux de la Révolution française : il est antidémocratique, monarchiste et antisémite. Tout ce qui est allé de travers, un jour, dans l’Histoire française, est imputé aux Juifs, censément la communauté qui a tiré le plus grand profit de la Révolution française. L’Action Française compte parmi ses plus fervents adeptes des intellectuels, des militaires, des membres du clergé, des commerçants et des employés de bureau. L’Eglise catholique, qui n’a jamais été en faveur des idéaux de la Révolution française, soutient ouvertement l’antisémitisme, au travers des journaux catholiques La Croix et Le Pèlerin, diffusés au total à 500 000 exemplaires environ. Cependant, après la Première Guerre mondiale et la victoire française, l’Action Française voit le nombre de ses partisans décliner. Mais la crise économique de 1929 marque le retour de l’antisémitisme en tant que mouvement politique, qui, fait notable, se fraie même un chemin dans la classe ouvrière, pourtant traditionnellement de gauche. En janvier 1934, le suicide du courtier juif russe Stavisky et les révélations au sujet de ses liens avec des politiciens corrompus provoquent de graves émeutes antisémites, ainsi qu’une tentative de coup d’Etat contre le gouvernement. Tout au long des années 30, la France est inondée d’un raz-de-marée de publications antisémites, qui pavent le chemin, en définitive, à la collaboration avec les Nazis sous Vichy.

L’Antijuif, l’une des nombreuses publications antisémites des années 30, est dirigé par Darquier de Pellepoix, qui deviendra plus tard, sous Vichy, Commissaire aux Questions Juives. Centre de Documentation Juive Contemporaine.

Parmi les premiers théoriciens de la race, le plus important est le comte Arthur de Gobineau (1816-1882). Dans les années 1850, il publie un Essai sur l’Inégalité des Races Humaines, dans lequel il mélange anthropologie, linguistique et histoire pour arguer que la destinée de l’homme n’est déterminée que par sa race, et que les races présentent, entre elles, une hiérarchie fondée sur leurs mérites. Il déclare supérieurs les hommes de race blanche, particulièrement ceux qu’ils appellent les Aryens, et avertit des dangers du métissage.

En juin 1936, Léon Blum devient le premier Juif premier ministre, et l’antisémitisme joue un rôle majeur dans les attaques lancées contre son gouvernement du Front Populaire. Titres de l’Action Française, 5 juin 1936 et 8 mai 1937. Page tirée de Bagatelles pour un massacre, publié en 1937 par Louis-Ferdinand Céline. Céline s’inscrit parmi la multitude d’auteurs et intellectuels des années 30 déçus par « les démocraties bourgeoises », qu’ils considèrent comme des machines politiques étouffantes, sans passion et sans âme. Pour eux, les Juifs sont l’instrument du déclin national de la France ; c’est à eux que l’on doit l’absence de fierté patriotique et les troubles politiques. Dans L’Ecole des Cadavres, publié en 1938, Céline se fait le chantre du racisme comme moyen de « se débarrasser des Juifs… totalement… comme par une pasteurisation ». Edition Denoël.

Dans les années 30, la Croix de Feu, avec quasiment 500 000 membres, est la plus importante organisation fasciste. Le mouvement, sous la férule autoritaire du colonel de la Rocque, rejette l’antisémitisme fondé sur la « race », mais préconise un antisémitisme culturel. Parade des Croix de Feu, Paris, novembre 1934.

En dépit de plusieurs décennies de campagnes antisémites Charles Maurras (rangée du haut, à gauche du centre) entre à l’Académie Française en 1939. Pendant que des dizaines de milliers de juifs sont assassinés, il continue d’écrire des articles antisémites. Condamné à la prison à vie en 1945, il crie aux juges « C’est la revanche de Dreyfus ». Il mourra en prison en 1952. Charles Maurras (rangée du haut, à gauche du centre) à l’Académie Française, 8 juin 1939.

Robert Brasillach, l’un des nombreux intellectuels proches de Charles Maurras, est le rédacteur en chef du journal Je Suis Partout, qui publie des articles brillants mais parsemés d’un antisémitisme venimeux. Centre de Documentation Juive Contemporaine.

Des violents combats éclatent le 6 février 1934, alors que les émeutiers prennent d’assaut la Chambre des Députés, lors d’une manifestation organisée par l’Action Française dans le sillage de l’affaire Stavisky. Le lendemain, le gouvernement Daladier démissionne. Paris-Soir, 8 février 1934.

Jacques Doriot, ancien leader des Jeunesses Communistes, devient par la suite fasciste et fonde le Parti Populaire Français. Sa popularité à Saint-Denis, dont il est maire, prouve à quel point l’antisémitisme est désormais monnaie courante dans une partie de la classe ouvrière. Doriot finira sa carrière sous l’uniforme allemand.


Les théories raciales des nazis Le meurtre de millions de juifs et d’autres « non-aryens » pendant la Shoah est le plus grand crime contre l’humanité jamais connu. Il fut rendu possible par une conjonction unique de facteurs : la prise de pouvoir d’un régime totalitaire nationalsocialiste ; la coopération active ou le consentement passif d’une grande partie de la population allemande, la collaboration de régimes et de peuples sympathisants dans les territoires occupés ; et un antisémitisme profondément enraciné commun à tous les pays chrétiens d’Europe. Le Parti ouvrier national socialiste allemand (NSDAP) rend responsable le « juif » de l’inflation et du chômage qui sévissent après la défaite de l’Allemagne à la fin de la Première Guerre mondiale. Dans sa propagande, le parti prétend que l’ouvrier allemand est ruiné par le « capital juif » et menacé par le « bolchevisme juif ». Les théories raciales des nazis sont fondées sur des études pseudoscientifiques du XIXe siècle. Influencée par des idées mystiques et romantiques, cette politique nie les droits de l’homme issus du Siècle des Lumières. Au cœur de l’idéologie nationalsocialiste se situe l’idée de « race », constituée de gens du même « sang », partageant une même culture et un même territoire. Les races luttent entre elles pour conquérir territoires et pouvoir ; seules les plus fortes survivent. Seules les races « pures », qui ne se métissent pas avec des Groupes « inférieurs », sont capables de créer des civilisations durables. Au sein de la « race blanche », les « Aryens » forment l’élite, une « race supérieure » destinée à asservir des races inférieures comme les slaves et à régner sur elles. Cependant, pour accomplir leur destin historique, les Allemands doivent d’abord se débarrasser des idées politiques et culturelles « étrangères », et épurer leur pays de tout « sang inférieur ». Les juifs allemands sont les premières victimes du programme de « purification raciale ». Sous l’occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale, les juifs d’autres pays et les slaves « racialement inférieurs » sont englobés dans la « restructuration raciale » de l’Europe. Certains peuples, comme les autres nations aryennes du Nord et de l’Ouest de l’Europe, se verront imposer une domination allemande ; mais il y a un groupe qui doit être totalement éliminé : les juifs.

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Le bras musclé du parti nazi saisit le serpent qui menace d’empoisonner l’Allemagne. Ce serpent représente à la fois le « marxisme » et la « haute finance » - contradiction apparente mais argument typique de la propagande nazie. Contre le capitalisme et le communisme, le nazisme propose un état fondé sur les distinctions raciales et basé sur le « principe du Führer ». Affiche du parti nazi « Tod der Lüge » (« La mort d’un mensonge »).

Des membres des SA et des étudiants brûlent des livres devant l’Opéra d’État de Berlin en mai 1933. Après son arrivée au pouvoir en janvier 1933, Hitler déclencha la “révolution allemande”, destinée à assainir la littérature et les arts. Toutes les œuvres d’écrivains et artistes juifs étaient définies comme “anti-allemandes” et interdites. « Ein Volk, ein Reich, ein Führer ». Le culte du Führer supprime le processus démocratique. Dans l’idéologie nazie, les gouvernements sont ceux qui s’en montrent dignes et qui incarnent la “germanité”. Le peuple ne vote pas, mais acclame son chef.

« Réservé aux Aryens ». Quelques années seulement après l’arrivée au pouvoir des nazis, les théories raciales sont déjà mises en pratique. La « Loi pour la protection du sang et de l’honneur allemands », adoptée à Nuremberg en 1935, interdit les mariages mixtes entre aryens et « membres de races inférieures » comme les juifs, les slaves ou les tziganes. Seuls conservent leurs pleins droits civiques les citoyens de « sang allemand ». Photographie, vers 1935.

Ouverture de l’exposition itinérante « L’éternel Juif » à Munich, en 1937. Le gouvernement et le parti apportèrent un grand soin à « l’éducation » antisémite de la population. Cette manifestation de propagande exploite les préjugés antijuifs traditionnels : « L’usure et le recel » sur le tableau de gauche ; à droite, la marque vestimentaire discriminatoire du Moyen Âge, décrite comme « un avertissement aux non-juifs pour éviter le déshonneur racial » (mariage mixte et des relations sexuelles avec des juifs). Photographie, 1937.

Tombes de malades mentaux tués par les nazis à Hadamar (Allemagne). Pour empêcher les individus « indignes de vivre », d’« appauvrir » la race, une campagne de stérilisation obligatoire est menée contre les handicapés physiques et mentaux. En 1939, Hitler ordonne l’assassinat systématique des patients d’hôpitaux psychiatriques. Entre 80 000 et 100 000 sont tués jusqu’en 1941, date à laquelle les églises s’opposent au « programme d’euthanasie » et obtiennent son arrêt. Photographie, vers 1940.

L’image idéalisée des « aryens ». Dessins d’Oskar Just, 1938.

Trois pages d’un livre allemand pour enfants. Le fermier allemand sur la gauche travaille dur à cultiver la terre, tandis que le cupide courtier juif à droite lui dérobe les fruits de son honnête labeur. Dans la scène du bas, des enfants et un professeur juifs sont expulsés d’une école. « Ein Bilderbuch für gros und klein », Elvira Bauer, Stürmer-Verlag, Nürnberg, 1936.


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Les mesures antijuives (1933-1939) Immédiatement après leur arrivée au pouvoir en 1933, les nazis font de « l’expulsion des juifs de la société allemande » l’une de leurs principales priorités. Ils déclenchent une campagne de propagande et de terreur d’une envergure et d’une violence sans précédent, conçue pour stigmatiser les juifs allemands, les isoler du reste de la population et les forcer à émigrer. Les nazis font également appel aux attitudes antijuives traditionnelles de la population pour faire accepter leur régime. L’antisémitisme devient le signe de ralliement utilisé dans la propagande de la « Révolution allemande ». Puisqu’il s’agit de la seule politique « révolutionnaire » que les nazis appliquent sérieusement, les résultats sont constamment publiées dans les médias, et sont annoncées par le « Stürmer », système d’affiches placardées sur les murs de toutes les villes et villages. Dès 1933, les nazis appellent au boycott des commerces et entreprises juifs. Des mesures sont prises pour exclure les juifs de la fonction publique, des professions libérales, puis d’un secteur de l’économie après l’autre. Les juifs allemands sont progressivement relégués en marge de la société. Les lois de Nuremberg de 1935 leur retirent l’égalité conférée par les lois, trois générations après l’émancipation, -y compris les pleins droits civiques. Simultanément, le régime promulgue sans cesse de nouveaux règlements visant à dépouiller les juifs de leurs biens avant qu’ils n’émigrent. Au même moment, de nombreux pays ferment leurs portes aux réfugiés juifs allemands. Le gouvernement, jugeant le processus d’expulsion trop lent, organise un pogrom (kristallnacht) dans tout le pays les samedi 9 et dimanche 10 novembre 1938. Toutes les synagogues d’Allemagne sont incendiées, les boutiques juives sont pillées et environ 30 000 juifs - dix pour cent de la population juive restante - sont arrêtés, battus et emprisonnés dans des camps de concentration, dont ils ne sont libérés qu’en apportant la preuve de leur émigration imminente. A la veille de la Deuxième Guerre mondiale, il reste environ 200 000 juifs en Allemagne. Une fois la guerre commencée, l’émigration devient presque impossible. A partir de 1941, les juifs d’Allemagne - comme tous ceux des pays sous l’occupation allemande - sont astreints au port de « l’étoile juive », rappel de la rouelle du Moyen Âge. En 1942 commencent les déportations à destination des « ghettos » et camps de concentration aménagés en Pologne. Des juifs restant en Allemagne après 1941, seulement 10 000 environ survivront à la Shoah.

« Allemands ! Défendez-vous ! N’achetez pas dans les commerces juifs ! » Deux membres des SA interdisent l’accès à une boutique juive à Berlin, en avril 1933.

« Découverte d’un complot juif contre le monde nonjuif ! » Dans le numéro de mai 1934 de “Der Stürmer”, le journal du parti nazi, reparait l’accusation médiévale de meurtre rituel : des juifs sont accusés d’avoir prélevé le sang d’enfants chrétiens.

Le “Stürmer” était présent partout, répandant son exécrable propagande antisémite dans les villages et les villes.

La Grande synagogue de Francfort incendiée le 9 novembre 1938. Le parti nazi avait mobilisé toutes ses sections locales pour ce pogrom systématique, plus tard connu sous le nom de « Nuit de Cristal », mais son rôle fut gardé secret. Les émeutes furent plutôt attribuées à la « colère spontanée du peuple ». D’immenses foules assistèrent, passivement et en silence, à l’incendie des synagogues et à l’arrestation des juifs.

« Je suis la plus grande truie de la ville - je ne couche qu’avec des juifs. » Cette scène, montée pour la presse à Hambourg en 1935, fut reproduite dans tous les journaux allemands. L’homme porte une pancarte  : « Je ne fais monter dans ma chambre que des filles allemandes ». Les lois de Nuremberg en 1935 assimilent à des crimes les relations sexuelles entre juifs et aryens.

Le passeport d’une juive portant le tampon « J », ajouté en 1938 à la demande du gouvernement suisse. La Suisse voulait pouvoir identifier les réfugiés juifs à la frontière… afin de les refouler. Malgré la mauvaise volonté de la plupart des pays, quelques 280 000 juifs allemands parvinrent à trouver refuge à l’étranger.

L’étoile portant le mot “juif”, sur le modèle de la rouelle jaune du Moyen Âge. Ce symbole traditionnel de discrimination fut rétabli par les nazis. Vienne, vers 1941. « Les juifs sont des indésirables ! » Pour isoler encore davantage la population juive, ces affiches sont introduites en 1935. Elles sont provisoirement retirées pendant les Jeux Olympiques de Berlin en 1936, après que des journalistes étrangers les aient signalées.


Seconde guerre mondiale : la persécution des juifs d’Europe La politique étrangère allemande vise à conquérir des territoires en Europe orientale et à réunir les zones de colonisation allemande avec la « mère patrie ». Le 1er septembre 1939, l’armée allemande envahit la Pologne. Les parties occidentales du pays sont rattachées à l’Allemagne ; la partie centrale, y compris Varsovie et Cracovie, devient le « Gouvernement général ». Fin septembre, les troupes SS reçoivent de Berlin l’ordre de concentrer la population juive dans des ghettos créés dans les principales localités, dans l’attente de la « solution finale ». Dans les pays d’Europe occidentale occupés au printemps 1940, la politique allemande à l’égard des juifs est plus prudente. Les juifs sont exclus de la fonction publique et systématiquement dépouillés de leurs biens. Comme les juifs allemands entre 1933 et 1939, ils sont progressivement isolés de la population, laquelle est endoctrinée par la propagande antisémite. Lorsque la guerre s’étend aux Balkans en 1941, l’Allemagne s’allie aux régimes fascistes d’Italie, de Hongrie, de Roumanie, de Bulgarie et de Croatie pour persécuter la totalité des juifs de la région, soit 1 600 000 personnes. Leur sort dépendra de la « bonne volonté » des alliés de l’Allemagne nazie. Les forces allemandes et leurs alliés (à l’exception de l’Italie) entament une impitoyable campagne de meurtres collectifs et de déportations. Lorsque l’Allemagne attaque l’Union Soviétique le 22 juin 1941, la région où est concentré le plus grand nombre de juifs d’Europe tombe sous l’occupation allemande. Plus de 2,6 millions de juifs sont pris au piège ; 90 % d’entre eux vivent dans moins de 50 localités. Les chefs nazis ont conçu une méthode adaptée à la circonstance : il s’agit des unités mobiles d’assassinat ou « Einsatzgruppen », constituées de SS, de policiers allemands et d’auxiliaires locaux. Ils ordonnent d’emmener les juifs hors des villes, de les abattre et de les enterrer dans des fosses communes. A l’arrière-garde des armées, les unités meurtrières entrent en action depuis Leningrad au nord jusqu’à Odessa au sud. Pendant les cinq premiers mois de la campagne elles abattent 100 000 juifs par mois, soit un demi-million de personnes en tout. Mais pour les chefs nazis, ce n’est pas assez. Avant même que les unités mobiles aient achevé leur mission, un plan encore plus monstrueux est mis au point : la déportation des juifs restants dans les camps de la mort.

Des jeunes gens cousant des vestes de cuir dans un atelier du ghetto de Lodz. Les juifs sont utilisés comme main-d’œuvre servile par l’armée et l’industrie allemandes dans toute la Pologne occupée, soit dans des ateliers installés dans les ghettos, soit dans des camps de travaux forcés.

Dans une gare d’Amsterdam, des juifs néerlandais se rendent aux trains qui les transporteront dans un camp de transit. Entre juillet 1942 et septembre 1944, 115 000 personnes sont déportées des PaysBas, principalement vers Auschwitz et Sobibor. Presque toutes y trouveront la mort.

Des victimes juives d’un pogrom perpétré à Jassy (Moldavie) par des soldats roumains et allemands en juin 1941. Le régime fasciste roumain avait adopté des politiques semblables à celles de ses alliés : tuer les juifs et les tziganes, ou participer à leur extermination, dans les zones occupées conjointement avec les armées allemandes. En Roumanie proprement dite, le régime résista aux pressions exercées par l’Allemagne pour obtenir la déportation des juifs.

Un enfant agonisant dans le ghetto de Varsovie. Les ghettos surpeuplés, mal ravitaillés, ravagés par de nombreuses maladies endémiques, devinrent invivables. On estime que des deux millions de juifs polonais vivant en territoire occupé par les allemands, 500 000 à 600 000 d’entre eux moururent dans les ghettos et les camps de travaux forcés.

Chaim Rumkowski (à gauche, cheveux blancs), chef du conseil juif de Lodz, accueille Heinrich Himmler, commandant en chef des SS et de la police allemande, responsable de l’exécution de la « solution finale ». Dans les ghettos, les nazis avaient créé des conseils juifs, ou « Judenräte », qui étaient forcés de collaborer à leur administration. Juin 1941.

Des juifs emménageant dans l’un des 2 000 immeubles de Budapest marqués de l’étoile jaune. Les forces allemandes occupèrent la Hongrie en mars 1944. Les juifs furent hâtivement concentrés dans des ghettos ou, comme à Budapest, dans des maisons, en attendant leur déportation. Le régime pro-nazi hongrois avait antérieurement déporté ou tué des juifs dans les territoires occupés en Yougoslavie, Slovaquie et Ukraine. Dans le cadre d’un programme organisé par les Allemands, les juifs hongrois furent rapidement déportés pendant le printemps et l’été de 1944. Plus d’un demi-million de juifs furent tués.

Les corps de victimes juives empilés en attendant leur crémation à Klooga (Estonie). Klooga était l’un des camps de travaux forcés où les juifs estoniens furent envoyés en mai 1943 pour y travailler à l’extraction d’ardoise et à la construction de fortifications. Lorsque la guerre tourna mal pour l’Allemagne, des unités SS tentèrent d’effacer les traces des crimes allemands, mais l’arrivée des forces soviétiques interrompit les préparatifs de l’incinération des victimes.

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La collaboration Dans la plupart des pays occupés par les forces allemandes ou contrôlés par leurs alliés, les populations et les autorités collaborent à la déportation et à l’extermination des juifs. La participation des régimes ou des administrations civiles à la « solution finale » est motivée soit par l’adhésion idéologique aux politiques racistes des nazis, soit par des considérations politiques, soit encore par des avantages matériels. La population elle aussi collabore massivement : environ 125 000 hommes en Europe occidentale et 200 000 en Europe orientale se portent volontaires dans la Waffen-SS entre 1941 et 1944. Beaucoup d’habitants des pays occupés prêtent leur concours actif ou leur soutien passif. Toutes les formes de collaboration à la persécution des juifs ont au moins un facteur en commun : les traditions antisémites profondément enracinées dans l’Europe chrétienne, qui justifient l’exclusion des juifs de la solidarité humaine. Dans les pays de l’Europe occidentale, les services publics continuent de fonctionner sous l’occupation allemande. L’administration locale, la police et les chemins de fer coopèrent avec les nazis pour l’application de la « solution finale ». En Norvège, au Danemark, aux Pays-Bas et en Belgique, les membres des partis nazis jouent un rôle important dans « l’aryanisation » des biens juifs. Le régime de Vichy, en France libre, introduit des politiques antijuives de son plein gré, et plus tard obtempérera dans la plupart des cas lorsque l’Allemagne exigera la persécution et la déportation des juifs. Les régimes fascistes de Slovaquie, de Hongrie, de Roumanie, de Bulgarie, de Croatie et d’Italie adoptent leurs propres politiques antijuives. Cédant aux pressions de leur puissant allié, ils collaborent eux aussi à la « solution finale ». Dans les pays antérieurement occupés par l’Union soviétique, les forces allemandes sont initialement accueillies comme des libérateurs par une partie de la population et par les Églises. Le gouvernement allemand encourage de son côté la participation locale aux opérations antijuives. Quelque 300 000 hommes des forces auxiliaires, des milices et des SS originaires d’Estonie, de Lettonie, de Lituanie et d’Ukraine, occupées, participent donc directement aux meurtres perpétrés par les unités mobiles et au fonctionnement des camps d’extermination.

20.1 En France, les juifs apatrides ou étrangers sont pris dans des rafles effectuées par la police française pour être internés, en mai 1941. Les juifs étrangers sont la première cible de ces opérations, qui s’étendent ensuite à tous les juifs : c’est la stratégie nazie typique. Le gouvernement de Vichy prend des mesures semblables en France libre.

La population de Riga accueille les troupes allemandes le 1er juillet 1941. Des fascistes lettons déclenchent immédiatement après, avec les unités mobiles des SS, un pogrom dans lequel 400 juifs sont tués.

Affiche de propagande nazie en Ukraine. Au début de la guerre avec l’Union soviétique, les forces allemandes tentent d’exploiter pour leurs propres fins le nationalisme ukrainien et l’opposition religieuse à Staline.

20.2 Des nationalistes lithuaniens assassinent des juifs à Kovno, sous les yeux des SS, en juin 1941. Lorsque les unités mobiles d’extermination SS parviennent à Kovno, pendant les premiers jours de la guerre contre l’Union soviétique, elles persuadent le chef de partisans anticommunistes, Klimatis, de lancer ses forces contre les juifs, afin de démontrer que « la population libérée avait pris les mesures les plus sévères contre l’ennemi juif ». Ce pogrom - dans lequel 5 000 juifs trouvèrent la mort - fut filmé et photographié par les SS.

Des volontaires néerlandais engagés dans les SS quittent La Haye à destination du front de l’Est, pour se battre contre l’Union soviétique, en juillet 1941.

Photo de propagande SS.

Le commandant en chef des SS, Heinrich Himmler, inspectant la division volontaire d’infanterie galicienne SS en juin 1944. Cette unité était constituée d’ukrainiens. Photo de presse de l’armée allemande. La population ukrainienne locale de Lvov accueille l’armée allemande en juillet 1941. Lvov avait été un foyer de conflits nationalistes entre Allemands, Polonais et Ukrainiens. Les unités du chef nationaliste ukrainien Stefan Bandera firent cause commune avec les forces allemandes dans la guerre contre l’Union soviétique et participèrent également au meurtre de juifs. En juillet 1941 seulement, plus de 200 000 juifs de Lvov sont victimes de « l’action Petlioura », ainsi nommée en l’honneur du chef ukrainien antibolchevique dont les forces avaient perpétré les pogroms de la guerre civile en 1919-1920. Des volontaires SS ukrainiens pendant l’insurrection de Varsovie en avril 1943. Un bataillon de 337 volontaires ukrainiens et lettons est lancé par les allemands à l’assaut du ghetto.


Vichy : un État français antisémite En mai 1940, l’Allemagne envahit la France ; le maréchal Pétain, héros de la Première Guerre mondiale, devient chef du gouvernement et décide de signer l’armistice avec l’Allemagne. Le traité, signé le 25 juin 1940, divise la France en deux zones : au nord, la Zone Occupée, sous contrôle allemand, et au sud la “Zone Libre”, avec Pétain à sa tête et son siège à Vichy. Diriger la Zone Libre n’est pas le seul objectif du gouvernement Pétain ; il se fait aussi l’apôtre d’un renouveau moral et politique. « Liberté, Egalité, Fraternité » sont remplacées par « Travail, Famille, Patrie », et l’antisémitisme est l’un des axes de la nouvelle politique. Immédiatement, sans même attendre de pressions allemandes, le régime de Vichy adopte des réglementations et lois antisémites, applicables à tout le territoire français, qui n’ont rien à envier à celles de l’Allemagne nazie. Le 3 octobre 1940, le gouvernement de Vichy promulgue un Statut des Juifs, première loi française ouvertement antisémite. Les Juifs sont désormais interdits dans l’Administration, l’enseignement, le judiciaire, l’armée, la presse, les théâtres ; ils n’ont plus le droit non plus d’être avocats, médecins, etc. Ce texte est suivi, en mars 1941, d’un décret de Vichy créant un Commissariat Général aux Questions Juives, spécialement chargé de liquider les possessions juives. En juin 1941, un quota maximum de 3 % est imposé au nombre d’étudiants juifs dans l’enseignement secondaire et supérieur. Le 6 mai 1942, Darquier de Pellepoix est nommé à la tête du Commissariat Général aux Questions Juives. A partir de l’été 1941, la police de Vichy arrête et déporte activement les Juifs, commençant par la Grande Rafle des 16 et 17 juillet 1942. En deux jours, 13 152 Juifs sont arrêtés et emmenés au Vélodrome d’Hiver. Plus de 4 000 policiers français prennent part à l’opération. En novembre 1942, Hitler ordonne aux troupes allemandes de franchir la ligne de démarcation et d’occuper tout le territoire français. Avant l’invasion allemande, on estimait à 300 000 le nombre de Juifs, toutes nationalités confondues, vivant en France. Environ 80 000 d’entre eux seront déportés dans les camps de concentration. Sur ceux-ci, 3 000 seulement, environ, survivront.

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Drancy, dernier arrêt avant les chambres à gaz. Des gendarmes français montent la garde à l’entrée. Affiche de propagande de Vichy : à gauche, la « France et Cie » d’avant Vichy apparaît minée, entre autres, par le Parlement, la Franc-Maçonnerie et la Juiverie. À droite, les sept petites étoiles dans le ciel, s’opposant à l’Étoile de David à gauche, sont le symbole du Maréchal Pétain. Œuvre de R. Vachet, Centre de Propagande de la Révolution Nationale d’Avignon.

Louis Darquier de Pellepoix est à la tête du Commissariat Général aux Questions Juives de Vichy entre 1942 et 1944. Avant la guerre déjà, il proposait de résoudre le « problème juif » en les massacrant. Inauguration de l’Institut Anthropo-sociologique à Paris, décembre 1942. Léon Blum, pendant une interruption de séance de son procès à Riom, en février 1942. Pétain insiste personnellement pour faire passer Léon Blum en jugement pour la défaite de 1940, mais les Allemands lui ordonnent d’annuler les poursuites. En 1943, Léon Blum est envoyé à Buchenwald.

Un contingent de volontaires françaises part s’engager dans les unités françaises de la Waffen SS le 15 septembre 1943. Photo Centre de Documentation Juive Contemporaine. La police française inscrit les prisonniers faits pendant la première grande rafle, à leur arrivée au camp d’internement de Pithiviers, en 1941. Ce sont pour la plupart des Juifs polonais.

Les polices française et allemande collaborent à l’occasion de la rafle du 20 août 1941. Le car emmènera les prisonniers à Drancy.

En sa qualité de chef national de la police, René Bousquet (à droite, avec une cigarette) est un acteur clé dans la politique de Vichy, et joue un rôle actif dans les arrestations et les déportations de juifs. Après la guerre, il sera jugé, mais ne sera condamné qu’à une peine minime.


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L’antisémitisme en Union soviétique depuis 1945 Les années qui suivent la victoire sur l’Allemagne nazie sont marquées par une recrudescence du nationalisme russe et par des campagnes contre l’impérialisme provoquées par la guerre froide naissante. Les dirigeants soviétiques, Staline en particulier, remettent de plus en plus en question la loyauté des juifs soviétiques, dont beaucoup ont des parents aux États-Unis, pays désormais ennemi. A partir de novembre 1948, les autorités soviétiques lancent une campagne méthodique de liquidation des vestiges de la culture juive. La littérature juive est purgée des librairies et bibliothèques, et les deux dernières écoles juives sont fermées. Les théâtres, chorales et groupes dramatiques juifs sont dissous. Des centaines d’écrivains, d’artistes, de comédiens et de journalistes juifs sont arrêtés. Pendant la même période, les juifs sont systématiquement évincés des postes de direction dans beaucoup de secteurs de la société, y compris l’administration, l’armée, la presse, les universités et la magistrature. Vingt-cinq des principaux écrivains juifs arrêtés en 1948 sont secrètement exécutés dans la prison Loubianka en août 1952. La Guerre des Six-Jours de juin 1967, au cours de laquelle Israël triomphe de ses voisins arabes, alliés politiques de l’Union soviétique, est ressentie comme un échec cuisant. En août 1967, une campagne de propagande dénonçant le sionisme et Israël est lancée dans les médias soviétiques. Aucune distinction n’est faite entre les sionistes et les juifs. Pour discréditer la politique d’Israël, des stéréotypes antisémites vieux de plusieurs siècles réapparaissent dans les caricatures politiques, des livres et des émissions de télévision. Des accusations antisémites de « conspiration juive mondiale » refont leur apparition dans des expressions comme « le réseau sioniste international », qui s’efforce « en coulisse » de « contrôler le monde », avec l’aide des « requins de la politique et de la finance ». Dès octobre 1966, à une séance des Nations-Unies, l’Union soviétique lance un thème particulièrement venimeux : « sionisme = nazisme ». Cet assaut de propagande trouve un auditoire, car la population n’a jamais été informée du sort des juifs sous l’occupation nazie.

Personne n’était à l’abri de la paranoïa antijuive de Staline. Polina Zhemchuzhina, l’épouse juive du ministre des Affaires étrangères Molotov, fut déportée au goulag comme « espionne sioniste » pour avoir prononcé quelques mots d’hébreu lors d’une réception en l’honneur de l’ambassadeur d’Israël en Union soviétique, Golda Meir. Elle fut libérée après la mort de Staline.

23.6 De nombreux éléments antisémites classiques se retrouvent dans cette caricature tirée de la revue « Agitator » : le gros juif, riche exploiteur ; l’étoile de David, joug des masses ; le signe du dollar en guide de soleil ; les caractères « hébraïques ». Agitator n°12, juin 1971.

« La nouvelle prière », caricature tirée de la Vechernaya Moskva contre les militants juifs, reprend l’image antisémite bien connue du juif qui trahit sa patrie par amour de l’argent. La synagogue de Shargorod, datant du XVIe siècle (photo A) est transformée en fabrique de jus de fruits (photo B).

Vechernaya Moskva, 1973.

Des douzaines de cimetières juifs furent expropriés et rasés. Cette photo montre la destruction du cimetière juif de Minsk.

Exemple de la campagne antisémite en Pologne. a) Les membres du gouvernement israélien sont représentés en émules de criminels nazis tels qu’Hitler et Eichmann : « Il faut profiter de l’expérience ». b) Les juifs qui protestaient contre l’antisémitisme étaient accusés de participer à la « campagne sioniste contre la Pologne ».

La couverture d’un des libelles antisémites les plus notoires des années 1960, Iudaizm Bez Prikras « Le judaïsme sans fard » par Trofim Kichko. L’imprimatur de l’Académie des Sciences d’Ukraine lui prêtait une apparence de respectabilité. Son style et ses illustrations trahissaient un antisémitisme tellement grossier que même les partis communistes occidentaux protestèrent. Les autorités soviétiques reconnurent « qu’un petit nombre d’exactitudes pourrait peut-être laisser l’impression d’un parti-pris antisémite ». Le fait que l’auteur ait collaboré avec les nazis pendant la guerre et ait été expulsé du parti n’avait manifestement pas fait obstacle à la parution de son livre.


L’antisémitisme en Europe de l’Est et en Russie depuis 1985 Partie de la première page de « Russkaja Pravda », arborant une caricature antisémite et des citations extraites des prétendus « Protocoles de Sion », n° 2, 1994.

DE VIEILLES IDÉES REFONT SURFACE Les pays de l’Europe de l’Est et la Russie ont connu des changements radicaux depuis l’effondrement du système communiste à parti unique. Pour la première fois depuis des générations règne la liberté d’expression : la presse n’est plus censurée et sert de tribune à de libres débats. Un grand nombre de nouveaux journaux et revues, reflétant les opinions politiques les plus diverses, apparaissent dans les rues. Mais cette nouvelle liberté d’expression a son revers : des publications antisémites et racistes font elles aussi leur apparition, souvent diffusées par des organisations nationalistes extrémistes. La propagande d’aujourd’hui trouve un terrain encore plus fertile car les pays anciennement communistes n’ont jamais procédé à une évaluation autocritique des actes d’antisémitisme commis au cours de leur histoire. En Russie, par exemple, les programmes scolaires ont toujours passé sous silence la discrimination et la persécution dont la communauté juive russe a fait l’objet. Dans l’étude de la Seconde Guerre mondiale, aucune allusion n’est faite à l’assassinat systématique des citoyens juifs par les occupants allemands, sans parler du soutien dont ces derniers bénéficièrent parfois de la part de collaborateurs locaux. Les anciens gouvernements communistes contribuaient même à renforcer les préjugés antisémites : pendant des années, dans des journaux et des revues, à la radio et à la télévision, dans des livres et des conférences, un torrent d’idées antisémites se répandait sous couvert d’antisionisme. Après quelques années de réformes économiques, une partie de la population a vu son niveau de vie s’améliorer sensiblement. Beaucoup sortent toutefois perdants de ces changements et envisagent l’avenir avec anxiété. Une telle conjoncture est depuis toujours propice à la naissance d’organisations qui proposent des solutions simples à des problèmes difficiles : blâmer un groupe en particulier pour tout ce qui va mal.

« Alphabet du nationaliste russe » par le nationaliste et antisémite extrémiste A. P. Barkashov. Son parti, « Unité nationale russe », préconise « la purification génétique du peuple russe » et l’interdiction des « mariages mixtes », c’est-à-dire entre Russes et « non-Russes ».

Caricature et partie de la première page de « Za Russkoe Djelo » (« Pour la cause russe »), n° 1 (24), 1995.

A. P. Barkashov, chef du parti « Unité nationale russe ».

Caricature intulée « Les coupables doivent être balayés ». Moscovskii Tractir, n° 1, 1992.

Caricature intitulée « Bienvenue à la braderie de la Russie ». Russkije Wedomostii (Le Journal russe), n° 5, 1992.

Lors des dernières élections tenues en Pologne, certains candidats non juifs furent parfois qualifiés de « juifs » par des concurrents manifestement désireux d’utiliser les préjugés anitsémites à leur avantage. Une affiche électorale du président polonais actuel, Aleksander Kwasniewski, porte le graffiti « Zyd » et l’étoile de David.

Le rabbin Pinchas Menachem Joskowicz dans l’entrée de la synagogue Nozyk de Varsovie, après une tentative d’incendie criminel, en février 1997.

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Les camps de la mort - La destruction des juifs d’Europe A l’été 1941, les dirigeants nazis conçoivent un nouveau plan : construire des centres d’extermination en Pologne occupée, y transporter tous les juifs restant dans les pays européens contrôlés par l’Allemagne, et les tuer par le gaz. Un million de juifs sont déjà morts. Mais les méthodes employées jusque-là - les fusillades systématiques, la privation de nourriture, le travail forcé - sont jugées inefficaces. En outre, les nazis veulent mener à bien le génocide prévu tandis que la fortune des armes leur sourit toujours. Six camps d’extermination sont rapidement créés ou modifiés : Auschwitz, Belzec, Chelmno, Lublin-Majdanek, Sobibor et Treblinka. Après avoir d’abord essayé des chambres à gaz mobiles, les Allemands installent dans ces camps des chambres à gaz permanentes et des fours crématoires Dans cinq camps, les chambres à gaz fonctionnent au monoxyde de carbone. A Auschwitz, on emploie l’acide cyanhydrique ou de l’acide prussique, connu sous le nom commercial de Zyklon B. Les déportations commencent. Les juifs d’Allemagne et d’Autriche sont les premiers à être déportés, en septembre 1941. Puisque les centres d’extermination ne sont pas encore prêts, les victimes sont entassées dans des ghettos surpeuplés proches des camps. Les chambres à gaz commencent à fonctionner à l’été 1942. Dans les villes d’Europe occidentale, les juifs sont rassemblés ou reçoivent l’ordre de se présenter dans des centres de regroupement. Ils sont emmenés par chemin de fer dans des camps de transit, et de là, transportés en wagons à bestiaux à travers l’Europe jusqu’aux camps d’extermination. Depuis les Pays-Bas au nord jusqu’à la Grèce au sud, un pays après l’autre est frappé. En Pologne occupée, les ghettos sont vidés l’un après l’autre à partir de la fin de 1942. Les déportations massives continuent jusqu’en janvier 1945, lorsque les juifs de Hongrie sont transportés à Auschwitz. Plus de 3 millions de personnes meurent dans les camps. Auschwitz, le plus grand des camps, fournit également une main d’œuvre forcée. A l’arrivée, les prisonniers sont triés par des médecins SS et soit gazés immédiatement, soit affectés au travail. Les personnes âgées et les femmes accompagnées d’enfants meurent généralement quelques heures après leur arrivée. Les hommes et les femmes valides sont mis au travail dans les ateliers du camp ou dans des usines créées spécialement à Auschwitz par l’industrie allemande. De petits groupes de prisonniers sont forcés à participer au processus d’extermination. Le camp reçoit également des prisonniers de guerre polonais et russes, des prisonniers politiques venus de l’Europe entière, ainsi que des Sinti et des Roma.

La cible : les pays européens et leurs populations juives - page du procès-verbal de la conférence de Wannsee tenue en janvier 1942. Cette réunion, convoquée dans un faubourg de Berlin, coordonna la « solution finale », autrement dit le meurtre de tous les juifs d’Europe, avec le concours des SS et de tous les ministères allemands concernés.

Plan du camp d’extermination de Sobibor : construit en mars 1942 à une seule fin, tuer le plus de gens possible, aussi rapidement que possible. Arrivant par chemin de fer (55), les déportés étaient immédiatement emmenés vers les chambres à gaz. En chemin, ils devaient se dévêtir dans une baraque (31) ou dans une cour (33). Tous les vêtements, les denrées alimentaires et les objets de valeur apportés par les détenus étaient triés et stockés (baraques 32, 34, 36, 42-44). Plus loin, le long de l’étroit passage entre deux clôtures qui menait aux chambres à gaz, les cheveux des femmes étaient coupés et entassés (45). Les déportés étaient alors forcés d’entrer dans les cinq chambres à gaz (51), qui avaient une capacité totale de 500 prisonniers. Les corps étaient enterrés dans des fosses communes ou brûlés dans des fours crématoires à ciel ouvert (54). Le personnel du camp consistait en une trentaine de SS, 100 auxiliaires ukrainiens et environ 1 000 détenus juifs. La plupart des victimes étaient des juifs de Pologne orientale, d’Union soviétique, d’Autriche, de Hollande, de Belgique et de France.


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Auschwitz-Birkenau. A l’arrivée, les déportés sont divisés en deux groupes. Les personnes âgées, les femmes accompagnées d’enfants et les malades sont tués immédiatement ; les détenus valides sont affectés au travail forcé. Le camp de concentration de Bergen-Belsen à la libération, avril 1945.

Des victimes d’expériences médicales à Auschwitz. Des expériences brutales - et dans la plupart des cas mortelles - étaient menées sur des prisonniers à Auschwitz et dans d’autres camps, aussi bien à des fins médicales conventionnelles que pour trouver des moyens efficaces de stérilisation massive. Les femmes et les enfants étaient les cibles privilégiées. Les forces armées allemandes menaient également des expériences sur des prisonniers à des fins militaires.

Carte de camps de concentration

L’arrivée d’un convoi à Auschwitz-Birkenau : des déportés descendent du train.

Auschwitz-Birkenau : femmes et enfants marchant vers les chambres à gaz.


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Juste parmi les nations : La création du titre de Juste Juste parmi les Nations (en hébreu : , Hasid Ummot Ha-’Olam, littéralement “généreux des nations du monde”) est une expression du judaïsme traditionnel tirée du Talmud (traité Baba Batra, 15b). En 1953, l’assemblée législative de l’État d’Israël (la Knesset) créait le Mémorial de Yad Vashem à Jérusalem pour la mémoire des victimes de la Shoah, des communautés détruites et pour honorer “les Justes parmi les Nations” qui ont mis leur vie en danger pour sauver des Juifs. Yad Vashem estime que l’hommage rendu aux Justes parmi les Nations revêt une signification éducative et morale : « Israël a l’obligation éthique de reconnaître, d’honorer et de saluer, au nom du peuple juif, les non-juifs qui, malgré les grands risques encourus pour eux-mêmes et pour leurs proches, ont aidés des Juifs à un moment où ils en avaient le plus besoin ». Les actes des Justes prouvent qu’il était possible d’apporter une aide. L’argument selon lequel l’appareil terroriste nazi paralysait les initiatives contraires à la politique officielle est démenti par l’action de milliers de personnes de tous les milieux qui ont aidé les Juifs à échapper à la « Solution finale ». Comme le précise le site de la section française de Yad Vashem, le livre des Justes ne sera jamais fermé car nombreux sont ceux qui resteront anonymes faute de témoignages. Octroi de la distinction Une commission présidée par un Juge de la Cour suprême d’Israël décerne le titre de “Juste parmi les Nations”. Elle respecte des critères précis et s’appuie sur une documentation méthodique. Une personne reconnue comme un “Juste” se voit octroyer une médaille à son nom, sur laquelle est gravée cette phrase du Talmud : “Quiconque sauve une vie sauve l’univers tout entier”, un certificat officiel et son nom est gravé sur le Mur d’Honneur dans le Jardin des Justes à Yad Vashem et sur le mur des Justes à Paris. Les Justes en France Au 1er janvier 2009, 2 991 Justes ont été honorés en France. En septembre 1939, il y avait en France environ 300 000 Juifs. 75 721 furent déportés (seulement 2 560 reviendront des camps). Ils sont honorés sur le mur des Justes au Mémorial de la Shoah à Paris. « Nous ignorons ce qu’est un Juif, nous ne connaissons que des hommes » (Réponse d’André Trocmé au préfet qui lui annonçait un recensement des Juifs sur le plateau du Chambon).

« Quiconque sauve une vie, sauve l’Univers tout entier. »

Mémorial des Justes à Thonon-les-Bains, HauteSavoie, érigé dans la forêt de Ripaille. Ce monument inauguré en 1997, rend hommage à ces hommes et femmes qui ont caché, aidé et sauvé les juifs durant la seconde guerre mondiale.

• Le Chambon-sur-Lignon dont la population de 3 000 habitants a été honorée collectivement pour avoir sauvé entre trois et cinq mille juifs. • Zegota était le nom de code de la Commission d’Aide aux Juifs (Rada Pomocy Zydom), une organisation clandestine en Pologne entre 1942 et 1945, qui sauva environ 75 000 Juifs polonais. • La résistance danoise qui, en 1943, met à l’abri en Suède l’ensemble de la communauté présente au Danemark.

Jardins de Yad Vashem, Jérusalem, Israël. (Photo : Yad Vashem). Allée des Justes - Yad Vashem. (Photo : Mémorial de la Shoah, Paris).

Mur des Justes du Mémorial de la Shoah, Paris. (Photo : Mémorial de la Shoah, Paris).

Timbre commémoratif.

Au 1er janvier 2009, 22 765 Juste parmi les Nations de 44 pays ont été honorés • Albanie..........................68 • Allemagne...................460 • Autriche........................85 • Arménie........................13 • Biélorussie..................602 • Belgique...................1 512 • Bosnie...........................40 • Brésil...............................2 • Bulgarie........................19 • Chili................................1 • Chine...............................2 • Croatie........................102 • Danemark.....................22 • Espagne...........................4 • Estonie............................3

• France......................2 991 • Géorgie...........................1 • Grande Bretagne (avec Écosse)................14 • Grèce...........................282 • Hongrie.......................725 • Italie........................... 468 • Japon...............................1 • Lettonie.......................120 • Lituanie.......................761 • Luxembourg....................1 • Macédoine......................9 • Moldavie.......................78 • Monténégro.....................1 • Pays-Bas..................4 947

• Norvège........................42 • Pologne....................6 135 • Portugal...........................1 • Roumanie......................56 • Russie.........................163 • Serbie..........................125 • Slovaquie....................489 • Slovénie..........................6 • République Tchèque...108 • Suède............................10 • Suisse............................45 • Turquie............................1 • Ukraine....................2 246 • USA................................3 • Vietnam...........................1

Source : Yad Vashem Jérusalem - www.yadvashem.or.il


Quelques Justes connus et… moins connus À travers l’Europe, quelques-uns des « Justes » plus connus montrent des origines et des conditions très diverses :

Diplomates

Sugihara Chiune Consul du Japon en Lituanie en 1940, délivra des milliers de visas à des Juifs qui purent ensuite traverser l’Union soviétique et sauver leur vie. Aracy Guimarães Rosa Brésilienne agent de chancellerie à Hambourg. Angel Sanz Briz Diplomate espagnol, sauva environ 5 000 personnes à Budapest. Aristides de Sousa Mendes Consul du Portugal qui délivra des visas à Bordeaux, sauvant près de 30 000 personnes. Raoul Wallenberg Diplomate suédois sauva entre 20 000 et 100 000 personnes à Budapest.

Religieux

L’abbé Joseph André plaça de nombreux enfants juifs dans des familles rurales des environs de Namur (Belgique). L’abbé Pierre Bockel Prêtre alsacien, sauva plusieurs familles juives. Le père Pierre Chaillet Fondateur des Cahiers du Témoignage chrétien. Le prêtre Théomir Devaux Résistant et protecteur de Juifs dans la Sarthe. Le cardinal Pierre Gerlier Cardinal de Lyon.

L’abbé Alexandre Glasberg sauva des milliers de Juifs. Jean-Baptiste Janssens Jésuite belge, plus tard supérieur général des Jésuites. Le Père Marie-Benoît surnommé le père des Juifs protégea des milliers de Juifs à Marseille, Nice puis Rome. Le cardinal Saliège Archevêque de Toulouse.

Personnalités politiques

Władysław Bartoszewski Résistant, opposant au communisme, ministre et sénateur polonais. Vytautas Landsbergis Père de son homonyme, le premier président de la Lituanie après la dislocation du bloc soviétique. Pierre Merli Responsable de l’Union démocratique et socialiste de la Résistance, sénateur puis député. Paul Ramadier Président du Conseil français (1947), et sa femme Marguerite.

Pierre-Marie Théas Évêque de Montauban. Le pasteur André Trocmé Fondateur du Collège Cévenol du Chambon-sur-Lignon.

Eclairage sur une Juste parmi les Nations Irena Sendlerowa a contribué à sauver 2 500 enfants

Irena Sendler, née Krzyzanowska (15 février 1910 à Versovie 12 mai 2008 à Varsovie), est une résistante et une militante polonaise. Elle est élevée dans une banlieue ouvrière de Varsovie (Otwock), dans la famille d’un médecin engagé dans l’action sociale auprès des pauvres. En décembre 1942, la Commission d’aide aux Juifs la nomme chef du département de l’enfance. Elle organise le passage clandestin des enfants du Ghetto vers les familles, Turkowice et Chotomów (près de Varsovie). Le 20 octobre 1943, elle est arrêtée par la Gestapo et emmenée à la prison de Pawiak ; torturée, elle est condamnée à mort. L’association Zgota réussit à la sauver. Au total, elle a contribué au sauvetage d’environ 2 500 enfants juifs. Après la guerre, elle transmet la liste des noms et des familles d’accueil qu’elle a tenue à Adolf Berman, le président du Comité Juif en Pologne. Grâce à cette liste, les membres du comité ont réussi à retrouver environ 2 000 enfants du ghetto de Varsovie.

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Chefs d’entreprise, enseignants et personnalités diverses

Hermann Friedrich Groebe Ingénieur allemand en poste en Ukraine est le témoin d’un massacre de masse perpétré contre des Juifs à Doubno. Il devient un farouche défenseur et sauve de très nombreux Juifs. Tadeusz Pankiewicz Pharmacien polonais a activement aidé les Juifs du ghetto de Cracovie. Sa pharmacie s’était retrouvée en plein milieu du ghetto, il a été le seul non-Juif à rester dans le ghetto et à tenir ouverte sa pharmacie jusqu’au jour de la liquidation. Giorgio Perlasca Homme d’affaires italien bloqué à Budapest, sauva 5 000 personnes en se faisant passer pour le consul d’Espagne. André Romanet Instituteur à Salles-Arbuissonnas-enBeaujolais, et son épouse Simone Romanet. Oskar Schindler Chef d’entreprise allemand, et son épouse Emilie ont sauvé plus de 1 100 personnes en les faisant travailler dans sa fabrique d’émail et de munitions située alors en Pologne (actuellement en République tchèque). La comtesse Erszébet Szapary Le certificat d’honneur de Yad Vashem lui a été décerné à titre posthume le 12 novembre 1998 pour avoir sauvé des Juifs avec la Commission hungaro-polonaise des réfugiés fondée en 1940. Germaine Ribière Militante catholique française, membre de la Résistance, sauva de nombreux Juifs. Friedrich Born Suisse délégué du CICR à Budapest, sauva entre 11 000 et 15 000 personnes. Varian Fry depuis Marseille, aida plus de 2 000 Juifs et militants anti-nazis (en particulier des intellectuels) à s’enfuir vers les États-Unis.

(Photos : Irena Jeune : Yad Vashem, autre photo : David Barré)


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Le négationnisme Une grande partie de la propagande antisémite d’aujourd’hui, surtout celle diffusée par des groupes cherchant à réhabiliter le nationalsocialisme, est consacrée à la dénégation de la Shoah. Malgré la défaite de l’État nazi en 1945, la foi en l’idéologie nazie ne disparaît pas, et n’est pas limitée à la seule Allemagne. Déjà dans les années 1940, l’écrivain fasciste français Maurice Bardèche allègue que si des juifs sont morts dans des camps ou des ghettos, c’est de maladies infectieuses ou de malnutrition, et si le gaz toxique a été employé, c’est non pas pour l’assassinat systématique, mais pour la désinfection. Les vrais auteurs d’atrocités, selon Bardèche, seraient les Alliés. Aujourd’hui, cinquante ans après que la vérité a émergé des camps de la mort d’Hitler, on trouve une énorme quantité d’affirmations de ce genre, qui vont d’une grossière propagande ouvertement antisémite à des rapports scientifiques en apparence objectifs. Souvent, dans ces derniers, la Shoah est non pas niée ouvertement, mais plutôt décrite comme « une question en suspens » qui doit faire l’objet « d’un débat plus approfondi ». Ce « débat » correspond toujours au même motif : les témoignages des survivants juifs sont rejetés comme étant « subjectifs » ; les documents, les lettres ou les journaux des nazis et de leurs collaborateurs sont écartés comme « des faux notoires » ; leurs témoignages sont invariablement le résultat des « tortures alliées ». Les négationnistes prétendent que les chambres à gaz que l’on montre aujourd’hui comme preuves des assassinats systématiques sont de simples attractions pour touristes construites après la guerre par les communistes aux fins de leur propre propagande. La dénégation de la Shoah est un thème très fertile pour les antisémites du monde entier, et s’allie souvent à de nombreux mythes et stéréotypes antisémites très anciens, comme celui de la « conspiration juive mondiale ». Les survivants, à en croire les négationnistes, mentent au sujet de ce qu’ils ont vécu pendant la guerre et créent de toutes pièces des récits d’horreur afin d’obtenir de l’argent en réparation des prétendus préjudices subis. Souvent, les dénégateurs de la Shoah nient aussi le droit d’Israël à l’existence. Dans certains pays toutefois, notamment l’Allemagne et la France, le négationnisme est considéré comme un délit et une insulte aux millions de victimes.

L’une des brochures les plus répandues où la Shoah est remise en question : Did Six Million Really Die ? The Thruth at Last (Y-a-t-il vraiment eu six millions de morts ? - Enfin la vérité), œuvre d’un certain « Richard Harwood ». Depuis les années 70, cet opuscule a été traduit dans de nombreuses langues européennes et est distribué par l’entremise de groupes néo-nazis.

En 1976 paraissait aux Etats-unis le premier livre remettant la Shoah en question : The Hoax of the Twentieth Century (La supercherie du XXe siècle) par A.R. Butz, ingénieur électricien de l’Illinois. Selon une des thèses exposées dans ce livre, les juifs n’auraient pas été assassinés dans les camps de concentration, mais se seraient simplement réinstallés en Union soviétique, en Palestine ou aux Etats-unis après la guerre plutôt que de rentrer dans leur pays.

The Six Million Reconsidered - A Special Report by the Committee for Truth in History (Les six millions remis en question - Rapport spécial du Comité pour la vérité dans l’Histoire), publié en Grande-bretagne et distribué dans de nombreux pays. Cette publication non seulement nie que la Shoah ait jamais eu lieu, mais encore attribue aux juifs le grand banditisme sévissant aux Etats-unis, ainsi que les meurtres systèmatiques commis dans les goulags d’Union soviétique. Le mouvement de propagande systématique mis en branle par les négationnistes a commencé à exercer une influence notable sur la droite extrémiste en 1979, avec la fondation de l’« Institute for Historical Review » (Institut pour la révision historique) par le militant américain Willis Carto. Un numéro spécial de la revue de Carto intitulée « Spotlight », The Great Holocaust Debate (Le grand débat sur la Shoah), contient un rapport du premier « Congrès révisionniste » organisé par cet organisme en 1979.

La conjonction de la pseudo-science et de la pseudohistoire : le « Rapport Leuchter », mystification qui prétend démontrer, à partir d’une analyse chimique douteuse réalisée à partir d’échantillons prélevés sans autorisation à Auschwitz, qu’aucun assassinat par le gaz n’y a été perpétré.

Un nombre croissant d’annonces négationnistes paraissent dans des revues universitaires aux Etatsunis, comme celle-ci émanant du Committee for Open Debate on the Holocaust (Comité pour un débat ouvert sur la Shoah) animé par Bradley Smith.

On plaisante même sur la Shoah : Tales of the Holohoax (Histoires holocomiques), un album de bandes dessinées produit par des négationnistes de la Shoah.


L’antisémitisme en France après la Seconde Guerre mondiale L’extrême-droite refait surface sur le devant de la scène politique en 1956, avec 52 députés menés par le populiste Pierre Poujade. Parmi eux, Jean-Marie Le Pen. Le poujadisme est une idéologie nationaliste, anticapitaliste, anticommuniste et antisémite. Le Front National est fondé en 1972, dans une tentative d’unification des nombreux groupuscules racistes et antisémites que compte l’extrême-droite. Ses fondateurs sont représentatifs de la diversité de ses origines politiques : Pierre Bousquet, ancien membre des SS, François Brigneau, ancien membre de la milice de Vichy et de l’OAS, et Roger Holeindre, qui a combattu en Indochine aux côtés du leader du FN Jean-Marie Le Pen. Les années 60 et 70 sont le théâtre de l’émergence de la Nouvelle Droite, qui s’organise notamment autour du GRECE (Groupement de Recherche et d’Étude pour une Civilisation Européenne), qui joue un rôle majeur dans la promotion d’un racisme « académique » plus subtil. Le GRECE est contre le concept « judéochrétien » d’égalitarisme, jugé élément « étranger » importé en Europe. Dans les années 80, époque de hausse du chômage et de désillusions quant aux partis politiques traditionnels, de gauche comme de droite, le Front National réussit une percée à l’échelon national. Selon le Front, les « immigrés » sont responsables de tous les problèmes de la France ; un grand nombre d’électeurs - entre 10 et 15 % - se montrent sensibles à cette propagande. L’essor de partis d’extrême-droite xénophobes est un phénomène commun à tous les pays d’Europe occidentale où des problèmes socio-économiques complexes contribuent à l’envie de désigner un bouc émissaire. Bien que sa propagande soit principalement dirigée contre les minorités non européennes, le Front National n’en compte pas moins un courant antisémite persistant. De temps à autre, cet antisémitisme refait surface : Jean-Marie Le Pen lui-même est condamné pour antisémitisme en 1986. Lors d’un congrès, il accuse la presse d’instiguer un complot contre lui et nomme quatre journalistes - tous juifs. En 1987, il est condamné à payer une amende de 1,2 million de francs pour avoir qualifié les chambres à gaz de « point de détail » de la seconde guerre mondiale. Dans les rangs du Front, le maréchal Pétain demeure ouvertement admiré comme un héros national, malgré ses politiques antisémites. Dès la fin des années 40, c’est en France qu’apparaissent les premières publications révisionnistes, tentant de nier ou de déformer l’Holocauste : les premiers ouvrages sont signés de Maurice Gardèche et Paul Rassinier. Depuis, le révisionnisme est devenu un phénomène international à forte dominante française, sous l’influence, notamment, de Robert Faurisson.

30.1 Des militants de l’Ordre Nouveau prêts à passer à l’action à Assas, en avril 1976. L’un des intervenants mentionnés sur l’affiche est François Brigneau, ancien membre de la Milice, révisionniste, et co-fondateur du Front National.

A la fin des années 70 et au début des années 80, on constate une forte résurgence des activités antisémites et racistes, en France, mais aussi dans toute l’Europe occidentale. Slogans antisémites au cimetière juif de Bagneux, avril 1979.

Jean-Marie Le Pen, leader du Front National, apparaît sur le site Web du Front sous une image de Jeanne d’Arc. Depuis des décennies, l’extrême-droite utilise Jeanne d’Arc pour symboliser une France pure, libérée du « joug étranger ».

Un phénomène nouveau sur la scène musicale : le « rock identitaire français », soutenu par le Front National. A Orange, le maire J. Bompard (Front National) invite le groupe Fraction Hexagone pour un concert de rock, au cours duquel ils vont chanter : « une balle pour les sionistes, une balle pour le cosmopolitisme et une balle pour la police ». Extraits d’une interview de Fraction Hexagone : « De quels thèmes traitent vos chansons ? » « Nous abordons des sujets très divers. Nous fustigeons, tout d’abord, les méfaits de l’impérialisme américain et de son allié privilégié, le sionisme international. (…) Le monde marchand que nous combattons ne constitue que la forme laïcisée du judéo-christianisme que nous rejetons tout autant. » Publié sur le site Web d’Occident, Le Site des Lycéens Déracinés, janvier 2000.

Pendant des années, Robert Faurisson est le révisionniste le plus prolifique et le plus influent de France. La majeure partie de ses œuvres sont maintenant diffusées via Internet, car cela rend quasiment impossible toute poursuite. Ce site Web français est situé aux Etats-Unis. En 1995, le président Jacques Chirac reconnaît publiquement que le régime de Vichy a collaboré avec les crimes de l’Allemagne nazie. Le 5 décembre 1997, il rend visite au Centre de Documentation Juive Contemporaine. Photo Centre de Documentation Juive Contemporaine.

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Les relations juifs - musulmans du VIIe siècle à nos jours Les premiers musulmans et les tribus juives d’Arabie (VIIe - VIIIe s) L’islam, né au début du VIIe siècle en Arabie ­occidentale après la prédication de Mohammed (Mahomet), ne se présente pas, à l’origine comme une révélation hostile au judaïsme. Il est rapidement adopté par des tribus arabes, polythéistes ou juives ; c’est notamment avec les juifs de la cité de Yathrib (Médine), que Mohammed fait a­ lliance contre les tribus “païennes” de la Mecque. Une première période est, selon la tradition, m ­ arquée par une certaine proximité et des pactes de non agression ou d’alliance entre certaines t­ribus juives et les premiers musulmans. Mais les relations s’enveniment rapidement, notamment lors­que le Coran, qui intégrait l’héritage de la Torah, ­commence à s’en prendre aux rabbins et à leur e­ nseignement, récusant le Talmud. Cela pousse c­ ertaines tribus juives à conclure des alliances avec les tribus arabes en conflit avec les musulmans.

Le sanctuaire de Médine. (manuscrit iranien XVIe siècle). C’est à La Mecque que Mohammed (Mahomet) commence sa prédication. Il en est chassé en 622. C’est l’Hégire, et cette date marque le début du ­calendrier musulman. Il se réfugie dans l’oasis de Yathrib, qui devient alors Médine. Dans cette région vivent à cette date de 8 000 à 10 000 juifs, pour la plupart habitants de ­Médine. Dans ces premières années de ­formation d’une communauté de fidèles à Médine, les musulmans prient, comme les juifs, en direction de Jérusalem. Par la suite, Mohammed leur ­recommande d’orienter leur prière vers La Mecque. Certains juifs auraient vu alors dans cet acte le signe d’une scission entre les deux religions.

Un coran (manuscrit du Xe siècle). La prédication de Mohammed était orale. C’est à l’époque du troisième calife, ­Uthman (644-656) que le Coran est fixé par écrit de façon systématique.

Pour comprendre l’hostilité de certains versets du Coran à l’égard des juifs, il faut les situer dans leur contexte. Les termes “Yahud” ou “Fils ­d’Israël” se rapportant aux juifs sont des termes génériques utilisés pour désigner à la fois les d­ escendants des hébreux et en même temps c­ ertaines tribus avec lesquelles les musulmans étaient en guerre. C’est notamment le cas de la tribu juive de K ­ haybar qui habitait une oasis s­ ituée vers le Nord et qui s’est alliée avec les Q ­ uraysh, (la tribu de Mohammed, hostile aux m ­ usulmans). L’expulsion des tribus juives de ­Médine en 627, malgré le pacte qui obligeait les deux parties au respect et à l’assistance mutuelle, illustre la détérioration des relations entre les ­premiers musulmans et les tribus juives d’Arabie. Ces conflits n’opposent pas les premiers musulmans seulement aux juifs, mais aussi à d’autres tribus arabes. La question est avant tout pour le prophète de l’islam et les premiers califes de r­ éduire les ­oppositions, d’assurer la survie et la sécurité de la nouvelle communauté de croyants, puis d­ ’asseoir la nouvelle religion, l’islam, dans un contexte politique difficile, voire hostile.

Avertissement Les réactions suscitées par la lecture d’un des panneaux de l’exposition nous ont conduits à penser qu’il convenait de renouveler le travail initial mené sur les relations entre juifs et musulmans. C’est la raison pour laquelle, la Licra Rhône-Alpes a décidé de solliciter des historiens, afin de présenter une idée plus juste et plus nuancée des relations entre juifs et musulmans, éminemment variables selon les lieux et les époques. C’est le sens et le rôle des quatre panneaux intitulés « Les relations juifs-musulmans du VIIe siècle à nos jours »

L’expansion de l’islam de 632 à 750 et la présence des communautés juives sur les territoires conquis. A la mort de Mohammed, ses plus proches ­compagnons lui succèdent et prennent le titre de calife. Dès l’époque des quatre premiers califes, l’islam se diffuse à l’extérieur de la péninsule arabe. Mais des ­dissensions apparaissent, à ­l’origine du schisme entre sunnites et chiites. Après l’assassinat de Ali, le gendre du prophète, en 661, Mu’awiya, de la dynastie omeyyade, fonde à Damas la capitale d’un ­empire qui va des frontières de l’Inde à la péninsule ­ibérique. Les conquêtes de l’islam favorisent, à partir du VIIIe siècle, ­l’urbanisation et le renforcement des liens entre les ­communautés juives de la Diaspora. (Source : Histoire universelle des juifs - Élie Barnavi - Hachette Littératures). Soumission des juifs de Médine par Mahomet, après une violente ­bataille. Les juifs portent un costume particulier, avec un fez rouge. Ce code vestimentaire renvoie à leur statut de dhimmi, qui ne sera défini en ­réalité qu’à l’époque omeyyade. (d’après une miniature du XVIe s­ iècle - British ­Museum. Source : Le Monde du judaïme - Ed. Thames & Hudson).

Le Coran et les juifs wwne image contrastée selon les versets Sourate de la Fumée (XLIV), sourate de la Vache (II), sourate de la Table servie (V) La lecture de certains versets hors contexte, et plus encore, de certains hâdiths (propos et attitudes prêtés au prophète), dont la mise par écrit est bien postérieure à celle du Coran et la fiabilité souvent discutable, a pu conduire à considérer l’islam comme une religion antisémite et a alimenté en même temps l’idéologie antisémite de certains musulmans. Le Coran, Sourate de la Fumée, 19-39.


Les relations juifs - musulmans du VIIe siècle à nos jours 33

Dhimmis en terre d’Islam (VIIIe - XIXe s) Le califat omeyyade de Damas (680-750), au fil des conquêtes, place sous domination arabe des populations chrétiennes, juives, ou d’autres ­monothéistes, comme les zoroastriens en Orient. Leur soumission se traduit par la mise en place du statut de dhimmi ; ce contrat de “protection” n’impose pas de conversion à ces “gens du livre”. Ce statut, à la fois juridique et fiscal, est destiné à rappeler que c’est la nouvelle religion, l’islam, qui fonde à présent l’ordre social et politique. La condition de ces protégés est e­ xtrêmement ­variable selon leur c­ atégorie sociale, selon les lieux et les époques. Elle oscille entre une p­ rotection bienveillante exercée par le pouvoir, et le rappel périodique de leur infériorité juridique et sociale. En période de trouble, cette protection n’empêchait guère massacres et pillages. Les conversions ne sont pas alors directement liées à la conquête : c’est à la période suivante, sous le califat abbasside (750-1258) que s’effectuent les conversions massives à l’islam et l’arabisation des populations de l’empire. Beaucoup sont a­ cceptées et permettent de r­ ejoindre la classe ­dominante ; certaines sont dues à des ­persécutions ou à des campagnes de conversions forcées, attestées jusqu’à la conquête ottomane (XVIe siècle) et même au-delà, à la périphérie de l’empire. Ces moments d’intransigeance religieuse et d­ ’intolérance ne sauraient faire oublier que p­ endant la plus grande partie du Moyen-âge, c’est dans le monde musulman que résident la majorité des juifs. Plusieurs cités (Cordoue, Séville, Fès, Salonique, Le Caire…) ont développé une civilisation brillante, fondée sur la coexistence entre les communautés, la valorisation du savoir et des échanges. Dans l’Occident chrétien, les juifs connaissent alors, suivant les lieux et les ­périodes, un sort qui va de la tolérance (Etats pontificaux, PologneLituanie) à la persécution et à l’exclusion. Le Maroc et l­’Empire ottoman servent de r­ efuge à beaucoup d’entre eux chassés d’Espagne et du Portugal, persécutés par l’Inquisition. C’est au sein de la civilisation araboislamique et au miroir de celle-ci qu’a pu naître, dans le j­udaïsme m ­ édiéval et moderne, le sentiment d­ ’appartenir à une communauté de croyants.

Le “Pacte de Omar” et le statut de Dhimmi Le texte appelé «Pacte de Omar» a été codifié tardivement, à l’époque abbasside, mais il se ­réfère, pour mieux se légitimer, à l’un des premiers califes, compagnon de Mohammed. Il s’appuie sur le Coran, qui faisait une mention spéciale des “gens du Livre” et désignait ainsi les monothéistes non musulmans. Ce texte contient un certain nombre de dispositions h ­ umiliantes pour les vaincus, en contrepartie de la protection et de la sécurité qui sont a ­ ccordées à leur ­personnes et à leurs biens : ils n’ont pas à servir dans l’armée et ne peuvent ester en justice ; si la liberté de culte leur est reconnue, ils ont interdiction de construire de ­nouvelles églises ou synagogues, d’employer des musulmans, et obligation de porter des ­vêtements discriminatoires et de payer un impôt marquant leur soumission. Les sanctions sont sévères et peuvent aller jusqu’à la mort. Sourate de la Famille de Imran (III).

Maïmonide Établie à Cordoue, dans l’Espagne ­musulmane, la ­famille où naît Moïse Maïmonide en 1138 est contrainte à l’exil par l’intransigeance religieuse des ­Almohades : d’abord à Fès, puis en Terre sainte, et enfin au Caire. Il s’y fait connaître grâce à ses ­nombreux t­ ravaux d’exégèse, de commen­taire de la Torah, de conseils et d’arbitrage. Il assure à partir de 1177 les fonctions de chef spirituel de cette ­communauté jusqu’à sa mort en 1204.

« Vous formez la meilleure Communauté suscitée pour les hommes : vous ordonnez ce qui est convenable, vous interdisez ce qui est blâmable vous croyez en Dieu. Si les Gens du Livre croyaient, ce serait meilleur pour eux. Parmi eux se trouvent des croyants, mais la plupart d’entre eux sont pervers. » (Le Coran, traduction de Denise Masson, 1967).

Synagogue Ben Ezra du Caire. Il s’agit de la plus vieille synagogue d’Egypte, construite au IXe siècle et plusieurs fois restaurée. C’est dans cette synagogue, dans une pièce ­appelée “Gheniza”, qu’ont été trouvés d’anciens manuscrits, dont certains ­remontent à cette époque. En dépit des interdictions, certaines communautés juives ont pu pros­pérer, n ­ otamment dans le ­califat omeyyade de Cordoue, et en Egypte. Elles ont pu construire de splendides synagogues et y exercer leur culte en toute sécurité. Les éléments architecturaux rappellent le style ­islamique.

Portrait de Maïmonide, sans doute apocryphe.

Marché aux esclaves d’Alger. Un système élaboré de ­rachat des captifs, victimes de pirates et réduits en ­esclavage, témoigne de liens de solidarité des ­communautés juives à ­travers la Méditerranée. Les ­collectes dans les ­synagogues d ­ iffusent le sentiment d’appartenir à une communauté de croyants. (Gravure hollandaise a ­ ncienne, 1684, de Jan en ­Casper Luyken - Amsterdam Historic Museum)

Dona Gracia Mendès vers 1520, à la tête d’un ­corsortium financier, installé à Istambul. Les grandes capitales du monde ­méditerranéen, de ­l’Andalousie à l’Irak, abritent des familles juives qui ont tissé entre elles et avec les sociétés ­environnantes, des réseaux ­économiques, culturels et politiques. (Médaillon de bronze de Pastorino, Ferrare)


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Les relations juifs - musulmans du VIIe siècle à nos jours L’âge des nationalismes en terre d’islam : de l’émancipation à de nouvelles diasporas (XIXe - XXe s) L’apparition de formes nouvelles d’hostilité aux juifs dans le monde arabe et musulman est contemporaine de l’expansion de l’Europe, de l’affaiblissement de l’Empire ottoman et de la naissance d’Etats-nations sur les décombres de cet Empire. Dès le XVIIIe siècle, les diasporas marchandes chrétiennes, grecques, syriennes-catholiques ou arméniennes, liées à l’Europe, rivalisent avec les juifs en Méditerranée. Elles y importent la légende du meurtre rituel, comme à Damas en 1840. L’âge colonial (XIXe-XXe siècles), qui est aussi celui du libéralisme et de l’émancipation politique, remet en cause le pouvoir musulman et le pacte de la dhimma : le statut de dhimmi est aboli dans l’Empire ottoman, au milieu du XIXe siècle. Une forte hostilité, teintée de jalousie, se développe à l’égard des juifs et des chrétiens qui b­ énéficient de protections européennes ou les r­ echerchent. La promesse de créer “un foyer n­ ational juif”, mis en place en Palestine sous ­mandat britannique, est un aboutissement de cette p­ olitique à l’égard des minorités. Avec le démembrement de l’Empire ottoman en 1920, les nouvelles frontières font obstacle à d­ ’anciennes relations sociales et commerciales. Juifs, Arméniens, Assyriens ou Kurdes se retrouvent exclus ou marginalisés dans des nouveaux Etats qui les considérent comme des minorités. Avant même la création d’Israël (1948), beaucoup de juifs ont commencé à se sentir étrangers, et parfois menacés, dans des Etats jaloux de leur ­indépendance, qui mettent en avant leur caractère arabe ou musulman. Et cela, au moment même où l’intensification de l’immigration juive en P ­ alestine est perçue par le monde arabe comme une entreprise coloniale. Les guerres israélo-arabes et la décolonisation sont marquées par la violence et parfois des exactions. Elles précipitent le départ de communautés entières de la plupart des pays arabes, pour Israël, l’Europe et l’Amérique, dans des conditions ­souvent difficiles. Seuls le Maroc, l’Iran et la Turquie abritent encore un judaïsme vivant, quoique numériquement très affaibli. Partout ailleurs, les partants n’ont laissé derrière eux que des communautésreliques et un patrimoine à l’abandon.

Le réseau des écoles de l’Alliance Israélite Universelle. L’AIU a fortement contribué, à partir des a ­ nnées 1860, à l’instruction des communautés juives du monde m ­ usulman du Maroc à l’Iran. En les francisant, elle les relie au j­udaïsme occidental et ­assure la ­promotion sociale de leurs ­membres à une époque où le français est la langue ­dominante des échanges en Méditerranée. De fait, des enfants musulmans ou chrétiens ont pu volontiers ­fréquenter ces écoles. Carte du réseau scolaire de l’AIU Europe, Afrique, Asie... (source AIU). Publiée en 1960 à l’occasion du ­centenaire de l’association.

Groupe de jeunes devant le lycée français d’Alexandrie vers 1925. (source : Mission laïque française). Les lycées de la Mission laïque en Orient ont scolarisé des enfants de familles aisées de toutes les ­communautés, avec une forte proportion d’élèves juifs. Ils représentent une voie d’accès aux métiers m ­ odernes : ingénieurs, juristes et médecins. La vie des juifs au Maroc : installés au Maroc ­depuis l’Antiquité, les juifs ont longtemps ­cohabité avec les ­musulmans et y ont développé des modes de vie et des traditions d’une grande ­richesse. Les communautés ­rurales juives, essentiellement d’origine berbère, se distinguent n ­ ettement de celles des villes, influencées par la France, l’Espagne et l’Angleterre. Les rapprochements entre les juifs et les ­musulmans doivent être soulignés, non seulement par tout ce qui a trait à leur vie quotidienne mais aussi sur les plans économique, culturel et même religieux : la coutume des pèlerinages aux tombeaux des saints vénérés leur est commune. Bijoutiers juifs - Maroc 1923.

La légende du meurtre rituel : l’exportation en Orient de l’antisémitisme ­européen. A Damas en 1840, le père Tommaso, un moine italien, disparaît sans laisser de traces. Les moines et le consul de France ­accusent des juifs de l’avoir assassiné pour ­utiliser son sang pour des galettes de pain azyme. Sept juifs de Damas sont arrêtéset torturés. Des philanthropes juifs d’Europe mobilisent l’opinion pour les défendre. Ils interviennent ­auprès du Sultan pour les faire libérer en août 1840. Ils obtiennent un décret qui les innocente de cette accusation. Les religieux catholiques et orthodoxes venus d’Europe continuent jusqu’aux années 1920 à propager cette légende du meurtre rituel. Extrait d’un tract d ­ istribué devant le c­ ollège Sainte Catherine d’Alexandrie en 1925, ­racontant le m ­ artyre d’un enfant soi-­disant tué par les juifs au Moyen-âge. (Archives de l’Alliance ­israélite ­universelle - Paris) Départs des juifs du monde musulman vers Israël, l’Europe et le nouveau monde. La grande migration des juifs du monde ­musulman après la Seconde guerre mondiale s’inscrit dans les grandes vagues de ­migrations post-coloniales. Israël n’est pas la seule destination : les plus fortunés et les mieux formés s’orientent vers l’Europe et les pays neufs. Beaucoup de départs, volontaires ou forcés sont marqués par la peur, la précipitation et de nombreuses spoliations, ­nécessitant l’intervention d’associations humanitaires internationales. (Source : Centre de la Culture Judéo-Marocaine de Bruxelles).


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Islam politique et antisémitisme mondialisé (XXe - XXIe s) Les départs massifs des juifs du monde arabo-musulman, au cours des trois décennies qui ont suivi le plan de partage de l’ONU et la création de l’État d’Israël en 1948, n’ont pas mis fin à l­’existence de sentiments anti-juifs dans les populations de ces pays. La poursuite du conflit ­israélo-palestinien n’a fait que les r­ enforcer, tout en les modifiant. L’État d’Israël, considéré dans le monde arabo-musulman comme une résurgence du colonialisme, en est devenu le principal point de fixation. Les défaites arabes ont été vécues comme une humiliation et le sort des Palestiniens comme une injustice qui perdure. Le developpement, à partir de 1967, de mouvements fondamentalistes et de courants islamistes radicaux s’est nourri de l’échec du panarabisme. Pour les tenants de l­’islam politique, la présence d’un État juif au cœur du monde musulman apparaît comme une anomalie et une provocation de l’Occident. La diffusion d’un antisémitisme de type moderne depuis les années 1970, s’est aussi nourrie de l’obsession de la chasse à des “espions” juifs, réels ou supposés, avec lesquels ils partagent la langue arabe, devenus étrangers puis ennemis i­ntimes. La figure du juif et du sioniste tendent à se confondre en celle d’un ennemi de l’intérieur. Les thématiques et les formes graphiques sont largement empruntées à la caricature antisémite européenne des années 1930 ou de la fin du XIXe siècle ; elles contribuent à réactualiser les mythes du juif : capitaliste, comploteur contre l’État, ainsi que les fantasmes du meurtre rituel. La négation de l’extermination des juifs d’Europe est devenue une des thématiques centrales de ­l’antisémitisme islamiste, parce qu’elle conforte la théorie du complot : on refuse de leur recon­naître un statut de victime parce qu’on ne voit en eux que des manipulateurs. Ce discours haineux et souvent virulent se d­ éveloppe dans un monde arabo-musulman vidé de ses juifs, ou dans des diasporas musulmanes mondialisées, sensibles à la quête de leurs o­ rigines. Repris par des prédicateurs, des carica­turistes, amplifié par la caisse de résonnance que constitue Internet, il est relayé par certains ­responsables politiques et parfois même des chefs d’État. Discours à usage politique, il prétend unifier l’Umma (communauté des croyants) en prévision d’un “choc des civilisations” que certaines l­ectures de l’histoire présentent comme inéluctable, en confortant des stéréotypes et en imposant des c­ ertitudes dogmatiques dans le domaine de la foi. La préservation et la valorisation des patrimoines juifs dans le monde arabo-musulman (synagogues, bâtiments communautaires, cimetières, pèlerinages) est davantage l’affaire d’associations locales ou internationales que celle des États. La mondialisation a favorisé la recherche et la mise en avant de ces lieux de mémoire, notamment dans des pays ouverts au tourisme (Maroc, Égypte, Turquie, Tunisie...). Mais beaucoup de régimes ont été plus prompts à agiter l’épouvantail de l’ennemi sioniste qu’à i­ntégrer, comme au Maroc, les dimensions b­ erbère et juive de leur héritage.

Versions égyptiennes des Protocoles des sages de Sion, 1994.

Mein Kampf édité à ­Beyrouth en 1954.

Des ouvrages comme Mein Kampf ou les ­Protocoles des Sages de Sion, traduits en turc, en arabe ou en ­persan depuis les années 1930, ont connu un grand s­ uccès, avec des ­rééditions nombreuses, en particulier dans les années 1970.

Une tribune pour le négationnisme, les provocations du président ­iranien Ahmadinejad. Décembre 2006 : Téhéran accueille une conférence mondiale sur ­l’Holocauste, offrant une tribune à plusieurs ­négationnistes et ­visant à semer le doute sur la ­réalité de l’extermination des juifs pendant la Seconde Guerre ­mondiale. De telles conférences ont été reconduites d’année en année dans la capitale de l’Iran. Des raisons d’espérer…

De l’ennemi sioniste au complot juif. L’adhésion du Mufti de Jérusalem aux thèses ­antisémites d’Hitler et sa ­rencontre avec lui le 28 novembre 1941 sont à replacer dans le contexte de la ­Seconde Guerre mondiale. ­L’alliance avec l’Allemagne c­ orrespond à la recherche d’un ­soutien pour un m ­ ouvement ­national en conflit avec le Royaume-Uni et ­l’implantation juive en ­Palestine. Manuel d’enseignement ­islamique publié par le ­ministère syrien de ­l’Education en 1966-67 pour les écoles ­primaires. Il contient l’affirmation suivante : « Les juifs ont ­toujours détesté les gens qui ­vivent en paix, puisque pour r­ égenter les ­autres, il faut que prévalent ­l’anarchie, la ­division, et l’affrontement ». Des générations d’enfants arabes ont été ­élevées avec des ­manuels ­scolaires ­contenant des ­stéréotypes ­antijuifs.

Couverture d’un ­ouvrage “Le pain azyme de Sion” écrit par le ministre ­syrien de la ­Défense, publié à Damas en 1983.

2005 : Le Premier Congrès ­Mondial des Imams et Rabbins pour la Paix. La première réunion regroupant plus d’une ­centaine de ­participants, s’est tenue à Bruxelles sous le patronage d’Albert II, Roi des Belges et de Mohammed VI, Roi du Maroc. Deux ­autres congrès ont eu lieu depuis, et un ­quatrième est prévu en Inde en 2011. Extrait de la Déclaration Finale : « Nous faisons appel à tous pour combattre la haine, l­’ignorance ainsi que leurs causes et à construire ­ensemble un monde de paix, riche de sa diversité, dans lequel toutes les fois et leurs pratiques seront respectées et protégées.» 2009 : Le projet Aladin : des intellectuels, des hommes de foi, des historiens et des politiques de tous horizons ­lancent un “Appel à la conscience” pour lutter contre le ­négationnisme. « Nous voyons aujourd’hui un flot de haine et de ­violence creuser chaque jour davantage le fossé de ­l’incompréhension. Ces maux touchent singulièrement les relations ­actuelles entre les Musulmans et les Juifs, alors que des siècles ­durant, en Perse, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et dans l’Empire o ­ ttoman, ils ont su vivre ensemble, souvent en bonne intelligence. Nous disons clairement que les Israéliens et les P ­ alestiniens ont droit à leur État, leur souveraineté et leur sécurité et qu’il convient d’appuyer tout ­processus de paix ayant de telles visées. Face à l’ignorance et aux préjugés, face à la c­ oncurrence des mémoires que nous refusons, nous croyons à la force de la connaissance et à la primauté de l’Histoire. » Couverture du livre de Primo Levi Si c’est un homme, traduit en arabe en 2010. Des témoignages et des ­ouvrages ­historiques ­relatifs à ­l’extermination des juifs ­d’Europe ont été rendus ­disponibles en arabe, en turc et en persan, grâce au Projet Aladin.


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Les relations entre les juifs et les chrétiens de 1946 à nos jours Les relations entre les juifs et les chrétiens ont été ponctuées par de nombreux textes, gestes et événements symboliques, qui ont transformé le regard des chrétiens vis-à-vis des juifs, passant d’une situation de mépris à la reconnaissance. Jules Isaac, historien français (1877-1963) perd sa femme et sa fille en déportation durant la Shoah. Il rédige un ouvrage “Jésus et Israël”(1948) sur les racines chrétiennes de l’anti-judaïsme dans lequel il évoque “l’enseignement du mépris qui a longtemps perduré à l’égard des juifs”. Son travail va servir de base aux 10 points de la “Conférence internationale pour combattre l’antisémitisme”qui se tint à Seelisberg (Suisse) en août 1947, réunie pour étudier les causes de l’anti-judaïsme et tenter d’éradiquer les préjugés contre les juifs. Jules Isaac fonde en 1948 avec Edmond Fleg, l’Amitié Judéo-Chrétienne de France (AJCF) qui participe à des manifestations de lutte contre l’antisémitisme et rassemble des représentants des institutions religieuses et civiles du judaïsme et du christianisme. Le Concile Vatican II (1962-1965), XXIIe Concile de l’Eglise catholique romaine, ouvert par le Pape Jean XXIII, clos par Paul VI. La déclaration Nostra Aetate -à notre époque- sur les relations entre l’Eglise et les religions non chrétiennes est promulguée le 28 octobre 1965 par Paul VI ; elle marque un tournant décisif dans les relations entre les chrétiens et les juifs, accusés pendant 2 millénaires d’être “déicides”. Le paragraphe 4 précise que la mort du Christ “ne peut être imputée aux juifs vivant alors, ni aux juifs de notre temps. Ceux-ci ne doivent plus être présentés comme réprouvés par Dieu, ni maudits...” La Conférence épiscopale française publie le 16 avril 1973 un texte sur la position de l’Eglise face au peuple juif, avec une réflexion sur la permanence du peuple juif et sur le judaïsme. La Commission pour les relations avec le judaïsme est mise en place en janvier 1975 à Rome ; elle a pour but de donner des conseils pratiques pour l’application des décisions prises par le Concile Vatican II de 1965. Rédaction en mars 1985 par cette Commission des notes pour une présentation correcte des juifs et du judaïsme dans la prédication et l’enseignement religieux de l’Eglise catholique. Le 13 avril 1986, Jean-Paul II rend visite à la Grande Synagogue de Rome, geste symbolique important pour l’amélioration des relations entre juifs et chrétiens, un message également aux juifs du monde entier. 30 décembre 1993, Jean-Paul II établit des relations diplomatiques entre Israël et le Vatican : signature d’un accord fondamental et échange d’ambassadeurs. 30 septembre 1997, déclaration de repentance des évêques de France à Drancy, en présence de responsables juifs devant le mémorial de Drancy, lue par Mgr Olivier Berranger, évêque de Saint Denis, concernant l’entreprise d’extermination du peuple juif par les nazis, événement majeur de l’histoire du XXe siècle. 15 mars 1998, publication de “Souvenons-nous”, texte de réflexion de l’Eglise catholique sur la Shoah par la Commission Vaticane pour les relations avec le judaïsme. Mars 2000, voyage de Jean-Paul II en Israël. Le Pape se rend au mémorial Yad Vashem, institution créée en 1953 par le parlement d’Israël pour perpétuer la mémoire des martyrs et des héros de la Shoah en Europe. Il demande pardon pour tous les crimes commis au cours des deux premiers millénaires du christianisme contre le peuple juif. Il se rend également au Mur Occidental à Jérusalem où il dépose un document. A cette occasion il demande pardon pour les “fautes de l’Eglise vis-à-vis des juifs pendant la seconde guerre mondiale”. Déclaration en 2000 “Dites la vérité” de 170 personnalités juives américaines sur les avancées positives des chrétiens à l’égard du judaïsme.

« Du fait d’un si grand patrimoine spirituel, commun aux chrétiens et aux juifs, le Concile veut encourager et recommander entre eux la reconnaissance et l’estime mutuelles, qui naîtront surtout d’études bibliques et théologiques, ainsi que d’un dialogue fraternel. » « L’église qui réprouve toutes les persécutions contre tous les hommes, quels qu’ils soient, ne pouvant oublier le patrimoine qu’elle a en commun avec les juifs... déplore les haines, les persécutions et toutes les manifestations d’antisémitisme, qui, quels que soient leur époque et leurs auteurs, ont été dirigées contre les juifs. » Extraits de la déclaration Nostra Aetate § 4 - 1965.

Le Concile Vatican 2 dans la Basilique Saint-Pierre à Rome, octobre 1962. (Photo du livre “De la Révolution à Benoit XVI, les Papes qui font l’histoire” d’Henri Tincq chez Stock - avril 2006.)

Le Pape Jean-Paul II rend visite à la Grande Synagogue de Rome le 13 avril 1986, accueilli par le Grand Rabbin. « La religion juive... est intrinsèque à notre religion. Nous avons donc, à son égard, des rapports que nous n’avons avec aucune autre religion. Vous êtes nos frères préférés et dans un certain sens on pourrait dire nos frères aînés ». Allocution de Jean-Paul II - 1986. (Photos : Sipa et Fabien / Sygma.)

Cérémonie de repentance des évêques de France devant le mémorial de Drancy le 30 septembre 1997. (Photo : Boisseaux-Galazka / Sipa Chical/La Vie.)


L’antisémitisme à notre époque Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les gens sont nettement plus conscients des dangers associés aux préjugés, même ceux qui semblent à première vue anodins ; on constate aussi que les gouvernements comme les individus manifestent avec plus de fermeté leur volonté de lutter contre le racisme et l’antisémitisme. La plupart des pays démocratiques ont mis en place des programmes visant à promouvoir la tolérance, certains ont rendu plus strictes les lois interdisant l’incitation à la haine à caractère racial et à l’antisémitisme, et d’autres ont même interdit les partis politiques racistes. Cependant, comme le montre le présent panneau, l’antisémitisme se manifeste, encore aujourd’hui, sous de multiples formes - qu’il s’agisse de sites Internet niant la Shoah ou d’actes de violence visant expressément des Juifs ou des institutions juives.

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Six hommes portant des uniformes semblables à ceux des nazis ont déposé une tête de porc sur les marches de la Grande synagogue de Durban (Afrique du Sud) pour commémorer le 99e anniversaire de la naissance d’Adolf Hitler.

Léon Klinghoffer, citoyen américain et passager du navire de croisière Achille Lauro, avant que ce dernier soit dérouté par des terroristes arabes. Il fut abattu parce qu’il était juif, et fut jeté par-dessus bord dans son fauteuil roulant. En juillet 1976, Dora Bloch, citoyenne britannique, se trouvait à bord d’un avion qui a été dérouté vers Entebbe (Ouganda) par des pirates de l’air. A l’aéroport, on a séparé les juifs des autres passagers. Lors de la libération des otages par des commandos israéliens, Mme Bloch se trouvait dans un hôpital ougandais, où elle a été tuée.

Avril 1988.

Un restaurant parisien fréquenté par des étudiants juifs, après un attentat à la bombe qui a fait 26 victimes. 27 mars 1979.

Publications antisémites en vente dans une librairie de Damas. Syrie, 1988.

Deux nationalistes ukrainiens postés à l’extérieur de l’ambassade d’Israël, à Kiev, lancent des insultes à des juifs au cours d’une manifestation d’appui au présumé criminel de guerre nazi Ivan Demjanjuk. Un tribunal israélien déclarera Demjanjuk non coupable. Août 1993. Des graffitis antisémites inscrits sur les murs de la synagogue sépharade de Buenos Aires, en Argentine, font allusion à la circoncision. Février 1987.

Des membres du parti néo-nazi Deutsche Alternative (Alternative allemande) font le salut nazi pendant un congrès de ce parti tenu pour célébrer, « dans la première ville allemande libérée des étrangers », leur « victoire dans la lutte pour le salut du Reich ». A Hoyerswanda, dans l’est de l’Allemagne, l’attaque d’un foyer de réfugiés par des néo-nazis avait obligé les autorités locales à transporter les occupants du bâtiment en des lieux où ils seraient plus en sécurité. Octobre 1992.


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L’antisémitisme à notre époque De plus en plus, les tatouages représentant des symboles et slogans nazis font partie du mode de vie des skinheads. Ce jeune allemand s’est fait tatouer des croix gammées et le slogan Alles für Deutschland (« Tout pour l’Allemagne ») sur la poitrine.

« Notre peuple avant tout… » - la propagande électorale du parti nationaliste flamand Vlaams Blok fait appel à des sentiments antisémitiques et xénophobes.

1993.

La synagogue sépharade d’Anvers, en Belgique, a été complètement détruite après un attentat à la voiture piégée le 20 octobre 1981.

Un brésilien fait le salut nazi lors d’un rassemblement organisé pour commémorer le 100e anniversaire de la naissance d’Adolf Hitler.

Le Front National, en France, est le parti qui obtient le plus de succès parmi les partis d’extrême droite européens. Depuis plus de dix ans, 12 à 15 % des électeurs français appuient ce parti ouvertement raciste, malgré le fait que son chef, Jean-Marie Le Pen (debout à droite), ait été condamné après avoir tenu des propos antisémites. On peut lire sur la tribune : « Vive Le Pen - Vive la France - Vive les Français ». Congrès du Front National, 1er mai 1998.

Bien qu’il ne nie pas ouvertement la Shoah, Jean-Marie Le Pen a provoqué de vives réactions d’indignation partout dans le monde lorsqu’il a qualifié la Shoah de « détail dans l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale ». Entrevue télévisée avec Le Pen, septembre 1987.

Sao Paulo, Brésil, avril 1989.

Banalisation des crimes d’un tueur insatiable : des tee-shirts à l’effigie d’Hitler en vente dans la ville touristique d’Ibiza, en Espagne. Juin 1984.

Des membres du groupe néo-nazi allemand Wehrsportgruppe Hoffmann pendant un exercice militaire. Certains adhérents recevaient une formation militaire dans des camps d’entraînement à la guérilla implantés au Liban et étaient fréquemment mêlés à des incidents violents à caractère raciste avant que le gouvernement ouest-allemand n’interdise ce groupe en 1980.

En Argentine, les attentats à la bombe contre l’ambassade d’Israël, en 1992, et ceux perpétrés contre le centre communautaire juif, en 1994, ont coûté la vie à 115 personnes. Le ministre de la justice de l’Argentine, Rodolfo Barra, qui a supervisé les enquêtes relatives à ces attentats dont les auteurs attendent encore d’être appréhendés, a remis sa démission après qu’on eût révélé qu’il avait déjà eu des liens avec une organisation antisémite ayant recours à la violence. Trois cadres supérieurs des services de police argentins et un policier à la retraite ont été accusés d’avoir trempé dans ces attentats.


Propagande haineuse sur l’Internet Un élément relativement nouveau est venu s’ajouter au phénomène global de l’antisémitisme : la propagande haineuse véhiculée par les médias électroniques, ou l’intolérance à l’heure de l’Internet, ce nouvel outil technologique utilisé par des millions de personnes à l’échelle mondiale. Se mêlant au flot de renseignements diffusés sur Internet, un courant inquiétant de messages haineux visant les minorités religieuses, ethniques, raciales ou culturelles réussit impunément à se frayer un chemin. Les antisémites sont particulièrement actifs sur ce réseau. Ils s’en servent pour diffuser leur propagande auprès d’un public infiniment plus vaste que celui qu’ils pourraient espérer rejoindre en distribuant des dépliants ou en organisant des rassemblements. Le réseau Internet est ainsi pollué par les rumeurs sourdes et persistantes de la propagande antisémite. Comme il ne fait l’objet d’aucune réglementation, n’importe qui peut créer un site et publier n’importe quoi. La technologie de l’Internet offre aux propagandistes un tant soit peu motivés une multitude de moyens pour diffuser leurs messages. Le World Wide Web, qui offre textes, images, sons et animations, peut être utilisé par des groupes désireux d’attiser les tensions racistes pour afficher des bulletins et d’autres documents. Les copies audio de discours et d’émissions radiophoniques peuvent soit être remplacées par des fichiers que l’on peut télécharger (copier) sur un ordinateur pour les écouter ultérieurement, soit être entendues en direct. Dès 1996, plusieurs extrémistes notoires associés de longue date à des activités antisémites exploitaient les possibilités offertes par le Web. La nature même de l’Internet permet à ces individus d’agir en toute impunité. Au contraire des personnes qui sortent la nuit pour aller dessiner des croix gammées sur les pierres tombales ou les murs des synagogues, les extrémistes peuvent utiliser Internet pour diffuser leur propagande haineuse sans jamais courir le risque d’être identifiés. L’anonymat, une composante clé de la culture Internet, contribue à encourager la diffusion de messages haineux sur le réseau. Rien n’oblige les internautes à s’identifier de façon précise. On pourrait dire que les messages haineux diffusés dans le cadre de groupes de discussion ressemblent un peu à des appels ou des lettres anonymes, la principale différence était qu’ils peuvent être envoyés simultanément à des centaines, voire des milliers de personnes. Le courrier électronique, une technologie conçue essentiellement pour permettre à ses utilisateurs de communiquer les uns avec les autres, peut aussi servir à diffuser de la propagande antisémite. Certains extrémistes entreprenants maîtrisent parfaitement les techniques permettant d’envoyer des messages ou des documents à caractère haineux à des dizaines, des centaines et même des milliers de personnes sans devoir révéler leur identité.

Photos sur le site web du mouvement russe antisémite Pamyat. 1998.

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42 rue du Louvre 75001 Paris 01 45 08 08 08

Prix public 5 e


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