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Entretien avec Véronique Drouin, autrice
Par Pierre-Alexandre Bonin, responsable de la médiation et de la Sélection chez CJ
L’HORREUR JEUNESSE AU FÉMININ
Véronique Drouin est une autrice prolifique qui a exploré plusieurs styles littéraires. Mais on la connaît surtout pour ses romans d’horreur percutants, qui contribuent au renouveau de ce genre souvent mal-aimé. Pourquoi s’est-elle lancé dans cette voie créative, et quelle est sa perception de ce genre littéraire… encore boudé?
ENTRE FASCINATION ET TRAUMATISME
Quand on lui demande pourquoi elle écrit de l’horreur jeunesse, Véronique Drouin répond sans détour ; « J’ai toujours été fascinée par l’horreur. Mais j’étais l’enfant qui avait peur de tout. J’admirais tellement ceux qui étaient capables d’écouter des films d’horreur et n’avaient pas peur ou n’étaient pas traumatisés après. Pour moi, être capable d’encaisser l’horreur était une forme de pouvoir. » On n’est donc pas surpris·e d’apprendre qu’elle a fait ses premières armes en littérature d’horreur dès l’adolescence ! « Je consommais de l’horreur et je voulais moi aussi participer, explique-t-elle. C’était un exutoire pour toutes mes peurs, toutes mes angoisses. »
QUAND L’HORREUR VIENT DE SOI
L’autrice ne s’en cache pas, elle s’inspire de ses (fort nombreuses) peurs pour écrire ses romans. Par exemple, elle mentionne que « la perte du contrôle de soi est une de mes grandes peurs, et on la retrouve beaucoup dans La Guillotine. » À cette frousse s’ajoute celle de « la perte de contrôle tout court, quand tu es vraiment placé·e dans une situation où tu ne peux pas t’en sortir… » Pour illustrer son propos, elle parle de son roman Rivière-au-Cerf-Blanc, lauréat en 2020 du Prix jeunesse des libraires du Québec, dans la catégorie 12-17 ans. « Même dans une coursepoursuite, comme c’est le cas dans ce roman, on ne peut pas dire à un personnage de ne pas aller à tel endroit, parce qu’on ne sait pas plus que lui où il s’en va. Il fait juste tout ce qu’il peut pour s’en sortir, et on le suit, complètement impuissant. »
HORREUR AU FÉMININ, OU BIEN HORREUR FÉMININE?
Quand on lui demande si le fait d’être une autrice change quelque chose à la réception de ses romans d’horreur, Véronique Drouin est ambivalente : « Je ne le sais pas tant que ça, en fait ! Mais je me suis souvent posé la question. C’est quand même ce que j’ai fait qui se vend le mieux. Et c’est surtout pour ça que les gens me connaissent. » Elle ajoute se demander régulièrement si « l’horreur au féminin ne serait pas vue comme de l’horreur cute. Comme si, pour certains, il serait difficile de concevoir qu’une femme puisse écrire des choses horribles, ou bien que ça en fait quelqu’un d’horrible. Pour un homme, c’est plus accepté, qu’il puisse aller explorer ses sombres recoins. Ça, ça passe bien. » Véronique Drouin pousse sa réflexion en abordant la différence qu’elle observe entre l’horreur au féminin et celle au masculin. « Je dirais que les hommes vont souvent droit au but, dit-elle. En général, ils ne vont pas vraiment se soucier de ce qui se passe autour. Alors que pour l’horreur au féminin, on va dans l’intériorité, dans ce qui est plus près des femmes ; l’horreur au quotidien, je dirais. Les femmes versent plus dans la psychologie et dans une certaine subtilité. Évidemment, je généralise ! »
L’AMOUR DE L’HORREUR EST-IL GENRÉ?
Forte de ses expériences en salon du livre, Véronique Drouin avoue que les filles qui viennent la voir pour une dédicace sont marginales. Mais du même souffle, elle ajoute que « pour certains romans, il y a autant de gars que de filles, donc ça varie selon leurs intérêts. » L’autrice est bien placée pour constater que « ce n’est plus mal vu, pour une fille, de lire de l’horreur, contrairement à ce qui prévalait quand j’étais jeune. Maintenant, elles peuvent lire ce qu’elles veulent, comme les garçons. » L’autrice indique aussi signer des dédicaces à des duos mère-fille, « ce qui signifie qu’elles lisent la même chose toutes les deux. » C’est peut-être ce changement de mentalités qui pourrait en partie expliquer le fait qu’on retrouve davantage d’autrices qui s’aventurent dans l’horreur jeunesse.
DE LA CENSURE EN LITTÉRATURE JEUNESSE
Quand on lui demande si on peut tout dire quand on écrit de l’horreur jeunesse, Véronique Drouin est catégorique : « Je pense que la sexualité et la violence sexuelle sont vraiment les tabous qu’on ne peut pas aborder en horreur jeunesse. Évidemment, on n’a pas besoin de tout dire ou de tout montrer ! Je crois qu’il est possible de le faire, en douceur et en subtilité. Parce que si on n’en parle pas aux jeunes, ils vont quand même y être confrontés au cours de leur vie. Mais j’hésite, parce que je me doute que ça ne passera pas dans les écoles. » Ironiquement, l’autrice précise tout de suite après qu’elle n’a pas besoin de se censurer en matière de violence, même si elle se pose toujours la même question. « Je me demande si la scène violente que je suis en train d’écrire apporte quelque chose de vraiment pertinent à l’histoire, explique-t-elle. Mais parfois, ça fait des scènes fortes. Donc, vaut-il mieux la laisser tomber pour avoir un plus grand lectorat ? Ce sont des choix difficiles qu’il faut faire, parfois. Et c’est certain qu’en littérature jeunesse, on y réfléchit doublement. »
Voici cinq romans de Véronique Drouin qui vous garantiront des nuits blanches! Plongez-y à vos risques et périls!
LA GUILLOTINE
Québec Amérique
Quatre étudiant·e·s universitaires décident de squatter une maison à la réputation sordide pour écrire un article percutant pour le journal étudiant. Mais peu à peu, le lourd passé de la résidence remonte à la surface, et personne n’est en sécurité…
À partir de 16 ans
ESPRIT MENAÇANT
Héritage jeunesse
Les parents de Samuel adorent acheter de vieilles maisons pour les rénover. Leur nouveau projet: une énorme demeure victorienne. Mais une mystérieuse clause dans le testament des anciens propriétaires et d’étranges découvertes de la part de Samuel vont bouleverser les plans de la famille.
À partir de 9 ans
C.R.A.A.V. TOME 1 - THÉRAPIE DE CHOC
Les Malins
Marion doit passer l’été dans un centre insulaire spécialisé pour soigner son anxiété chronique. À la suite d’un orage brutal, elle découvre sur la plage une jeune fille naufragée inconsciente. Les phénomènes inexpliqués commencent alors à se multiplier sur l’île…
À partir de 13 ans
DÉTOX
Québec Amérique
Anaïs, une photographe professionnelle est invitée à prendre des photos publicitaires d’un nouveau tout-inclus dans le Sud. Dès son arrivée, Anaïs est mal à l’aise. Est-ce la présence d’un volcan tout près ou la partie en ruine du site qui lui fait cet effet? Ou est-ce quelque chose de bien pire encore?
À partir de 13 ans
RIVIÈRE-AU-CERF-BLANC
Québec Amérique
Estelle, une étudiante en histoire de l’art, espère qu’une expédition en pleine nature à Rivière-au-CerfBlanc pourra l’aider à réparer son couple. Mais d’étranges installations artistiques se multiplient au milieu de la forêt, et Estelle est troublée par leur côté morbide. Est-il déjà trop tard pour fuir?
À partir de 16 ans
À PROPOS DE VÉRONIQUE DROUIN
Véronique Drouin est née en 1974 à Montréal. Bachelière en design industriel, elle a d’abord été conceptrice de jouets avant de plonger dans l’écriture de romans. Artiste multidisciplinaire, elle réalise elle-même les illustrations de plusieurs de ses livres. Elle a notamment remporté le prix du Gouverneur Général, catégorie jeunesse – texte, en 2017, ainsi que le Prix des libraires, catégorie jeunesse, en 2020.