Lettre culture science 10 mars2014 ok

Page 1

la lettre

Culture Science

Antipolis une publication de l’Université Nice Sophia

10 N°10 - Mars 2014

unice.fr

Cédric Villani

virtuose ordinaire

Cédric Villani, lauréat de la médaille Fields en 2010, directeur de lʼInstitut Henri Poincaré est lʼauteur de « Théorème Vivant », un livre écrit pour découvrir au plus près le métier de la recherche mathématique. Il y raconte une vie où lʼordinaire se mêle à la virtuosité, où lʼinspiration est une quête permanente et non linéaire. Le travail intellectuel revêt ici des airs de sport de haut niveau. Le scientifique, de passage à Nice, a donné une conférence au Centre Universitaire Méditerranéen, le 19 février. Il est revenu sur ses intentions, sur la construction de ce « Théorème Vivant » et sur sa rencontre avec son public. Nous avons prolongé cette discussion avec lui. Selon vous, faire des mathématiques consistet-il à découvrir une sorte de code préexistant à la pensée humaine ? Ou au contraire, faut-il les considérer comme une invention, un langage, un outil conçu pour aborder les phénomènes physiques naturels ? C.V : Cette question revient presque à chaque fois dans mes conférences. Je la prends comme une manifestation de la façon dont notre époque se soucie de spiritualité et de religion ! Il s’agit bien d’une question de métaphysique, portant sur la nature profonde des choses, et dont la réponse appartient a chacun. Je suis pour ma part, comme je crois une majorité de mathématiciens, « platonicien » considérant les concepts mathématiques comme préexistants, avant même la nature du monde. Cette remarque n’aurait guère d’importance si elle n’entraînait pas un certain rapport avec la façon de chercher... Cependant, au-delà de la nature de la vérité mathématique, il est certain que le langage mathématique a été conçu pour (selon votre expression) aborder la Nature, la décrire, et la dompter. Il s’agit, comme d’ailleurs pour le langage parlé, qui nous est plus naturel, d’une technologie remarquablement efficace. Le livre

ne prend pas parti et se contente effectivement de parler de certaines applications, et de montrer les objets mathématiques sans les commenter --- comme un être vivant en gestation qui se developpe peu à peu de manière mystérieuse et dont on peut constater les évolutions sans vraiment les comprendre. Dans votre récit, mathématique et physique semblent inextricablement liées. Estce spécifique de certains domaines des mathématiques ? Ce décloisonnement des disciplines n’apparaît-il pas de façon tardive dans la formation ?

C.V : La mathématique et la physique font excellent ménage depuis le début. Cela concerne toutes les branches mathématiques (à l’exception peutêtre de la logique) : les équations aux dérivées partielles et processus stochastiques s’étudient par l’analyse, la géometrie et les probabilités. La physique fondamentale utilise de l’algèbre. Certaines questions fondamentales de théorie des nombres sont liées à des problèmes de mécanique quantique non moins fondamentaux. Et même la combinatoire est venue récemment s’inviter de manière spéctaculaire en physique. Le décloisonnement se découvre souvent au moment de la thèse, mais on peut le voir dès le lycée via certains projets interdisciplinaires.


Lorsqu’une personne excelle dans un domaine, son talent a tendance à paraître aussi naturel que la couleur de ses yeux. Les mathématiques vous ont-elles d’emblée semblé une activité « naturelle » ? Sinon, est-il plus approprié d’évoquer la passion et l’ambition pour un travail et une gymnastique intellectuels? C.V : D’aussi loin que je me souvienne, l’activité mathématique m’a toujours paru « naturelle ». Pour autant, j’ai dû, dès mes études supérieures, surmonter des difficultés qui me paraissaient considérables... Sans passion, ambition, goût de l’effort intellectuel, aucun salut ! Vous inventez des histoires pour vos enfants, dans le livre vous relatez parfois vos rêves. Vous « dévorez » les mangas. Cette gymnastique du voyage dans l’imaginaire et de la création est-elle nécessaire au bon travail mathématique ?

est autant le fait de Clement que le mien. À propos de votre nomination au sein du Conseil Stratégique de la Recherche, mis en place en décembre 2013 : Vous dirigez un prestigieux Institut de mathématiques. Êtesvous plutôt favorable à une recherche d’excellence, ciblée autour de pôles thématiques, bien définis géographiquement, ou plutôt engagé en faveur d’une diversité de la recherche, sur l’ensemble du territoire national ? C.V : Tout est dans la dose. « Le diable est dans les détails », pour reprendre l’expression d’usage. Trouver des endroits dits d’excellence, en tout cas spécialisés, où la matière grise se concentre sur tel ou tel problème a une importance en terme de force de frappe. Un chercheur isolé, avec un sujet sans intérêt pour son entourage professionnel, n’ira pas

Les Masters de lʼUNS

chaotique. La communication s’est avérée calamiteuse. Pourtant, le concept en lui-même n’était pas forcément mauvais. Le gouvernement a au moins fait quelque chose, et cela a représenté beaucoup d’argent injecté dans le système. Sans ce ballon d’oxygène, je n’aurais pas pu développer la moitié des actions que j’ai mises en place à l’Institut Henri Poincaré. Enfin, a posteriori, si on regarde la carte des labels d’excellence, rien de surprenant ne se dégage. Les sites lauréats se distinguaient avant même de répondre à l’appel à projets. L’approche aurait donc pu être différente, au moyen d’attributions plus directes, par exemple. Mais seul un gouvernement populaire peut se sentir capable d’une telle entreprise. Sans cela, la justification passe par le recours à un jury extérieur, avec tout ce que cela comporte de complications. Quoi qu’il en soit, globalement, de mon point de vue, il s’agit donc d’une belle opération. S’il s’agit aujourd’hui de la prolonger, pourquoi pas ?

Les MOOC (massive open online course) vous Département de mathématiques : Master Mathématiques et interactions, avec ses 2 semblent-ils une piste intéressante à intégrer spécialités : dans l’offre de formation universitaire et à dé- Mathématiques pures et appliquées (incluant la velopper ? préparation à lʼagrégation) - Ingénierie mathématique, avec ses trois parcours : C.V : Oui, je suis en train d’en préparer un • MSC (Modélisation, statistiques et calcul) • EFA (Economie, finances et actuariat) pour tout début 2015, plutôt d’un niveau li• SD (Sciences de la décision) cence ou master. J’ai aussi dans l’idée dans préparer un de niveau lycée, éventuellePolytech Nice-Sophia : ment accessible au grand public intéressé à Informatique et Mathématiques Appliquées à la se remettre au parfum. C’est un outil imporFinance et à lʼAssurance Mathématiques Appliquées aux Vous insistez énormément sur votre tant à essayer, d’abord quand on voit tout Télécommunications, lʼImage, la Commande et collaboration avec votre ancien étudiant, ce qui a été investi outre-atlantique dessus. les Signaux Clément Mouhot. Selon vous, les avancées L’enjeu est grand. Il s’agit de savoir si ça scientifiques sont-elles l’oeuvre de quelques va remettre en cause un paradigme fondachercheurs hors pairs ou, même si l’Histoire ne mental depuis des millénaires, qui est qu’il retient que peu de noms, sont-elles le fruit de bien loin. D’un autre côté, ne raisonner qu’en doit y avoir proximité physique du maître et de dialogues, d’influences réciproques ? ces termes, comme cela a été voulu il y a une l’élève. Toute la vie des universités est encore dizaine d’années, a été une erreur. Il faut de la conditionnée par ce principe. S’il est remis en C.V : Très clairement, et surtout à notre fertilisation croisée des idées. Nous avons égaquestion, nous assisterons à une vraie révoluépoque, les avancées scientifiques sont le fruit lement besoin de garder en réserve des sujets tion pédagogique. Il faut essayer. Aucun doute de dialogues et influences réciproques, même qui, un jour, vont resurgir. que cela va participer au rayonnement et que si le rôle de certains chercheurs « leaders » ou Il faut de la même manière conserver un équicela apportera des possibilités nouvelles. Pour visionnaires est fondamental. Si l’on s’amusait libre entre la recherche qui va résoudre des autant, c’est contraignant. Un Mooc, ce n’est à faire une comparaison avec le domaine miproblèmes et celle qui suit son propre cours, pas juste poster votre cours sur Internet. Il faut litaire : l’histoire retient les généraux, mais ce qui trouve sa justification en elle-même. une équipe de cinq à six personnes, un mois sont les soldats qui mènent le combat. Dans un Le terme d’excellence a pu être sur-employé à de tournage, plusieurs enregistrements, une cas comme dans l’autre, ni la dimension indil’occasion des réformes menées ces dernières trame narrative, un découpage en séquences viduelle, ni la dimension collective ne peuvent années, notamment au moment où sont appacourtes... parmi les inscrits, seulement 1% vaêtre niées. La comparaison ne peut guère être rus les Investissements d’Avenir. Je suis passé lide vraiment un Mooc. Mais en même temps, poussée beaucoup plus loin, car entre mathépar là, puisque j’ai porté un projet de labEx. Si une telle plate-forme permet de toucher jusqu’à maticiens il n’y a pas de hiérarchie. En mathéon se concentre trop sur ces choses, on passe 100 000 personnes! C’est fascinant. En édumatique, la majorité des articles sont mainà côté d’un écosystème viable. La stratégie cation, on ne sait jamais ce qui va marcher a tenant réalisés en collaboration, même si le d’ensemble était fortement inspirée du modèle priori. nombre de chercheurs impliqués est plus faible allemand. Or, le gouvernement d’Outre-Rhin qu’en physique, en biologie ou en chimie. En est plus ou moins revenu dessus. Surtout, Propos recueillis par Laurie CHIARA tout cas, le résultat final de notre collaboration le processus a été vraiment chronophage et C.V : Je ne saurais dire si la gymnastique du voyage dans l’imaginaire est nécessaire au bon travail mathématique, mais pour certains mathématiciens c’est à coup sur le cas ! Ensuite, chacun son style... Il ne faut pas oublier que le travail de recherche est hautement imaginatif, et que la transmission humaine se fait au mieux par les histoires...

Du 17 au 22 mars, suivez la semaine des mathémathiques : http://eduscol.education.fr/ cid59178/semaine-des-mathematiques.html


Conférence grand public

Sports, plaisirs et addictions La manifestation nationale de la Semaine du Cerveau sʼest déclinée sur la Côte dʼAzur du 10 au 14 mars. Retour sur la conférence inaugurale organisée au Centre Universitaire Méditerranéen à Nice et sur un des cafés des sciences programmés à la Médiathèque de Valbonne-Sophia Antipolis. Existe-t-il des êtres programmés pour gagner ? Face aux performances hors normes d’une poignée de sportifs abonnés à l’or, la question trouve une certaine légitimité. S’agit-il, alors, d’une affaire de gènes, de mental, d’entraînement « parfait »? Le Professeur Hubert Ripoll, psychologue du sport à l’Université d’Aix-Marseille (1), a réalisé au fil des ans des entretiens avec plusieurs de ces « intouchables ». Invité à inaugurer l’édition 2014 de la Semaine du Cerveau sur la Côte d’Azur, il a fait état de ses conclusions, publiées dès 2008 dans un ouvrage intitulé « Le mental des Champions » (2). Dans la vie d’un sportif, beaucoup de choses se « programment », convient le chercheur. Mais, pas question, selon lui, d’entrer des formules toutes faites dans la tête d’un athlète. « Gagner, c’est utiliser des processus au maximum, savoir traiter bien plus d’informations qu’à la « normale », s’adapter à des situations de fortes contraintes biologiques et environnementales. C’est, enfin, résoudre un triple problème de vitesse, d’exactitude et de précision », résume Hubert Ripoll. Pour le scientifique, le champion se trouve ainsi amené à « bricoler son système nerveux central ». Le professeur de psychologie prend l’exemple du joueur de tennis. Pour pouvoir suivre la balle jusque dans le tamis de sa raquette, le sportif déplace la tête et l’oeil, adopte un mode de fixation par saccades. Or, ce processus ne s’enseigne pas. L’organisme sélectionne lui-même «des stratégies performantes». Pour compenser ce « bricolage », gourmand en concentration donc en énergie, les athlètes développent

également des routines, autrement dit des adaptations fonctionnant cette fois à bas niveau attentionnel. « Au final, des potentialités du système nerveux voient le jour alors qu’elles n’existaient pas au départ », souligne Hubert Ripoll. Or, selon des études italiennes, ces capacités nouvelles se généraliseraient. Par la suite, elles se trouveraient en effet employées dans des contextes divers. En l’absence d’études sur les retraités du sport, néanmoins, difficile de dire si cette « métamorphose » durerait à vie. « À mon avis, oui. Mais, disons qu’elle persiste au moins cinq années », avance le neuropsychologue. Enfin, le stress, redouté et pourtant nécessaire, tient un rôle pivot dans la carrière des champions. « Il faut endurer pour durer et pour gagner », scande le scientifique. La tension ressentie à l’occasion de Ex-patineuse de haut niveau, puis entraineuse, grandes compétitions permettrait même, dans le meilleur des cas, Stéphanie Mériaux se consacre désormais à la recherche. En poste d’engendrer une fascinante réponse de l’organisme. « Pour gérer au LAMHESS (Laboratoire Motricité Humaine Éducation Sport Santé une situation de crise, le champion va parvenir à réguler son état de l’Université Nice Sophia Antipolis), elle travaille sur la prévention de conscience », révèle Hubert Ripoll. Survient alors « l’état de vis à vis des déviances alimentaires chez les sportifs. Lors du café grâce, autrement appelé « le flow » ou « la zone » », poursuitdes sciences organisé le 13 mars, elle a présenté ses travaux à un il. Cet état, éléctrophysiologiquement proche de la méditation, petit public de médecins, doctorants et habitués des lieux. Pour elle, procure à l’athlète la sensation d’une action déroulée au il s’agit, dans les disciplines «à risque» (celles avec des exigences morphologiques, à catégories de poids, d’endurance), de détecter au ralenti, comme à l’extérieur de soi, en pleine lucidité. Le plus vite des «désordres», comme l’anorexie. Avec comme champs public n’en saura pas davantage sur le mécanisme de d’investigation le psycho-social, sa recherche repose sur l’élaboration déclenchement de ce phénomène. Toutefois, après une de questionnaires, l’observation ou encore l’entretien. Elle sait, par première fois, le mécanisme laisse une trace dans le exemple, que les athlètes se sentant très compétents dans leur discipline cerveau et pourra s’amorcer encore, si les bons signaux s’autoriseront davantage de violences sur le plan nutritionnel. La facilité d’activation se manifestent. à avoir des relations sociales, l’estime de soi, la motivation à réaliser « Malheureusement, d’autres fois, la régulation de l’état de une performance jouent aussi leur rôle dans la tentation d’adopter des conscience échoue et c’est la panne, la défaite », souligne régimes drastiques. Mais c’est bien souvent la stratégie alimentaire le neuropsychologue. Ce dernier étend désormais ses adoptée, notamment pour tromper au plus vite son cerveau avec le sentiment de satiété, qui trahit un sportif vis à vis de son entourage. recherches aux « autres » virtuoses, musiciens et prix Stéphanie Mériaux a ainsi contribué à l’élaboration d’un restaurant Nobel.

Un appétit de champion

self-service virtuel, où les athlètes peuvent reporter leurs habitudes tout au long de la saison sportive. En sensibilisant le «staff» des athlètes à ces troubles, les scientifiques espèrent à terme éviter aux sportifs les carrences, la fatigue et en conséquence l’altération de leurs performances...

(1) Laboratoire des Sciences de l’Information et des Systèmes (Equipe SimGraph) (2) http://mentaldeschampions.blogspot.fr/


Sciences publiques

Médecine de prédiction, médecine de prévention : quelle place pour lʼéthique ? Le 4e printemps éthique azuréen a eu lieu le 14 mars à Valrose. La journée, dédiée aux questions associées à la médecine de prédiction, a réuni philosophes, médecins et généticiens. Extrait des débats de la matinée.

Allez plus loin Le 21 mars journée de la trisomie http://www.un.org/fr/ events/downsyndromeday/

L’AGENDA : Rencontres Optitec Métrologie et Instrumentation optique Du 25 au 27 mars http://www.pole-optitec.com/fr/ parcours-photonique

L’homme face au changement climatique L’IMREDD organise une conférence dans le cadre de la semaine du Développement Durable, qui aura lieu du 1er au 7 avril. http://unice.fr/universite/imredd/ evenements/1er-cycle-deconferences-de-limredd

Appel à participation ! Le service culture sciences convie chercheurs et étudiants intéressés à une réunion de préparation de la Fête de la Science, le 31 mars à 12h30, salle du Belvédère à Valrose

Le vendredi 13 et les jours de super cagnotte, les gens apprécient la loterie, l’idée que « ça puisse tomber sur eux ». Mais, dès qu’il s’agit de nos gènes, ces petites séquences d’information réparties sur nos chromosomes, l’idée d’avoir hérité d’une « tare » au hasard de notre conception devient insupportable. Or, au mois d’avril 2003, les scientifiques ont annoncé disposer enfin de la liste complète des gènes humains. Les chercheurs ont alors commencé à ficher des anomalies associées à des pathologies. Depuis, la tentation de savoir, d’agir sur le futur, croît. Ainsi, face à de nouveaux consommateurs, les offres de dépistage, économiquement rentables, fleurissent en ligne… Pourtant, la science ne délivre en réalité à ce jour qu’une poignée de pourcentages, souvent plus embarrassants qu’utiles. « Elle donne des « risques » de 1 à x%, en aucun cas des certitudes. La génétique nous projette bien souvent dans un niveau de réalité anxiogène », souligne la philosophe et psychiatre Anne FagotLargeault. Et cette peur viscérale de tirer la mauvaise pioche débute désormais à la conception. « Les futurs parents revendiquent de pouvoir cartographier leur génome afin d’évaluer les risques de transmissions d’anomalies », remarque la conférencière. «Demain, ils pourront préférer s’orienter vers la fécondation in vitro pour bénéficier du diagnostic pré implantatoire (DPI). Il ne voudront l’implantation que d’un embryon de « qualité contrôlée » », estime encore Anne Fagot-Largeault. Cependant, cette idée ne seraitelle pas inhérente à l’avancée des connaissances en biologie? Comme le rappelle l’intervenante, déjà, à la fin des années 70, dans son « éthique pour l’âge technologique », le philosophe allemand Hans Jonas prodiguait : « si tu peux - savoir, prévoir - alors tu dois ». Voilà une éthique formelle. Elle dispense une méthode, sans donner d’ordre. « Jonas nous condamne peut-être à choisir un peu plus qu’on ne le voudrait », souligne la psychiatre et philosophe. Sinon, où s’arrêter? Fautil ne pas s’abstenir de prendre des risques évitables? « La recherche biomédicale assène des responsabilités anxiogènes, culpabilisantes. Elle crée une volonté de tout contrôler, jusqu’à frôler le délire de toute puissance », résume Anne Fagot-Largeault. Et d’ajouter : « Attention à ce qu’une éthique de la responsabilité devant notre descendance ne se transforme pas en une éthique de la peur ». Par ailleurs, le généticien Patrick Gaudray rappelle que derrière la possibilité d’un dépistage, il y a la tentation de l’eugénisme, l’idéal de l’invincible.

« D’un autre côté, comment faire comme si la technique n’existait pas? », interroge-t-il? Car, légaux ou pas, des gens auront forcément recours aux moyens mis à leur disposition. Faudrait-il, alors, n’autoriser qu’une lecture sélective de l’ADN, dans un cadre médical précis? « Sinon, faut-il envisager une communication sélective aux patients? », questionne Patrick Gaudray. Disposant lui-même, depuis son plus jeune âge, de la carte de son génome, il a choisi de ne pas en tenir compte. Mais, si demain, une probabilité se confirmait, le corps médical pourrait-il lui reprocher de ne pas avoir suivi une hygiène de vie plus préventive? Enfin, « la question du dépistage peut-elle se traiter sans s’interroger sur ce qu’est la « normalité »? », soulève le généticien. « Il ne faudrait pas stigmatiser davantage le handicap », estime-t-il. Un point de vue que partage le gynécologue-obstétricien Israël Nisand. Pour ainsi dire « condamné », à la demande des couples, à pratiquer des interruptions médicales de grossesse en cas de test positif pour la trisomie 21, il reçoit parfois des requêtes similaires pour bien moins. « Un doigt manquant », raconte-t-il. Pour lui, la question est également de trouver comment protéger aussi le foetus, de la crainte des parents. Dans cette perspective, il s’affiche favorable au Dépistage Prénatal Non-Invasif, pratiqué sur le sang de la mère et fiable à 99%. C’est 15% de plus que le test utilisé actuellement en France, éventuellement complété par un prélèvement foetal risqué (l’amniocentèse). Pour autant, le gynécologue-obstétricien ne dresse pas l’apologie du dépistage prénatal. « Un tel acte ne présente pas d’innocuité. Formuler un désir de mort avant la naissance laisse des traces », considère Israël Nisand. « Avec la trisomie 21, nous trions clairement les enfants à naître, mais nous considérons cela comme acceptable, car cela répond au désir des parents d’avoir un enfant en bonne santé », conclut-il.

La lettre

Culture Science

contact : culture-sciences@unice.fr Membre du réseau


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.