Lettre Culture Science N°32

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JAN 2017

La Lettre

Culture

32 Sciences

LES AGENTS ÉCONOMIQUES, PLUTÔT « QUANTIQUES » OU « RATIONNELS » ?

Les sondages témoignent quasi quotidiennement de la difficulté qu’il y a à prévoir le choix des individus face à une situation particulière. Cela entretient le suspens à la sortie des isoloirs, mais assure également de belles suées sur les places boursières. Ainsi, une des préoccupations constantes en économie consiste à améliorer les modèles utilisés pour décrire les décisions des « agents économiques », dont nous sommes tous des spécimens en puissance. Déjà, au 17e siècle, Leibniz cherchait une « lingua characteristica universalis », c’est-à-dire un système de signes idéographiques, en contact direct avec les idées à exprimer, dans laquelle le raisonnement humain

pourrait être traduit sous la forme d’un calcul. Actuellement, le modèle mathématique majoritaire employé à cette fin repose sur les probabilités classiques. Il décrit les choix pris par les agents si ceux-ci se montrent rationnels, c’est-à-dire, dans ce contexte, « logiques ». En résumé, le cerveau de l’homo oeconomicus est censé calculer en toutes circonstances la solution « optimale », autrement dit celle lui profitant objectivement le mieux. Or, de ce point de vue, des études en psychologie cognitive et en économie comportementale montrent des « déviances » vis à vis des choix attendus. Par exemple, « Les sujets ont tendance à commettre des erreurs de conjonction », explique Eric Guerci,

Maître de Conférences en Economie à l’Université Nice Sophia Antipolis. Un exemple paradigmatique survient lorsqu’un individu juge la conjonction de deux événements plus probable que la survenue d’un seul des deux, alors que les règles de probabilités classiques attribuent à la conjonction de deux événements une probabilité moins grande qu’à chacun de ces événements pris isolément. Ce cas s’illustre très bien dans une célèbre expérience, conçue et réalisée d’abord au début des années 80 par le futur « prix Nobel en économie » le psychologue Daniel Kahneman. Les expérimentateurs présentent à des


« agents » un personnage féminin fictif, auquel ils associent quelques éléments de biographie. « Linda est célibataire, franche, et très brillante. Elle est diplômée en philosophie. Lorsqu’elle était étudiante, elle se sentait très concernée par les questions de discrimination et de justice sociale et avait aussi participé à des manifestations anti-nucléaires », illustre le chercheur, spécialiste d’économie comportementale. Sachant cela, les sujets doivent choisir, parmi deux assertions, la plus vraisemblable. À savoir, Linda est-elle devenue employée de banque ou bien employée de banque et féministe ? Comme on l’a dit, dans les modèles classiques, la probabilité de la conjonction est nécessairement inférieure. Or, dans les laboratoires d’économie comportementale ou de psychologie expérimentale, les sujets interrogés choisissent majoritairement la seconde proposition… En prenant cette option, les individus ont davantage de risque de « perdre » puisque l’assertion « employée de banque et féministe » appartient à l’ensemble plus large « employée de banque ». Ici, la motivation des « joueurs » n’est donc pas « logique ». En revanche, certaines décisions observées pouvant faire penser à des phénomènes décrits en physique quantique, la tentation a été forte d’attribuer une « pensée quantique » aux agents économiques. « Il ne s’agit pas de dire que c’est ce qui se passe physiologiquement dans le cerveau, d’attribuer aux neurones des propriétés de fonctionnement quantiques, mais de s’inspirer de certains concepts mathematiques pour mieux décrire des comportements », souligne Eric Guerci. Comme la psychanalyse, avec la notion d’inconscient, a inspiré le mouvement surréaliste au début du 20e siècle, aujourd’hui l’économie et la psychologie trouvent récemment une source d’inspiration dans la physique quantique en particulier dans les théories de probabilités quantiques.

« Pourquoi ne pas étendre la quantique à la prise de décision » En l’occurrence, le psychologue Jerome Busemeyer, de l’Université de l’Indiana, parmi les premiers dans sa discipline, s’est intéressé aux concepts de superposition d’états, d’interférence, d’intrication ou encore d’oscillation. La superposition d’états, notamment, conçoit la co-existence de deux réalités jusqu’à ce qu’un instrument de mesure (un capteur en physique, le fait de poser une question en économie ou en psychologie) « oblige » un objet (un photon de lumière, une pensée) à se figer dans un seul des états possibles. « Nous avons déjà étendu la quantique à l’information. Nous sommes capables de faire de la cryptographie quantique, d’estimer des erreurs sur des bits d’information, de quantifier l’aléa. Donc, pourquoi ne pas étendre la quantique à la prise de décision », acquiesce Sébastien Tanzilli, Directeur de Recherche CNRS au Laboratoire de Physique de la Matière Condensée et animateur de l’équipe « Information

Quantique avec la Lumière et la Matière ». Le physicien précise à ce titre que la théorie quantique dépasse largement l’univers des électrons et des atomes. « Elle décrit le monde des objets dotés de ce qu’on appelle de très petites quantités d’action », explique-t-il. L’action caractérise la dynamique du mouvement d’un système physique. Sa dimension correspond au produit de l’énergie par le temps. « Chaque système, du photon jusqu’à l’humain, se voit affecter une quantité d’action, dont la plus petite unité connue est la constante de Planck (1). Dans notre cas, elle est simplement bien trop grande pour nous permettre d’explorer deux espaces simultanément autrement que par la pensée », poursuit le spécialiste. L’enthousiasme pluri-disciplinaire suscité par l’idée d’une pensée quantique ne semble donc pas sans fondements. Néanmoins, à ce jour, les travaux menés par Eric Guerci tendent à indiquer que les modèles les plus simples élaborés à partir des mathématiques quantiques semblent échouer, comme avec les probabilités, à décrire les comportements observés sur le terrain. « Nos travaux, menés sur près de 400 personnes et reprenant l’expérience de Linda, ont montré qu’il y avait des problèmes dans les cas dits « non dégénérés », où les choix possibles se résument à deux dimensions (répondre « oui » ou « non ») », révèle l’économiste. « Ou les mathématiques de la quantique échouent à expliquer les comportements des agents, ou il faut avoir recours à des solutions toujours issues de la quantique, mais beaucoup plus complexes », simplifie-t-il. « Ces hypothèses demeurent intéressantes, et j’ai envie de continuer à les développer », précise Eric Guerci. La plateforme « CoCoLab », financée à moitié par la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et à moitié par l’IDEX UCA JEDI devrait justement permettre de mener de nouvelles investigations sur de nombreux domaines. « Nous allons équiper des salles, mais également nous doter de capteurs, afin de mesurer les réponses physiologiques et éléctrodermales des sujets, d’enregistrer les mouvements oculaires, de détecter des signes d’expression faciale caractéristiques d’une émotion, etc. Les réponses ne se limiteront donc plus seulement au mode déclaratif et nous pourrons mesurer avec une grande fiabilité les « déviations » par rapport à la rationalité, dans des contextes de prise de décision », se réjouit le chercheur.

« On peut toujours se demander si on pense avec les neurones. Ils pourraient tout aussi bien être là pour mesurer la pensée » Si la piste quantique venait cette fois à se confirmer, se poserait alors la question de savoir si le cerveau, et en particulier les neurones, ont également un fonctionnement quantique, ou si les différents

niveaux d’organisation de la pensée peuvent obéir à des lois distinctes. Les mathématiques quantiques, au moins dans un cas de figure, semblent présager du contraire. « Des algorithmes quantiques ont été élaborés pour résoudre des problèmes complexes en un temps plus courts que leurs analogues classiques. Il s’agira par exemple de trouver une entrée (un numéro de téléphone) dans une base de données non triée (l’ensemble des numéros dans un annuaire). Or, ces algorithmes ne peuvent tourner que sur des ordinateurs quantiques, car le langage employé doit correspondre », développe Sébastien Tanzilli. Qu’en est-il donc de la pensée ? Pourrait-elle « tourner » sur un support n’utilisant pas le même langage ? Cette question pourrait même amener les chercheurs à se questionner sur « ce qui pense » dans notre cerveau et notamment sur le rôle des neurones dans le processus de pensée. « On peut toujours se demander si on pense avec les neurones. Ils pourraient tout aussi bien être là pour mesurer la pensée, autrement dit pour la figer sur une réponse, de la même façon qu’un capteur mesure l’état d’une particule élémentaire dans un laboratoire ? », s’interroge-t-il. « Il n’y a pas plus de connaissance dans le cerveau que de mélodie dans un piano. Dans les deux cas, il faut rejouer... Appuyer sur les touches du piano dans un cas, simuler mentalement l’adaptation gestuelle à une situation dans l’autre. L’auteur de la simulation mentale n’est évidemment pas dans le cerveau : il s’agit du sujet biologique, celui de chair et de sang, dont le cerveau a la capacité de s’autoanimer », estime pour sa part Gérard Olivier, chercheur en psychologie au Laboratoire Interdisciplinaire Récits Cultures Et Sociétés (LIRCES) et spécialiste de l’énaction. « L’idée centrale de l’énaction est celle « d’autognosie cinétique ». Par convention, on considère qu’il y a autognosie cinétique à partir du moment où la répétition présente d’un mouvement est guidée par la trace ( le marquage synaptique ) de ses répétitions passées », développe le neuropsychologue. « Autrement dit, et il peut sembler trivial de le rappeler, les éléments du passé qui constituent la mémoire, ne sont pas à rechercher dans l’espace, aussi cérébral soit-il, mais dans le temps… », poursuit-il. Selon Gérard Olivier, quel que soit le modèle qui sera employé en économie pour décrire les choix des agents, celui-ci devrait tenir compte de ce nouveau paradigme de la psychologie cognitive. Peut-être ces questions seront-elles bientôt débattues. L’édition 2018 de la conférence internationale QI (Quantum Interaction), réunissant des spécialistes de plusieurs disciplines en lien avec la théorie quantique, devrait alors se dérouler à Nice. Laurie CHIARA

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J.s


ED-TECHS : EN ROUTE VERS L’E-EDUCATION POUR TOUS Comment co-construire dans le même temps le contenu pédagogique et les outils numériques selon un cercle vertueux ? Barack Obama lançait à ses jeunes citoyens, courant 2014 : « Ne vous contentez pas de jouer avec votre téléphone, programmez-le ! ». Cette injonction, loin d’être unique dans son mandat, traduisait la préoccupation de l’ex-président américain de voir les adolescents s’approprier les savoir-faire d’une économie en construction. Désormais, l’introduction du numérique dans les salles de classe semble faire l’unanimité planétaire. Mais doit-elle constituer une discipline à part entière, centrée par exemple sur le code, ou bien a-t-elle vocation à modifier profondément la pédagogie, sans distinction disciplinaire ? Certains, Mark Zuckerberg en tête, promeuvent l’élaboration d’algorithmes pour un enseignement personnalisé sur interface numérique. D’autres soutiennent l’usage de « jeux sérieux » pour redonner le goût d’apprendre aux jeunes. Le 1er décembre, Inria organisait dans ses locaux sophipolitains une journée « Ed-Techs » pour débattre de ces questions. Représentants du Rectorat, chercheurs, enseignants et développeurs ont partagé leurs attentes et leurs expériences, sous l’oeil attentif du grand public. Pour avoir expérimenté chacun un « serious game » conçu en lien avec leur matière, trois professeurs de collège confient leurs sentiments. Il a d’abord fallu faire face aux préjugés louant, notamment, les vertus de l’ennui, ce « mal nécessaire ». « De mon point de vue, jouer c’est élaborer des stratégies pour atteindre un objectif. Il ne s’agit donc pas d’un écart par rapport au travail », assure Philippe Cosentino, professeur en SVT. « En revanche, le jeu n’appartient pas qu’au monde numérique. Il y a encore des élèves pour qui les mathématiques sont un jeu en soit », souligne son voisin. En tous les cas, peu importe la méthode adoptée, l’attention des jeunes semble directement liée au « flow ». Le terme renvoie à un procédé de narration visant à maintenir sans relâche la tension entre l’interface

et l’usager. « Le flow garantit d’atteindre un état d’immersion, donc d’apprentissage, optimal », poursuit Philippe Cosentino. Vient alors la question des réseaux sociaux. Car au-delà du jeu, les jeunes vivent bien souvent un smartphone à la main et communiquent entre eux via diverses plateformes sociales.

Vers un apprentissage individualisé ? Pour les séduire, faut-il alors introduire également cette dimension dans l’apprentissage ? Autre interrogation, à partir d’un certain niveau de complexité des contenus, comment « ludifier » ? Certaines questions demeureront ouvertes et inspireront vraisemblablement de prochaines expérimentations « in situ ». Cependant, des écueils paraissent difficilement surmontables. « Les « dys » (1) ,ne s’en sortent pas avec une souris ou avec une tablette. D’autres, ne sont tous simplement pas familiers de l’interface. Ce ne sont pas des « gamers » dans la vie privée. Face à ces singularités, devons-nous procéder par groupes de travail ? », questionne un professeur. Dans la lignée de l’apprentissage individualisé (adaptative learning) promu par Mark Zuckerberg, la société Educlever, membre de la French Tech Côte d’Azur, développe des logiciels d’accompagnement scolaire centrés sur l’objectif de la personne connectée. Lorsque l’élève réalise un exercice en ligne, le logiciel analyse ses « traces » cognitives et de compétences. La machine se trouve alors en mesure de dresser une « cartographie des savoirs » propre à chaque individu. Le programme, conçu en partenariat avec des chercheurs (2) repère ainsi en particulier des difficultés bien ciblées dans la réalisation de certaines opérations. De ce point de vue, le logiciel « cartographie des savoirs », développé

par Educlever, se présente comme une alternative au contrôle de connaissances et aux processus classiques d’évaluation, nécessitant notamment la correction de copies. Le site de la société se targue en conséquence de proposer un outil grâce auquel l’enseignant mobilise ses ressources sur la « remédiation personnalisée ». Pour l’université algérienne Badji Mokhtar d’Annaba, individualiser signifie également proposer des ressources d’apprentissage adaptées à la personne. L’établissement s’est en effet engagé à mettre en place une plateforme sur laquelle les utilisateurs disposent d’un environnement singulier, avec par exemple des recommandations de livres ou une mise en réseau avec des paires de « profil » proche. Ces dispositifs, si divers soient-ils, soulèvent néanmoins unanimement la question de la sécurité des données. Nataliia Bielova, chercheuse dans l’équipe INDES d’Inria, rappelle qu’à chaque connexion, un utilisateur laisse des données sur la toile. Ceci est valable évidemment pour les Google Apps For Education (GAFE) mais pas seulement. « Les clauses de confidentialité garantissent la non utilisation de ces informations pour la publicité. Cependant, rien n’est dit des autres usages possibles… », souligne la chercheuse, qui en appelle à la vigilance. Pour finir, en dépit de son enthousiasme non dissimulé pour les « Ed-Techs », Philippe Cosentino estime « qu’en tous les cas, le numérique ne doit pas se substituer au réel chaque fois qu’on a la possibilité d’expérimenter « en vrai » ». Laurie CHIARA

(1) terme employé pour désigner divers troubles de l’apprentissage tels la dyscalculie, la dysorthographie, la dyslexie etc. (2) http://www.cartodessavoirs.fr/index.php?option=com_ content&view=article&id=46&Itemid=543&lang=fr


GET UP, STAND UP ! LA DÉCADENCE D’UN ORGANISME PROGRAMMÉ POUR BOUGER

Le LAMHESS a invité le professeur François Carré, cardiologue rennais et chercheur à l’Inserm, à discuter des vertus thérapeutiques du sport, le 15 décembre à l’auditorium Nucéra.

Fâché contre les mauvaises habitudes, le Professeur François Carré arpente nerveusement la scène de l’auditorium. Le cardiologue rennais, chercheur à l’Inserm, déclare la guerre à l’inactivité physique et à la sédentarité. Selon lui, ces deux fléaux des temps modernes font au moins autant de dégâts sur la santé que le tabac. Le médecin s’agace devant ce qu’il présente comme une dangereuse aberration dans l’histoire de l’évolution : « Mes détracteurs me disent que nous n’avons jamais vécu aussi vieux. Or, cela est-il certain? Nos parents, nos grand-parents, oui, mais nous, qu’en saurionsnous ? ». Car en moins d’un siècle, nos habitudes ont considérablement changé. « Nous marchons quotidiennement 1 à 2 kilomètres en moyenne, là où nos ancêtres en avalaient 8 à 10 fois plus ». Nos gènes, en revanche, sont toujours les mêmes que ceux des chasseurs-cueilleurs du Paléolithique. « Nous somme programmés pour bouger », assure François Carré. Le cardiologue défend ainsi les vertus médicamenteuses du sport. Se

dépenser favorise le rétablissement, optimise les fonctions physiologiques de l’organisme, se montre efficace contre le vieillissement et l’obésité. Mais par « sport », le conférencier n’entend pas nécessairement une activité intensive. « L’inactivité, c’est moins de 30 minutes quotidiennes, continues ou fractionnées, de marche soutenue. L’activité physique c’est donc tout ce qui dépense plus d’énergie que de rester dans un fauteuil », résume le spécialiste. Bonne nouvelle, cela inclut le ménage et les trajets piétons pour aller travailler. La sédentarité, elle, concerne les personnes assises plus de sept heures par jour et suivant des périodes ininterrompues de 2 à 3 heures. Là où François Carré s’arrache les cheveux, c’est que selon lui, « se lever régulièrement 2 ou 3 minutes suffit à lutter contre l’explosion des « e-phlébites et des e-embolies pulmonaires ». Termes bricolés en référence au travail sur écran et à la consommation excessive en médias

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audiovisuels… « La démocratisation de la voiture personnelle et du poste de télévision se font conjointement avec une explosion du nombre d’obèses dans les sociétés dites modernes », souligne le conférencier, graphique à l’appui. Pour lui, la graisse, parce qu’elle entoure les organes, reste l’ennemi numéro un : pêle-mêle, elle rend l’organisme résistant à l’insuline, augmente la pression artérielle, les réactions inflammatoires, le cholestérol, favorise les états pro-thrombotiques, altère l’ouverture des vaisseaux sanguins. « Plus vous êtes assis, plus vous risquez de développer un cancer », résume François Carré. Et une séance de sport occasionnelle ne suffit pas à éliminer le risque… « Il faut éloigner les poubelles des chaises, téléphoner debout, se déplacer à pieds chaque fois que possible », assène le cardiologue. Car le muscle, quand il est actif, est un brûleur de calories, mais il libère également une centaine de substances agissant sur les organes, les vaisseaux, ou encore les os…

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Médaillés Université Côte d’Azur

Université Côte d’Azur a rendu hommage à ses médaillés 2016 le 16 décembre dernier. Les chercheurs, étudiants, doctorants, post-doctorants et artistes mis à l’honneur le temps de cette soirée ont tous reçu une distinction au cours des derniers mois. Une partie des lauréats revient dans ce cahier spécial sur le travail ainsi salué.

Vous travaillez sur la conception et sur la synthèse de molécules bioactives. Qu’est-ce qu’une molécule bioactive ? Une molécule bioactive est une molécule qui a une certaine activité biologique contre une maladie (anti-cancéreuse, anti-virale, anti-parasitaire ...), pour être plus précis on parle d’une activité contre une enzyme, protéine ... (qualifiée de cible) responsable de la maladie.

Pourquoi ce type de molécule présente-t-il une alternative intéressante aux chimiothérapies classiques ?

Rachid Benhida, Directeur de recherche CNRS de l’Institut de Chimie de Nice (ICN) a été élu à l’Académie Nationale de Pharmacie.

Il y’a plusieurs molécules bioactives (médicaments) sur le marché qui ont leur avantages et leur inconvénients (toxicité, tolérance, résistance ... c’est le cas des chimiothérapies anticancéreuses). Dans l’équipe que je dirige on s’intéresse à la concep-

tion de molécules pour contourner ces problèmes et plus particulièrement les résistances aux médicaments dans certains cancers (mélanome, leucémies par exemple). Ces résistances sont un problème majeur dans la plus part des maladies, vous avez certainement entendu parler des résistances aux antibiotiques .. Il faut noter que, dès les premiers traitements, certains patients ne répondent pas du tout à ces médicaments, et plusieurs répondeurs vont devenir résistants après quelques mois. Notre travail, en collaboration avec les biologistes et les cliniciens, est de de comprendre et d’identifier l’origine de ces résistances pour les contourner, en ciblant spécifiquement les protéines qui en sont responsables. Notre objectif est de pousser au maximum le rapport bénéfice/risque pour les patients. Ces molécules doivent donc être plus efficaces, moins toxique et n’induisent pas de résistance.


nous permet de simuler l’orchestre. L’ordinateur suit le tempo du chef d’orchestre. C’est un système très sophistiqué, basé sur un logiciel qui a la particularité d’évoluer dans le temps et donc de s’adapter aux changements de tempo. Grâce à cela, les chanteurs ont pu se mettre en condition tout de suite. Néanmoins, cela doit être dit, il est hors de question de remplacer l’orchestre par du numérique. La vraie musique se fait avec de l’humain.

Cette expérience aura-t-elle une suite ?

François Paris, directeur du CIRM (Centre National de Création Musicale). L’association professionnelle de la critique lui a décerné le prix de la meilleure création musicale pour l’opéra Maria Republica. Cet ouvrage lyrique, écrit dans un tempérament différent du style classique, bouscule les codes. François Paris nous explique pourquoi. Qu’est-ce qu’un tempérament en opéra ? On peut comparer ça à la façon dont on accorde un instrument. On peut aussi imaginer un piano plus grand ou plus rétréci que la normale. Changer de tempérament nous amène à travailler sur des

intervalles inférieurs au demi-ton, qui est le plus petit intervalle possible sur un piano. Dans Maria Republica, il y a 4 tempéraments. Dans la musique occidentale, on en trouve généralement un seul. On peut voir ça comme un changement de plan au cinéma, ou comme une anamorphose. On change les proportions, c’est comme une respiration, comme ouvrir ou rétrécir un espace. Ce que nous avons réalisé était une première pour un opéra.

Qu’avez-vous bousculé d’autre vis à vis des traditions ? Nous avons aussi bousculé la manière de travailler en répétitions, pendant les six à sept semaines où, pour des raisons économiques, l’orchestre n’est pas encore là. D’ordinaire, on réduit alors l’orchestre au piano. Mais nous avons voulu réinventer le « bureau du compositeur ». Nous avons développé un nouveau programme, issu de la recherche menée au sein d’UCA, et qui

sur les maladies mentales. Ses travaux concernent la prédiction de l’efficacité médicamenteuse dans la prise en charge de la schizophrénie.

Nicolas Glaichenhaus, Professeur des universités, chercheur à l’Institut de Pharmacologie Moléculaire et Cellulaire, a reçu le prix Marcel Dassault pour la recherche

Il développe un programme de recherche interdisciplinaire destiné à mettre au point une thérapie personnalisée pour les patients schizophrènes. Cette maladie, comme l’autisme et d’autres pathologies psychiatriques, semble se développer davantage sur des terrains immunitaires « favorables ». Afin de fournir la preuve de concept de son projet, l’équipe menée par Nicolas Glaichenhaus a dressé dans un premier temps des « profils » immunologiques de patients. Au moyen d’une simple prise de sang, les chercheurs ont pu quantifier chez un panel de patients la présence de dizaines de molécules de l’inflammation, des cytokines, sécrétées naturellement par les cellules immunitaires en réponse à une agression. D’un organisme à l’autre, selon par exemple qu’il y a

Avec Maria Republica, nous avons validé des intuitions et maintenant nous pouvons aller plus loin. Notre appartenance à UCA va nous permettre de lier le « bureau du compositeur » à d’autres projets de recherche. En nous associant à VADER, par exemple (Center for VirtuAl moDelling of rEspiRation), nous allons essayer de capter la respiration du chef d’orchestre pour transmettre à l’ordinateur une information encore plus précise sur le tempo. Avec la SDS, nous réfléchissons à la façon de rassembler sur ordinateur tout ce qui se passe depuis la page blanche jusqu’au moment d’intégrer les outils de la scène (la lumière, les décors etc.) à l’opéra. Le logiciel doit devenir une véritable tour de contrôle pour le théâtre. Nous nous attardons également sur le rapport émotionnel que le compositeur entretient avec son outil de travail, par exemple avec le stylet pour l’écriture. Avec Inria, enfin, nous voulons aller plus loin dans le langage informatique employé. Celui-ci doit nous permettre par exemple de hiérarchiser des événements, en partant de la première note écrite pour arriver jusqu’à cette fameuse tour de contrôle de la production.

eu une maladie contractée pendant la grossesse, ou en fonction de certaines mutations sur les gènes des molécules de l’immunité ou de leurs récepteurs, le profil en cytokines varie dans la population. Or, la présence de certaines d’entre elles en particulier, semble intimement corrélée à la réponse qu’aura le malade s’il est soumis à un traitement type plutôt qu’à un autre. Par exemple, 5 cytokines, sur un panel de 43 molécules inflammatoires listées, sont pertinentes pour prédire la réponse à l’amisulpride. L’algorithme de prédiction mis au point à partir de ces premières données présente une fiabilité à 75%. Mais grace au prix Marcel Dassault, Nicolas Glaichenhaus et ses collaborateurs entendent augmenter significativement ce taux. Ils doseront de nouvelles cytokines et amélioreront conjointement les méthodes mathématiques employées. À terme, le chercheur espère appliquer une approche similaire pour différencier les patients bipolaires et unipolaires, les patients schizophrènes et ceux atteints de troubles schizo-affectifs, identifier enfin les patients atteints de dépression résistante.


Adrien Bousseau, chargé de recherche Inria dans l’équipe projet GraphDeco, a reçu une bourse du Conseil Européen de la Recherche (ERC) et le prix Jeune Chercheur de l’ANR (Agence Nationale de la Recherche).

Il développe un logiciel d’assistance au dessin avec deux niveaux d’utilisation. La tablette graphique proposée aux usagers grand public est conçue comme un cahier de travail numérique. L’apprenti découvre les principales étapes nécessaires à la réalisation d’un dessin et la machine analyse chaque fois ses principales erreurs. Par ailleurs, la recherche destinée notamment aux professionnels du design devrait leur permettre à terme de passer instantanément du croquis au modèle 3D. Actuellement, cela fonctionne pour des bâtiments

de forme simple, et le logiciel propose une seule façon de dessiner. Pour aller plus loin, le principal défi à relever consiste à respecter le « style » de l’auteur. « Le système actuellement développé reconnait des choses universelles dans la façon de dessiner », explique Adrien Bousseau. « Nous avons rendu le logiciel robuste à de nombreuses imprécisions. Cela permet d’aller très vite dans la modélisation 3D, mais on perd en subtilité. La machine aura en effet tendance à interpréter la singularité, le style, comme du « bruit », autrement dit comme un écart à la norme. Un des buts, grâce au financement ERC, consiste à rendre le système adapté à chaque utilisateur, un peu comme cela se passe avec un logiciel de reconnaissance vocale », poursuit le lauréat. Pour cela, Adrien Bousseau et ses collaborateurs s’appuient sur les techniques de deep learning (ou apprentissage profond) utilisées dans le domaine de l’intelligence artificielle. « On « entraine » un réseau de neurones à reconnaître une grande diversité de dessins comme « bons » », précise ce spécialiste de l’imagerie numérique. « Le problème, pour conserver le style de l’utilisateur, c’est qu’il faudrait disposer d’énormément de données. Or, il est difficile de demander à quelqu’un des milliers de dessins… Nous testons donc une autre stratégie. Nous résolvons le problème inverse, en utilisant la synthèse automatique d’images à partir de modèles 3D », révèle Adrien Bousseau, impatient de pousser la technique plus loin.


Claire De March, doctorante à l’Institut de Chimie de Nice, cinq fois récompensée en 2016, pour ses travaux sur les récepteurs olfactifs. 1) Pourquoi les récepteurs olfactifs sont-ils encore si mystérieux? A-t-on sous-estimé leur intérêt pour la recherche ? Les récepteurs olfactifs sont encore aujourd’hui des objets mystérieux car leur découverte a été relativement tardive. En effet, les gènes codant pour ces protéines n’ont été découvert chez le mammifère

Nina Miolane, doctorante Inria dans l’équipe projet Asclepios a reçu la Bourse «Génération Jeune chercheuse» de la Fondation L’Oréal-UNESCO pour ses travaux de recherche sur le patient virtuel. 1) Comment est-ce qu’on construit un patient virtuel ? Dans un premier temps, nous rassemblons des images médicales acquises sur des centaines

qu’en 1991 par Linda Buck et Richard Axel (prix Nobel de médecine 2004). Et nous parlons ici de gènes, qui sont une belle première étape mais encore bien loin de la compréhension moléculaire de ces protéines. 25 ans plus tard, de grandes avancées ont été faites. Nous savons par exemple que l’homme possède 400 types différent de récepteur olfactif et qu’il les utilise de façon combinatoire pour détecter des milliards d’odeurs. La façon dont notre cerveau intègre les signaux de ces 400 récepteurs pour les transformer en ce que l’on appelle une odeur ou la structure tridimensionnelle de ces protéines restent des zones d’ombre. On a pourtant effectivement sous-estimé leur importance car, de façon surprenante, ces récepteurs olfactifs ne se localisent pas seulement dans notre nez. Certains d’entre eux ont également été identifiés dans le cœur, le cerveau, l’estomac, les poumons et même les cellules de spermatozoïdes. Leur rôle dans la plus part de ces cas reste encore à établir mais ils sont suspectés d’être important dans le développement de maladies neurodégénératives (Alzheimer, Parkinson) voir même dans la prolifération de cellules cancéreuses. Ces récepteurs olfactifs sont donc maintenant aussi étudiés dans les domaines biomédicaux et pourraient devenir de nouvelles cibles thérapeutiques.

2) Quel est l’avantage de l’étude informatique de ces « objets » par rapport aux approches biologiques classiques?

voire des milliers de patients «réels» en hôpital. Ce sont par exemple des IRMS, des scanners ou des échographies qui permettent de photographier l’intérieur du corps humain et donc ses différents organes: coeur, cerveau, foie... Or, la forme d’un organe varie avec les paramètres cliniques du patient (âge, taille, poids...) mais également avec son état de santé. Par exemple, l’IRM du cerveau d’un patient atteint d’Alzheimer produit une image spécifique : le cortex cérébral, cette surface du cerveau aux repliements caractéristiques, apparait atrophiée de part la perte de matière grise due à la maladie.Les images médicales nous permettent donc de construire l’anatomie d’un patient virtuel, c’est à dire la représentation tridimensionnelle de la forme caractéristique de ses organes, selon l’état de santé choisi. On peut construire un patient virtuel sain, montrant l’anatomie humaine «standard», ou d’un patient virtuel malade montrant l’anatomie caractéristique de sa maladie: le cortex atrophié pour Alzheimer par exemple. Pour construire ce patient virtuel, nous utilisons l’ordinateur qui nous permet de faire des calculs sur les images médicales réelles précédemment acquises. Par exemple, pour construire le patient virtuel sain «standard», nous sélectionnons les images prises sur des sujets sains et faisons la moyenne. De la même façon, pour construire un patient virtuel atteint d’Alzheimer, nous

sélectionnons les images de cerveaux de patients atteints de cette maladie et faisons la moyenne.

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Une perception olfactive est due à la rencontre entre les molécules odorantes présentent dans notre environnement et nos récepteurs olfactifs. Depuis quelques années, les progrès en matière d’outils informatiques et de connaissances de la physique des atomes permettent l’utilisation de méthodes de modélisation moléculaire efficaces dans le cadre de l’étude théorique de systèmes biologiques. L’application de ces méthodes aux récepteurs olfactifs, guidée par des données expérimentales, en font un outil prédictif performant pour l’étude de leurs interactions avec les molécules odorantes. La modélisation moléculaire permet notamment de prédire la structure d’une protéine ou de son complexe avec une molécule, d’en évaluer l’énergie d’interaction et d’observer son comportement dynamique. De façon simplifiée, l’utilisation des outils informatiques permet aujourd’hui la construction d’un « nez virtuel » (mais physiologiquement inspiré) qui reproduit la fonction des 400 types de récepteur olfactif qu’utilise notre cerveau pour détecter les odeurs.

2) Qu’est-ce qu’on sait modéliser du cerveau humain ? Le cerveau humain peut se modéliser, à partir d’images médicales, au niveau anatomique et au niveau fonctionnel. Du point de vue anatomique, on peut s’intéresser a la matiere grise et par exemple au cortex cérébral. On étudie alors le nombre des repliements du cortex, leurs formes, et l’éventuelle causalité avec telle ou telle maladie: Alzheimer par exemple. On peut aussi regarder la matière blanche, formée de filaments de neurones qui connectent les parties du cerveau entre elles. On analyse alors les connexions de ces filaments en lien avec certaines pathologies: la skyzophrenie par exemple. Du point de vue fonctionnel, on etudie l’activité cérébrale en lien avec une action du patient: quelle est la partie du cerveau qui est sollicitée lorsque le patient parle, lorsqu’il se déplace dans sa maison, ou lorsqu’il joue une partie de tennis. Enfin, il existe d’autres modèles du cerveau qui ne reposent pas (ou pas uniquement) sur les images médicales: des modèles biologiques ou physico-chimiques par exemple.

contact : culture-sciences@unice.fr

Culture Sciences Rédaction Laurie Chiara - Service Culture-Sciences - Direction de la Culture Crédits photos : DSD - Service Communication - Christophe Rousseau - Mise en page : Emilie Deplantay

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