La lettre Culture Science N12

Page 1

la lettre

Culture Science

12

Antipolis une publication de l’Université Nice Sophia

Mai 2014

unice.fr

Le Jeu magnifique dʼEtienne Brunet Dans le bureau désormais aménagé au domicile du littéraire, des reliures de toutes dimensions tapissent les murs. Mais, à en saisir une au hasard, l’oeil rencontre avec surprise des signes indéchiffrables, des nombres divisés par des traits et des marques de ponctuation utilisées à contre-emploi. Figurent encore des pages de programmes et de résultats statistiques, des arbres phylogénétiques habités par des galeries d’auteurs. Alors que pour lui, en 1957, l’informatique n’existait pas, Etienne Brunet a plongé tête baissée dans la statistique et l’informatique appliquées à l’étude de textes. Après une thèse sur l’oeuvre de Jean Giraudoux (1), il poursuivra sa carrière à l’Université Nice Sophia Antipolis. À l’heure de la retraite, il laisse en héritage aux chercheurs de l’université le laboratoire « Bases, Corpus, Langage ». Un centre d’études littéraires et linguistiques où l’informatique a su trouver toute sa place… Interrogé sur les raisons de ce « basculement », l’agrégé de lettres hausse les épaules. Dans ses souvenirs, les choses se sont faites « simplement ». « Il s’est trouvé que j’ai rencontré quelqu’un qui était allé à Harvard, où il avait vu des ordinateurs », se remémore Etienne Brunet. Puis, « un autre normalien avait pour mission de répandre un langage de programmation. À l’époque, il n’y en avait pas beaucoup : COBOL, fortran. Cet homme-là devait vendre des machines IBM, en tous cas nous montrer à quoi elles pouvaient servir ».

« un jeu magnifique » Mystérieux mastodontes inanimés et bruyants, les premiers ordinateurs figuraient le luxe dépourvu du design. Dès les années 60, pour conquérir de nouvelles clientèles, les fabricants communiquent donc sur les capacités de calcul de leurs machines. Pour les chercheurs habitués à remplir des cahiers de formules et à tapoter sur calculette, de nouveaux horizons se dessinent. Et cela, pas nécessairement dans les disciplines attendues. Dans les Alpes-Maritimes, à mi-chemin du siècle dernier, IBM s’implante à la Gaude, une

université se construit autour de la linguistique et des mathématiques, un Observatoire astronomique domine la colline du Mont Gros. Vieilles pierres et parpaings neufs dessinent les contours d’un paysage scientifique en construction. C’est dans ce contexte qu’Etienne Brunet, jeune enseignant diplômé de l’ENS, agrégé de grec et de latin, prend un poste au Lycée Masséna, à Nice. Pourtant, pris dans une drôle de conjugaison, il passera les années suivantes ailleurs. Pour comprendre où, il suffit de longer les rayons de sa bibliothèque.

Le jeune enseignant accroche passionnément. « J’avais mis le doigt dans l’engrenage, je trouvais que c’était génial, un jeu magnifique », s’enthousiasme encore le chercheur. À l’époque, hormis les techniciens spécialisés, nombreux sont ceux qui ont tout à découvrir de l’informatique. Littéraires, gestionnaires ou mathématiciens partent à armes quasi égales. Absolument décomplexé, Etienne Brunet s’inscrit donc à une école d’été, à Aix-en-Provence. Il se fait présenter au directeur scientifique d’IBM La Gaude, qui lui octroie des moyens de calculs pour mener à bien ses travaux de thèse.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.