JANV 2015
La Lettre
Culture
18 Sciences Médiations thérapeutiques par l’art : une analyse au-delà des mots
Janet Frame, écrivain néo-zélandaise, parfois qualifiée de génie, a flirté à deux reprises avec le prix Nobel de Littérature, avant de décéder en 2004. Maladivement timide, dépressive, celle dont Jane Campion a porté la vie à l’écran, dans le long métrage « Un ange à ma table », a été internée huit années en hôpital psychiatrique. Primée pour son premier recueil de nouvelles, elle échappe de justesse à la lobotomie, en 1954. Comme elle, d’autres artistes, dont chaque lecteur a vraisemblablement un exemple en tête, semblent avoir tiré de leur pratique, sinon un remède à leurs tourments, au moins un exutoire, de quoi « tenir » avec plus ou moins de bonheur et de stabilité, hors médication. « La pulsion de création n’est pas étrangère à la folie. Quelque chose, chez les psychotiques en train de « faire oeuvre », essaie de se dire. Il existe de nombreux témoignages en ce sens, antérieurs
à l’apparition des neuroleptiques », raconte le psychanalyste Jean-Michel Vives, Professeur à l’Université Nice Sophia Antipolis. Ainsi, au-delà de la performance esthétique, imprévisible, y aurait-il quelque chose à tirer de l’acte de création ? Celuici pourrait-il aider à maintenir le patient dans une relation acceptable, pour lui et pour les autres, au monde ? Dès lors, comment le psychologue est-il en passe de s’inscrire dans ce processus ? À Nice, Jean-Michel Vives et Frédéric Vinot, également enseignant-chercheur et psychanalyste, ont ouvert il y a trois ans un Master 2 « Psychologie clinique et médiations thérapeutiques par l’art » (1), encore unique en France. Afin d’éviter toute méprise, ils précisent d’emblée : « Pour nous, l’artthérapie n’existe pas ». Autrement dit, être artiste ne suffit pas pour se soigner. « Sinon, Van Gogh ou Artaud s’en seraient mieux tirés », souligne JeanMichel Vives. Les deux collègues aspirent ainsi à
mettre en oeuvre les conditions pour que l’acte de création puisse être plus qu’un exutoire. « Depuis le début du 20ème siècle, nous savons que faire du théâtre avec des psychotiques est intéressant. Chez les autistes, on constate un tropisme musical extrêmement fort », note le Professeur de Psychopathologie Clinique.
l’acte de création pris dans une relation thérapeutique En effet, il est établi que ces processus impliquent des effets de subjectivation, des mouvements psychiques, avec pour conséquence un mieuxêtre, une découverte de soi-même, la révélation momentanée d’être en capacité d’adopter une