FEV 2015 S’interroger sur les fondements d’une recherche universitaire en danse amène à revisiter une idéologie artistique, non académique. C’est plonger dans une histoire militante, humaine et incertaine. Or, ce récit puise ses racines à Nice, dans une ville sans grand centre chorégraphique, sans renommée professionnelle dans le domaine. Mais à la fin des années 60, l’Université, inaugurée en 1965, s’y développe. Des dynamiques particulières peuvent émerger. Ainsi, très vite, une unité de valeur se crée à l’Université de Nice, en sport, sur le corps et le mouvement artistique. Ensuite, l’UNS reste précurseur. En 1984, le DEUG Art Communication Langage, propose une filière danse, qui intégrera en 1989 le département des Arts et prendra la forme d’une Licence. Les premiers postes en France de Maître de Conférences puis de Professeur en Danse seront également créés ici, sans que les compétences nécessaires soient toujours présentes sur le territoire national. En 2002, il y a donc trois candidats au poste de Professeur de la 18e section, en danse. L’un vient du théâtre, l’autre des sciences physiques et sportives, la dernière est une danseuse italienne, docteur en histoire (1). Marina Nordera revient aujourd’hui sur son parcours et sur celui de sa discipline, sur l’importance de maintenir en Danse une formation universitaire pour les étudiants. Sur quoi repose la dynamique niçoise, si particulière dans l’histoire de la danse à l’Université ? C’est le fait de personnes, de leur pugnacité et de leur ténacité. Cela tient beaucoup à Simone Clamens et à son conjoint, Robert Crang, décédé au cours de l’été 2014. Cela s’inscrit aussi dans
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des étudiantes en danse de l’UNS présentent une chorégraphie au MAMAC en 2006 dans le cadre de l’opération Mars aux Musées
La Lettre
Étudier la danse à l’Université : une histoire qui commence dans un pas de deux niçois un mouvement plus large, dans un contexte où la danse passe, à l’Université, de la filière éducation physique aux arts. Enfin, l’intégration de la Danse à l’Université de Nice se réalise de concert avec un fort essor de la danse contemporaine, dans les années 80. Pour autant, il est vrai que nous ne sommes pas dans une ville de la Danse. Au moment où Jack Lang rendait possible la création de centres chorégraphiques internationaux, à Nice, il n’y en a pas eu. Ce sont donc véritablement ces deux personnes, Simone Clamens et Robert Crang, soutenues par des collègues de littérature, de sociologie, d’histoire, qui ont fait le travail. Tous de la « génération 68 », ils considéraient la danse comme une forme de libération. Ils ont participé aux conseils d’Université, aux ateliers de réflexion organisés par le couple. Il ne faut pas oublier qu’on prête alors au corps une attention toute particulière. Simone Clamens et Robert Crang étaient-ils euxmême danseurs ? Non, ils étaient professeurs de sport, licenciés de leur discipline. Ils sont arrivés à la danse au sein
des pratiques corporelles des services des sports. Lui était Judoka, chanteur, musicien, très intéressé par les arts. Il est devenu un magnifique danseur de danses de société, notamment de tango, de valse. Elle, était plutôt tournée sur le contemporain, sur les mouvements les plus avant-gardistes. La Danse leur permettait d’abandonner les aspects du sport liés à la compétition, à la performance, voire même à l’armée, au conflit. En même temps, ils ont participé à tous ces ateliers interdisciplinaires d’improvisation, de recherche, organisés pour développer une danse nouvelle en France, à l’initiative de chorégraphes (2). Bien qu’isolés à Nice, ils étaient donc très mobiles, et ont pu trouver la nourriture artistique dont ils avaient besoin. Dans leur idée, que signifiait être chercheur en danse ? Cela se distingue-t-il du travail chorégraphique ? En premier lieu, il s’agit en effet d’être praticien et de faire de la recherche sur sa propre pratique. Cela rejoint la démarche chorégraphique de cette époque. Mais avant, cela n’était pas tout à fait
vrai pour les héritiers, disons, du « classique ». L’auto-observation, l’improvisation, mais aussi la recherche de nourriture théorique, par exemple dans la philosophie française des années 70-80, avec le déconstructivisme, Deleuze, Foucault, Barthes. Pourtant, ni l’un ni l’autre n’aura publié. Ils ont jeté les bases, sans avoir le temps de développer la méthodologie de travail nécessaire. Pour en venir à vous, vous êtes historienne. Comment avez-vous construit et imaginé votre profil de chercheur en danse ? À l’époque où j’ai fait mes études, je dansais de façon professionnelle. J’ai passé l’équivalent d’un Master en arts du spectacle, puis plus tard, un doctorat en Histoire. J’ai toujours énormément lu, cherché, et j’ai commencé à publier. Ce sont les doctorants à qui j’enseignais, dans le cadre d’une Institution de la Communauté Européenne, qui m’ont encouragé à devenir chercheur. Dans mon esprit, je n’en faisais pas ma profession. Mais ma pratique s’orientait vers les danses anciennes. Je travaillais sur la restitution des danses de la Renaissance et du Baroque, à partir des sources de l’époque. Il fallait donc de toutes façons retrouver les traités, les contextes, aller dans les bibliothèques… chercher. Pour toute ma génération, comme il n’y avait pas une formation dédiée, les choses se sont faites ainsi. Pourquoi est-ce si important, désormais, d’être dans l’Université ? Il y a également la création de collectifs, d’associations, pour réunir chercheurs, artistes, intervenants de différents milieux ? Justement, pour former des étudiants, capables de réfléchir sur leur pratique et de faire vivre la danse dans des institutions culturelles, d’accompagner des compagnies, d’écrire sur la discipline etc. Il s’agit aussi de former des spécialistes pour continuer de défendre la danse autrement que comme un divertissement ou une pratique sportive. J’ai encore des étudiantes de deuxième année de licence pour qui, il est difficile d’expliquer à leur famille qu’elles ne vont se trémousser nues en public. Le stéréotype de la danseuse est encore très fort, au moins dans les milieux populaires. Cela est évidemment conforté par les images télévisuelles, avec le cabaret, les émissions de télé réalité. L’interface culturel se limite parfois à cela, avec peut-être le gala de fin d’année proposé par le Professeur. L’autre mission principale que nous avions, dans les années 80, était aussi de destituer, d’une certaine façon, la danse classique, impétrante à l’époque, pour faire passer la conception d’un corps perceptif, sensible, proprioceptif, autonome, avec en arrière-plan une idéologie plus politique, sur la fonction du corps dans la société. Enfin, comme la Danse a d’abord été intégrée dans le cadre d’un enseignement pluridisciplinaire, il s’agissait également de la faire « goûter » à des étudiants qui ne l’auraient jamais fait autrement. Avec l’Université, Simone Clamens et Robert Crang espéraient démocratiser la danse et repousser les limites de sa représentation. Pour commencer, la danse était à l’Université abordée comme un sous-objet de disciplines ancrées depuis plus longtemps, et jugées davantage légitimes. Au sein du Centre transdisciplinaire d’épistémologie de la littérature et des arts vivants (CTEL), actuellement, quel statut occupe la danse ?
Nous faisions partie d’un laboratoire, le RITM, qui a fusionné avec le CTEL. Nous faisons désormais partie, avec la musique et le théâtre, de l’axe de recherche IV : Pratique des Arts Vivants. Il y a une triple dynamique. Avec les autres axes, au sein du nôtre, mais aussi propre à chacun. Globalement, c’est très enrichissant. Sur le statut, de la danse, d’un côté nous avons besoin de développer nos outils, de nous dire qu’ils sont spécifiques, même si nous pouvons les mettre aussi au service d’autres disciplines. Mais nous ne pouvons pas nous cantonner à l’isolement. Or, c’était beaucoup le cas dans les années 80, à cause de la lutte pour la reconnaissance. Ainsi, l’interdisciplinarité est beaucoup plus fluide dans les collaborations où il n’y a pas d’enjeu politique. Là où l’un ne risque pas de chasser, d’absorber ou d’étouffer l’autre. Ceci dit, les doctorants créent les passerelles tout naturellement. J’ai par exemple des étudiants en co-direction avec la littérature italienne, la musique, l’anthropologie ou l’ethnomusicologie. Pour en revenir à la méthodologie de recherche, pouvons-nous risquer un comparatif avec la démarche d’investigation en sciences, c’està-dire évoquer un processus où l’hypothèse induit des expérimentations, dont les résultats, modélisés, viendront infirmer ou confirmer la théorie initiale ? Pas tout à fait. Nous venons de réaliser un colloque, à Genève, sur ce qu’est l’expérimentation en arts. Nous avons discuté autour de la notion de protocole, appliquée aux pratiques corporelles. Nous nous sommes aperçus qu’étant nous-mêmes la matière vivante placée au centre de l’expérimentation, matière douée de parole, parfois le protocole ne tient pas. Il existe actuellement différentes approches en terme de recherche. Practice and research, dans le monde anglo-saxon, la recherche-création au Quebec, ici nous parlons d’articulation entre théorie et pratique, de théorie en studio. À Genève on parle d’expérimentation. Personnellement, j’ai des réticences à protocoliser la recherche en arts. Je préfère parler d’outils spécifiques à la danse, à développer et à mettre à disposition, à exporter dans d’autres disciplines. Que seront ces outils ? Des grilles de lecture ? Oui, par exemple. Je travaille personnellement beaucoup sur la question du genre. On ne peut pas parler de genre en dehors du corps. C’est donc un angle de réflexion qui peut s’incarner dans la danse et qui peut, non pas fournir des protocoles mais des modèles d’analyse d’autres formes de relations sociales. Je parle de méthodologie dans ce sens là. Parce qu’épouser des approches théoriques, aller les expérimenter sur des objets de recherche, permet ensuite de perfectionner des outils réemployables ailleurs. L’analyse du mouvement, peut également être supportée par des systèmes de notation. À Paris, Hubert Gordard a développé une analyse fonctionnelle du geste dansé, qui est brevetée. Il a travaillé d’abord avec des danseurs et maintenant exclusivement dans le monde médical. Il oeuvre beaucoup dans le champ de la réhabilitation, sur des corps qui ont perdu en fonctionnalité et qui doivent retravailler entre perception et imaginaire. Une autre collègue, à Paris 8, a opéré une reconversion thématique. Spécialiste de la méthode Feldenkrais (3), elle a d’abord travaillé beaucoup avec les danseurs, et maintenant elle investit elle aussi le champ du soin, psychologique et médicalisé, gérontologique.
Ces transferts de la danse vers le milieu thérapeutique sont-ils nouveaux ? Non, puisqu’ils existent au moins depuis le Moyen Âge. Cela prenait évidemment une autre forme, mais le lien est anthropologiquement fondé. Aujourd’hui, nous vivons dans une société médicalisée, qui a perdu le lien avec le rite, c’est pourquoi ces approches paraissent nouvelles. Les danseurs impliqués dans ce milieu médical protocolisé, réclament la part de l’imaginaire, le statut du corps, la signification du geste, sans toutefois basculer sur la psychologie. C’est un champ que les études en danse peuvent développer. Au niveau de la formation, vous proposez un Master 2 professionnel, sur « les métiers de la transmission et de l’intervention ». S’agitil, justement, d’intervention dans le champ médico-social ? C’est large, tout est possible. Cette formation vise à préparer des personnes qui souvent sont des artistes, des professionnels. Ils doivent affiner leurs outils pour mettre leur savoir à disposition d’une transmission ou d’une intervention. Cela pourra se passer au sein d’une compagnie, dans une transmission du répertoire ou des techniques. Nous touchons donc à une conception très large de la pédagogie, du didactique, qui peut intéresser le répétiteur, le chorégraphe etc. Quant à l’intervention, elle cible les figures professionnelles amenées à entrer dans les écoles, dans certains milieux socio-culturels, ou pourquoi pas thérapeutiques. Toutefois, la loi interdit à un intervenant du milieu de l’art d’ agir seul auprès d’une personne placée en Institution médicale. Il devra toujours être accompagné d’un psychologue ou d’un autre personnel soignant. Vous insistez, enfin, sur la nécessité de proposer des Masters ouverts à l’international. Pourquoi cela ? Au début, étant seule en France, j’avais besoin de trouver des enseignants avec lesquels collaborer… Il fallait construire un réseau avec des formations complètes à l’Université, proches de la nôtre. Qui plus est, avant mon arrivée, il y avait à l’Université une Professionnelle associée, Annemari Auterre, pour qui tout cela était très naturel. Mi-Norvégienne mi-Finlandaise, elle avait vécu en Allemagne, puis dans trois cantons suisses, avant d’arriver en France! Elle avait donc déjà mis en place différents programmes d’échanges. Étant moi-même Italienne, j’ai réalisé mes études dans une structure de communauté européenne très internationale, avec trois langues officielles (l’Institut Universitaire Européen de Florence en Italie). Aujourd’hui, vous diriez que la danse en est où de sa place à l’Université ? Que reste-t-il à faire ? Consolider. À mon arrivée il y avait 35 étudiants sur quatre niveaux d’étude, jusqu’à la maîtrise. J’étais le seul enseignant-chercheur titulaire, à temps plein. Douze ans après, nous avons 120 étudiants, un système Licence, Master, Doctorat, un Professeur et trois enseignants-chercheurs. Cela ne tombe pas du ciel. (1) Marina Nordera est spécialiste de l’histoire culturelle de la danse entre le 15e et le 18e siècle. Ses domaines de recherche concernent la danse et le genre, la danse et les écritures, la méthodologie de la recherche en arts vivants. (2) Surtout des chorégraphes disciples de Merce Cunningham, Jean-Claude Gallota etc. (3) http://www.feldenkrais-france.org
« La crise de la construction européenne : une fin de cycles ? » ainsi qu’il s’agit d’un moment de contestations simultanées des deux côtés du mur de séparation. Il en découle « l’émergence du néolibéralisme comme un mode révolutionnaire d’accumulation du capital, la réunification de l’Allemagne, la désintégration de l’union soviétique et la mise en place d’une nouvelle hiérarchie de pouvoir entre les nations européennes », liste Etienne Balibar. L’Europe trouve, dans la nécessité de mettre fin au retour de la guerre, l’occasion d’établir sa constitution institutionnelle.
Finies les « crises » de rire. L’expression, d’ailleurs, est tombée en désuétude. Le langage tolère, à la rigueur, un « fou » rire mais lui préfère un « mort de rire ». Ainsi, les « crises », étymologiquement liées à l’idée de devoir prendre une décision, de faire oeuvre de jugement, n’expriment plus que les sombres excès, l’effondrement et l’incertitude. Le scandale des prêts toxiques américains en a livré un bel exemple. Les spécialistes, confrontés à un vent de panique généralisé, n’ont pas manqué de s’interroger sur l’imminence d’un « post » libéralisme, sur l’éventualité d’une remise à zéro radicale. Toutefois, la fin d’un état, ou d’un processus en cours, peut marquer un passage vers un « après », autant qu’un retour au point d’origine. Le philosophe Etienne Balibar, pour évoquer la « crise de l’Europe », propose, lui, d’examiner trois cycles, trois échelles de temps, trois dimensions de l’histoire moderne et contemporaine. Le 29 janvier dernier, il était invité à ouvrir le colloque international «La construction européenne et ses apories» (1), organisé à l’Université Nice Sophia Antipolis. Il a présenté au public de la salle plate des pistes, « résumées trop brièvement », formulées pour donner matière à penser et à discuter. En préambule, Etienne Balibar soutient deux hypothèses. Pour commencer, l’espace européen n’existe pas « a priori ». Autrement dit, il n’était pas « voué » à se constituer. Construction sans vraie légitimité historique, identitaire, culturelle, « l’Europe », en revanche, peut trouver une consistance au travers de « solidarités », par exemple économiques ou politiques. Elle revêt ainsi l’aspect composite d’entités en constantes interactions. « Ces interactions sont toujours liées aux rapports, singuliers et de plus en plus profondément instables, que l’Europe entretient avec le reste du monde », affirme le philosophe. Sa seconde hypothèse concerne l’enchainement des évènements (les causes) que nous pouvons choisir de considérer comme conduisant à cette construction européenne incertaine. « Une façon privilégiée de lire des transformations dans l’histoire consiste à imaginer des cycles », explique
Etienne Balibar. « À l’intérieur, nous pourrions dire que l’évolution historique est en quelque sorte revenue sur elle-même, soit qu’elle répète l’origine, soit qu’elle met en évidence le décalage, le déplacement ou le renversement des configurations précédentes », poursuit le philosophe. Il propose alors de s’intéresser à trois cycles en particulier. Le premier s’étale sur plusieurs siècles et démarre en 1492, avec la découverte des Amériques par des explorateurs et des conquérants européens. Pendant cette période, l’Europe témoigne d’une capacité à « centraliser le monde autour d’ellemême, ou tout au moins de le configurer à son image », raconte Etienne Balibar. Ce cycle serait suivi de la « provincialisation de l’Europe ». « Dès 1918, les Etats-Unis étaient devenus la puissance économique la plus puissante du monde, et au lendemain de la deuxième guerre mondiale, elle était devenue hégémonique aussi au sens géopolitique », souligne Etienne Balibar. Pourtant, selon lui, il faut attendre les attentats du 11 septembre 2001 pour assister au véritable déclin de l’Europe au sein du système monde. Car elle s’engage alors dans des expéditions militaires entièrement décidées et mises en oeuvre à partir des Etats-Unis. La mondialisation se révèle être un processus déterminé pour l’essentiel en dehors de l’espace européen. Mais, un autre tournant décisif marque ce cycle « long ». Il s’agit de l’expansion de la « forme nation », à travers la décolonisation, « sous une forme progressiste qui va à l’encontre de sa fonction hégémonique », estime Etienne Balibar. « Il y a là un retournement contre l’Europe, qui l’avait inventée », ajoute-t-il. En effet, cette forme nationale apparaît alors comme « idéale, ou nécessaire à l’émancipation », c’est-à-dire à la mise en place d’un état de droit allant de pair avec des régimes politiques représentatifs, fondés sur des élections. Le second cycle touche au « petit 20e siècle », celui où l’Europe se divise en deux blocs. « Un moment d’inflexion fondamentale est représenté par l’année 1968 au sens large des événements qui l’entourent », considère le philosophe. Il rappelle
La doctrine économique marxiste, élevée au rang de dogme politique, s’effondre. Au même moment, son image inversée, à l’ouest, adopte sa propre « loi suprême » de l’unification politique, avec le traité de Maastricht. Mais, actuellement, pointe un retour à l’origine de ce cycle. « L’Allemagne est redevenue la puissance hégémonique en Europe et la crise économique a donné naissance à des discours anti-allemands un peu partout en Europe. Cela pourrait avoir des conséquences dramatiques », prévient le philosophe. Une autre question retient également son attention. « L’histoire de l’Europe en tant que totalité exhibe un phénomène d’une terrible ironie. Cependant que le mode soviétique de construction du socialisme engendrait le totalitarisme, la corruption et l’inefficacité économique à l’est, il contribuait puissamment à la mise en place et au succès de politiques sociales et démocratiques à l’ouest ». Le dernier cycle concerne enfin l’unification européenne dans la période d’après-guerre. Pour Etienne Balibar, l’Europe traverse à cet égard une inflexion, un inter règne, amorcé dans le contexte du désordre financier post 2008. L’Union échoue alors à inventer, pour prévenir la banqueroute et la corruption d’un de ses états membres (la Grèce), une solution qui ne produirait pas d’aggravation. Cela découlerait notamment d’un glissement des rapports de force concomitant à l’élargissement. « Alors que l’Europe des 6 est une alliance relativement égalitaire, l’Europe des 28 est clairement oligarchique, voire monarchique en terme de pouvoir réel », analyse Etienne Balibar. Ainsi, désormais, l’Union Européenne se trouverait à la croisée de deux chemins, l’un menant vers une fédération d’Etats membres, l’autre garantissant la préservation des indépendances nationales, régénérées par l’appartenance à l’Europe. Selon Etienne Balibar, l’avenir dépendra notamment de la capacité de l’Union à inventer de nouvelles solidarités et des cadres pour l’égalité, qui dépassent les limites des états nations. Or, à ce jour, les multinationales, avec l’arme de la délocalisation, ont désintégré le syndicalisme. « le mouvement ouvrier s’est trouvé dans l’incapacité de réunir ses forces pour organiser une résistance transnationale », souligne le philosophe. Les « nouvelles gauches », supposées inventer des solidarités sont restées, elles, « dans une certaine mesure élitistes », estime -t-il encore. Quant à la monnaie unique, elle s’est imposée au détriment de l’Europe sociale. « Quant à aujourd’hui ? Avec la victoire de Syriza en Grèce, cette situation sera-t-elle remise en cause ? ». Il est évidemment trop tôt pour en juger.
(1) Colloque international organisé par la Maison des Sciences de l’Homme et de la Société du Sud-Est, dans le cadre de son axe 3 « L’Europe et ses « Autres » », en coopération avec le Cercle philosophique Clio, le Centre de Recherches en Histoire des Idées (CRHI) et le Centre de la Méditerranée Moderne et Contemporaine (CMMC), avec le soutien du Cercle Condorcet de Nice et de le section départementale de la Ligue de L’Enseignement
L’AVENIR DANS UNE BOULE DE VERRE NOIR Le verre, comment ça marche ? Pourquoi arrive-t-il de se cogner tête la première dans une fenêtre et pourquoi nous parle-t-on encore de verre devant une lentille bien noire ? La section azuréenne de la Société Française de Physique (SFP) rebondit sur la décision de l’Unesco de déclarer 2015 année internationale de la lumière, pour parler du verre, un matériau commun et pourtant toujours au coeur des travaux scientifiques. L’association a invité, pour ce faire, le 20 janvier dernier au théâtre de Valrose, JeanLuc Adam, Directeur de Recherche au CNRS et chercheur à l’Institut des Sciences Chimiques de Rennes. Le spécialiste avait choisi de présenter à la quarantaine de personnes réunie face à lui les « chalcogénures », autrement qualifiés de « verres noirs ». Il s’agit, comme pour les verres utilisés en architecture, à l’identique des lentilles situées au coeur des télescopes géants, de la même façon que pour les fibres de télécommunication ou que pour les bouteilles, d’associations répétitives d’atomes. Vus en microscopie, les verres présentent en effet des motifs récurrents « empilés » de façon anarchique. Mais, là où le verre « classique » s’articule autour d’atomes d’oxygène, les chalcogénures en sont dénués. Les premiers sont généralement constitués de silice ou de silicate, les seconds se composent plutôt de soufre, de sélénium, de tellure.
« Les verres noirs ne sont pas les seuls verres non oxydés, mais ceux-là présentent d’autres propriétés, très intéressantes par exemple pour la santé, l’environnement ou encore la sécurité », a expliqué Jean-Luc Adam. D’abord, comme cette matière passe à un état caoutchouteux à des températures relativement « basses » (situées autour de 300°C), elle permet des opérations de moulage, d’étirage et de pétrissage. Ensuite, elle présente un indice de réfraction élevé. Autrement dit, son utilisation génère peu d’aberrations chromatiques. « Les chalcogénures bénéficient également d’un large domaine de transmission optique. C’est là une propriété essentielle », révélait le spécialiste. Pour comprendre, mieux vaut encore une fois en revenir au verre « commun ». Celui là laisse passer les couleurs sensibles à l’oeil nu, c’est-à-dire les rayons dont les longueurs d’onde s’étendent entre 0,4µm et 0,8µm. Au-delà, il « absorbe » ce qui le traverse. Cela lui confère son aspect « transparent ». Or, le verre noir agit pour ainsi dire à l’inverse. Il engloutit les rayons du domaine du visible, ce qui le rend « opaque ». En revanche, il laisse passer l’infra rouge, entre 1 et 30µm environ. Ceci permet par exemple de « révéler » des formes dans le noir. « Une caméra équipée de lentilles de verre noire permet notamment d’obtenir une image de silhouette humaine avec des contrastes de couleur très fidèles à la température corporelle. Nous observons une précision à 0,1°C », soulignait Jean-Luc Adam. Un célèbre constructeur
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automobile équipe ainsi désormais ses modèles en option, avec d’évidentes indications en terme de sécurité routière. Autre exemple d’application sensible, le diagnostic précoce de pathologies. « Le rayonnement infrarouge peut être absorbé par des molécules biologiques, entre 2 et 15µm. Les pathogènes, en renvoyant un signal partiel, laissent ainsi une « signature optique » témoignant de leur présence », a développé le directeur de recherches. De minuscules lentilles de chalcogénures sont ainsi développées pour s’adapter à la taille d’une tête de cathéter. Enfin, les verres noirs permettent actuellement de contrôler in situ et en temps réel les sites de stockage géologique de CO2, au moyen de capteurs à fibres optiques infrarouges. Mais tout cela ne donne qu’un maigre aperçu des perspectives rendues possibles par les étonnantes propriétés des verres non oxydés. « Quantité d’autres applications sont en développement, en optique intégrée, dans la détection des polluants de l’océan, dans la création de nouvelles sources infrarouges en communication optique, dans le photovoltaïque… », a conclu Jean-Luc Adam.
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Culture Sciences Rédaction Laurie Chiara - Service Culture-Sciences - Direction de la Culture Crédits photos : Creative Commons - Mise en page : Emilie Deplantay
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