Culture Science
Antipolis une publication de l’Université Nice Sophia
09 N°9 - Février 2014
unice.fr
De la chimie interstellaire pour expliquer la vie sur Terre L’équipe chimie bioanalytique de l’Institut de Chimie de Nice participe à la mission spatiale Rosetta. Les chercheurs, le Professeur Uwe Meierhenrich en tête, espèrent avancer dans leur théorie sur la genèse de certaines molécules, véritables traceurs du vivant. L’attente, puis le sursaut électronique. Le 20 janvier dernier, la sonde spatiale Rosetta a réactivé ses circuits avec succès. L’engin de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) a pour mission d’entrer en orbite autour d’une comète « nue », à partir de l’été 2014. Elle photographiera alors ce corps, un assemblage peu dense de grains de poussière interstellaires, enrobé de glace « sale », avec une résolution jamais atteinte. Mais, si astronomes, physiciens et chimistes suivent de près les péripéties de la sonde Rosetta, c’est également en raison des appareils de haute technologie emmenés à bord du vaisseau. L’un d’eux, en particulier, a vocation à s’amarrer à la comète et à recueillir quelques grammes de matière. Il deviendrait alors possible de comparer l’échantillon, analysé à bord, avec les produits de synthèse obtenus en laboratoire sur les morceaux d’une comète « simulée ». Car, depuis 2002, les chercheurs savent recréer ces objets interstellaires sur Terre, grâce à leur connaissance du milieu interplanétaire. À l’époque, l’astrophysicien néerlandais Jerome Mayo Greenberg mêle sous vide du monoxyde de carbone, de l’ammoniac, du méthanol et de l’eau. La condensation de ces éléments sur un pseudo grain interstellaire, obtenue à une température proche du zéro absolu, aboutit à la formation d’un morceau de comète. Cette première constitue déjà une réussite, mais lorsque l’équipe internationale impliquée dans cette expérience analyse ce corps, les scientifiques ne sont pas au bout de leur surprise. « Étaient apparus, dans la foulée de la réaction, 16 acides aminés ! », se rappelle le Professeur Uwe Meierhenrich, aujourd’hui Professeur à l’Institut de Chimie de Nice (ICN). La présence de ces « unités » des protéines, indispensables aux mécanismes du vivant, synthétisés à partir
d’éléments volatils « simples », ouvre de nouvelles perspectives dans la compréhension de l’émergence de la vie.
Les origines interstellaires de la vie « Mais avant de poursuivre, nous devions nous assurer que la matière organique, les acides aminés, ne provenaient pas d’une contamination à l’intérieur du laboratoire de Greenberg », explique Uwe Meierhenrich. Grâce à l’appareil qui sera celui actuellement embarqué à bord de Rosetta, les chercheurs ont donc testé la comète artificielle. « Nous avons transformé les composés volatils pour qu’ils contiennent exclusivement une forme de carbone rare dans la nature, l’isotope carbon-13 ». Le GCMS (un chromatographe en phase gazeuse couplé à un spectromètre de masse (2)), balaye alors l’hypothèse de la contamination. La masse des acides aminés obtenus prouve en effet qu’ils contiennent 100% d’isotopes artificiels. « Pour moi, ce résultat reflète la beauté scientifique, car il montre que nous avons absolument tous les paramètres en main », se réjouit encore le chimiste. La vie puiserait donc ses racines dans l’espace, lieu de synthèse de molécules « tombées » ensuite sur la planète bleue. Ces résultats venaient prolonger et contredire l’expérience fondatrice de la chimie prébiotique (1), alors réalisée en 1953 par le jeune Stanley Miller, à Chicago. « Il reconstitue, aux côtés du prix Nobel Harold Urey, des éclairs, dans une atmosphère terrestre primitive qu’il imagine riche en méthane (CH4) et il obtient des acides aminés », résume le scientifique de l’ICN. « Or, nous savons aujourd’hui qu’à ses débuts, la Terre contenait bel et bien dans
ESA–C. Carreau/ATG medialab
la lettre