La lettre Culture Science N°4

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Culture Science

Antipolis une publication de l’Université Nice Sophia

N°4 - Juillet 2013

unice.fr

MONNAIES VIRTUELLES : CÔTÉS PILE ET FACE

Réalités nouvelles, parfois méconnues, les monnaies virtuelles et complémentaires s’immiscent dans les transactions courantes, en particulier depuis les années 2000. Expriment-elles des fantaisies ou de réels mouvements de défiance vis-à-vis des monnaies officielles ? Échangés cartable au dos, au milieu de cercles éphémères, les cartes de jeux de rôle et les auto-collants à effigies diverses ont toujours autant de succès dans les petites cours bitumées du primaire. Avant d’apprendre à retirer de l’argent au guichet et de s’inventer une signature, les consommateurs des quatre coins du monde ont su attribuer une valeur à de petits rectangles de papier. Des transactions convenues ont rythmé leurs intermèdes récréatifs. Ces échanges ont marqué leur appartenance active à une communauté, à un groupe d’individus détenteurs d’une devise partagée. Pourtant, il leur aurait été difficile, pour ne pas dire périlleux, d’abattre ces cartes devant une caisse enregistreuse. Et si cet obstacle se trouvait levé ? Si des commerçants décidaient de rejoindre le cercle ? Votre devise de pacotille accéderait au statut de monnaie complémentaire. Rien de révolutionnaire, toutefois. « Le free banking, la circulation de monnaies parallèles, a longtemps été chose commune, pour connaître son apogée au 19e siècle en Ecosse », rappelle Dominique Torre, Professeur d’Economie à l’Université Nice Sophia Antipolis et chercheur au GREDEG (1). Si, maintenant, tout cela était dématérialisé ? Exit pièces et billets froissés au fond des poches. Envolées les sueurs froides devant la machine à café ou l’horodateur, insensibles à la carte de crédit. Soit, le

système Moneo est né. « Une façon de définir ces supports serait de les assimiler à une sorte de billet électronique, susceptible de s’échanger de manière immatérielle au moyen des technologies du virtuel », propose Maëlle Della Peruta, doctorante au GREDEG . Si, enfin, des plateformes numériques permettaient en plus des allerretour de ces monnaies complémentaires vers la monnaie officielle, par exemple l’euro ? Alors, pourquoi ne pas imaginer que leurs taux de conversion fluctuent ? Ces monnaies complémentaires pourraient donner lieu à un engouement ou au contraire à une désaffection, provoquant des bulles spéculatives en faveur de la monnaie complémentaire ou de la monnaie officielle.. Et tout ceci se passerait volontiers des circuits bancaires habituels. Voilà se profiler le très médiatique Bitcoin, star des nouvelles expérimentations liées aux monnaies virtuelles.

Une devise et une expérience à mort programmée Or, ces devises échappent à la réglementation. Leurs utilisateurs peuvent s’en servir pour des transactions ou des réserves de valeur échappant à la fiscalité. En conséquence, comment empêcher les employeurs de rémunérer leurs salariés en monnaie virtuelle ? Pourquoi ne pas


crédit : Targaryen licence creative commons

troquer son assurance vie contre un compte en Bitcoin, ne pas régler son mobilier de décoration suédois en sol-violette (2)? Il n’y a pas de réponse unique à ces questions. Toutefois, « ces systèmes reposent sur la confiance. Vous ne pouvez pas utiliser ces monnaies comme bon vous semble. Elles demeurent très communautaires », prévient Maëlle Della Peruta. Sur le site français bitcoin.fr, l’onglet « quoi faire avec », présente en effet une liste plutôt modeste des paiements possibles. Alors, comment les monnaies virtuelles se font-elles connaître ? Derrière leur renommée croissante, se cachent généralement un programme de fidélité, une éthique, une idéologie... Mais aussi des soupçons de pratiques douteuses. Dans le cas du Bitcoin, désormais réputé pour la flambée de son cours sur fond de crise chypriote, la devise puise ses racines dans un discours de rupture vis-à-vis du contrôle par l’Etat, de l’émission bancaire de la monnaie. « En cela, le Bitcoin fait penser à un système anarchiste désireux de s’émanciper de toute institution publique », note Maëlle Della Peruta. « Ceci rappelle les points de vue libertariens, formulés par des ultralibéraux opposés à toute forme de contrôle, et accusant les banques centrales de tous les maux. Les tenants de ce point de vue préconisent la concurrence des monnaies et la déréglementation de l’émission monétaire », ajoute Dominique Torre. Mais le véritable envol de la devise pourrait venir de sa totale opacité. Les détenteurs de Bitcoin bénéficient en effet d’un anonymat difficile à lever. Une aubaine, pour blanchir de l’argent sale ou organiser une évasion fiscale. « À défaut de pouvoir réguler, les Gouvernements pourraient alors être tentés d’interdire les monnaies virtuelles », poursuit l’économiste. Quelle que soit la nature du « déclic » la monnaie s’échange ainsi aujourd’hui (3) au taux insolent de 1Bitcoin pour 81 euros et des poussières.

Spéculation : les anti et les pro Pour qui aurait envie de s’y frotter, il est aussi possible d’installer un logiciel libre sur son ordinateur et de mettre ses compétences en informatique au service du groupe. Les bénévoles

deviennent alors des « mineurs ». Ils suivent des transactions, participent à la sécurisation du système, contre rétribution. Dans le meilleur des cas, un individu non solvable pourrait donc accéder à cette monnaie. S’il « touche sa bille » sur les places boursières, il pourra même spéculer et, pourquoi pas, gagner gros. Néanmoins, Bitcoin s’avère une devise et une expérience à mort programmée. En effet, chaque « pièce » correspond à une combinaison de chiffres et de lettres unique et impossible à restaurer, même en cas de perte accidentelle. Or, il a été décidé de ne créer qu’un nombre « d’immatriculations » limité. 21 millions d’unités virtuelles pourront ainsi circuler, peut-être prospérer sur un coffre-fort dématérialisé d’ici à 2140, puis, à moins de changer les règles, il sera temps de déclarer la partie finie. En attendant, à défaut d’être stable, l’envolée du taux de change s’accompagne de l’entrée en jeu d’importantes plate-formes comme Wordpress ou MEGA. En janvier 2013, se crée BitPay, sorte d’Avatar de PayPal. Fin mai, le fonds d’investissement Bit Angels décide de soutenir les startups impliquées dans le développement des produits et des services liés à la monnaie électronique. Mais ce sont d’autres monnaies, anti-spéculatives et qualifiées cette fois de «complémentaires» qui pourraient marquer le plus durablement nos habitudes de paiement. Le sol-violette (4), par exemple, naît en 2011 à Toulouse à l’initiative de la municipalité. Devise « solidaire », « elle ne se substitue pas à la monnaie officielle (libératoire), car elle sert un but différent », souligne Dominique Torre. « Elle demeure un intermédiaire des échanges, mais avec pour objectif de favoriser le développement économique local », précise Maëlle Della Peruta.

Monnaies complémentaires, une autre Histoire Avec les années 2000, ces monnaies « sociales », ont connu un essor remarquable, notamment dans les milieux hispanophones. « Les banques de temps, des systèmes d’échange de services, ou de « valheures », se développent sur ce modèle, maintenant y compris en France », explique Dominique Torre (5). « Plus au Nord de l’Europe, des idées similaires existent, davantage portées par des intellectuels disons « new age », indique l’économiste. Cette idée de revenir au troc, d’échanger des services exempts de cotisations sociales, implique évidemment de promouvoir des transactions « au noir ». En Inde, un projet expérimental subventionné par l’Etat et le groupe Tata est en cours de développement. Il finance notamment la thèse de Maëlle Della Peruta. Pour la première fois, un pays prend les rênes d’une plateforme pour le développement d’une monnaie virtuelle solidaire et sociale. « Destinée aux populations non bancarisées, cette expérience intervient en support aux systèmes de distribution alimentaire public », développe la doctorante. L’idée est de donner accès à des services bancaires sans compte. « Comme les individus visés détiennent en revanche presque tous un téléphone mobile, le projet consiste à leur donner un moyen de paiement grâce à cette technologie dont ils disposent », précise Maëlle Della Peruta . À terme, l’expérience devrait permettre de vérifier si un modèle de monnaie virtuelle peut jouer son rôle d’inclusion financière pour une population et donc s’il propose une piste plus viable que ses prédécesseurs. Laurie CHIARA

(1) GRoupe d’Etude et de recherche en Droit Economie et Gestion de l’Université Nice Sophia Antipolis, Unité Mixte de Recherche CNRS. (2) http://www.sol-violette.fr/ (3) au 19 juin 2013 (4) Mais aussi l’abeille de Villeneuve-sur-Lot, la luciole d’Ardèche, la mesure du pays de Romans, l’occitan de Pezenas, le sol alpin de Grenoble ou le déodat des Vosges. (5) Dominique Torre, « Quel rôle économique et social pour les banques du temps ? », http://www. gredeg.cnrs.fr/ADMEO/Newsletter/60/news_dominique.htm


Conférence

Preuve scientifique et droit

Crédit : Alchemica GNU Free Documentation License

Longtemps l’apanage de la science fiction, la prédiction de crimes se situe actuellement quelque part entre fantasme et réalité. Avec elle, de nouvelles pratiques créent parfois la polémique. Mais, si le dépistage de gènes de prédisposition aux comportements dangereux, chez les jeunes enfants, a pu choquer l’opinion publique, les logiciels prédictifs de la police américaine semblent rencontrer moins de réticences. À l’avenir, ils pourraient donc compléter le kit scientifique de l’enquêteur infaillible. Or, tous les moyens sont-ils bons pour maintenir l’ordre social ? Les techniques scientifiques garantissent-elles réellement un risque d’erreur nul ? Et à quel prix, y compris en terme de liberté citoyenne? Face à un parterre de confrères et d’étudiants, Jean-Raphaël Demarchi, Maître de Conférences en droit privé à l’UNS a choisi, le 16 mai dernier, d’examiner les bouleversements liés à l’ascension de la « preuve scientifique ». Non que cette notion soit strictement contemporaine, puisqu’elle apparaît déjà au 6e siècle avant Jésus-Christ, dans le Talmud. La science entre en effet en scène dans une anecdote portant sur la résolution d’une question d’adultère. « Néanmoins, la médiatisation actuelle, par le biais surtout des séries

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Les laboratoires en lien avec le dossier

Dominique Torre est Professeur d’économie. Il appartient au Groupe de Recherche et d’Etudes en Droit Economie Gestion. Il dirige le département Demos (Dynamique des Economies des Marchés et des Organisations). site web : http://www.gredeg.cnrs.fr/

télévisées, véhicule des images exagérément simplificatrices de la preuve scientifique et de la technique policière », affirme le conférencier. L’ADN passerait presque pour un gadget. Pourtant, « la preuve scientifique ne peut se résumer à une technique », souligne Jean-Raphaël Demarchi. Par exemple, l’identification de marqueurs biologiques ne constitue pas une preuve suffisante pour authentifier un criminel. Dans ce contexte, est-il possible de proposer des outils efficaces pour les enquêteurs sans porter atteinte aux droits fondamentaux mis en code ? Autrement dit, « ce qui est scientifiquement possible est-il juridiquement souhaitable ? ». Le conférencier s’attarde notamment sur la question du fichage génétique. « Cette pratique dépasse la logique probatoire, puisque les données recueillies alimentent des banques, même en cas d’acquittement. Se manifeste là un glissement auquel il faut être vigilant* », estime l’orateur. Pourtant, dans le futur, le terrain d’investigation biologique devrait encore voir son champ élargi. L’étude morphologique des oreilles, la recherche sur les odeurs corporelles, l’analyse du réseau veineux des individus, viennent en effet gonfler la liste des indicateurs biométriques. Et « depuis le 7 juillet 2011, la loi de bioéthique autorise le recours à l’imagerie cérébrale », souligne le maître de conférences en droit privé. Face à ces pratiques, un suspect dispose-t-il alors de recours ? Difficile de l’assurer, car si les prélèvements forcés restent interdits**, le refus de s’y soumettre se trouve passible d’infraction pénale (15000€ et 1 an de prison)! « Sans compter que la personne réfractaire devient alors le suspect numéro 1 », note l’orateur. Les méthodes d’obtention des «preuves» scientifiques tendent ainsi à contraindre les libertés individuelles et rien ne semble à ce jour protéger spécifiquement les mineurs. Enfin, les textes laissent ouverte la possibilité d’analyser du matériel biologique « naturellement détaché» sans en informer l’individu. Une pratique abondamment illustrée sur écran, avec la désormais fameuse «scène du gobelet ». « Tout ceci effrite incontestablement le pouvoir du juge, qui ne décide plus dans son intime conviction. Or, il s’agit là d’un mécanisme intellectuel très fiable permettant d’accéder à la vérité », assure Jean-Raphaël Demarchi. Le spécialise préconise ainsi de «ne pas opposer le magistrat aux preuves scientifiques». Pour cela, notamment, « le fichage ne doit pas devenir un objectif », estime le maître de conférences. * Selon la CNIL, au 31 août 2012, le Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques contenait les profils génétiques de 2 039 874 individus dont : 1 641 176 personnes mises en causes 398 698 personnes condamnées Au 31 janvier 2010, le Fichier Automatisé des Empreintes Digitales comptait 3 451 622 individus enregistrés * *Exception faite des personnes ayant écopé d’une peine de 10 ans et des suspects d’infractions sexuelles.

Jean-Raphaël Demarchi a publié La preuve scientifique

Maëlle Della Peruta réalise une thèse au sein du GREDEG. Son projet porte sur : «Les modèles économiques d’implantation, de diffusion et d’adoption de services numériques sans fil en zone rurale : une application aux pays émergents et en développement». Pour consulter le résumé : http://www.theses.fr/s32282

et le procès pénal aux éditions Broché. (octobre 2012). Il est Maître de Conférence au département de Droit Privé et Sciences Criminelles de l’Université Nice Sophia Antipolis. Il est également rattaché au Centre d’Études et de Recherche en Droit Privé (CERDP). Cette conférence a eu lieu dans le cadre du Cycle de Conférences d’Ouverture du CERDP. Celui-ci reprendra au mois d’octobre 2013.


Sciences publiques

Nuit des coupoles ouvertes L’AGENDA :

12-13 Septembre Segamed Serious Games en Médecine et santé https://sites.google.com/a/ fr-aim.org/segamed2013/

L’Observatoire de Calern, à Caussols, a accueilli le grand public samedi 15 juin. Médiateurs amateurs et chercheurs ont guidé ces visiteurs d’un soir dans l’observation du soleil puis dans celle du satellite lunaire. L’occasion de mettre à jour ses connaissances sur les phénomènes physiques en jeu mais également sur la cartographie stellaire. Dès 22h, les plus patients ont pu assister à un tir laser lancé depuis un des téléscopes vers de petits satellites proches de la Terre. Ces mesures télémétriques permettent par exemple aux scientifiques d’évaluer au millimètre les variations du champ gravitationnel. L’autre temps fort aura été la capture en direct d’images de galaxies, distantes de plusieurs millions d’années lumière. Une opération rendue possible grâce à la récente remise en état du matériel d’observation. Un projet pilote dans les Alpes - Maritimes devrait permettre à une classe du secondaire de commander le téléscope à distance afin de suivre un asteroïde...

18 Septembre 10 ans Canceropole PACA Nutrition : mécanismes de l’alimentation et cancers Café des sciences. Tout le programme : http://www.canceropolepaca.fr/animationscientifique/2003-2013-les10-ans-du-canceropole-paca/

crédit : Laurie Chiara

10 ans cancéropole PACA Le Cancéropole PACA, pour ses 10 ans, s’est joint à la Ligue contre le Cancer les 15 et 16 juin dans une opération de prévention du cancer de la peau. Un Beach-Volley était organisé sur la Plage des Ponchettes à Nice, avec le soutien du Laboratoire Motricité Humaine Education Sport Santé de l’Université et du club Nice Volley-Ball. Côté bitume, deux tentes accueillaient les chercheurs, les membres de la Ligue, les médecins et le Réseau Régional de Cancérologie ONCOPACA-Corse, tous venus rencontrer la population estivale. Ils ont rappelé, à renfort de documentation pédagogique, les gestes de prévention indispensables pour éviter les effets néfastes du soleil. Trois laboratoires de recherche étaient présents : L’IPMC, l’IRCAN et le C3M. Les scientifiques ont davantage insisté sur l’aspect cellulaire du grain de beauté. Au moyen d’une maquette et de posters, ils ont illustré les mécanismes mis en jeu au niveau microscopique et les moyens de différencier à l’oeil nu différentes cellules malades (carcinomes et mélanomes) et saines.

crédit : John Pusceddu

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