la lettre
Culture Science
Antipolis une publication de l’Université Nice Sophia
N°3 - Juin 2013
unice.fr
ART PALÉOLITHIQUE : UN JEU D’ENFANT ?
Les peintures rupestres captivent l’homme moderne depuis plus d’un siècle. Retracer leurs origines, trouver leurs significations fait, aujourd’hui encore, l’objet de travaux de recherche. Ainsi, quand un illustrateur français pense avoir résolu « la plus vieille énigme de l’humanité », il paraît difficile de ne pas interroger la communauté scientifique. Lascaux : la vache rouge, les chevaux chinois. Chauvet et son panneau des mains négatives. La frise noire du Pech Merle. Sur les cinq continents, des grottes ornées de « dessins » captivent l’homme moderne depuis plus d’un siècle. Avant les techniques de datation, les spectateurs hasardeux croyaient à des gribouillages, à des fantaisies récentes. Bien au contraire, ces marques remontent parfois au Paléolithique, trente mille ans avant notre ère. Étrangement familières et mystérieuses à la fois, elles suscitent des interrogations. Pourquoi ces tailles, ces lieux, ces silhouettes ? Comment, dans quel but ont-elles été réalisées ? Les scientifiques démêlent les nœuds, débattent encore. Car l’exercice présente des écueils. « Dans l’étude des expressions graphiques anciennes, on est toujours pris entre ce qui va être personnel et ce qui sera de l’ordre du culturel, du social, du symbole », souligne Philippe Hameau, anthropologue à l’Université Nice Sophia Antipolis (UNS). Alors, quand un illustrateur français pense avoir trouvé la clé de tous les mystères dans un jeu d’enfant, la communauté scientifique grince des dents. Dans un ouvrage paru au mois de janvier aux éditions Fayard (1), Bertrand David, avec Jean-Jacques Lefrère, suggère une idée toute simple, survenue dans la chambre de son fils. Nos ancêtres auraient
réalisé les célèbres peintures pariétales au moyen de figurines, dont l’ombre aurait été projetée sur les cloisons naturelles à la lumière de lampes artisanales. Avec son co-auteur, médecin et historien de la littérature, Bertrand David assure ainsi résoudre « la plus vieille énigme de l’humanité ». Pas moins. Le message passe bien dans les médias. Il propulse le livre dans les rayons sérieux des grands distributeurs de produits culturels. Mais le milieu de la recherche reste de glace. Dans la communauté, la « nouvelle » trouve peu, pour ne pas dire pas d’échos. Et, pour Philippe Hameau, « il y a peu de chances que ça prenne ». Loin de remettre en question la possibilité d’une science participative, cet ancien conservateur du musée du Pech Merle n’adhère pas au récit du binôme. Pour avoir rampé dans suffisamment de galeries, escaladé assez de parois, il juge le travail présenté trop ethnocentré, peu rigoureux. Pour Marcin Sobieszczanski, docteur en Art, Sciences et Techniques, l’ouvrage s’annonce également « suspect ». « La variété des si tuations ne permet pas de proposer un seul modèle pour toutes les manifestations picturales », affirme le chercheur en sciences de la communication et en art et sciences cognitives, également en poste à l’UNS.