Modelisation

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La modélisation Corentin Macqueron Ingénieur en mécanique des fluides Juillet 2017 corentin.macqueron@gmail.com ENGINEERING & PROJECT


Qu’est-ce que qu’un modèle? (1/2) « Modèle (n.m.) : représentation d’un phénomène à l’aide d'un système qui possède des propriétés [Le Robert, 2013] analogues à ce phénomène. » « Modèle (n.m.) : représentation abstraite des relations entre les paramètres caractéristiques d’un [Larousse, 2013] phénomène ou d’un processus. » « Bribes fidèles mais épurées de la réalité. »

[Étienne Klein, directeur de recherche au CEA et philosophe des sciences]

Représentation simplifiée mais pas simpliste d’un phénomène complexe : un substitut de la réalité. ENGINEERING & PROJECT

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Qu’est-ce que qu’un modèle? (2/2) Un modèle n’est qu’une représentation de la réalité Un modèle n’est pas (et ne doit pas être) parfaitement ressemblant (sans quoi il n’a pas d’intérêt) « La carte n’est pas le territoire. »

[Alfred Korzybski, 1879-1950]

… certes, mais elle peut être plus intéressante! (voir plus loin)

René Magritte, La trahison des images, 1929

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La place de la modélisation La modélisation, c’est aujourd’hui : un nouvel espace intermédiaire entre :  la théorie et l’expérimentation  le réel et l’abstrait  le concept et la technologie

une des composantes fondamentales de l’épine dorsale de la R&D, du triptyque théorie-modélisation-expérimentation « Un nouveau rapport vis-à-vis de notre représentation du monde. » [Étienne Klein] ENGINEERING & PROJECT

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Différentes classes de modèles (1/2) Modèles prédictifs  Trajectoire  Météo  Etc.

Coup franc au football – balistique ENGINEERING & PROJECT

Prévisions météorologiques DIFFUSION LIMITÉE AREVA


Différentes classes de modèles (2/2) Modèles descriptifs  Interactions entre différentes parties prenantes  Représentation d’une société  Etc.

Interactions économiques ENGINEERING & PROJECT

L’organigramme d’une entreprise DIFFUSION LIMITÉE AREVA


Différents types de modèles (1/5) Modèle « réel » (par opposition à « virtuel »)  Modèle réduit (similitude)  Taille réelle

Modèle réduit de navette en soufflerie

Tests en vol de la navette-maquette Enterprise (« simple » planeur taille réelle)

Un modèle n’est donc pas forcément virtuel, numérique, informatique être bien ! ENGINEERING & PROJECT ou abstrait, il peut DIFFUSION LIMITÉEréel AREVA


Différents types de modèles (2/5) Modèles « mentaux » : Représentation intuitive ou « instinctive »  Trajectoire d’un objet (« Je l’ai ! »)  Capacité de franchissement (« Ça passe ! »)  Expérience de pensée (« Et si je faisais comme ci plutôt que comme

ça? », « Ai-je le temps d’aller chercher les enfants ? »)

à la réception… ENGINEERINGLoupé & PROJECT

Eh non, ça ne DIFFUSION LIMITÉE AREVA

passe pas!


Différents types de modèles (3/5) Modèles comportementaux

Modèle de l’évolution de l’engagement et des compétences d’un étudiant en alternance en entreprise

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Différents types de modèles (4/5) Modèles mathématiques et/ou physiques  Mécanique des structures  Mécanique des fluides  Etc.

Contraintes mécaniques dans la structure d’un Airbus

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Équations de Navier-Stokes pour un fluide incompressible DIFFUSION LIMITÉE AREVA


Différents types de modèles (5/5)

Méta-modèles : des modèles de modèles…

 Quand un modèle, qui est déjà une simplification de la réalité, reste trop

complexe, on peut vouloir le simplifier  Mais attention : un méta-modèle n’est pas juste un modèle plus simple d’une même réalité. C’est un modèle basé sur un modèle : il ne cherche pas à mimer la réalité mais à mimer un modèle de la réalité

 Il s’agit donc d’un modèle de modèle : un méta-modèle

À gauche : un champ de vitesse dans une cuve agitée déterminé de manière détaillée en des dizaines de milliers de points avec une modélisation fluidique 3D À droite : un méta-modèle basé sur le modèle 3D, qui suppose un champ de vitesse beaucoup plus simple (12 zones seulement) ENGINEERING & PROJECT

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Les modèles prédictifs Il existe deux types de modèles prédictifs :

 Les modèles déterministes  nombre de « degrés de liberté » raisonnable  faible part de l’aléatoire  Les modèles probabilistes  nombre de « degrés de liberté » gigantesque  forte part de l’aléatoire

Déformation d’une structure : modèle déterministe ENGINEERING & PROJECT

Physique des particules : modèle probabiliste DIFFUSION(ici, LIMITÉE AREVA désintégration du boson de Higgs)


Modèle prédictif : structure et example

Paramètres d’entrée

MODÈLE (Lois, principes, etc.)

Résultats / Prédictions

Un exemple : la cocotte-minute :

Température

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Pression

Modèle physico-mathématique : Loi des gaz parfaits (pV = nRT) DIFFUSION LIMITÉE AREVA


Champs d’application de la modélisation (1/4) Météorologie (prévision météo, …) Climatologie (réchauffement de la planète, …)

Prévision météo sur l’Europe ENGINEERING & PROJECT

Prévision du réchauffement climatique du GIEC DIFFUSION LIMITÉE AREVA


Champs d’application de la modélisation (2/4) Cosmologie (formation des galaxies, …) Économie (cours de la bourse, …)

Densité de matière dans l’Univers

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Cours de la bourse

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Champs d’application de la modélisation (3/4) Sociologie (comportement des consommateurs, …) Mécanique (mécanique des fluides, …)

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Champs d’application de la modélisation (4/4) Biologie (dynamique des populations, …)

Santé (épidémiologie, …)

Croissance bactérienne ENGINEERING & PROJECT

Présence du paludisme à Madagascar DIFFUSION LIMITÉE AREVA


Modélisation ou Simulation?  La simulation est la représentation exacte d’un phénomène  La modélisation en est l’approximation  Par abus de langage, « simulation » est souvent employé à la place de « modélisation » Turbulence en mécanique des fluides : Simulation à gauche, modélisation à droite Une analogie avec les autoportraits : Rembrandt à gauche, Van Gogh à droite

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Les différentes étapes de la construction d’un modèle numérique  Cas réel : Écoulement fluide autour d’un cylindre  Modèle physico-mathématique pour les champs de vitesse et de pression : Équations de Navier-Stokes  Discrétisation :  Découpage du domaine en « mailles », qui sont comme

la « trame d’un tissu »  Passage d’un nombre infini à un nombre fini de valeurs à calculer, aussi bien en temps qu’en espace

 Mise en données :  Conditions limites : vitesse et pression aux bords du

domaine de calcul  Propriétés physiques du fluide (masse volumique, viscosité) et des parois (rugosité)

 Convergence du calcul  Post-traitement des résultats  Confrontation aux mesures expérimentales ENGINEERING & PROJECT

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Sécurité ou réalisme?  Souvent, pour des raisons de coûts et de sécurité, les modèles développés sont simplistes et « pénalisants » ou « conservatifs » : on ne cherche pas à reproduire la réalité mais à être très au-delà de la réalité pour prendre des marges de sécurité  Même sur des modèles très détaillés, on cherche généralement à conserver des marges  Au final, la modélisation ne cherche souvent pas à reproduire la réalité mais à imaginer le pire scénario  Les résultats ne sont donc souvent pas réalistes, ce qui est un reproche fréquemment fait à la modélisation, mais ce n’est pas parce que la modélisation n’est pas « bonne », c’est principalement pour des raisons de sécurité  On cherche cependant parfois à être « au plus juste » :  Pour qualifier un modèle par comparaison à la réalité (mesures expérimentales)  Pour dégager un certain nombre de marges ENGINEERING & PROJECT

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Qualification (1/3)  Pour être utilisé à bon escient, un modèle doit être qualifié afin de démontrer sa bonne représentativité physique  La qualification est une notion complexe, sujette à interprétation

 À titre d’exemple, l’ASTM E 1355-04 définit la qualification comme :

« La procédure permettant de quantifier la précision des résultats d’un modèle utilisé dans le cadre d’une application spécifique. »  Généralement, la qualification d’un modèle s’organise autour de deux étapes :  La vérification de la bonne écriture des équations et de leurs méthodes de résolution  La validation des résultats de la modélisation par comparaison avec des données expérimentales

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Qualification (2/3) Exemples de qualification de modèles :

Température au niveau d’un thermocouple durant un incendie

Hauteur de suspension de particules dans une cuve en fonction d’un rapport de vitesse d’agitation

La précision des mesures (« barres » d’erreur) est fondamentale pour la qualification, mais n’est malheureusement pas toujours disponible ENGINEERING & PROJECT

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Qualification (3/3)  La qualification est fondamentale pour la modélisation, notamment lorsque celle-ci est utilisée dans le cadre de la sécurité (automobile, nucléaire, etc.)  La modélisation est soumise à des forces antagonistes :  Elle est dépendante de l’expérimentation pour sa qualification  Elle doit cependant, dans une certaine mesure, savoir s’en affranchir pour révéler ses principaux atouts :  réduction des coûts liés à l’expérimentation  exploration de domaines « inexpérimentables » (voir plus loin)  L’ingénieur doit donc savoir dans quelle mesure il doit qualifier son modèle mais aussi dans quelle mesure il peut lui « faire confiance » afin d’éviter les deux extrêmes :  Exiger une qualification systématique qui pénalise les coûts et les délais  Utiliser un modèle à tort et à travers et produire des résultats faux et dangereux

Il est de la responsabilité de l’ingénieur de qualifier ses outils de modélisation et d’en connaître les forces et les limites afin de les utiliser à bon escient dans le cadre du tryptique Qualité – Coûts – Délais ENGINEERING & PROJECT

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Au-delà de l’expérimentation (1/2) Un modèle peut se révéler plus intéressant qu’une expérimentation lorsque celle-ci est :  Trop coûteuse (crash test d’un Airbus A380, etc.)

 Trop dangereuse (fusion du cœur d’un réacteur nucléaire, etc.)  Immorale (crash test avec de véritables passagers, etc.)  Difficilement reproductible ou mesurable (incendie dans un immeuble, etc.)  Insuffisamment préparée (phénomènes importants mal compris, etc.)  Impossible (évolution de déchets nucléaires sur plusieurs millions d’années, collision de galaxies, effondrement d’une étoile, etc.)

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Modélisation de l’impact d’un avion contre le World Trade Center et le Pentagone : un bon exemple d’expérimentation à la fois quasiment impossible, hors de prix, immorale, dangereuse, difficile à reproduire et à DIFFUSION LIMITÉE AREVA instrumenter


Au-delà de l’expérimentation (2/2)  Une expérimentation en laboratoire n’est jamais totalement représentative de la réalité, c’est déjà un modèle en soi  Une modélisation est également une expérimentation, même si elle est souvent virtuelle. Par ailleurs, elle permet :  d’identifier ou de sélectionner de nouvelles pistes de recherche  de révéler des comportements inattendus  de pénétrer des no-man’s-lands expérimentaux (accélérer le temps, agrandir les espaces, représenter l’irreprésentable)  de démultiplier les moyens d’investigation des scientifiques

« La simulation a un statut semblable à celui de l’expérience. » [Michel Serrès, philosophe et historien des sciences, membre de l’Académie française]

La modélisation ne supplante pas l’expérimentation, mais elle peut l’alimenter et donner une nouvelle prise sur le réel ENGINEERING & PROJECT DIFFUSION LIMITÉE AREVA


Modélisation et informatique (1/3) Avant les années 1940, la modélisation relevait principalement de l’expérience de pensée, car les modèles physicomathématiques étaient généralement impossibles à résoudre « à la main » Avec l’avènement de l’informatique, les modèles développés par les scientifiques ont enfin pu être « explorés » grâce au calcul numérique La modélisation numérique est le « mariage » de la Physique, des Mathématiques et de l’Informatique… (pour le meilleur et pour le pire)

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L’ENIAC, premier calculateur numérique DIFFUSION LIMITÉE AREVA électronique programmable, 1945


Modélisation et informatique (2/3) La complexité des modèles est directement liée à la puissance informatique :  la puissance des processeurs double grosso modo tous les 18 mois (« loi » de Moore)  la puissance informatique d’une machine en 2017 a donc été multipliée par

environ… 280 000 milliards depuis 1945 (!!!)  cette « loi » de Moore pourrait arriver à « saturation » vers 2020

Tianhe-2, en Chine, avec ses 80 000 processeurs, était le plus puissant supercalculateur du monde en 2013 ENGINEERING & PROJECT

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Modélisation et informatique (3/3)  Il faudra encore environ un siècle pour que la turbulence en mécanique des fluides puisse être « proprement » simulée numériquement  La prochaine révolution informatique attendue est l’avènement des supercalculateurs quantiques, mais leur développement se heurte à de considérables difficultés techniques

D-Wave, le second superordinateur quantique commercial du monde (Google/NASA)… dont on ne sait pas grand-chose ENGINEERING & PROJECT

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Les « dangers » de la modélisation La modélisation porte en elle autant de risques que de promesses : Perdre le sens du réel à cause du modèle Souvent aucune alerte en cas de sortie du domaine de validité Certains phénomènes sont encore mal connus et donc mal traduits dans les modèles (la turbulence par exemple) Sous-estimation, voire oubli, de phénomènes importants Être « noyé » par la masse des résultats numériques Résultats numériques mal convergés sous la pression des délais Effets d’échelles Assimiler un résultat qualitatif à un résultat quantitatif

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Du Réel au Modèle : De multiples sources d’erreurs… Modèle physicomathématique Réel

Discrétisation Propriétés physiques Conditions limites Convergence Résultats

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Avantages – Inconvénients Avantages  Coûts  Compréhension en profondeur : Analyses paramétriques Études de sensibilité Accès à toutes les valeurs en tous points de l’espace et du temps

Inconvénients  Coûts (parfois plus cher, parfois moins cher que des essais)  Précision (peut être insuffisante)  Modélisation faussée et « surprises » aux essais…

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Conclusion La modélisation, c’est :  Un formidable outil de R&D  Un moyen :  de diminuer les coûts de recherche et d’ingénierie  d’améliorer la sûreté et les performances

 Une méthode pour représenter l’irreprésentable  Une source d’erreurs à ne pas négliger  Bref, un métier à part entière!

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Quelques références Andrew Ford, Modeling the Environment, Island Press, 1999 Collectif, Recherche & Simulation, revue « Clefs CEA », numéro 47, 2002 J.-M. Ghidaglia, B. Rittaud, Back to Basics : La simulation numérique, revue « La Recherche », numéro 380, 2004 Collectif, La simulation numérique, revue « CEA Jeunes », numéro 16, 2007 S. Gasser, La modélisation scientifique, Prométhée SAS, 2011 F. Varenne, M. Silberstein, Modéliser & Simuler, INRIA, 2013

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