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Lʼéchec nʼest pas une fatalité

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143: une main offerte

ILS ÉCOUTENT NUIT ET JOUR LES APPELS AU SECOURS. ILS, CE SONT LES ACCOMPAGNANTS BÉNÉVOLES DE LA MAIN TENDUE, LE FAMEUX 143. ENTRETIEN AVEC LE DIRECTEUR DE SON ANTENNE ZURICHOISE, MATTHIAS HERREN.

Propos recueillis par Thomas Feuz

Vous dirigez le bureau de Zurich, le plus grand de Suisse. Nous comptons 96 bénévoles et cinq salariés, soit un total de 36,5 emplois à plein temps. Nos dépenses sʼélèvent à 900000 francs par an. Neuf bénévoles par jour et dix employés sont actifs dans le conseil en ligne chaque semaine. Le nombre dʼappels a augmenté de 15 % lʼan dernier.

Qui peut faire appel à vous? En gros, tout le monde, pour tout et à tout moment. Cʼest notre grande force. Il existe en Suisse de nombreuses bonnes offres spécialisées, mais personne qui soit ouvert à toutes les questions. Le 143 est lʼun des premiers points de contact.

Vos répondants, comment auraient-ils réponse à tout ? Nos employés nʼont pas de réponses. Mais grâce à une bonne formation, ils savent bien écouter. Cela signifie aussi reformuler en retour, mettre en confiance, ouvrir un espace. Nous ne donnons pas non plus de conseils. En gros, nous voulons entrer en conversation avec la personne. Nous nous renseignons sur ses ressources; il peut sʼagir de personnes, mais aussi de stratégies pour surmonter des crises. Nous pouvons également leur indiquer dʼautres offres et recours. Nous voulons donner des impulsions, encourager nos interlocuteurs à regarder devant eux et à faire les premiers pas.

Où et à quoi remonte le 143? Dans les années 1950, deux fois plus de personnes se suicidaient quʼaujourdʼhui. En 1957, les fondateurs de la Main Tendue ont voulu créer une offre vers laquelle les gens pourraient se tourner dans leur désespoir. Le projet sʼest heurté au scepticisme.

Matthias Herren dirige le bureau zurichois de la Main tendue, un organisme dʼécoute au service de toute la population en Suisse.

«Personne nʼappellera», nous a-t-on averti. Or, au cours de la première année seulement, nous avons reçu plus de 3600 appels. Aujourdʼhui, on compte plus de 170000 conversations et environ 7000 contacts en ligne dans toute la Suisse.

Et le financement? Pour les appelants, la connexion coûte 20 centimes, quelle que soit la durée de lʼappel. Cette redevance a été introduite pour limiter les appels de plaisantins. Autrement, le 143 est financé par des dons. A Zurich, les Eglises couvrent 55% des coûts. Dans dʼautres régions, ce pourcentage est un peu plus faible. Le reste provient de dons individuels, de collectes, de vente de cœurs en chocolat et, dans de rares cas, les legs.

Quels sont les sujets ou situations qui reviennent sans cesse? Les gens souffrent souvent de dépression et ont des problèmes professionnels ou relationnels. La solitude, et pas seulement chez les personnes âgées, ainsi que le harcèlement et la violence, reviennent aussi.

Y a-t-il une tranche dʼâge plus représentée? 40% des appelants sont âgés de 41 à 65 ans, 22% de 19 à 40 ans et 29% de plus de 65 ans. Dans le secteur «en ligne», un bon tiers des contacts ont moins de 18 ans. Les problèmes existentiels tels le suicide reviennent cinq fois plus souvent quʼau téléphone.

Quels sont les besoins du 143, en pensant à lʼavenir ? Il est important que nous restions présents et que les gens le savent. Nous avons besoin de ressources, dʼun nombre suffisant de bénévoles qui investissent cinq heures par semaine et des finances nécessaires. Nous proposons des tchats depuis un certain temps. Ici, la demande dépasse de loin notre offre. A lʼavenir, il sera crucial que les demandeurs puissent choisir parmi plusieurs canaux.

Question personnelle pour terminer : votre credo ? La Main Tendue est lʼincarnation de la conviction selon laquelle «ne rien faire» peut avoir de nombreuses conséquences. Etre là, écouter: cʼest ainsi que nous changeons le monde. ▪

LE SUICIDE EN RECUL

A la fin des années 50 du siècle passé, on comptait 23 suicides pour 100 000 habitants. Aujourdʼhui, on nʼen recense que la moitié. Ce comptage systématique ne tient pas compte des tentatives de suicide. Un sondage réalisé en 2017 indique que 3% de la population a déjà tenté de mettre fin à ses jours, soit 200 000 personnes. Parmi ces derniers, deux fois plus de personnes se sentent épuisées psychologiquement ou souffrent de douleurs physiques. Cette étude montre en outre que 15% des personnes interrogées nʼont jamais parlé de leurs pensées suicidaires avec une tierce personne. Elles disent souffrir de solitude et bénéficier de peu ou pas de soutien social. Il est donc important de parler de telles pensées avec une personne de confiance ou en appelant le 143.

Ma vie ne se résume pas à un sein ENSEIGNANTE, CONFÉRENCIÈRE ET AUTEURE, SOLANGE RABY A PUBLIÉ «LA VIE, CʼEST PLUS QUʼUN SEIN» (ÉD. MLK), SON JOURNAL INTIME DES CINQ ANNÉES PASSÉES ENTRE LA DÉCOUVERTE DʼUNE TUMEUR ET UNE RECONSTRUCTION MAMMAIRE. ENTRETIEN.

Interview: Rachel Gamper

Comment les membres de votre famille ont-ils vécu lʼannonce de votre ablation du sein? Chacun a vécu cette histoire à sa façon avec plus ou moins de douleur et de réaction. Par exemple, quand jʼai expliqué à la dernière de nos trois filles quʼon allait mʼenlever un sein, elle a dû être hospitalisée, tant le choc de lʼannonce a été brutal. Elle avait neuf ans. Ma reconstruction et les aléas qui lʼont entourée nous ont donné lʼoccasion de débattre en famille sur le fantasme du corps féminin idéal qui nous est imposé aujourdʼhui. Je ne dis pas que la chirurgie esthétique est mauvaise. Mais la quête actuelle du corps idéal, jeune et parfait est un

leurre; elle est dangereuse à la fois physiquement et psychologiquement. Rien nʼest jamais anodin.

Vous avez accepté lʼablation dʼun sein. Avez-vous pensé à prier pour une guérison? Je crois en la guérison divine et nous avons bien sûr prié dès que lʼon a découvert cette boule dans mon sein gauche. Mais avoir la foi, ce nʼest pas refuser les soins médicaux: cʼest faire confiance à Dieu quoi quʼil advienne. Parfois, Dieu permet aussi un autre chemin que la guérison miraculeuse, car il sait que cʼest le seul moyen pour nous dʼapprendre certaines choses, de grandir, dʼapprofondir notre relation avec lui.

Oui, par exemple au cours de ma reconstruction. En septembre 2012, au retour de lʼhôpital où je venais juste de subir la mastectomie (lʼablation du sein), un courrier mʼattendait et mʼannonçait que jʼavais un souci sur le col de lʼutérus. Jʼen ai pleuré. Comme si cʼétait fait exprès! Ma gynéco voulait opérer. Jʼai demandé la prière et lʼonction dʼhuile pendant un culte et Dieu a agi: totalement guérie! Absolument plus rien. En mars 2017, Dieu est encore intervenu. Alors que jʼétais en soins intensifs à lʼhôpital, personne nʼa vu que je faisais une hémorragie interne. Le personnel médical mʼa laissée comme cela plusieurs heures. Mon état sʼest fortement dégradé et jʼétais mourante lorsque lʼon mʼa ramenée au bloc pour la troisième fois en deux jours. Pendant lʼopération, jʼai fait un

choc hémorragique, un œdème pulmonaire et un arrêt respiratoire. Cʼest un vrai miracle que je mʼen sois tirée, qui plus est sans séquelle neurologique. Je le vois dans les yeux effarés des médecins chaque fois quʼils prennent connaissance de mon dossier.

Votre livre évoque peu votre engagement spirituel. Pourquoi? Jʼai entièrement remanié mon journal intime en vue de sa publication. Bien que jʼaborde clairement le sujet de la spiritualité, il mʼen a coûté de passer sous silence notamment mon engagement dans la création dʼune communauté chrétienne locale et le combat que cela impliquait en plus de la charge de travail. En fin de compte, le message est là, comme une pincée de sel dans un plat.

En quoi avez-vous évolué grâce à ces expériences? Auparavant, jʼavais peur des hôpitaux et même des malades. Mon regard nʼest plus le même. Je peux dialoguer avec des personnes qui vivent des épreuves, mieux les entendre, sans pour autant être effrayée ou mal à lʼaise. Ma relation avec Jésus sʼest aussi approfondie, enrichie. Beaucoup veulent vivre des révélations et des miracles, mais ils oublient que ceux-ci arrivent toujours dans un contexte dʼépreuve, de douleur, parfois même de catastrophe. Il nʼy a quʼà lire la Bible. La mer sʼest ouverte pour laisser passer le Peuple hébreu alors que ces derniers étaient sur le point de se faire exterminer par lʼarmée de Pharaon. Les compagnons de Daniel rencontrent

Beaucoup veulent vivre révélations et miracles mais oublient que ceuxci surviennent souvent dans un contexte dʼépreuves

lʼange après avoir été jetés dans la fournaise. Les missionnaires Paul et Silas sont délivrés de la prison après avoir été torturés.

A qui sʼadresse votre livre? Les difficultés de lʼexistence nʼépargnent personne. Les traumatismes, quʼil sʼagisse de la maladie, du handicap, du deuil, dʼune rupture sentimentale, des abus, de la violence,

dʼun divorce ou des problèmes relationnels, aboutissent à des constats universels. Je crois que chacune et chacun peut se retrouver dans mon histoire. Il y a un effet miroir. Par ce livre, jʼai aussi souhaité prêter mes mots à ceux qui ne savent, nʼosent, ne peuvent exprimer leur ressenti face à une épreuve. Je veux également offrir mes yeux aux personnes disposées à entendre, à saisir, à pénétrer le cœur de celles et ceux qui passent par la maladie.

Quel a été votre parcours depuis décembre 2017? Je suis surveillée par le corps médical «comme le lait sur le feu», autant sur le sein reconstruit que celui naturel. Les médecins craignent que jʼaie le même problème sur le sein restant. Mais je refuse catégoriquement de

vivre dans la peur. Je fais confiance à Dieu. Il tient ma vie entre ses mains. Je dois en outre gérer les petits «déglingages», fruits de ces dix opérations: mal de dos, cicatrices, adhérences, problème de mâchoires et de cervicales, bruxisme, acouphènes, troubles de la mémoire et du sommeil, etc. Je porte une gouttière la nuit et des semelles le jour. Trois kinés et une orthophoniste sʼoccupent de moi et mon emploi du temps est bien rempli. En effet, chacun me donne des «devoirs à la maison». Donc tout va bien, mais il y a encore un peu de boulot pour me remettre en selle... même si jʼenfourche mon VTT presque tous les jours pour rester en forme! ▪

BRUNO A SOMBRÉ DANS LʼADDICTION À LʼORÉE DE LA TRENTAINE. RÉCIT DʼUN CHEMIN DE RECONSTRUCTION AVEC LES AA, BIBLE À LA MAIN ET LE SOUTIEN DE SES PROCHES. Délivré de lʼalcoolisme

Marie Lefèbvre-Billiez

La vie paisible de Bruno, seize ans, fils unique, prend un tournant dramatique lorsquʼune camarade de classe, dont il se sent proche, se suicide. Bouleversé et impuissant, celui qui est aujourdʼhui père de deux filles adultes et grand-père dʼun petit-fils se retrouve comme «devant le fait accompli», avec un immense sentiment de culpabilité de nʼavoir pas vu la détresse de son amie, de nʼavoir pas su lʼaider.

La souffrance refait surface Les années passent. Bruno poursuit ses études, se met à exercer en tant que professeur dʼanglais, se marie et devient même papa. «Jusquʼà lʼâge de vingt-neuf ans, jʼai mis un mouchoir sur ma souffrance», confie-t-il. Mais à la naissance de sa deuxième

gnerie et que cela est passible de lʼenfer. «Voilà qui mʼa fait peur. Alors, je me suis rapproché de Jésus pour arrêter.» Il accepte le Christ comme son sauveur et Seigneur personnel, renonçant à lʼalcool, son ancien «dominateur».

fille, tout r e s s u r g i t , comme une vague irrésistible. Il fuit alors dans lʼalcool «comme anxiolytique». «Un jour, je me suis mis à boire pour oublier que je buvais.» Il bascule alors dans la maladie de lʼalcoolisme, sauf que pendant des années, Bruno croit quʼil peut arrêter de boire quand il veut. Il fréquente de nombreuses associations, des groupes de parole, il est interné en psychiatrie. Il se lance alors dans une première cure de désintoxication. Mais rien nʼy fait. Le

p è r e de famille reprend systématiquement le chemin de la boisson. Lors de sa deuxième cure, il a lʼidée un peu étrange de prendre une Bible avec lui, bien quʼil ne soit pas croyant. «Au début, pour moi, Jésus était un philosophe, comme Platon et tant dʼautres. Mais pendant ma cure, à force de lire la Bible, je me suis rendu compte quʼil y avait autre chose.» Dans cette «autre chose», il puise la force de sortir de lʼalcoolisme. Il découvre que la Bible condamne lʼivro

Ne plus jamais boire A la fin de la cure, un déclic se produit; Bruno comprend quʼil ne doit plus boire un seul verre dʼalcool, jamais, car ce serait la rechute garantie. Il rejoint les Alcooliques Anonymes, car il peut librement y vivre sa foi, en parler et aider dʼautres malades à devenir abstinents. Ensemble ils se serrent les coudes, pour remporter cette victoire, un jour après lʼautre.

Quinze ans dʼabstinence Aujourdʼhui, cela fait plus de quinze ans que Bruno est abstinent. Reconnaissant envers sa femme qui ne lʼa jamais abandonné, Bruno a dû arrêter lʼenseignement, car sa santé ne suivait pas. Il écrit désormais des livres, notamment Un chemin vers la dignité (éd. Farel), roman autobiographique sur son rapport à la Bible et lʼimpact sur sa sortie de lʼalcoolisme. ▪

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