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Contacts Rapport d’Êtude de fin de cycle de licence 2014-2015 dalila midoun 05 05 015



Plan

Introduction

I- Les charmes du concret

a- La piscine du Rhône b- L’ enseignement du concret c- L’ enseignement des sens

II- Considérations grandissantes pour le contexte

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a- Accroches et émancipations b- Prise de conscience de son importance

III- Travail avec les artisans du bâtiment

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a- L’ enseignement du chantier b- Les découpes de Matta-Clark c- Architecten de vylder vinck taillieu

Conclusion Index bibliographique et références

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Giroud Coralie, Tobbogan givré, photographie argentique, MINOX 35GT, scan du négatif, Lyon, décembre 2011.


Puisque je dois à présent vous parler de mon parcours, il me semble que je dois commencer par l’introduire à travers mes détours, commencer par accepter le temps et le nombre d’ années qu’il m’a fallu pour arriver jusque là. Un temps nécessaire à l’exploration parfois inconsciente oscillant majoritairement entre la conception théorique, sensible du dessin et sa réalité tangible : sa production sur le chantier, mais aussi à travers les autres déambulations vers lesquelles ma sensibilité m’a attirée. Autour de la découverte de ces autres pratiques et savoirs artistiques stimulants qui entourent notre domaine : la musique, l’art, le design graphique, la photographie et l’événementiel. La pratique de l’architecture est binaire seulement si nous la considérons à travers l’indissociabilité de sa pensée et de sa production, autour de ce besoin de comprendre comment matérialiser l’immatériel qui a souvent orienté mes expériences. La pratique de l’architecture devient plus riche et complexe dès lors que nous pouvons y introduire d’autres inspirations. Approcher et parcourir des univers pluriels afin d’en saisir informations, notions, sensibilité, logique, poétique, politique, a permis d’ alterner mon parcours entre études et pratiques, écoles et sites qui je l’espère m’aideront un jour à réaliser ‘un bon dessin’?

Les charmes du concret

La piscine du Rhône

Le premier contact avec la production physique du projet, est venue suite à l’initiative d’intégrer l’équipe de bénévoles pour l’organisation du festival des Nuits Sonores en 2010. Notre mission prévoyait la mise en œuvre des éléments scénographiques prévus et pensés par les architectes de LFA (Looking For Architecture) sur le site de la Piscine du Rhône. Construite en 1965 sur le quai Claude Bernard, la piscine du Rhône borde le fleuve. Exposée à l’ ouest, baignant sous le soleil l’été, elle s’inscrit sur la longueur des berges lyonnaises. L’horizontalité de ses bassins et de ses espaces extérieurs est rythmée par la verticalité de quatre pylônes de béton blanc dépassant la hauteur des constructions voisines. Signal dans la ville, emblème de la presque-île, elle m’a toujours intriguée. Je l’observais de loin, parfois de près, souvent rapidement

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Cliché personnel, César, Montage des Nuits Sonores, photographie argentique, PENTAX K1000, scan du négatif, Lyon, mai 2014.

Cliché personnel, Marché Gare, Hall 2, photographie argentique, PENTAX K1000, scan du négatif, Lyon, mai 2014.

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lors de mes déplacements en voiture sans jamais l’avoir parcourue. Puis, elle a fermé pendant plusieurs années pour cause d’insalubrité. Attendant ses rénovations, elle sommeillait en s’altérant sans même y voir des usagers. L’association Arty Farty profita de cette aubaine pour décider d’y organiser des événements musicaux. Carreaux fendus, mosaïques manquantes, mousses verdâtres dans les fonds de bassins, poussières et peintures écaillées nous accueillaient. Une superficie généreuse et lumineuse avec une vue privilégiée sur la ville, le caractère brut et puissant se dégageant des piliers de béton soutenant la terrasse haute, ainsi que l’ atmosphère nostalgique de l’abandon témoignaient cependant du potentiel du lieu. Les interventions planifiées par LFA avaient lieu au cœur du hall principal (rectangulaire) qui permet l’accès aux bassins extérieurs, et qui communique directement avec la terrasse haute de la piscine, là où allait se trouver la scène et la piste de danse. Séparés par des parois vitrées simple vitrage encadrées de montants dorés, le hall et la terrasse semblaient ne faire qu’un. Semblable à un belvédère, les pièces nous offraient au loin une vue sur le fleuve, les quais, la colline de Fourvière, le centre ville et son couché de soleil à la fin de journée. Les clés de la piscine, Dibond, moquette, échelles, polycarbonate, tasseaux, cutters, éponges, peintures, stickers, vis, colsons, seaux, outils, scotchs et plans étaient à notre disposition pendant toute une semaine, ainsi qu’ un catering quotidien. Nous étions pendant ces sept jours les usagers privilégiés, les acteurs de la transformation du lieu pour l’ usage vandale, éphémère et détourné de sa fonction première pendant la durée du festival. Nous avons commencé notre semaine de travail par le nettoyage des lieux et l’élaboration d’une structure en tasseaux de bois. S’appuyant sur les murs existant elle nous permettrai la fixation ultérieure des panneaux de Dibond miroir sur toute la hauteur et la longueur du hall. Le comptoir du hall, qui allait se transformer en bar devait être repeint en noir et porter la signalétique nécessaire. Nous avons aussi déroulé et fixé d’innombrables lais de moquette grise allant de l’entrée de la piscine jusqu’à la terrasse. Devant suivre l’irrégularité des murs, des sols existants et couvrir les marches d’escaliers, ce travail nous a pris plus de temps que prévu, et nous a demandé de travailler la nuit précédant l’inauguration. La signalétique allait venir habiller les panneaux de Dibond, les murs et les vitrages. Je m’étonne encore du contraste entre les moyens mis en œuvre et le résultat banal de jour mais si

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merveilleux de nuit, de tout ce travail, de cet investissement consumé par l’énergie de ses usagers en si peu de temps. A la nuit tombée, les piliers de bétons se nappaient d’une lumière bleue sur lesquels dansaient des étoiles blanches et l’inscription Nuits Sonores. Les lumières de la scène traversaient tout le lieu, elles pénétraient dans le hall, se réverbéraient sur les panneaux de Dibond miroirs et couvraient les visages et les corps en mouvement de couleurs lumineuses faisant de nous tous les martiens de la nuit. Les montants dorés des châssis vitrés et l’architecture de la piscine là bien avant nos interventions participaient à l’ambiance festive. Le passé résonnait avec le présent, supportait et magnifiait l’instant. J’ai évidemment renouvelée l’expérience en mai 2014 pour la douzième édition du festival qui se tenait sur le site de l’ancien Marché Gare du quartier de Perrache.

C’est le moment pour vous d’écouter Vibe Decorium 1 de Blawan ou Unstable Condition 2 de John Tejada pour les oreilles moins averties, puisque cette expérience est inévitablement liée à mon amour pour la musique techno. Liée, à cette opportunité que nous offre la nuit, la musique, l’ombre, les lumières artificielles et le rythme de transcender un lieu et soi même. Transcender un lieu, c’est le vivre intensément: frénésie ambiante, mouvements syncopés, sueurs acides, valse des corps, du regard et des esprits nous permettent un instant, quelques heures d’échapper à la dictature normée de nos vies diurnes. Exutoire pour l’âme et le corps, espace d’expression de nos folies réprimées, la fête est nécessaire à maintenir notre équilibre. L’ombre, transpercée par ces lumières fractales éveille nos regards, souligne les particularités du lieu jusque là encore insoupçonnées, elle nous révèle la nature subversive et cachée de l’édifice. C’est un attentat architectural et sonore, éphémère et planifié mais nécessaire qui fait vibrer l’édifice de couleurs, de formes et de sonorités jusque là inespérées. “L’architecture existe dans un domaine qui lui est propre. Elle entretien avec la vie une relation particulièrement physique. 3”, nous invite a considérer Peter Zumthor. Faire suinter le béton, faire grincer l’acier, faire trembler le verre, mettre tous ces matériaux en tension et en communion avec nos énergies partagées c’est faire corps avec le lieu. Cette transgression provisoire pourrait faire croire à un manque de respect envers le bâti ou nourrir la peur de l’altérer,

1 Blawan, Vibe Decorium, Gent, R&S Records, 2011, 5:11 minutes. 2 John Tejada, Unstable condition, Köln, Kompakt Records, 2011, 5:48 minutes 3 Zumthor (Peter), Penser l’architecture, Basel, Birkhäuser, 2014, 108p.

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mais au contraire elle témoigne d’une profonde considération pour celui-ci. Dans le documentaire We had a dream 4, Leo, membre du collectif Heretik et militant au droit pour la fête libre, témoigne avoir remercié la piscine du Molitor au moment de la quitter après y avoir organisé une free party titanesque en 2001. Pour l’organisation de cette fête, le collectif à travaillé illégalement pendant près de deux mois pour la nettoyer, la rendre praticable et accessible pour la venue des festivaliers: ils en ont pris soin alors que tout le monde l’avait oubliée. Ce qui est édifié, construit ou bricolé est palpable, peut être vécu et appréhendé et peut parfois révéler ce que nos traits de dessins n’auraient jamais pu supposer. Alexandre Audouze-Tabourin n’a certainement jamais imaginé que la piscine olympique de la ville puisse un jour vibrer sous la cadence des frappements de pieds déchaînés de ces danseurs improvisés, et que son architecture puisse réunir des citadins férus de musiques électroniques alors que celles-ci n’existaient pas encore. Ce détournement des usages et cette transformation éphémère du lieu donnaient encore plus de force à l’événement.

L’ enseignement du concret

Lors de notre voyage à Paris, nous sommes allé visiter une opération de logements sociaux des architectes Jakob + Macfarlane, un ensemble de trois corps de bâtiments non sans rappeler dans leurs formes le projet de mobilier conçu pour la librairie Loewy. Tout les linéaires extérieur des bâtiments sont occupés par des balcons se transformant en jardin d’hiver à la fin des beaux jours. J’ai pu remarquer que les nez de dalles étaient différents, ils étaient sombres, poreux et constitués d’un matériau mystérieux. Des bribes de mousses vertes et jaunâtres tentaient en vain d’exister sur ces plaques de laves. Jakob + Macfarlane utilisent souvent ce genre de végétaux rasants et denses dans leurs projets, on peut voir les même sur la terrasse de la Nüba à Paris, mais là bas ils ont pris. Les dessins de projets suggéraient que les plantations sur plaques de laves devaient habiller l’édifice d’une légère fourrure naturelle contrastant avec sa minéralité et sa couleur crème. L’expérimentation concrète de l’idée a mis en évidence une différence entre le dessin et la réalité, quelque chose n’a pas fonctionné. La confrontation entre idée et réalité est donc essentielle à l’alimentation de nos concepts mentaux.

4 Raclot-Dauliac (Damien), We had a dream, film documentaire, 2010, 64 minutes.

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Cliché personnel, L’ Abside d’ Eveux , photographie numérique, Eveux, juil et 2013.

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L’ enseignement des sens

“Parce que nous sommes des créatures dotées de sens, les principes spirituels ont plus de chance de fortifier note âme si nous les assimilons par l’intermédiaire de nos yeux plutôt que de notre intellect. 5” Ici, Alain de Botton nous rappelle l’importance d ‘aller au contact de la matérialité et des ambiances créées par ce que nous dessinons. Nous ne pouvons pas nous contenter de rester sur nos tables à dessins et dans nos lectures; si nous n’expérimentons pas la physicalité des lieux il nous “manque l’ancrage sensoriel dans le lieu 6” comme l’exprime Peter Zumthor. Expérimenter l’architecture par des visites, par des investissements concrets autour de sa production est essentiel et nourrira nos dessins de cette dimension impalpable et pourtant si concrète des émotions que l’existence des matières, des odeurs, des ambiances, des sonorités procurent en nous. Cet hiver, j’ai visité pour la seconde fois le Couvent Sainte-Marie de la Tourette d’ Eveux: un erasmus de la promotion voulait voir une œuvre de Le Corbusier, c’est donc vers la plus proche de chez moi que je l’ai emmené. Après presque une heure de déambulation et d’exploration de son cloître, de sa cantine, de sa bibliothèque, de sa chapelle, la guide nous mène enfin à l’entrée de l’ Église. Nous sommes au début du long couloir qui conduit à son entrée. Sur notre droite, la façade est rythmée verticalement par le dessin des baies pensé par Iannis Xenakis. La luminosité de l’extérieur baigne le couloir d’une clarté intense contrastant avec l’obscurité de la porte nous faisant face. Large et haute, la porte est un élément unique conçu en métal brun. Austère et minimale, inscrite dans l’emprise totale de l’accès, seule la présence de la poignée nous dévoile la nature de sa fonction. Elle s’ouvre alors de toute sa dimension depuis l’axe central qui permet sa rotation jusqu’à son positionnement parfaitement perpendiculaire au plan de l’entrée. Le signe de la croix se dévoile alors dans l’ombre colorée de l’intérieur de l’église. Le plan de la porte se transforme en une ligne se fondant dans la pénombre rouge de la Nef. Je crois que seule l’expérience de la construction et la conscience du pouvoir des matériaux, agrémentée des connaissances en art ont pu permettre à Le Corbusier et Iannis Xenakis d’estimer l’ampleur de l’impact de leurs dessins sur nos sens, d’élever à un si haut degré la spiritualité de la matière architecturale.

5 De Botton (Alain), L’architecture du bonheur, Paris, Mercure de France, 2007, p. 146. 6 “Si une oeuvre architecturale n’est qu’un récit sur le cours du monde et l’expression d’une vision, qui ne parvient pas à faire résonner le lieu, il me manque l’ancrage sensoriel dans le lieu, le poids spécifique de ce qui est local.” Zumthor (Peter), Penser l’architecture, Basel, Birkhäuser, 2014, p. 42.

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Cliché personnel, La Cité, photographie numérique, Paris, avril 2014.

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Considérations grandissantes pour le contexte

Accroches et émancipations

Même figée, l’architecture reste malléable et transformable, son ancrage dans un lieu et sa prégnance nous procurent des occasions, des rencontres, des émotions et créée des histoires. C’est peut-être son ancrage qui nous permet à nous êtres doués de mobilité de se poser? C’est peut-être grâce à son caractère statique et sa temporalité différente de celle qui nous est propre que nous l’admirons? L’ancrage ne remet pas en cause l’aptitude des édifices à se transformer. L’expérience à la Piscine du Rhône m’a permis de percevoir l’ alchimie du lien entre patrimoine et intervention contemporaine, mais aussi de découvrir le dialogue que peuvent initier ces deux âmes entre elles. S’insérer dans l’existant, le perturber tout en le respectant, participer à son évolution constituent des enjeux pour les architectes et nous futurs concepteurs. Considérer le déjà construit, à l’échelle de l’édifice comme à une échelle plus élargie est nécessaire afin de porter un regard sensible sur les contextes géographique, historique, et urbain dans lequel nos interventions souhaitent s’insérer. Depuis le Quai de la Rapée, empruntant le pont Charles de Gaulle en direction de la Gare d’ Austerlitz on ne peut qu’apercevoir cette étrange ossature métallique verte fluo proliférant sur une structure en béton brut. Se connectant et s’entrecroisant avec la structure de béton existante, la forte intervention de Jacob + Macfarlane destinée aux cheminements est née du besoin de mutation programmatique de cet ancien dépôt portuaire des docks parisiens. Abritant aujourd’hui la Cité de la Mode et du Design, ce projet, par sa forte expressivité formelle témoigne à la fois d’une accroche et d’une émancipation vis à vis de l’ existant, “mais la force structurelle du bâtiment d’origine demeure 7”. Pouvoir déambuler entre le passé et le présent est toujours très touchant. Les contrastes des matières, des couleurs et des époques nous transportent dans un univers qui cherche à nous chuchoter ses histoires. “Sous le plaisir engendré par la juxtaposition de l’ordre et de la complexité, on peut identifier la vertu architecturale subsidiaire de l’équilibre. 8” s’exprime Alain de Botton à propos de l’ Institut de

7 Cité du Patrimoine et de l’Architecture, phrase extraite du cartel L’héritage du béton dans le cadre de l’exposition sur le thème: Un bâtiment combien de vies?, Paris, 2014-2015. 8 De Botton (Alain), L’architecture du bonheur, Paris, Mercure de France, 2007, p. 237.

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Journalisme d’ Eichstätt. Ici, à la Cité, la trame régulière de l’ossature de béton et la porosité de son matériau sont ranimés par le désordre structurel et le satiné des éléments métalliques. Jacob+Macfarlane ont habilement concilié un jeu d’oppositions qui génère cet équilibre dont Botton nous parle.

Prise de conscience de son importance

Les écritures architecturales pour instaurer ce dialogue entre les différentes époques sont multiples. Ces transitions de matières, de fonctions et de programmes qu’elles soient fortes ou subtiles témoignent pour la plus part de l’importance que nous devons accorder à ce qui nous entoure, elles témoignent des qualités de ce qui est déjà. La prise de conscience de l’importance du contexte, m’ est véritablement venue à travers le projet de conception d’une maison individuelle au cours de mon second semestre quatre. Notre parcelle, située à Villeneuve d’Ascq était entourée de pavillons résidentiels bénéficiant bien évidemment de jardins particuliers d’une dimension trois fois supérieure à l’emprise de leurs bâtis. Le premier travail consistait en la découpe de trois parcelles de l’espace nous étant alloué, et ensuite d’y concevoir une maison individuelle. Après les premières démarches de recherches pour les découpes parcellaires, je me suis rendue compte que j’ étais véritablement incapable d’inscrire le projet hors de son contexte. Il a fallu que j’aille chercher dans et hors des limites parcellaires les éléments d’accroche qui allaient permettre de fonder le projet. Un dé-zoom à l’échelle du quartier, nous a permis de mettre en évidence la présence d’une église non loin de notre emplacement. Nous proposions alors de concevoir un cheminement et un espace public permettant la continuité d’ accès des habitants du quartier vers le centre ville. Le projet ne devait pas bousculer les habitants dans leurs pratiques habituelles: sa nature programmatique ne nous l’autorisait pas vraiment. L’implantation de la maison individuelle m’a elle été suggérée par plusieurs éléments émanant du site et de ses environs: les arbres, leurs racines, les constructions avoisinantes et la course du soleil. Inscrite tant au RDC qu’ à l’étage dans la continuité de l’emprise bâtie des maisons voisines, la maison et ses fondations ne devaient de surcroît pas perturber le développement naturel des arbres. Cette prise de position m’a permis de réaliser au cours du processus de conception, le nouvel

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attachement que j’ai à essayer de concevoir des projets qui ne soient plus uniquement des objets insolites. Ce semestre, a façonné ma pensée et orienté mes dessins vers la recherche d’une subtilité d’insertion et de traitements qui permettent au projet (sous certains angles) de se fondre avec l’environnant, parfois d’en révéler ses qualités. Ce semestre m’a appris à considérer les particularités d’un territoire donné sur lesquelles nos interventions doivent s’appuyer afin de trouver leurs places.

Travail avec les artisans du bâtiment Intégrer une équipe, travailler sur site, toucher les matériaux, commencer à en comprendre leurs assemblages est venu après l’attirance pour le beau, après les considérations esthétiques, sensibles, artistiques, historiques du design qui nous sont inculquées pendant trois années de BTS. Il manquait aux dessins à l’expression parfois subjective et abstraite de l’idée de projet, de formes ou d’ambiance, la compréhension et la logique constructive de leurs représentation: il me manquait du sens. Le sens ne peut s’abstraire de la compréhension du mélange entre les éléments graphiques, théoriques du projet et sa construction concrète, son existence. Dans le cadre d’un projet de deuxième année de BTS, il nous était demandé de concevoir une billetterie éphémère pour la biennale d’art contemporain de Lyon. Je décidais d’y implanter cet élément sur le quai Rambaud à la confluence entre le Rhône et la Saône, face aux silos à sucre qui s’érigent si fièrement avec leurs inscriptions gauche et droite. A la fin du projet, les professeurs me reprochaient le fait qu’il ne soit pas vrai. En effet une ossature métallique n’était encore dans mon esprit qu’une idée d’ossature, une idée de forme dépourvue de toute considération technique, déconnectée de l’idée de l’assemblage. Elle était dans mon esprit juste un support à l’expression d’une matière, à l’expression de couleurs, de réflexion de la lumière et de sa relation au paysage qui l’entourait. Support aussi à l’expression d’une vague idée du contemporain et de notre entrée de l’ère numérique, rien ne la reliait à sa réalité constructive, de ce fait, même d’une forme rectangulaire simple, les plans et dessins fournis ne permettaient aucunement la réalisation de la billetterie. Ces échecs, qui ne trouvaient pas de remèdes à travers la pratique scolaire, m’ont donc poussée à aller plus loin. Ils m’ont amenée à partir travailler un an et demi au contact des artisans puis par la suite à intégrer l’ENSAPL afin de me confronter à nouveau à la pensée et au dessin architectural.

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Giroud Coralie, Silos à sucre de la Confluence, photographie argentique, CONTAX T2, scan du négatif, Lyon, avril 2012.

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L’enseignement du chantier

“ Le grand défi de l’architecture, c’est de former un tout à partir d’innombrables éléments qui diffèrent par leur fonction et leur forme, par leur matériau et leur dimension 9 ”, nous avise Peter Zumthor, tandis que Rudy Ricciotti nous rappelle que: “ Un récit architectural ne se construit pas dans une tour d’ivoire. L’architecte a besoin de la connaissance de ceux qui l’entourent.10 […] La synthèse des savoirs ne s’invente pas, elle se désire. 11 “ Je crois pouvoir parler à mon tour de ce désir de connaissances, de ce désir d’ouverture de mon esprit aux pratiques des artisans qui confectionnent nos dessins. A ceux qui passent leurs journées dans le froid, des fois sous le soleil mais qui sont souvent dans la crasse et dans la poussière pour nos esquisses. Ceux, qui en hiver déjeunent parfois dans leurs camions en tentant de se réchauffer. Ceux qui s’esquintent les mains quand les nôtres sont manucurées. Ceux à qui on doit dire merci. Ceux qui nous paraissent étrangers, mais que nous ne devrions pas oublier d’estimer. Investissements physiques et intellectuels sont le corps et l’âme du projet architectural. La scission entre intellectuels et manuels doit s’estomper au profit d’un échange avec plus d’humilité avec les ouvriers afin d’accepter ce qu’ils ont à nous apporter. La spécificité de leurs travaux: menuisiers, charpentiers, peintres, carreleurs, plombiers, électriciens, bancheurs, fait de leur savoir un univers qu’ils maîtrisent souvent plus que nous. Apprécier leurs pratiques inspire nos savoirs, c’est ce que j’ai réalisé en travaillant quelques mois à leurs côtés. La désinvolture de certains pour les finitions parfaites est parfois agaçante, mais je crois que c’est à nous de les emmener vers la sensibilité des détails qui nous sont si chers, pour les pousser à réaliser la valeur de leurs réalisations. Si nous laissons leurs tâches quotidiennes se transformer en actions banales, nous ne pourrons pas leur faire ressentir la grâce que leurs pratiques peuvent engendrer. Embauchée comme chiffreuse / métreuse, je participais à la coordination entre les clients, les fournisseurs et les artisans, à la conception des plans d’aménagements et de rénovations. Relevés, métrés, dessins de plans, calepinages, commandes, comptes rendus de chantiers rythmaient mes 9 Zumthor (Peter), Penser l’architecture, Basel, Birkhäuser, 2014, p. 15. 10 “ Un récit architectural ne se construit pas dans une tour d’ivoire. L’architecte a besoin de la connaissance de ceux qui l’entourent. Et le travail des autres me fascine. Je m’en imprègne. Il y a porosité.” Ricciotti (Rudy), L’architecture est un sport de combat, Paris, Textuel, 2013, p. 75. 11 “La synthèse des savoirs ne s’invente pas, elle se désire. Les difficultés de mise en œuvre comptent dessus pour se résoudre.” Ricciotti (Rudy), L’architecture est un sport de combat, Paris, Textuel, 2013, p. 75.

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journées. Un téléphone mobile à la sonnerie intempestive, un fax et un ordinateur me permettaient d’assurer cette logistique parfois éprouvante mais si prenante. Tenter d’assurer le respect des délais, la satisfaction des commanditaires; développer leur confiance et assurer que nos salariés puissent avancer avec les outils nécessaires chaque jours étaient des enjeux absorbants. Abdel, m’a appris ce qu’était un bon calepinage de carrelage et de mosaïques, Fabien m’a montré comment ses réseaux serpentaient depuis la gaine technique jusque dans nos robinets. Kahnoun et Mathieu m’ont aidée à comprendre la constitution des cloisons, des doublages et des faux plafonds. Michel manipulait avec habileté les pinceaux pour tirer la peinture quand Gabriel tirait à longueur de journée des linéaires de câbles électriques. Denis m’impressionnait par sa vivacité quotidienne et son savant jeu de personnalités lui conférant sans doutes aucuns son statut de conducteur de travaux. Maître d’œuvre improvisé, ses directives fermes, sa souplesse quand c’était nécessaire, sa sensibilité, son assurance et son optimisme face à toute épreuve nous stimulait au travail. Il savait nous encadrer, nous ‘driver’ comme il aimait le dire! J’aimais particulièrement les regarder travailler, j’aurais pu passer mes journées sur leurs chantiers pour déambuler à leurs côtés dans la poussière et le bruit de leurs outils à contempler les avancements, mais le travail de bureau m’appelait. Voilà des choses que nous ne considérons pas assez à l’école, que nous ne pouvons pas expérimenter, ou que nous ne voulons pas tant considérer, puisque nous sommes parfois trop tournés vers l’image du projet, le volume fini, réalisé, figé. Je ne remets pas en cause la poésie et le lyrisme que nous cherchons à insuffler dans nos propositions de projet, mais nous sommes déconnectés de cette agitation créatrice nécessaire à la formation d’un tout. Il est probable aussi que nos difficultés a réaliser des coupes, des détails de compositions de murs ou de structure viennent de notre in-expérimentation en matière de réalisation concrète.

Les découpes de Matta-Clark

Dans un entretien avec Liza Béar daté de mai 1974 à propos de l’œuvre Splitting the Humphrey Street Building, Gordon Matta-Clark parle en ces mots de son travail de découpes lorsqu’ elle

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lui demande ce qu’il veut dire à travers : “ Et bien, je parle des strates, des différentes couches, des différentes choses qui sont tranchées. Montrer comment on construit une surface uniforme. 12” Les travaux de Matta-Clark, devaient certainement inviter à visiter la coupe, permettre la lecture et l’analyse des assemblages de nos édifices, un peu comme les scientifiques ont pu le faire avec les écorchés humains. Cette expérience professionnelle m’a elle aussi permis de commencer à penser les dessins et le projet à travers la composition. Cela m’a permis de commencer à comprendre ce que je dessinais en abordant alors la considération pour la structure des éléments: leurs squelettes. Je cherchais à mon tour à disséquer ces ‘surfaces uniformes’ pour mieux les appréhender. Plus loin, au cours du même entretien, évoquant l’ensemble de ces imposantes actions menant aux découpes, ‘l’événement’ comme il les nomme, Gordon Matta-Clark, exprime que: “ Au contraire, c’est tout le lieu, tous les actes, qui font exister l’événement, qui constituent l’œuvre. 13” Dans le cas des décompositions chez Matta-Clark ou des assemblages (qui sont plus comparables à l’architecture), cette phrase relève l’importance de ce qui lie tous nos gestes à la constitution d’un ouvrage architectural, puisque nous participons tous ingénieurs, architectes, artisans, artistes à la genèse d’oeuvres collectives.

Architecten de vylder vinck taillieu

Ce semestre ci, le fait que notre parcelle pour le projet se trouve à Gent et celui que le cycle de conférence soit animé par des architectes belges sont curieusement liés, je crois d’ailleurs que l’enseignant Bert Callens n’est pas étranger à ces coïncidences. C’est au cours de la conférence donnée par Inge et Jan de l’agence Architecten de Vylder Vinck Tailleu, que j’ai été séduite par cette photographie d’un projet de rénovation d’une maison individuelle intitulé Vos. Eux aussi s’amusent avec les matériaux, leurs mises en œuvres et en détournent parfois leurs fonctions. Ils jouent aussi avec les mots, les dessins, les espaces, et nos idées du beau. Ayant un goût pour une esthétique singulière, leur intervention créée ici un espace peu utile, un espace aussi fait pour le plaisir. Ils dévoilent par la même occasion la structure de l’ancien plancher en bois, et détournent l’utilisation des montants et rails composant l’ossature des cloisons en un système de châssis. Le petit châssis coulissant carré semble même être adapté à l’anatomie du

12 Matta-Clark (Gordon), Entretiens, Fontenay-le-Compte, Lutanie, 2011, p 13. 13 Matta-Clark (Gordon), Entretiens, Fontenay-le-Compte, Lutanie, 2011, p 27.

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Splitting, 1974 ( c Estate of Gordon Matta-Clark) .

Dujardin Filip, VOS, photographie extraite du site internet de l’agence ADVVT 14.

14 http://www.architectendvvt.com/projects/vos/0/0/0/27/

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renard, au cas où, un jour il voudrait se faufiler à travers. Fort de sensibilité, je relie tout de même leur travail à celui de Matta-Clark puisqu’ils réussissent ici à rendre poétique ces éléments de construction qui ne s’utilisent habituellement pas en finition.

Je crois que nous avons à peu près tous le même sentiment de consacrer beaucoup trop de temps à nos études, qui, il est vrai nous demandent souvent un investissement intellectuel et physique intense et constant. Mais, pour ma part, ce sentiment pesant est régulièrement apaisé par le plaisir que procurent ces possibilités de déambulations intellectuelles inhérentes au domaine que nous étudions. Par le plaisir de savoir que les détours et les intérêts variés que nous avons la possibilité de porter à tout autre choses que l’architecture nourriront aussi notre production et notre regard sur cette dernière. Il est donc parfois possible de se déculpabiliser de ne pas travailler pour prendre le temps d’aller voir un film, une exposition, une nouvelle ville, un concert ou encore de s’attarder sur une belle couverture de livre et la douceur de son papier lors d’une foire, puisque tous les univers visuels et matériels, relevant des sens dont nous sommes doués pourront influencer nos recherches.

Tenter de s’approcher de la production architecturale quand les opportunités se présentent révèlent mon attirance quasi invariable pour les matériaux et les matières puisque chaque fois que je visite un lieu, une œuvre architecturale ou même lorsque je regarde un objet ou une œuvre d’art, je ne peux m’empêcher d’approcher mon regard sur les détails, qui a mon sens sont parfois plus révélateurs qu’une rapide vision d’ensemble. La lecture des gestes, les détails, les assemblages, sont nécessaires à la compréhension du fonctionnement du global, la finesse de leurs liaisons donnent la cohérence des éléments entre eux. Ces trois années passées à l’école et l’apprentissage qui nous y ai donné m’ont donc permis de confirmer à nouveau cette affection que je porte aux choses qui me semblent belles, et que j’aimerais concevoir. Elles m’ont offert à nouveau le temps et la chance d’approfondir mes intérêts à travers la diversité des exercices qui nous sont donnés et les possibilités que nous offre l’école, la bibliothèque, les voyages et nos professeurs de partir toujours un peu plus à la découverte de nos sensibilités et de la formation de notre intellect.

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Cliché personnel, Friche de Saint Sauveur, photographie argentique, PENTAX K1000, scan du négatif, Lil e, avril 2014.

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Index bibliographique et références Ouvrages:

De Botton (Alain), L’architecture du bonheur, Paris, Mercure de France, 2007, 337p. Ricciotti (Rudy), L’architecture est un sport de combat, Paris, Textuel, 2013, 96p. Matta-Clark (Gordon), Entretiens, Fontenay-le-Compte, Lutanie, 2011, 146p. Beigbeder (Frédéric), Oona & Salinger, Paris, Grasset & Fasquelle, 2014, 334p. Zumthor (Peter), Penser l’architecture, Basel, Birkhäuser, 2014, 108p. Ramadier (Mathilde) & Bonneau (Laurent), Rêves syncopés, France, Dargaud, 2013, 174p. Cité de l’architecture & du patrimoine, Vers de nouveaux logements sociaux, Milano, Sylvana Editoriale, 2009, 126p.

Documents audiovisuels:

Raclot-Dauliac (Damien), We had a dream, film documentaire libre de droit, 2010,

64 minutes.

Blawan, Vibe Decorium, Gent, R&S Records, 2011, 5:11 minutes. John Tejada, Unstable condition, Köln, Kompakt Records, 2011, 5:48 minutes. Rødhåd, Like tears in the rain, video by techno scene, Allemagne, Dystopian, 2014,

7:07 minutes.

Sites et pages consultés sur internet:

http://www.lookingforarchitecture.com/fr/lfa/ http://www.architectendvvt.com/ http://www.challenges.fr/art-de-vivre/20150219.CHA3241/pourquoi-il-faut-connaitre-la- musique-electronique.html http://www.sourdoreille.net/agoria-la-rave-est-la-celebration-la-plus-collective-qui-soit/ 21



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