TOTAL FLUIDITY Un centre de la culture numérique à Lille Damien Elias Kateryna Kuzmenko
Projet de fin d’étude - Session 2016
Architecture, Ambiance et Cultures Numériques Ecole Nationale Supérieure d’architecture de Grenoble
Digital RDL Research by design laboratory
TOTAL FLUIDITY Un centre de la culture numérique à Lille Damien Elias Kateryna Kuzmenko
Projet de fin d’études - Architecture, Ambiance et Cultures Numériques Philippe Liveneau
Architecte, Docteur SPI, (Digital RDL, Cresson), TPCAU - Responsable.
Équipe d’encadrement : Grégoire Chelkoff Amal Abu Daya Magali Paris C. Bonicco-Donato Olivier Baverel
Architecte, Docteur URB / HDR / (Cresson) - Professeur, HDR, STA Architecte, Doctorante (Cresson) - TPCAU, (MAA) Ingénieur Agronome, Paysagiste, Docteur, (Cresson) - VT Philosophe, Docteur, (Cresson) - SHS Ingénieur, Docteur, HDR, (EPC Navier) - Professeur, HDR, STA
Jury de Soutenance du PFE : Directeur d’étude : Second Enseignant : Enseignant Ensag : Enseignant Ensag : Enseignant extérieur : Personalité extérieure :
Philippe Liveneau, Architecte, Docteur SPI, (RDL, Cresson), TPCAU Grégoire Chelkoff, Architecte, HDR / (Cresson) - Professeur, HDR, STA Guillaume Daydé, Architecte / TPCAU ( Agence Espace Gaia) Frederic Guillaud, Architecte / TPCAU ( Quarcs) Gilles Delelax, Architecte, Docteur, DA, Ensa de Malaquais (Muoto) Arnaud Hudry, Architecte - Agence Futur A
Projet de fin d’études d’étude - -Session Session2016 2016
Architecture, Ambiance AmbiancesetetCultures CulturesNumériques Numériques Ecole Nationale Supérieure d’Architecture d’architecture de de Grenoble Grenoble
Digital RDL Research by design laboratory
Remerciements Nous tenons à remercier Philippe Liveneau, Grégoire Chelkoff et Amal Abu Daya pour leur soutien et leurs conseils, leur patience et leur confiance tout au long de cette année. Nous remercions également Magali Paris et Céline Bonicco-Donato pour leurs lectures attentives et leurs réflexions, nourrissant la construction de notre discours et la rédaction de ce travail. Merci aussi à Olivier Baverel pour son regard pragmatique et rafraîchissant sur le projet ainsi qu’à Pauline de Chalendar, pour le temps qu’elle nous a consacré. Nous souhaitons enfin remercier nos camarades, nos familles, nos amis, et particulièrement Simon Hulin et Céline Schwein pour leur participation et leur support.
Le titre Total Fluidity à été choisi en hommage de Zaha Hadid (1950-2016), décédée à la veille d’un rendu. Il reprend le titre d’un receuil de travaux d’étudiants de son studio à L’université d’Arts Appliqués de Vienne.
Sommaire
Introduction
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Lille, ville support de projet
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1_La renaissance des villes, une problématique urbaine politique et culturelle
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2_Lille Renaissance, une politique décentralisée
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3_Politique de la ville, du grand territoire à Lille 3000
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4_Lille 3000, culture numérique et architecture fluide
Du flux à l’espace, processus de recherche architecturale
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1_Exploration formelle de la fluidité
39
2_ Le Centre de la culture Numérique,
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une émergence urbaine et paysagère
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3_Prototype immersif et matérialité numérique
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Conclusion Bibliographie Crédits iconographiques
74 76 77
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Introduction
Le Projet de Fin d’Études en architecture clôture 5 années de formation, de recherche et d’enrichissement personnel menant à la construction d’une pratique de l’architecture ainsi que d’un regard singulier porté sur l’histoire et la production architecturale. Il n’est pas seulement un prétexte de travail, aussi approfondi soit-il, mais il est également l’occasion pour les étudiants en architecture de s’interroger sur la discipline et d’exprimer une pensée dans un cadre réel. Au sein de la thématique de master Architecture, Ambiance et Cultures Numériques, les PFE posent la question de la culture1 dans la ville comme point d’entrée vers une réflexion architecturale et vers la conception d’un édifice à vocation culturelle. Pour autant, dans notre démarche personnelle vis-à-vis
de ce travail, nous avons toujours voulu nous exprimer au regard de nos compétences et d’une certaine pratique de l’architecture numérique au sein du master. C’est donc naturellement qu’émergent deux problématiques qui se confrontent au sein de ce travail. D’une part, la problématique spécifique du projet, qui articule culture et ville au travers d’un projet d’édifice à vocation culturelle et qui constitue une grande partie de notre réflexion initiale, permettant d’inscrire le travail dans un contexte réel, avec ses enjeux urbains et politiques propres. D’autre part, la problématique générique du projet, plus en lien avec notre pratique au sein du master, qui interroge la pratique du projet architectural et l’implication des outils contemporains de conception et de fabrication de l’architecture à l’heure du numérique
1 On distinguera dans ce travail la notion de Culture (avec un c majuscule) de la culture (avec un c minuscule). La première renvoie à la définition de la Culture par l’Unesco : « La Culture, dans son sens le plus large, est considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. » Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles, Mexico City, 26 juillet - 6 août 1982. La seconde notion renvoie d’abord aux cultures spécifiques, comme les expressions sociétales de phénomènes qui influencent les usages et rituels sociaux ainsi qu’une certaine vision du monde. Elle renvoie ensuite au champs disciplinaire des sciences politiques et à l’incarnation institutionnalisées de la Culture. Cette notion désigne alors l’amplitude des politiques culturelles municipales, métropolitaines, régionales et nationales en France au travers de 4 champs culturels principaux : le spectacle vivant, les arts plastiques et audiovisuels, le patrimoine et l’architecture, et la lecture. Ici, le mot culture est entendu dans son sens institutionnel.
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en faisant intervenir des questionnements de fond sur les enjeux instrumentaux, esthétiques et spatiaux qu’elle implique. Ce document est donc l’occasion de reprendre le fil du projet, de construire chacune des problématiques au regard d’un cadre théorique et analytique, de souligner les moments singuliers du croisement des deux démarches, et d’exprimer comment le projet permet de concilier et répondre aux différents enjeux qu’elles soulèvent. En considérant que l’histoire des villes, de leur politique d’expansion, ou de leur renouvellement sont intimement liées à leur économie, leur culture de l’habiter ainsi qu’à leur environnement, on pourrait retracer l’histoire de nombreuses villes européennes depuis leur fondement jusqu’à nos jours et observer dans leur évolution comment se sont formés autour des centres anciens et des lieux de pouvoirs, les quartiers corporatifs, les faubourgs, les cités ouvrières et autres phalanstères. Or, ce qui nous intéresse ici dans la relation qu’entretiennent les villes européennes avec leurs modèles économiques réside plus dans les différentes ères industrielles qui ont suivi la première révolution industrielle, dans les conséquences qu’entraînent leurs déclins successifs sur les tissus urbains et dans les politiques urbaines et culturelles que mettent en place les gouvernances des villes face à leurs constantes transformations. En effet, l’histoire du développement des villes s’inscrit aussi dans l’histoire de leur chute ou 8
plutôt de leur renouvellement, des reconversions économiques, des changements démographiques, politiques et culturels qui les accompagnent. C’est dans ce cadre là qu’on parlera aujourd’hui de la « renaissance des villes » et notamment des villes industrielles. Ce phénomène désigne ainsi une dynamique de reconversion d’une ville dont l’activité industrielle et les tissus urbains ont souffert de différentes crises économiques menant à un réel besoin d’intervention urbaine, et parallèlement, à de nouvelles politiques économiques, sociales et culturelles. A travers ce document, nous exposerons tout d’abord comment le projet d’édifice à vocation culturelle interroge notre positionnement vis-à-vis de ce phénomène contemporain de renaissance des villes industrielles et nous identifierons le rôle et la place de la politique culturelle dans la politique de renouvellement de la ville comme l’enjeu principal de la problématique spécifique de notre travail. Ce questionnement nous permettra de considérer la ville de Lille, son contexte urbain et sa politique culturelle comme le support du choix d’un site d’intervention intéressant dans la périphérie sud de la ville dans un quartier en plein renouvellement et d’un programme de centre de la culture numérique qui hybride le cadre muséographique lié aux arts numériques et les pratiques professionnelles locales qui émergent dans la métropole Lilloise. Nous pourrons alors
mener une réflexion commune aux deux problématiques qui animent notre travail, et ainsi explorer, en parallèle des enjeux urbains et paysagers, les enjeux culturels spécifiques à la culture numérique et voir comment ceux ci font écho à la place du numérique en architecture. Cette partie théorique abondera une définition du concept de fluidité comme la caractéristique d’un processus continu d’émergence de la forme architecturale où sont corrélés les différentes dimensions du projet. Dans une seconde partie, il s’agira donc d’expliciter le travail propre au projet et la manière dont il restitue les analyses urbaines, culturelles et les explorations théoriques de la première partie. Nous retracerons le processus de morphogenèse qui permet l’émergence d’une forme architecturale continue dans le paysage urbain de Lille-Sud à partir des flux qui le parcourent. Nous verrons comment ce processus s’incarne finalement dans une architecture située et dans la concrétisation spatiale, technique et esthétique de ces principes morphologiques. Nous expliquerons également comment nous cherchons à caractériser l’esthétique du projet au travers de la notion de matérialité numérique et comment le processus de production d’un objet ambiant, un artefact mettant en oeuvre le principe morphogénétique du projet et sa « fluidité » permet d’exprimer cette esthétique complexe. 9
Lille, ville support de projet
1_La renaissance des villes, une problématique urbaine politique et culturelle La place de la culture dans le phénomène contemporain de reconversion des villes industrielles est au centre des attentions depuis la sur-médiatisation du cas de Bilbao, ville portuaire du PaysBasque espagnol dont l’activité industrielle s’est trouvée presque stoppée durant la crise économique des années 1980 et qui, par le biais d’opérations urbaines et architecturales iconiques, a permis une certaine revitalisation - si tant est qu’elle soit économique - identitaire de la ville et de son territoire. Dans le cas présent, la renaissance se décrit principalement par une volonté de revitalisation de la ville, de déplacement de l’activité portuaire et de réapropriation de la rivière Nervión par de vastes opérations urbaines, notamment sur une partie des berges2. Mais la renaissance de Bilbao passe aussi et surtout par la construction d’un grand nombre d’équipements publics signés par de « grands noms » de l’architec-
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ture contemporaine : un pont et un aéroport construits par l’architecte espagnol Santiago Calatrava ainsi que le musée Guggenheim de Bilbao construit par l’architecte canadien Frank.O Gehry qui sera l’emblème de cette dynamique urbaine et du rôle des équipements culturels au centre de la rénovation urbaine. Dans le discours de la critique architecturale, cet édifice iconique revêt toutes sortes de rôles mais nous retiendrons surtout son impact à la fois financier, puisque c’est la ville de Bilbao qui financera la construction au profit de la fondation Solomon R. Guggenheim qui fournit les collections, et économique, puisqu’au delà de son rayonnement international et de la masse de touristes qu’il draine ( plus d’un million de visiteurs par an), les touristes ne restent pas à Bilbao, ville de passage dans leur itinéraire et ils ne profitent pas non plus des nombreux autres lieux d’exposition
McGUIGAN, Cathleen, Basque-ing in Glory, Newsweek 128, no. 2, 13 Janvier 1997, p.68-7
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d’art et de culture basques qui sont présents dans la ville3. Icône de la « Starchitecture », l’expérience de la renaissance de Bilbao laisse derrière elle un phénomène : le Bilbao-Effect, où l’usage de l’architecture culturelle iconique comme principal enjeu de la reconversion identitaire de la ville l’entraine finalement vers un tourisme mono-orienté. Si Bilbao devient ainsi l’exemple de la renaissance contemporaine des villes et propose un usage de la culture dans sa politique urbaine, qui sera reproduit avec un certain systématisme, notamment au cours des année 1990 en Angleterre4, d’autres villes industrielles et portuaires font le choix de la décentralisation de leurs interventions architecturales et se concentrent sur la revalorisation de leur patrimoine. Parmi elles, la ville de Marseille ayant obtenu le label « Capitale européenne de la culture » en 2013 a choisi d’orienter sa politique urbaine et culturelle vers l’installation d’une « économie créative » prenant la place de l’industrie déchue. Même si la ville construit deux édifices iconiques tels que le Centre Régional de la Méditerranée (CRM), voisin du Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM), de nombreux projets de 3 4 5
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rénovation du littoral, du Vieux-Port et de réhabilitation des friches industrielles s’ancrent dans une volonté politique de valoriser le patrimoine et d’inscrire durablement une activité de production artistique et culturelle en lieu et place de la production industrielle. L’opération de réhabilitation des établissements de production de la Belle de Mai, constitue le grand chantier de réhabilitation de Marseille où la culture vient s’installer à la place des raffineries de sucre, des industries métallurgiques et des manufactures d’allumettes et de tabac qui tombent en friche entre 1960 et 19905. Ainsi, le grand complexe de la Manufacture des Tabacs de Marseille accueille en son sein divers pôles culturels : le Maison de la danse, le Pôle Média (studios de cinéma), le Pôle Spectacle Vivant et le Pôle Patrimoine (Archives Municipales et Centre Inter-régional de Conservation et de Restauration du Patrimoine). Aujourd’hui la Friche de la Belle de Mai est la résidence de 400 artistes et producteurs, le siège d’un programme très varié d’espaces de création et de représentation artistiques ainsi que d’un large espace public. Elle représente une attention singulière au patrimoine dans la politique de rénovation urbaine
LEE; Denny, Bilbao Ten Years Later, The New York Times, 23 Septembre 2007, pp.8-9 GRAS, Pierre, Le temps des ports, déclin et renaissance des villes portuaires, 1940-2010, Tallandier, Paris, 2010, 300p. AMEZIANE, Farid ; FAUQUET, Fabricia, Marseille et son patrimoine industriel, La dynamique culturelle de la Belle de Mai, Communication lors du Symposium EURAU’12, Porto, Septembre 2012. URL : http://eurau12.arq.up.pt/sites/default/files/139.pdf
Façade de l’ancienne Manufacture des Tabacs de Marseille
qui convoque l’usage de la culture avec une certaine réussite. Au regard des deux cas ainsi évoqués, on pourrait soulever la diversité des enjeux de l’usage de la culture et d’édifices à vocation culturelle au service de la revitalisation des villes. Ces enjeux de lien social et urbain avec un existant, de valorisation du patrimoine mais aussi de renouvellement de l’image et de l’identité d’un territoire interrogeront notre intervention architecturale dans le cadre d’une politique de rénovation urbaine et nous amèneront à poser la problématique spécifique de ce travail comme une recherche de réponse aux enjeux, urbains, économiques et identitaires de la requalification urbaine et de
la renaissance des villes au travers d’une architecture dédiée à la culture ; comme la recherche d’une posture idéologique sur un rapport du projet au contexte historique, urbain, paysager, économique, social, et de sa concrétisation architecturale.
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2_Lille Renaissance, une politique décentralisée Lecture du territoire entre ville et culture Au regard d’un certain protocole de recherche du site d’intervention, dans les prémices de ce travail, il était important de croiser différents niveaux de lecture du territoire afin de retrouver l’ensemble des enjeux de la rénovation urbaine par la culture qu’on a pu voir avec les exemples de Bilbao et de Marseille. Si il n’est pas nécéssaire d’établir un vaste diagnostic de l’état des tissus urbains industriels, de la situation singulière de chaque ville par rapport à sa politique de rénovation mais aussi de sa politique culturelle et des liens entre ville et culture qu’on pourrait retrouver, nous pouvons tout de même nous intéresser aux actions en cours, conséquences de constats qui ont déjà été réalisé et ainsi inscrire ce travail dans la continuité d’une opération plus large. 6
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Dans cette optique, nous nous sommes arrêtés sur deux « marqueurs » de la politique de rénovation urbaine et des grandes dynamiques culturelles en France. D’une part c’est par le biais du Programme de Requalification des Quartiers Anciens Dégradés que nous cherchons à caractériser les grandes politiques de rénovation urbaine. Ce programme est une initiative nationale qui répertorie un ensemble de secteurs industriels et résidentiels dont l’état de dégradation avancé, l’insalubrité et la vétusté des édifices nécessitent une intervention généralisée à l’échelle d’un îlot, d’un quartier ou encore d’un centre ville, comme c’est le cas à Troyes avec le secteur du « Bouchon de Champagne ». Il décrit ainsi nationalement les secteurs sinistrés mais c’est au niveau métropolitain que les actions de rénovation urbaine sont mises en places, et lorsque l’on parcourt la liste des villes touchées6, la métropole européenne de Lille est celle
Décret listant les candidatures au PNRQAD, 1er janvier 2010. URL : http://www.logement.gouv.fr/IMG/pdf/decret-liste_pnrqad.pdf
LILLE 2004
Lille
PARIS 1989
AVIGNON 2000
MARSEILLE-AIX 2013 Répartition de l’action du PNRQAD
1
2
>5
Nombre de quartiers concernés par le PNRQAD
qui rassemble le plus de quartiers concernés. Ils se répartissent dans l’agglomération entre Lille, Roubaix, Tourcoing et Villeneuve-d’Asc et leur concentration exprime un besoin urgent de revalorisation voire de reconstruction de certains secteurs de la métropole lilloise. D’autre part c’est au travers des grandes ambitions culturelles des villes que nous avons cherché à identifier les grandes dynamiques culturelles en France et ainsi cibler des villes motrices et porteuses de développements culturels au niveau national et européen. C’est donc naturellement que nous avons considéré le label Capitale Européenne de la culture comme le marqueur des dynamiques culturelles et de leur ancrage dans un temps long, mobilisant par ailleurs la question des infrastructures et de la construction de nouveaux équipements. Dans les villes récemment labellisées, le cas de Lille apparaît à nouveau comme un choix
Répartition des grandes dynamiques culturelles
Villes candidates jusqu’en 2O13 Villes lauréaters depuis 1985
intéressant puisque la ville obtient le label en 2004 après de grandes actions culturelles qu’elle cherche à pérenniser au travers d’un nouveau label « Lille 3000 » qui engage plus encore une dynamique de renaissance que nous recherchons. Si en croisant ces deux niveaux de lecture, la ville de Lille émerge comme un candidat idéal, entre besoin réel de rénovation urbaine et volonté de poursuivre un développement culturel au niveau européen, la ville et son histoire révèlent un contexte urbain et politique qui soulève d’autres enjeux que ceux de la renaissance des villes industrielles. Son développement singulier révèle une série d’enjeux urbains et culturels qui viennent enrichir les réflexions déjà engagées dans ce travail et qui seront mobilisés dans la définition plus précise du site d’intervention du projet et du programme culturel qu’il développe.
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Une courée, photo tirée d’un rapport sur l’insalubrité à Roubaix vers 1950
Brève histoire de Lille L’histoire de Lille et de son développement urbain ne fait pas exception et est elle aussi marquée par les évolutions de sa société et de son économie. Comme ses voisines Roubaix, Tourcoing et de nombreuses villes du Nord de la France et du Bassin des Flandres, les industries textiles et minières ont été les piliers de l’économie depuis la première révolution industrielle jusqu’en 1990 avec la fermeture des dernières mines de charbon du Nord-Pas-de-Calais. Avec son industrie lourde et sa population ouvrière, la ville de Lille s’est développée sur la base de son centre marchand et de ses faubourgs vers une agglomération de quartiers ouvriers caractérisés par un 16
tissu résidentiel assez dense, fait de petites maisons mitoyennes s’élevant sur deux ou trois niveaux et desservies sur le modèle des « courées » : de petites cours ou allées perpendiculaires à de plus importantes rues et très appropriées par les habitants. En parallèle du développement de ce tissu résidentiel se sont installées les manufactures, les usines, les forges et autres bâtiments industriels au sein desquels les ressources et les matières étaient transformées. Dans les année 1980, alors que l’industrie lourde et l’industrie textile commencent déjà à péricliter dans la région, la ville de Lille et notamment la municipalité de Pierre Moroy, engage une politique de revalorisation du
patrimoine et de développement culturel qui marque les prémices de la renaissance de Lille. On pourra identifier un grand nombre de travaux répartis sur le territoire mais le chantier principal étant la construction du grand complexe d’EuraLille : un aménagement urbain conçu par l’architecte Rem Koolhaas qui met en tension la ville historique et ce quartier des affaires en mettant constamment en relation l’architecture et les infrastructures de transport présentes, avec notamment la gare Lille Flandres et la nouvelle Gare Lille Europe. Au delà de la construction de ce nouveau quartier d’affaire et d’une certaine assomption de son caractère européen au carrefour de Londres, Paris et Bruxelles , la ville de Lille engage une politique culturelle ambitieuse récompensée par le label Capitale européenne de la culture en 2004. La politique culturelle mise en place ne vise pas à construire un pole emblématique et touristique mais plutôt à décentraliser la culture sur toute la métropole européenne, Villeneuve-d’Asc, Tourcoing et Roubaix inclues. Ces deux dernières deviennent des pôles d’activité liés aux pratiques artistiques numériques et particulièrement celles de l’animation avec l’ouverture d’écoles et de lieux de création et d’exposition comme « Le Fresnoy » et « La Plaine Image ». Les quartiers ouvriers périphériques de la ville se voient dotés de 12 « Maisons Folies » définies comme des lieux culturels d’expression, d’exposition et comme
des interfaces entre un public et des pratiques culturelles locales. Au sud de Lille, les « Maisons de Mode » réinvestissent le patrimoine industriel au service des nouveaux créateurs. En 2004 avec l’obtention du label, la ville organise un grand nombre d’évènements et se propose d’ancrer certains de ses dispositifs temporaires dans le temps en poursuivant les efforts au sein d’une dynamique nommée Lille 3000 avec notamment la réhabilitation de la gare Lille-Saint-Sauveur en lieu de loisirs et d’évènements ainsi que l’organisation de festivals qui célèbrent une culture des spectacles de rue et du Carnaval présente dans le Nord. Ainsi, dans le cas de Lille, la renaissance revêt un nouveau visage, elle est plus répartie dans le temps et sur le territoire, elle s’attache à reconstruire un tissu urbain dynamique au sein duquel la culture locale est valorisée au service d’un rayonnement large mais aussi d’un renforcement des pratiques culturelles ou des activités économiques locales. Les interventions sur toute la métropole européenne et la mécanique évènementielle de chaque intervention, expriment ainsi une politique de décentralisation et impliquent les habitants de la ville dans le processus de revitalisation.
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3_Politique de la ville, du grand territoire à Lille 3000 Au sein de la métropole européenne de Lille et du territoire qu’elle occupe entre la frontière belge et les terres agricoles qui séparent Lille de Lens et de Valenciennes, on retrouve une grande concentration de secteurs urbains concernés par la politique de rénovation urbaine globalement engagée par l’organisme d’aménagement local « La Fabrique des Quartiers ». Certains de ces quartiers relèvent du PRNQAD appliqué au niveau métropolitain (PMRQAD) et d’autres font partie des programmes de rénovation initiés par la métropole comme le programme « Lille Quartiers Anciens » qui se concentre sur les secteurs de Wazemmes, Moulins et Fives. Au total, ce sont 14 quartiers industriels et résidentiels anciens et dégradés qui présentent les stigmates de la désindustrialisation. Pour chacun d’eux ont été établis des diagnostics, des enjeux singuliers (préservation par la rénovation ou la reconstruction) et des stratégies sur le long terme qui fixent un certain cahier des charges en terme de densification 18
du tissu urbain et de redynamisation économique. Au delà de la rénovation générale du logement ouvrier et des opérations ciblées sur les courées dans la métropole, la Fabrique des Quartiers propose également des stratégies de requalification de l’espace public et de consolidation du tissu commercial ou culturel sur certains secteurs urbains. Dans la recherche d’un site d’intervention, on compare donc particulièrement les secteurs qui s’orientent en partie vers la construction d’équipements publics afin d’identifier une parcelle pertinente, porteuse du projet d’édifice culturel et légitime dans un contexte métropolitain et local. De cette comparaison émerge ainsi le secteur résidentiel « Simons », situé à l’une des portes d’entrée principales du quartier Lille-Sud qui borde la ceinture périphérique de Lille intra-muros. Comme exprimé par la Fabrique des Quartiers : « Le site se compose d’un tissu urbain hétéroclite constitué d’anciennes emprises industrielles, d’activités artisanales et de maisons de
Répartition des projets de requalification de quartierdans la métropole : PMRQAD et Lille QA
Wazemmes Ilot Lafargue Postes Justice
Armentières Et Houplines Site De L’octroi
Tourcoing Quartier Bayard
Wattrelos Quartier Le Cretinier
Roubaix Quartier Pile Fertile
Fives Cité Brunswick Friche Boris Vian Cité Lys
Moulins Quartier Vanhoenacker Ilot Vanlaton
Lille-Sud Secteur Simons
ville privées dans un état moyen à très dégradé. Il se caractérise également par des poches d’habitat indigne qui se conjuguent avec des situations de grande précarité économique et sociales7 ». Aux abords du secteur Simons, l’ensemble du quartier Lille-Sud, un faubourg ouvrier lié à l’industrie du textile, est organisé autour de la rue des Postes qui relie Lille-Sud au 7
centre-ville. Ce quartier reproduit un urbanisme type, avec une partie Nord où les installations industrielles en friche se mélangent aux courées et une partie Ouest bordée par le grand cimetière où l’on retrouve un centre urbain avec une église traditionnelle en brique et un tissu moins dégradé de petites maisons ouvrières. Outre la présence du boulevard périphérique au nord, le contexte urbain du quartier
http://www.lafabriquedesquartiers.fr/Nos-projets/10.-Secteur-Simons-quartier-Lille-Sud-a-LillePMRQAD
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Lille-Sud se caractérise par la forte présence d’infrastructures de transport en commun comme le train et le métro desservis en deux points aux abords de la Cité hospitalière et au niveau de la Porte des Postes ainsi que les lignes de bus qui suivent la rue des Postes et irriguent ainsi le centre ville. Au niveau de la politique de la ville, ce site et ses abords s’ancrent parallèlement au programme de rénovation de l’habitat, dans une dynamique de projets d’équipements et d’aménagements urbains. Parmi eux figurent, d’une part le programme des « Deux Portes8 » qui pose l’enjeu de la connexion entre la porte des Postes et la porte d’Arras ainsi que l’aménagement paysager et urbain des bandes de terrain qui longent le périphérique et la voie ferrée avec notamment la ZAC Arras, et d’autre part le projet économique et culturel du « Faubourg des Modes » auquel participe l’opération des « Maisons de Mode » initiée pour Lille 2004 et qui porte le projet de consolidation du front commercial de la rue des postes marquée par un certain nombre d’édifices à l’abandon, ou encore l’installation récente d’équipements publics comme la halle de glisse et l’hôtel de police. Au carrefour de ce réseau d’infrastructures et de ces dynamiques de développement urbain se situe la parcelle du projet de centre commercial Lillénium. Située en 8
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bordure de la voie ferrée au nord, de l’axe de la rue Simons au Sud, et de la rue des Postes à l’Est, elle s’ancre au centre d’un système viaire dense et révèle ainsi des enjeux de connexion entre Lille intra-muros et Lille-Sud mais aussi de distribution de la ceinture périphérique de Lille avec l’axe Cité hospitalière-Lille-Sud-Arras. Malgré le projet de centre commercial et son inscription dans une dynamique économique à l’échelle du quartier, la construction de la parcelle pourrait plutot passer par l’installation d’un édifice à vocation culturelle, et ainsi orienter la renaissance locale de Lille-Sud non pas vers une activité de consommation mais plutôt vers la promotion et l’hybridation d’activités culturelles locales et métropolitaines afin d’ouvrir le quartier à de nouvelles activités et faire rayonner plus largement celles qui y sont déjà présentes. A une échelle plus large, la parcelle se place sur le réseau d’espaces végétalisés qui forment la ceinture végétale sur toute la périphérie de la ville et son aménagement paysager s’inscrirait alors dans la continuité des parcs et jardins qui ponctuent la partie sud de cette trame verte et bleue. Entre enjeux historiques, urbains, politiques et environnementaux, la parcelle « Lillénium » présente une richesse contextuelle entrainant une pertinence certaine dans le cadre d’un projet d’édifice culturel au service de la renaissance de Lille.
http://lille-en-grand.jimdo.com/les-deux-portes/
BUS
BUS
P+R
Porte des postes
Parcelle Lillénium
BUS
Hotel de police
Secteur Simons Cité hospitalière Lillio Z.A.C Arras-Sud BUS
Reflets de L’île
BUS
Situation de Lille -Sud et la parcelle Lillénium
14m
14m
13m
10m
6m
16m
10m
43m
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4_Lille 3000, culture numérique et architecture fluide De Lille 2004 à Lille 3000 Au travers du rapport d’étude des pratiques artistiques et culturelles des habitants de la métropole lilloise, nous pouvons apprécier tant l’histoire et le développement passé que la caractérisation précise des orientations actuelle de la politique culturelle de Lille et de son adéquation aux développements urbains et aux pratiques habitantes. Au regard d’une grande politique de démocratisation de la culture et d’élargissement de son « catalogue » de pratiques et d’évènements culturels, la ville de Lille place la culture au centre de son processus de métropolisation et de renouvellement urbain. En rassemblant autour d’elle la communauté intercommunale et transfrontalière du bassin des Flandres, le Comité Grand Lille dès sa création en 1993 affiche sa volonté d’initier le projet d’un grand évènement qui ferait ainsi rayonner la Métropole européenne. Dans un premier temps, la candidature de Lille à l’accueil des Jeux Olympiques de 2004 sous le nom « Les
Jeux à Lille » avorte avec l’élection de Pékin par le CIO mais permet tout de même de lancer une deuxième candidature de Lille, cette fois au label Capitale Européenne de la culture qui donnera lieu aux évènements de Lille 2004, marquant ainsi le début d’une renaissance assumée de la métropole Lilloise et d’une réelle orientation de sa société vers la culture. Les Maisons Folies et les évènements majeurs de Lille 2004 prenant place dans l’espace urbain sont dès lors les deux types de dispositifs répartis sur le territoire qui incarnent la volonté de la métropole à pérenniser sa politique culturelle. De Lille 2004 à Lille 3000, son programme culturel pour l’avenir, le paysage culturel de Lille évolue vers un polycentrisme déjà présent au niveau urbain où les communes de Roubaix, Tourcoing et Villeneuve-d’Asc sont des pôles culturels spécifiques qui mettent l’accent sur les pratiques habitantes et sur des équipements à rayonnement plus large. Si l’on observe dans le rapport d’étude comment 23
Façade de la Maison Folie de Wazemmes, NOX, 2004.
se compose ce portrait éclaté des politiques et des pratiques artistiques et culturelles sur le territoire de la métropole lilloise, nous constatons d’abord une division institutionnalisée des champs culturels traditionnels : spectacle vivant, patrimoine et lecture représentés à la direction des affaires culturelles par des services dédiés. Il apparait ensuite dans les grandes ambitions et programmes engagés au sein de l’initiative Lille 3000 que la question des nouvelles technologies et de la culture numérique s’inscrit comme une priorité du développement culturel en cours avec la construction du pôle « Plaine Image » à Roubaix et le programme « Lille, ville d’arts du 24
futur » qui vise à soutenir les initiatives se situant au croisement des mondes de l’art, de la science, et de l’entreprise. Pour autant, la culture numérique en tant que champs culturel indépendant n’existe pas et n’est pas représentée comme tel au niveau politique. Les équipements existants sont essentiellement dédiés à un milieu universitaire et professionnel qui se croisent à huisclos et il n’existe aucun équipement dédié à la promotion pour un grand public des passerelles que la culture numérique implique dans la pratique artistique, voire artisanale à Lille, et plus largement dans la société.
Maisons Folies Lecture Arts plastiques et patrimoine Spectacle vivant
Répartition des équipements culturels principaux dans la métropole lilloise Un schéma multipolaire et riche mais incomplet
Associations de promotion des pratiques liées au numérique Fablab et lieux de fabrication
Formations universitaires scientifiques en informatique. Formation universitaires artistiques
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Culture et numérique Si la Culture dans son sens général représente l’ensemble des valeurs sensibles de la société qui se traduisent dans des pratiques différentes, l’historien de l’architecture et de la technique Antoine Picon, dit que le numérique peut être considéré comme une culture parce qu’il mène à des changements fondamentaux des rituels sociaux9. Ainsi, comme les pratiques différentes de la société contemporaine ont été profondément impactées par le numérique, il est possible de constater l’apparition d’une nouvelle culture : la culture numérique. « La culture numérique est une expression qui fait référence aux changements culturels produits par les développements et la diffusion des technologies numériques et en particulier d’Internet et du web.10 ». Historiquement, la naissance de l’ère numérique a lieu au début des années 70 aux Etas-Unis, lorsque la société américaine Intel présente un processeur sur un seul circuit intégré et donne ainsi naissance au microprocesseur, qui à son tour permet le développement de micro-ordinateur, l’or-
dinateur personnel, comme on le connaît aujourd’hui. Parallèlement, la recherche menée par Leonard Kleinrock dans l’Institut de Technologie du Massachusetts va aboutir au sein du travail de Vince Cerf à un protocole de transmissions de données sur l’Internet - l’expression américaine surfing COMMUNICATION the net n’est probablement pas MEDIA une coïncidence. Ces trois inventions ont déterminé non seulement une révolutionInformation dans le domaine techno-scientifique (le révolution Interface entre les acteurs numérique-informatique) mais ont aussi contribué à la naissance d’un nouveau type de société : la société d’information11. Dès lors, l’information qu’elle soit verbale ou physique peut être numérisée et transmise dans l’espace-temps, d’un utilisateur à un autre, qui possèdent un ordinateur avec un accès à l’internet.
CO
COMMUNICATION
Media Information Acteur
Acteur
Aujourd’hui, on peut constater l’émergence d’un nombre important et varié de pratiques artistiques, exploitant par exemple, les potentiels de la projection comme le vidéo mapping, mais tout autant
9 « Il est possible d’utiliser l’expression culture numérique en un sens plus général, en référence à son impact sur les modes de vie. D’un point sociologique ou anthropologique, le numérique peut-être considéré comme une culture à cause des usages et rituels auxquels il correspond parce qu’il influence nos conduites et nos représentations du monde » PICON, Antoine, culture numérique et architecture: une introduction, Basel, Birkhäuser, 2010, p. 50 10 Definition de wikipédia , le 16/05/2016 11 «Il déboute en réalité avec l’émergence d’un nouveau type de société fondée sur l’information (qui a rendu l’ordinateur possible, et non l’inverse) à la charnière de dix-neuvième et vingtième siècle.» Op. cit. PICON, Antoine, culture numérique et architecture: une introduction,
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ACTEURS
«A main levée», Installation multimédia, Pauline de Chalendar, 2015
celui des environnements strictement virtuels à l’instar de l’artiste Pauline de Chalendar qui, à l’aide de l’Imaginarium de Lille, anime des ateliers de dessin en 3D à l’aide de technologies infrarouge et de lunettes de réalité virtuelle. Dans la culture numérique, la pratique artistique intervient comme catalyseur des nouveaux médias et joue le rôle de passerelle entre le public néophyte à la fois dans le champs artistique et dans le champs technique et un milieu d’experts qu’ils soient artistes ou techniciens. On aura d’ailleurs pu constater les débats qui animent la rencontre entre les artistes et les techniciens au travers des évènements du festival Art, Science et Technologie organisé à Grenoble en novembre 2015 et réunissant 33 artistes européens et divers acteurs du cadre universitaire et professionnel. La culture numérique inter-
viens par ailleurs dans les champs sociaux de l’industrie et l’artisanat, dans celui de l’économie, de l’éducation voire de la philosophie ou encore de la politique et de la géopolitique. On la retrouve dans les outils de conception et de fabrication assistées par ordinateur, dans l’économie virtuelle avec notamment les monnaies dématérialisée comme le Bitcoin mais aussi et c’est l’une de ses caractéristiques, dans l’encyclopédie participative de Wikipédia qui, comme pour les réseaux sociaux et leur implication dans « le printemps arabe » et les révolutions sociales de 2011, trouve son origine dans l’infinité des connexions entre des terminaux, les « ordinateurs » et leurs utilisateurs. Ce n’est donc pas sans rappeler les réflexions sur la réalité, la virtualité et le rapport homme-machine soulevées par les frère et soeur Wachowski dans le film Matrix en 1999. 27
Dans ce contexte théorique et politique, faire la promotion pour un grand public de ce champs très large qu’est la culture numérique c’est se poser la question de comment promouvoir cette culture d’une manière différente des types muséographiques classiques où l’exposition d’un contenu se fait sans interaction entre l’artiste, l’oeuvre et le spectateur et où l’édifice comme écrin de ce contenu cherche essentiellement à s’effacer pour permettre une expérience artistique « vierge de toute « pollution architecturale ». C’est donc, dans le cas de Lille, se poser la question du rassemblement des acteurs sociaux de la culture numérique, de ceux qui la font vivre au travers de leur production qu’elle soit artistique ou économique avec ceux qui la vivent inconsciemment chaque jour par leur usage des technologies de la communication. Il faudrait donc repenser les lieux de cette promotion par le biais de l’interaction, de l’éducation, de l’expérience mais aussi de l’expérimentation, et trouver des dispositifs spatiaux qui garantissent la pluralité des pratiques culturelles actuelles et à venir associées au champs du numérique. Dès lors, l’édifice lui même peut servir cette cause de la promotion du numérique en architecture en devenant un médium de communication urbain, qu’il soit littéralement le support de pratiques culturelles comme la projection d’images ou de sens ou bien qu’il soit d’un point de vue des infrastructures qu’il met 28
en place, l’acteur d’une mise en réseau à l’échelle du territoire. Il semble donc vis-à-vis de ces réflexions que le champs de la culture numérique serait porteur de nombreux enjeux politiques et programmatiques dans le développement des pratiques culturelles à Lille. Le projet mettrait alors en place un programme orienté vers la promotion de la culture numérique au grand public au travers d’espaces d’interactions entre un public simultanément acteur et spectateur de la production artistique ou artisanale liée au numérique. Outre des espaces d’exposition dont la morphologie et l’ambiance s’accordent avec les caractéristiques variées des oeuvres d’art numérique (espaces de pénombre pour les projection, grande modularité des espaces, etc) des espaces d’exposition et de performance plus traditionnels avec notamment une salle de spectacle dédiée à des représentations et des évènements touchant un public large. Il mettrait également à disposition du milieu professionnel un ensemble d’équipement de production et de recherche tels que des ateliers de fabrication digitale, des espaces de travail de type coworking, des salles de classe dédiés aux scolaires et aux formations ainsi qu’une médiathèque numérique donnant accès à du contenu dématérialisé spécifique.
Quatre équipements singuliers en France : diverses échelles de programmes
Lille Surface : 700m²
Strasbourg Surface : 2000m²
Bueaux Salles de réunion Coworking Restaurant Fablab
Espaces ouverts au public Salles de réunion Coworking Restaurant Studios Fablab et Ateliers
Grenoble Surface : 800m²
Lille Surface : 8000m²
Théatre Bureaux Vestiaires Régie Billetterie
Cluster d’entreprises Espaces de reception Salles de réunion / conférences Studios Ateliers Expositions
Un projet au programme transdisciplinaire QUOI ?
PROJET Culture Science et Technique Social Economie Droit
EXPERIMENTATION (Faire)
Politique et Geopolitique
EXPERIENCE (Vivre)
Education Religion et Croyances
COMMENT ?
Analyse de types de promotion de la culture : musées, centre culturel, centre d’interprétation, écomusées, Coworking, Fablabs.
APPRENDRE FAIRE VIVRE
EDUCATION (Apprendre)
QUI ?
PROFESSIONNELS PUBLICS
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L’idée d’une promotion par le biais de l’interaction entre les usagers (visiteurs, et professionnels) et d’une « économie créative » s’incarnerait aussi au travers d’un espace dit « d’expérience et d’expérimentation » qui donnerait « à voir » et « à faire » et mettrait en place tant la participation au processus de production artistique que l’expérience de l’oeuvre elle même. On y trouverait par exemple des installations, des workshops et des expositions thématiques, installés dans des structures temporaires où les artistes et artisans du numérique proposent des ateliers musicaux, de la danse, la réalisation et le visionnage de contenus audiovisuels, toujours en lien avec des champs culturels distincts qui collaborent au travers de ces activités. Au travers de ce programme et des caractéristiques propres à l’édifice lui-même, le projet s’ancrerait de manière appropriée dans l’ensemble des enjeux sociétaux de ce travail liés à la problématique spécifique de la renaissance des villes. Il interrogerait aussi des enjeux architecturaux liés à sa problématique générique et à notre volonté d’exprimer dans ce projet architectural une certaine pratique et une pensée de l’architecture numérique. Au regard de cette dernière remarque et dans l’idée de développer dans ce travail une certaine
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approche du numérique en architecture, il semble pertinent de retracer quelque peu les fondements historiques et conceptuels de l’architecture numérique et l’ancrage de la culture numérique en architecture. Architecture et numérique, l’architecture à l’ère de l’information Un fait intéressant : Le premier texte théorique de la discipline architecturale De Architectura est écrit par Vitruve, un ingénieur militaire romain qui construisait des machines de guerre durant la tyrannie d’Augustus au Ier siècle av JC. Il décrit dans le premier de ses dix livres, un bâtiment, la Tour des Vents, une horloge hydraulique monumentale en marbre, située sur l’Agora romaine, à Athènes12. Vitruve dont la profession relève de la construction des machines de guerre introduit la théorie de l’architecture par la description d’un édifice qui est aussi une machine. Cette machine est faite non pas pour « vivre au dedans » mais pour produire une information. Avant la révolution informatique, dans les années 50-60 le hardware, donc, la machine elle-même, avait beaucoup plus de valeur que le software : les logiciels qui pilotent ces machines. La mécanisation de la production mise en place au début de XXème siècle après la 2ème révolution industri-
CACHE, Bernard, Projectile, AA Publications, Londres, 2011, p.17.
« Before AutoCAD » Cambridge, Massachusetts electrical system, 1950
elle, incite les architectes comme Le Corbusier et ses confrères modernistes et constructivistes à repenser la discipline. Les architectes doivent inventer des nouvelles formes architecturales, appropriées aux nouveaux outils de fabrication mécanique de masse. Il en va de même des urbanistes qui doivent repenser la structure et la forme de la ville pour la circulation des masses. Ce qui n’était pas fonctionnel n’était plus beau. L’esthétique elle-même de l’architecture se référait de plus en plus à l’esthétique de la machine ou la forme suit la fonction. L’industrialisation de l’architecture a ainsi mené à une reconsidération de l’esthétique formelle vis-à-vis de ses
nouveaux moyens de fabrication, tandis que les outils de la conception de ces formes étaient restés les mêmes depuis l’ère pré-industrielle. Dès lors, le projet architectural était dessiné à la main et construits ensuite par des éléments standards, fabriqués mécaniquement en série. À l’ère du numérique, le premiers changements dans la production de l’architecture induits par les technologies numériques résident dans sa conception, et plus précisément dans sa représentation graphique, avec les premiers logiciels de dessin au début des années 60, puis dans son design, avec l’émergence d’outils de conception paramétriques. Les technologie 31
CAD (Computer Aided Design) assuraient non seulement les transformations profondes du savoirfaire dans la discipline mais aussi et surtout contribuaient à l’apparition de l’architecture « non-standard », avec toute la diversité des « formes libres », ie courbes, blobs et leurs dérivés. Dans ce nouveau champs de conception architecturale, des architectes tels que Greg Lynn, Peter Eisenman, Lars Spuybroek, Bernard Cache, etc, développent les potentiels formels et processuels des outils numériques associés à la production industrielle orientée vers l’architecture. L’exposition « Architecture non-standard » au Centre Pompidou en 2003 fait l’état des lieux d’une exploration large établie au long des décennies 1980 et 1990 qui progresse exponentiellement avec le progrès technique. « Il n’est pas question, là, simplement d’architecture numérique ou d’une exposition d’architectes du “virtuel” préoccupés principalement par des questions de représentation (virtualité, hyperespace), mais de s’intéresser aux modifications de l’industrialisation de l’architecture. L’utilisation généralisée d’applications basées sur les systèmes algorithmiques suppose des transformations des outils de conception et de production. Une architecture ”non standard” est une réflexion sur le langage de cette discipline ainsi que sur son champ d’application à
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partir de l’exploration des éléments numériques. A la construction traditionnelle peut s’opposer aujourd’hui une production par prototypage d’éléments préfabriqués de l’architecture.13 » On peut discerner deux grandes familles des logiciels CAD : des logiciels de représentation et des logiciels de conception. D’une part, on trouve les logiciels de type BIM (Revit, ArchiCAD, Allplan, CATIA, etc), ainsi que les logiciel de dessin traditionnel comme AutoCAD se trouvent dans un premier groupe, et permettent la représentation numérique de formes qui peuvent être conçues et représentées sans leur utilisation. D’autre part, on trouve des logiciels dits « de conception numérique » où la création de la forme elle-même se fait via le numérique à l’aide d’algorithmes, de scripts, et de fonctions de construction géométriques cachées derrière une interface graphique et qui exploitent la force de calcul des technologies contemporaines en traduisant des données physique et sensibles en géométries et en architecture. Cette transformation du processus de conception dans un environnement numérique et son orientation vers des modes de production non-standard donne lieu à une rupture paradigmatique dans la production architecturale par rapport à l’ère industrielle, et
Exposition Architecture non standard, Centre Pompidou, Paris, du 10/12/2003 au 01/03/2004
donne naissance à un nouveau type d’architecture : l’architecture numérique. Cela dit, si l’ordinateur peut très bien concevoir des cubes comme des blobs, pourquoi alors, la production formelle mondiale assistée par l’ordinateur s’exprime le plus par des formes fluides et curvilignes? La fluidité en architecture « La théorie des flux de Bosson. En Juillet 2012, l’Organisation européenne de la recherche nucléaire, le CERN, situé d’ailleurs à seulement 65 kilomètres du Rolex Learning Center, a annoncé qu’ils avaient (avec quasi-certitude) détectés, après une longue recherche, une particule sub-atomique élémentaire, le Bosson de Higgs. A ± 125 ev, la masse du Bosson de Higgs est notamment grande pour une particule sub-atomique. La spécificité de la particule, cependant, ne vient pas de sa propre masse, mais de son rôle essentiel dans la formation de la matière. Toutes les particules sub-atomiques sont divisées en deux catégories: des fermions ou des bossons. Les fermions sont des particules de matière comprenant des électrons, des neutrinos et quarks.4. En tant que des porteuses de la substance, ces particules ont la qualité importante que deux d’entre eux ne peuvent pas occuper le même espace en même temps. Les Bossons, cependant, ne sont pas les porteurs de la matière, au 14 15
lieu de porter de la matière elle portent de la force et ont la capacité ainsi d’occuper le même espace en même temps. Ce qui rend le Bosson de Higgs d’une importance particulière c’est son champ quantique sub-atomique éponyme censé imprégner l’univers et créer un frottement sur les particules, ce qui leur donne une masse. Chaque particule - bossons ou fermions - sent ce champs mais en est affecté à des degrés divers. Les particules fortement ralenties développent ainsi une grande masse, les moins ralenties développent une petite masse. Donc, la question de pourquoi les particules ont des masses différentes devient la question opérationnelle de pourquoi les particules ressentent le champs de Higgs différemment. Suivant ce modèle, la construction de la fluidité doit être comprise non pas en tant qu’une structure de la matière / forme, mais plutôt comme une formatrice de la matière / forme. Architecture and the Image of Fluidity, GLOBALIZING ARCHITECTURE / Flows and Disruptions Nana LAST, Université de Virginia,2014 » 14
Ce qui nous intéresse dans cet exemple métaphorique, c’est la nature formatrice de la notion de fluidité et pas seulement la question des qualités externes d’un objet. En architecture, on retrouve le concept de fluidité souvent théorisé par comparaison avec la mécanique des fluides15 et qui s’exprime
Extrait Traduit par les auteurs Irina ioana Voda, La fluidité architecturale : histoire et actualité du concept, Thèse A&CC, Ensa Grenoble, 2012
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formellement dans un langage continu et dynamique. Pour autant, on ne peut pas théoriser le concept de fluidité en architecture qu’à partir de comparaisons métaphoriques entre des phénomènes physiques et un langage architectural. En effet, à part de nouvelles méthodes de production des qualités externes de la forme, la caractérisation de ce concept assez vaste doit toucher des éléments plus profonds.
L’architecte Patrik Schumacher associé chez ZHA16, a été l’un des premiers à proclamer que la nouvelle esthétique architecturale curviligne issue de l’exploration des outils de conception assistée par ordinateur peut prétendre à un statut de « style ». Ainsi en 2008 il présente son manifeste d’un nouveau style architectural, le « Paramétricisme », « the great new style after modernism », qui vise à organiser et articuler, en terme d’architecture, la diversité et la complexité croissantes des institutions sociales et les processus de la vie de la société post-fordiste17. Néanmoins le Paramétricisme, dans son principe formel était déjà décrit sur 26ème page du Pli, Leibniz et le baroque, de Gilles Deleuze, dans sa définition de l’objectile. Mais là où Schumacher était vraiment innovant, c’est dans son insistance forte sur le terme 16 17 18 19
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profondément démodé du style. L’objectile est un nom donné par Gilles Deleuze à sa recherche sur le travail du philosophe et mathématicien allemand Gottfried Wilhelm Leibniz, et continuée plus tard par Bernard Cache et Patrick Beauce dans un développement des techniques de production en série des objets non-standards. Leibniz était le premier à réaliser que chaque forme, une surface, en termes mathématiques, peu importe sa complexité, peut être définie mathématiquement par des familles de courbes « qui plient les surfaces sur elles-mêmes18 ». Ce sont donc des modèles mathématiques, des scripts ou des algorithmes, qui permettent de produire un nombre infini de déclinaisons possibles de surfaces paramétriques à courbure variable, formant ainsi l’objectile. Par conséquence, toutes les variations possible de l’objectile ne vont pas partager la même forme, mais elles vont partager le même style dans le sens original du terme, qui se réfère au stilus de l’écrivain, et donc à son outils, pas à son intention19. Le style aujourd’hui n’est plus un code esthétique choisi par un concepteur, mais une trace inévitable laissée par son outil, et donc un logiciel. Les premiers logiciels CAD ne permettaient de dessiner que des géométries rectilignes, en repre-
Zaha Hadid Architects SCHUMACHER, Patrik, « Parametricism as Style - Parametricist Manifesto », 11th Architecture Biennale, Venice 2008 DEULEUZE, Gilles, Le pli, Leibniz et le baroque, Edition de Minuit, Paris, 1988, p.26 CARPO Mario, The alphabet and the algorithm, p.100
Diagramme de construction de la spline Bézier
nant les techniques du dessin analogique, où la représentation de la courbure était limitée par l’interpolation de deux tangentes en une courbure régulière : un arc de cercle. Si les courbes à courbure variables appelée spline existaient en mathématique depuis le début du XXème siècle, elles présentaient le défaut de changer d’aspect lors d’une rotation de repère, ce qui les rendait inutilisables en CAD. Au début des années 1960 Pierre Bézier et Paul de Casteljau, des ingénieurs des compagnies automobiles françaises Renault et Citroën ont inventé indépendamment l’un de l’autre la courbe polynomiales paramétrique afin de concevoir spécifiquement les pièces d’automobiles à l’aide d’ordinateurs. La politique de la compagnie Citroën de ne pas publier ces recherches et de les dissimuler en tant que secrets industriels, a empêché Paul de Casteljau
de revendiquer cette transformation paramétrique de la ligne polygonale, qui est donc connue aujourd’hui comme la spline Bézier. Ainsi, la spline Bézier a donné naissance à une série d’outils mathématiques basés sur la géométrie NURBS (non-uniformal rational Bézier spline), qui outre la modélisation de la curvilinéarité, permettent un passage d’une géométrie rectiligne à une géométrie curviligne en 3 dimensions au travers d’une subdivision de la surface. La polyligne est devenue une spline et le pli est devenu un blob. Si l’ordinateur peut très bien concevoir les deux, la première forme peut être conçue, dessinée et fabriquée en dehors du milieu numérique, alors que l’existence de la seconde est déterminée par l’essence du numérique lui même. L’une est adoptée, l’autre est native. 35
« Velocity » Based upon an extensive analysis of the existing urbain circulation patterns, this project explores the potential of homogeneous fluent urban geometry.
Total Fluidity
Si aujourd’hui, on retrouve dans le langage architectural une forte présence de la curvilinéarité, c’est parce qu’il existe une continuité du processus de morphogénèse rendue possible grâce à la technologie et à une capacité de calcul suffisante pour assurer la « fluidité algorithmique » et ainsi produire une « fluidité esthétique ». Dès lors la fluidité en architecture relève d’une continuité mathématique de la forme, qui peut être considérée comme un nouveau mouvement artistique, un style, où ses principes formels ne concernent plus une esthétique de la forme, mais bien le processus de sa genèse. Dès lors, la forme fluide n’est pas le résultat d’une juxtaposition d’éléments mais un élément uniforme issu d’un processus continu. Si cette continuité processuelle peut s’exprimer plastiquement par exemple, par l’homogénéité ou la variation d’une surface, elle peut aussi s’exprimer au niveau urbain par la non-interruption d’un 36
parcours, issu de la mise en réseau de divers points de l’espace urbain. A la lumière de ces considérations théoriques et esthétiques, on peut considérer la fluidité comme la réponse méthodologique à l’ensemble des enjeux à la fois politiques, urbains, programmatiques et architecturaux mais aussi conceptuels et pédagogiques et instrumentaux qui ont été précédemment soulevés. En proposant une démarche continue dans le processus de production architecturale qui corrèle l’ensemble des composantes du projet, elle permettrait de lier les deux problématiques de notre travail. La problématique spécifique de la renaissances des villes et du rôle du projet comme réponse contextualisée à ce phénomène dans la métropole lilloise ainsi que la problématique générique du travail qui articule le cadre théorique et pratique de l’architecture numérique dans la définition du concept de fluidité et de son expression architecturale.
Courbe de bézier
O itération 20=1
1 itération 22=4
2 itérations 2 4 = 16
3 itérations 2 6 = 64
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Du flux à l’espace, processus de recherche architecturale 1_Exploration formelle de la fluidité
Des flux exogènes et endogène au projet Dans la phase initiale de production du projet architectural et donc dans la partie du travail où nous avons cherché notre point d’entrée vers une capitalisation du travail analytique et théorique, de notre arpentage du site et des diverses rencontres avec des professionnels de la culture, de l’art et de l’artisanat du numérique, nous avons cherché à poser les bases d’un projet qui s’installe en continuité de son contexte urbain, politique et culturel et qui mette en place la fluidité aux divers niveaux de sa conception en corrélant les différentes dimensions du projet, son implantation urbaine et paysagère, sa structure, son programme et son enveloppe architecturale. La recherche d’un processus de morphogénèse qui met en place cette continuité multiscalaire et pluridimensionnelle est passée d’abord par une construction diagramatique abstraite du projet dans sa dimension programma-
tique ainsi que par une représentation schématique du contexte, et des stratégies d’implantation du projet en s’attachant principalement à la qualification des divers flux qui bordent le site d’intervention. Cette considération des flux permet d’inscrire la genèse du projet en corrélation avec la structure urbaine et environnementale du contexte, répondant alors à l’enjeu de connexion du projet à son site. On s’attachera donc d’abord aux infrastructures de mobilité qui relient physiquement le projet au reste des entités urbaines (centre ville de Lille, EuraLille, Villeneuve-d’Asc, Roubaix et Tourcoing) et culturelles liées au numérique (Plaine image, Imaginarium, MutuaLab, etc..). La question de la reconnexion transversale des fragments du quartier Lille-Sud et de l’articulation entre périphérie et centre-ville est un enjeu soulevé par l’arpentage et l’analyse urbaine qui renvoie également à l’une des ambitions que la municipalité exprime vis-à-vis d’une réapropriation des anciennes friches ferroviaires en marge du périphérique sud. 39
PROFESSIONNELS
Ateliers
Expérience
Expérimenttion
Petite et grande salle de réunion Bureaux
Cluster
Auditorium
Coworking
Cafétéria
Technique Bureaux
Salle Informatique
Direction
LOBBY
Secrétariats
Salle de classe
EDUCATION
ADMINISTRATION Accueil
Galleries
Cette attention aux flux de mobilité qui gravitent autour de Lille intramuros et passent par Lille-Sud nous à par ailleurs amené à élargir le spectre de notre analyse vers d’autres dynamiques. Ainsi, l’intégration des dynamiques de la trame verte et l’implantation périphérique du végétal autour de Lille dans la conception architecturale et urbaine nous permet d’inscrire le projet dans son contexte à un autre niveau que celui de la maille urbaine et de ses infrastructures. En effet, en ménageant les ressources paysagères présentes dans le territoire par l’aménagement des friches et des délaissés du site d’intervention, nous renouons avec une vision écosystémique du projet architectural et urbain.
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Médiathèque
L’ensemble des dynamiques urbaines et environnementales sont alors considérés comme les flux exogènes au projet et se révèlent graphiquement dans la schématisation du parcours des divers modes de transport, des trajectoires qui reflètent l’implantation des espaces végétalisés autour et sur le site d’intervention. Au travers de l’organisation diagramatique du programme, nous considérons les interaction fonctionnelles au sein de l’édifice autour d’un espace de circulation continu que nous appellerons « lobby », et qui distribue de manière longitudinale et rayonnante les éléments de programme. Ces derniers sont regroupés en fonction des usagers qu’ils concernent et des
Porte des Postes
Déviation de la Route des postes vers la Rue Courtois
Prolongement de la promenade vers la Rue Courtois
Incidence de la Rue du Bel-Air vers la voie de chemin de fer et la Rue Courtois
Promenad
e
Rue de M
arquilies
Déviation de la Rue de Marquilies vers la rue Courtois
rà
Rou
te d
es
pos
tes
ux
cha
Rue
du
Fou
Bel
du
-Air
Rue
Prologement de la Rue du four à Chaux vers la Rue Courtois
Les flux exogènes au projet
Master Plan du Quartier Kartal-Pendik, Istambul - Patrik Schumacher & Zaha Hadid, ZHA, 2006 41
besoin de proximité entre certains d’entre eux. C’est par exemple le cas pour l’ensemble du complexe « professionnels » qui accueille les espaces de production digitale et les espaces de travail de type coworking. Cette organisation type, composée à la lumière de la diversité du programme et de ses caractéristiques propres nous permet d’envisager avec une certaine abstraction les dynamiques dites « endogènes » au projet qui s’expriment spatialement au travers d’un schémas directeur de circulation. Dans ces conditions, l’émergence du projet à partir des flux exogènes et endogènes, est un levier d’ancrage du projet dans la matière de son site et nous semble être un postulat pertinent dans l’approche morphogénétique du projet. Dès lors, le processus de morphogénèse du projet architectural s’appuie sur une famille de trajectoires qui délimitent, traversent, incident ou prolongent les dyna-
Découpage de la parcelle par les flux
miques présentes dans le site et concourent au sein de la parcelle où le projet s’installe. Qu’elles relèvent des flux de mobilité ou bien de la trame verte, et donc d’une dynamique du vivant en continuité et discontinuité autour de Lille, ces dynamique sont redessinées aux abords et sur la parcelle par extension des rues adjacentes, par anticipation des déplacements piétons sur la parcelle et par prolongement de l’implantation paysagère qui précède et suit le site de projet. Ces trajectoires, des courbes, qui se dessinent en plan dans l’espace urbain nous amènent à considérer l’édifice comme une architecture ouverte, qui se superpose aux flux, les laissant la traverser en fragmentant la parcelle du projet, et en délimitant l’installation du programme, des circulations, et des espaces végétalisés, tout en permettant une corrélation entre l’implantation de l’édifice et les aménagements de son site. Ce principe d’implantation et de
Implantation du programme sur le site
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fragmentation de la parcelle ellemême nous interroge sur la formalisation architecturale et le processus qui réalise le passage d’une incidence immatérielle de ces flux à une forme architecturale concrète. Pour répondre à cette interrogation, nous considérons différentes hypothèses formelles qui renvoient à des concrétisations différentes du concept de fluidité et d’une esthétique curviligne. Dans un premier cas, nous imaginons l’édifice comme une surface lisse et continue qui émerge du sol et recouvre le programme. Ce principe de surface rappelle l’esthétique du centre culturel Heydar Aliyev construit à Baku par Zaha Hadid Architects et nous permet, par l’analyse de ce dernier d’identifier malgré la continuité du processus de mise en forme architecturale, une rupture évidente entre la conception organique de l’enveloppe architecturale et son rapport au site avec la morphologie rectiligne de son contenu. La manière dont l’enveloppe habille le programme semble déconnectée de son expression plastique et nous amène à reconsidérer ce processus de concrétisation pour concentrer notre attention vers la cohésion entre le programme, la structure et l’enveloppe.
Dans un second temps, nous imaginons un principe de structure « champignon » émergeant des fragments de la parcelle ainsi divisée par le dessin des flux. La logique formelle est comparable à celle du crématorium de Kakamigahara construit par Toyo Ito et révèle une cohérence certaine entre la structure, l’enveloppe architecturale et le programme qui trouve son origine dans la ponctualité de ses appuis et dans le processus de form finding20 numérique. Au travers de cette hypothèse, nous retrouvons le concept de fluidité et la continuité processuelle et esthétique recherchée mais nous ne produisons finalement que le négatif formel du schémas d’implantation en matérialisant les « cellules » entre les flux plutôt que les flux eux même. Vient alors une troisième hypothèse, pour laquelle il s’agit de traduire directement la complexité des dynamiques initialement tracées dans le plan en structure dans l’espace et de considérer ces flux comme les génératrices de la morphologie architecturales en plus d’être les génératrices de l’implantation urbaine. Dès lors, nous produisons une maquette dite « conceptuelle » qui reprend le tracé en plan des flux à l’aide de petits câbles métalliques tout en s’élevant, s’épaississant, se spatialisant et générant la structure filaire
20 Le processus de Form finding désigne une méthode de recherche formelle par simulation numérique ou modélisation analogique des forces de poids propre qui s’exercent sur une surface dont les appuis sont ponctuels. Ce processus de conception exploré à l’origine par Antoni Gaudi au travers de ses maquettes de chainettes matérialise les courbes funiculaires des efforts dans la surface, caractérisées par leur courbe caténaire. La morphologie issue de ce processus permet une optimisation mécanique de la surface qui ne travaille alors qu’en compression..
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Centre Culturel Heydar Aliyev, Baku - Zaha Hadid Architects, 2012
Crematorium Ă Kakamigahara - Toyo Ito, 2004-2006
Performing Art Center, Abu Dhabi - Zaha Hadid Architects, 2007
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Maquette conceptuelle
radicale du projet. Notre travail à ce moment consiste à passer d’une logique filaire et conceptuelle de composition spatiale vers une logique structurelle concrète où les lignes et la géométrie filaire acquièrent une matérialité en corrélation entre la structure et l’enveloppe et interagissent avec le programme. Oscillant entre le travail en maquette de recherche analogique, de composition urbaine et de forme architecturale, et le travail numérique de concrétisation géométrique de cette logique filaire, nous installons progressivement un processus de morphogénèse
continu où l’influence de chaque outil de conception alimente le projet jusqu’à sa représentation architecturale traditionnelle. Ainsi, dans un premier temps nous nous interrogeons sur la forme architecturale extraite de la troisième hypothèse partant des flux et sur les moyens de sa concrétisation, tant techniques qu’esthétiques où les difficultés que pose la complexité de cette démarche nous amènent à travailler analogiquement d’une manière sculpturale avec de l’argile puis à passer à l’outil numérique 3D Studio Max plus adapté à cette recherche formelle et à retrouver plus précisément la concrétisation de lignes géométriques en espaces architecturaux. Dans les deux cas 47
de figure, le principe d’extrapolation des flux est au centre de la recherche formelle et s’exprime plastiquement par un jeu entre une structure filaire et des surfaces qui, alors définies par ces nervures, inscrivent la forme en continuité avec la topographie du sol et délimitent des entités programmatiques, comme des cellules, entourées par les espaces de circulation. Au cours de ce travail de recherche formelle, le recours à des maquettes dites « radicales » qui expriment le principe morphogénétique du projet à chaque avancement de sa conception nous a permis de faire état des changements majeurs dans notre posture vis-à-vis de l’esthétique des nervures et des surfaces qu’elles délimitent, et de tracer la généalogie du projet et de son rapport au contexte. Dans la finalité de ce travail sur les maquettes radicales, nous transposons le processus de morphogenèse ainsi construit vers l’échelle de l’édifice et du paysage, en y intégrant l’ensemble des conditions spécifiques apportées par le programme, son usage, les questions de confort et de réalité constructive.
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2_ Le Centre de la culture Numérique, une émergence urbaine et paysagère
Dans le second temps de la production du projet architectural, le travail de mise en forme du processus de morphogénèse fluide précédemment décrit, à l’échelle de l’édifice et du paysage, passe par l’intégration dans ce processus des différents niveaux de la conception. Entre la logique globale de circulation et de distribution du programme dans le plan, la composition de la structure, la mise au point de la morphologie architecturale et la modulation des atmosphères en fonction de l’usage, ce travail fait dialoguer chacun de ces niveaux de conception avec les autres. D’un point de vue opératoire, cette mise en forme se finalise dans un environnement numérique où l’exploitation du potentiel des logiciel 3D Studio Max, Rhinocéros et Grasshopper assure une continuité incrémentale du processus de mise en forme architecturale, impliquant une corrélation de l’ensemble des éléments du projet (traitement du sol, structure, morphologie de l’édifice, circulations, etc..), mais permettant tout de même d’identifier et exprimer leurs spécificités.
Implantation urbaine programmatique et paysagère Au regard de l’implantation générale et fonctionnelle du programme et des stratégies d’aménagement paysager, nous retournons aux éléments du contexte proche de la parcelle et notamment aux flux de mobilité ainsi qu’au parcours de la trame verte. Nous retrouvons dans un premier temps la présence de la voie de chemin de fer en bordure de toute la partie Nord du site, couplée à une ligne de métro et au Boulevard périphérique Sud qui irrigue la ceinture résidentielle de Lille. Cette frange Nord constitue aujourd’hui un délaissé, une friche dans l’existant mais soulève également un enjeu certain de redéfinition et de revalorisation des limites du quartier. C’est au travers de l’implantation au Nord du programme introverti de la salle de spectacle que nous pourrons concilier le besoin de fermeture du reste du projet aux nuisances des diverses infrastructures de transport tout en se posi49
tionnant judicieusement pour libérer le plus d’orientations ensoleillées. De même, le prolongement de la promenade urbaine qui relie le jardin des plantes à l’Est au canal de la Deûle à l’Ouest, passe au travers de cette frange, et constitue un levier de réactivation et de réapropriation de la limite de quartier. Il permettrait, outre l’extension du parcours existant, d’ancrer l’aménagement paysager du projet dans la trame verte en favorisant la temporalité courte de l’usage de ce bandeau ombragé. Ainsi, il permettrait le passage de piétons et de cycles sur un bandeau minéral et conserverait une certaine densité du végétal sur ses marges. Cet aménagement paysager viendrait alors déborder au sein de l’édifice en confondant les dynamiques du vivant, des déplacements et de l’architecture et en s’étendant à l’ouest au travers d’un parc urbain, remplaçant alors les anciens jardins ouvriers en désuétude et proposant ainsi des usages plus pérennes. A l’abri de la frange Nord, le reste du programme se positionne autour d’un espace public central, le lobby, étendant ainsi le réseau des places publiques et des esplanades du quartier jusqu’à l’intérieur du projet. Cinq accès au lobby sont déterminés par la trajectoire des flux exogènes. Ils s’ouvrent largement sur le parvis et la rue des postes à l’Est, ainsi que sur le parc urbain à l’Ouest au travers de deux passages traversant l‘édifice qui oscillent entre une « intériorité à l’air libre » et une « exté50
riorité couverte ». La circulation interne de l’édifice entre l’accueil, la médiathèque numérique, les ateliers et les espaces de travail, l’espace « expérience - expérimentation », l’administration et la salle de spectacle, s’organise en rez de chaussée par l’ouverture large du programme sur le lobby et les accès directs qui sont aménagés. Une répartition des circulations verticales dans chaque entité programmatique permet de distribuer le second et le troisième niveaux. Ce dernier, positionné à 8m de haut, accueille un réseau de coursives qui relie l’ensemble du programme et facilite les déplacements propres aux usagers de l’édifice. Une longue passerelle étend ce réseau aérien à l’Ouest de l’édifice en direction du parc en s’élançant au dessus du sol et d’espaces de libre circulation, ne gênant donc pas les fonctions logistiques telles que les livraisons de matériel scénographie et d’intendance.
0
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Reception, Exposition 520 m2
Stockage régie, billeterie, vestiaire, sanitaires 480 m2
Salle de spectacle 400 places assises - 480 m2
Stockage salle, loges, Salle de répétition 600 m2 Lobby 2800 m2
Espace Expérience - Expérimentation 745 m2
Dépôt de livraison 150 m2
Accueil, vestiaire - 410 m2
Ateliers de fabrication digitale 415 m2
Accueil médiathèque numérique 190 m2 Espaces techniques, sanitaires 240 m2
Coworking 350 m2
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Plan R+2
Vide sur atrium de la salle de spectacle
Espace performance et projection 324 m2 Régie, Espace de réception, sanitaires bureaux, bar restaurant 700 m2
Salle de spectacle 400 places assises - 480 m2
Lobby 2800 m2 +0.0
Salle de répétition
+8.0 +0.0 +0.0 +8.0 +0.0 +8.0 +0.0
Vide sur Espace Expérience - Expérimentation +8.0 +8.0
Gallerie 461 m2 Vide sur Ateliers de fabrication digitale
Médiathèque numérique 590 m2
Salles de classes et coworking 615 m2
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Structure et morphologie architecturale A partir des principes de l’implantation du programme et des aménagements paysagers, il est possible de reprendre le processus de morphogénèse en y intégrant les contraintes du programme. Ces contraintes se réduisent essentiellement à une question de respect de l’organisation fonctionnelle, des « volumes capables » qui décrivent les minimas d’usage des éléments de programme, ainsi que les ordres de grandeur des franchissements de la structure. En effet, au regard d’une composition filaire des flux urbains qui se prolongent sur le site, s’élèvent et se croisent autour du programme, le processus de morphogenèse esquisse une forme émergeant progressivement du sol pour atteindre 23m de haut au dessus du lobby et enfin retrouver le sol en s’y dispersant. La structure primaire de l’édifice, comme un épaississement matériel de cette logique filaire, se comporte alors comme un réseau rhizomatique d’arches soutenant l’ensemble des éléments secondaires comme les dalles, les parois ou encore les surfaces de l’enveloppe délimitées par la structure primaire qui donnent son esthétique « lisse » à l’ensemble de la morphologie architecturale. Des réservations de forme ovale sont positionnées entre les éléments d’armature de certaines de ces surfaces afin d’aménager des ouvertures dans l’enveloppe sous la forme d’une 58
multitude de percements, reflet ornemental fonctionnel d’une pixellisation lumineuse de l’enveloppe. Le processus paramétrique de design de ces ouvertures au sein du logiciel Grasshopper s’appuie sur le maillage géométrique extrait de 3D Studio Max et permet la modulation de la taille des ouvertures en fonction de paramètres tels que le programme, la proximité à la structure, ou le pourcentage d’ouverture. Nous conservons donc la continuité morphogénétique dans la définition des ouvertures. La logique constructive de l’édifice suit alors la logique d’émergence fluide de la forme. On assemblera dans un premier temps la structure primaire au moyen de pièces préfabriquées en béton armé, puis dans un deuxième temps, on coffrera l’ensemble des structures secondaires venant alors se fondre dans la super-structure pour ne former plus qu’une seule entité architectonique et masquer les discontinuités inhérentes à cette logique en deux temps. Cette continuité de la matière au sein de l’édifice est présente également au niveau paysager puisqu’il s’agit de faire émerger l’édifice du sol. D’une part, un traitement identique du béton entre le sol et l’édifice participera à établir cette confusion et d’autre part, le traitement formel continu du piètement de l’édifice sur le site ainsi que celui de la passerelle qui s’ancre au milieu du parc, amènera le sol et sa topographie à se poursuivre dans la morphologie de l’édifice.
Détails de la structure
27m
9m 8m
8m
Structure primaire coffrée en béton armé pré-contraint et préfabriqué Coffrages complexes usinés à la CNC en fraisage 3 ou 5 axes
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DĂŠtails de la structure
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Morphologie
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Usages, ambiances et design de l’enveloppe La fluidité processuelle et formelle de la morphologie architecturale, des espaces de circulation et du volume des entités programmatiques, s’exprime également dans la perception de l’architecture, du paysage, et des spatialité intérieures et extérieures par les usagers. Le principe formel de continuité des surfaces « lisses » et le caractère ininterrompu des parcours au travers, aux abords et dans l’édifice constituent les composantes principales de la perception du projet. L’ensemble de ces parcours et de ces spatialités sont marqués par des transformations continues de la morphologie architecturale où l’on percevra un épaississement progressif des parois, exprimant les trajectoires de la structure et un rapport topographique continu du bâtiment au sol comme nous l’avons évoqué au regard de la matérialité et du piètement de l’édifice. Les espaces ainsi produits se contractent et s’évasent, faisant varier la distance entre les parois et les usagers, et par extension, la perception de l’édifice dans leur mouvement, comme si les transformations de l’espace faisaient varier le débit des flux qu’il accompagne. D’autre part, dans une certaine attention au programme, le principe de modulation des ouvertures ménage graduellement une réduction de leur taille à mesure qu’elles s’approchent de la structure primaire. Cette gradation implique alors une décroissance 66
de la quantité de lumière aux abords des parois qui s’accorde avec un besoin d’espaces de pénombre dans le programme, au profit des installations lumineuses et des projections. Elle implique également un apport de lumière important sur le centre des espaces qui sont dédiés à l’exposition, l’expérimentation, l’éducation ou la production et donc nécessitant un certain confort lumineux. Dans la poursuite de ces ambiances architecturales, la composition des aménagements paysagers au sein de l’édifice puis au dehors participe aussi de l’expérience sensible, où la densité, la hauteur, la couleur des végétaux implantés et leur dialogue avec les éléments de mobilier et l’architecture sont mis en variation le long des parcours sur la parcelle. Cette composition détermine alors un équilibre versatile entre l’usager, le végétal, et l’architecture, constitutif d’un paysage singulier. Au travers de ces transformations continues de l’expérience sensible, conséquences du processus de morphogenèse mais aussi et surtout de la structure, de l’enveloppe, du programme et du paysage qu’il corrèle, nous abordons la caractérisation et l’expression de l’esthétique de la fluidité inhérente au projet.
Ambiances lumineuses
Lille Lat 50.63 Lon 3.06 67
Coupe vivante
6969
3_Prototype immersif et matérialité numérique
Dans la poursuite de toutes les réflexions sur l’expression de la fluidité aux différents niveaux de la conception et de l’expérience de l’édifice, le travail de caractérisation de l’esthétique complexe du projet hybride à la fois la morphologie architecturale et donc le processus de morphogénèse dont elle est issue, la considération du programme dont l’expression esthétique passe par ses manifestations artistiques, et les variations continues de l’expérience sensibles du projet. Cette complexité des dimensions inhérentes à l’esthétique du projet nous amène à considérer la notion de matérialité numérique21 qui articule principalement l’ancrage d’un projet dans une logique processuelle où le projet, plutôt qu’un objet, renvoie à un processus de morphogenèse et donc à une démarche dynamique ou algorithmique22 qui renvoie également à l’objectile de Bernard Cache. La notion de matérialité 21
22
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numérique intègre également les principes de la continuité entre le processus de conception et celui de fabrication, les caractéristiques fonctionnelles et esthétiques de la nouvelle ornementation, et s’attache enfin à décrire un espace « augmenté » où le rôle des matériaux instrumentés ou de l’ubiquité de l’information fait entrer la spatialité dans un environnement en partie virtuel. Au regard de la démarche et la méthodologie mises en oeuvre dans ce projet, ainsi que de la production architecturale ainsi finalisée, la notion de matérialité numérique permet de caractériser l’esthétique complexe du projet, la fluidité de son émergence et de son expérience sensible. Dès lors, le travail de production d’un « prototype immersif » décrit comme un objet rendant compte de l’expérience esthétique du projet, vient réinvestir l’ensemble des caractéristiques propres au
BIANCHI, Y ; LIVENEAU, P ; MARIN, P ; La matérialité numérique : une illustration, 2012. URL : https://www.researchgate.net/publication/261862275_La_materialite_numerique_une_ illustration/ .ibid
40 cm
30 cm
projet et décrites par la notion de matérialité numérique. Cet objet ambiant se présente comme le résultat du même processus fluide d’émergence morphologique décrit au regard de la forme architecturale. Il convoque et met en place une continuité entre les outils de conception et de fabrication numérique et réinvestit l’information dématérialisée du modèle numérique contenue dans l’objet en intégrant dans son expression
plastique et ornementale, le motif de sa géométrie virtuelle.
Dès lors, il s’inscrit dans ce travail comme un objet manifeste de notre vision de la fluidité, et de son incarnation dynamique qui transparaît dans les maquettes radicales du projet, dans sa morphologie architecturale et finalement dans ce « prototype immersif ».
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Conclusion
« The limits of our design language are the limits of our design thinking. The medium of reprensentation delimits the domain of architecture and implicitly defines what architecture is » The Autopoiesis of Architecture, Patrik Schumacher, 2010.
Ce projet, son déroulement et sa finalisation ont cherché à répondre à deux problématiques initialement posées et construites. L’une interrogeait la place de la culture dans la ville et notamment dans le phénomène de renaissance des villes industrielles, quand l’autre interrogeait la discipline au regard du numérique en architecture. Nous avons cherché dans ce travail à croiser et développer ces deux questionnements, l’un au travers d’un travail d’analyse profond et de construction d’un programme qui s’inscrit dans un contexte politique et urbain singulier. L’autre au regard de l’expression architecturale du programme en lien avec nos compétences personnelles, notre 74
sensibilité et notre pratique du projet architectural au sein du master AACN. Le bâtiment issu d’une méthode de recherche architecturale à double entrée représente principalement un travail sur l’enveloppe en corrélation avec un ancrage urbain, un environnement, une structure et une spatialité intérieure qui s’articule avec un contexte politique et social. Sa formalisation est le fruit d’un processus de morphogénèse qui s’est construit successivement sur l’articulation de ces dimensions. Pour appuyer ce processus de recherche depuis l’analyse jusqu’à la formalisation architecturale, nous nous sommes interrogés sur certaines notions théoriques telles
que la question de la Culture, amenant à une caractérisation de la culture numérique, autant que la question de l’architecture numérique amenant à une formalisation du concept de fluidité. Ce dernier à guidé l’ensemble du travail de morphogénèse mais a surtout permis d’amener des éléments de réponse à nos interrogations personnelles sur la discipline. Si l’on s’arrête sur le travail de morphogénèse et sur les différentes mécanique de conception tant analogiques que numériques, il convient peut être d’exprimer certaines réserves quant à effective fluidité de la conception architecturale que nous revendiquons. En effet, au début de la construction des hypothèses morphologiques, nous ne possédions ni les compétences ni le software approprié à la modélisation numérique d’une forme si complexe. Ainsi, le premier réel modèle de l’édifice a été construit en argile. Cette maquette primitive nous a par là même permis de voir une première image du projet. Nous avons alors exploré les potentiels des logiciels de modélisation à notre disposition pour enfin trouver une chaine processuelle adéquate à la formalisation de notre concept architectural. Celle-ci résulte de l’enchainement des logiciels 3DS Max et Rhinocéros + Grasshopper pour la définition d’une surface complexe et le traitement de son état de surface. La fluidité dans ce projet tient finalement à ce continuum de
conception qui s’exprime au delà du monde numérique dans une concrétisation physique au travers du prototype immersif. Pour nous, ce projet se développe au delà d’un pragmatisme et d’une réalité normés. Il a été l’occasion de s’immerger dans un questionnement concret mais aussi relativement utopique. Il s’ancre ainsi dans un ensemble de projets conceptuels qui cherchent à amener les principes théoriques de l’architecture numérique dans le champs du concret et à matérialiser ce nouveau paradigme de la production architecturale. •
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Bibliographie Ouvrages : CACHE, Bernard, Projectile, AA Publications, Londres, 2011, CARPO Mario, The alphabet and the algorithm, op.cit, DEULEUZE, Gilles, Le pli, Leibniz et le baroque, Edition de Minuit, Paris, 1988, GRAS, Pierre, Le temps des ports, déclin et renaissance des villes portuaires, 1940-2010, Tallandier, Paris, 2010, 300p. LE QUÉAU, Pierre ; GUILLON, Vincent, Les pratiques artistiques et culturelles des habitants de la Métropole lilloise - Les territoires de la culture de Lille Métropole, Observatoire des politiques culturelles, 2012. PICON, Antoine, culture numérique et architecture: une introduction, Basel, Birkhäuser, 2010. SCHUMACHER, Patrik ; HADID, Zaha, Total Fluidity, Studio Zaha Hadid, Projects 2000 - 2010, University of Applied Arts Vienna, 2010,
Articles : AMEZIANE, Farid ; FAUQUET, Fabricia, Marseille et son patrimoine industriel, La dynamique culturelle de la Belle de Mai, Communication lors du Symposium EURAU’12, Porto, Septembre 2012. URL : http://eurau12.arq.up.pt/sites/default/files/139.pdf BIANCHI, Yann ; LIVENEAU, Philippe ; MARIN, Philippe ; La matérialité numérique : une illustration, Janvier 2012. URL : https://www.researchgate.net/publication/261862275_La_ materialite_numerique_une_illustration/ LEE; Denny, Bilbao Ten Years Later, The New York Times, 23 Septembre 2007, pp.8-9 McGUIGAN, Cathleen, Basque-ing in Glory, Newsweek 128, no. 2, 13 Janvier 1997, p68-70 SCHUMACHER, Patrik, Parametricism as Style - Parametricist Manifesto, 11th Architecture Biennale, Venice 2008. URL : http://www.patrikschumacher.com/Texts/Parametricism%20 as%20Style.htm
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Crédits iconographiques Page 13 : © Robert Valette & Superbenjamin Page 16 : Médiathèque municipale de Roubaix, copy left. Paul Povoas Page 24 : © NOX Page 27 : Crédit - Pauline de Chalendar Page 36 : © Patrik Schumacher, Zaha Hadid - Simone Fuchs, Konrad Hofmann, Johannes Schafelner - University of Applied Arts Vienna
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Ce texte décrit l’élaboration du projet de PFE Total Fluidity, les réflexions qu’il soulève et le processus de sa genèse. Il exprime comment le projet de centre de la culture numérique émerge à partir de deux problématiques, l’une sociétale et urbaine interrogeant la place de la culture dans la ville et l’autre, traitant de la discipline architecturale et de ses transformations induites par le numérique. Une première partie met en place le cadre théorique et politique de la rénovation urbaine de Lille dans lequel le projet trouve son origine. En abordant aussi des éléments de la théorie de l’architecture numérique, elle souligne l’importance de la logique processuelle de morphogenèse au travers du concept de fluidité. Une seconde partie, explicite la méthodologie de conception et le processus de morphogenèse qui se concrétisent au sein de l’enveloppe architecturale en corrélant les dimensions urbaines, programmatiques, et structurelles du projet.
This text describes the elaboration of the Total Fluidity project, the reflections it aroused and the process of its creation. It expresses how the project of center dedicated to the digital culture emerges out of two problematics, one is the social and the urban one, questioning the place of the culture in the city and the other one, treating the discipline of architecture and its transformations induced by the digital. A First part introduces the theoretical framework and policy of urban renewal in Lille where the project takes its origin. Also, bringing up the elements of the theory of computational design in architecture, it will emphasize the importance of the processual logic of morphogenesis through the concept of fluidity. A second part delineates a design methodology and a morphogenesis process embodied within an architectural envelope correlating the urban, programmatic, and the structural dimensions of the project.