Cet ouvrage se veut la présentation la
plus exhaustive possible des marchés financiers et, à partir d’analyses historiques et théoriques, de leus liens avec l’économie « réelle ». Il explique le rôle des différents acteurs qui opèrent sur ces marchés (émetteurs, investisseurs, intermédiaires, agences de notation) et l’influence des innombrables innovations financières de ces dernières années - tant dans le domaine des produits que dans celui des marchés - sur le déclenchement de la crise financière de la fin des années 2000. Il montre également comment les pouvoirs publics (États, Banques centrales, autorités boursières) ont agi afin d’éviter la survenance du risque systémique. Enfin, l’auteur fait le point sur les conséquences des décisions nationales et internationales déjà prises et de celles encore à venir, indispensables pour parvenir à une régulation plus efficace du fonctionnement des marchés.
MARCHFIN ISBN 978-2-8041-6308-2 ISSN 2030-501X
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Cet ouvrage s’adresse non seulement à des étudiants en Finance de niveau Master et Doctorat qui doivent connaître les mécanismes présidant aux activités de marchés, mais aussi à tout citoyen qui veut comprendre l’environnement économique dans lequel il vit.
Paul-Jacques Lehmann est professeur agrégé d’économie à l’Université de Rouen où il dirige le Master « Économie et Gestion des Risques Financiers ». Il est également l’auteur de nombreux ouvrages et articles de finance d’entreprise et de marchés.
P.-J. Lehmann
Économie des marchés financiers
Économie des marchés financiers
Comprendre la crise financière et le rôle des marchés financiers sur l’économie réelle
Économie des marchés financiers Paul-Jacques Lehmann
Compléments en ligne : Mises à jour des statistiques et des évolutions institutionnelles superieur.deboeck.com
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Les
marchés primaires
unique et non deux catégories, comme les titres à court terme, ils sont émis par les mêmes organismes (établissements de crédit et sociétés non financières) que ceux autorisés à diffuser des certificats de dépôts et des billets de trésorerie et qui ont besoin de se financer pour des périodes à mi-chemin entre le court terme et le long terme traditionnels. Donnant également lieu à notation, ils ressemblent aux obligations à long terme tout en étant plus souples, car leur émission se fait en continu pendant une période déterminée, fixée lors de leur programmation. En revanche, ils ne sont pas cotés. Leur encours représente 68,9 milliards d’euros en juillet 2010. Les 131 émetteurs de bons les ont proposés pour 50 % à taux fixe, pour 4 % à taux variable (c’est-à-dire connu avant le début de la période de référence) ou révisable (connu seulement à la fin de la période de référence) et pour 46 % à taux structuré, c’est-à-dire fondé sur des systèmes de rémunération complexes et optionnels.
1.2 Les titres de créances négociables émis par l’État Les titres de créances négociables émis par l’État, également disponibles pour tous les agents, ont remplacé, en février 1986, les bons en comptes courants destinés aux seules banques, instaurés en 1945. Ces produits sont gérés par l’Agence France Trésor, créée le 8 février 2001 et placée sous l’autorité du directeur général du Trésor. Ils se divisent en titres à court terme, les bons du Trésor à taux fixe (BTF), et à moyen terme, les bons du Trésor à taux d’intérêt annualisé (BTAN). On peut y ajouter les obligations à long terme, les obligations assimilables du Trésor (OAT), dont beaucoup de caractéristiques sont proches de celles des BTAN et dont on ne présentera que les éléments spécifiques dans la section du chapitre 2 consacrée aux obligations. Sur une dette totale de l’État de 1 556 milliards d’euros au 31 juillet 2010, la dette négociable s’élève à 1 219 milliards. Son montant et la sécurité qu’elle présente sont sources « d’éviction » pour tous les autres emprunteurs : les épargnants préfèrent ces titres publics aux autres titres de créances. En effet, outre la note maximum qu’elle a, jusqu’à présent, toujours obtenue de la part des agences de notation, la dette « souveraine » de la France à l’instar de celle des grands pays, présente un très faible risque de défaut de remboursement des sommes empruntées et des intérêts dus. Cependant, alors que l’avènement de l’euro avait réduit les écarts de taux (« spreads ») entre pays, les crises financière de 2007 et de 2010 sur l’euro conduisent à une hausse de ces différences, en raison du creusement jugé dangereux des déficits budgétaires et des dettes publiques de certains États. La dette négociable de l’État français, d’une durée de vie moyenne de 7 ans et 10 jours, est composée de la manière suivante, chaque « ligne » correspondant à un emprunt particulier, essentiellement au niveau de son échéance :
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Les titres à court terme
Tableau 1.3 Dette négociable de l’État français (au 31 juillet 2010)
TITRES
Montant (MM €)
Durée moyenne
Nombre de « lignes »
BTF
205
114 jours
27 lignes
BTAN
222
2 ans et 133 jours
13 lignes
OAT
792
10 ans et 29 jours
49 lignes
Source : Bulletin mensuel AFT, août 2010
Ces titres qui sont détenus par tiers quasiment égaux par des résidents français, des résidents de la zone euro et des résidents non européens, présentent des caractéristiques communes et des spécificités.
1.2.1 Caractéristiques communes des titres de créances négociables publics Outre les aspects généraux de l’introduction en France de l’ensemble des nouveaux produits négociables à court terme, la création de ces actifs financiers répondait à plusieurs nécessités. Tous ces titres sont émis par une méthode originale et sont gérés grâce à l’aide d’intermédiaires financiers particuliers, les spécialistes en valeurs du Trésor.
1.2.1.1 Raisons de l’apparition des titres de créances négociables publics Quatre raisons sont à l’origine de la création et du développement des titres de créances négociables émis par l’État : –– adapter le financement du Trésor, en constante augmentation, au décloisonnement et à l’élargissement des marchés financiers français. L’émission de titres négociables à des échéances différentes remplace aujourd’hui totalement le lancement d’emprunts ponctuels auprès du grand public et les prêts accordés à l’État par la banque centrale, interdits depuis que celle-ci est devenue « indépendante ». Désormais, la banalisation de la dette publique soumet l’État à la concurrence des taux, sur des marchés où prévaut la loi de l’offre et de la demande ; –– contribuer à la mise en place d’une politique monétaire fondée sur le maniement des taux d’intérêt et le contrôle de la liquidité bancaire qui n’est efficace que dans la mesure où circule un nombre suffisant de titres publics. En effet, ces produits permettent à la banque centrale de disposer de la contrepartie dont elle a besoin lors de ses apports ou de ses retraits de fonds ; –– instaurer un véritable marché de titres publics, afin d’établir une passerelle entre les taux d’échéances différentes, avec des bons qui sont des sortes d’obligations à court terme et de véritables obligations à long terme. Leur émission régulière conduit à une répartition adaptée aux besoins de l’État sur l’ensemble des échéances, avec des taux
26
Les
marchés primaires
qui servent de référence pour toute la communauté financière, les souscripteurs et les détenteurs ayant confiance dans la gestion de la politique publique d’emprunts. De plus, de nombreuses institutions sont à la recherche d’actifs sûrs et à très long terme pour répondre aux normes prudentielles de plus en plus strictes qui leur sont imposées ou à leurs engagements, par exemple le financement des retraites ; –– constituer un stock suffisant de titres pour alimenter le « gisement » sur les marchés des contrats à terme et d’options de taux d’intérêt.
1.2.1.2 Une méthode d’émission originale L’État n’utilise la méthode de syndication qui consiste pour un émetteur à charger des organismes financiers de placer ses titres que lors de la création de nouveaux titres de référence, afin d’assurer dès l’émission un marché secondaire liquide, ou pour des produits particuliers, comme, par exemple, des emprunts à 50 ans, introduits en 2005 et dont la seconde émission a eu lieu en mars 2010, essentiellement à destination des compagnies d’assurance. En effet, il ne propose plus de grands emprunts syndiqués comme les célèbres emprunts Pinay 1952-1958, Giscard 1973, Barre 1977 et Balladur 1993, en raison de leurs inconvénients : caractère solennel avec effets d’annonce et d’éviction provoqués par leurs montants considérables, coût d’émission élevé, avantages fiscaux offerts pesant sur les finances publiques. En outre, l’évolution des méthodes d’émission des « emprunts souverains » de l’ensemble des grands pays industrialisés a obligé le Trésor français à modifier ses procédures antérieures. La méthode d’émission aujourd’hui la plus couramment utilisée consiste en une adjudication et une assimilation. L’adjudication consiste en une sorte de vente aux enchères réservée à certaines institutions : à l’occasion de chaque émission, les organismes bancaires autorisés à participer à l’opération remettent leurs soumissions, au minimum pour un million d’euros, à des taux à trois décimales, sous pli cacheté, à la Banque de France, qui les fait parvenir à l’Agence France Trésor. Celle-ci procède alors à l’adjudication, selon un ordre croissant des taux (ou décroissant des prix), très proche des taux (ou des prix) en vigueur à ce moment-là sur le marché secondaire. L’opération se déroule à des prix différents pour chaque soumissionnaire, et non à un prix unique comme sur certains titres publics américains. En effet, la répartition des titres est effectuée « à la hollandaise », ce qui signifie que chaque demandeur est fourni au taux (ou au prix) qu’il a proposé, lorsque son offre est à l’intérieur de la fourchette retenue par le Trésor, et non « à la française », c’est-à-dire au même prix pour tous ceux qui reçoivent des titres. La solution adoptée présente l’avantage de réduire le coût du financement et est donc plus favorable pour les contribuables. Les quantités demandées de titres sont toujours supérieures aux montants adjugés. Les réductions au dernier taux (ou prix) servi se font, pour chaque soumissionnaire, proportionnellement aux sommes sollicitées (un exemple de cette méthode est fourni, dans le chapitre 3, pour les appels d’offre de la Banque centrale européenne, qui répondent à la même logique). Si, à l’occasion des premières opérations qui ont suivi l’introduction de cette méthode, on assistait à une collusion entre les demandeurs, cette pratique n’a plus cours aujourd’hui et la procédure peut être qualifiée de parfaitement transparente.
Les titres à court terme
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Les souscripteurs placent les titres obtenus auprès de leur clientèle (le plus souvent par l’intermédiaire de leurs organismes de placement collectif) ou les conservent dans leur portefeuille, soit à titre de placement soit, comme nous le reverrons, pour se refinancer. L’assimilation signifie que l’émission se fait rarement sur une nouvelle « ligne » que l’on crée pour l’occasion. Le plus souvent, elle porte sur une « ligne » qui a été ouverte précédemment et qui est « abondée ». Dans ce dernier cas, les titres créés ont, en plus de la même valeur nominale de 1 €, la même échéance et le même taux nominal (c’est-à-dire le taux sur lequel est calculé l’intérêt annuel, le coupon) que ceux qu’ils viennent compléter. De ce fait, tous les titres d’une même ligne sont fongibles Comme, depuis le lancement des premiers titres de la « ligne », le taux d’intérêt du marché sur cette échéance a sans aucun doute changé, c’est le prix de la souscription qui s’ajuste. La procédure de l’assimilation présente plusieurs avantages : elle limite le nombre de « lignes » de cotation, réduit le coût de gestion des titres et en accroît la liquidité, ce qui facilite, comme on le verra, la livraison de titres sur les marchés dérivés sur lesquels sont cotés les taux d’intérêt. Le calendrier des émissions est fixé à l’avance, avec l’indication des lignes sur lesquelles les adjudications seront effectuées. Les annonces sont publiées trimestriellement pour les bons à court terme, pour laisser au Trésor une marge d’ajustement en fonction de la politique monétaire menée par la Banque centrale européenne, et annuellement pour les titres à moyen et long terme, afin de donner aux souscripteurs potentiels le temps nécessaire pour se positionner sur l’ensemble des marchés de dettes souveraines.
1.2.1.3 Une gestion facilitée par la présence de spécialistes en valeurs du Trésor (SVT) Les spécialistes en valeurs du Trésor (19 en juillet 2010, 4 résidents français et 15 non résidents : 6 nord-américains, 8 européens et 1 japonais), équivalents des primary dealers anglo-saxons, au nombre de 18 aux États-Unis, sont de très grands établissements financiers. Ils sont agréés par l’Agence France Trésor pour être ses correspondants privilégiés, afin d’aider le Trésor à gérer sa dette négociable et de le conseiller, tant au niveau de ses émissions et du fonctionnement des marchés secondaires que de ses rachats éventuels de titres avant leur échéance, à partir de plusieurs actions : –– participation aux adjudications et constitution du syndicat de placement pour l’émission des nouveaux titres ; –– promotion, surtout auprès des non-résidents, et placement des titres acquis auprès de détenteurs finaux ; –– animation et garantie de la liquidité des différents marchés secondaires et gris (marché informel entre la séance d’adjudication et l’introduction sur le marché secondaire officiel, le jour du règlement des titres achetés, en général trois jours plus tard) des valeurs du Trésor ; –– affichage permanent d’une fourchette de cours acheteurs et vendeurs à l’intérieur de laquelle ils doivent se porter « contrepartistes », en cas d’une insuffisance de demandeurs ou d’offreurs de titres ; –– publication régulière de statistiques sur les transactions de titres.
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Les
marchés primaires
Chaque SVT bénéficie de la possibilité de participer à des offres « non compétitives » (le prix qu’il paiera est alors égal au prix moyen pondéré des offres compétitives), dont le montant est fonction de sa participation aux trois dernières adjudications compétitives. Grâce à ce système, l’État est toujours assuré de placer la totalité des titres proposés dont il a besoin pour assurer son financement. La fonction de spécialistes en valeurs du Trésor procure une forte notoriété aux organismes qui l’assument mais leur demande de posséder des liquidités considérables, dans la mesure où leur statut nécessite une présence active pour acheter et vendre des titres lorsque le marché ne répond pas aux attentes de l’État. Il n’est donc pas étonnant de constater un « turnover » important des établissements sélectionnés.
1.2.2 Les bons du Trésor à taux fixe et à intérêts précomptés Ce sont les bons qui permettent à l’État de gérer sa trésorerie à court terme, en faisant le lien entre les entrées d’impôts et les sorties de fonds pour régler les dépenses. Ils sont émis tous les lundis, avec une échéance maximum d’un an : chaque semaine sont proposés des bons à 13 semaines, plus des bons soit à 26, soit à 52 semaines. Le montant de l’émission sur chacune des échéances est annoncé le jeudi qui précède l’opération. En cas de besoin, le Trésor peut émettre, en plus, des bons pour des durées de 4 à 7 semaines. Les adjudications sont réalisées en taux, avec trois décimales. Deux exemples sont donnés ci-dessous : Tableau 1.4 Adjudication de BTF (26 juillet 2010)
BTF 3 mois
BTF 1 an
Échéance
28 octobre 2010
28 juillet 2011
Montant
4,069 MM €
2,077 MM €
0,466 %
0,690 %
Taux moyen pondéré Source : Bulletin mensuel AFT, août 2010
Les bons du Trésor à taux fixe sont à intérêts « précomptés », ce qui signifie que la rémunération est fictivement versée au moment de leur souscription. Ainsi, les soumissionnaires règlent le montant du capital diminué des intérêts qui leur reviennent. Les intérêts sont calculés par la formule suivante : i=
C 360 1+ i×n
avec C = le montant du bon ; i = le taux d’intérêt nominal ; n = le nombre de jours jusqu’à l’échéance.
29
Les titres à court terme
Par exemple, dans le cas d’un achat de 100 000 € de BTF à 90 jours au taux nominal de 1,50 %, les intérêts précomptés ont une valeur de : intérêts =
100 000 = 373, 60 360 1+ 0, 015 × 90
Le soumissionnaire paiera donc 100 000 € – 373,60 € = 99 626,40 €, ce qui représente bien un taux d’intérêt nominal de : 373, 60 360 × = 1, 50 % 99 626, 40 90 Les autres titres de créances négociables sont à intérêts « postcomptés », c’est-àdire versés à l’échéance. Le calcul est alors effectué grâce à la formule suivante : intérêts = C × i × n / 360 (365 ou 366 pour les titres à plus d’un an)
1.2.3 Les bons du Trésor à intérêts annuels et les obligations assimilables du Trésor Les bons du Trésor à intérêts annuels sont émis à taux fixe pour des durées de 2 ou 5 ans, le troisième jeudi du mois (sauf en août et décembre, où ils sont proposés, en même temps que les OAT, le premier jeudi), pour des montants relativement réguliers à chaque fois. Leur adjudication se fait en prix, au pied du coupon (c’est-à-dire sans prendre en considération l’intérêt), en pourcentage de la valeur nominale avec deux décimales. Elle se fait à partir d’une fourchette des montants et sur les lignes que l’Agence France Trésor annonce le vendredi qui précède l’opération. Le Trésor prend sa décision définitive sur la quantité allouée et la répartition entre les différentes « lignes » en fonction de la grille fournie de manière anonyme par la Banque de France. Ainsi, l’adjudication du 15 juillet 2010 s’est déroulée de la manière suivante : Tableau 1.5 Adjudication de BTAN (15 juillet 2010)
Échéance Taux d’intérêt nominal
BTAN à 2 ans
BTAN à 5 ans
20 septembre 2012
12 juillet 2015
0,75 %
2 %
Montant demandé
6,645 MM €
6,655 MM €
Montant adjugé
3,045 MM€
4,030 MM€
Offres non compétitives après l’adjudication
0,031 MM€
1,099 MM €
Montant total émis
3,076 MM€
5,129 MM€
Prix moyen pondéré
99,52 %
100,11 %
Source : Bulletin mensuel AFT, août 2010
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Les
marchés primaires
En général, l’AFT crée chaque semestre une nouvelle ligne de BTAN 2 ans et chaque année une nouvelle ligne de BTAN 5 ans. En outre, elle peut abonder des lignes de BTAN 5 ans n’ayant plus qu’une durée de vie de 2 ans, ou des lignes d’OAT auxquelles il reste 2 ou 5 ans à vivre. Au total, en 2009, 82,7 milliards d’euros de BTAN ont été émis, parallèlement à 83,6 milliards d’euros d’OAT (dont 30,1 milliards à 15 ans ou plus) et 12,3 milliards d’euros d’OATi, dont on verra les particularités dans le chapitre suivant. Pour 2010, on annonce un lancement total de 188 milliards d’euros de titres à moyen et long terme. L’État français est concurrencé, en ce qui concerne son endettement à court et à long terme, par les autres grands pays industrialisés : –– l’Allemagne, avec les bubills de 6 mois à 2 ans, les bobls à 5 ans, les bunds de 10 à 30 ans. Au total, ce pays a lancé des émissions à court terme pour 176 milliards d’euros en 2009 et 136 milliards d’euros en 2010, et à moyen et long terme respectivement pour 153 milliards d’euros et 207 milliards d’euros (plus 16 milliards de titres indexés sur la hausse des prix) ; –– l’Angleterre, avec les Treasury gilts à court terme et les Conventional gilts de quelques mois à 50 ans ; –– les États-Unis avec les T-Bills à 4,13 et 26 semaines, les T-Notes à 2,5 ou 10 ans, les T-Bonds de 10 à 30 ans ; –– l’Italie avec les Certificati del Tesoro Zero Coupon (CTZ) à 2 ans, les Certificati di Credito del Tesoro à 7 ans (CCT) et les Buoni del Tesoro Poliennali (BTP) de 3 à 30 ans ; –– le Japon avec les short-term JGB (Japanese Govenment Bonds ou Gensaki) de 6 à 12 mois, les long-term JGB de 10 à 30 ans.
151
Les marchés boursiers
4.2.2.3 Les indices boursiers Un indice boursier est un nombre qui, par rapport à une référence, rend compte de l’évolution de la valeur des actions d’un certain nombre de sociétés cotées, supposées être représentatives de la tendance des catégories d’entreprises les plus prisées par les épargnants ou les investisseurs institutionnels, en fonction de leur taille, de la zone géographique où elles sont inscrites, du secteur auquel elles appartiennent… Pour que l’analyse soit significative, les cours des actions des sociétés retenues sont ajustés, c’est-à-dire qu’ils tiennent compte des opérations qui modifient techniquement le prix des titres, comme la distribution de dividendes ou une augmentation de capital. Certains indices intègrent les dividendes qui, capitalisés, fournissent la rentabilité globale dégagée. Des sociétés financières spécialisées calculent et publient de très nombreux indices, dont certains sont plus médiatisés que les autres, même s’ils présentent souvent des limites. Pour permettre aux intervenants qui le souhaitent d’avoir un portefeuille dont la performance suit celle d’un indice particulier, une nouvelle catégorie de titres a été créée, les « trackers ».
a) Les principaux indices dans le monde À Paris, l’indice le plus connu est le CAC 40. Mis en place le 1er janvier 1988 pour remplacer l’indice CAC, ainsi dénommé parce qu’il était calculé par la Chambre des agents de change, le CAC 40, désormais acronyme de Cotation assistée en continu, reflète la moyenne des cours de 40 sociétés cotées sur le marché d’Euronext Paris. Les sociétés retenues sont celles disposant de la plus forte capitalisation boursière de leur flottant. Cependant, pour que tous les secteurs de l’économie française soient représentés dans l’indice proportionnellement à leur importance, un comité scientifique choisit les 40 sociétés dans la liste des 100 sociétés disposant de la plus forte capitalisation. Cette liste est révisée tous les trimestres. La place de chacun des secteurs selon les périodes reflète l’évolution de l’économie française (tableau 16) : Tableau 4.3 Composition sectorielle du CAC 40 SECTEURS
Décembre 2009
Décembre 2000
Finance
20,2 %
14,1 %
Industrie
14,4 %
6,7 %
Pétrole et gaz
13,5 %
9,5 %
Biens de consommation
12,3 %
11,9 %
Santé
8,7 %
8,4 %
Services aux collectivités
8,8 %
2, 6 %
Services de communication
8,4 %
18,2 %
Matériaux
6,5 %
1,0 %
Télécommunications
4,9 %
11,7 %
Technologie
2,3 %
15,9 %
Source : Nyse-Euronext
152
Les
marchés secondaires et les marchés dérivés
À partir de la base, fixée à 1 000 points lors de sa création, l’indice CAC 40 est calculé en points et en pourcentage de variation. Il est rendu public toutes les 30 secondes, après chaque cotation. La création d’Eurolist a conduit à la mise en place de nouveaux indices, calculés de la même façon : CAC Next 20 provenant des 20 valeurs qui suivent les 40 du CAC, CAC Mid 100 à partir de 100 valeurs de moyenne capitalisation comprise entre 250 millions et 4 milliards d’euros, CAC Small 90, à partir de 90 valeurs de petite capitalisation inférieure à 250 millions d’euros ; CAC Mid & Small 190 regroupant les deux indices précédents ; CAC IT 20 composé de 20 valeurs technologiques… Outre des indices calculés par secteurs d’activité, il existe des indices plus larges comme : –– le SBF (pour Société des bourses françaises, l’ancienne entreprise de marché de la bourse de Paris) 120, créé le 8 décembre 1993, sur une base de 1 000 points le 31 décembre 1990. Calculé, lui aussi, toutes les 30 secondes, il est composé des sociétés du CAC 40 et des 80 sociétés d’Eurolist ayant la plus grande liquidité parmi les 200 premières capitalisations. Il est révisé une fois par an ; –– le SBF 250, établi à partir des sociétés du CAC 40, du CAC Next 20, du CAC Mid 100 et du CAC Small 90 ; –– le CAC All Shares, qui prend en compte toutes les valeurs ayant une circulation annuelle de leurs titres égale à au moins 5 % de leur capitalisation. De plus, Nyse-Euronext dispose d’indices transnationaux incorporant des sociétés cotées sur ses quatre marchés européens : Euronext 100 composé des 100 sociétés ayant les plus fortes capitalisation et liquidité et Next 1 50 composé des 150 sociétés suivantes. Ces indices ont pour base 1 000 au 31 décembre 1999 et sont révisés chaque trimestre. En 2010, Nyse-Euronext a créé un indice ibérique, Nyse-Euronext Iberian Index, comprenant les 10 plus grandes sociétés espagnoles et portugaises. Outre les indices All Shares que l’on trouve partout, l’indice principal de chaque place financière est donné dans le tableau ci-dessous : Tableau 4.4 Principal indice boursier sur les grandes places financières et nombre de sociétés le composant Place
Indice
Nombre de sociétés
Amsterdam
AEX
25
Bruxelles
BEL20
20
Copenhague
OMX C20
20
Francfort
DAX XETRA
30
Helsinki
OMX H25
25
Hong Kong
Hang Seng
35
Lisbonne
PSI 20
20
Londres
FTSE 100
100
Luxembourg
Lux X
11
153
Les marchés boursiers
Tableau 4.4 (suite) Place
Indice
Nombre de sociétés
Milan
FTSE MIB
40
Nasdaq
Nasdaq 100
100
New York
Dow Jones Industrial
30
Oslo
OBX
25
Sao Paulo
IBrX 50
50
Shanghai
SSE 50
50
Stockholm
OMX S30
30
Tokyo
Nikkei 225
225
Toronto
S&P/TSX 60
60
Vienne
ATX
22
Zurich
SMI
20
Aujourd’hui la gestion des indices, devenue une véritable industrie, constitue un enjeu financier et technologique considérable. Les indices sont la propriété d’entreprises de marchés ou de sociétés spécialisées dans l’information financière qui cherchent à se regrouper afin de bénéficier d’économies d’échelle, de fournir à leurs clients des services de diffusion de données aux coûts les plus faibles possibles et de recevoir des revenus associés aux licences octroyés pour les produits financiers qui leur sont adossés (contrats à terme, options, « trackers »…). Aussi, à côté des indices locaux, le plus souvent gérés par les entreprises de marché des bourses concernées, il existe d’autres indices, internationaux ou par secteurs. Ainsi, afin de suivre l’évolution de la cotation des sociétés sur les places financières européennes, la société Stoxx Ltd a été créée en février 1998 par la Deutsche Börse de Francfort, le groupe suisse Six, Euronext et la société Dow Jones, pour mettre au point et publier de nouveaux indices. Euronext s’est retiré en 2002 pour créer, comme on l’a vu ci-dessus, ses propres indices transnationaux et Dow Jones est sorti du capital en 2010. Calculés à partir des cours au 31 décembre 1991, les indices que propose Stoxx Ltd sont plus ou moins larges. On trouve, par exemple, le DJ Stoxx Europe Total Market Index qui regroupe toutes les sociétés cotées en Europe sur les marchés réglementés, le DJ Stoxx Europe Global avec 1 800 sociétés, le DJ Stoxx 600 avec des sociétés de 18 pays et 19 secteurs d’activités, le DJ Stoxx 50, le DJ Stoxx Nordic 30... De la même manière, sont déclinés des indices avec des sociétés de la seule zone euro, comme le DJ Euro Stoxx avec 326 sociétés et le DJ Euro Stoxx 50.
b) Les limites des indices L’analyse des grands indices nécessite des précautions, en raison des limites qu’ils présentent : –– ils ne reflètent qu’une partie de la situation de la place dont ils sont les témoins. En effet, si les entreprises qui les composent sont les plus importantes de la cote (les « blue
154
Les
marchés secondaires et les marchés dérivés
chips »), leur nombre ne constitue qu’un échantillon restreint par rapport à l’ensemble des sociétés inscrites sur le marché (30 à New York et à Francfort, 40 à Paris…). Les indices MSCI, créés par Morgan Stanley, fournissent des indications plus complètes au niveau sectoriel ou au niveau géographique ; –– le choix des firmes qui y est incorporé n’est pas toujours transparent. Ainsi, ce sont les rédacteurs en chef du Wall Street Journal qui sélectionnent les sociétés formant le Dow Jones Industrial Average (DJIA). Cette coutume remonte à 1896, année où Dow, le statisticien, associé à Jones, a fait publier dans ce journal son indice, créé 12 ans plus tôt, alors composé de 12 sociétés industrielles, nombre porté à 20 en 1916 et à 30 en 1928. Récemment, le CME (Chicago Mercantile Exchange) a obtenu l’exploitation des indices boursiers de Dow Jones de la part du groupe News Corp., également propriétaire du Wall Street Journal, qui reste, cependant, propriétaire de la marque. Les professionnels préfèrent utiliser comme indice de référence de Wall Street le S&P (Standard and Poor’s) 500 ; –– leur calcul est, parfois, rudimentaire. Ainsi, il est effectué par une moyenne simple pour le DJIA et le Nikkei, le poids de chaque société étant identique : 1 / 30e pour le premier et 1 / 225e pour le second. La plupart des autres indices est évaluée en pondérant chaque société en fonction de la capitalisation de son flottant par rapport au flottant total. C’est ainsi qu’est apprécié, depuis décembre 2003, le CAC 40, le flottant étant calculé une fois par an, arrondi par tranches de 5 %, sans qu’aucune société ne puisse avoir un poids supérieur à 15 % du total des flottants des 40 sociétés retenues ; –– leur comparaison n’a de sens qu’au niveau de leur évolution au cours d’une période donnée. En effet, leur valeur absolue n’a aucune signification puisqu’elle dépend à la fois de la date de leur création et du nombre de points alors attribué. Ainsi, le DJIA a comme références le 1er janvier 1896 avec 100 points, tandis que le CAC 40 a comme bases le 31 décembre 1987 avec 1 000 points. L’importance médiatique des grands indices est telle que de nombreux gestionnaires s’efforcent de réaliser une performance au moins égale à celle de l’indice qu’ils ont choisi de donner comme exemple (le « benchmark ») à leurs clients. Pour parvenir à ce résultat, ils s’efforcent de composer, à tout moment, leur portefeuille d’actions de la même manière qu’est constitué l’indice privilégié. Cette exigence est à l’origine de difficultés techniques et d’un coût élevé puisque les gestionnaires doivent avoir, à tout moment, un portefeuille composé des mêmes actifs et avec la même pondération que ceux repris dans l’indice qui, rappelons-le, évolue toutes les 30 secondes, donc qui voit la pondération des titres le composant se modifier tout aussi fréquemment. Elle conduit, également, à une distorsion sur les marchés : les actions qui entrent dans l’indice sont l’objet de transactions bien plus importantes que les autres titres. En effet, ce type de gestion a tendance à accentuer les mouvements en raison des comportements « moutonniers » de ses utilisateurs qui, en cherchant à reproduire, en permanence, la performance d’un indice, achètent davantage en période de hausse et vendent davantage en période de baisse. En fait, évaluant de la même façon les risques, les gestionnaires adoptent tous les mêmes comportements. Ainsi, plus de 80 % des échanges annuels sur les actions du Marché d’Euronext Paris portent sur les 40 sociétés du CAC : figurer dans un indice est un facteur de notoriété
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pour une société, mais c’est aussi un risque de volatilité du cours de ses titres, donc de sa valeur, en cas de modification du flottant et, surtout, de sortie de l’indice, car de nombreuses ventes vont, alors, intervenir.
c) Les trackers et les certificats Afin d’éviter les inconvénients qui viennent d’être signalés, une gestion indicielle s’est développée : au lieu de s’intéresser aux actions qui composent un indice, on s’attache aux variations de l’indice lui-même. Ont ainsi été créés, sur les principales places mondiales, au cours des deux dernières décennies et plus particulièrement depuis janvier 2001 en France, les marchés des « Exchange Traded Funds » (ETF), également appelés trackers pour signifier qu’ils « pistent » l’évolution de l’indice. Il s’agit de titres négociables de fonds indiciels, créés par des sociétés de gestion et des banques d’investissement, représentant la composition et la pondération d’un panier d’actions constitutives d’un indice et reflétant, fidèlement, l’indice privilégié, le « sous-jacent », en le « dupliquant », et ses fluctuations, dans un objectif soit de couverture, soit de spéculation. Les trackers présentent plusieurs avantages, ce qui explique leur succès : au 30 juin 2010, on en dénombrait 2 252 dans le monde dont 78 % sur des actions, proposés par 113 émetteurs, pour un encours de 1 026 milliards de dollars, avec des prévisions de croissance considérable. La place financière la plus importante pour les trackers en Europe est celle de la bourse de Francfort avec sa plateforme spécialisée Xetra et ses 616 ETF. À la différence des opérations sur les marchés à terme et d’options et des certificats, produits proches des warrants, qui portent sur des indices boursiers, les trackers n’ont pas d’échéances et ne donnent lieu à aucun appel de marge. De même, ils sont moins onéreux en courtages que les titres proposés par les organismes de placement collectif indiciels. Dédiés aux plus grands indices boursiers, à des indices géographiques, à des indices sectoriels, à des indices d’obligations (« Exchange Traded Notes », ETN), mais aussi à des indices de prix de matières premières ou de produits agricoles (« Exchange Traded Commodities », ETC), ils permettent d’anticiper une hausse de l’indice concerné lorsqu’on les achète (et une baisse quand on les vend, puisque l’on a déjà signalé que les trackers les plus liquides sont éligibles au SRD). Les émetteurs d’ETF assurent la conformité de la cotation de ces produits avec celle des indices de référence par l’intermédiaire soit de swaps (réplication synthétique), soit de la détention des titres composant les indices (réplication physique). Cotés en continu, donnant lieu à distribution de dividendes, les trackers répondent à un mécanisme de fonctionnement simple. Si l’on prend l’exemple de l’un des ETF CAC 40, chaque point d’indice vaut 0,01 €. Ainsi, si l’indice est à 4 007,35 points, l’acheteur paiera chaque tracker 40,07 €. S’il le revend alors que l’indice se trouve à 4 123,56 points, il recevra 41,24 € : le CAC 40 se sera apprécié de ((4 123,56 – 4 007,35) / 4 007,35) × 100 = 3,12 %. Le gain de l’acheteur sera identique : ((41,24 – 40,07) / 40,07) × 100. Il existe également des trackers plus complexes, comme ceux qui proposent un effet de levier avec un résultat, à la hausse comme à la baisse, deux ou trois fois supérieur à celui de l’indice de référence, ceux dont la performance est l’inverse de celle de l’indice choisi ou les certificats « turbo ». Comme les options, ces derniers se réfèrent à un prix d’exercice qui, s’il est atteint à la baisse (pour les certificats à l’achat « call »)
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ou à la hausse (pour les certificats à la vente « put »), entraîne automatiquement la fin de vie des certificats à une valeur nulle. Par exemple, un certificat « call » sur le CAC 40 au prix d’exercice de 3 800 alors que l’indice se trouve à 3 700 points a une valeur de (3 800 – 3 700) / 100 = 1 euro. Si le CAC 40 atteint 3 850 points, le certificat vaudra 1,50 euro, d’où un levier considérable (50 % / 1,32 % = 37,88). En revanche, si l’indice passe en dessous de 3 700 points, la valeur du certificat devient nulle. Les certificats constituent donc des produits spéculatifs utilisés pour des stratégies à court terme.
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7.1 Les dérives des marchés financiers, source des krachs La notion de krachs est précise : il s’agit d’une chute brutale des cours suivant une longue hausse. Si l’histoire n’est pas avare d’exemples de krachs, on peut remarquer que ceux-ci sont de plus en plus fréquents et ont des conséquences économiques de plus en plus sévères. Cependant, tous les épisodes de grandes spéculations boursières se ressemblent. En effet, ce qui paraît être un comportement nouveau n’est, en réalité, que la répétition de comportements ancestraux. En conséquence, si l’on laisse de côté les exemples d’effondrements boursiers brutaux provoqués par des causes exceptionnelles externes aux marchés eux-mêmes (catastrophes naturelles, accidents conduisant à des pertes non assurées, attentats, résultats inattendus d’une élection, déclenchements inopinés de conflits armés), l’histoire des krachs montre que ceux-ci suivent souvent le même processus d’enchaînement d’événements bien identifiés, en réponse à une spéculation qui n’est plus maîtrisée.
7.1.1 Anatomie d’un krach À l’origine de la survenance de la quasi-totalité des crises financières se trouve une phase d’augmentation du cours des actions, à la longue injustifiée, qui se transforme progressivement en une spéculation frénétique.
7.1.1.1 Les prémices du krach Le plus souvent, les fortes appréciations boursières sont le fruit d’une innovation dont les résultats attendus laissent entrevoir une augmentation des profits, d’abord des sociétés liées au secteur concerné, puis de l’ensemble des entreprises. Les prévisions optimistes qui entourent cette hausse permettent d’attirer l’épargne publique, indispensable pour assurer le financement des investissements à réaliser. Il s’ensuit une spéculation qui tourne bientôt à la psychose collective.
a) Une innovation à l’origine d’un besoin de financement Comme l’homme est, par essence, optimiste, il est logique que l’annonce d’un phénomène nouveau ou d’une innovation, de quelque nature que ce soit, susceptible de révolutionner l’existence de chacun, excite son imagination et constitue un déclic pour une hausse des cours des actions des entreprises. Nous verrons ci-dessous que les exemples de telles découvertes sont nombreux : géographiques avec la conquête de nouvelles contrées permettant d’envisager des débouchés pour les sociétés nationales, ou techniques avec l’apparition de nouveaux moyens de transport de plus en plus rapides et de canaux d’informations rendant plus faciles leur diffusion. Toutes ces découvertes laissent entrevoir des révolutions économiques, avec l’espoir d’un enrichissement généralisé. Mais il ne s’agit que de la première étape d’un long cheminement car le passage d’une invention à sa concrétisation en une production à grande échelle nécessite à la fois du temps et de l’argent. Pour obtenir les fonds nécessaires au financement des
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investissements, il faut d’abord sensibiliser le public, toujours friand de nouvelles merveilleuses, aux résultats attendus ou, de manière encore plus attractive, à ceux que laissent espérer les avancées déjà obtenues à un stade expérimental. Il faut, en effet, faire comprendre que des entreprises vont devoir prendre des risques financiers pour transformer une idée ou une découverte scientifique en une réalisation économique. La tâche est délicate car la présentation fait appel à des présentations techniques et prometteuses. Mais la curiosité des hommes est attisée par l’appât des gains annoncés et le mystère de mots inconnus et qui paraissent savants. Lorsque les premières applications deviennent effectives, le passage par les marchés financiers devient indispensable, dans la mesure où il faut attirer le maximum d’épargnants pour financer les sociétés anciennes qui créent de nouveaux départements chargés des nouvelles activités ou les nouvelles sociétés fondées pour l’occasion. Apparaît alors le rôle crucial joué par l’information. Les médias (d’abord journaux, puis radios, télévisions et, désormais, Internet) relaient les études de rentabilité effectuées par des spécialistes ou soi-disant tels. Souvent, la communication est insuffisamment encadrée et entraîne des dérives qui ne font que croître à mesure que le temps passe. Les épargnants sont incités à participer aux emprunts et augmentations de capital proposés par les sociétés cotées. Il est fréquent qu’on leur cache les risques potentiels : création excessive de nouveaux moyens de production, rentabilité à long terme parfois faible ou même inexistante car de bonnes inventions peuvent se révéler de mauvaises affaires financières, environnement boursier en voie de retournement… La demande de titres se met, alors, à augmenter. Comme l’offre est insuffisante, les sociétés concernées par l’innovation sont les premières à voir le cours de leurs actions augmenter, puisque leurs perspectives apparaissent plus prometteuses que celles des entreprises qui interviennent dans des secteurs plus traditionnels. La publication des premiers profits renforce l’appétit des spéculateurs qui y voient le signe d’une hausse encore plus importante des prix des titres dans un avenir proche.
b) De la spéculation à la psychose collective La hausse, jusque-là raisonnable, se transforme vite en une spéculation non maîtrisée, en raison de l’émergence d’une psychose collective. Celle-ci est encouragée par une expansion excessive de la quantité de monnaie en circulation, rendue nécessaire par l’essor des transactions boursières et la croissance économique. Le climat général de spéculation entretenu par les investisseurs institutionnels fait tâche d’huile. Le nombre d’épargnants qui abandonnent des placements sûrs pour acquérir des valeurs mobilières plus risquées ne cesse d’augmenter, l’accumulation de l’annonce des premiers profits faisant croire à chacun qu’il bénéficie d’une intuition ou d’une connaissance meilleure que les autres participants, susceptible de conduire à des gains équivalents à ceux qu’empochent des spéculateurs avertis. Ainsi, des joueurs, spéculateurs occasionnels au sens où il s’agit de personnes qui connaissent mal les mécanismes du marché boursier et espèrent simplement réaliser des plus-values en s’en remettant au
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hasard ou en se fiant à n’importe quel « tuyau », et non plus seulement des spéculateurs avertis, se mettent à acheter des titres. Se multiplient, alors, la publication d’informations inventées ou fausses, de faits déformés, de rumeurs, les escroqueries, les manipulations de cours, les fraudes. En effet, même si la réalité ne correspond pas à la fiction jusque-là répandue, il faut entretenir l’optimisme et l’illusion. De plus, outre les détenteurs d’actions, de nombreuses institutions sont intéressées à la poursuite de la hausse, source de revenus considérables : les établissements de crédit qui souhaitent continuer à inscrire sur le marché de nouvelles sociétés, donc à recevoir toujours plus de mandats d’introduction, les journaux financiers qui espèrent la poursuite de l’accroissement de leur diffusion grâce aux renseignements qu’ils livrent et qui permettent de faire des choix entre toutes les opportunités d’achats qui se présentent, les organismes de placement collectif qui suscitent l’intérêt des petits épargnants non avertis des mécanismes boursiers, mais qui veulent profiter du climat généralisé de hausse des cours, les dirigeants de sociétés, rémunérés en partie en fonction du résultat de leur gestion et qui doivent faire croire, en permanence, à la poursuite de l’appréciation des titres de leur entreprise (le rôle joué par le mécanisme moderne des stock-options est, en ce domaine, une illustration directe de cette nécessité). Une telle spéculation est toujours accompagnée d’une expansion monétaire, pour trois raisons : –– davantage de monnaie est nécessaire pour répondre à l’offre de nouveaux titres proposée par les entreprises car l’épargne disponible finit par ne plus être suffisante. De plus, les actions s’échangeant à des cours toujours plus élevés, il faut de plus en plus de liquidités pour assurer les règlements. Nous avons déjà signalé, à ce propos, que les indices de prix ne prennent pas en compte les actifs financiers ; –– les épargnants ont l’impression d’être plus riches, même si l’augmentation de leur patrimoine n’est que potentielle. Ils ont donc tendance à s’endetter, en particulier pour acheter de nouvelles actions, assurés, comme leurs prêteurs, que le remboursement de leurs crédits à l’échéance s’effectuera sans difficulté puisqu’ils auront bénéficié de la hausse des cours. Ils consomment, également, davantage, contribuant à favoriser encore plus la croissance économique. Les entreprises sont, alors, incitées à augmenter leurs investissements et leur production, ce qui nécessite également des moyens financiers ; –– l’essor des opérations boursières à découvert multiplie les besoins de fonds, pour ceux qui pensent que les cours ont atteint un maximum et que la tendance ne peut que s’inverser. Comme on l’a déjà expliqué, ils spéculent, alors, à la baisse en vendant des actions qu’ils ne possèdent pas. Il leur faut donc emprunter, soit pour acheter ces titres, soit pour se « reporter », dans l’attente de la manifestation de la chute. La combinaison de tous ces ingrédients fait que la survenance du krach approche, avec un retournement violent, subit ou larvé, suivi d’une longue période de baisse, tout aussi exagérée que la hausse précédente.
7.1.1.2 La survenance du krach Les déconvenues ne tardent pas à se manifester. La baisse des cours va se transformer en effondrement, avec des conséquences qui dépassent le seul domaine financier.
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a) De la baisse à l’effondrement La bulle financière, à l’origine justifiée, devient artificielle et finit par éclater. Un événement, toujours d’apparence anodine, sert de déclic au krach : l’aveu, par une société cotée, de l’impossibilité de réaliser les performances annoncées, le « profit warning » contemporain ; la hausse subite des taux d’intérêt, qui conduit à des difficultés pour les établissements de crédit, l’un d’entre eux ne pouvant la supporter et tombant en faillite ; le retrait du marché d’un gros investisseur ; la révélation d’une pratique illicite, intervenue pendant la période de hausse : détournement de fonds, délit d’initié, manipulation de cours, fausse nouvelle… Si la révélation d’un tel incident serait sans conséquence au début de la spéculation, il n’en est pas de même lorsqu’il survient dans une situation économique qui se détériore, en raison d’une surproduction naissante. En effet, les secteurs qui devaient être à l’origine de la croissance se trouvent en surcapacité de production, parce que les débouchés prévus ne sont pas à la mesure des attentes. En fait, la spéculation boursière est simplement la face immergée de la spéculation économique, beaucoup moins visible, et qui se manifeste par un surinvestissement dans les secteurs en vue. Aussi, le krach qui suit une spéculation boursière ne fait-il qu’anticiper les effets économiques d’une consommation insuffisante pour absorber l’offre abondante à laquelle conduit ce surinvestissement. Il s’ensuit une sous-utilisation des trop nombreux outils de production en activité, donc une baisse des profits et, souvent, la disparition croissante d’entreprises : la baisse inévitable des cours des actions des sociétés cotées constitue la traduction de cette situation. Les spéculateurs prennent conscience de ce changement de conjoncture, qui transforme leurs anticipations. Leur nouveau comportement se trouve à l’origine de la correction. La baisse des cours qui se manifeste est, souvent, le début d’une panique qui se produit plus rapidement que la hausse qui l’a précédée. Elle frappe davantage les petits épargnants qui ont accédé plus tardivement au marché, à l’apogée de la spéculation, persuadés que les cours allaient continuer à s’apprécier, que les spéculateurs professionnels, plus habitués à se couvrir ou ayant, déjà, liquidé leurs positions. Se rendant compte que les promesses étaient exagérées, les derniers arrivés accentuent la débâcle : peu formés aux arcanes du fonctionnement de la bourse, ayant acheté aux cours les plus élevés, ils se précipitent, désormais, pour vendre à n’importe que prix. De même que les conseils prudents précédents pour limiter les achats, les appels à la raison pour ne pas liquider leur portefeuille ne servent à rien. La situation s’aggrave lorsque les organismes financiers auprès desquels la recherche de liquidités s’accélère refusent de continuer à accorder des crédits ou augmentent la couverture nécessaire pour les achats à découvert, justement garantis par les actions dont la valeur s’écroule. Les ventes forcées se multiplient, accentuant encore la chute des cours. L’épargne encore disponible se tourne, alors, vers les produits des marchés monétaires et obligataires, considérés comme plus sûrs et plus liquides. La reprise des cours prend du temps et n’intervient qu’une fois la confiance revenue. Le retour sur le marché boursier nécessite que la chute des cours ait été exagérée, afin d’offrir des opportunités d’achats intéressantes. Les répliques de baisses sont nombreuses et parfois fortes.
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L’ancienne confiance aveugle, fondée sur un optimisme démesuré, s’est transformée en méfiance généralisée, résultat d’un pessimisme tout aussi exagéré qui peut dégénérer en crise économique, sociale et même politique.
b) Les conséquences d’un krach L’éclatement d’une crise boursière est, souvent, suivi d’une dépression économique, conséquence de la conjonction de plusieurs éléments : perte de confiance dans les entreprises et les banques ; réduction de la consommation en raison de la constatation de la baisse de la richesse, réelle ou apparente, car il est fréquent que l’appréciation des portefeuilles se fasse par rapport aux cours précédents les plus élevés et non par rapport aux prix d’achat ; risque de déflation car la baisse des cours est répercutée dans les prix des autres biens, dans la mesure où le manque de liquidités nécessite la cession d’actifs et pèse sur la demande, alors que l’offre reste pléthorique et met un certain temps à s’adapter à la nouvelle conjoncture. Le gâchis est, d’abord, humain : des spéculateurs sont ruinés, les informateurs les plus malhonnêtes qui ont divulgué de fausses informations sont condamnés et vont même jusqu’à se suicider. Il est, ensuite, économique et social : les faillites sont nombreuses, en premier lieu dans les secteurs qui devaient être à la pointe de l’expansion, puis, par contagion, dans tous les secteurs de l’économie. Si le public retire ses dépôts à vue des banques et si la demande de crédits fléchit beaucoup, une crise monétaire risque de venir aggraver la crise financière. Le rôle des banques centrales dans l’ampleur du transfert de la crise financière aux secteurs réels de l’économie est crucial. Au fil du temps et des krachs, ces autorités se sont rendu compte que leurs interventions pour fournir la liquidité nécessaire permettent de réduire les conséquences, au risque, cependant, de favoriser le retour d’une forte hausse des prix. Deux éléments restent pérennes après tous les krachs boursiers. D’une part, la croyance qu’ils sont le résultat d’une réglementation insuffisante amène les pouvoirs publics à contrôler davantage les échanges boursiers et les pratiques financières des sociétés et des intermédiaires. Ainsi, les épisodes de dérégulation sont souvent suivis de longues périodes de surréglementation. Mais, si les réformes entreprises ne peuvent être que salutaires, aucune loi n’éliminera jamais le risque lié à la sphère financière et n’empêchera le retour, quelques années plus tard, d’une nouvelle euphorie spéculative suivie d’une débâcle. D’autre part, si tout krach constitue un désastre pour les épargnants imprudents, la spéculation qui le précède est source d’avancées économiques : grâce au financement apporté par le marché financier et en dépit des vicissitudes rencontrées, la plupart des innovations sont menées à leur terme par des entreprises qui, mieux gérées que les autres, survivent et donnent naissance à une croissance caractérisée par l’offre de nouveaux biens ou de nouveaux services dont le grand public profite chaque jour.
7.1.2 Les grands krachs de l’histoire Les grands krachs financiers de l’histoire suivent les étapes que l’on vient de décrire. Le premier qui eut une influence sur l’ensemble d’une économie se produisit à Rome, quand
Cet ouvrage se veut la présentation la
plus exhaustive possible des marchés financiers et, à partir d’analyses historiques et théoriques, de leus liens avec l’économie « réelle ». Il explique le rôle des différents acteurs qui opèrent sur ces marchés (émetteurs, investisseurs, intermédiaires, agences de notation) et l’influence des innombrables innovations financières de ces dernières années - tant dans le domaine des produits que dans celui des marchés - sur le déclenchement de la crise financière de la fin des années 2000. Il montre également comment les pouvoirs publics (États, Banques centrales, autorités boursières) ont agi afin d’éviter la survenance du risque systémique. Enfin, l’auteur fait le point sur les conséquences des décisions nationales et internationales déjà prises et de celles encore à venir, indispensables pour parvenir à une régulation plus efficace du fonctionnement des marchés.
MARCHFIN ISBN 978-2-8041-6308-2 ISSN 2030-501X
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Cet ouvrage s’adresse non seulement à des étudiants en Finance de niveau Master et Doctorat qui doivent connaître les mécanismes présidant aux activités de marchés, mais aussi à tout citoyen qui veut comprendre l’environnement économique dans lequel il vit.
Paul-Jacques Lehmann est professeur agrégé d’économie à l’Université de Rouen où il dirige le Master « Économie et Gestion des Risques Financiers ». Il est également l’auteur de nombreux ouvrages et articles de finance d’entreprise et de marchés.
P.-J. Lehmann
Économie des marchés financiers
Économie des marchés financiers
Comprendre la crise financière et le rôle des marchés financiers sur l’économie réelle
Économie des marchés financiers Paul-Jacques Lehmann
Compléments en ligne : Mises à jour des statistiques et des évolutions institutionnelles superieur.deboeck.com
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