Comprendre l'évolution

Page 1

comevo_couv:darwin 27/01/09 17:43 Page1

Comprendre l’évolution

Sous la direction de Gérard Cobut

150 ans après Darwin

’année 2009 célèbre trois anniversaires majeurs. En 1809, Lamarck publie La Philosophie zoologique (premier ouvrage qui constate clairement le fait évolutif et qui l’assortit d’une explication rationnelle). Cette même année 1809 voit naître Darwin, qui refera le même constat de l’évolution. Mais Darwin attachera surtout son nom à l’extraordinaire œuf de Colomb qu’est la sélection naturelle : il publie L’Origine des espèces en 1859. Il est impossible aujourd’hui de parler « biologie » sans penser « évolution ». Les médias nous renvoient pourtant certains échos de rejets de la théorie de l’évolution, par exemple dans l’enseignement. La situation américaine est ainsi paradoxale : le pays se veut le leader scientifique mondial mais voit son opinion publique largement sceptique sur les questions d’évolution des espèces. Ailleurs – et notamment en Europe – le rejet est souvent en relation avec des crispations d’ordre religieux, mais qui peuvent aussi être liées à l’affirmation identitaire d’une population qui pâtit d’un déficit d’intégration dans la société.

Conception graphique : Primo&Primo

Il y a donc de la matière ! Pour des mises au point quant aux concepts concernés, pour des réflexions sur la nature de l’activité scientifique, pour des précisions sur le sens des mots qu’on utilise. Enfin, il paraît fondamental de fournir aux gens de première ligne, les enseignants, de la matière intellectuelle et quelques outils concrets. Cet ouvrage a pour but de les épauler lorsqu’ils ont à faire passer auprès des classes cette matière passionnante, en évitant les pièges de débats simplement passionnels.

Ont collaboré à cet ouvrage • Thierry BACKELJAU • Jean-Christophe de BISEAU • Laurence BOUQUIAUX • Gérard COBUT • Pierre DEVOS • Bernard FELTZ • Jean-Louis HARTENBERGER • Eric HAUBRUGE • Kurt JORDAENS • Olivier LAMBERT • René MATAGNE • Cyrille PRESTIANNI • Ariane RAMAEKERS • Jacques REISSE • René REZSOHAZY • Isabelle STENGERS • Philippe VAN DEN BOSCH DE AGUILAR • Jean VANDENHAUTE • Jacques VAN HELDEN • Thomas VANTORRE

ISBN : 978-2-8041-0476-4

9:HSMIKE=VUY\[Y: COMEVO

www.deboeck.com

Association des professeurs de biologie asbl

Comprendre l’évolution

L

Comprendre l’évolution 150 ans après Darwin


Avant-propos ★ Gérard Cobut 1

Pourquoi ce livre ? 1 L’année 2009 célèbre trois anniversaires majeurs. En 1809, Lamarck publie la Philosophie zoologique. C’est le premier ouvrage qui constate clairement le fait évolutif (on disait transformiste) et qui l’assortit d’une explication rationnelle. Cette explication n’a pas tenu la distance mais Lamarck avait posé des jalons le long desquels se construira le chemin de la théorie de l’évolution, jusqu’à devenir une incontournable autoroute 2. Cette même année 1809 voit naître Darwin, qui refera la même constatation de l’évolution. Mais Darwin attachera surtout son nom à l’extraordinaire œuf de Colomb qu’est la sélection naturelle : il publie l’Origine des espèces en 1859. 1

Institut royal des Sciences naturelles de Belgique, Association des professeurs de Biologie (Probio asbl). 2  Lamarck est paré d’un autre titre de gloire, celui d’avoir crée en 1802 le terme « biologie ».

7


L’évolution va très vite gagner ses galons chez les biologistes et acquérir le statut envié d’une de ces théories unificatrices qui s’intègrent complètement à l’édifice conceptuel de leur discipline. Tout au long du présent volume, le lecteur constatera à quel point il est impossible aujourd’hui de parler « biologie » sans penser « évolution ». C’est une autre raison de l’existence de ce livre. Les médias nous renvoient pourtant certains échos de rejets de la théorie de l’évolution, par exemple dans l’enseignement. La situation américaine est ainsi paradoxale : le pays se veut le leader scientifique mondial mais voit son opinion publique largement sceptique sur les questions d’évolution des espèces. Ailleurs – et notamment en Europe – le rejet est souvent en relation avec des crispations qui s’affirment d’ordre religieux, mais qui peuvent aussi être liées à l’affirmation identitaire d’une population qui pâtit d’un déficit d’intégration dans la société. Il y a donc de la matière ! Pour des mises au point quant aux concepts concernés, pour des réflexions sur la nature de l’activité scientifique, pour des précisions sur le sens des mots qu’on utilise. Enfin, il paraît fondamental de fournir aux gens de première ligne, les enseignants, de la matière intellectuelle et quelques outils concrets. Nous espérons les épauler lorsqu’ils ont à faire passer auprès des classes cette matière passionnante, en évitant les pièges de débats simplement passionnels.

Comprendre l’évolution

Histoire et faits

8

Il est des moments privilégiés où un délicieux vertige nous fait soudain basculer dans une dimension inattendue. Imaginez qu’on vous présente tout de go la théorie wallacienne de l’évolution ! « Pardon ? Vous voulez dire darwinienne ? » Eh non : Alfred Russel Wallace a découvert la sélection naturelle tout autant que Charles Darwin. Il aurait même pu passer à la postérité comme « père de l’évolution »… si les hasards de l’histoire avaient tourné autrement. Stephen Jay Gould, dans son essai Darwin’s Delay (Gould, 1977), s’était déjà penché sur le mystérieux « retard à la publication » de Darwin qui, durant 20 ans, dormit sur sa théorie de la sélection naturelle sans la publier. Notre chapitre consacré à « Darwin et Wallace : deux pères pour une même théorie » éclaircit les chevaleresques péripéties de cette double paternité. Ayant rendu à César ce qui lui appartient, nous poursuivons nos mises au point scientifiques, argumentant et racontant l’histoire de


Avant-propos

la vie sur notre planète. La vie a débuté dans la mer. La conquête animale de la terre ferme – un classique du récit évolutif – était subordonnée à la présence des éternelles mal-aimées de la vulgarisation, les plantes. Les « Chroniques du verdissement d’une planète » (chapitre 2) présentent un récit de ce qui apparaît a posteriori comme une gageure : transformer en forêts les déserts que furent les masses continentales. Car entre une algue verte et un arbre, il n’y a guère que la photosynthèse qui soit commune : la sortie de l’eau, pour les plantes, conjuguait une série d’exigences neuves. L’organisme doit être autoportant, ses téguments imperméables, son dispositif reproducteur indépendant de l’eau. Sans parler du problème de la circulation hydrique dans l’organisme… La colonisation débute piano à l’Ordovicien (ère Paléozoïque, jadis appelée Primaire, voir tableau PL. 5). Toutefois les étapes décisives du verdissement datent de la période Dévonienne qui s’achève sur le fortissimo d’un monde végétal presque moderne et sa conséquence : une terre habitable ! Le chapitre 3 « Les fossiles, témoins de l’évolution » brosse un tableau d’ensemble qui englobe aussi bien les grandes extinctions que leur inverse, car il y eut aussi des périodes d’incroyable diversification des faunes. La question des fossiles de transition est ici cruciale et l’auteur ne manque pas de commenter deux cas où les données paléontologiques concernant les vertébrés ont récemment progressé : la sortie des eaux et la conquête des airs. Le quatrième chapitre « Du mammifère terrestre à la baleine : plongée dans l’évolution des cétacés » analyse ce surprenant retour à la mer opéré peu après l’extinction des dinosaures. Les découvertes sur les premiers cétacés se sont accumulées à un rythme soutenu depuis les années 1980. Le résultat est encourageant : les scénarios de retour à la mer, qui étaient auparavant d’intéressantes conjectures, se muent en une histoire solidement bâtie. Dans toute la problématique évolutive un concept-clé ressurgit à tout moment, celui de co-évolution. Ce n’est pas un hasard si les créationnistes s’attaquent souvent à un sujet comme les relations entre insectes pollinisateurs et plantes. Les insectes ont, en effet, une foule de leçons à nous apprendre ; d’où le chapitre 5 dénommé avec humour « Dieu a-t-il une passion démesurée pour les insectes ? » Plantes et insectes se transforment simultanément tout en s’influençant mutuellement.

9


Comprendre l’évolution

Mécanismes

10

La réflexion sur la co-évolution amène logiquement à quatre chapitres qui examinent les mécanismes en jeu dans les processus évolutifs. Le chapitre 6 « Génétique des populations et évolution » rappelle les conditions théoriques dans lesquelles les populations n’évoluent pas, pour se pencher sur les facteurs qui font au contraire que, en pratique, elles évoluent ! Mais il y a plus. L’actualité de la biologie moléculaire montre aussi qu’au-delà du gène – unité classique qui fonde la génétique – il y a d’autres systèmes de transmission d’information d’une génération à la suivante. Il y a 25 ans, cette affirmation aurait senti le soufre ! Aujourd’hui l’ADN mitochondrial ou les ARN à rôle catalytique ont changé la donne. Au point que le chapitre 7 « Gène, épigène et évolution » nous décape l’esprit et nous introduit à ce qui est peut-être un des futurs de la biologie. Avec la conséquence qu’on peut se poser en toute honnêteté scientifique la question du chapitre 8 « Y a-t-il un retour du lamarckisme ? » Une autre vision passionnante est liée à l’étude des génomes. Ce seul mot évoque le battage médiatique soulevé il y a quelques années par le décryptage du génome complet d’une plante – l’arabette – puis le séquençage complet du génome humain. Ce sensationnalisme masque le fait que savoir lire des lettres ne signifie pas comprendre un texte. Néanmoins l’étude des génomes considérés dans leur entièreté mérite amplement le chapitre 9 « Ce que nous apprend l’analyse des génomes au sujet de l’évolution ». Les trois chapitres précédents et le suivant (10) « L’étude de l’évolution : proprement scientifique » flirtent avec un autre aspect de la biologie contemporaine : le jeu de ping-pong très fécond entre biologie du développement et biologie évolutive (EvoDevo en jargon des laboratoires). La découverte des gènes architectes, étonnamment similaires à travers tout le monde animal, stimule un nouveau délicieux vertige. Car quelques mutations simples dans ces gènes peuvent littéralement transformer un type d’organisme en un autre. Les portes du temple de la macro-évolution semblent soudain s’entrouvrir ! L’auteur du chapitre « L’étude de l’évolution : proprement scientifique » va pourtant au-delà. Il répond à une objection des créationnistes, qui se plaisent à rappeler qu’il nous est impossible d’aller expérimenter parmi les T. rex ! Nous verrons pourtant qu’étudier les faits du passé est bien une activité proprement scientifique. Dans le cadre Evo-Devo les choses sont


moins manichéennes que dans le bon sens populaire ! Manipuler aujourd’hui des gènes architectes, par exemple, donne des clés de lecture du passé évolutif. Enfin – et ce n’est pas le moins – ce chapitre fait le lien avec la section suivante, à travers le regard que la science peut porter sur ellemême. C’est cette étude critique du processus scientifique que reflète le terme un rien pompeux d’épistémologie.

C’est tout à l’honneur des scientifiques de réfléchir à leurs pratiques. Ce concept épistémologique, ce regard de la science sur ellemême, est une attitude qui n’est pas nécessairement familière dans l’enseignement, particulièrement dans le secondaire. Elle devient capitale dans cette troisième partie du volume. Ici philosophes des sciences, biologistes et praticiens de l’enseignement tissent leurs propos. Il en ressort un tableau d’une belle richesse et d’une égale complexité. L’autoroute de l’évolution, évoquée en début de cet avant-propos, parcourt ici un trajet montagneux difficile où – pour comble – des protestataires s’ingénient à barbouiller les panneaux indicateurs ! Illustration du trajet montagneux, le chapitre 11 analyse « L’évolution : faits, théories et malentendus ». Ces mots recèlent des pièges ! Qu’est-ce qu’un fait scientifique, par-delà le sens immédiat que chacun croit y voir ? Quant au terme théorie, le sens commun l’associe volontiers à « spéculation » tandis que le scientifique le voit comme noble et paré de toute une aura liée à un long travail d’expérimentations convergentes qui n’ont jamais pu abattre ladite théorie. Le mot « évolution » lui-même est biaisé, désignant tantôt le « fait » que les organismes subissent des modifications, tantôt se référant aux mécanismes à l’œuvre dans cette transformation. S’ensuit, ici et dans le chapitre 12 « Les relations science, philosophie, théologie », une réflexion sur les différents champs d’action de la pensée humaine. Le registre du savoir (science) et le registre de la signification (philosophie, religion) sont a priori valables chacun dans leur champ, mais doivent s’interdire toute interférence dans l’autre ! La modestie réciproque est de mise. Tout ceci nous fera fréquenter le principe de falsifiabilité introduit par Karl Popper (qu’on nommerait plus justement principe de réfutabilité) : pour être scientifique, un modèle, une explication doivent

Avant-propos

Science et non-science

11


pouvoir être confrontés à l’épreuve. Dès que la nature d’une proposition la fait sortir de ce cadre, elle n’est pas du domaine de la science. Et c’est justement là que le bât blesse avec les prétentions de l’Intelligent Design (francisé en dessein intelligent). « Le dessein intelligent : histoire d’un créationnisme déguisé en science » (chapitre 13) suit l’historique de ce mouvement vain mais puissant, doté de relais politiques solides, qui perd devant les tribunaux mais qui gagne sur le terrain des écoles états-uniennes. Et qui tente de s’introduire dans l’ancien monde. Nous consacrons enfin le chapitre 14 « La complexité irréductible : tromperie des apparences » à la réfutation pied à pied de quelques-uns des argumentaires retors qu’utilisent les partisans du dessein intelligent pour tenter de déstabiliser les enseignants en biologie !

Comprendre l’évolution

Enseigner l’évolution

12

La mention des professeurs de biologie a ici tout son poids. Le présent volume se veut certes accessible et témoin d’une réflexion d’honnête homme (3 siècles après la mise à l’honneur de ce joli concept), mais il s’agit d’abord d’une initiative de l’Association des professeurs de biologie de Belgique francophone (Probio asbl), au service de la profession. À ce titre, l’ouvrage présente à ceux qui ont pour mission d’enseigner l’évolution des réflexions sur la façon dont ces idées sont reçues et ressenties dans des groupes culturels qui y sont opposés a priori. Il s’agit aussi de montrer en quoi l’idée évolutive influence la façon dont la biologie appréhende le monde vivant et – sujet de controverses s’il en est – la place de l’humain au sein de ce monde. C’est le sujet du chapitre 15 « La classification phylogénétique des êtres vivants » : la taxonomie traditionnelle des organismes est à reconsidérer dès que l’on y introduit la notion de parenté évolutive. Cela ne simplifie pas la vie du vulgarisateur mais a le mérite de faire sentir l’influence qu’a le choix des critères sur une classification. La complexité du vivant rejaillit en une nouvelle complexité classificatoire. Le chapitre 16 ose se demander « L’homme est-il un animal ? » Question d’autant plus intéressante que la définition de l’homme et de sa démarcation de l’animal n’a jamais été une affaire simple. De plus, bon nombre de nos concitoyens de toutes origines, formations ou classes sociales conservent l’intuition d’un dualisme fondamental : « eux, c’est eux ; nous, c’est nous ». Cette sourde pré-


conception reste dans bien des cas l’ultime rempart où ils se retranchent pour rejeter in fine l’évolution… C’est dans la perspective de la réception de la théorie de l’évolution dans l’enseignement que se place le chapitre 17, bien résumé par son titre « L’histoire des vivants : l’émerveillement plutôt que la polémique ». Pour clore les réflexions, une enseignante fait part de son expérience en milieu multiculturel et, dans le chapitre 18 « Dans les classes : ni Eux ni Nous, bien au contraire… » appuie la vision précédente en nous montrant combien affronter est inutile, à quel point convaincre est illusoire et de quelle manière dialoguer est constructif. Comme un dialogue implique de se comprendre, nous achevons l’ouvrage sur un chapitre 19 qui est en fait un glossaire raisonné destiné à déjouer au mieux « Le piège des mots ». À travers tout le volume, enfin, des encadrés poursuivent ce même but et précisent différentes notions ; l’un d’entre eux est une liste de ressources, à mi-chemin entre la bibliothèque et la boîte à outils : sites web, documents, appuis didactiques même.

En guise de conclusion

Avant-propos

Une des maladies de la société démocratique est peut-être la surinformation superficielle. Ainsi lorsqu’on parle d’évolution chacun veut prendre position – et il en a le droit. Ce faisant, il se juge implicitement compétent, sans pourtant avoir toujours les bases (scientifiques, philosophiques…) qui le rendraient tel. Bien souvent – et dans la plus évidente bonne foi – l’argumentaire ressortit alors du domaine de la banalité, du bon sens, voire du slogan. Cette conclusion sera donc un appel à l’éducation. Avant de critiquer un sujet – la biologie dans le cas présent – il faut en appréhender les fondements. Un minimum d’effort est évidemment nécessaire, mais le plaisir de la découverte et de l’opinion personnelle est au bout de l’autoroute. Pour cela, rien ne vaut un maître talentueux… qui dispose de bonnes bases, outils et arguments. Pour former chacun à rencontrer la complexité, à savoir lire entre les nuances.

13


Chapitre

6

Génétique des populations et évolution ★ René F. Matagne 1

La diversité génétique est la règle au sein du monde vivant. Dans toute population, de nombreux gènes existent sous plusieurs formes alléliques et chaque individu est hétérozygote pour un grand nombre de loci. La génétique des populations a pour objet l’étude des impacts des diverses forces évolutives sur la répartition de la diversité génétique au sein des populations et entre populations. Elle pose des hypothèses de base et développe des modèles théoriques d’évolution des fréquences alléliques et génotypiques, modèles qui peuvent ensuite être testés expérimentalement ou confrontés aux observations faites dans la nature. 1 Dans ce chapitre, nous examinerons les bases génétiques de l’évolution des populations puis les mécanismes impliqués dans le passage de la population à l’espèce, en mettant l’accent sur certaines modifications génétiques susceptibles de provoquer des sauts importants dans l’évolution. 1

Professeur honoraire, Université de Liège ; membre de l’Académie Royale de Belgique.

77


Loi de Hardy-Weinberg : cas d’une population qui n’évolue pas Un des concepts les plus simples, mais néanmoins d’une portée fondamentale en biologie, a été publié en 1908 par deux chercheurs travaillant indépendamment, le mathématicien anglais G.H. Hardy et le physicien allemand W. Weinberg. Ce concept, classiquement repris sous le nom de loi de Hardy-Weinberg, peut se résumer comme suit. Dans une population de grande taille, non soumise aux mutations, aux migrations, à la sélection et où règne la panmixie (accouplements au hasard), les fréquences alléliques et les fréquences génotypiques restent stables d’une génération à l’autre (équilibre de Hardy-Weinberg). En d’autres termes, si les conditions de l’équilibre sont remplies, la population n’évolue pas. Si dans la population, p et q représentent respectivement les fréquences des allèles A et a d’un même gène (p + q = 1), les fréquences des génotypes AA, aa et Aa seront égales à p², q² et 2pq. Prenons l’exemple des allèles co-dominants M et N qui déterminent un des groupes sanguins humains 2 et considérons une population théorique dans laquelle on dénombre 26 % d’individus MM (f = 0,26), 44 % de NN (f = 0,44) et 30 % de MN (f = 0,30). Les fréquences p et q des allèles (et donc des gamètes haploïdes produits) dans la population sont respectivement : f de M (p) : 0,26 + 1/2 × 0,3 = 0,41 ; f de N (q) : 0,44 + 1/2 × 0,3 = 0,59. Après une génération de croisements au hasard, les fréquences des génotypes MM, NN et MN seront devenues égales à 0,17, 0,35 et 0,48 (p2, q2 et 2pq) alors que dans cette nouvelle population, les valeurs de p et q n’ont pas changé. La population de départ n’était pas à l’équilibre mais après une génération de panmixie, l’équilibre est atteint. En pratique, comme la panmixie est souvent la règle dans la nature, les populations paraissent à l’équilibre.

Comprendre l’évolution

Facteurs d’évolution des populations

78

Mutations et recombinaisons du matériel génétique

Ce sont les mutations et les événements de recombinaison qui sont à l’origine des variations observées dans la nature par Darwin. Les mutations sont le plus souvent ponctuelles et ne concernent qu’un seul 2

Ce groupe sanguin n’a pas de portée pratique dans le cas des transfusions sanguines.


ou quelques nucléotides. Elles résultent d’erreurs produites lors de la réplication de l’ADN. Lorsque ces modifications accidentelles affectent les cellules gamétiques, elles peuvent être transmises à la descendance et donner naissance à des individus porteurs d’allèles nouveaux. La mutation est un événement rare au niveau du gène (chez l’homme, on estime à 1 × 10-5 – 2 × 10-6 le taux de mutation par locus et par gamète produit) mais pour l’ensemble du génome (environ 30 000 gènes chez l’homme), le phénomène est loin d’être négligeable. Les mutations peuvent également affecter la structure des chromosomes : c’est le cas des délétions, des insertions, des duplications ou encore des translocations de segments entre chromosomes. Il peut aussi y avoir des modifications du nombre chromosomique suite à des ajouts, des pertes, des fusions ou des fissions de chromosomes, ou encore des événements de polyploïdisation (voir aussi le chapitre « Ce que nous apprend l’analyse des génomes au sujet de l’évolution »). Les populations sont rarement des systèmes fermés et il y a fréquemment des échanges entre populations de compositions génétiques différentes, ce qui a pour effet de modifier les fréquences alléliques et les fréquences génotypiques. Les migrants peuvent aussi apporter des allèles nouveaux et contribuer ainsi à l’augmentation de variabilité génétique de la population d’origine. Lorsqu’il y a événement migratoire à chaque génération, on parle de flux de gènes. Si m représente la proportion de migrants à chaque génération, n le nombre de générations, qa la fréquence d’un allèle chez les natifs, qb la fréquence du même allèle chez les migrants et qn la fréquence de l’allèle chez les natifs après n générations de flux migratoire, on a la relation : qn – qb = (1-m)n (qa – qb)

Glass et Li (1953) ont mesuré la fréquence de l’allèle r (Rhésus négatif) chez les Blancs et chez les Noirs des États-Unis. Ces fréquences sont respectivement de 0,028 et 0,446. Chez les Noirs de l’Ouest africain, cette fréquence est égale à 0,630 et on peut considérer en première approximation que dans cette région d’Afrique, elle n’a pas varié de manière significative au cours des 200 à 300 dernières années. Il y a donc, par rapport aux Noirs d’Afrique de l’Ouest, une réduction importante de fréquence de l’allèle r chez les noirs américains. Glass et Li estiment que cette réduction a dû débuter dès l’introduction des Noirs dans les colonies américaines

Chapitre 6  Génétique des populations et évolution

Migrations

79


Table des matières ★

Liste des auteurs Remerciements Avant-propos

5 6 7 7 8 10 11 12 13

➤➤ Pourquoi ce livre ? ➤➤ Histoire et faits ➤➤ Mécanismes ➤➤ Science et non-science ➤➤ Enseigner l’évolution ➤➤ En guise de conclusion

partie i

Histoire et faits chapitre 1

Darwin et Wallace : deux pères pour une même théorie

17

Du désert à la forêt : chroniques du verdissement d’une planète ➤➤ Ordovicien-Silurien : les premiers colons ou l’âge de tous les défis ➤➤ Le Dévonien moyen : l’âge des inventions ➤➤ Dévonien supérieur : un monde presque moderne

27 28 34 37

chapitre 2

301


chapitre 3

Les fossiles, témoins de l’Évolution ➤➤ Les âges de la Terre ➤➤ Les extinctions ➤➤ Les fossiles de transition ➤➤ La sortie des eaux

➤➤ La conquête du milieu aérien par les reptiles ➤➤ Des grands singes à l’homme ➤➤ Les radiations adaptatives ➤➤ L’explosion du Cambrien ➤➤ La radiation des plantes à fleurs ➤➤ La radiation des Mammifères

chapitre 4

39 39 40 42 43 44 45 45 46 46 47

Du mammifère terrestre à la baleine : plongée dans l’évolution des cétacés

49

Dieu a-t-il une passion démesurée pour les insectes ? ➤➤ Préambule ➤➤ Combien d’espèces d’organismes y a-t-il sur la terre ? ➤➤ L’évolution des insectes en quatre étapes ➤➤ En guise de conclusion…

61 61 63 64 72

chapitre 5

partie ii

Mécanismes chapitre 6

Comprendre l’évolution

Génétique des populations et évolution

302

➤➤ Loi de Hardy-Weinberg : cas d’une population qui n’évolue pas ➤➤ Facteurs d’évolution des populations ➤➤ Isolement des populations et spéciation ➤➤ ADN mitochondrial, origine des populations humaines actuelles et position phylogénétique de l’homme de Neandertal par rapport à l’homme moderne ➤➤ Conclusions

chapitre 7

Gène, épigène et évolution

➤➤ L’évolution et l’hypothèse des pangènes ➤➤ Le gène : unité d’évolution ? ➤➤ Au delà du gène : l’épigénétique ➤➤ Épigénétique et Evo-Devo : le temps d’une nouvelle synthèse ?

77 78 78 84 89 91 93 93 97 101 106


chapitre 8

Y a-t-il un retour du lamarckisme ? ➤➤ Les termes du débat

111 112 112

➤➤ La réfutation « historique » du lamarckisme ➤➤ Le « dogme central » interdit l’acquisition de caractères génétiques issus du milieu 113 ➤➤ L’épigénétique autorise la transmission héréditaire de caractères non génétiques issus du milieu 115 ➤➤ Un caractère issu du milieu peut-il être « acquis » au sens lamarckien ? 116

chapitre 9

Ce que nous apprend l’analyse des génomes au sujet de l’évolution 119 ➤➤ L’ère de la génomique 119 ➤➤ La composition des génomes 120 ➤➤ Décryptage des génomes : la mesure de notre ignorance 122 ➤➤ La génomique comparative révèle les réarrangements chromosomiques 124 ➤➤ Les régions conservées révèlent les régions codantes et régulatrices 125 ➤➤ Des branches enchevêtrées dans les arbres phylogénétiques 127 ➤➤ Les gènes fondamentaux 128 ➤➤ À l’origine des eucaryotes : l’anneau de la vie 129 ➤➤ Les duplications de gènes à l’origine de l’innovation 130 ➤➤ Duplications de génomes entiers 131 ➤➤ Les gènes fossiles 132 ➤➤ Le rêve du génome humain 133 ➤➤ Conclusion 134

chapitre 10

L’étude de l’évolution : proprement scientifique ➤➤ Peut-on faire de la science sans expérimentation ?

➤➤ L’évolution est encore en marche aujourd’hui, son observation est enseignante ➤➤ L’expérimentation éclaire le fait de l’évolution biologique ➤➤ En guise de conclusion

137 139 141 143 147

partie iii

chapitre 11

L’évolution : faits, théories et malentendus

151

Les relations science, philosophie, théologie

165

chapitre 12

Table des matières

Science et non-science

303


chapitre 13

Le dessein intelligent : histoire d’un créationnisme déguisé en science ➤➤ Contexte ➤➤ À l’origine, le créationnisme est une affaire américaine ➤➤ Oripeaux scientifiques : science créationniste, dessein intelligent ➤➤ Le dessein intelligent n’est pas scientifique ➤➤ Stratégies, relais et exportation ➤➤ Pour conclure

177 177 180 182 184 185 186

La complexité irréductible : tromperie des apparences ➤➤ Introduction ➤➤ Que signifie la complexité irréductible ? ➤➤ Un peu d’histoire ➤➤ Les tenants de l’ID pris à leur propre piège (à souris) ➤➤ Le flagelle de la bactérie ➤➤ Conclusion

189 189 190 192 194 197 202

chapitre 14

partie iv

Enseigner l’évolution chapitre 15

La classification phylogénétique des êtres vivants : méthodes et concepts adaptés à l’enseignement secondaire 211 ➤➤ Ressemblance et parenté : le piège de l’intuition 212 ➤➤ En guise de conclusion 226

Comprendre l’évolution

chapitre 16

304

L’homme est-il un animal ? ➤➤ La bipédie ➤➤ L’usage d’outils ➤➤ L’alimentation ➤➤ Le développement ➤➤ Le langage

➤➤ Prémices d’une éthique chez les grands singes ? ➤➤ Les bases de la fonction cérébrale ➤➤ Comment le cerveau devint humain ? ➤➤ Le développement du cerveau, quelques balises ➤➤ En conclusion

227 228 228 229 229 230 230 231 233 233 235


chapitre 17

chapitre 18

Dans les classes : ni « Eux » ni « Nous », bien au contraire… ➤➤ Une école comme beaucoup d’autres ➤➤ Première leçon : extraits choisis ➤➤ Tentatives de décryptage ➤➤ Ni « Eux » ni « Nous », bien au contraire… ➤➤ Conclusions et Propositions

247 248 249 250 253 254

Le piège des mots : quelques exemples de la biologie ➤➤ Répertoire ➤➤ Adaptation ➤➤ ADN ➤➤ Amélioration, valeur adaptative (ou « fitness »), progrès ➤➤ Artificiel, naturel ➤➤ Biologie ➤➤ Chaînon manquant ➤➤ Chromosome, chromatide ➤➤ Clonage, clone ➤➤ Code ➤➤ Coding sequence (cds) – séquence codante – orf ➤➤ Codons ➤➤ Convergence – homoplasie ➤➤ Dérive génique, « Bottleneck » ➤➤ Dogme central ➤➤ épigénétique, épigenèse ➤➤ Espèce ➤➤ évolution ➤➤ Gène ➤➤ Génération spontanée ➤➤ Génétique, génique, hérédité ➤➤ Homologie, ortho – et paralogie ➤➤ Horloge(s) de l’évolution ➤➤ Information

257 258 258 260 261 262 262 263 264 265 267 268 270 271 271 272 273 273 276 276 281 281 283 283 284

chapitre 19

Table des matières

L’histoire des vivants : l’émerveillement plutôt que la polémique 237 ➤➤ Les héritages de Copernic et de Darwin : un étrange contraste 237 ➤➤ La grandeur des sciences 240 ➤➤ Comment raconter l’histoire des vivants ? 242 ➤➤ De quoi ont eu besoin Colomb et Darwin ? 244

305


➤➤ Mutation ➤➤ Phénotype, génotype ➤➤ Protéine ➤➤ Race, variant, recombinant ➤➤ OGM ➤➤ Sélection ➤➤ Séquence (voir aussi « coding sequence ») ➤➤ Néo-Darwinisme ➤➤ Théorie, hypothèse, preuve ➤➤ Wild-type, Type sauvage ou Type normal ➤➤ Sites web de « premier choix » (particulièrement pour l’enseignant) ➤➤ Autres sites-ressources

Index

285 286 287 288 290 291 291 291 291 292 295 295 297

Table des encadrés

Comprendre l’évolution

➤➤ La Galerie de l’évolution du Muséum à Bruxelles, un outil pédagogique ➤➤ Fraudes en Paléontologie ➤➤ Les ressources du Muséum national d’Histoire naturelle, Paris ➤➤ La serre de l’évolution, Royal Botanic Gardens, Kew ➤➤ Les ressources du National History Museum, Londres ➤➤ L’agenda politique du créationnisme américain ➤➤ L’évolution au Jardin botanique national de Belgique ➤➤ Ressources Web : biologie, génétique, évolution, créationnisme

306

26 60 74 118 164 176 208 295


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.