Savoir enseigner dans le secondaire

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Tout le monde convient, aujourd’hui, que pour savoir enseigner, il ne s’agit pas seulement de bien connaître la discipline qu’on enseigne ou d’avoir accumulé de l’expérience, même réfléchie. Il faut en outre possèder un savoir spécifique sur les grandes questions qui sont au centre de la pratique enseignante : En quoi consiste le processus d’apprentissage ? Quelles sont les conditions qui le rendent possible ? Comment interpréter les erreurs des élèves ? Qu’est-ce qu’une compétence ? Comment un élève peutil acquérir les compétences complexes qu’exige la scolarité secondaire ? Quelles sont les caractéristiques d’un savoir scolaire ? à quelles conditions un ensemble d’énoncés peut-il légitimement mériter le nom de « savoir » ? Quelles difficultés les savoirs scolaires entraînent-ils pour les élèves ? Sur ces questions essentielles pour savoir enseigner dans le cursus secondaire, l’ouvrage offre aux enseignants en formation initiale, aux étudiants en Sciences de l’éducation, ainsi qu’aux enseignants plus chevronnés, un état des connaissances issues de la recherche, sans occulter les débats, les incertitudes et les problèmes propres à la complexité des situations scolaires. vincent carette Avant d’être professeur en Sciences de l’éducation à l’Université Libre de Bruxelles, Vincent Carette a respectivement exercé pendant 10 années comme instituteur et 5 années comme formateur d’enseignants de l’école fondamentale. Ses travaux de recherche se concentrent sur les questions d’apprentissage et d’évaluation des acquis des élèves dans des approches par compétences. Il est co-auteur avec Bernard Rey, Anne Defrance et Sabine Kahn de l’ouvrage intitulé Les compétences à l’école : apprentissage et évaluation, Bruxelles, De Boeck, 2003.

Bernard rey Après avoir enseigné dans le secondaire, puis participé à la formation des enseignants au Québec et en France, Bernard Rey est professeur à l’Université Libre de Bruxelles, où il conduit des recherches sur les spécificités de la transmission scolaire. Il est, entre autres, l’auteur de : Discipline en classe et autorité de l’enseignant, Bruxelles, De Boeck, 2004 ; et, en collaboration avec Michel Staszewski, Enseigner l’histoire aux adolescents, Bruxelles, De Boeck, 2004. DIDGEN ISBN 978-2-8041-6037-1 ISSN 2033-5121

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Pédagogie vincent carette - Bernard rey

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Savoir enSeigner danS le Secondaire Vincent Carette Bernard Rey Didactique générale

www.deboeck.com

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TABLE DES MATIÈRES

Introduction

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Chapitre 1 Conceptions de l’apprentissage et pratiques d’enseignement

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1 La conception constructiviste Les sources théoriques de la conception constructiviste de l’apprentissage Les préconceptions des élèves L’analyse des erreurs des élèves Le processus d’apprentissage selon le constructivisme Le rôle de l’enseignant et la notion de « situation-problème »

8 8 16 19 22 24

2 La conception « socioconstructiviste » Le conflit sociocognitif La perspective de Vygotsky Implications didactiques et prolongements de la conception de Vygotsky Pour conclure : les écarts entre constructivisme et socioconstructivisme

28 29 33 37 39

3 Les apports du cognitivisme Introduction Les formes de connaissance La mémoire à long terme Mémoire à court terme et mémoire de travail Conclusion

41 41 43 46 48 53

Chapitre 2 Les compétences

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1 L’approche par objectifs Les origines de la Pédagogie par Objectifs (PPO) Les grands principes de la Pédagogie par Objectifs La pédagogie par objectifs est-elle une pédagogie ? La pédagogie de maîtrise

56 56 59 61 62

2 L’approche par compétences Origine de la notion de compétence en éducation L’influence du monde du travail Qu’est-ce qu’une compétence en éducation ? Pourquoi la notion de compétence rencontre-t-elle un tel succès ?

63 63 66 70 72

3 De l’approche par objectifs à l’approche par compétences

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4 Le débat sur la notion de compétence Les intérêts pédagogiques et didactiques de la notion de compétence

86 86


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TABLE DES MATIÈRES

Les critiques Des réponses aux critiques Les dangers de la notion de compétence

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5 Conclusions Les implications pédagogiques de la notion de compétences : la gestion de l’incertitude

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Chapitre 3 Savoirs et disciplines scolaires

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1 Les savoirs scientifiques La démarche scientifique Savoirs et problématisation La question de la validation des savoirs Quelques conséquences pour l’enseignement

106 107 112 118 126

2 Les disciplines scolaires La notion de transposition didactique Textualité des savoirs et difficultés des élèves

132 134 140

3 Conclusion

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Conclusion

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Bibliographie

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Index

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Table des matières

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INTRODUCTION

Enseigner est un métier difficile. Ceux qui le contestent sont rares. Mais l’essentiel est que ceux qui en conviennent saisissent bien les conséquences de ce constat. La première d’entre elles est qu’on ne peut enseigner sans avoir été formé à ce métier. L’idée, longtemps tenue pour une évidence, selon laquelle il suffisait de bien connaître un savoir pour être d’emblée capable de l’enseigner, ne peut plus aujourd’hui être sérieusement défendue. La difficulté à faire accéder des adolescents à des savoirs a fait désormais l’objet d’assez de témoignages, d’articles, de livres et de films pour que l’opinion publique en soit convaincue. Mais ce qui est ainsi rendu public, ce sont surtout les aspects relationnels de ce métier : comment mettre au travail des adolescents, comment obtenir d’eux qu’ils obéissent à un minimum de règles, comment amener chacun d’eux à respecter les autres, comment affirmer son autorité. Ce qui est moins mis en scène dans le spectacle public, c’est ce qui est pourtant l’essentiel : comment faire pour que les élèves apprennent, c’est-à-dire s’approprient réellement un ensemble de savoirs difficiles, qu’il s’agisse d’histoire, de chimie, de géologie, de mathématiques, de biologie, etc. ? Comment faire aussi pour qu’ils développent des compétences très exigeantes telles que comprendre et parler une ou plusieurs langues étrangères, lire et comprendre des textes de différents types, résoudre des problèmes de mathématiques, de physique, etc., analyser et commenter des documents, rédiger des textes argumentatifs ou narratifs, des résumés, des synthèses, des rapports d’observation ? Car l’école n’aurait aucune légitimité à faire peser, dans la durée, de lourdes contraintes sur les enfants et les adolescents, si elle n’avait pour mission de transmettre des savoirs et des compétences, c’est-à-dire une culture et, plus encore, de faire que cette culture soit émancipatrice et débouche sur la faculté de penser par soi-même. Et du coup, comment faire pour que cette culture soit transmise à tous les élèves, et non pas seulement à ceux qui sont de « bons » élèves ? Si on veut que l’école soit autre chose qu’une machine à fabriquer des inégalités ou à les reproduire, la mission de l’enseignant est d’arriver à ce que tous les élèves qui lui sont confiés apprennent. C’est cette mission que le présent ouvrage entend prendre au sérieux. Bien entendu, cela passe par la formation initiale et continue des enseignants. Celle-ci est l’objet d’une abondante littérature. On y admet généralement que le futur


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INTRODUCTION

enseignant doit recevoir une formation approfondie sur le ou les savoirs qu’il aura à enseigner. On estime également qu’une mise en pratique du futur enseignant, sous la forme de stages, est indispensable, car c’est la pratique et la réflexion sur elle qui sont susceptibles d’engendrer l’indispensable savoir d’expérience. Pour notre part, nous sommes évidemment d’accord avec ces deux exigences. Mais nous pensons également que le futur praticien doit s’être approprié un savoir spécifique sur l’enseignement et les conditions d’apprentissage, savoir qui ne peut pas être construit par l’apprenti enseignant sur la base de sa courte expérience. Ce savoir comprend évidemment la didactique de la discipline scolaire que le professeur enseignera, mais pas seulement. Il comporte également des considérations issues de la psychologie, de la sociologie, de la philosophie, de l’histoire de l’enseignement et, bien entendu, des connaissances accumulées par les praticiens et qu’on appelle la pédagogie. Que ce savoir soit indispensable, qu’il soit nécessairement composite, qu’il doive être exposé en liaison avec les recherches qui l’ont engendré, voici les trois points sur lesquels nous voudrions nous expliquer : 1) Tout d’abord, ce savoir sur l’enseignement dont nous disons qu’il est indispensable à la formation des professeurs n’est pas à notre sens un savoir d’action ni ce qu’un praticien peut tirer de la réflexion sur son expérience. Il est bien un savoir au sens le plus classique du terme, c’est-à-dire un ensemble de discours sur la réalité qui ont été mis à l’épreuve de la recherche. En affirmant cela, nous ne rejoignons pas l’idée selon laquelle une pratique pourrait se réduire à être l’application de règles qu’un savoir déterminerait d’une manière univoque. Il y a trop d’hétérogénéité entre discours et action pour qu’il en soit ainsi (cf. Rey, 2000) et un professionnel est celui à qui, face à chaque situation singulière, il appartient de juger de l’opportunité de mettre en œuvre telle règle ou telle autre. Cependant, des savoirs sont indispensables, non pas en ce qu’ils disent ce qu’il convient de décider à chaque moment de la pratique, mais parce qu’ils apportent au professionnel une catégorisation de la réalité. Toute compétence exige une interprétation des situations. Pour interpréter l’erreur d’un élève, les difficultés récurrentes d’un autre, le désintérêt d’une classe pour un cours, pour interpréter aussi sa propre façon de conduire une leçon, le professeur a besoin d’un système de catégories. Celles-ci peuvent être empruntées à la pensée commune ou pénétrées des conceptions et des préjugés que possède à titre individuel l’enseignant. Nous trouvons préférable qu’elles proviennent des recherches scientifiques : telle est la raison d’être de ce petit livre qui voudrait livrer aux futurs professionnels les savoirs indispensables sur l’enseignement. Comme le fait remarquer Bourdoncle (1993), un professionnel est quelqu’un qui peut « professer » les raisons des décisions qu’il


INTRODUCTION

prend dans son activité, c’est-à-dire en rendre compte publiquement en s’appuyant sur un savoir. 2) Mais ce savoir est nécessairement composite, car il doit emprunter à plusieurs champs scientifiques. Tout savoir scientifique procède d’une réduction de la réalité : il consiste à retenir d’elle les seuls aspects qui peuvent s’énoncer selon la logique d’un texte (Rey, 2003). Ainsi, il rend compte de lignées causales qui sont forcément limitées. La réalité de l’enseignement est toute autre : n’importe quelle situation s’explique par une multiplicité de facteurs et y est surdéterminée, ou plutôt peut se laisser découper selon des régimes de conceptualisation qui sont divers sans s’exclure mutuellement. Ainsi, toute situation dans laquelle des élèves tentent d’apprendre appelle une lecture relevant de la psychologie cognitive ; mais, parce qu’elle discrimine souvent les élèves selon leur origine sociale, elle a des implications sociologiques ; elle est aussi la tentative heureuse ou malheureuse pour mettre en œuvre une stratégie didactique ; prise dans une institution qui est l’école, elle est dépendante de l’histoire de celle-ci et de la forme scolaire ; elle s’explique aussi par la finalité qui lui est assignée, acquisition d’un savoir ou d’une compétence et, comme telle, elle engage des considérations sur ce qu’est une action adéquate ou une pensée vraie ; elle est sous-tendue par des prises de position sur la mission de l’école et des choix de valeur, etc. Ainsi le savoir sur l’apprentissage et l’enseignement que nous entendons exposer ici sera nécessairement multidimensionnel, car pour en rendre compte une multiplicité de champs conceptuels est nécessaire. Nous le marquerons en parlant indifféremment de savoir ou de savoirs. 3) Enfin, les savoirs que nous présenterons ici seront systématiquement rattachés à la recherche. Il ne s’agira pas de présenter les résultats de celle-ci comme s’ils étaient absolument véridiques et stabilisés pour l’éternité. Au contraire, nous nous attacherons à montrer en quoi le contenu de ces savoirs est dépendant des problématisations et des méthodologies à partir desquelles il a été construit. Nous n’éluderons pas les incertitudes et les incomplétudes qui lui sont propres. Nous soulignerons les divergences entre les différents champs scientifiques et les controverses au sein de chacun d’entre eux. Si l’idée de rendre universitaire la formation de tous les enseignants a bien pour but d’en améliorer la qualité et non pas d’en réduire les coûts, alors c’est bien celui de mettre en contact les futurs enseignants avec la recherche, c’est-à-dire avec une pratique de réinterrogation incessante. Ces savoirs qui doivent prendre leur place dans la formation des enseignants n’ont pas pour but de former des militants. Au contraire, l’exposé que nous allons en tenter ici vise à susciter chez eux une attitude de défiance vis-à-vis d’eux-mêmes et de

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INTRODUCTION

l’opinion première, de la pensée qui se veut définitive alors qu’elle n’est que le produit de la mode. Il n’est pas question pour nous de juxtaposer, dans une présentation successive, des exposés propres à chaque champ scientifique sollicité. Nous partirons au contraire de quelques grandes questions qui sont au centre de la pratique enseignante et que nous développerons en trois chapitres : – Le premier sera consacré à faire un état des savoirs et des problèmes concernant le processus d’apprentissage en milieu scolaire et les conditions qui lui sont favorables. – Le deuxième chapitre tentera une approche de la notion de compétence, qui est une des formulations possibles pour définir ce que l’école a mission de transmettre. Nous examinerons ses ambiguïtés ainsi que les possibilités et les difficultés qu’elle ouvre sur le plan didactique. – Dans le troisième chapitre, nous explorerons la notion de savoir, autre grande catégorie sous laquelle on définit ce que l’école doit faire acquérir. Nous l’envisageons d’abord d’une manière générale, puis sous la forme spécifique des disciplines scolaires.


CHAPITRE 2 LES COMPÉTENCES

S MMAIRE 1 2 3 4 5

L’approche par objectifs L’approche par compétences De l’approche par objectifs à l’approche par compétences Le débat sur la notion de compétence Conclusions

Faire apprendre des compétences aux élèves semble être devenu la priorité de nombreux systèmes éducatifs. Terme peu usité jusqu’à la fin des années 1980 dans le monde scolaire, la compétence s’est rapidement imposée, depuis lors, aux travers des référentiels qui indiquent ce que l’on attend des élèves à certains moments de leur cursus. De référentiels ou programmes rédigés en termes d’objectifs, les enseignants sont maintenant confrontés à des référentiels de compétences. Au-delà du succès de cette notion, il apparaît important dans ce chapitre de tenter d’apporter des éléments de réponses aux principales questions qu’elle soulève. Qu’est-ce qu’une compétence ? Quelle est l’origine de cette notion ? Quelles sont les raisons de son succès ? Quels sont ses intérêts ? Quelle est la différence entre une approche par objectifs et une approche par compétences ? Quels sont ses limites et ses dangers ? Sans occulter le débat parfois vigoureux que la notion de compétence suscite aujourd’hui dans les milieux éducatifs et auprès de certains enseignants, nous essayerons de mettre en évidence les conséquences pédagogiques et didactiques qu’elle induit ou qu’elle souhaite induire auprès des enseignants. Ce chapitre est divisé en quatre parties. Dans la première partie, nous résumerons les grands principes de la pédagogie par objectifs qui a pendant de nombreuses années été la référence dans la construction des programmes scolaires. Dans la seconde partie, nous interrogerons la notion de compétence et essayerons dans la


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LES COMPÉTENCES

troisième partie de mettre en évidence ce qui la différencie de la notion d’objectif. Enfin, nous terminerons ce chapitre en rentrant dans le débat parfois virulent que la notion de compétence induit dans les milieux de la recherche et dans les milieux scolaires.

1 L’APPROCHE PAR OBJECTIFS L’analyse des programmes et référentiels des trente dernières années dans la plupart des systèmes scolaires nous montre que la plupart d’entre eux jusqu’aux années 1990 étaient construits suivant le principe de l’approche par objectifs communément appelée pédagogie par objectifs. Même si la tendance générale des systèmes éducatifs est d’introduire une approche par compétences, de nombreux éléments issus des principes de la pédagogie par objectifs continue à influencer le monde de l’école.

Les origines de la Pédagogie par Objectifs (PPO) Dans une note de synthèse portant sur la pédagogie par objectifs (PPO), Hameline (1979) décrit les origines de ce courant. Pour cet auteur, la PPO est une « histoire essentiellement américaine ». Le monde du travail (taylorisme), la psychologie béhavioriste et dans une moindre mesure le mouvement de l’éducation nouvelle semblent être les trois courants de pensée qui ont influencé considérablement la PPO.

A. Influence du monde du travail La pédagogie par objectifs trouverait ses premières origines dans l’histoire du management pédagogique influencé principalement par l’École de Chicago. Dès la fin du XIXe siècle, un courant se dessine pour adopter en pédagogie les règles du Scientific Management. C’est le titre donné à un ouvrage de Rice publié en 1914 et qui regroupait un ensemble d’articles qu’il avait publiés depuis 1896. Toutefois, et ceci est sans aucun doute important dans la problématique qui nous anime, ce serait sous l’influence de Taylor (The principles of Scientific Management, 1911 cité par Hameline 1979) et de l’Organisation Scientifique du Travail (OST) que l’entrée par les objectifs va progressivement être définie. Taylor est considéré comme le promoteur de l’organisation scientifique du travail (Larousse 2004). Élaboré à la fin du XIXe siècle pour répondre au constat que


L’APPROCHE PAR OBJECTIFS

les ouvriers ne travaillaient pas de manière efficace et productive, le cadre de l’organisation scientifique du travail reposait sur quatre principes : – Une séparation au sein de la fonction de production entre les fonctions de conception et d’organisation du travail et la fonction opérationnelle proprement dite : en ce sens, le mode de production était établi en amont par des services spécialisés qui avaient pour mission d’organiser de manière scientifique le mode de production qui serait adopté par l’entreprise. En aval, il ne restait plus aux services opérationnels qu’à appliquer les recommandations faites par le bureau des méthodes (l’ouvrier devient alors un simple exécutant) ; – Une organisation du mode de production fondée sur un modèle répétitif de tâches élémentaires simples : le travail étant décomposé selon des tâches faciles et rapides à exécuter, l’ouvrier était limité dans son travail à la réalisation d’un nombre minimum de tâches spécialisées ; – Une organisation de la production fondée sur la succession des tâches élémentaires : d’un point de vue organisationnel, l’entreprise organisait sa production dans l’espace de manière à faciliter l’exécution de ces tâches élémentaires (le poste de travail doit être ergonomique afin de faciliter le travail de l’ouvrier) ; – Une rémunération des salariés fondée sur le critère de la productivité, c’est-à-dire que le respect des normes de production définies par le bureau des méthodes devait être un élément valorisant de la rémunération du travailleur. Mais une autre influence, toujours issue de l’organisation du travail, va marquer la PPO. D’après Hameline (1979), chez Tyler, le management moderne de la période post-taylorienne aurait également exercé une influence considérable. « Les travaux de Elton Mayo (1924) et toute la suite que leur donnera la psychologie sociale industrielle ont montré qu’une des conditions de la productivité était l’intérêt et l’intéressement des “producteurs” aux tâches de production. Une nouvelle génération de managers prend à son compte le principe que l’exploitation des ressources humaines possède un caractère spécifique : la participation aux objectifs est aussi importante que la participation aux bénéfices, elle est valorisante pour l’exécutant. » En 1950, Tyler écrit dans Basic Principles Curriculum and Instruction que « la façon la plus utile de formuler des objectifs est de les exprimer en des termes qui identifient à la fois le comportement qu’il convient d’observer chez l’étudiant et le champ dans lequel ce comportement doit se manifester » (Hameline, 1979). D’une certaine manière, la PPO était née. Pour Tyler, la formulation d’objectifs est un moyen dans

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LES COMPÉTENCES

l’aménagement du curriculum et dans l’optimalisation de son rendement. Par la suite, un ensemble d’auteurs (Hida Taba, R.F. Mager, C. Clarck cité par Hameline, 1979) fixent la doctrine au début des années 1960. D’après Hameline (1979), R.B. Miller, psychologue militaire passé à l’industrie aurait également exercé une influence sur la doctrine en préconisant l’application de l’Analyse des Tâches au domaine de l’apprentissage (Analysis and specification of Behavior for Training, 1962).

B. Influence de la psychologie behavioriste Pour Hameline, les principes développés par Tyler se conjuguent facilement avec les présupposés béhavioristes qui marquent la psychologie américaine depuis le début du siècle. Celle-ci se retrouvait d’ailleurs dans la démarche mise en place par Taylor dans son cadre de l’organisation scientifique du travail. Le béhaviorisme, un courant psychologique à forte teinte expérimentale, estime fondamentalement que les phénomènes mentaux, parce qu’internes, ne peuvent être directement soumis à la preuve scientifique et que seuls les comportements observables sont des données fiables qui peuvent permettre la découverte de principes, de règles et des lois du comportement humain. Le béhaviorisme a grandement imprégné la conception de l’enseignement et de l’apprentissage. Les psychologues béhavioristes ont fait en sorte que le produit des activités humaines soit privilégié comme objet d’analyse. Ainsi, dans ce contexte, l’enseignant analyse davantage la performance de l’élève que les stratégies ou les processus qui lui permettent d’atteindre ce niveau de performance. Étant donné que seuls les comportements observables et mesurables sont étudiés et que ces observations doivent conduire à la découverte de principes et de lois, les béhavioristes ont décomposé de manière minutieuse les comportements et les séquences d’apprentissage. Tyler, en 1950, en écrivant comme nous l’avons déjà énoncé que la façon la plus utile de formuler des objectifs est de les exprimer en des termes qui identifient à la fois le comportement qu’il convient d’observer chez l’étudiant et le champ dans lequel ce comportement doit se manifester s’inscrivait directement dans ce paradigme.

C. L’influence de l’éducation nouvelle Pour Mialaret (1991), la PPO serait également une réaction contre l’unique intérêt porté à la matière à enseigner aux dépens de l’intérêt nécessaire porté à celui qui apprend. Pour argumenter ce propos, cet auteur se réfère également à Hameline qui écrivait en 1979 : « La centration sur l’apprenant est, somme toute, un héritage


CHAPITRE 3 SAVOIRS ET DISCIPLINES SCOLAIRES

S MMAIRE 1 Les savoirs scientifiques 2 Les disciplines scolaires 3 Conclusion

Les conditions d’apprentissage et les exigences correspondantes pour l’enseignement dépendent fortement de ce qu’on veut faire apprendre. Nous avons vu, au chapitre précédent, qu’une formulation possible de ce qu’on veut faire acquérir à l’école consiste à parler de compétences. Mais chacun sait qu’une autre dénomination de ce qu’il y a à transmettre, plus traditionnelle pour l’enseignement secondaire, parle de savoirs. Cette notion de savoir a été l’objet de débats très vifs depuis deux décennies dans l’univers de la pédagogie. L’un d’entre eux tournait autour de l’idée que ce qui devait être au centre de l’école n’était pas le savoir, mais l’élève. Les tenants de cette position voulaient ainsi orienter les préoccupations des enseignants vers les besoins et les difficultés des élèves plutôt que sur le souci de « boucler le programme ». Ensuite, dans une perspective légèrement différente, mais proche, certains ont affirmé que l’enjeu de l’école n’était pas tant de faire apprendre une grande quantité de savoirs, que de faire « apprendre à apprendre », autrement dit de permettre l’acquisition de quelques solides instruments intellectuels qui permettraient ensuite à l’individu, au cours de sa vie, d’acquérir les savoirs dont il aurait besoin. D’autre part, on a voulu voir dans la définition de ce qui devait se transmettre à l’école en termes de compétences une exclusion des savoirs. C’est ainsi que beaucoup d’enseignants ont compris l’injonction à travailler par compétences, ce qui a entraîné chez eux une forte résistance à cette injonction. L’idée est en tout cas propagée que compétences et savoirs s’excluaient mutuellement. Le présent cha-


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SAVOIRS ET DISCIPLINES SCOLAIRES

pitre sera l’occasion de voir en quoi tout savoir implique des compétences et que c’est seulement dans un sens très réducteur des mots « savoir » et « compétence » qu’ils s’opposent. Mais quoi qu’il en soit, ce débat entre compétences et savoirs a été l’occasion de réanimer un autre débat, très ancien celui-ci, qui porte sur l’utilité des savoirs transmis par l’école. C’est là une question fréquemment posée à l’école par les acteurs sociaux qui lui sont extérieurs : parents d’élèves, employeurs, responsables politiques, économistes. Elle surgit inévitablement dans l’univers pratique des enseignants, car elle est émise d’une manière constante et pressante par les élèves : « À quoi ça sert, ce que vous nous faites apprendre ? ». Il est donc indispensable de s’interroger sur ce qu’est un savoir. Nous le ferons d’abord en examinant ce qu’il en est dans le domaine où les savoirs sont construits, c’est-à-dire dans la pratique scientifique (en donnant au mot « science » un sens général qui inclut les sciences humaines et non pas seulement les sciences de la nature). Puis nous examinerons la forme particulière que prennent ces savoirs lorsqu’ils sont enseignés à l’école, sous le nom de « disciplines scolaires ». Ce sera l’occasion d’esquisser une réflexion non pas sur l’utilité des savoirs, mais plutôt sur les raisons pour lesquelles l’école en vise l’acquisition et sur les difficultés que cela entraîne pour les élèves.

1 LES SAVOIRS SCIENTIFIQUES Il arrive qu’on appelle « savoir » la connaissance d’une information. Ainsi peut-on savoir que Rome est la capitale de l’Italie ou que l’eau bout à 100°. Cet usage n’a rien d’illégitime dans la vie courante. En revanche, il peut susciter des réserves lorsqu’il se traduit en pratique d’enseignement, c’est-à-dire lorsque un enseignant se borne à livrer aux élèves des listes d’informations en estimant les faire accéder ainsi à du « savoir ». Car il paraît difficile d’appeler « savoir » une énumération de données factuelles, du moins si l’on considère que le savoir scolaire a quelque chose à voir avec un savoir scientifique. Mais alors quelles sont les caractéristiques d’un savoir scientifique ? On peut en donner une première approximation qui constitue en quelque sorte la conception courante de la science, mais que nous devrons remettre en cause. Dans le cadre de cette première conception, on peut d’abord faire le constat qu’un savoir à caractère scientifique ne consiste jamais à énoncer un fait unique, ni d’ailleurs une juxtaposition de faits. Il rassemble sans doute une multiplicité de faits, mais en établissant entre eux des liens. Ces liens peuvent être divers : lien de


LES SAVOIRS SCIENTIFIQUES

similitude permettant de subsumer une diversité de faits sous un concept, liens d’inclusion, liens de causalité, etc. En tout cas, dans cette première présentation, la marque du savoir scientifique serait de dégager, à travers une multiplicité de faits, des régularités. Le savoir y apparaît comme caractérisé par un processus de généralisation. C’est ainsi que les chercheurs feraient émerger, à partir de l’observation de faits, une loi qui les régit. La découverte de telles lois aurait l’intérêt de permettre de prévoir certains faits à partir du constat d’autres, ce qui ouvre sur des utilisations technologiques. Elles permettraient en outre d’inférer du constat de certains faits d’autres faits que nos organes des sens ne nous permettent pas d’observer directement parce que trop lointains ou trop petits. Cette première présentation de ce qu’est un savoir scientifique semble livrer à la fois le principe de validation du savoir et la description des phases successives du travail du chercheur, c’est-à-dire de la démarche scientifique : Elle en livre le principe de validation : un savoir est un ensemble d’affirmations qui reposent sur des preuves, autrement dit qui ont traversé des épreuves de vérité. Et ce que cette première présentation dit, c’est que ces preuves sont constituées par des faits observés. Le savoir est vrai parce qu’il est conforme aux faits, et même parce qu’il émerge de l’observation des faits. Ce sont eux qui donneraient son caractère d’objectivité au savoir. Or nous verrons que ce principe de validation pose problème. Cette première présentation de ce qu’est un savoir propose du même coup une description de la démarche scientifique : le chercheur serait celui qui, grâce à l’observation, rassemble d’abord un grand nombre de faits relevant d’un domaine donné, puis qui à partir d’eux induit la loi qui les régit. Or nous allons voir que la démarche scientifique ne se déroule généralement pas sur ce modèle et même qu’il y a une quasi impossibilité à ce qu’elle se déroule ainsi.

La démarche scientifique Si la présentation courante de la science que nous venons de résumer a raison d’affirmer qu’un savoir ne consiste pas à énumérer des faits, en revanche elle a tort de dire que la démarche scientifique part de faits. Deux ensembles de raisons s’opposent à une telle position : 1) La première est que les faits, même si on les nomme souvent des « données », ne sont en réalité jamais donnés. C’est le chercheur qui doit les collecter et même,

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