Journal de droit européen 2013-1

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Janvier 2013 I No 195 I 21e année

Bureau de dépôt : Louvain 1 - Mensuel, sauf juillet/août - P301030

Journal de droit européen Paul Nihoul,

rédacteur en chef

ISSN 0779-7656 – D 2013/0031/011

Éditorial Éditorial Vingt ans!

1

Analyse Labels écologiques et alimentaires par L. Boy 2

Vie du droit Chefs d’État et libre circulation par F. Dopagne

10

Commentaires L’application des seuils de minimis de concurrence par A. Fromont 13 Marquage « CE » et libre circulation par C. Cheneviere

15

Chroniques Droit bancaire et financier par P.-E. Partsch 18 Droit de la consommation par E. Poillot 26

Actualités

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Vingt ans!

L

e Journal de droit européen fête cette année un anniversaire. Il y a vingt ans, un numéro d’« essai » était publié de manière à tester l’intérêt des lecteurs pour une publication consacrée au droit européen. À cette époque, la production normative européenne était déjà considérable. Mais le droit européen n’était pas entré, véritablement, dans les pratiques. Pour de nombreux praticiens, il restait un domaine juridique réservé à des spécialistes, loin des préoccupations nationales. Cette perception ne correspondait pas à notre analyse. Pour nous, le droit européen ne pouvait être regardé comme une branche juridique. Il est en effet composé de règles irradiant un nombre croissant d’activités dans lesquelles peuvent être impliqués les praticiens. Étant une source de droit, il n’est pas destiné à « être pratiqué » par une caste particulière. Au contraire, il a vocation à être utilisé par tous. C’est sur cette intuition qu’a été fondée notre approche. Progressivement, une formule a été dégagée pour permettre au lecteur de maîtriser, en une publication, l’ensemble des développements pouvant affecter sa pratique. Dans chaque numéro publié, un sujet est analysé en profondeur. L’actualité jurisprudentielle et législative fait l’objet de commentaires. L’an-

née écoulée est passé en revue par type de matière. Les nouveautés sont brièvement présentées. Des informations sont fournies sur des événements à venir ou des publications récentes. Cette formule, nous souhaitons la poursuivre en l’enrichissant d’approches nouvelles : des éditoriaux attirant l’attention sur un événement majeur; une rubrique mettant en lumière l’usage du droit européen dans des situations insolites; une autre apportant, en quelques lignes, une réponse à une question souvent entendue dans les cercles juridiques. Sur le plan graphique, vous contemplez la maquette élaborée pour répondre à ce nouveau défi. La lecture est facilitée par l’introduction de couleurs, par la présentation de « points clés » et par la mise en exergue de phrases dans le texte. Les règles sont élaborées par des institutions. Mais elles vivent grâce aux praticiens : par ceux qui, inlassablement, les scrutent, s’y plongent, les fouillent, faisant ainsi avancer la vision de ce qui peut être accepté ou doit être refusé. Cette mission, nous voulons la soutenir en fournissant des analyses claires, concises et concrètes. Car c’est vous qui, en définitive, créez, par votre pratique, le droit européen... Le comité de rédaction


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2 I Journal de droit européen I 2013

Analyse Labels écologiques et alimentaires : les enjeux de la réglementation européenne(*) Laurence Boy ............................................................................................................  Autrefois, l’information fournie aux consommateurs sur les emballages portait essentiellement sur les prix.  Les labels européens ont su y intégrer des données relatives à l’environnement et à la qualité des produits.  Ils sont devenus un instrument essentiel dans la stratégie des entreprises. ............................................................................................................

1 Introduction À ses débuts, l’Europe a emprunté la voie de l’intégration comme simple communauté économique. Aussi, pendant sa première phase d’intégration, le processus est clairement engagé en faveur de la rationalité économique et de la libre concurrence1. Les politiques dites « sociales » au sens large demeuraient de la responsabilité des États. À partir des années 1970 et surtout 1980, une nouvelle dynamique conduisit au renforcement et à l’élargissement de la portée des politiques européennes de réglementation. De nouvelles dynamiques et la recherche d’une union plus étroite amenèrent les institutions européennes à prendre en compte des rationalités novatrices reposant sur la prise en compte d’autres intérêts : notamment celles de la protection des consommateurs, de l’environnement, des intérêts sociaux. Des préoccupations nouvelles virent alors le jour, et seront intégrées par l’Europe dans sa première logique. L’étude des labels proposés par les institutions européennes permet d’analyser cette transformation. L’évolution qu’ont connue ces labels montre qu’ils ont subi une mutation profonde des rapports entre le droit du marché, le droit de la consommation et le droit de l’environnement. Cette mutation ne concerne pas seulement les institutions. À mesure que se développe cette transformation, les acteurs économiques eux-mêmes comprennent la nécessité de faire de la protection de l’environnement une composante essentielle de leur politique concurrentielle2. Tout cela s’inscrit dans la « nouvelle » approche associant en outre les agents économiques à sa mise en œuvre. Aujourd’hui, l’Europe est confrontée, outre l’approfondissement du marché unique, à la mondialisation de l’économique avec un encadrement strict de l’Organisation mondiale du commerce de la libre circulation des marchandises. Elle a ainsi mobilisé ses instruments relatifs aux signaux du marché comme les labels et autres signes de qualité pour assurer la promotion de ses produits, y compris alimentaires. Et dans les négociations toujours en cours dans cette enceinte mondiale, elle tente de faire partager son modèle par de nombreux pays en développement.

2 L’écolabel européen :

carrefour entre plusieurs logiques constitutives du marché unique

Les premiers labels écologiques sont apparus dès les années 1980 dans les pays développés. Le label écologique allemand « Ange Bleu » Blauer Engel (1978) est le plus ancien et le plus connu 3 . Plus ambitieux, est apparu le label français « NF Environnement ». Il est attribué à un produit dont l’impact sur l’environnement prend en compte tout le cycle de vie du produit. Dans les pays scandinaves, l’écolabel (Norvège, Suède, Finlande, Islande et Danemark), le « Nordic Swan » (Cygne blanc) vise à encourager une conception durable des produits. Au Canada, la certification privée environnementale se fait sous le label « EcoLogo » apparu en 1988.

Face à cette cacophonie, les autorités décident de reconnaître les écolabels

Face à cette cacophonie de labels et dont le consommateur ne peut, en outre, apprécier exactement la pertinence, les autorités communautaires décident dans les années 1990 de reconnaître les écolabels comme un outil possible de gestion de l’environnement en l’insérant d’emblée, conformément aux vœux des entreprises, dans son approche d’élimination des obstacles à la libre circulation des marchandises nécessaire à la réalisation de l’achèvement du marché intérieur. À l’origine, le problème était simple : il fallait soit une reconnaissance mutuelle des labels nationaux existants4 soit un label européen. Le premier label communautaire de 1992 surmonte les divergences entre États membres par l’adoption d’un label doublement optionnel (se faire labéliser ou pas, choisir un label national ou le label communautaire), laissant subsister les dispositions natio-

(*) Professeur à l’Université de Nice Sophia Antipolis, GREDEG/CREDECO UMR 7321 CNRS. L’auteur peut être contactée à l’adresse : laurence.boy@gmail.com. (1) Ch. Joerges, « La Constitution économique européenne en processus et en procès », R.I.D.E., 2006/3, p. 245. (2) L. Boy, « L’information volontaire du consommateur : le label vert communautaire », in N. Boucquey (éd.), Le droit européen des consommateurs et la gestion des déchets, coll. Droit et consommation, no 39, Louvain-la-Neuve, C.D.C., 1999, p. 97. (3) Il est attribué à des produits dont les répercussions sur l’environnement et la santé publique sont limitées. Il est suivi d’un label matériaux écologiques allemand (IBR). (4) Solution qui avait la préférence des Allemands qui y avaient intérêt, étant les seuls à disposer d’un label connu.


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Analyse nales à côté du texte communautaire. C’est à l’époque une logique principalement marchande de libre circulation des marchandises qui prévaut. Cette logique de coconstruction du marché unique consistant à réaliser pleinement le marché avait présidé en premier à l’harmonisation de la sécurité alimentaire par la voie de la normalisation obligatoire minimale accompagnée de la reconnaissance mutuelle.

qu’avec l’écolabel communautaire, l’environnement acquiert une valeur concurrentielle. Celle-ci s’est traduite par le choix d’un label volontaire qui renouvelle la raison concurrentielle.

La préoccupation première qui animait les autorités communautaires était l’intégration européenne par le marché. Pour les produits de consommation courante, elle s’est réalisée surtout à partir de la « nouvelle approche » par le recours7 à la normalisation et à la certification qui ont permis d’assurer la libre circulation des marchandises. Cette dernière a mis l’accent sur les notions d’harmonisation, de reconnaissance et d’équivalence8. Le choix du label écologique communautaire s’inscrivait donc dans cette nouvelle approche : l’idée était de s’inscrire dans une logique de libre circulation, mais en affichant aussi un objectif environnemental. L’écolabel est consacré en 19929 comme outil faisant appel aux pouvoirs publics et aux opérateurs privés permettant aux produits labélisés de circuler librement dans l’Europe sur la base d’un « plus » concurrentiel intégrant dans la logique marchande une valeur, au départ, non marchande : la protection de l’environnement.

L’idée originaire des autorités communautaires a été de n’agréer des critères que pour dix à douze « groupes » de produits afin que le système soit « visible » pour les consommateurs. Dans la plupart des États, les industriels avaient déjà entrepris nationalement des travaux sur tel ou tel type de produits et les organes compétents nationaux ont été associés dès le départ aux travaux. L’article 3, c, du règlement définissait la « catégorie de produits » comme « les produits destinés à un même usage et pouvant être utilisés de manière équivalente », alors que l’article 5 disposait que « chaque catégorie de produits est définie de façon à garantir que tous les produits en concurrence, destinés à un même usage et pouvant être utilisés de manière équivalente », doivent être regroupés au sein d’une même catégorie. Mais ce sont surtout les critères de labélisation qui traduisaient à l’origine la prééminence d’une logique concurrentielle sur une logique écologique. Outre le fait que ces critères devaient toujours être définis à partir de parts de marché, ils devaient aussi être lisibles par le consommateur-arbitre. Les critères écologiques « doivent être précis, clairs et objectifs afin d’assurer leur application uniforme par les organismes compétents. Ils doivent garantir un haut niveau de protection de l’environnement, être fondés, dans la mesure du possible, sur l’utilisation de technologies propres et, le cas échéant, refléter l’opportunité d’une optimisation de la durée de vie des produits »11. La définition des critères écologiques et l’attribution du label reposaient donc a priori sur une connaissance scientifique de l’impact du produit sur l’environnement12. On imagine immédiatement les difficultés inhérentes à toute définition scientifique des critères écologiques (incertitudes, absence de méthodes normalisées ou reproductibles, malgré les progrès de l’analyse du cycle de vie). Il semble surtout que le poids conjugué des scientifiques et des industriels a conduit dès le départ à une mise en œuvre avant tout économique des critères. C’est ainsi que les critères considérés comme « non immédiatement praticables », avaient été généralement différés13, ce qui ne paraît pas véritablement compatible avec la notion même de label écologique.

La rationalité concurrentielle de l’écolabel est évidente. Celui-ci s’appuie avant tout sur les vertus du marché. Il fallait, cependant, que les critères soient rigoureux pour que les consommateurs puissent être certains de la qualité écologique des produits symbolisés par le label. C’est ainsi que, dès le départ et, contrairement, à l’Ange Bleu, il a été décidé de faire une analyse obligatoire des produits labélisables du berceau à la tombe. Si l’unification d’un espace économique (l’Europe) s’est fondée sur le « totalitarisme économique » 10 , le paradoxe, cependant, est

Au départ, ce sont donc surtout des considérations économiques qui ont prévalu, tant en ce qui concerne les catégories de produits labélisables que les critères de labélisation, même si, in fine, les préoccupations environnementales ont été prises en considération. Le règlement modificatif du 17 juillet 2000, davantage marqué par la logique environnementale, a apporté un certain nombre des progrès tant en ce qui concerne les catégories de produits labélisables que les critères de labélisation qui font une plus large place à l’analyse complète du processus de production jusqu’à

Malgré une première révision en 20005 renforçant les logiques consuméristes (amélioration de l’information du public et des performances environnementales), les objectifs de la Commission n’ont pas été atteints. L’insuffisante diffusion du label dans l’industrie, notamment les P.M.E., et sa mauvaise connaissance par les consommateurs font que le label volontaire européen ne concerne que 1% des produits alors que la Commission tablait sur 10%. Après de très vifs débats, le règlement (CE) no 66/2010 du Parlement et du Conseil établissant le « label écologique de l’Union européenne » est adopté le 25 novembre 20096. Celui-ci renforce ainsi la triple logique du premier label : concurrentielle, consumériste et environnementale.

A. La logique concurrentielle

(5) Règlement (CE) no 1980/2000 du Parlement européen et du Conseil du 17 juillet 2000 relatif au système communautaire révisé d’attribution du label écologique, J.O. L 237 du 21 septembre 2000, p. 1. (6) Règlement (CE) no 66/2010 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 établissant le label écologique de l’Union européenne, J.O. L 27 du 30 janvier 2010, p. 1. (7) D. Walbroeck, « Harmonisation des règles et des normes techniques dans la CEE », Cahiers de droit européen, 1988, p. 243. (8) La nouvelle approche a renouvelé l’harmonisation dans la mesure où, en dehors des « exigences essentielles », il y a un renvoi à la normalisation privée élaborée par le C.E.N., le C.E.N.E.L.E.C. et l’E.T.S.I. (9) Règlement (CEE) no 880/92 du Conseil du 23 mars 1992, concernant un système communautaire d’attribution du label écologique, J.O. L 99 du 11 avril 1992, p. 1. (10) A. Pirovano, « Justice étatique, support de l’activité économique », Revue Justices, no 11995, no 1. Sur l’inondation du monde par la rationalité marchande : J.-P. Dupuy, Le sacrifice et l’envie, Paris, Calman-Lévy, 1992. (11) Article 5 du règlement du 23 mars 1992. (12) En France, selon le directeur adjoint de l’INERIS, Président du conseil scientifique de la marque N.F. environnement, le règlement technique « doit être basé sur des connaissances scientifiques, faire appel à des méthodes d’essai normalisées ou reconnues internationalement, méthodes appliquées dans des laboratoires accrédités. Les résultats concernant chacune des exigences et les décisions concernant l’attribution de la marque ne doivent pas faire l’objet de contestations ». « Les écolabels », séminaire 28 et 29 septembre 1992, Paris. (13) En France, l’importance de la liste d’exigences différées dans le règlement « peintures et vernis » avait suscité le départ de l’U.F.C. (Union fédérale des consommateurs) du Comité de marque.


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Analyse son utilisation, avec le concept émergent de consommation durable. L’enjeu de la définition des « catégories de produits » était essentiel du point de vue de la protection de l’environnement. En effet, si l’on exige que les produits soient en concurrence14, on réduit le marché à prendre en considération et seuls certains produits sont comparés et pas d’autres (les deux roues à moteur ne seront pas comparés aux vélos ni les sprays aux aérosols rechargeables), et ce au détriment de l’étude d’impact sur l’environnement15. Au contraire, une étude plus large et comparative entre différents matériaux pouvant remplir le même objet (papier, plastique) ou entre plusieurs produits pouvant satisfaire un même besoin (vélos et deux roues, aérosols à pompe et aérosols rechargeables) permet d’identifier les opportunités les plus grandes pour réduire les impacts sur l’environnement. Le règlement de juillet 2000 a présenté sur ce point un progrès incontestable en définissant alors la « catégorie de produits » comme « tous les produits ayant la même finalité et qui sont équivalents en ce qui concerne l’usage et la perception par le consommateur »16. Même si une catégorie de produits peut être subdivisée en sous-catégories du point de vue du droit de la concurrence, cette nouvelle définition s’est montrée capable d’assurer une meilleure protection de l’environnement. L’extension des produits s’est faite aux services et les autorités se sont montrées sensibles au domaine des entreprises visées en souhaitant que les P.M.E. puissent plus aisément s’inscrire dans la politique de labélisation environnementale. Les règlements communautaires ont confié à la Commission un rôle majeur dans la vie du label. Celle-ci, consciente du caractère évolutif de ce dernier, a, dès novembre 2000, pris une décision instituant le Comité de l’Union européenne pour le label écologique (C.U.E.L.E.), chargé notamment de contribuer « à l’établissement et à la révision des critères du label écologique ainsi qu’à ceux des exigences en matière d’évaluation et de vérification »17. La Commission demeure seule compétente pour entamer la procédure de révision18. Il est intéressant de noter que la Commission doit veiller à ce que le C.U.E.L.E. garantisse une plus large participation des parties concernées qu’il s’agisse de l’industrie ou des services, des P.M.E. et des artisans ou des organisations de consommateurs et de protection de l’environnement. L’idée était de répondre en partie au risque de confiscation de la politique environnementale au profit d’intérêts privés puissants et se réclamant du court terme, en ouvrant concrètement la labélisation à de nouvelles valeurs consuméristes et environnementales.

B. La logique consumériste Ces dernières années le droit de la consommation a été le témoin de ce que la seule logique économique qui présidait à la concurrence s’est ouverte à de nouvelles préoccupations consuméristes autres que le prix qui, même si elles ne sont que secondes, ont été intégrées dans la logique concurrentielle : information, protection de la sécurité et de la santé. C’est ainsi que le droit européen permet de dégager cinq catégories fondamentales : la santé et la sécurité, la protection des intérêts économiques des consommateurs, la réparation des dommages et le règlement des litiges, l’information et l’éducation et la représentation19. Dans une logique de marché et pour répondre à l’asymétrie d’information, surtout en ce qui concerne les biens dits d’experts, le recours à l’étiquetage informatif est apparu comme l’exigence minimale permettant d’assurer le succès de la diffusion des produits « favorables » à l’environnement. Les consommateurs ont pris conscience qu’ils peuvent faire une distinction positive et contribuer activement à protéger l’environnement en achetant des produits aux répercussions écologiques moindres. La question de l’information des consommateurs soulève des problèmes de lisibilité, problèmes accrus dans un marché comme l’Europe (27 pays aujourd’hui). Le système de label écologique européen est donc apparu comme un moyen simple de les aider à choisir en connaissance de cause les produits. Les modalités de reproduction du logotype Ecolabel européen, ont été définies et toute annonce erronée expose son titulaire à des poursuites pour fraude et/ou publicité mensongère20. Ce logo de fleur est aujourd’hui reconnu dans toute l’Europe et couvre un large éventail de groupes de produits, permettant de reconnaître plus facilement les produits de qualité qui imposent un tribut moins lourd à l’environnement. Les professionnels ont donc tout intérêt à l’apposer sur leurs produits et à le mentionner dans leurs documents, publicitaires notamment.

La logique économique s’est ouverte à de nouvelles préoccupations

Cette sensibilisation du consommateur a fait l’objet d’une attention particulière de la Commission dans sa décision du 9 février 2006 établissant le plan de travail pour le label écologique communautaire21. Par ailleurs, dans un souci de mener une politique davantage « proactive », la Commission a aussi demandé aux États membres de promouvoir le label écologique auprès des responsables des marchés publics. À cette fin, dans une communication adoptée le 16 juillet 2008 par la Commission européenne,

(14) Sur la notion de marché pertinent : M.-C. Boutard-Labarde et D. Bureau, « La détermination du marché pertinent », R.J.D.A., 1993, p. 743. (15) T. Baumgartner et F. Rubick, « Technic evaluation for eco balance and life cycle assessment », European environment, juin 1993. (16) Article 4, § 3. (17) Décision du 10 novembre 2000 sur le Comité de l’Union européenne pour le label écologique et établissant son règlement intérieur, J.O. L 237 du 12 novembre 2000, p. 1. (18) C’est ainsi qu’ont été améliorés les critères de labélisation des lave-linge et lave-vaisselle. À ce jour, la gamme des produits labélisables a été élargie. Elle vise les détergents pour textiles, les ampoules électriques, les tubes électriques, les lave-linge, le papier à copier, les réfrigérateurs, congélateurs, les papiers absorbants, hygiéniques et de cuisine, les amendements pour sols, les matelas, les peintures et vernis de décoration intérieure, les articles chaussants, les ordinateurs personnels, les produits textiles, les lave-vaisselle et récemment les savons et shampooings ... Il s’agit donc de produits de consommation courante, dont la liste ne cesse d’évoluer. Ainsi une récente décision de la Commission du 16 août 2012 a établi les critères relatifs au papier imprimé (J.O. L 223 du 21 août 2012, p. 55). La décision de novembre 2000 contient en outre une liste assez longue de catégories de produits prioritaires à proposer à la labélisation dont les services de transport de passagers, les systèmes de chauffage de locaux, les sacs et filets à provisions les sacs-poubelles, le petit électroménager, les photocopieurs, les fonds d’investissement socialement responsables et la climatisation. ( 1 9 ) O n pourrait aisément critiquer le contenu concret de ces droits, notamment l’absence injustifiable à nos yeux de l’action de groupe. (20) Chaque produit certifié doit porter le logotype Ecolabel européen conformément aux dispositions définies dans l’annexe II du règlement (CE) no 66/2010 du 25 novembre 2009 et défini dans la charte graphique. Lorsque le produit ne peut être marqué, le logotype Ecolabel européen doit être porté sur son emballage. (21) Décision 2006/402/CE de la Commission du 9 février 2006 établissant le plan de travail pour le label écologique communautaire, J.O. L 162 du 14 juin 2006, p. 78. « L’élargissement à dix nouveaux États membres, en mai 2004, a modifié les conditions de développement du label écologique communautaire et la manière dont ce dernier contribue à la communication et à la sensibilisation en matière d’environnement. Un label écologique paneuropéen clair, tel que la fleur, permettrait aux consommateurs de toute l’Europe d’“écologiser” leurs achats, mais également de mieux comprendre les labels de type I ».


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Analyse l’Europe a formulé des orientations sur les moyens de réduire les incidences environnementales dues à la consommation du secteur public et d’utiliser les marchés publics écologiques (M.P.E.) pour stimuler l’innovation dans les technologies, les produits et les services environnementaux. Elle proposait que d’ici à 2010, 50% de toutes les procédures d’adjudication soient écologiques, et ce à tout niveau de procédure : spécifications techniques, critères de sélection, critères d’attribution et clauses contractuelles22. La Commission a souhaité encore récemment stimuler les marchés publics écologiques qui constituent un instrument efficace de promotion des produits et des services respectueux de l’environnement et encouragent l’éco-innovation, contribuant ainsi au développement durable23. Pourtant, et malgré l’importance de ces marchés, on ne peut qu’être dubitatif sur les résultats de cette démarche proactive quand on connaît l’attitude des magistrats en matière de clauses environnementales et sociales. Compte tenu de l’interprétation des textes communautaires, l’exigence d’un critère environnemental ou social, pose de sérieuses difficultés en droit interne et communautaire. Cela tient à ce qu’il doit exister un lien entre les critères et l’objet des obligations du contrat public. L’interprétation d’une telle exigence faite tant par la Cour de justice24 que par le Conseil d’État français25, est particulièrement inadaptée à la prise en compte des critères social et environnemental d’attribution des marchés26. Mais c’est aussi, plus en amont, en associant les intéressés, dont les entreprises (surtout les plus puissantes27) et les consommateurs à l’élaboration des labels (définition des catégories de produits et des exigences essentielles) et en renforçant la présence des associations de consommateurs et de défense de l’environnement que ce sont manifestées les logiques consuméristes et environnementales du label.

C. La logique environnementale Elle explique sans doute l’exclusion de départ de l’agriculture et des produits agroalimentaires du champ du label. Éclatent dans les années 1980 les ravages liés à l’agriculture intensive européenne (pesticides, engrais) alors qu’une « image verte » de l’agriculture avait dominé jusque-là. D’autres labels alimentaires de qualité existaient déjà (le label « Bio ») ou vont voir le jour. Mais les préoccupations environnementales progressent28 peu à peu tant par l’extension des catégories de produits labélisables (de dix à une cinquantaine espérée en 2015) que par les critères de labélisation. C’est ainsi que les lave-linge et lave-vaisselle, par exemple, ont fait l’objet de révisions.

En 2009 pour atteindre ses objectifs, la Commission a estimé nécessaire de procéder à une simplification de la procédure d’élaboration des critères spécifiques aux catégories de produits et services et d’alléger la procédure de vérification et le coût de l’écolabélisation. La première de ses propositions se prononçait en faveur de l’abandon du contrôle par tierce partie pour un système d’autodéclaration des postulants. Elle a soulevé immédiatement de vives résistances de certains États membres dont la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni, dans la mesure où elle risquait de discréditer totalement l’écolabel. La Commission y a finalement renoncé. En revanche, a été autorisée la proposition de bâtir une meilleure synergie avec d’autres mesures nationales, ou communautaires, comme l’exploitation des travaux qui ont déjà été réalisés par d’autres : par exemple, par les labels nationaux des États membres29. La nouvelle procédure comportait en effet le risque d’affaiblir l’écolabel européen30. Cela signifiait, en effet, que des produits non conformes au label communautaire auraient pu porter le logo et circuler sur le marché tant qu’un contrôle a posteriori n’aurait pas été effectué. Par ailleurs, pour des raisons de simplification et de réduction des charges administratives dans les entreprises, la Commission a proposé de réduire les redevances annuelles versées par les entreprises. Devant les difficultés que soulèvent les produits agroalimentaires (y compris pêche et aquaculture), le règlement de 2009 n’a pas posé le principe de leur inclusion automatique, mais charge (article 6) la Commission de faire une étude sur la « faisabilité de l’établissement de critères fiables en matière de performance environnementale » en tenant compte de la « possibilité que seuls les produits certifiés biologiques puissent être éligibles... afin d’éviter toute confusion chez les consommateurs » (article 6. 5)31. S’agissant des critères de labélisation, les exigences se sont renforcées depuis le premier label de 1992. Ce dernier instituait un système destiné à promouvoir les produits « ayant une incidence moindre sur l’environnement ». Aujourd’hui, c’est la « performance environnementale » qui est visée, en incluant le processus de production. Le critère de labélisation s’est enrichi de la référence (article 6) à l’incidence sur la nature et la biodiversité, la consommation d’énergie et de ressources... le potentiel de réduction des incidences environnementales... le cas échéant, les aspects sociaux et éthiques ». Si la logique environnementale s’est incontestablement enrichie, elle se dissout en partie dans des labels comme les labels de qualité et porteurs d’une volonté de conquête des marchés.

(22) Une mallette de formation (toolkit) a été développée pour les marchés publics écologiques, à l’intention de l’ensemble des acteurs concernés, dont les P.M.E. [http ://ec.europa.eu/environment/gpp/pdf/toolkit/gpp_introduction_fr.pdf]. (23) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 16 juillet 2008 relative à des marchés publics pour un environnement meilleur [COM(2008) 400 final, non publié]. (24) Commission c. France, 26 septembre 2000, aff. C-225/98, Rec., p. I-7445, conclusions S. Alber, A.J.D.A., 2000, p. 1055, note C. Lambert; J.T.D.E., 2000, no 74, p. 245, note P. Lefèvre. (25) C.E. 10 mai 1966, Fédération nationale des travaux publics et Fédération nationale du bâtiment, Lebon, p. 164; A.J.D.A., 1997, p. 196, note S. Maljean-Dubois. P.-M. Lavoillotte; « L’environnement dans le nouveau Code des marchés publics - L’affirmation du contrat au service de l’environnement », A.J.D.A., 8 novembre 2008, p. 2081. (26) C.J.C.E., 26 septembre 2000, C-225/98, Rec., p. I-7445; C.E., 10 mai 1996, Rec., Lebon, p. 164. (27) J.-B. Racine, « Normalisation, certification et droit de la concurrence », R.I.D.E., 1998/2, p. 146. L’auteur observe, exemples à l’appui, que les normalisations et certifications sont, par ailleurs, des phénomènes porteurs de risques d’atteintes à la concurrence, notamment du fait des opérateurs les plus puissants, en état parfois d’imposer leurs propres normes. (28) Les considérants du règlement du 25 novembre 2009 sont extrêmement clairs à ce propos. (29) Ainsi que par le réseau mondial d’écoétiquetage, ou dans le cadre d’autres travaux de la Commission, tels que ceux liés à la directive sur l’écoconception des produits liés à l’énergie (voy. texte E 3931). (30) Actuellement, dans chaque État membre, un ou plusieurs organismes compétents sont chargés d’instruire les demandes d’attribution du label écologique communautaire au plan national. En France, c’est la filiale « Certification » de l’AFNOR qui remplit cette mission. L’instruction des demandes s’effectue avant la mise sur le marché du produit selon un système dit de « vérification a priori par tierce partie ». (31) Voy. infra, partie 2.


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Analyse 3 La conquête de marchés

internationaux par la qualité agroalimentaire

L’Union européenne, consciente des atouts de son agriculture, a développé deux signes distinctifs de qualité relatifs aux produits agricoles : l’appellation d’origine (A.O.P.) et l’indication géographique de provenance (I.G.P.) avec les particularités les différenciant des autres droits de propriété intellectuelle32. Celles-ci reposent sur la reconnaissance d’un lien plus ou moins fort entre une zone géographique et les caractéristiques et la réputation d’un produit. Elles répondent à une logique de segmentation des marchés et de niches. Les signes de qualité permettent de préserver une diversité culturelle et une tradition de qualité. Le lien avec le terroir est plus ou moins fort. Par ailleurs, un règlement crée la spécialité traditionnelle garantie (S.T.G.) qui, pour, sa part, met en valeur la composition traditionnelle d’un produit ou son mode de production traditionnel33. Si aucun de ces signes ne vise expressément la protection de l’environnement, les signes de qualité distinguent des produits généralement plus traditionnels et moins polluants que ceux issus de l’agriculture intensive et de l’agro-industrie. Il fallait cependant aussi et dans le même temps réconcilier l’image de l’agriculture polluante avec la protection de l’environnement.

A. Réconcilier agriculture, environnement et éthique Nous avons vu qu’en 2009, la Commission européenne afin de faire en sorte que les produits agricoles et alimentaires, y compris ceux de la pêche et de l’aquaculture, soient concernés par le nouveau label vert, était chargée de faire une étude sur la « faisabilité de l’établissement de critères fiables en matière de performance environnementale » en tenant compte de la « possibilité que seuls les produits certifiés biologiques puissent être éligibles... afin d’éviter toute confusion chez les consommateurs » (article 6, § 5)34. On ne sait encore sur quels critères ce nouveau label sera fondé. Le règlement dispose pour sa part que le cahier des charges doit reposer « sur la performance environnementale des produits, compte tenu des objectifs stratégiques les plus récents de la Communauté dans le domaine de l’environnement ». Pour l’heure, l’EU consacre déjà un label bio qui a fait l’objet de critiques et le label commerce équitable, lequel vise aussi les produits de l’artisanat.

thode de production agricole offrant au consommateur une nourriture authentique et en respectant les cycles naturels des plantes et des animaux, mais encore la filière bio qui comprend la préparation des aliments, la distribution, le commerce de détail et au final, les consommateurs. Les premiers textes communautaires ont été complétés pour de nouveaux produits. Cette législation biologique de l’Union européenne établit les dispositions pour la production végétale et l’élevage et pour le traitement des aliments et fourrages pouvant être étiquetés comme biologiques. La conformité à la législation biologique de l’Union européenne est exigée pour tous les produits portant le logo Bio de l’Union européenne36. Devenu obligatoire, celui-ci atteste que les produits contiennent au moins 95% d’ingrédients issus du mode de production biologique, sont conformes aux règles du système officiel de contrôle et certification et portent le nom du producteur, du préparateur ou du distributeur, ainsi que le nom ou le code de l’organisme de certification. Reste que ce label est critiqué par les « puristes », ce qui explique que les logos nationaux et privés peuvent toujours être utilisés, comme c’est le cas en France. En effet, par rapport à l’ancien cahier des charges français, un certain nombre de tolérances ont été introduites : la tolérance O.G.M., l’assouplissement des règles concernant l’élevage, la protection de l’environnement, la biodiversité, ainsi que la possible mixité d’une exploitation bio et non bio, ce qui remet fortement en cause les « fondamentaux » de l’agriculture biologique37. Malgré ces différences entre les labels bio, les produits alimentaires de l’agriculture biologique sont les plus contrôlés. L’agriculture biologique reste toujours le mode de production qui respecte le plus l’environnement, la qualité de l’eau, la biodiversité, et le bien-être animal... Chaque année un nombre croissant d’agriculteurs conventionnels se convertissent au bio. En schématisant, on peut dire que les différents labels bio, selon leur degré d’exigences traduisent une dualité entre, d’une part, un modèle agricole strict, d’autre part, une politique de niche commerciale correspondant fondamentalement à la démarche européenne associant libre marché et exigences minimales environnementales. On note donc un relatif succès bio, comme d’ailleurs du commerce équitable, qui ajoute à la protection de l’environnement la protection sociale. Avec le bioalimentaire on est déjà à cheval sur différentes logiques, notamment la qualité, la protection de environnement et de la santé (contrôle de l’utilisation des pesticides), mais on reste avant tout dans du « label vert ». Le brouillage des logiques et la confusion entre labels sont accrus par la consécration du commerce équitable.

1. Les labels bio Depuis quelque temps déjà, l’Europe a entendu associer alimentation et protection de l’environnement, ce qui n’était pas évident compte tenu de la réputation, largement justifiée d’ailleurs pour l’agriculture intensive, de pollueur associée au monde agricole. Des expériences nationales existaient déjà avec plus ou moins de succès, notamment au Royaume-Uni (organic food) lorsque sont adoptés les premiers textes communautaires35. L’alimentation bio vise non seulement l’agriculture biologique elle-même qui est une mé-

2. Les labels commerce équitable Le commerce équitable s’est développé dans les pays européens, mais au niveau communautaire officiel, il est resté au stade des encouragements. Une communication du 29 novembre 1999 non publiée au J.O.38 visait à lancer le processus de l’élaboration de la doctrine de la Communauté relative au commerce équitable. Il y était clairement affiché que celui-ci ne fera pas l’objet de dispositions spécifiques, mais qu’il « s’inscrit dans le cadre des objectifs

(32) Règlement (CE) no 510/2006 du Conseil du 20 mars 2006, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, J.O. L 93 du 31 mars 2006, p. 12. (33) Règlement (CE) no 509/2006 du Conseil du 20 mars 2006, relatif aux spécialités traditionnelles garanties des produits agricoles et des denrées alimentaires J.O. L 93 du 31 mars 2006, p. 1. (34) Voy. infra, partie 2. (35) Règlement (CE) no 889/2008 du 5 septembre 2008 portant modalités d’application du règlement (CE) no 834/2007 du Conseil relatif à la production et à l’étiquetage des produits biologiques en ce qui concerne la production biologique, l’étiquetage et les contrôles, J.O. L 250 du 18 septembre 2008, p. 1. Voy. L. Boy, « Production, étiquetage et contrôles des produits « bio » en droit communautaire », Droit de l’environnement, 2009, no 153. (36) Règlement (UE) no 271/ 2010 de la Commission du 24 mars 2010 modifiant le règlement (CE) no 889/2008 portant modalités d’application du règlement (CE) no 834/2007 du Conseil en ce qui concerne le logo de production biologique de l’Union européenne, J.O. L 84 du 31 mars 2010, p. 19. (37) Parmi ces fondamentaux, il y a le refus des O.G.M., contrairement au nouveau label européen qui en tolère jusqu’à 0,9%. (38) Http ://europa.eu/legislation_summaries/external_trade/ r12508_fr.htm.


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Analyse plus larges de la Communauté en matière de la coopération au développement, c’est-à-dire la lutte contre la pauvreté, le développement économique et social et notamment l’insertion progressive des pays en développement dans l’économie mondiale ». La mission des autorités ne vise qu’à l’encourager et à en améliorer la surveillance et le contrôle. Ici encore, ce label ne vise pas principalement la protection de l’environnement, néanmoins il associe ce signal du marché à une démarche sociale et indirectement environnementale (méthode traditionnelles de culture). Il connaît un incontestable succès, et aujourd’hui huit labels se revendiquent du commerce équitable : Ecocert Equitable, Fair for Life, FairWild, Fairtrade International (Max Havelaar), Forest Garden Products, Naturland Fair, Main dans la Main et WFTO, tous présents sur le marché français ou européen. Dans le cadre d’une économie toujours plus mondialisée et encadrée strictement par le droit de l’O.M.C., l’Europe a, en outre, engagé depuis longtemps une politique de conquête des marchés extérieurs, notamment avec ses labels de qualité.

B. Conquérir des marchés à l’exportation Certains pays avaient mis en place des signes nationaux de qualité (pays du sud de l’Europe), systèmes sui generis, qui se traduisait généralement par l’enregistrement officiel national des dénominations protégées. Aussi, quelques décennies avant l’Accord A.D.P.I.C. de l’O.M.C., l’Europe avait mis un outil visant à harmoniser ces signes au niveau communautaire, principalement dans une logique d’unification du marché. Depuis 1992, le règlement (CE) no 2081/92, remplacé en 2006 par le règlement (CE) no 510/ 06, la logique de protection des I.G. s’est ainsi étendue à tous les pays membres de l’Union européenne, avec la création des appellations d’origine protégées (A.O.P., équivalant à l’A.O.C.) et des indications géographiques protégées (I.G.P.) 39 . L’A.O.C. « à l’européenne » est une construction extrêmement complexe, qui intègre de nombreux paramètres comme la gestion des marchés, le développement rural et la protection du patrimoine et, indirectement, de l’environnement40.

1. Appellations d’origine et indications géographiques La spécificité de ces signes réside dans plusieurs éléments. Il y a d’abord une implication des pouvoirs publics, généralement beaucoup plus forte qu’avec les autres droits de propriété intellectuelle. Les noms géographiques appartiennent au domaine public, conférant de ce fait un rôle important aux autorités publiques dans l’enregistrement des I.G., sans oublier les aspects liés à la nature collec-

tive de ce droit. Ensuite, la reconnaissance juridique d’une I.G. ne confère généralement qu’un droit d’usage, et non de propriété, aux producteurs qui se conforment au cahier des charges. Ainsi, contrairement aux autres droits de propriété intellectuelle dont la défense dépend de l’action de ses titulaires, la défense des signes de qualité est souvent assumée par les autorités publiques, tant sur le terrain de la répression des fraudes que dans le cadre des négociations internationales. Cette implication des pouvoirs publics, essentielle dans les négociations internationales41, ne doit pas dissimuler les importants enjeux économiques pour les entreprises.

2. Compatibilité avec le commerce mondial Pouvoirs publics et pouvoirs privés ont des intérêts intimement liés, comme en témoigne l’attitude offensive de l’Europe à l’O.M.C. dans le conflit qui l’a opposée aux États-Unis d’Amérique. La protection des indications géographiques par la réglementation communautaire a posé des problèmes de compatibilité avec l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle applicables au commerce (A.D.P.I.C.), les États-Unis dénonçant la non-conformité du règlement européen à celui-ci, estimant qu’il est synonyme de protectionnisme42 et qu’il constitue une barrière non tarifaire au commerce43. La question qui s’est posée était de savoir si la protection juridique et la réservation exclusive des dénominations d’origine européennes des I.G.44sont réellement des conditions indispensables à la production de biens qui présentent des caractéristiques d’origine, à l’information et à la satisfaction des consommateurs ou si elles ne sont pas en réalité des instruments de protectionnisme et de défense d’intérêts corporatistes45. Afin de répondre à ces critiques, le règlement 2081 avait été amendé en 200346 afin de préciser les conditions permettant l’enregistrement d’I.G. non européennes, ce qui était nécessaire pour qu’il ne puisse être accusé d’être discriminatoire au vu des obligations de l’accord A.D.P.I.C. liées au traitement national. Ces interrogations ont été au cœur des controverses européennes et internationales suscitées par l’élimination des entraves non tarifaires aux échanges, objectif premier de l’Organisation mondiale du commerce47. Sur cette question de la légitimité, eu égard à l’objectif de libéralisation des échanges, pour justifier de la réservation exclusive d’un signal de qualité et de l’appropriation de sa valeur économique, il faut démontrer que les caractéristiques d’origine ont un fondement scientifique (par exemple la « typicité » d’un produit est déterminée par les caractéristiques particulières du « terroir »). Il est également indispensable de montrer que la caractéristique d’origine ainsi mise en exergue mérite d’être protégée du fait de la valeur économique que lui accorde le consommateur48. La question restait de savoir si la procédure d’enregistrement était ou non conforme au droit de

(39) La Suisse a adopté un système similaire en 1999. (40) Sylvander et al., « Les signes officiels de qualité et d’origine européens », Économie rurale, 3/2007 (no 299), p. 7. (41) L. Boy, « Quel rôle pour la politique de la concurrence dans les négociations internationales? », Économie rurale, 2003, no 277. (42) L. Boy, « Propriété intellectuelle, l’agriculture en première ligne avec l’accord A.D.P.I.C. », Déméter 2002, Armand Colin, p. 67. (43) Sont visées, entre autres, les « réglementations techniques » ou les réglementations restrictives sous couvert de santé, de qualité, d’environnement et d’éthique Les principaux accords concernés sont : l’Accord sur les obstacles techniques aux échanges (TBT), l’Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) et, plus particulièrement pour ce qui concerne les indications géographiques, l’A.D.P.I.C.; Delphine Marie-Vivien et Erik Thévenod-Mottet, « Avenir des indications géographiques dans le contexte international », Revue suisse agric., 2009, 41 (6), pp. 331-335; « Une décision de l’organe de règlement des différends de l’O.M.C. - Quels impacts pour la protection internationale des indications géographiques? », Économie rurale - Enjeux internationaux et institutionnels des signes de qualité et d’origine, no 299, 2007, p. 58. (44) Celles qui correspondent en gros à l’article 23 de l’A.D.P.I.C. mentionnant un niveau de protection « supérieur » uniquement pour les vins et spiritueux. Il s’agit en fait d’un droit de propriété normal, ne nécessitant pas pour sa protection de se placer sur le terrain de la concurrence déloyale. (45) C. Charlier, « Le respect du traitement national dans le règlement européen 2081/92 : une analyse du différend “Communautés européennes - Protection des marques et des indications géographiques pour les produits agricoles et les denrées alimentaires” », Au nom de la qualité, actes du colloque SFER/ ENITA, Clermont-Ferrand, 5-6 octobre 2005, p. 441; J. Hugues, « The Spirited Debate over Geographic Indications », Law Review, 2003, vol. XX, no X. (46) Règlement (CE) no 692/2003 du Conseil du 8 avril 2003 modifiant le règlement (CEE) no 2081/92 relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, J.O. L 99 du 17 avril 2003, p. 1. (47) L. Lagrange et E. Valceschini, « Enjeux internationaux et institutionnels des signes de qualité et d’origine », Économie rurale - Enjeux internationaux et institutionnels des signes de qualité et d’origine, no 299, 2007, p. 4. (48) L. Lorvellec, « La protection internationale des signes de qualité - Droit et négociations internationales », Actes et communications, 1999, Paris, INRA, no 16.


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Analyse l’O.M.C., notamment au principe cardinal du traitement national. L’enjeu était de taille sur le fond, l’Union européenne voulant protéger et exporter non seulement ses propres produits mais aussi son modèle normatif de la qualité.

L’Union européenne a mis en place une nouvelle réglementation

Selon les parties, chacune aurait gagné dans ce différend49. Sans discuter de leurs arguments, on peut dire qu’il s’agit en réalité sur le fond d’une semi-victoire pour l’Europe et pour les États-Unis relativement à la procédure d’enregistrement. Le système n’est pas contesté en lui-même, mais dans ses modalités. Aussi, le 20 mars 2006 le nouveau règlement européen 510/2006 sur la protection des appellations d’origine et des indications géographiques est entré en vigueur afin de mettre la réglementation européenne en conformité avec la décision de l’organe de règlement des différents de l’O.M.C., abrogeant le règlement 2081/92. Les mêmes droits sont maintenant dévolus à tous les demandeurs dans le traitement des I.G. des pays tiers. Cela signifie que les demandeurs des pays tiers peuvent déposer directement les demandes d’A.O.P. ou d’I.G.P. auprès de la Commission, selon les mêmes modalités que pour les demandes émanant des ressortissants européens, plus les éléments démontrant que l’I.G. est protégée dans son pays d’origine. La faculté de passer par le gouvernement du pays d’origine demeure ouverte. Pour les demandeurs européens, l’obligation d’examen préalable de la demande par l’État membre de l’Union européenne sur le territoire duquel l’I.G. est localisée est maintenue. L’Union européenne a donc mis en place une nouvelle réglementation respectant le principe du traitement national. En outre, le nouveau règlement n’impose plus que les règlementations des pays tiers soient équivalentes à celles de l’Union européenne. Subsiste donc le risque qu’arrivent devant la Commission des demandes d’I.G. venant de pays tiers et qui sont protégées dans leur pays d’origine selon des critères tout à fait différents du règlement européen50. La question se pose donc de savoir comment la Commission européenne pourra traiter les demandes en provenance des pays tiers et en provenance des États membres de l’Union européenne de manière équivalente51. Reste que cette affaire a cristallisé autour de l’Europe une mobilisation d’autres pays, notamment les petites et moyennes entreprises afin de faire reconnaître pour l’avenir d’autres savoirs, notamment les « savoir-faire traditionnels »52. En effet, les indications géographiques peuvent constituer, dans certains cas, un moyen particulièrement efficace de protection des savoirs traditionnels53, notamment afin d’identifier les produits provenant

d’une « zone protégée » au sens de l’article 1er de la Convention sur la biodiversité (C.D.B.), lorsque les producteurs décident de conjuguer leurs normes de production collective et autres savoirs traditionnels avec les objectifs de conservation54. L’idée est que, dans la mesure où les savoirs traditionnels évoluent de manière constante, ils doivent bénéficier de la même protection que les indications géographiques, en particulier en ce qui concerne la durée de la protection55. Leurs opposants répondent que s’il existe effectivement certaines similitudes entre indications géographiques et savoirs traditionnels, (le lien avec les communautés locales), une différence fondamentale les sépare. Alors que les indications géographiques visent à protéger des dénominations ou des indications de produits, les savoirs traditionnels ont trait à des connaissances, ce qui est particulièrement flou et fuyant. Ils font aussi valoir que la protection des indications géographiques ne peut empêcher des tiers d’élaborer les mêmes produits, à la condition qu’ils utilisent une dénomination différente. Mais surtout, et l’on reconnaîtra là, l’argument majeur des multinationales, étant donné que les savoirs traditionnels peuvent être importants et même indispensables aux progrès de la science, il ne serait pas justifié d’octroyer des droits exclusifs qui permettraient alors d’empêcher l’utilisation de ces savoirs pendant une durée illimitée56. Ce sont surtout les arguments techniques qui méritent attention, car il faut y répondre. L’actuel système de P.I. protège des droits individuels alors que les savoirs traditionnels sont généralement collectifs57. En outre, ces savoirs sont souvent détenus parallèlement par plusieurs communautés et il serait difficile de déterminer les titulaires des droits58. Les communautés autochtones n’auraient pas l’instruction, l’information et les ressources nécessaires pour se prévaloir du système des D.P.I.59. Elles n’emploieraient pas des méthodes scientifiques, mais procéderaient de façon empirique60. Nous avons vu que les signes de qualité protègent eux aussi des formes d’appropriation privatives, mais collectives, résultant le plus souvent de l’expérience accumulée sur des générations. Les savoirs traditionnels se développeraient au fil du temps et sont transmis de génération en génération; surtout ils ne répondraient pas aux conditions de nouveauté, d’originalité ou d’activité inventive que prescrit le système des D.P.I.61. Cet argument n’est pas plus dirimant, ainsi qu’en témoigne la protection des signes de qualité liés souvent à un long savoir-faire évolutif. Dans ces conditions il est parfaitement possible de s’inspirer des signes de qualité agricoles pour proposer un système de protection des savoirs traditionnels par un système sui generis. La proposition repose sur le fait que seul un système de protection des savoirs traditionnels prévoyant des droits exclusifs pourrait garantir que les forces du marché s’exerceront dans le sens de la justice et de l’équité62. Un tel système pourrait assurer une protection erga omnes, en ce

(49) Http ://www.agrisalon.com/fr/permalien/article/3869670/Decision-de-l-OMC-sur-les-Indications-geographiques-l-Europe-se-dit-satisfaite.html. (50) C’est le cas notamment des marques de certifications, des I.G. sans cahier des charges. (51) D. Marie-Vivien et E. Thévenod-Mottet, « Une décision de l’organe de règlement des différends de l’O.M.C. - Quels impacts pour la protection internationale des indications géographiques? », point 55, http :// economierurale.revues.org/index226.html. Le dépôt le 16 juillet 2007 de dix demandes d’I.G.P./A.O.P. pour des produits chinois sera l’occasion d’appliquer la nouvelle réglementation européenne à des I.G. d’un pays à la législation complexe, et peu équivalente à celle en vigueur de l’Union européenne. À ce jour et à la surprise des producteurs français et espagnols, un ail chinois Jinxiang Da Suan a été inscrit en tant qu’I.G.P. (indication géographique protégée) (Règlement d’exécution (UE) no 1098/2011 de la Commission du 27 octobre 2011 enregistrant une dénomination dans le registre des appellations d’origine protégées et des indications géographiques protégées, J.O. L 285 du 1er novembre 2011, p. 6), http ://www.swisscofel.ch/uploads/tx_frpnewsandinfos/ Ail_chinois_vegetable_01-2012.pdf et Volonté paysanne du Gers, no 1208, 9 mars 2012. (52) M-A. Ngo, « La protection des indications géographiques : les enjeux du mandat de Doha », Au nom de la qualité, actes du colloque SFER/ENITA, Clermont-Ferrand, 5-6 octobre 2005, pp. 415-420. Règlement (CE) no 692/2003, op. cit. (53) Afrique du Sud, IP/C/M/43, paragraphe 66; CE, IP/C/W/254; Venezuela, IP/C/M/32, paragraphe 136. Site O.M.C. http :// www.wto.org/indexfr.htm. (54) CE, IP/C/W/254. (55) Venezuela, IP/C/M/43, § 50. (56) CE, IP/C/M/43, §§ 42 et 65. (57) Brésil, IP/C/W/228; Inde, IP/C/W/ 198; Venezuela, IP/C/M/25, § 86. (58) Brésil, IP/C/W/228; Inde, IP/C/W/198. (59) Inde, IP/C/W/198. (60) Venezuela, IP/C/M/25, § 86. (61) Brésil, IP/C/W/ 228; Inde, IP/C/W/198. (62) Brésil, IP/C/W/228; Indonésie, IP/C/M/32, § 134; voy. B. Sylvander et al. « Les signes officiels de qualité et d’origine européens », Économie rurale, 3/2007 (no 299), p. 7.


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Analyse sens que, même si le savoir est divulgué publiquement, sous une forme ou sous une autre, il pourrait y avoir un mécanisme permettant d’en empêcher son « exploitation » par des tiers63. On retrouve ici la logique européenne qui consiste à combiner réservation privative, mais collective et valeur concurrentielle sur des marchés de niche. La protection du savoir-faire doit être protégée et confère ainsi un avantage concurrentiel. Ces dernières années se sont multipliés colloques et conférences64 sur cette extension possible de la P.I. aux savoirs faire et le modèle européen est souvent mis en avant. L’Union européenne a souvent rappelé que l’article 23 des A.D.P.I.C. permet un niveau de protection plus élevé, qui est en fait un niveau de protection normal, si l’on veut bien admettre que la protection de la P.I. ne nécessite pas la preuve d’une faute ou d’un dommage. Il s’agit de protéger une exclusivité. L’UGP ACP-MTS, consortium a mis en œuvre pour le programme ACP MTS financé par l’Union européenne et à cette fin a demandé de recevoir des explications plus détaillées concernant la valeur de l’article 23, par opposition à l’article 22. Le professeur Blakeney65 pour l’Union européenne a expliqué que la protection dans l’Union européenne s’étend déjà au-delà des vins et spiritueux. Ce système pourrait donc être étendu au niveau mondial au profit des P.M.A. Dans cette optique, l’Union européenne a déjà identifié une liste de plus de 700 produits de différents types susceptibles d’être enregistrés au Conseil des A.D.E.P.I.C. Or ces produits ne sont pas uniquement des vins. L’argument européen est de considérer que cette extension que les Européens ont déjà obtenue devrait être étendue à tous les pays. Le rapport final de cette conférence a donc été modifié en ce sens. La modératrice a clôturé la conférence en ces termes : « Il nous faut ajouter la dimension de développement durable à celle de propriété intellectuelle. J’espère sincèrement que dans un avenir proche, des avancées décisives seront faites en termes de valeur ajoutée à la production et aux exportations ACP, car en fin de compte, c’est bien de cela qu’il s’agit dans ce débat ». Le lien avec l’origine géographique des produits est de plus en plus sollicité. L’I.G. notamment apparaît ainsi comme l’expression d’un droit à la différence, essentiel à l’époque de la globalisation. Il permet de « préserver la localisation dans le cadre de la mondialisation ». Aux menaces de la globalisation sur les marchés d’exportation s’ajoutent les menaces à l’encontre des produits traditionnels produits et consommés sur le marché domestique. L’arrivée de nouveaux produits modifiant profondément les styles de vie conduit les consommateurs à délaisser les produits traditionnels, ce qui ne manque pas d’entraîner d’importantes difficultés économiques pour leurs producteurs. L’I.G., se présente comme l’instrument de propriété intellectuelle qui permet non seulement une gestion rationnelle des ressources biologiques et des

biotopes (préservation des sols), mais aussi des savoirs traditionnels, spécialement adaptés de surcroît aux coutumes des communautés indigènes66.

3. Remarques conclusives Outre L’Europe, certains pays africains s’orientent donc vers une utilisation plus systématique de l’indication de provenance67. Le Parlement européen et le Conseil ont travaillé sur un projet de règlement européen concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires. Le règlement (UE) no 1169/2011 du 25 octobre 201168 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires. Ce règlement porte sur deux domaines, celui de « l’étiquetage des denrées alimentaires en général » et celui de « l’étiquetage nutritionnel ». Il remplace ainsi les deux directives 2000/13/CE et 90/496/CEE régissant actuellement ces domaines. L’amendement no 11 concernant l’article 35, § 2, proposé par la Commission européenne a pour objectif de préciser les règles en matière d’étiquetage volontaire. Il introduisait expressément la possibilité d’indiquer de façon volontaire la provenance européenne d’un produit à travers l’utilisation de la dénomination « fabriqué dans l’Union européenne (État membre) ». L’apposition d’une telle mention renvoie au concept d’indication de provenance. Cela traduisait incontestablement la volonté d’affirmer la provenance européenne d’un produit, un tel choix correspondant à l’objectif de l’Union européenne de défendre ses produits en particulier à l’échelle mondiale69. La formule n’est pas expressément reprise dans le texte final. Rien n’interdit cependant une telle mention, l’article 36 précise simplement que les mentions facultatives ne doivent ni induire le consommateur en erreur ni empiéter sur l’espace disponible pour les mentions obligatoire. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a pour sa part mis en place un programme70 dont l’ambition est d’appuyer les États membres et les parties prenantes dans la mise en œuvre de systèmes de qualité liée à l’origine. L’objectif est que la mise en œuvre soit adaptée au contexte économique, social et culturel et que les systèmes mis en place contribuent effectivement au développement rural, au travers de la préservation et valorisation des produits de qualité liée à l’origine et aux ressources locales71. Le local et le mondial pourraient ainsi s’harmoniser. Au delà de la dimension conjoncturelle des labels (comment encourager la production et une « large » diffusion de ces produits labélisés dont le prix est souvent élevé, tout en menant une politique d’austérité?), la question des labels écologiques et alimentaires présentent donc un caractère stratégique essentiel pour l’Europe et les P.M.E.

(63) Brésil, IP/C/W/228, § 34. (64) O.M.C., Conseil des aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce - Protection des savoirs traditionnels et du folklore, 9 mars 2006, IP/C/370/Rev. 1; O.M.C., La protection des indications géographiques : Générer les preuves empiriques au niveau national et par produit, pour aider les pays A.C.P. africain dans leur engagement dans les négociations du cycle de Doha - Conférence pour présenter les résultats de l’étude, Réf : 9 ACP RPR 140 - 015 -10. (65) Institut de recherche sur la propriété intellectuelle, Queen Mary, Londres. (66) Initiative « Biotrade », Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (C.N.U.C.E.D.); J. Bizet 2005, Réflexion sur les moyens de mieux assurer le respect et la promotion des indications géographiques agroalimentaires à l’échelle internationale, http ://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/064000198/0000.pdf. (67) Depuis juillet 2008 à l’O.M.C., les États forment officiellement trois coalitions autour de ces questions. Les pays de l’O.A.P.I. (Organisation africaine de la propriété intellectuelle) appartiennent à la coalition de 108 pays et soutiennent désormais la « Proposition majoritaire » c’est-à-dire, la création d’un registre multilatéral contraignant à l’égard de tous les membres de l’O.M.C. ainsi que l’extension de la protection additionnelle à tous les produits (voy. TN/C/W/52). Cette coalition s’oppose à la « Proposition conjointe » réunissant notamment les États-Unis, l’Australie et le Canada. (68) J.O. L 304 du 22 novembre 2011, p. 18. (69) Ch. Charlier et M.-A. Ngo, « Informer les consommateurs au détriment de la libre circulation des marchandises. Un dilemme pour le Parlement européen », Économie rurale, 2011/3, p. 71. (70) Séminaire régional OAPI–FAO, Qualité liée à l’origine et Indications géographiques : quelles perspectives pour le développement rural en Afrique? 8 -10 décembre 2011, Conakry (Guinée), Document de travail, 2012. (71) Il est intéressant de relever que ce programme est en partie financé par la direction de la recherche de la Commission européenne via le projet SINERGI [http ://www.origin- food.org/2005/base.php?cat=10&page=10].


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10 I Journal de droit européen I 2013

Vie du droit Statut de chef d’État et libre circulation dans l’Union européenne Frédéric Dopagne (*)

............................................................................................................  En droit international, l’accès d’un chef d’État au territoire d’un autre État dépend du consentement de ce dernier.  Le chef d’un État membre de l’Union européenne jouit toutefois, en tant que citoyen de l’Union, d’un droit d’entrée sur le territoire des autres États membres. ............................................................................................................

1I Introduction Dans quelle mesure le chef d’un État membre de l’Union européenne peut-il se voir refuser l’accès au territoire d’un autre État membre? Telle est, en substance, la question qu’a été appelée à trancher la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après la « Cour ») dans le cadre d’un recours en manquement intenté par la Hongrie à l’encontre de la Slovaquie1. L’affaire était relativement insolite. Non pas tant en raison de la nature interétatique du recours (article 259 TFUE, ex-article 227 CE), bien que cette procédure se rencontre nettement plus rarement que celle déclenchée à l’initiative de la Commission (article 258 TFUE, ex-article 226 CE), plutôt en raison des circonstances quelque peu rocambolesques ayant donné lieu au contentieux, et du caractère inhabituel de la problématique soumise aux juges de Luxembourg. Dans un contexte de tensions politiques entre les deux États, liées à la présence sur le territoire slovaque d’une minorité magyarophone, le président hongrois avait décidé de se rendre en Slovaquie le 21 août 2009, à l’invitation d’une association basée dans cet État, en vue d’y assister à l’inauguration d’une statue de saint Étienne, premier roi de Hongrie. La date envisagée était délicate, notamment, parce que c’est le 21 août 1968 que les troupes du Pacte de Varsovie ont envahi la Tchécoslovaquie. Le ministère slovaque des Affaires étrangères fit savoir, par une note verbale se référant notamment à la directive 2004/38/CE2, que l’accès au territoire slovaque était refusé au président hongrois pour des motifs tenant à des risques pour la sécurité. Informé de cette note verbale alors qu’il était en chemin, le chef de l’État hongrois renonça à pénétrer sur le territoire slovaque. Considérant que la mesure slovaque méconnaissait le droit de circulation garanti à tout citoyen de l’Union par l’article 21 TFUE (ex-article 18 CE) et par la directive 2004/38/CE, la Hongrie saisit la Cour. Dans son arrêt prononcé en grande chambre le 16 octobre 2012, la Cour a rejeté le recours, jugeant que, dans les circonstances de l’espèce, ni l’article 21 TFUE ni la directive 2004/38/CE n’imposaient à la Slovaquie de garantir l’accès à son territoire au président hongrois : « la circonstance qu’un citoyen de l’Union exerce les fonctions de chef d’État » est en effet, selon la Cour, « de nature à justifier une limitation, fondée sur le droit international, à l’exercice du droit de circulation que l’article 21 TFUE lui confère »3.

À la lumière de cet arrêt, les lignes qui suivent traitent brièvement de l’applicabilité du droit de l’Union aux déplacements du chef d’un État membre sur le territoire de l’Union européenne (1), du régime prévu en la matière par le droit international (2) et de la façon dont droit de l’Union et droit international s’articulent en l’occurrence (3).

1 L’applicabilité du droit de l’Union Puisque l’on conçoit difficilement, de nos jours, que le chef d’un État membre de l’Union ne possède pas la nationalité — à tout le moins — de cet État, il bénéficie indéniablement du statut de citoyen de l’Union, accordé à tout ressortissant d’un État membre (article 20 TFUE, ex-article 17 CE). La Slovaquie ne contestait pas véritablement que le chef d’État concerné, de nationalité hongroise, était un citoyen de l’Union. Elle affirmait toutefois4, suivie en cela par l’avocat général5, que, le déplacement en cause n’étant pas une visite privée, il n’était pas régi par le droit de l’Union; qu’en effet, le droit de circulation garanti à tout citoyen de l’Union n’était pas applicable au chef d’un État membre, dont les déplacements sur le territoire de l’Union relevaient plutôt du « domaine des relations diplomatiques »; et que l’Union n’aurait pu prétendre « réglementer » celles-ci, y compris l’accès du chef d’un État membre au territoire d’un autre État membre, sans méconnaître le principe d’attribution des compétences (article 5, § 2, TUE). Il ne semble pas que ce soit sur ce raisonnement que la Cour fait reposer son prononcé. La « limitation » à l’application du droit de circulation ne paraît pas découler, aux termes de l’arrêt, des frontières intrinsèques du champ d’application du droit de l’Union, tracées par le principe d’attribution des compétences (principe auquel la Cour ne se réfère pas) : la limitation est plutôt fondée sur « le droit international »6, mobilisé par la Cour en tant qu’ordre juridique à la lumière duquel il convient, selon une jurisprudence bien établie7, d’interpréter le droit de l’Union (lequel est donc, peut-on supposer, applicable en soi). En ce qu’elle semble ne pas s’appuyer sur le principe d’attribution des compétences, cette approche de la Cour doit sans doute être approuvée. Ce principe ne permet guère d’expliquer, en effet, que le chef d’un État membre soit exclu du droit de circulation reconnu

(*) L’auteur est chargé de cours aux Universités de Louvain (U.C.L.) et de Liège (U.Lg), et avocat au barreau de Bruxelles. Il peut être contacté à l’adresse suivante : frederic.dopagne@uclouvain.be. (1) C.J., 16 octobre 2012, Hongrie c. République slovaque, C-364/10, non encore publié au Recueil. (2) Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, J.O. L 158 du 30 avril 2004, p. 77. (3) Points 51-52. (4) Points 33-36. (5) Points 48-53 des conclusions. (6) Point 44. (7) Voy. notamment C.J., 16 juin 1998, Racke, C-162/96, Rec., 1998, p. I-3655, points 45-46.


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2013 I Journal de droit européen I 11

Vie du droit aux citoyens de l’Union, fût-ce dans le cas d’une visite pouvant être tenue pour officielle : en admettant même que la situation du chef d’État relève des « relations diplomatiques » au sens large, lesquelles sont assurément du seul ressort des États membres, interpréter le droit de circulation comme s’étendant au chef d’un État membre — ou à un agent diplomatique — ne revient pas à dire que l’Union a, par le biais de la directive 2004/38/CE, « réglementé » les relations diplomatiques entre États membres, exerçant ainsi une compétence usurpée. Le droit de circulation est accordé à tout citoyen de l’Union, et le principe d’attribution ne saurait raisonnablement être compris comme imposant de soustraire à son champ d’application ratione personae toute personne dont les fonctions s’inscrivent dans le cadre d’une activité ne relevant pas du domaine de compétence de l’Union : un archevêque belge se rendant en France afin d’y tenir une réunion de travail avec un archevêque français ne bénéficie-t-il pas du droit de circulation en tant que citoyen de l’Union, au motif que l’activité en cause — la gestion des affaires de l’Église dans les États membres — ne relève pas de la compétence de l’Union? Si les déplacements du chef d’un État membre sur le territoire de l’Union paraissent donc ne pas être exclus du régime de libre circulation de la citoyenneté européenne, il reste à apprécier si, comme l’indique la Cour, le droit international apporte une limitation à ce régime.

2 Le régime du droit international L’arrêt souligne que le chef d’État « jouit dans les relations internationales d’un statut particulier qui implique, notamment, des privilèges et des immunités », ainsi qu’une « protection » de la part de l’État étranger sur le territoire duquel il se trouverait, à quelque titre que ce soit8. De ce statut spécifique, la Cour déduit que l’exercice du droit de circulation de l’article 21 TFUE est, s’agissant du chef d’un État membre, assorti d’une limitation « fondée sur le droit international »9 : en d’autres termes, le droit international, selon l’arrêt, impose au chef d’État d’obtenir le consentement de l’État de destination afin de pénétrer sur son territoire. L’on pourra avoir le sentiment que l’arrêt procède, quant à la détermination du droit international applicable, d’une relative confusion. En effet, la nécessité du consentement de l’État de destination afin d’avoir accès à son territoire (y compris le respect des modalités administratives qui ont pu être prévues dans ce cadre : visa, etc.) est, d’évidence, loin d’être une règle spécifique au chef d’un État étranger (ou à d’autres organes de cet État), contrairement à ce que semble suggérer la Cour en prétendant justifier cette règle grâce au statut privilégié propre aux chefs d’État. Il s’agit, à dire

vrai, en droit international, d’une règle d’application tout à fait générale, qui s’impose à toute personne ne possédant pas la nationalité de l’État de destination10, sous la réserve bien entendu d’un accord en sens contraire entre les États concernés (par exemple, un régime de libre circulation tel que celui du droit de l’Union, ou une convention prévoyant un droit d’accès au siège d’une organisation internationale au profit de certains représentants de l’État). Le chef d’État n’est donc pas soumis, en droit international, à un régime d’accès au territoire étranger plus strict que celui applicable à un particulier. Inversement, il ne jouit pas plus qu’un particulier, sous réserve d’un accord en sens contraire, d’un droit d’entrée en territoire étranger11 : la pratique offre, de fait, quelques illustrations — en dehors du contexte de l’Union européenne — d’un refus d’accès opposé par l’État de destination à un chef d’État souhaitant y effectuer un déplacement privé12. Le cas des visites « officielles » (quelle que soit leur nature exacte : visite d’État, de travail, etc.) pose naturellement moins de problèmes, celles-ci reposant en principe sur une invitation formelle adressée au chef d’État, invitation qui véhicule nécessairement le consentement de l’État concerné. Dans ses conclusions, l’avocat général se réfère certes au consentement visé, entre autres, à l’article 2 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques13. Ce « consentement », requis aux fins d’établir les relations diplomatiques, n’exprime toutefois pas spécifiquement, selon nous, l’accord de l’État accréditaire à l’entrée sur son territoire des membres de la mission diplomatique : il se rapporte, bien plus largement, à la présence permanente, sur ce territoire, d’organes d’un État étranger, et à l’exercice par ceux-ci d’actes de puissance publique sur ce territoire. Au demeurant, l’agent diplomatique n’est pas dispensé formellement de l’éventuelle obligation de visa afin de pénétrer sur le territoire de l’État accréditaire14, alors même que celui-ci a donné son consentement à l’établissement de relations diplomatiques. Ce dernier consentement se situe, manifestement, sur un autre plan que celui du simple franchissement de la frontière.

3 L’articulation du droit

international et du droit de l’Union

Dès lors que le droit international prévoit pour tous, particuliers et chefs d’État, un régime uniforme basé sur le consentement de l’État de destination, il n’y a guère de sens d’interpréter à la lumière du droit international le droit de circulation accordé aux citoyens de l’Union. C’est en effet précisément à cette règle de droit international que le droit de l’Union entend en l’espèce déroger.

(8) Points 46 et 48. Sur l’étendue de ces immunités et de cette protection, voy. notamment M. Cosnard, « Les immunités du chef d’État », in Le chef d’État et le droit international, colloque de Clermont-Ferrand de la S.F.D.I., Paris, Pédone, 2002, pp. 189 et s.; I. Pingel-Lenuzza, « La protection du chef d’État étranger », in ididem, pp. 269 et s. (9) Point 51. (10) Comp., pour les ressortissants de l’État de destination, article 12, § 4, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques : « Nul ne peut être arbitrairement privé du droit d’entrer dans son propre pays ». (11) J. Verhoeven, « Rapport provisoire - Les immunités de juridiction et d’exécution du chef d’État et de gouvernement en droit international », Ann. IDI, vol. 69 (2000-2001), p. 535. (12) Voy., par exemple, la visite en France projetée par le président Mobutu en 1993 (A. Watts, « The legal position in international law of heads of states, heads of governments and foreign ministers », R.C.A.D.I., t. 247, 1994, p. 73), ainsi que celle aux États-Unis projetée par le président Waldheim en 1987 (C. Rousseau, « Chronique des faits internationaux », R.G.D.I.P., 1987, pp. 1315-1316). (13) Point 57 et note 16 des conclusions. (14) Dès lors néanmoins que l’agrément a été donné, l’octroi du visa doit demeurer une formalité, et le chef de mission ne pourrait se voir refuser l’entrée à moins d’être déclaré persona non grata avant son arrivée (J. Salmon, Manuel de droit diplomatique, Bruxelles, Bruylant, Beyrouth, Delta, 1994, pp. 353-354; E. Denza, Diplomatic Law, Oxford, Oxford University Press, 3e éd., 2008, p. 93).


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12 I Journal de droit européen I 2013

Vie du droit

La règle de droit international cède devant l’exception que le droit de l’Union lui apporte

En d’autres termes, le raisonnement suivi par la Cour nous paraît devoir être, en quelque sorte, inversé. Identifiant une règle de droit international tenue pour spécifique au chef d’État, l’arrêt interprète le droit de l’Union à la lumière de cette règle, et en déduit, pour le chef d’un État membre, une limitation du droit de circulation puisé dans le droit de l’Union. Il convient plutôt de constater, nous semble-t-il, que la règle de droit international (consentement), applicable à tous et non seulement au chef d’État, cède devant l’exception (droit de circulation) que le droit de l’Union — du bénéfice duquel le chef d’un État membre n’est pas exclu — lui apporte. Seuls, par conséquent, les motifs propres au droit de l’Union auraient pu, à nos yeux, justifier une restriction à l’accès du président hongrois au territoire slovaque. Il est vrai qu’en l’espèce, il aurait sans doute été malaisé d’invoquer des raisons d’ordre public ou de sécurité publique, telles que les conçoit la directive 2004/38/ CE15. Cette circonstance n’est peut-être pas étrangère au fait que la Cour a préféré s’appuyer sur le droit international, celui-ci fît-il l’objet d’une compréhension malencontreuse. Ce qui précède n’enlève rien au fait que, à supposer qu’il ait été admis sur le territoire slovaque, le président hongrois n’aurait pas été autorisé à y adopter tout comportement quelconque sans l’approbation des autorités locales. Sans incidence sur l’accès de l’intéressé au territoire étranger, lequel accès reste gouverné par le droit commun (en l’espèce, la liberté de circulation reconnue aux citoyens de l’Union, venant en dérogation à la règle du consentement du droit international), le statut de chef d’État — comme celui de certains autres organes de l’État — déclenche en revanche l’application de certains principes du droit international, tels que la

non-intervention dans les affaires intérieures de l’État étranger, et est ainsi susceptible d’avoir un impact sur l’activité de l’intéressé, spécialement une fois que celui-ci est présent sur le territoire étranger. Il est inutile de rappeler, à ce sujet, la réaction du gouvernement canadien à la suite du fameux « Vive le Québec libre! » lancé à Montréal par le président de Gaulle en 196716. Ou celle, dans un contexte proche de celui de l’incident tranché par la Cour, et bien qu’il s’agisse du cas d’un haut dirigeant autre qu’un chef d’État, du gouvernement roumain à l’occasion de la visite en juin 2012 du président du Parlement hongrois, venu participer — « à titre privé » — à la campagne électorale d’un parti magyarophone de Roumanie17. Ajoutons enfin que le déplacement des chefs d’État de l’Union européenne vers (et depuis) le lieu où se tient une réunion du Conseil européen est — en tout cas depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, qui fait dudit Conseil une « institution » (article 13 TUE) — régi par l’article 10 du Protocole sur les privilèges et immunités de l’Union18, prévoyant que « [l]es représentants des États membres participant aux travaux des institutions de l’Union (...) jouissent, (...) au cours de leurs voyages à destination ou en provenance du lieu de la réunion, des privilèges, immunités ou facilités d’usage ». Il n’est pas cer tain que ces « privilèges, immunités ou facilités d’usage » incluent un droit d’accès au territoire de l’État concerné; en général, les instruments internationaux qui les détaillent plus avant ne mentionnent en tout cas pas explicitement une telle prérogative19. Si l’article 10 devait toutefois être compris comme accordant celle-ci, l’accès des chefs des États membres au territoire du lieu de la réunion ne serait plus fondé sur leur droit de circulation de citoyens de l’Union, mais sur le régime spécial de l’article 10. L’entrée sur ce territoire ne pourrait plus alors leur être déniée sur pied de la directive 2004/38/CE elle-même, mais tout au plus sur la base des intérêts supérieurs de l’État membre concerné.

(15) Les mesures doivent « être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu concerné »; ce comportement « doit représenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société »; des « justifications non directement liées au cas individuel concerné ou tenant à des raisons de prévention générale ne peuvent être retenues » (article 27, § 2). (16) C. Rousseau, « Chronique des faits internationaux », R.G.D.I.P., 1968, pp. 164-166. (17) Jurnalul National, 6 juin 2012. (18) J.O., 2010, C 83, p. 266. (19) Voy. par exemple la section 9 de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations unies; section 13, Convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées. Comp. avec l’article 79 de la Convention sur la représentation des États dans leurs relations avec les organisations internationales de caractère universel, laquelle n’est toutefois pas en vigueur et a suscité un vote négatif notamment de la Belgique.


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Commentaires Arrêt « Expedia » : l’application des seuils de minimis par les autorités nationales de concurrence1 Ann Fromont 2

............................................................................................................  La communication de minimis établit des seuils en deçà desquels la Commission considère qu’une entente entre concurrents n’affecte pas le commerce entre États membres.  Ce faisant, la Commission autolimite son pouvoir de discrétion.  Les autorités nationales de concurrence ne sont pas liées par ces limitations. ............................................................................................................

1I Introduction Depuis l’adoption du règlement no 1/2003 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues par le Traité3 qui a mis en place un système décentralisé d’application du droit européen de la concurrence, les autorités nationales de concurrence (ciaprès les « A.N.C. ») ont progressivement gagné en autonomie, prenant une part de plus en plus active dans la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles. Dans le sillage de cette intensification de l’activité des A.N.C., diverses questions relatives aux rapports entre la Commission européenne et celles-ci ont été portées devant la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après la « Cour »). À la suite des arrêts X4, VEBIC5, Pfleiderer6, Tele 2 Polska7 et Toshiba Corporation e.a.8, une nouvelle précision quant à l’interprétation du règlement no 1/2003, a été apportée par la Cour dans l’arrêt annoté, rendu le 13 décembre 2012. La Cour se prononce en effet sur la marge de manœuvre des A.N.C. pour poursuivre et sanctionner une entente entre concurrents n’atteignant pas les seuils fixés par la Commission européenne dans sa communication de minimis9.

1 Faits Dans le cadre de sa politique de développement de la vente de billets sur internet, la.S.N.C.F. a conclu divers accords avec Expedia,

une société américaine spécialisée dans la vente de voyages sur internet. De cette collaboration est née une filiale commune, l’agence de voyages SNCF.com, laquelle a exercé son activité par le biais du site de la S.N.C.F. « www.voyages-sncfcom », originellement consacré uniquement à l’information sur les services de la S.N.C.F., la réservation et la vente de billets. Considérant que les sociétés mères, Expedia et la S.N.C.F., étaient concurrentes sur le marché des services en ligne d’agences de voyages de loisirs et détenaient cumulativement plus de 10% des parts de ce marché (c’est-à-dire plus que le seuil fixé par le point 7, litera a, de la communication de minimis), l’autorité française de la concurrence a sanctionné financièrement ce partenariat, qu’elle a qualifié d’entente ayant pour objet et pour effet de favoriser la filiale commune sur ce marché10. Cette décision a été confirmée par la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 23 février 201011, à l’encontre duquel un pourvoi a été porté devant la Cour de cassation. Cette dernière relève d’abord que, s’agissant d’une entente anticoncurrentielle par objet, il n’est pas établi que la Commission poursuivrait celle-ci dans l’hypothèse où les parts des marchés concernés ne dépasseraient pas les seuils fixés dans la communication de minimis, point contesté en l’espèce. S’intéressant ensuite aux points 4 et 6 de la communication de minimis, selon lesquels celle-ci est dépourvue de force contraignante à l’égard des juridictions et des autorités des États membres et ne préjuge pas de l’interprétation de l’article 101 TFUE qui pourrait être donnée par les juridictions de l’Union européenne, elle s’interroge sur l’existence d’une présomption irréfragable d’absence d’effet sensible sur la concurrence

(1) C.J., 13 décembre 2012, Expedia, C-226/11, non encore publié au Recueil. (2) Avocat au barreau de Bruxelles, LL.M. L’auteure peut être contactée à l’adresse afr@koan.eu. (3) Règlement (CE) no 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du Traité, J.O. L 1 du 4 janvier 2003, pp. 1-25. (4) C.J., 11 juin 2009, Inspecteur van de Belastingdienst c. X BV, C-429/07, Rec., I-4833. Voy. L. Idot, « Coopération entre la Commission et les juridictions nationales », Europe, août-septembre 2009, Comm. no 322, p. 33 et E. Barbier de La Serre et M. Lavedan, « Une leçon de la Cour sur l’ampleur de l’amitié : la Commission amicus curiae et les juridictions nationales », Revue Lamy de la Concurrence, 2009, no 21, p. 68. (5) C.J., 7 décembre 2010, VEBIC, C-439/08, Rec., p. I-12471. Voy. T. Hennen, « Arrêt VEBIC: la participation des autorités de la concurrence aux recours formés contre leurs décisions », J.D.E., no 179, 5/2011, p. 133 et E. de Lophem, « L’arrêt VEBIC de la Cour de justice et ses conséquences sur les règles procédurales en droit belge de la concurrence », J.T., 2011, p. 245. (6) C.J., 14 juin 2011, Pfleiderer, C-360/09, non encore publié au Recueil. Voy. T. Fouquet, V. Giacobbo-Peyronnel, J. Sladic et E. Vanham, « Les règles de concurrence applicables aux entreprises », J.D.E., no 186, 2/2012, p. 45 et B. Meyring et N. Baeten, « Le droit de la concurrence et la transparence : une quadrature du cercle? », J.D.E., no 194, 10/2012, p. 294. (7) C.J., 3 mai 2011, Tele2 Polska, C-375/09, non encore publié au Recueil. Voy. N. Petit et C. Lousberg, « Arrêt “Tele 2 Polska” : une interprétation contestable de la compétence des autorités nationales de concurrence », J.D.E., no 182, 8/2011, p. 242 et R. Galante, « Arrêt Tele 2 Polska », R.D.U.E., 2011, no 2, p. 293. (8) C.J., 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a., C-17/10, non encore publié au Recueil. Voy. L. Idot, « Application parallèle du droit national et du droit de l’Union », Europe, avril 2012, Comm. no 4, p. 21; A. Lacresse, « European competition network : The CJEU does not give up the criteria of the unity of the legal interest protected for the application of the ne bis in idem principle in competition cases (Toshiba Corporation) », Concurrences, no 2012/2, no 45859, p. 130. (9) Communication de la Commission concernant les accords d’importance mineure qui ne restreignent pas sensiblement le jeu de la concurrence au sens de l’article 81, § 1er, du Traité instituant la Communauté européenne (de minimis), J.O. C 368 du 22 décembre 2001, p. 13. (10) Cons. conc., décision no 09-D-06 du 5 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par la S.N.C.F. et Expedia Inc. dans le secteur de la vente de voyages en ligne, disponible sur http ://www.autoritedelaconcurrence.fr. (11) CA Paris, pôle 5, ch. 5-7, 23 février 2010, Expédia, Karavel, S.N.C.F. e.a. c. Cons. conc., disponible sur http://www.autoritedelaconcurrence.fr. Voy., à cet égard, L. Nicolas-Vullierme, « Curieuse interprétation du seuil de sensibilité : la cour d’appel de Paris confirme la décision du Conseil de la concurrence en proposant une curieuse interprétation du seuil de sensibilité (Expédia; Karavel; S.N.C.F.) », Concurrences, no 2010/2, no 31237, p. 73.


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14 I Journal de droit européen I 2013

Commentaires lorsque les seuils de part de marché institués par cette communication ne sont pas rencontrés12. Face à cette incertitude, elle décide de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice en conséquence.

2 Analyse de la solution adoptée Interrogée sur l’interprétation des articles 101, § 1er, TFUE et 3, § 2, du règlement no 1/2003, la Cour a dit pour droit que ces articles ne s’opposaient pas à ce qu’une autorité nationale de concurrence applique l’article 101, § 1er, TFUE à un accord entre entreprises qui est susceptible d’affecter le commerce entre États membres, mais qui n’atteint pas les seuils fixés dans la communication de minimis, pourvu que cet accord constitue une restriction sensible de la concurrence au sens de cette disposition13.

teneur de l’accord, les objectifs visés, la nature des biens ou services affectés)17. Bien que, par principe, il n’y ait pas lieu d’examiner les effets d’une restriction qui peut être qualifiée de restriction « par objet », dès lors que « certaines formes de collusion entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence »18, la Cour observe cependant que, dans certains cas, celle-ci s’est résolue à conclure à l’absence de restriction sensible même en présence de restrictions par objet19. Ces cas font manifestement office d’exceptions à la règle, mais permettent à la Cour de mettre en exergue l’absence d’automatisme dans l’appréciation du caractère sensible d’une restriction.

En d’autres termes, une A.N.C. est-elle contrainte de s’aligner sur la politique de poursuite et de sanction de la Commission ou bien peut-elle se montrer plus stricte en n’excluant pas systématiquement les accords qui n’atteignent pas les seuils de minimis?

Forte de ce premier élément de réponse, la Cour poursuit, dans un second temps, son raisonnement par l’examen de la nature de la communication de minimis. Sans surprise, elle relève qu’une communication de la Commission ne fait pas partie des actes juridiquement contraignants, ce qui se manifeste par sa publication au sein de la série C du Journal officiel de l’Union européenne20.

Afin de répondre à cette question, la Cour rappelle d’abord que seuls les accords de nature à affecter le commerce entre les États membres, ayant pour objet ou pour effet de restreindre de manière sensible la concurrence dans le marché intérieur, sont prohibés par l’article 101, § 1er, TFUE. Un accord qui n’affecte le marché que d’une manière insignifiante (et donc « d’importance mineure ») échappe donc à la prohibition14.

Comme en témoigne l’arrêt Dansk Rørindustri21, une certaine portée normative ne peut toutefois être déniée à la communication de minimis dans la mesure où celle-ci constitue le fruit de l’autolimitation de la Commission dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et implique, de ce fait, qu’une attention particulière soit accordée au respect des principes d’égalité de traitement et de protection de la confiance légitime des opérateurs économiques .

Se référant à l’arrêt Toshiba Corporation15, la Cour indique par ailleurs que lorsque l’A.N.C. applique les dispositions du droit national (tel qu’en l’espèce), l’article 3, § 1er, première phrase du règlement no 1/2003 lui impose d’appliquer l’article 101 TFUE en parallèle. Il en découle dès lors nécessairement un lien étroit entre l’interdiction des ententes qu’énonce l’article 101 TFUE et les dispositions correspondantes du droit national de la concurrence16.

Il en résulte que, bien que ne consistant qu’en une simple règle de conduite que la Commission s’impose à elle-même, cette dernière ne pourrait s’en départir qu’en motivant cette décision23.

L’existence de ce lien étroit suffit-il cependant à justifier que les A.N.C. se plient aux mêmes critères que ceux établis par la Commission pour identifier une restriction « sensible » de la concurrence?

L’appréciation du caractère sensible d’une restriction s’effectue au regard des circonstances

À cet égard, la Cour relève, dans un premier temps, que l’appréciation du caractère sensible d’une restriction s’effectue au regard de l’ensemble des circonstances de l’espèce, qu’elles soient extrinsèques (telles que son contexte économique et juridique, les particularités du marché concerné) ou intrinsèques (telles que la

En revanche, en l’absence de toute indication d’une volonté traduite dans la communication de minimis d’imposer ces mêmes contraintes aux A.N.C.24, celles-ci demeurent libres de l’appliquer ou non25.

3 Commentaire Par cette conclusion, la Cour de justice a choisi d’aller moins loin que son avocat général, Mme J. Kokott, selon laquelle l’application efficace et uniforme du droit européen de la concurrence requiert que les A.N.C. prennent, à tout le moins, en compte les indications fournies par la Commission quant à l’appréciation du caractère sensible d’une restriction 2 6 . À l’appui de cette considération, l’avocat général mentionne également l’obligation de coopération loyale prévue à l’article 4, § 3, TFUE. En conséquence, celle-ci estime que si les A.N.C. ne sont pas contraintes de se conformer en toutes hypothèses aux seuils de

(12) Cass. fr., civ., ch. comm., no 10-14.881, 10 mai 2011, Expedia, disponible sur http://www.autoritedelaconcurrence.fr. (13) Dispositif de l’arrêt annoté. (14) Points 16 et 17 de l’arrêt annoté. (15) C.J., 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a., C 17/10, op. cit., point 77. (16) Point 18 de l’arrêt annoté. Sur les rapports entre ces deux droits, voy. J.-F. Bellis, « Les relations entre le droit national et le droit communautaire de la concurrence » in P. Nihoul (éd.), La décentralisation dans l’application du droit de la concurrence, Bruxelles, Larcier, 2004, p. 61; P. Nihoul, « Le projet de loi belge sur la protection de la concurrence économique - Les relations avec le règlement CE 1/2003 », T.B.M./R.C.B., 2006/1, p. 15. (17) C.J., 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline, C-501/06 P, C513/06 P, C-515/06 P et C-519/06 P, Rec., p. I-9291, point 58 et C.J., Asnef-Equifax, C-238/05, Rec., p. I-11125, point 49. (18) Point 36 de l’arrêt annoté et les références citées. (19) Point 36 de l’arrêt annoté. Voy. C.J., 9 juillet 1969, Völk, 5/69, Rec., p. 295, point 7; C.J., 6 mai 1971, Cadillon, 1/71, Rec., p. 351, point 9; C.J., 21 janvier 1999, Bagnasco e.a., C-215/96 et C-216/96, Rec., p. I-135, point 35. (20) Point 30 de l’arrêt annoté. (21) C.J., 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a., C-189/02 P, C-202/02 P, C-205/02 P à C-208/02 P et C-213/02 P, Rec., 2005, p. I-5425, point 211. (22) Point 28. (23) C.J., 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a., op. cit., point 209. (24) Points 24 et 26 de l’arrêt annoté. (25) Point 31 de l’arrêt annoté. (26) Points 37 et s. des conclusions de l’avocat général Kokott, sous l’arrêt annoté. Voy., à cet égard, N. Jalabert-Doury, « De minimis thresholds : AG Kokott details the consequences of the “De minimis Notice” on restrictions by object (Expedia) », Concurrences, no 2012/4, no 49479, www.concurrences.com.


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Commentaires minimis, il n’en demeure pas moins que, pour écarter l’application de ces seuils, elles devraient se fonder sur une motivation particulière, résultant d’éléments propres au cas d’espèce autres que les parts de marché des opérateurs économiques en cause. Selon l’angle d’approche adopté, la décision de la Cour nous paraît pouvoir être saluée ou critiquée. D’un point de vue purement légistique, la solution adoptée par la Cour semble logique. En effet, la communication de minimis établit expressis verbis, en son point 4, une distinction quant à la portée de celle-ci, d’une part, à l’égard de la Commission, qui indique qu’elle n’engagera pas de poursuites dans les cas couverts par les seuils, d’autre part, à l’égard des juridictions et autorités des États membres, envers lesquelles la communication n’est pas contraignante et n’a vocation qu’à fournir des indications. Sous l’angle de l’uniformité de l’application du droit européen de la concurrence, il va de soi que l’arrêt annoté ouvre la voie à une plus grande autonomie, et donc potentiellement une plus grande différenciation au sein des politiques de poursuite des infractions des A.N.C. Faut-il s’en réjouir ou s’en inquiéter? La première attitude nous semble pouvoir être adoptée, considérant que cette possibilité laissée aux A.N.C. de se montrer plus strictes que la Commission à l’égard des parts de marchés permettra à celles-ci de poursuivre des pratiques anticoncurrentielles à l’ancrage plus local, et dont l’impact sur le fonctionnement du marché intérieur ne justifie pas une intervention de la Commission. La seconde réaction ne nous paraît cependant pas dénuée de pertinence, dès lors qu’il n’est pas à exclure que des disparités apparaissent quant à la prise en compte de ces seuils, donnant lieu, le cas échéant, à une application plus ou moins souple selon l’A.N.C. concernée.

L’impact de ces éventuelles disparités nous paraît cependant pouvoir être nuancé à au moins deux égards. D’une part, il ne s’agit pas, en l’espèce, d’une question d’interprétation commune relative au caractère anticoncurrentiel ou non d’une pratique, mais bien de l’opportunité des poursuites de celle-ci. Or la politique de poursuites est, par nature, un élément susceptible de varier en principe davantage que la qualification d’une infraction. D’autre part, l’enseignement de l’arrêt Tele 2 Polska27 nous paraît mériter d’être rappelé. Par cet arrêt, la Cour a en effet considéré que lorsqu’une A.N.C. estime que les conditions d’une interdiction ne sont pas remplies, celle-ci ne peut conclure à une absence de violation, mais doit se limiter à rendre une décision de non-lieu. De cette manière, la Commission conserve la possibilité de poursuivre la pratique en cause si elle l’estime opportun et, le cas échéant, de sanctionner celle-ci. Bien que cette décision concernait l’application de l’article 102 TFUE, sa portée semble pouvoir être étendue à l’article 101 TFUE, compte tenu de l’interprétation qu’il confère à l’article 5 du règlement no 1/2003, lequel vise les deux dispositions à l’identique28. L’impact d’un laxisme éventuel d’une A.N.C. au moment de rendre sa décision demeure donc limité. Enfin, d’un point de vue économique, il convient de garder à l’esprit que les seuils fixés par la communication de minimis ne constituent qu’une ligne de démarcation permettant d’effectuer une première sélection parmi les pratiques méritant une attention sous l’angle du droit de la concurrence. Ces seuils présentent donc nécessairement une certaine part d’arbitraire et d’inéquité, en contrepartie de quoi les opérateurs économiques peuvent cependant bénéficier d’une appréciable sécurité juridique. Un confort qui se voit indéniablement fragilisé par la décision de la Cour dans l’arrêt annoté.

(27) C.J., 3 mai 2011, Tele2 Polska, op. cit. (28) Voy. O. Battard, J. Ligot et F. Vanbossele, Les pratiques loyales, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 2012, p. 174.

Arrêt « Elenca » : quand l’obligation d’un marquage « CE » corsète la libre circulation1 Cédric Cheneviere

2

............................................................................................................  Le marquage « CE » a vocation à indiquer la conformité d’un produit avec les exigences européennes.  Un État membre viole l’article 34 TFUE s’il exige le respect d’une condition, tel un marquage « CE », qu’il est impossible de remplir.  Une exigence qui empêche l’application du principe de reconnaissance mutuelle va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif légitime recherché. ............................................................................................................

1 Faits Elenca est une société italienne qui importe dans la péninsule transalpine des gaines thermodurcies gonflables pour cheminées et conduits de fumée produites en Hongrie. Ces gaines

permettent de restaurer les vieilles cheminées et les vieux conduits de fumée sans avoir à effectuer de travaux de maçonnerie. Si formellement l’Italie ne s’oppose pas à l’importation de ces produits, elle en interdit toutefois, en pratique, la commercialisation. En effet, la mise en vente de ces gaines est subordonnée à leur marquage « CE »; or une telle condition est impos-

(1) C.J., 18 octobre 2012, Elenca, C-385/10, non encore publié au Recueil. (2) Assistant à la Faculté de droit (Centre Charles De Visscher pour le droit international et européen - CeDIE) et à l’Institut d’études européennes, Université catholique de Louvain. L’auteur peut être contacté à l’adresse suivante : cedric.cheneviere@uclouvain.be L’auteur remercie le professeur Fallon pour sa relecture attentive.


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16 I Journal de droit européen I 2013

Commentaires sible à remplir, puisque ces gaines ne sont soumises à aucune spécification technique européenne et, par conséquent, il n’existe aucun marquage « CE » pour ce type de produit. Du reste (et bien que cette question ne fut pas abordée dans la présente affaire), il est interdit aux entreprises de se prévaloir d’un marquage « CE » s’il n’existe aucune législation européenne applicable3. L’obstacle posé par la réglementation italienne était, donc, absolu. Le juge de renvoi a posé quatre questions préjudicielles à la Cour de justice. Une seule sera abordée ici, à savoir celle de la compatibilité de la réglementation italienne avec les articles 34 à 37 TFUE qui, selon la juridiction nationale, « interdisent les restrictions à l’importation et les mesures d’effet équivalent »4.

2 Analyse de la décision La Cour reconnaît sans grande difficulté l’existence d’un obstacle à la libre circulation des marchandises. Elle observe que la condition de marquage « CE » — qui est juridiquement impossible à rencontrer — interdit, en pratique, l’importation en Italie des gaines thermodurcies litigieuses légalement commercialisées dans d’autres États membres5. Dès lors, cette exigence doit être considérée comme une mesure d’effet équivalent au sens de l’article 34 TFUE6. Elle ne qualifie pas davantage la mesure restrictive, se contentant d’évoquer une « entrave » à la libre circulation des marchandises7. Tout au plus, précise-t-elle que cette entrave est « applicable sans distinction »8, ce qui exclut qu’elle soit qualifiée de discrimination directe. La réglementation italienne relève donc soit de la catégorie des discriminations indirectes, soit de celles des mesures indistinctement applicables (nous penchons plutôt pour cette seconde qualification). Rappelons simplement qu’il n’y a guère d’intérêt, autre que théorique (à supposer que cette distinction ait encore un quelconque intérêt, même en théorie), à vouloir distinguer dans une telle hypothèse les discriminations indirectes des mesures indistinctement applicables, puisqu’au stade de leur justification, toutes deux admettent tant

les raisons expresses de l’article 36 TFUE que les exigences impératives9. En l’occurrence, le gouvernement italien a tenté de justifier sa mesure au nom de la protection de la sécurité publique, mais également de la santé et de la vie des personnes (article 36 TFUE) en ce sens que l’obligation de marquage entend garantir que les produits en cause satisfassent aux exigences de sécurité requises10. La Cour de justice concède qu’à défaut de règles d’harmonisation applicables en l’espèce, les États membres demeurent libres « de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé et de la vie des personnes et de la nécessité de contrôler les produits concernés lors de leur usage »11. En revanche, la Cour n’admet ni ne rejette explicitement l’argument de sécurité publique avancé par l’Italie 12 . Certes, un « objectif de sécurité » est évoqué par la Cour lors de l’examen de proportionnalité13. Toutefois, cet objectif de sécurité ne doit pas être confondu avec la justification de sécurité publique; il s’inscrit plutôt dans le champ des considérations relatives à la protection de la santé et de la vie des personnes14. En effet, la Cour a déjà jugé, dans une affaire relativement similaire, que l’exigence de sécurité publique ne peut être utilisée dans un tel contexte, dès lors que l’on ne fait pas face à un « cas de menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société [...] tels que la sécurité de l’approvisionnement en pétrole ou en biens d’importance stratégique »15. Si la Cour accepte volontiers les objectifs de protection de la santé et de la vie des personnes, elle juge néanmoins que la mesure est disproportionnée. En effet, elle considère que « cette exigence stricte du marquage CE empêchant, en amont, l’application même du principe de reconnaissance mutuelle des produits pour lesquels le législateur européen n’a pas procédé à une pleine harmonisation ou à l’établissement d’agréments techniques européens, en interdisant le contrôle du respect, par les produits litigieux, des exigences de sécurité requises sur la base des procédures d’homologation et de certification réalisées dans l’État membre d’origine, va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de sécurité recherché »16.

(3) « [Le] marquage “CE” peut uniquement être apposé sur des produits pour lesquels son apposition est prévue spécifiquement par la législation pertinente de l’Union en matière d’harmonisation, à l’exclusion de tout autre produit. En effet, toute appréciation différente aurait pour conséquence de faire naître un risque de confusion quant à la signification dudit marquage » (C.J., 21 octobre 2010, Latchways, C-185/08, Rec., p. I-9983, point 63). (4) Point 13 de l’arrêt. Les autres questions préjudicielles visaient à obtenir une interprétation, d’une part, de la directive 89/106/CEE relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant les produits de construction (points 14 à 20 : première question), d’autre part, des règles européennes de concurrence qui, à l’analyse, se sont révélées « manifestement inapplicables » en l’espèce (points 31 et 32 : troisième et quatrième questions). (5) Notons que cette mesure ne vise pas spécifiquement les produits importés : un éventuel producteur italien sera également empêché de mettre en vente ce type de gaine dans son État. (6) Points 21 à 25. (7) Point 25. (8) Point 24. (9) Sur la notion de discrimination dans le cadre des libertés de circulation, Voy. M. Fallon et D. Martin, « Dessine-moi une discrimination... », J.D.E., 2010, pp. 167 et s. (10) Point 27. (11) Point 28. La Cour de justice avait déjà admis cette justification dans un tel contexte, voy. notamment C.J., 1er mars 2012, Ascafor, C-484/10, non encore publié au Recueil, point 60 (et la jurisprudence mentionnée). (12) Cet argument avait également été avancé par la Belgique pour justifier l’obligation faite aux producteurs de systèmes de détection d’incendie, ne disposant pas d’un marquage « CE », de se conformer à une norme de certification belge. Dans cette affaire, la Cour paraît approuver cet objectif légitime, mais estime la mesure disproportionnée (C.J., 7 juin 2007, Commission c. Belgique, C-254/05, Rec., p. I-4269, points 34 à 37). (13) Point 29. (14) C.J., 10 novembre 2005, Commission c. Portugal, C-432/03, Rec., p. I-9665, point 43. (15) C.J., 13 mars 2008, Commission c. Belgique, C-227/06, Rec., p. I-46, point 59. De même, dans l’arrêt Remorques (C.J., 10 février 2009, Commission c. Italie, C-110/05, Rec., p. I-519), la Cour ne rattache pas les considérations de « sécurité routière » à la « sécurité publique » mais considère qu’il s’agit d’une exigence impérative (point 60). En revanche, dans l’arrêt Radiosistemi, la Cour estime qu’une homologation nationale des équipements hertziens peut être justifiée par des considérations de sécurité publique (C.J., 20 juin 2002, Radiosistemi, aff. jtes C-388/00 et C-429/00, Rec., p. I-5845, point 44), mais il est vrai que la gestion des ondes représente un intérêt majeur pour les États (voy., entre autres, C.E.D.H., 28 mars 1990, Groppera radio AG et autres c. Suisse, points 60 et 61). (16) Point 29.


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2013 I Journal de droit européen I 17

Commentaires C’est donc parce que la réglementation italienne rend impossible tout examen des conditions techniques auxquelles a dû se conformer le producteur des gaines en Hongrie qu’elle se révèle aller audelà de ce qui est nécessaire. Un tel lien de cause à effet n’est pas inédit dans la jurisprudence européenne17. La mesure italienne ayant échoué au stade de la proportionnalité, la Cour de justice en conclut qu’elle méconnaît « les articles 34 à 37 TFUE »18.

3 Une application

de la jurisprudence Remorques?

Le raisonnement de la Cour de justice est des plus classiques. Celui-ci débute par un rappel théorique de la notion de mesure d’effet équivalent et un renvoi à la nouvelle classification des entraves proposée par l’arrêt Remorques19. Ce renvoi est devenu une clause de style dans la jurisprudence européenne sans que l’on ne sache trop si la Cour de justice applique vraiment l’enseignement de cet arrêt. En d’autres termes, il est loin d’être évident que la jurisprudence de la Cour aurait été différente si le précédent Remorques n’avait pas existé20. À n’en pas douter, les commentateurs continueront à débattre de la place à donner à cet

arrêt : révolutionne-t-il vraiment la portée et l’articulation des jurisprudences historiques (Dassonville, Cassis de Dijon, Keck et Mithouard) ou son apport doit-t-il être cantonné aux seules mesures entravant l’utilisation d’une marchandise?21 L’arrêt Elenca n’échappe pas à la règle : la jurisprudence Remorques est, certes, rappelée avec force, mais elle n’est pas, pour autant, réellement mise en œuvre. Ainsi, dans l’arrêt Remorques, la Cour place le principe de reconnaissance mutuelle dans la phase d’examen de l’existence d’une entrave22, alors que, dans les jurisprudences antérieures, il n’était abordé qu’au stade de la proportionnalité. Ce n’est pourtant pas la voie qui a été suivie en l’espèce. On constate plutôt un retour aux sources. D’une part, les juges européens estiment qu’il y a entrave à la libre circulation des marchandises non pas en raison du fait que la réglementation italienne rend impossible toute application du principe de reconnaissance mutuelle, mais uniquement parce qu’elle empêche toute importation des gaines thermodurcies gonflables. D’autre part, la référence audit principe n’intervient qu’au terme de l’analyse de la Cour, c’est-à-dire dans le cadre de l’examen de la proportionnalité. En somme, l’arrêt Elenca confirme davantage la jurisprudence historique qu’il ne s’inscrit dans le sillage de l’arrêt Remorques.

(17) À titre d’exemples, voy., entre autres, C.J., 16 décembre 1980, Fietje, aff. 27/80, Rec., p. 3840, points 11 et 12 (l’exigence de dénommer « likeur » tout alcool de plus de 25o est excessive si l’étiquette contient un contenu informatif équivalent à celui exigé par la législation de l’État d’accueil); C.J., 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital, C-390/99, Rec., p. I-607, point 39 (« une mesure instituée par un État membre ne saurait être considérée comme n’allant pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi si elle fait double emploi avec des contrôles qui ont déjà été effectués dans le cadre d’autres procédures soit dans ce même État, soit dans un autre État membre »); C.J., 17 mars 2011, Josep Peñarroja Fa, aff. jtes C-372/09 et C-373/09, non encore publié au Recueil, points 58, 74 et 75 (s’agissant de la non-prise en considération de missions antérieures accomplies par un expert judiciaire traducteur provenant d’un autre État membre); arrêt Ascafor, précité, points 64 et 70. (18) Point 30 et second paragraphe du dispositif. Cette conclusion ne laisse pas de surprendre. En effet, toute l’analyse de la Cour de justice repose sur la seule hypothèse d’une entrave à l’importation. Pour preuve, seuls les articles 34 et 36 TFUE étayent les motifs de l’arrêt. Que la Cour considère que la réglementation italienne empêche l’importation des gaines thermodurcies hongroises en Italie est cohérent au regard de son raisonnement. Mais on ne peut déduire qu’une violation de l’article 34 TFUE emporte nécessairement la méconnaissance de l’article 35 TFUE. D’ailleurs, on peut même s’interroger sur l’éventualité d’une entrave aux exportations en l’espèce : la réglementation nationale interdit la mise en vente, en Italie, de gaines thermodurcies non marquées « CE », mais elle ne prohibe pas l’exportation de ce type de produit vers d’autres États membres. Enfin, il est étonnant que la Cour se réfère à l’article 37 TFUE puisque, nulle part dans l’arrêt, il n’est fait mention de l’existence d’un quelconque monopole public italien s’agissant du commerce de ce type de marchandises. Ces éléments s’expliquent aisément : la Cour a tout simplement repris à son compte la question (mal) formulée par le juge de renvoi : « La circulaire attaquée et les règles de droit interne qu’elle invoque violent-elles, en particulier, les articles 34 TFUE à 37 TFUE, qui interdisent les restrictions à l’importation et les mesures d’effet équivalent [...]? ». L’évocation des articles 35 et 37 TFUE n’est, en définitive, rien d’autre qu’une erreur de plume au sens de l’article 103 du règlement de procédure de la Cour de justice. (19) Précité, note 15. (20) Voy. toutefois l’arrêt Mickelsson et Roos confirmant et appliquant la jurisprudence Remorques (C.J.,4 juin 2009, Mickelsson et Roos, aff. C142/05, Rec., p. I-4273). (21) Cet arrêt a déjà été abondamment commenté par la doctrine, voy. notamment C. Barnard, « Trailing a New Approach to Free Movement of Goods? », Cambridge Law Journal, 2009, p. 288; A. Fromont et C. Verdure, « La consécration du critère de l’“accès au marché” en matière de libre circulation des marchandises : mythe ou réalité? », R.T.D.Eur., 2011, p. 717; N. De Sadeleer, « L’examen, au regard de l’article 28 CE, des règles nationales régissant les modalités d’utilisation de certains produits », J.D.E., 2009, p. 247; A. Rigaux, « Définition des mesures d’effet équivalent », Europe, avril 2009, p. 20. Voy. aussi deux ouvrages collectifs récents : L. Azoulai (éd.), L’entrave dans le droit du marché intérieur, Bruxelles, Bruylant, 2011 et L. Gormley, P. Nihoul et E. Van Nieuwenhuyze, What standard after Keck? Free movement provisions and national rules affecting consumer usage or trade access (numéro special du European Journal of Consumer Law), Bruxelles, Larcier, 2012. (22) « [L’article 34 TFUE] reflète l’obligation de respecter les principes de non-discrimination et de reconnaissance mutuelle des produits légalement fabriqués et commercialisés dans d’autres États membres, ainsi que celle d’assurer aux produits [de l’Union] un libre accès aux marchés nationaux » (point 34 de l’arrêt Remorques). Ce motif est d’ailleurs repris in extenso au point 23 de l’arrêt Elenca.


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18 I Journal de droit européen I 2013

Chroniques Droit bancaire et financier européen1

Philippe-Emmanuel Partsch2

............................................................................................................  L’activité de l’Union dans le secteur bancaire et financier est très intense, compte tenu de la crise financière  Les développements les plus significatifs ont concerné tant le droit institutionnel que le droit matériel  Parmi les nombreux domaines concernés, les aides d’État ont été particulièrement à l’honneur ............................................................................................................

1 Développements législatifs Le souci d’assurer la santé durable des finances publiques (A) et celui d’encadrer des activités financières innovantes susceptibles de mettre à mal la stabilité du système financier (B) ont marqué l’activité « législative » au cours de la période sous recension.

A. Initiatives en matière de finances publiques 1. Renforcement du pacte de stabilité et gouvernance économique budgétaire3,

1. — Engagement solennel de discipline le pacte de croissance et de stabilité (P.C.S.) s’était traduit en deux règlements du Conseil du 17 juillet 1997, le premier, qui en forme le volet préventif relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques4, le second, le volet correctif, qui vise à accélérer et à clarifier la mise en œuvre de la procédure concernant les déficits excessifs5. Il a été substantiellement renforcé et étoffé en décembre 2011 avec l’adoption de cinq règlements et d’une directive (Six Pack). 2. — Trois de ces règlements modifient les volets préventif et correctif du pacte. L’instauration du semestre européen vise notamment à améliorer la synchronisation et la coordination des grandes orientations des politiques économiques, des lignes directrices pour l’emploi, des programmes de stabilité (États membres de la zone euro) et de convergence (autres États membres). La surveillance budgétaire est étendue. Une nouvelle référence en termes de dépenses publiques est fixée afin de faciliter l’évaluation des progrès faits afin d’atteindre les objectifs budgétaires spécifiques à moyen terme des États membres (O.M.T.). Cette référence limite la croissance des dépenses publiques en fonction du taux de croissance à moyen terme. Le rythme auquel doit être réduit un niveau excessif de la dette publique (plus de 60% du P.N.B.) est précisé : l’écart par rapport à la valeur de référence doit avoir diminué sur les trois années précédentes à un rythme moyen d’un vingtième par an. Un État qui ne respecte pas ce rythme fera désormais l’objet d’une procédure dite de déficit excessif.

3. — Les deux derniers règlements instaurent une surveillance aux déséquilibres macroéconomiques. Il est vrai que les différentiels de compétitivité, qui ont été les grands oubliés de la construction, sont susceptibles de miner la viabilité de l’Union économique et monétaire (« U.E.M. »). Désormais, sur la base d’un tableau de fond comprenant actuellement dix indicateurs, la Commission dressera un rapport annuel comprenant une analyse économique et financière qualitative de l’économie de chaque État membre. Celui-ci pourra déboucher sur des recommandations. L’État destinataire devra remettre un plan de mesures correctives. 4. — Un nouveau système de sanctions est également introduit pour les États membres de la zone euro. La « constitution, auprès de la Commission, d’un dépôt portant intérêt peut être imposé à un État membre dont il est constaté par le Conseil que les mesures de correction exigées au titre du volet préventif du P.C.S. ou au titre du volet correctif de la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques n’ont pas été prises. Le système de sanction administrative se veut graduel. D’une part, le dépôt portant intérêt est transformé en dépôt ne portant pas intérêt pour les États membres dont le Conseil décide qu’ils connaissent une situation de déficit excessif. Cette même sanction est appliquée à l’égard des États membres en situation de déficit excessif et pour lesquels la Commission a identifié des cas “particulièrement graves”de non-respect des obligations en matière de politique budgétaire. De même, le fait pour un État de ne pas suivre les recommandations du Conseil en vue de la correction de son déficit excessif ou de son déséquilibre macroéconomique l’expose à une amende ou à la conversion de son dépôt en une amende annuelle »6. L’automaticité des sanctions est renforcée par l’introduction de l’exigence de la majorité qualifiée inversée au sein du Conseil. En général, la recommandation de la Commission européenne d’imposer une sanction est réputée adoptée par le Conseil sauf majorité qualifiée en sens contraire. 5. — Enfin, une directive relative au cadre budgétaire vise à assurer que toutes les dépenses des États sont visées par le budget, que les budgets soient fondés sur des prévisions réalistes et fiables et que l’exécution du budget soit soumise à des contrôles par des entités indépendants des jugements nationaux.

(1) Novembre 2011 - Octobre 2012. (2) European Financial and Competition law Partner - Arendt & Medernach et Professeur à l’Université de Liège. Les commentaires relatifs à la présente chronique peuvent être communiqués à Philippe-Emmanuel.Partsch@arendt.com. (3) Voy. la résolution du Conseil européen du 17 juin 1997 relative au pacte de stabilité et de croissance. (4) Règlement 1466/97/CE, J.O. L 209, p. 1. (5) Règlement 1467/97/CE, J.O. L 209, p. 7. (6) F. Allemand et F. Martucci, « La nouvelle gouvernance économique européenne », Cah. dr. eur., 2012/1, pp. 17-99, spécialement p. 73.


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Chroniques 2. Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (« T.S.C.G. ») 6. — Officieusement connu sous le nom de « pacte budgétaire européen », cet accord intergouvernemental entre vingt-cinq États membres de l’Union européenne (le Royaume-Uni et la République tchèque ayant refusé d’y prendre part) a été signé le 2 mars 2012. L’accord conditionne la poursuite de l’aide aux États membres de la zone euro en proie à des difficultés. Le T.S.C.G. requiert l’équilibre des budgets des administrations publiques. La règle doit être coulée en droit national dans un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur du Traité, sous forme de dispositions contraignantes et permanentes, de préférence constitutionnelles, et prévoir un mécanisme de correction automatique en cas de dérapage. En cas de dette publique supérieure à 60% du P.I.B., l’excédent doit être réduit annuellement de 5%. Le T.S.C.G. entrera en vigueur au plus tôt le 1er janvier 2013.

3. Le mécanisme européen de stabilité (M.E.S.) 7. — Le 2 février 2012, les États membres de la zone euro ont signé une nouvelle version du Traité établissant le M.E.S. à la suite de toutes les évolutions intervenues depuis l’été 2011. Cet accord intergouvernemental qui tombe dans les prévisions du nouveau paragraphe 3 de l’article 136 TFUE, est le substitut à vocation permanente de deux dispositifs temporaires européens de gestion des crises financières de la zone euro que sont le Fonds européen de stabilité financière et le mécanisme européen de stabilité financière. Entré en vigueur le 27 septembre 2012, le M.E.S. a été installé le 8 octobre 2012. Capable de lever des fonds sur les marchés financiers pour un montant allant jusqu’à 700 milliards d’euros, le M.E.S. a pour mission d’aider, sous une stricte conditionnalité, un État de la zone euro en difficulté, à sa demande. Il peut aussi octroyer une assistance financière sous forme de prêt à un tel État dans le but spécifique de recapitalisation des institutions financières de celui-ci. 8. — Le M.E.S. a suscité un renvoi préjudiciel de la Cour supérieure d’Irlande dans l’affaire Pringle, C-370/12. En substance, la Cour est interrogée sur la validité de l’introduction de l’article 136, § 3, TFUE, à la suite d’une révision simplifiée du Traité fondée sur l’article 48, § 6, TUE, sur la possibilité pour les États membres de la zone euro d’être partie à cet accord intergouvernemental et sur le point de savoir si l’entrée en vigueur de l’article 136, § 3, TFUE, conditionne la compatibilité de cet accord avec le droit européen.

B. Réglementation des activités financières 1. Vente à découvert et contrats d’échange sur risque de crédit 9. — Applicable depuis le 1er novembre 2012, le règlement (CE) no 236/2012 du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2012 sur la vente à découvert et certains aspects des contrats d’échange sur risque de crédit (CDS) impose, en fonction de seuils prédéterminés, des obligations de notification auprès des régulateurs — voire des obligations de publication — des positions courtes nettes importantes constituées sur certains instruments financiers. Il soumet également les ventes à découvert non

couvertes d’actions et de dettes souveraines à des restrictions visant à prévenir les défauts de livraison. En outre, le règlement encadre les conditions dans lesquelles les autorités nationales compétentes ainsi que l’autorité européenne des marchés financiers (A.E.M.F.) peuvent intervenir en cas de situation exceptionnelle menaçant la stabilité financière.

2. Produits dérivés de gré à gré 10. — Le règlement (UE) no 648/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 sur les produits dérivés de gré à gré, les contreparties centrales et les référentiels centraux vise à réduire les risques systémiques sur les produits dérivés de gré à gré. Pour ce faire, il impose une obligation de compenser tout dérivé de gré à gré considéré comme éligible par l’AEMF dans des chambres de compensation autorisées à cet effet. En ce qui concerne les dérivés de gré à gré non compensés, le règlement prévoit qu’ils doivent faire l’objet de techniques d’atténuation des risques opérationnel et de crédit. De manière générale, tous les contrats de produits dérivés de gré à gré doivent être déclarés à des référentiels centraux (bases de données centrales enregistrées ou reconnues par l’A.E.M.F.). Ces derniers publient des positions agrégées dans un souci d’assurer la transparence du marché. Le règlement entrera en application le 1er janvier 2013.

2 Développements jurisprudentiels A. Fiscalité directe, O.P.C. et fonds de pension 11. — Au cours de la période recensée, la Cour de justice a rendu pas moins de six arrêts en matière de fiscalité directe d’organismes de placement collectif (O.P.C.) et de pension. 12. — D’abord, la Cour a rendu trois arrêts concernant des régimes fiscaux nationaux discriminant les O.P.C. étrangers, que ce soit en leur qualité de contribuable (nos 13-14) ou en tant qu’objet de placement par des investisseurs (nos 15-21). 13. — Ces trois arrêts sont notables en ce sens que la Cour de justice a censuré trois discriminations fiscales pénalisant des O.P.C. non-résidents de manière nette et sans conclusions d’avocat général, par des arrêts rendus par ses chambres, signes que sa jurisprudence fiscale est bien établie. 14. — Dans les affaires C-338 à C-347/11, la Cour a jugé que la liberté des capitaux s’opposait à la réglementation française qui prévoyait l’imposition, au moyen d’une retenue à la source, des dividendes d’origine nationale uniquement lorsqu’ils sont perçus par des organismes de placement collectifs en valeurs mobilières (O.P.C.V.M.) résidant dans un autre État. 15. — Dans l’affaire C-370/11, Commission c. Belgique, la Cour a jugé que l’accord EEE s’oppose à la réglementation belge qui impose les plus-values réalisées par des personnes physiques résidant en Belgique dans le cadre d’une gestion normale du patrimoine privé lors du rachat de parts d’O.P.C. non coordonnés uniquement lorsque ces organismes sont non-résidents. Cet arrêt qui concerne des O.P.C. non coordonnés, illustre le fait que, même en l’absence de directive d’harmonisation, les États membres sont soumis aux libertés de circulation qui leur interdisent, en matière fiscale, d’opérer des discriminations en raison de la nationalité ou du lieu d’établissement.


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Chroniques 16. — Du troisième arrêt, VBV - Vorsorgekasse AG7, relatif à une réglementation autrichienne, il ressort qu’un État membre ne peut pas subordonner la souscription par des investisseurs résidents de parts d’un O.P.C. non-résident et non coordonné à la condition que celui-ci ait été autorisé à commercialiser ses parts sur le territoire de l’État membre des investisseurs. En effet, même en l’absence d’une telle initiative, un O.P.C. non-résident est en droit de recevoir des souscriptions d’investisseurs d’un autre État membre, à la suite d’une démarche de ceux-ci.

des articles 63 TFUE et 40 de l’accord sur l’Espace économique européen11.

Jugé aussi qu’une autre législation autrichienne en vertu de laquelle seuls les établissements de crédit nationaux et les fiduciaires économiques nationales peuvent être désignés en tant que représentants fiscaux de fonds d’investissement ou de fonds d’investissement immobilier contrevient aux articles 49 TFUE et 36 de l’accord sur l’Espace économique européen8. Il n’y a, en effet, aucun rapport entre l’exigence d’une présence sur le territoire national et le souci d’assurer la qualité des prestations visées.

23. — Au niveau national, l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 février 2012 a réformé intégralement une décision de l’autorité de la concurrence du 20 septembre 2010 relative à une coopération horizontale relative à l’émission des chèques.

17. — Dans une autre affaire9 était en cause une législation polonaise limitant la valeur totale des placements effectués à l’étranger par les fonds de pension ouverts (ci-après « F.P.O. ») qui constituent le deuxième pilier obligatoire du régime national des pensions à 5% de la valeur des actifs du fond. En outre, les placements dans les parts émises par des organismes de placement collectif ayant leur siège à l’étranger ne sont pas pris en considération pour le calcul de l’assiette servant de base à la détermination de la rémunération du F.P.O. 18. — La Cour a jugé que les limitations tant quantitatives que qualitatives s’agissant des investissements effectués à l’étranger constituaient des restrictions à la liberté des capitaux tant pour les F.P.O. que pour les sociétés établies dans d’autres États membres (obstacle à la collecte de capitaux). 19. — Sur un plan général, la Cour de justice a reconnu que l’intérêt de garantir la stabilité et la sécurité des actifs administrés par un fonds de pension, notamment par l’adoption de règles prudentielles, constitue une raison impérieuse d’intérêt général, susceptible de justifier des restrictions à la libre circulation des capitaux. En l’occurrence, la Cour de justice a toutefois jugé les restrictions polonaises disproportionnées. 20. — Cette motivation10 pourrait s’avérer précieuse dans le sens où elle pourrait contrecarrer les velléités de législateurs ou de régulateurs nationaux d’imposer des restrictions d’investissement excessives à certains opérateurs financiers, compte tenu de la surveillance à laquelle ils sont par ailleurs déjà soumis (conditions d’agrément, surveillance permanente, obligations de reporting). Ce faisant, la Cour de justice a manifesté son attachement à l’autonomie de gestion des opérateurs financiers. 21. — Jugé également par la Cour de justice que, en réservant le bénéfice de l’exonération de l’impôt sur les sociétés aux seuls fonds de retraite résidant sur le territoire portugais, la république portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu

B. Concurrence 1. Ententes 22. — La période sous recension aura été l’occasion de voir à l’œuvre deux conceptions radicales du contrôle juridictionnel de décisions d’autorités de la concurrence.

24. — Avant le 1er janvier 2002 et le passage à l’euro, l’échange des chèques entre les banques aux fins de compensation s’effectuait manuellement en France. Les banques remettantes envoyaient quotidiennement les chèques dits « interbancaires » (tirés par les clients d’une banque différente) qu’elles avaient reçus de leurs clients dans l’une des chambres de compensation de la Banque de France. Après deux tentatives avortées, il a été entrepris de moderniser ce système à l’occasion de l’introduction de l’euro. Grâce à la numérisation des chèques, le système « Echange d’image-chèques » (E.I.C.) a supprimé la circulation physique des chèques et réduit de plus d’un jour le temps de traitement des chèques. L’accord de toutes les banques étant nécessaire à l’évolution du système des chèques, onze banques réunies au sein d’une Commission, dont la Banque de France, ont négocié un accord en 2000. À cette occasion, elles ont convenu notamment de l’instauration d’une commission fixe à l’opération sur chaque chèque traité, appelée Commission d’échange imagechèque (« C.E.I.C. »). Cette commission payée par la banque remettante à la banque tirée devait compenser la perte de trésorerie de cette dernière découlant de la réforme du système. 25. — Cette C.E.I.C. avait suscité les foudres de l’autorité qui l’avait qualifiée de restriction de concurrence « par l’objet », visant à fixer indirectement les prix appliqués aux clients des banques. Selon l’autorité, cette commission qui ne correspond à aucun service rendu, augmentait artificiellement les coûts supportés par les banques remettantes, ce qui a ainsi pesé sur le niveau des prix des services bancaires. En retenant la qualification de restriction par l’objet, l’autorité avait évité de devoir faire la preuve concrète et difficile des effets de la C.E.I.C. sur la concurrence12. 26. — La Cour a réformé la décision dans son entièreté. Elle est arrivée à la conclusion que l’analyse conduite par l’autorité ne permet pas d’asseoir une qualification de restriction par l’objet de la clause incriminée, notamment au motif que « la mise en œuvre de l’E.I.C., projet d’intérêt général, a été activement soutenue par la Banque de France ». Celle-ci, « autorité de tutelle des établissements bancaires, a exercé un important rôle d’influence pour parvenir à la conclusion de l’accord, en proposant notamment un compromis quant au montant et à la durée de la C.E.I.C. ». L’autorité a introduit un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel le 23 mars dernier.

(7) C.J.U.E., VBV - Vorsorgekasse AG, C-39/11, non encore publié au Recueil. (8) C.J.U.E., 29 septembre 2011, Commission c. Autriche, C-387/10, non encore publié au Recueil. (9) C.J.U.E., 21 décembre 2011, Commission c. Pologne, C-271/09, non encore publié au Recueil. (10) Désormais bien établie, puisque la C.J.U.E. l’a reproduite quelques mois plus tard dans l’arrêt VBV-Vorsorgekasse AG, résumé ci-dessus. (11) C.J.U.E., 6 octobre 2011, Commission c. Portugal, C-493/09, non encore publié au Recueil. (12) C.J.U.E., arrêts du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a., C-8/08, points 28 et 30, et du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services c. Commission, C-501/06 P, C-513/06 P, C-515/06 P et C-519/06 P, point 55.


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Chroniques 27. — L’arrêt d’annulation de la cour d’appel de Paris du 23 février 2012 tranche avec celui du Tribunal de l’Union européenne (ciaprès le « Tribunal » ou « TUE »)13 du 24 mai dernier par lequel celui-ci a confirmé en tous points la décision de la Commission14 déclarant contraire au droit de la concurrence européen, les commissions multilatérales d’interchange (« C.M.I. ») instaurées par le système de paiement mis en place par MasterCard. 28. — Selon le système international de paiement de MasterCard dit « quadripartite », des commissions multilatérales d’interchange sont versées par la banque du commerçant (« banque acquéreuse ») à la banque du titulaire de carte (« banque émettrice ») à chaque transaction effectuée par carte de paiement chez les détaillants. Les C.M.I. correspondent à une fraction du prix d’une transaction par carte de paiement, conservée par la banque d’émission de la carte. Le coût des C.M.I. est imputé aux commerçants dans le cadre plus général des frais qui leur sont facturés pour l’utilisation des cartes de paiement par l’établissement financier qui gère leurs transactions. Les C.M.I. ont été déclarées contraires à l’article 81 du Traité C.E. (désormais 101 TFUE) en ce qu’elles ont pour effet d’établir, lors de l’usage de cartes de paiement, un niveau plancher pour les frais imputés aux commerçants, appelés « frais de service commerçant ». De même, MasterCard n’a pas réussi à démontrer l’existence d’éventuels effets positifs en matière d’innovation et d’efficience qui auraient permis aux consommateurs de bénéficier d’une partie équitable des avantages découlant des C.M.I. 29. — Il résulte de l’arrêt commenté que le Tribunal a limité, à double titre, son contrôle de la décision de la Commission. En premier lieu, le Tribunal s’en est remis de façon récurrente à l’analyse de la Commission. À deux reprises, considérant que la Commission s’est livrée à des appréciations économiques complexes, il a limité son contrôle à la vérification du respect des règles de procédure, du caractère suffisant de la motivation et de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste et de détournement de pouvoir15. En outre, à huit reprises, il a considéré que la Commission avait « raisonnablement » motivé sa décision. Cette approche semble aller à l’encontre de deux arrêts de la Cour de justice de décembre 201116, qui faisaient eux-mêmes écho à la jurisprudence Menarini de la Cour européenne des droits de l’homme (« C.E.D.H. »), rendue deux mois auparavant17. La Cour de justice avait alors jugé que « si, dans les domaines donnant lieu à des appréciations économiques complexes, la Commission dispose d’une marge d’appréciation en matière économique, cela n’implique pas que le juge de l’Union doit s’abstenir de contrôler l’interprétation, par la Commission, de données de nature économique. En effet, le juge de l’Union doit notamment vérifier non

seulement l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation économique complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées ». En second lieu, on peut se demander si, en considérant que la Commission pouvait raisonnablement tenir pour acquis certains faits, le Tribunal ne s’est pas écarté de la jurisprudence constante de la Cour de justice, selon laquelle « en cas de litige sur l’existence d’une infraction aux règles de concurrence, il appartient à la Commission de rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction »18. 30. — Mettant à profit l’arrêt MasterCard du T.U.E., la Commission européenne a déjà adressé une communication des griefs complémentaires à Visa fin juillet 2012 en ce qui concerne les C.M.I. fixées par Visa pour les opérations effectuées au moyen de cartes de crédit « consommateurs » dans l’Espace économique européen. Plus généralement, le secteur des paiements fait l’objet d’une activité très soutenue de la Commission européenne et des autorités nationales de la concurrence 19 . Notamment, l’autorité de la concurrence française, conformément à sa décision rendue en juillet 2011 concernant les commissions interbancaires liées aux transactions effectuées au moyen de cartes de paiement20 a mis fin à la procédure menée à l’encontre de certaines banques en contrepartie de la suppression définitive des principales commissions interbancaires appliquées aux prélèvements, titres interbancaires de paiement et autres moyens de paiements scripturaux21. Par ailleurs, des interventions réglementaires en la matière sont envisagées22.

2. Aides d’État 31. — Les multiples décisions de la Commission européenne d’autorisation d’aides aux banques commencent à donner lieu à contentieux devant les juridictions européennes.

a) Critère de l’investisseur en économie de marché 32. — Le 2 mars 201223, le Tribunal de l’Union européenne (ciaprès « le Tribunal ») a partiellement annulé la décision de la Commission relative aux aides accordées par l’État néerlandais à la société ING en raison de la crise financière. 33. — L’accord initial de souscription prévoyait que les titres devaient, à l’initiative d’ING, soit être rachetés à 15 EUR par titre (ce qui représentait une plus-value de remboursement de 50% par rapport au prix d’émission), soit au bout de trois ans, être conver-

(13) T.U.E., 24 mai 2012, MasterCard et autres c. Commission européenne, T-111/08, non encore publié au Recueil. (14) Décision C(2007) 6474 final du 19 décembre 2007 relative à une procédure d’application de l’article 81 du Traité instituant la Communauté européenne et de l’article 53 de l’accord EEE. (15) TUE, MasterCard et autres c. Commission européenne, précité, points 82 et 202. (16) C.J.U.E., 8 décembre 2011, KME c. Commission, C-389/10, non encore publié au Recueil., et C.J.U.E., 8 décembre 2011, Chalkor AE Epexergasias Metallon c. Commission, C-386/10, non encore publié au Recueil. (17) C.E.D.H., 27 septembre 2011, A. Menarini Diagostics s.r.l. c. Italie, no 43509/08. (18) C.J.C.E., 17 décembre 1988, Baustahlgewebe GmbH c. Commission, C-185/95, point 58. (19) Voy. le rapport du sous-groupe « Banque et paiements » du Réseau européen de la concurrence http://ec.europa.eu/competition/sectors/financial_services/information_paper_payments_en-pdf. (20) Décision no 11-D-11, rendue le 7 juillet 2011. (21) Décision no 12-D1-17 rendue le 5 juillet 2012. (22) Voy. Livre vert de la Commission européenne du 11 janvier 2012, Vers un marché européen intégré des paiements par carte, par internet et par téléphone mobile, COM(2011) 941 final; projet de rapport du Parlement européen du 4 juin 2012 (2012/2040(INI). (23) T.U.E., 2 mars 2012, Pays-Bas c. Commission et ING Groep n.v. c. Commission, T-29/10 et T-33/10, non encore publié au Recueil.


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22 I Journal de droit européen I 2013

Chroniques tis en actions ordinaires. Si ING retenait la seconde option, les Pays-Bas avaient la faculté d’obtenir de la part d’ING le rachat des titres au prix unitaire de souscription de 10 EUR plus les intérêts courus. Un coupon sur les titres ne devait être payé aux Pays-Bas que si un dividende était mis en paiement par ING sur les actions ordinaires. 34. — Par la suite, les conditions de remboursement ont été modifiées pour une partie de l’apport en capital. Ces nouvelles modalités prévoyaient qu’ING pouvait racheter jusqu’à 50% des titres à leur prix d’émission, majoré des intérêts courus eu égard au coupon annuel de 8,5% et d’une prime de remboursement anticipé, si le cours de l’action ING était supérieur à 10 EUR. Cette prime assurait un taux de rentabilité interne minimal de 15%. 35. — Le Tribunal a estimé que la Commission ne pouvait se soustraire à son obligation d’examiner la rationalité économique de la modification des conditions de remboursement au regard du critère de l’investisseur privé au seul motif que l’apport en capital faisant l’objet du remboursement constituait déjà une aide d’État. En effet, ce n’est qu’à l’issue d’un tel examen que la Commission aurait pu être capable de conclure ou non à l’octroi d’un avantage supplémentaire au sens de l’article 87, paragraphe 1 er , CE (article 107, § 1er, du TFUE). À cet égard, le Tribunal a relevé notamment le fait que les conditions initiales ne prévoyaient pas une obligation, mais simplement une faculté pour ING de racheter les titres souscrits par l’État néerlandais dans le délai de trois ans et le fait que, par les conditions modifiées, l’État s’est assuré la perception d’un rendement annuel de 15%. 36. — Sur ce dernier point, il a également reproché à la Commission de n’avoir pas déterminé en quoi un rendement compris entre 15% et 22% accordé à l’État néerlandais ne correspondait pas à ce qui pouvait raisonnablement être attendu d’un investisseur privé confronté à une situation similaire.

b) Aides d’État - Garantie étatique 37. — Dans un arrêt du 20 septembre 2012 dans l’affaire T-154/ 10, France c. Commission, le Tribunal a confirmé la décision de la Commission européenne constatant que, sous l’empire de son ancien statut, la Poste française bénéficiait d’une aide d’État consistant dans la garantie implicite et illimitée de l’État français aux établissements publics industriels et commerciaux (E.P.I.C.). Le Tribunal a notamment relevé que l’octroi d’une garantie à des conditions qui ne correspondent pas à celles du marché, telle qu’une garantie illimitée octroyée sans contrepartie, a pour conséquence une amélioration de la position financière du bénéficiaire par un allégement des charges, qui, normalement, grèvent son budget. En outre, une garantie d’État illimitée permet notamment à son bénéficiaire d’obtenir des conditions de crédit plus favorables que celles qu’il aurait obtenues du fait de ses seuls mérites et, partant, de réduire à nouveau ses charges. 38. — En l’occurrence, la Commission avait déduit l’existence d’une telle garantie de plusieurs éléments concordants. Premièrement, La Poste n’était pas soumise au droit commun du redresse-

ment et de la liquidation d’entreprises en difficulté. Deuxièmement, la loi no 80-539, à laquelle La Poste était soumise, plaçait les créanciers des E.P.I.C. dans une situation bien plus favorable que celle des créanciers de personnes privées. Troisièmement, « dans l’hypothèse peu probable où la procédure fixée par la loi [no 80-539] ne permettrait pas au créancier d’être remboursé », ce dernier pouvait, en outre, obtenir satisfaction en engageant la responsabilité de l’État.

c) Aides d’État et marchés financiers 39. — Le 24 novembre 2011, la Cour de justice a rejeté le pourvoi formé par l’État Italien contre l’arrêt du Tribunal du 4 septembre 200924, rejetant le recours en annulation qu’il avait introduit contre la décision de la Commission déclarant le régime d’aide aux entreprises nouvellement cotées en Bourse incompatible avec le marché commun. 40. — La Cour a notamment rejeté les moyens par lesquels les autorités italiennes contestaient les différents éléments de sélectivité retenus par la Commission. 41. — En premier lieu, seules les sociétés, qui satisfaisaient aux conditions de capitalisation, financières et comptables prévues pour être admises à la cote pour la première fois auprès d’un marché réglementé, pouvaient bénéficier de l’aide. Cela excluait les entreprises déjà cotées et celles qui décident de ne pas se faire coter. En deuxième lieu, l’aide en cause bénéficiait principalement aux entreprises italiennes puisque pour celles-ci, les allégements fiscaux s’appliquaient aux bénéfices réalisés au niveau mondial et pas uniquement à ceux réalisés en Italie. Enfin, le régime ne bénéficiait qu’aux sociétés susceptibles d’être admises à la cote au cours d’une période très limitée comprise entre le 2 octobre 2003 et le 31 décembre 2004. 42. — Cette jurisprudence est tout à fait orthodoxe. Notamment, le caractère temporaire d’une mesure est souvent l’indice de sa nature discriminatoire et dérogatoire au système fiscal pertinent de droit commun. 43. — La Cour a également rejeté le moyen tiré de la violation de la notion d’aide au fonctionnement. À cet égard, elle a estimé que le fait que les aides soient destinées à promouvoir la cotation des sociétés en Bourse ne fait pas échapper à la qualification d’aides au fonctionnement. En effet, la cotation n’est pas en elle-même, un investissement spécifique, car elle ne constitue pas une dépense en investissements matériels ou immatériels ni une dépense pour l’engagement d’un nouveau personnel lié à un nouvel investissement. En outre, les avantages fiscaux ainsi octroyés, en favorisant l’accès à des sources de capital déterminées, tendaient seulement à la réduction des charges que les entreprises supportent normalement dans le cadre de leur activité.

3. Contrôle des concentrations 44. — Le 1er février 2012, après plus de six mois de négociations et alors que les parties avaient proposé des engagements25, la Commission s’est opposée au projet de concentration entre Deutsche Börse et NYSE Euronext, car « il aurait entraîné la créa-

(24) T.U.E., 4 septembre 2009, Italie c. Commission, T-211/05, Recueil. p. II,-2777. (25) Les sociétés ont notamment proposé de vendre certains actifs et d’ouvrir l’accès à leur chambre de compensation à certaines catégories de nouveaux contrats, mais globalement, les engagements pris ne suffisaient pas pour résoudre les problèmes de concurrence constatés.


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Chroniques tion d’un quasi-monopole pour les transactions en bourse, à l’échelon inter national, sur produits financiers dérivés européens ». Elle a relevé qu’ensemble, les deux bourses contrôlent plus de 90% des transactions mondiales sur ces produits financiers dérivés européens et que, en cas de succès de l’opération, de nouveaux concurrents auraient peu de chances de s’imposer suffisamment sur le marché pour constituer une menace crédible. 45. — Elle a aussi estimé qu’aucun des gains d’efficacité ne serait suffisamment important pour compenser le préjudice (structurel) causé par l’opération. Pour la Commission, ces gains étaient d’ailleurs moindres que ceux allégués par les parties et pouvaient être obtenus sans la fusion. Finalement, elle a jugé les engagements proposés par les parties insuffisants, difficiles à mettre en œuvre et d’une efficacité pratique douteuse. 46. — Cette décision n’est pas surprenante. Sur un marché caractérisé par un duopole, la Commission admet très rarement une fusion entre les deux opérateurs. Par ailleurs, elle apparaît en phase avec la politique déployée par la Commission européenne dans la réforme globale du secteur bancaire et financier qu’elle a entrepris : une concurrence accrue entre les plates-formes d’échange d’instruments financiers (MiFID) et la nécessité de préserver la concurrence sur un marché que, dans un souci de transparence et de contrôle des activités financières, elle cherche à privilégier, celui des transactions en bourse (par opposition à la négociation de gré à gré) des produits dérivés, ainsi que l’atteste sa proposition du 15 septembre 2010 de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les produits dérivés négociés de gré à gré, les contreparties centrales et les référentiels centraux26. Coïncidence (?), un accord est intervenu entre les trois institutions européennes sur cette proposition de règlement le 9 février dernier, soit 8 jours après la décision d’interdiction de la fusion.

C. Directive MiFID - notion de marché réglementé 47. — Le 22 mars 2012, la Cour de justice a été amenée à interpréter pour la première fois la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers (dite « directive MiFID »). 48. — Plus précisément, l’arrêt porte sur la notion de marché réglementé, laquelle est définie à l’article 4, paragraphe 1 er , point 14, de la directive : « un système multilatéral, exploité et/ou géré par un opérateur de marché, qui assure ou facilite la rencontre — en son sein même et selon ses règles non discrétionnaires — de multiples intérêts acheteurs et vendeurs exprimés par des tiers pour des instruments financiers, d’une manière qui aboutisse à la conclusion de contrats portant sur des instruments financiers admis à la négociation dans le cadre de ses règles et/ou de ses systèmes, et qui est agréé et fonctionne régulièrement conformément aux dispositions du titre III ». 49. — Des poursuites pénales pour manipulation du cours des actions d’une société anonyme sur le marché d’instruments financiers Rasdaq en Roumanie avaient été engagées. La directive sur les abus de marché ne s’appliquant qu’aux opérations sur marchés réglementés, la question préalable de savoir si le marché Rasdaq était réglementé ou non se posait. À cet égard, l’affaire soulevait en substance la question de savoir si la fusion de l’opé-

rateur d’un marché non réglementé avec l’opérateur d’un marché réglementé conférait la qualité de marché réglementé au premier de ces marchés. 50. — La réponse de la Cour a été négative. À cet égard, celle-ci a développé une interprétation littérale, systématique et téléologique de la directive MiFID. Se fondant sur les paragraphes 1er et 5 de l’article 36 de la directive MiFID, la Cour de justice a estimé que, « pour être qualifié de “marché réglementé”, au sens de l’article 4, § 1er, point 14, de la directive 2004/39, un marché d’instruments financiers doit être agréé en tant que marché réglementé et, d’autre part, que son fonctionnement conformément aux exigences visées dans le titre III de cette directive constitue une condition essentielle pour l’obtention et le maintien de cet agrément ». En revanche, il découle de l’ensemble de la directive que le fait que l’opérateur d’un marché non réglementé ait fusionné avec celui d’un marché réglementé est dénué de pertinence en ce qui concerne la question de savoir si ce premier marché est un marché réglementé. 51. — À cet égard, la Cour de justice a relevé que la directive MiFID envisage explicitement des situations où l’opérateur d’un marché réglementé exploite également un autre système de négociation, sans que ce dernier devienne un marché réglementé en vertu de cette exploitation parallèle. 52. — Enfin, la Cour de justice a souligné que les objectifs de la directive MiFID consistent, notamment, en la protection des investisseurs, en la préservation de l’intégrité et de l’efficacité globale du système financier ainsi qu’en la transparence des transactions. Or permettre à un marché ne répondant pas aux exigences figurant au titre III de celle-ci d’être qualifié de marché réglementé au seul motif qu’il est exploité par l’opérateur d’un autre marché agréé en tant que marché réglementé risquerait de porter atteinte à ces objectifs.

D. Opérations d’initiés 53. — La notion d’information privilégiée peut-elle consister dans une étape intermédiaire d’un processus complexe? Comment se caractérise la notion d’ensemble de circonstances ou d’un événement « dont on peut raisonnablement penser » qu’il existera ou se produira au sens de l’article 1er, § 1er, de la directive 2003/124/CE de la Commission, du 22 décembre 2003, portant modalités d’application de la directive 2003/6/CE en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilégiées et la définition des manipulations de marché? Telles sont les deux questions préjudicielles sur la notion d’information privilégiée de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil27 que la Cour de justice a dû trancher à l’occasion de l’affaire suivante. 54. — Après l’assemblée générale de Daimler AG, qui s’est tenue le 6 avril 2005, M. Schrempp, président de son directoire, a envisagé l’éventualité de mettre fin anticipativement à son mandat, et a communiqué cela, en premier lieu, à son épouse, laquelle s’occupait de son bureau en qualité de cadre. Le 17 mai 2005, il a fait part de son intention au président du conseil de surveillance de

(26) Sur ce règlement, voy. supra, no 10. (27) Du 28 janvier 2003 sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché).


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Chroniques Daimler AG. Le projet a ensuite mûri progressivement, puisqu’une telle décision impliquait une réorganisation des responsabilités au sein de la direction de Daimler AG. Le 28 juillet 2005, le cours de l’action de Daimler a fortement monté, à la suite de la publication de la décision du conseil de surveillance de Daimler, adoptée le même jour, selon laquelle M. Schremp quitterait son poste à la fin de cette année et qu’il serait remplacé par M. Zetsche. De nombreux investisseurs qui avaient vendu leurs actions avant cette nouvelle, ont agi en justice pour obtenir réparation du préjudice subi, en faisant valoir que la communication en question avait été effectuée tardivement. 55. — En premier lieu, la Cour de justice28 a jugé que, s’agissant d’un processus étalé dans le temps visant à réaliser une certaine circonstance ou à provoquer un certain événement, peuvent constituer des informations à caractère précis au sens de ces dispositions non seulement cette circonstance ou cet événement, mais également les étapes intermédiaires de ce processus qui sont liées à la réalisation de ceux-ci. En conséquence, l’émetteur avait l’obligation de les communiquer dès que possible, avant même l’achèvement du processus. 56. — À cet effet, la Cour de justice s’est fondée tant sur le libellé de la directive d’exécution 2003/124/CE — une argumentation singulière, un acte d’exécution ne pouvant déterminer la portée d’un acte de base — qui mentionne notamment des situations constituant des cas typiques d’étapes intermédiaires de processus graduels, que sur la finalité de la directive 2003/6/CE d’assurer l’intégrité des marchés financiers de l’Union et de renforcer la confiance des investisseurs dans ces marchés 57. — En ce qui concerne la notion d’un ensemble de circonstances ou d’un événement dont on peut raisonnablement penser qu’il existera ou se produira (seconde question préjudicielle), la Cour précise que sont visés les circonstances ou événements futurs dont il apparaît, sur le fondement d’une appréciation globale des éléments déjà disponibles, qu’il y a une réelle perspective qu’ils existeront ou se produiront. Il n’est, dès lors, pas nécessaire de démontrer une probabilité élevée des circonstances ou des événements visés. De plus, l’ampleur de leur effet possible sur le cours des instruments financiers concernés est sans incidence pour interpréter cette notion.

E. T.V.A. et services financiers 58. — Dans l’arrêt du 19 juillet 2012, Deutsche Bank AG29, la Cour de justice a jugé que la gestion de patrimoine au moyen de valeurs mobilières n’est pas exonérée de taxe sur la valeur ajoutée. Notamment, elle a estimé que cette activité ne constitue ni de la gestion de fonds communs de placement ni une opération portant sur des actions et autres titres au sens respectivement des littera f et g de l’article 135, § 1er, de la directive 2006/112/CE du Conseil du 26 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.

59. — D’abord, une prestation de gestion de patrimoine au moyen de valeurs mobilières, telle que celle en cause dans le litige au principal, à savoir une activité rémunérée consistant, pour un assujetti, à prendre des décisions autonomes d’achat et de vente de valeurs mobilières et à exécuter ces décisions par l’achat et par la vente de valeurs mobilières, est composée de deux éléments qui sont si étroitement liés qu’ils forment, objectivement, une seule prestation économique. En effet, il y a une prestation d’analyse et de surveillance du patrimoine du client investisseur, d’une part, ainsi qu’une prestation d’achat et de vente de titres proprement dite, d’autre part. Si les prestations d’achat et de vente de titres, constituant l’une des composantes de l’activité de gestion de patrimoine au moyen de valeurs mobilières, sont susceptibles d’entrer dans le champ d’application de l’article 135, § 1er, sous f), de la directive 2006/ 112, il n’en va pas de même des prestations indissociables et non accessoires d’analyse et de surveillance du patrimoine. Par ailleurs, des prestations telles que celles effectuées par Deutsche Bank AG au principal concernent généralement les actifs d’une seule personne, dont la valeur totale doit être relativement élevée pour que leur gestion soit rentable. Le gérant de portefeuille achète et vend des produits de placement au nom et pour le compte du client investisseur, qui conserve la propriété des différentes valeurs mobilières particulières pendant toute la durée du contrat et lorsque celui-ci prend fin. Or la gestion de fonds communs de placement au sens de l’article 135, § 1er, sous g), de la directive 2006/112/CE, laquelle est exonérée, se rapporte à des fonds communs dans lesquels de nombreux placements sont regroupés et répartis sur une série de valeurs mobilières qui peuvent être gérées efficacement afin d’optimiser les résultats, et dans lesquels les placements individuels peuvent être relativement modestes. Ces fonds gèrent leurs placements en leur propre nom et pour leur propre compte, tandis que chaque client investisseur détient une participation dans le fonds, mais non pas les placements du fonds eux-mêmes. En conséquence, la gestion de patrimoine au moyen de valeurs mobilières se distingue également de la gestion de fonds communs de placement au sens de l’article 135, § 1er, sous g), de ladite directive.

F. Protection des consommateurs 1. Directive 93/13/CE30 concernant les clauses abusives 60. — Dans deux arrêts, la Cour a eu l’occasion de préciser les conséquences de l’existence d’une clause abusive contenue dans un contrat entre un professionnel et un consommateur. 61. — Répondant à une question préjudicielle portant sur l’article 6, paragraphe 1er, de la directive 93/13/CEE dans un arrêt du 15 mars 201231, la Cour de justice rappelle que les juridictions nationales sont tenues, lorsqu’elles constatent des clauses abusives dans un contrat, de tirer les conséquences qui s’imposent en droit national, de sorte que les consommateurs ne soient pas liés

(28) C.J.U.E., 28 juin 2012, C-19/11, non encore publié au Recueil. (29) C.J.U.E., 19 juillet 2012, C-44/11, non encore publié au Recueil. (30) Directive 93/ 13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (J.O. L 95, p. 29). (31) C.J.U.E., 15 mars 2012, Jana Perenicovà et Vladislav Perenic c. SOS finac spol s.r.o., C-453/10, non encore publié au Recueil.


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Chroniques par de telles clauses et d’apprécier si le contrat peut malgré tout subsister sans lesdites clauses.

trement, est trompeuse et constitue en conséquence une pratique commerciale déloyale au sens de la directive 2005/29.

62. — Sur ce dernier point, la Cour précise que tant la disposition en cause que les exigences liées à la sécurité juridique des activités économiques militent pour une approche objective lors de l’interprétation de cet article.

2. Directive 85/577/CEE (contrats négociés en dehors des établissements commerciaux)

63. — En conséquence, lors de l’appréciation du point de savoir si le contrat doit subsister sans les clauses abusives, le juge ne saurait se fonder uniquement sur le caractère avantageux que représenterait l’annulation partielle du contrat pour le consommateur (refus du cherry picking). Toutefois, n’ayant pas procédé à une harmonisation totale des législations nationales en matière de clauses abusives, la directive 93/13/CEE n’empêche pas un État membre de prévoir une réglementation nationale permettant de déclarer systématiquement nul dans son ensemble un contrat entre professionnel et consommateur contenant une clause abusive. 64. — D’autre part, jugé à propos de la législation espagnole, dans un arrêt du 14 juin 201232, que la directive 93/13/CEE ne permet pas au juge de réviser le contenu des clauses abusives. Le second membre de phrase de l’article 6, paragraphe 1er, de la directive 93/13, ainsi que le vingt et unième considérant du préambule de celle-ci, prévoient expressément que le contrat conclu entre le professionnel et le consommateur restera contraignant pour les parties «selon les mêmes termes», s’il peut subsister «sans les clauses abusives». 65. — Dans la même affaire, la Cour de justice a également interprété la directive 93/13/CEE en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation d’un État membre (l’Espagne) qui ne permet pas au juge saisi d’une demande d’injonction de payer d’apprécier d’office, in limine litis ni à aucun autre moment de la procédure, alors même qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, le caractère abusif d’une clause d’intérêts moratoires contenue dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, en l’absence d’opposition formée par ce dernier. En effet, il existe un risque non négligeable que les consommateurs concernés ne forment pas l’opposition requise soit en raison du délai particulièrement court (de 20 jours) prévu à cette fin, soit parce qu’ils peuvent être dissuadés de se défendre eu égard aux frais qu’une action en justice entraînerait par rapport au montant de la dette contestée, soit parce qu’ils ignorent ou ne perçoivent pas l’étendue de leurs droits, ou encore en raison du contenu limité de la demande d’injonction introduite par les professionnels et donc du caractère incomplet des informations dont ils disposent. 66. — Jugé enfin dans l’arrêt du 15 mars 2012, précité, en réponse à une seconde question de la Cour saisie du litige au principal, que le fait d’indiquer un taux annuel effectif global (« T.A.E.G. ») inférieur à la réalité constitue une information fausse quant au coût total du crédit, susceptible d’amener le consommateur à prendre une décision qu’il n’aurait pas prise au-

67. — La directive 85/777/CEE du Conseil du 20 décembre, concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux, exclut de son champ d’application les contrats d’assurance (article 3, § 2, sous d)). 68. — Dans un arrêt du 1er mars 201233, la Cour de justice a précisé qu’un contrat en unités de compte, offrant une assurance vie en échange du paiement mensuel d’une prime destinée à être investie, dans différentes proportions, dans des placements à revenu fixe, des placements à revenu variable et dans des produits d’investissement financier tombe dans cette exclusion. 69. — En effet, il contient « au sens strict du terme » une assurance vie. En outre, le fait que les primes aient été destinées à être investies dans des placements à revenu fixe et variable et dans divers produiqts financiers, n’était pas inhabituelle dans la mesure où la pratique des contrats en unités de compte est courante en droit des assurances

3. Directive sur le crédit à la consommation 70. — L’arrêt du 12 juillet 2012 de la Cour de justice dans l’affaire s.c. Volksbank România s.a.34 apporte des précisions intéressantes sur la portée et les implications d’une directive d’harmonisation maximale destinée à protéger les consommateurs. 71. — La directive 2008/48/CE concernant les contrats de crédit aux consommateurs35 prévoit que, dans les domaines qu’elle harmonise, les États membres ne peuvent maintenir ou introduire dans leur droit national d’autres dispositions que celles qu’elle établit. La directive ne s’applique pas aux contrats de crédit en cours à la date d’entrée en vigueur des mesures nationales de transposition. En Roumanie, le texte de transposition prévoit notamment que lorsqu’un crédit est accordé, le créancier peut uniquement percevoir la commission d’analyse du dossier, la commission de gestion du crédit ou la commission de gestion du compte courant, la compensation en cas de remboursement anticipé, les frais afférents aux assurances, le cas échéant, les pénalités, ainsi qu’une commission unique pour les services fournis à la demande des consommateurs. 72. — En l’espèce au principal, une des conditions générales des contrats de crédit conclus entre la banque Volksbank România et ses clients, avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance, prévoit que, pour la mise à disposition du crédit, l’emprunteur peut être redevable, envers la banque, d’une « commission de risque », égale à 0,2% du solde du crédit, à verser mensuellement pendant toute la durée du crédit. L’autorité nationale pour la protection des consommateurs, qui a estimé que la perception de cette commission n’était pas prévue

(32) C.J.U.E., 14 juin 2012, Banco Español de Crédito s.a. c. Joaquín Calderón Camino, C-618/10, non encore publié au Recueil. (33) C.J.U.E., 1er mars 2012, Àngel Lorenzo Gonzàlez Alonso c. Nationale Nederlanden, C-166/11, non encore publié au Recueil. (34) C.J.U.E., 12 juillet 2012, C-602/10, non encore publié au Recueil. (35) Directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil (J.O. L 133, p. 66, et — rectificatifs — J.O. 2009, L 207, p. 14, J.O. 2010, L 199, p. 40, et J.O. 2011, L 234, p. 46). Cette directive devait être transposée au plus tard, le 11 juin 2010.


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Chroniques par le texte de transposition, a infligé à Volksbank une amende ainsi que des sanctions complémentaires. Volksbank ayant objecté que certaines dispositions de ce texte étaient contraires à la directive, la juridiction saisie a demandé à la Cour de justice de préciser la portée de cette dernière. 73. — La Cour a répondu d’abord que l’article 22, § 1er, de la directive 2008/48/CE ne s’oppose pas à ce qu’un texte national de transposition inclue dans son champ d’application matériel des contrats de crédit ayant pour objet l’octroi d’un crédit garanti par un bien immobilier, alors même que de tels contrats sont expressément exclus du champ d’application matériel de ladite directive en vertu de l’article 2, § 2, sous a), de celle-ci. En effet, ainsi qu’il ressort du considérant 10 de la directive 2008/ 48, les États membres peuvent, conformément au droit de l’Union, appliquer des dispositions de cette directive à des domaines qui ne relèvent pas de son champ d’application36. Ce faisant, la Cour de justice a adopté la même approche que dans l’arrêt Testa et L. Lazzeri relatif à l’application de la loi italienne transposant la directive 93/22/CE concernant les services d’investissement dans le domaine des valeurs mobilières à des prestations de conseil en investissement non visées en tant que services principaux par ladite directive37.

74. — De même, pour de tels contrats, les États membres peuvent introduire dans leur réglementation nationale de transposition une règle correspondant spécifiquement à la mesure transitoire prévue dans la directive. Ils peuvent en principe également, dans le respect des règles du T.F.U.E. et sans préjudice d’autres actes de droit dérivé éventuellement pertinents, fixer une mesure transitoire différente de celle prévue dans ladite directive. 75. — En troisième lieu, même pour les contrats relevant de la directive, les États membres peuvent prévoir des exigences supplémentaires dans les domaines non spécifiquement visés par l’harmonisation complète et impérative. À cet égard, si la directive 2008/48 prévoit des obligations relatives à l’information à fournir par le prêteur sur les commissions bancaires, elle ne comporte pas de règles de fond relatives aux types de commissions pouvant être perçues par le prêteur. 76. — De telles exigences supplémentaires doivent cependant être conformes aux libertés de circulation. Sur ce point et en quatrième lieu, la Cour de justice a considéré qu’une disposition nationale telle que celle prévue par le droit roumain ne rend pas moins attrayant l’accès au marché et ne réduit pas véritablement la capacité des entreprises concernées de livrer une concurrence efficace aux entreprises traditionnellement implantées en Roumanie. Son effet sur le commerce intracommunautaire est donc hypothétique.

(36) Dans le même sens, voy. Ph.-E. Partsch, Droit bancaire et financier européen, Larcier 2009, p. 869, no 1434 et note subpaginale 3385. (37) Sur cet arrêt, voy. notamment Ph.-E. Partsch, Droit bancaire et financier européen, précité, pp. 252-253, no 339.

Droit de la consommation(*)

Elise Poillot(**)

............................................................................................................  La Commission veut favoriser la confiance des consommateurs et la croissance au sein de l’Union  Les contrats de consommation ont fait l’objet d’une attention particulière par la jurisprudence  Le contrôle des clauses abusives par le juge national a été précisé ............................................................................................................ Alors que l’année 2011 avait été marquée par la publication de la directive 2011/83/UE, relative aux droits des consommateurs, l’année 2012 a mis à l’honneur le rôle de la Cour de justice dans la construction d’un régime du contrat de consommation. Parmi les arrêts rendus, la matière des clauses abusives a suscité une importante activité jurisprudentielle, permettant notamment de compléter le régime du relevé d’office à l’origine duquel se trouve la Cour. La juridiction luxembourgeoise a par ailleurs pour la première fois été saisie d’une question relative à la notion de support durable dans le cadre de la directive sur le contrat à distance, ce qui lui a donné l’occasion de la préciser. La chronique livre une analyse de ces arrêts et retrace l’actualité institutionnelle au travers de la présentation de l’agenda du consommateur européen

exposant les mesures relatives à la stratégie Europe 2020 en matière de consommation et met en exergue les actions engagées sur son fondement cette année.

1 Actualité institutionnelle Au plan institutionnel, l’événement notable de l’année 2012 est sans aucun doute la publication, le 22 mai de l’agenda du consommateur européen intitulé « Favoriser la confiance et la croissance »1, aucun texte définitif marquant n’ayant été adopté dans le domaine de la protection du consommateur. La Commis-

(*) Année 2012. (**) Professeur en droit civil à l’Université du Luxembourg, directrice du master en droit privé européen, responsable du Groupe de travail en droit privé européen. Les commentaires relatifs à la présente chronique peuvent être communiqués à Elise.Poillot@uni.lu. (1) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions. Un agenda du consommateur européen - Favoriser la confiance et la croissance COM(2012) 225 final.


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Chroniques sion y présente « les mesures phares aujourd’hui nécessaires pour donner au consommateur des moyens d’action et renforcer leur confiance »2. Elle indique concentrer son action dans les secteurs clés de l’action européenne de « l’alimentation, de l’énergie, des transports, des produits et services numériques et des services financiers »3. Les actions envisagées s’inscriraient dans la lignée de celles déjà engagées dans le cadre de diverses propositions comme la révision du règlement itinérance4, la proposition de règlement pour un droit commun européen de la vente5 ou encore la proposition de règlement extrajudiciaire des litiges de consommation (R.E.L.C.) et de règlement en ligne des litiges de consommation (R.L.L.C.)6. Enfin la Commission souligne qu’elle a adopté, début 2012, les propositions d’un « train de mesures réformant la protection des données »7 dont le lien avec la politique de protection des consommateurs s’explique par le fait qu’il est destiné à favoriser « le cadre actuel de protection des données dans l’Union en consolidant les droits à la protection des données des consommateurs dans le but d’accroître leur confiance dans le marché unique numérique et dans les services transfrontaliers »8.

L’agenda identifie quatre enjeux pour les années à venir

L’agenda identifie quatre enjeux pour les années à venir se traduisant par quatre objectifs. Le premier enjeu est celui de la sécurité des produits, des services et des denrées alimentaires. Il conduit à un objectif d’amélioration de la sécurité du consommateur passant par un perfectionnement du cadre réglementaire relatif à la sécurité des produits et des services et à la consolidation du cadre de surveillance du marché9 consistant, pour l’année 2012, en la discussion d’un Livre vert sur la sécurité offerte par certains services aux consommateurs10, et en la révision du règlement sur les contrôles officiels aux différentes étapes de la chaîne alimentaire11. Le deuxième est relatif à l’évolution économique et sociale. Son domaine vaste couvre d’abord la question de la révolution numérique, à propos de laquelle la Commission a déjà formulé des propositions concrètes, comme les textes relatifs aux services d’itinérance et au droit européen de la vente. Rappelons

que l’une des innovations principales de la directive relative aux droits des consommateurs a été de faire une large place aux contrats conclus par voie électronique12. L’objectif de coller à l’évolution sociale accompagnant cet enjeu a donné lieu pour cette année à la formulation de diverses propositions dont celle de règlement du Parlement et du Conseil sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur13, à l’adoption du Livre vert vers un marché européen intégré des paiements par carte, par internet et par téléphone mobile14 et du Livre vert sur la livraison de colis15. Enfin la Commission a publié, il y a peu, sa communication sur les jeux de hasard en ligne16. En matière de services financiers, il impliquait d’évaluer la mise en œuvre de la directive sur les pratiques commerciales déloyales et sur le crédit à la consommation et d’ouvrir une étude sur la question du surendettement des ménages et des propositions législatives sur les produits d’investissement. Si le rapport sur la directive sur les pratiques commerciales déloyales semble ne pas avoir encore abouti, seuls les résultats d’une consultation relative à la directive en matière de publicité trompeuse et comparative ayant été publiés17, de même qu’il n’existe aucune trace d’une évaluation de la directive sur le crédit à la consommation18, ni d’étude sur le surendettement des ménages, le 3 juillet 2012 la Commission a en revanche rendu publique une proposition de règlement sur les documents d’informations clés relatifs aux produits d’investissement19 dont l’ambition est d’améliorer la protection des consommateurs dans le domaine des services financiers en formulant de nouvelles exigences d’information relatives aux investissements, en fixant des normes plus élevées en matière de conseils et en durcissant certaines règles régissant les fonds d’investissement afin de garantir leur sécurité20. Enfin, il convient, au titre du domaine de l’évolution économique et sociale, de mentionner la consommation durable, qui reste jusqu’ici le parent pauvre du droit européen. La faible activité législative de la Commission en la matière témoigne de sa place en droit européen. Elle ne se traduit pour le moment que par des projets relatifs aux denrées alimentaires, à l’énergie, aux voyages et transports et aux produits écologiques s’inscrivant dans une approche essentiellement informative et sectorielle sans qu’aucune

(2) Ibidem. (3) Ibidem. (4) Destiné à faciliter et à rendre moins coûteux pour les consommateurs l’utilisation des services de téléphonie mobile de différents réseaux lors de leurs déplacements au sein de l’Union, voy. la proposition de règlement concernant l’itinérance sur les réseaux publics de communications mobiles à l’intérieur de l’Union, COM(2011) 402 final. (5) Proposition de règlement relatif à un droit commun de la vente pour l’Union européenne, COM(2011) 635 final, sur laquelle nous renvoyons à nos observations faites dans le cadre de cette chronique J.D.E. no 185 pp. 22 et s. (6) Proposition de directive relative au R.E.L.C., COM(2011) 793/2; proposition de règlement relatif au R.L.L.C., COM(2011) 794/2. (7) Proposition de règlement relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, COM(2012) 11 final; proposition d’une directive relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données, COM(2012) 10 final. (8) Règlement (CE) no 852/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relatif à l’hygiène des denrées alimentaires. (9) Ibidem, pp. 5 et 9. (10) Apparemment encore non publié. (11) Règlement (CE) no 852/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relatif à l’hygiène des denrées alimentaires. (12) Directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs, modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil. (13) Proposition de règlement du Parlement et du Conseil sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur, COM(2012) 238. (14) Livre vert vers un marché européen intégré des paiements par carte, par internet et par téléphone mobile, COM(2011) 941 final lancé le 11 janvier 2012 et dont la synthèse des réponses est d’ores et déjà publiée sur le site de la Commission à l’adresse suivante : http://ec.europa.eu/internal_market/payments/ cim/index_fr.htm. (15) Pour l’heure, seule la version anglaise du texte intitulée Green Paper, An integrated parcel delivery market for the growth of e-commerce in the EU, COM(2012) 698/2 est actuellement disponible sur le site de la Commission à l’adresse suivante : http://ec.europa.eu/internal_market/ consultations/2012/parcels-delivery_en.htm. (16) Communication sur les jeux de hasard en ligne, COM(2012) 596 final. (17) Les résultats sont disponibles sur le site de la Commission en langue anglaise à l’adresse suivante : http://ec.europa.eu/yourvoice/ipm/forms/dispatch?userstate=DisplayPublishedResults&form=MisleadingAd. (18) Un texte procédant à une évaluation de sa mise en œuvre dans quatorze États membres a été commandé par la direction générale des politiques internes de l’Union et effectué par des experts collaborateurs. Intitulé La mise en œuvre de la directive sur le crédit à la consommation, il a été publié en janvier 2012, à l’adresse suivante http://www.europarl.europa.eu/studies. (19) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les documents d’informations clés relatifs aux produits d’investissement, COM(2012) 352 final. (20) C’est du moins ainsi que la proposition est présentée dans un communiqué de presse publié sur le site de la Commission sur la page http://europa.eu/rapid/press-release_IP-12-736_fr.htm.


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Chroniques perspective de politique législative d’ensemble n’en ressorte21, ce qui serait pourtant éminemment souhaitable. Le troisième enjeu est celui de la maîtrise de la « saturation de l’information »22 dont souffre le consommateur. L’expression n’est pas claire et l’on peine à comprendre si cette saturation est envisagée sous un angle législatif ou non. Quoi qu’il en soit, à cet enjeu répond l’objectif d’amélioration de l’information que la Commission entend atteindre par diverses campagnes d’information! On se permet de douter qu’ajouter de l’information à l’information permette d’atteindre ce but. Le quatrième enjeu concerne la mise en œuvre des droits des consommateurs, encore insatisfaisante23. Il conviendrait d’améliorer l’application de la législation, en renforçant les mesures d’exécution et en garantissant les voies de recours, ce qui constitue le quatrième objectif de l’agenda. Concrètement, cela conduirait à une vigilance particulière de la Commission dans des secteurs clés comme celui de l’énergie, des services financiers, des allégations infondées et trompeuses et du transport24, pouvant conduire au lancement de procédures d’infraction, et par un meilleur usage du réseau judiciaire européen. La Commission annonce par ailleurs « la création d’une base de données sur le droit de la consommation qu’elle intégrera au portail e-Justice »25. Relativement au droit de recours, elle espère voir aboutir ses récentes propositions en matière de règlements extrajudiciaires des litiges, promet une initiative de suivi de la résolution du Parlement européen relative aux recours collectifs26 et a publié un rapport sur l’application de la directive sur les actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs27. On le voit, il s’agit d’un agenda chargé dont l’un des principaux mérites est d’être en phase avec les questions d’actualité, comme en témoignent les développements jurisprudentiels les plus marquants de l’année qui touchent la question du numérique et de l’effectivité des droits des consommateurs.

2 Actualité jurisprudentielle A. Le droit des contrats spéciaux de consommation L’affaire Content services en date du 5 juillet 2012 (aff. C-49/11, Content Services Ltd c. Bundesarbeitskammer)28, a donné l’occasion à la Cour de justice de se prononcer sur la notion de support durable dans le cadre d’une interprétation de la directive 97/7/CE concernant la protection des consommateurs à propos des contrats à distance. L’arrêt a pour contexte un contrat d’abonnement à un site internet dont la légalité a été mise en cause dans le cadre d’une procédure judiciaire diligentée par la Bundesarbeitskammer, organisation autrichienne chargée de la protection des consommateurs. La société Content services conteste le jugement de première instance dont on ne connaît pas l’exacte portée.

C’est dans le cadre de ce recours et alors que la question de l’information à délivrer au consommateur relativement à son droit de rétractation a été évoquée, que la juridiction nationale saisie a introduit une demande en interprétation de la directive 97/7. Elle souhaite savoir si l’indication, dans un courriel adressé au consommateur à la suite de sa souscription en ligne à l’abonnement, d’un hyperlien le conduisant vers un site contenant les informations à lui fournir conformément à l’article 4, § 1er, de la directive, satisfait à l’exigence de son article 5, § 1er. Cette disposition requiert que le consommateur reçoive « par écrit ou sur un support durable à sa disposition et auquel il a accès, confirmation de [ces] informations ». Pour y répondre, la Cour va notamment s’appuyer sur cet article 5, § 1er, en insistant sur le fait que l’information doit être fournie29. Suivant les conclusions de l’avocat général Mengozzi, elle va développer dans ses motifs un argumentaire rappelant d’abord que les dispositions de la directives visent à « assurer aux consommateurs la communication des informations nécessaires à la bonne exécution du contrat », puis que les termes « recevoir » et « fournir » renvoient à une « procédure de transmission d’informations »30 dans un objectif de protection des consommateurs. Lorsque l’accessibilité aux informations n’est garantie que par la mise à disposition du consommateur d’un lien hypertexte, « ces informations ne sont ni “fournies” à ce consommateur, ni “reçues” par celui-ci au sens de l’article 5, § 1er, de la directive 97/7 ». Il apparaît en outre que le système mis en place en l’espèce n’assure pas l’absence d’altération du contenu du site auquel le lien renvoie31. Il ne correspond ainsi pas aux définitions données du « support durable » par d’autres textes européens, notamment les directives 2002/65, 2002/92 et 2011/83, qui ancrent la notion dans la « possibilité pour le consommateur de conserver, récupérer et reproduire les informations pendant un laps de temps adapté », comme le souligne l’avocat général dans ses conclusions, auxquelles l’arrêt fait référence sur ce point32. L’approche de la Cour est louable. Elle prend le parti d’opter pour une exigence de pérennité de l’information. La réception dans un courriel des informations répond en outre à une vision pratique de la question. Les dysfonctionnements d’internet pourraient rendre l’information inaccessible quand sa fourniture sur un support que le consommateur peut stocker sur différents types d’appareil (ordinateurs, tablettes, téléphones portables) lui permet de les consulter ultérieurement. Elle garantit en outre une connaissance théorique par le consommateur des informations qui lui auront été activement fournies, et facilite la preuve de la délivrance de l’information par le professionnel. La solution bénéficie donc à toutes les parties au contrat.

B. Le droit commun des contrats de consommation L’affaire Perenicovà (C.J.U.E., 15 mars 2012, aff. C-453/10 Jana Perenicovà, Vladislav Perenic c. SOS financ spol. s r. o.)33 pose

(21) Pp. 17 et 18 de l’agenda précité. (22) Ibidem, p. 8. (23) Ibidem, p. 7. (24) Ibidem, p. 13. (25) Ibidem. (26) Résolution du Parlement européen du 2 février 2012, « Vers une approche européenne cohérente en matière de recours collectif », P7_TA (2012) 0021. (27) Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l’application de la directive 2009/22/CE du Parlement européen et du Conseil relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs, COM(2012) 635 final. (28) G. Loiseau, « Le formalisme informatif par voie électronique : les conditions d’équivalence au support écrit du support durable », Communication Commerce Électronique, 2012, no 10, pp. 26-28; F. Gazin, « Contrats conclus par internet », note sous C.J.U.E. (3e ch.), 5 juillet 2012, aff. C-49/11, Content Services Ltd c. Bundesarbeitskammer, Europe, 2012, no 8, p. 13. (29) Article 5. Confirmation écrite des informations. « 1. Le consommateur doit recevoir, par écrit ou sur un autre support durable à sa disposition et auquel il a accès, confirmation des informations mentionnées à l’article 4, § 1er, points a) à f), en temps utile lors de l’exécution du contrat et au plus tard au moment de la livraison en ce qui concerne les biens non destinés à la livraison à des tiers, à moins que ces informations n’aient déjà été fournies au consommateur préalablement à la conclusion du contrat par écrit ou sur un autre support durable à sa disposition et auquel il a accès. En tout état de cause, doivent être fournies : une information écrite sur les conditions et les modalités d’exercice du droit de rétractation au sens de l’article 6, y compris les cas visés à l’article 6, § 3, premier tiret; l’adresse géographique de l’établissement du fournisseur où le consommateur peut présenter ses réclamations; les informations relatives aux services après-vente et aux garanties commerciales existants; les conditions de résiliation du contrat lorsque celui-ci est à durée indéterminée ou d’une durée supérieure à un an ». (30) Point 44 de la décision. (31) Point 33 de la décision. (32) Point 27 des conclusions. (33) V. Forti, « La sanction de la


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Chroniques pour la première fois de façon expresse la question, importante en pratique, du lien entre l’existence d’une pratique commerciale déloyale et l’appréciation du caractère abusif d’une clause. Elle conduit également la Cour à s’interroger sur les conditions de la subsistance d’un contrat privé contenant une ou plusieurs clause(s) réputée(s) abusive(s) et à préciser la portée de l’harmonisation minimale. Le litige national portait principalement sur une information incorrecte quant au montant total d’un T.A.E.G., susceptible de constituer une pratique déloyale au sens de la directive 2005/29/CE. Conjugué aux autres clauses « défavorables aux requérants» débiteurs de la société de crédit, citées par la décision de renvoi et auxquelles la Cour de justice se réfère de façon abstraite, ce défaut d’information pouvait conduire au prononcé de la nullité du contrat. La juridiction nationale, reconnaissant le caractère plus avantageux pour les consommateurs de cette solution, saisit la Cour aux fins de savoir, d’une part, si elle pouvait sanctionner la présence d’une ou de plusieurs clauses abusives par la nullité du contrat, dépassant de la sorte les termes de l’article 6, § 1er, de la directive 93/13 selon lesquels les clauses incriminées « ne lient pas » les consommateurs, d’autre part, si le contexte de l’espèce permettait d’identifier une pratique commerciale déloyale sous-entendant le caractère abusif de certaines clauses du contrat affectant la validité de la convention dans son ensemble.

Une pratique commerciale déloyale ne saurait produire de conséquences sur la validité du contrat

L’arrêt présente également un intérêt au regard de la directive 87/ 102/CEE sur le crédit à la consommation, applicable à l’espèce, et de la directive 2008/48/CE qui l’a remplacée. L’assimilation d’un tel manquement à une pratique commerciale déloyale permettrait en effet de le sanctionner sur plusieurs terrains lorsque le droit d’un État membre tolère une telle possibilité. Quoi qu’il en soit, la question se posait ici principalement sous l’angle du lien éventuel entre la qualification de pratique commerciale déloyale et celle de clause abusive. Cherchant à savoir si la nullité du contrat pouvait être prononcée en conséquence de l’existence de clauses abusives au sein du contrat, la juridiction slovaque tenait en outre à s’assurer que les dispositions de la directive 2005/29 ne faisaient pas obstacle d’une quelconque façon à cette sanction. Sans grande surprise, la Cour s’appuya sur la clause d’harmonisation minimale contenue par la directive 93/13 pour décider qu’elle ne s’oppose pas « à ce qu’un État membre prévoie, dans le respect du droit de l’Union, qu’un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel et contenant une ou plusieurs clauses abusives est nul dans son ensemble lorsqu’il s’avère que cela assure une meilleure protection du consommateur ». Elle admit également l’assimilation de la pratique de l’espèce relative au T.A.E.G. À une pratique commerciale déloyale « pour autant qu’elle amène ou est susceptible d’amener le consommateur moyen à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement », et

« qu’elle constitue un élément parmi d’autres sur lequel le juge compétent peut fonder, en vertu de l’article 4, § 1er, de la directive 93/13, son appréciation du caractère abusif des clauses du contrat relatives au coût du prêt accordé au consommateur » précisant qu’« une telle constatation n’a cependant pas d’incidences directes sur l’appréciation, au regard de l’article 6, § 1er, de la directive 93/13, de la validité du contrat de crédit conclu ». Autrement dit, l’existence d’une pratique commerciale déloyale ayant mené à la conclusion d’un contrat, au sein duquel la pratique a pu prendre la forme d’une clause, constitue un indice sur lequel le juge peut s’appuyer pour caractériser l’abus entachant la stipulation contractuelle. Elle ne saurait, en revanche, produire de conséquences sur le terrain de la validité du contrat par le truchement de l’article 6 de la directive 93/13. Sur le plan de la qualification des pratiques commerciales déloyales, l’arrêt n’est pas novateur. La Cour a suivi les conclusions de l’avocat général Trstenjak34 en considérant que la pratique pouvait se rattacher à une action trompeuse parce qu’elle contient des « informations fausses quant au prix du crédit » et « amène ou est susceptible d’amener le consommateur moyen à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement ». Cette appréciation in concreto relève naturellement de la compétence du juge national qui seul tire les conséquences de la décision préjudicielle, la Cour ne statuant, selon l’article 267 TFUE, que sur « la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union ». De ce point de vue, la décision ne fait que reprendre, sur le terrain des pratiques commerciales déloyales, une jurisprudence mise en œuvre en matière de clauses abusives par l’arrêt Freiburger Kommunalbauten (aff. C-237/02)35 aux termes de laquelle le juge européen se contente de guider les juridictions nationales dans l’application des critères mis en place par le droit de l’Union. En qualifiant la constatation du caractère déloyal de la pratique en cause d’« élément parmi d’autres » permettant d’apprécier le caractère abusif d’une clause relative au coût du prêt accordé au consommateur au regard de l’article 4, § 1er, de la directive 93/13, la Cour s’inscrit dans cette jurisprudence, érigeant l’existence d’une pratique commerciale déloyale en critère général susceptible de déceler l’abus. Il est vrai que les deux textes se rejoignent sur la forme, puisqu’ils contiennent tous deux un cadre général déterminant des critères de qualification de pratiques commerciales et contractuelles et des listes d’incriminations, certes de nature différente, puisque la liste de la directive 2005/29 vise des pratiques commerciales considérées comme déloyales en toutes circonstances, alors que celle annexée à la directive 93/13 ne fait que pointer des clauses suspectées d’être abusives. La tâche de la Cour est dès lors fort similaire dans le cadre de ces textes. Faute de pouvoir rattacher une pratique à la liste des incriminations spécifiquement visées, elle ne peut que guider le juge national dans son œuvre de qualification juridique. Le lien établi entre la pratique commerciale et les clauses abusives est en revanche inédit, mais il est vrai que la Cour n’avait ja-

clause abusive : de l’éradication de la clause à la nullité du contrat », note sous C.J.U.E., 15 mars 2012, aff. C-453/10, Jana Perenicovà et Vladislav Perenic contre SOS financ. spol. s r. o., Revue Lamy Droit des affaires 2012, no 73, pp. 44-47; G. Paisant, « La question du sort du contrat en cas de clause abusive et de pratique commerciale déloyale », note sous C.J.U.E., 15 mars 2012, aff. C-453/10, Perenic et autre, J.C.P., éd. G., 2012, no 24, pp. 1171-1174; E. Pouliquen, « Pour la nullité d’un contrat conclu par un consommateur contenant une clause abusive », Revue Lamy Droit civil, 2012, no 93, pp. 15-16; M. Meister, « Clauses absuives », C.J.U.E. (1re ch.), 15 mars 2012, aff. C-453/10, Perenicova et Perenic, Europe 2012, no 5, pp. 47-48; D. Legeais, « Pratique trompeuse relative au T.A.E.G. constitutive d’une clause abusive », note sous C.J.U.E., 15 mars 2012, aff. C-453/10, Perenicova c. SAS financ spol, R.T.D. com, 2012, no 2, pp. 386-387. (34) Point 96 des conclusions. (35) Aux termes de cet arrêt, « la Cour peut [...] interpréter les critères généraux utilisés par le législateur communautaire pour définir la notion de clause abusive [mais] elle ne saurait se prononcer sur l’application de ces critères généraux à une clause particulière qui doit être examinée en fonction des circonstances propres au cas d’espèce ».


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Chroniques mais été saisie à ce sujet. Il ne surprend guère car, comme l’a relevé l’avocat général, l’existence d’une pratique déloyale peut être rattachée aux circonstances entourant le contrat qui doivent être prises en compte pour la détermination du caractère abusif d’une clause aux termes de l’article 4, § 1er, de la directive 93/1336. En outre, le seizième considérant de la directive précise que, pour apprécier la bonne foi dans la relation contractuelle qui constitue l’un des critères de détermination du caractère abusif de la clause, il convient de s’intéresser à la circonstance de ce que le consommateur aurait pu être « encouragé par quelque moyen à donner son accord ». Or cette circonstance peut relever d’une action trompeuse au sens de l’article 6, § 1er, d), de la directive 2005/29. La question de l’incidence de l’existence d’une pratique commerciale sur la validité du contrat en cause est quant à elle balayée d’un revers de paragraphe par les juges luxembourgeois qui rappellent la vie parallèle des deux textes, puisque la directive 2005/ 29 s’applique « sans préjudice [...] du droit des contrats, ni, en particulier, des règles relatives à la validité, à la formation et aux effets des contrats »37. C’est finalement la question de savoir si la sanction de la présence de clause(s) abusive(s) au sein d’un contrat peut conduire à sa nullité qui fait l’intérêt de l’arrêt. Au premier abord, il semble que la Cour entende donner plein effet à la clause d’harmonisation minimale de la directive et laisser le droit national régler la question sans aucune limite. Toutefois, à bien lire la formule utilisée, la liberté accordée n’est pas si grande. La Cour distingue en effet entre le choix du législateur national d’élever la protection du consommateur en optant pour la nullité du contrat comme sanction du caractère abusif d’une ou de plusieurs clauses et le fait pour le juge de se fonder sur « le caractère éventuellement avantageux pour l’une des parties, en l’occurrence le consommateur, de l’annulation du contrat concerné dans son ensemble ». Le premier est admissible, le second ne peut en revanche être toléré. La distinction opérée repose sur la nécessité de respecter tant l’esprit et la finalité de la directive que l’articulation des ordres juridiques en présence d’une clause d’harmonisation minimale. La Cour est peu diserte sur les fondements de la distinction pour lesquels elle renvoie aux conclusions de l’avocat général38. Pour comprendre la solution retenue, il faut se souvenir que toute directive comporte des dispositions planchers contraignantes qui ne peuvent être écartées même du fait de la nature minimale de l’harmonisation en cause. Ces dispositions « doivent être distinguées [de celles] qui accordent aux États membres un pouvoir d’appréciation dans la détermination de leur ordre juridique »39. Elles constituent la pierre angulaire de l’harmonisation, car elles sont porteuses des valeurs et des objectifs fondamentaux du rapprochement législatif opéré par la directive. Les termes de l’article 6, § 1er, selon lesquels l’invalidité du contrat dans son ensemble ne peut résulter que de l’impossibilité qu’il subsiste postérieurement à l’éradication de clause(s) abusive(s) en relèveraient. Le radicalisme de la solution posant la nullité intégrale du contrat, simplement parce qu’elle est plus favorable au consommateur, remettrait en cause la sécurité juridique nécessaire au bon fonctionnement du marché unique. Dans ce contexte, une telle solution n’est pas tolérable. Ainsi, si un législateur peut librement admettre la nullité du contrat

pour cause de clauses abusives, sa mise en œuvre doit toutefois reposer sur des critères garantissant à la fois un respect minimal des droits du professionnel et la sécurité juridique des transactions commerciales. En revanche, une telle sanction sera admissible si elle « assure une meilleure protection du consommateur ». L’arrêt Perenicovà a ainsi apporté sa pierre à la théorie de l’intégration juridique en matière de protection du consommateur. Il reste à savoir à quels types de situations pourrait correspondre « une meilleure protection du consommateur ». L’arrêt rendu par la première chambre de la Cour le 26 avril 2012, aff. C-472/10, Nemzeti Fogyasztóvédelmi Hatósàg c. Invitel Tàvközlési Zrt40, est une décision remarquable en dépit ou peutêtre en raison d’une contradiction entre ses motifs et son dispositif. L’affaire conduit de nouveau la Cour à se prononcer sur la conformité d’une législation nationale avec la directive 93/13/CE. Un opérateur hongrois de téléphonie fixe avait inséré dans ses conditions générales contractuelles une clause lui permettant de facturer a posteriori à ses clients des frais sur lesquels ils ne s’étaient au préalable pas entendus. L’autorité nationale de protection des consommateurs, saisie d’un grand nombre de plaintes, introduisit une action en justice pour obtenir le prononcé de la nullité de la clause considérée comme abusive ainsi que le remboursement des sommes indûment perçues dans son cadre. C’est dans ce contexte que la juridiction nationale soumit à la Cour deux questions préjudicielles. La première se subdivise en deux interrogations. Il s’agit, d’une part, de savoir si la lecture combinée des articles 6, § 1er, et 7, § 1er, de la directive 93/13/CE ne s’oppose pas à ce qu’une action en cessation introduite au nom des consommateurs et visant à constater la nullité d’une clause abusive aux fins de la voir supprimer des conditions générales contractuelles proposées, produise des effets à l’égard de tous les consommateurs soumis aux mêmes conditions générales, y compris ceux qui n’étaient pas parties à la procédure en cessation. Dans l’hypothèse d’une réponse affirmative, il s’agit de comprendre, d’autre part, si les juridictions nationales seront tenues d’en tirer d’office toutes les conséquences prévues par le droit national dans le cadre d’instances futures. La seconde interrogation du juge national tient à la caractérisation du caractère abusif de la clause de l’espèce. On soulignera simplement qu’elle met en exergue la difficulté d’analyser certaines clauses touchant la fixation de coûts divers en raison de l’exclusion du champ d’application de la directive par son article 4, § 2, des clauses relatives au prix. Les juges européens, qui se sont livrés à une analyse relativement poussée des termes de la stipulation contractuelle, ont néanmoins souligné qu’elle échappait à cette restriction, car l’abus touchait non pas le montant des frais en cause, mais un mécanisme de modification de ceux-ci41. La stipulation pouvait ainsi être rapprochée de plusieurs types de clauses visées à l’annexe de la directive, ce qui facilitait l’immixtion de la Cour dans l’analyse de son caractère abusif. Elle ne manquera toutefois pas de rappeler dans le dispositif de l’arrêt, avant de livrer des directives d’identification de l’abus, que l’appréciation du caractère abusif relève de la compétence de la juridiction de renvoi. On n’en attendait pas moins au regard de la jurisprudence constante de la Cour sur ce

(36) Point 123 des conclusions. (37) Point 45 de la décision. (38) Point 32 de la décision. (39) Point 48 de la décision. (40) N. Sauphanor-Brouillaud, obs. in Chronique de droit des contrats, J.C.P., éd. G., 2012, no 43, pp. 1956-1963; B. de Clavière, « Consécration européenne de l’effet erga omnes des actions en supression des clauses abusives », note sous C.J.U.E., 26 avril 2012, aff. C-472/10, Nemzeti Fogyasztóvédelmi Hatósàg c. Invitel Tàvközlési Zrt, Revue Lamy Droit des affaires 2012, no 74, pp. 69-70; G. Paisant, « L’élargissement, par la C.J.U.E., du pouvoir d’office du juge et le refus de la révision d’une clause déclarée abusive », J.C.P., éd. G., 2012, no 37, pp. 1637-1640; M. Meister, « Clauses abusives », note sous C.J.U.E. (1re ch.), 26 avril 2012, aff. C-472/10, Invitel, Europe, 2012, no 6, p. 26. (41) Point 24 de la décision.


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Chroniques point (aff. C-237/02 Freiburger Kommunalbauten, aff. C-137/08 Pénzügyi). Le génie de l’arrêt réside dans la réponse à la première question. Sans doute convaincus par le plaidoyer de Mme Trstenjak en faveur d’un effet erga omnes des actions en cessation, les magistrats vont réussir, par un raisonnement en deux temps, le tour de force d’imposer cet effet à tous les États membres, sans remettre en cause les solutions des droits nationaux42. Pour ce faire, ils vont d’abord affirmer que la directive « ne s’oppose pas à ce que la constatation de nullité d’une clause abusive faisant partie des conditions générales des contrats de consommation dans le cadre d’une action en cessation, visée à l’article 7 de ladite directive, [...] produise [...] des effets à l’égard de tous les consommateurs ayant conclu avec le professionnel concerné un contrat auquel s’appliquent les mêmes conditions générales, y compris à l’égard des consommateurs qui n’étaient pas parties à la procédure en cessation ». Répondant à la seconde branche de la question, ils posent le principe que « lorsque le caractère abusif d’une clause des conditions générales des contrats a été reconnu dans le cadre d’une telle procédure, les juridictions nationales sont tenues, également dans le futur, d’en tirer d’office toutes les conséquences qui sont prévues par le droit national, afin que ladite clause ne lie pas les consommateurs ayant conclu avec le professionnel concerné un contrat auquel s’appliquent les mêmes conditions générales ». La formulation est intéressante, car elle contredit le point 38 des motifs de la décision selon lequel la mise en œuvre de l’objectif dissuasif des actions en cessation « exige, ainsi que l’a relevé en substance Mme l’avocat général au point 51 de ses conclusions, que les clauses des C.G. des contrats de consommation déclarées abusives dans le cadre d’une action en cessation dirigée contre le professionnel concerné, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, ne lient ni les consommateurs qui sont parties à la procédure en cessation ni ceux qui ont conclu avec ce professionnel un contrat auquel s’appliquent les mêmes C.G. ». En pratique néanmoins, cette exigence achoppe sur le « principe de l’autonomie des États membres en matière d’organisation et de procédure consacré par la jurisprudence de la Cour »43.

Le relevé d’office en droit de la consommation ne lasse pas de surprendre

Admettre qu’il s’agit d’une exigence constituerait une atteinte frontale au principe d’autorité de chose jugée, que la Cour a toujours ménagé (aff. C-126/97, Eco Swiss, aff. C-40/08 Asturcom), même si elle a pu y tolérer des atteintes (aff. Asturcom précitée, aff. C119/05 Lucchini). En s’appuyant sur l’obligation de relever d’office issue de la jurisprudence relative aux actions individuelles, la décision va conduire les juges nationaux à être liés par le caractère non contraignant des clauses déclarées abusives dans le cadre

d’action en cessation dans tout type de litige, individuel ou collectif. Le système mis en place est d’une effectivité redoutable. Sa compatibilité avec le respect des droits fondamentaux du procès a en outre été testée par Mme Trstenjak qui souligne que l’effet erga omnes n’est produit qu’au bénéfice des consommateurs n’ayant pas été partie à la procédure et ne touche pas les contrats des professionnels non mis en cause44. On rappellera par ailleurs que l’arrêt Pannon GSM (aff. C-243/08) réserve la possibilité aux consommateurs de refuser la sanction de la clause abusive, ce qui contribue au respect de leurs droits. Décidément, le relevé d’office en droit de la consommation ne lasse pas de surprendre, comme en témoigne du reste la décision à laquelle nous allons maintenant nous intéresser. L’arrêt du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito s.a. c. Joaquín Calderón Camino, aff. C-618/1045, poursuit la construction du régime du relevé d’office en matière de contrôle des clauses abusives initié par la Cour dans le cadre de l’arrêt Océano Grupo (C240/98). On savait qu’en la matière le relevé d’office s’entend d’une obligation pour le juge (aff. C-168/05, Mostaza Claro) s’accompagnant d’un devoir de prononcer des mesures d’instruction (aff. C-137/08, Pénzügyi). L’espèce a conduit à des précisions dans le cadre de la procédure d’injonction de payer, puisque c’est le contexte de l’affaire. Une telle procédure avait été diligentée à l’encontre d’un consommateur sommé de régler le montant des mensualités impayées d’un prêt majorées des intérêts conventionnels et des dépens. Or le juge saisi annula la clause relative aux intérêts moratoires et lui substitua une clause fixant un nouveau taux sur la base duquel il contraignit le prêteur à recalculer les intérêts. Dans le cadre du recours qu’il introduisit contre cette décision, la juridiction d’appel posa six questions préjudicielles à la Cour de justice. Deux seulement furent considérées recevables. Telle que reformulée par la Cour, la première traduit une interrogation quant à la compatibilité d’une réglementation nationale qui prohiberait au juge, saisi d’une demande en injonction de payer, de relever d’office in limine litis ou à tout autre moment de la procédure le caractère abusif d’une clause d’intérêts moratoires alors que le consommateur n’a formé aucune opposition à l’encontre de la procédure. La seconde emmène les juges luxembourgeois sur le terrain des limites des marges de manœuvre laissées aux États membres lors de la transposition des directives. Elle pose la question de savoir si une réglementation nationale peut, sans contredire l’article 6, § 1er, de la directive 93/13, permettre au juge national constatant la nullité d’une clause abusive, de compléter le contrat en la révisant. Se détachant des conclusions de l’avocat général Trstenjak qui soutenaient la contrariété d’une obligation de relever d’office la présence d’une clause abusive dans le contexte d’une procédure d’injonction de payer, la Cour a conclu que la directive « doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui ne permet pas au juge saisi d’une demande d’injonction de payer d’apprécier d’office, in limine litis ni à aucun autre moment de la procédure, alors même qu’il dispose des élé-

(42) Voy. par exemple en France Cass civ. (1re ch.), 1er février 2005, pourvoi no 01-13 239 refusant un tel effet, ce qui conduit à ignorer « la situation des consommateurs qui continuent de subir les inconvénients [des] contrats antérieurement souscrits » comme l’écrit G. Paisant in « L’élargissement, par la C.J.U.E., de la portée des actions collectives en suppression de clauses abusives », article précité. (43) Point 52 des conclusions. ( 4 4 ) Po i n t 6 0 d e s conclusions. (45) N. Sauphanor-Brouillaud, obs. in Chronique de droit des contrats, J.C.P., éd. G., 2012, no 43, pp. 1956-1963; T. Diallo, « Clauses abusives : les pouvoirs du juge », note sous C.J.U.E., 14 juin 2012, aff. C-618/10, Banco Español de Crédito, Revue Lamy Droit des affaires 2012, no 74, pp. 54-55; M. Meister, « Clauses abusives », note sous C.J.U.E. (1re ch.), 14 juin 2012, aff. C-618/10, Banco Espanol de Crédito, Europe 2012, no 8, pp. 53-54; adde, A. Beka, « Commentary note on Case C-618/10 Banco Español de Crédito s.a. v. Joaquín Calderón Camino, judgement of 14 june 2012 », Zeitschrift für Gemeinsamsprivatrecht, pp. 326-328.


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Chroniques ments de droit et de fait nécessaires à cet effet, le caractère abusif d’une clause d’intérêts moratoires contenue dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, en l’absence d’opposition formée par ce dernier ». La formulation ambiguë de la réponse conduit à en analyser la portée avec la plus grande précaution. En premier lieu, la Cour utilise le terme « permettre », ce qui semble montrer qu’elle entend se situer sur le terrain d’une faculté et non d’une obligation, d’autant que la formulation initiale de la juridiction n’utilisait pas ce verbe46. Elle ne s’inscrirait donc pas dans la lignée des décisions précédentes qualifiant le relevé d’office des clauses abusives d’obligation. En deuxième lieu, la Cour précise que cette faculté s’exercerait lorsque le juge « dispose des éléments de droit et de fait nécessaires » à la mise en œuvre du relevé d’office, ce qui démarque sa position de celle adoptée dans le cadre de l’arrêt Penzügyi, imposant que des mesures d’instruction soient ordonnées pour débusquer l’abus découlant de la clause. En troisième lieu, cette solution ne viserait pas toutes les procédures nationales d’injonction de payer, mais seulement celles similaires à « celle en cause au principal », dont elle estime qu’elle ne garantit pas une protection effective du consommateur. Il ressort en effet des motifs de l’arrêt que le droit espagnol ne satisfait pas à cette obligation47. Il rendrait en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux consommateurs par le droit de l’Union et violerait le principe d’effectivité. Le caractère circonstancié de la réponse conduisant à un examen détaillé des droits nationaux est sans doute lié au contexte particulier de la procédure d’injonction de payer. L’instauration d’une obligation de relevé d’office dans ce type de procédure nuirait indubitablement à son efficacité et pourrait contraindre un trop grand nombre d’États membres à réviser leur législation en la matière48, alors que ces procédures ont fait leur preuve. L’atteinte au principe de l’autonomie procédurale par une obligation générale de relevé d’office applicable à toute procédure d’injonction de payer ne pourrait pas être ici justifiée. La Cour se devait donc d’être subtile, mais l’on peut craindre que la prudence de la solution nuise à sa mise en application au sein

des droits nationaux. La matière du relevé d’office est décidemment bien difficile à aborder. Plus aisée était la réponse à apporter à la question de la compatibilité d’une révision de la clause abusive avec l’article 6, § 1er, de la directive 93/13. Suivant cette fois-ci les conclusions de Mme Trstenjak, la Cour va retenir que l’interprétation devant être faite de cet article s’oppose à une législation permettant, lorsqu’une clause abusive a été éradiquée d’un contrat, de compléter celui-ci en révisant le contenu de la clause. Le rejet d’un tel pouvoir tient à sa contrariété avec la finalité de la directive posée par son article 7, § 1er, qui exige que « dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel ». Comme l’a souligné Mme Trstenjak, la faculté de révision d’une clause abusive « ne constitue pas une protection aussi efficace du consommateur que celle résultant de la non-application des clauses abusives ». Il faut ici songer à une clause prévoyant un dédommagement forfaitaire en cas d’inexécution de ses obligations par le professionnel. Un montant dérisoire pourrait entraîner le caractère abusif de la clause au regard de plusieurs exemples de la liste annexée à la directive 93/1349. Si le juge en révise le montant, la limitation de responsabilité persistera alors que si la clause est purement et simplement éradiquée du contrat, le professionnel devra assumer toute la responsabilité de son inexécution. Une telle éventualité le dissuadera bien plus d’insérer ce type de clause dans un contrat que le fait d’être simplement exposé à une révision judiciaire du montant forfaitaire de l’indemnisation. La solution est satisfaisante et s’inscrit dans la plus pure orthodoxie juridique au regard de la théorie de l’intégration juridique des droits nationaux50. Quelle que soit la nature de l’harmonisation prévue par une directive, il est impossible de ne pas respecter le niveau de protection « plancher » du consommateur qu’elle pose sous peine de se retrouver en violation du droit de l’Union. Dans l’espèce en cause, au demeurant, il était bien plus intéressant pour le consommateur de voir la clause d’intérêts moratoires anéantie que révisée.

(46) Elle était rédigée ainsi : « Le droit de l’Union, et en particulier le droit des consommateurs et des usagers, s’oppose-t-il à ce qu’une juridiction nationale évite de se prononcer d’office, in limine litis et à tout moment de la procédure, sur la nullité ou non et la révision ou non d’une clause d’intérêts moratoires (en l’occurrence de 29%) insérée dans un contrat de prêt à la consommation? La juridiction peut-elle choisir, sans porter atteinte aux droits que le consommateur tire de la législation de l’Union, de laisser l’éventuel examen d’une telle clause à l’initiative du débiteur (par la voie de l’opposition que ce dernier peut former)? ». (47) Cela tient à ce que la législation nationale ne fait preuve que d’une exigence minimale de fourniture d’information quant au montant de la dette et de son calcul, mais aussi au fait que l’étendue de la compétence du juge est limitée à la vérification de l’existence des conditions formelles d’ouverture de la procédure et que l’assistance d’un avocat pour former opposition à l’injonction est requise dès que le montant du litige dépasse 900 EUR. (48) Sur ce point voy. A. Beka, observations précitées. (49) Points 50 à 53. Par exemple dans la première partie de l’annexe relative aux clauses ayant pour objet ou pour effet : les litt. « a) d’exclure ou de limiter la responsabilité légale du professionnel en cas de mort d’un consommateur ou de dommages corporels causés à celui-ci, résultant d’un acte ou d’une omission de ce professionnel »; « b) d’exclure ou de limiter de façon inappropriée les droits légaux du consommateur vis-à-vis du professionnel ou d’une autre partie en cas de non-exécution totale ou partielle ou d’exécution défectueuse par le professionnel d’une quelconque des obligations contractuelles, y compris la possibilité de compenser une dette envers le professionnel avec une créance qu’il aurait contre lui »; ou « o) d’obliger le consommateur à exécuter ses obligations lors même que le professionnel n’exécuterait pas les siennes ». (50) Contra G. Paisant, « L’élargissement, par la C.J.U.E., du pouvoir d’office du juge et le refus de la révision d’une clause déclarée abusive », article précité, estimant que « la seule suppression d’une clause limitative de la responsabilité du professionnel, ou encore celle d’une clause de délai de livraison seulement indicatif n’estelle pas plus favorable au professionnel que la possibilité offerte au juge de modifier le quantum des dommages-intérêts à verser au consommateur en compensation de l’inexécution imputable au professionnel ou que la solution consistant à rendre impératif le délai initialement stipulé? Dans le premier cas, en effet, la seule suppression de la clause obligera le consommateur désireux d’obtenir une réparation à engager une action en responsabilité contractuelle, tandis que, dans le deuxième, le délai de livraison deviendra indéterminé... ».


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Actualités Asile et migration Sanction pénale du séjour irrégulier La directive sur le retour des ressortissants des pays tiers en séjour irrégulier établit les normes et procédures communes applicables dans les États membres pour l’éloignement de leur territoire des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Si les États membres demeurent libres de sanctionner pénalement le séjour irrégulier, les poursuites pénales prévues par les droits nationaux ne peuvent porter atteinte à la directive en retardant ou en entravant la procédure de retour. Dès lors, la directive s’oppose à une réglementation nationale qui permet de réprimer le séjour irrégulier par une peine d’assignation à résidence, sans garantir que celle-ci doive prendre fin dès que le transfert physique de l’intéressé hors dudit État membre est possible (C.J., 6 décembre 2012, Sagor, C-430/11).

Communications électroniques

Contentieux Concours de sélection de fonctionnaires de l’Union européenne - Limitation du choix des langues La publication en trois langues (allemand, anglais, français) des avis des concours de l’Union européenne et l’obligation de présenter les épreuves de sélection dans l’une de ces langues constituent une discrimination en raison de la langue. Les concours doivent être publiés simultanément dans les 23 langues officielles de l’Union. Par ailleurs, les règles limitant le choix de la deuxième langue pour la participation à un concours doivent prévoir des critères clairs, objectifs et prévisibles, pour permettre aux candidats de connaître suffisamment à l’avance les connaissances linguistiques requises pour pouvoir se préparer aux concours dans les meilleures conditions. À cet égard, les institutions doivent mettre en balance la limitation du nombre de langues des concours, d’une part, et l’objectif d’identifier les candidats les plus compétents et les possibilités d’apprentissage par les fonctionnaires recrutés des langues nécessaires à l’intérêt du service (C.J., 27 novembre 2012, Italie c. Commission, C-566/10 P).

Service universel et les droits des utilisateurs Le 12 décembre 2012, la Commission a publié une recommandation relative à la procédure de notification prévue à l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques. Cette recommandation vise à assurer une approche cohérente, une transparence totale et une procédure simplifiée lorsque les autorités réglementaires nationales envisagent de prendre des mesures fixant des exigences minimales de qualité de service, conformément la directive précitée (J.O. L 349 du 19 décembre 2012, p. 72).

Consommateurs, alimentation et santé Matériaux et objets en matière plastique destinés à entrer en contact avec des denrées alimentaires Le 30 novembre 2012, la Commission a pris un règlement (UE) no 1183/2012 visant à modifier et rectifier le règlement (UE) no 10/2011 concernant les matériaux et objets en matière plastique destinés à entrer en contact avec des denrées alimentaires. Ce règlement est entré en vigueur le 1er janvier 2013 (J.O. L 338 du 12 décembre 2012, p. 11). Voy. vo « Transports » (« Transport aérien - Délai pour intenter une action en indemnisation en cas d’annulation de vol »; « Transport aérien - Droit à indemnisation en cas de perte de bagages »; « Transport ferroviaire - Obligation d’information des voyageurs quant aux retards des trains constituant des correspondances principales »).

Coopération judiciaire en matière civile et commerciale Reconnaissance des décisions de justice Effet sur la compétence internationale Le règlement concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, définit comme décision « toute décision rendue par une juridiction d’un État membre quelle que soit la dénomination qui lui est donnée, telle qu’arrêt, jugement, ordonnance ou mandat d’exécution, ainsi que la fixation par le greffier du montant des frais du procès ». Cette définition vise également une décision par laquelle la juridiction d’un État membre décline sa compétence sur le fondement d’une clause attributive de juridiction, indépendamment de la qualification d’une telle décision par le droit d’un autre État membre. Par ailleurs, la juridiction devant laquelle est invoquée la reconnaissance d’une décision par laquelle la juridiction d’un autre État membre a décliné sa compétence sur le fondement d’une clause attributive de juridiction est liée par la constatation relative à la validité de cette clause, qui figure dans les motifs d’un jugement devenu définitif déclarant l’action irrecevable (C.J., 15 novembre 2012, Gothaer Allgemeine Versicherung e.a., C456/11).

Refonte du règlement Bruxelles I Le règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 réforme la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. Le règlement (CE) no 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence


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Actualités judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (règlement Bruxelles I) ayant fait l’objet de plusieurs modifications substantielles, dans un souci de clarté, il convenait de procéder à la refonte dudit règlement. Le règlement est entré en vigueur le 10 janvier 2013, mais ne sera applicable qu’à partir du 10 janvier 2015, à l’exception des articles 75 et 76, qui sont applicables dès le 10 janvier 2014 (J.O. L 351 du 20 décembre 2012, p. 1).

Droit financier Mécanisme européen de stabilité En 2011, le Conseil européen avait adopté une décision prévoyant l’ajout au traité sur le T.F.U.E. d’une nouvelle disposition selon laquelle les États membres dont la monnaie est l’euro peuvent instituer un mécanisme de stabilité à activer si cela est indispensable pour préserver la stabilité de la zone euro. Les États de la zone euro ont ensuite conclu, en février 202, un traité instituant le mécanisme européen de stabilité (M.E.S.). Saisie d’une question préjudicielle sur la légalité de la modification du T.F.U.E. par une décision du Conseil et sur la compatibilité du M.E.S. avec les traités, la Cour de justice, réunie en assemblée plénière, a confirmé la validité du mécanisme européen de stabilité (M.E.S.). La Cour a considéré que le droit de l’Union ne s’opposait pas à la conclusion et à la ratification du Traité instituant le M.E.S. par les États membres dont la monnaie est l’euro (C.J., 27 novembre 2012, Pringle, C-370/12).

Égalité de traitement Travail à temps partiel - Discrimination indirecte fondée sur le sexe La réglementation d’un État membre qui exige des travailleurs à temps partiel — dont la grande majorité est constituée de femmes — par rapport aux travailleurs à temps plein, une durée de cotisation proportionnellement plus importante pour accéder, le cas échéant, à une pension de retraite de type contributif dont le montant est proportionnellement réduit en fonction de leur temps de travail, est contraire à la directive relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale et constitue une discrimination indirecte (C.J., 22 novembre 2012, Elbal Moreno, C-385/ 11).

Interdiction de toute discrimination fondée sur l’âge et sur le handicap dans le contexte professionnel Dans le cadre d’un plan social négocié entre les représentants des employés et de l’employeur d’une entreprise, le fait de prévoir une méthode de calcul de l’indemnité de licenciement fondée sur l’âge des travailleurs ne constitue pas en soi une violation de l’interdiction de toute discrimination fondée sur l’âge prévue par le droit de l’Union. En effet, une telle différence de traitement peut se justifier par la volonté de protéger les travailleurs plus jeunes et de favoriser leur réinsertion professionnelle, tout en tenant compte de la nécessité d’une juste répartition des moyens financiers limités d’un plan social. En revanche, cette méthode de calcul fondée sur l’âge est discriminatoire lorsque, dans sa mise en œuvre, la possibilité de percevoir une pension de retraite anticipée en raison d’un handicap doit également être prise en compte. Ceci revient à méconnaître le fait que les personnes atteintes d’un handicap grave

rencontrent en général davantage de difficultés pour réintégrer le marché de l’emploi. En outre, il convient de tenir compte du risque que ces personnes soient exposées à des besoins financiers incompressibles liés à leur handicap et/ou qu’en vieillissant, ces besoins financiers augmentent (C.J., 6 décembre 2012, Odar, C152/11).

Énergie et environnement Modification de la teneur en soufre des combustibles marins Les émissions des navires dues à la combustion de combustibles marins présentant une teneur élevée en soufre contribuent à la pollution de l’air sous la forme d’émissions de dioxyde de soufre et de particules qui nuisent à la santé humaine et à l’environnement et contribuent aux dépôts acides. Compte tenu de cet élément, la directive 2012/33/UE du Parlement européen et du Conseil adoptée le 21 novembre 2012 modifie la directive 1999/32/CE en ce qui concerne la teneur en soufre des combustibles marins. Les États membres devront se conformer à la directive modifiée, entrée en vigueur le 15 décembre 2012, pour le 18 juin 2014 au plus tard (J.O. L 327 du 27 novembre 2012, p. 1).

Établissement (Liberté d’–) Taxation discriminatoire des dividendes d’origine nationale et des dividendes d’origine étrangère Les articles 49 TFUE et 63 TFUE s’opposent à une législation d’un État membre qui applique la méthode d’exonération aux dividendes d’origine nationale et la méthode d’imputation aux dividendes d’origine étrangère, lorsqu’elle ne garantit pas un traitement fiscal équivalent des deux types de dividendes. Le traitement n’est pas équivalent lorsque, d’une part, le crédit d’impôt dont bénéficie la société bénéficiaire des dividendes dans le cadre de la méthode d’imputation est équivalent au montant de l’impôt effectivement payé sur les bénéfices sous-jacents aux dividendes distribués et que, d’autre part, le niveau d’imposition effectif des bénéfices des sociétés dans l’État membre concerné est généralement inférieur au taux d’imposition nominal prévu. Une société mère résidente d’un État membre qui, dans le cadre du régime de l’imposition de groupe a été, en violation des règles du droit de l’Union, contrainte d’acquitter l’impôt anticipé sur les sociétés sur la partie des bénéfices provenant de dividendes d’origine étrangère peut introduire une action en remboursement de cet impôt indûment perçu dans la mesure où celui-ci dépasse le surcroît d’impôt sur les sociétés que l’État membre en cause était en droit de prélever afin de compenser le taux d’imposition nominal inférieur que les bénéfices sous-jacents aux dividendes d’origine étrangère ont subi par rapport au taux d’imposition nominal applicable aux bénéfices de la société mère résidente (C.J., 13 novembre 2012, Test Claimants in the FII Group Litigation, C-35/11).


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Actualités Fiscalité Normes minimales de bonne gouvernance dans le domaine fiscal La Commission a publié une recommandation relative à des mesures visant à encourager les pays tiers à appliquer des normes minimales de bonne gouvernance dans le domaine fiscal. En effet, elle a estimé qu’il était nécessaire de définir clairement les normes minimales de bonne gouvernance dans le domaine fiscal, en ce qui concerne tant la transparence et l’échange d’informations que les mesures fiscales dommageables, ainsi que certaines mesures qui doivent être prises à l’égard des pays tiers afin de les encourager à respecter ces normes. Dès lors, la présente recommandation établit des critères permettant de déterminer les pays tiers qui ne respectent pas les normes minimales de bonne gouvernance dans le domaine fiscal (J.O. L 338 du 12 décembre 2012, p. 37).

Planification fiscale agressive La Commission a publié une recommandation relative à la planification fiscale agressive. Cette recommandation souhaite parvenir à un meilleur fonctionnement du marché intérieur, il était donc nécessaire d’encourager tous les États membres à adopter la même approche générale vis- à-vis de la planification fiscale agressive, en vue d’atténuer les distorsions existantes (J.O. L 338 12 décembre 2012, p. 41).

T.V.A. - Acquisition d’un terrain et de bâtiments en vue de leur démolition Une société ayant acquis un terrain et des bâtiments construits sur ce dernier, en vue de la démolition de ceux-ci et de la réalisation d’un lotissement sur ce terrain, a le droit de déduire la T.V.A. relative à l’acquisition desdits bâtiments. En outre, la démolition de bâtiments, acquis avec le terrain sur lequel ils ont été construits, effectuée en vue de la réalisation d’un lotissement en lieu et place de ces bâtiments, n’entraîne pas une obligation de régulariser la déduction initialement opérée de la T.V.A. relative à l’acquisition desdits bâtiments (C.J., 29 novembre 2012, Gran Via Moinesti, C-257/11).

T.V.A. - Location d’une péniche immobilisée La notion d’affermage et de location de biens immeubles comprend la location d’une péniche, y compris l’espace et le ponton y attenants, qui est immobilisée au moyen d’attaches non aisément amovibles fixées à la berge et au bassin d’un fleuve, repose sur un emplacement délimité et identifiable des eaux fluviales et est exclusivement affectée, selon les termes du contrat de bail, à l’exploitation permanente d’un restaurant-discothèque sur cet emplacement. Cette location constitue une prestation unique exonérée, sans qu’il y ait lieu de distinguer la location de la péniche de celle du ponton. Une telle péniche ne constitue pas un véhicule pour lequel un emplacement de stationnement serait loué et qui devrait être soumis à la T.V.A. en vertu de la sixième directive (C.J., 15 novembre 2012, Leichenich, C-532/11).

T.V.A. - Prestations de sécurité sociale effectuées par des organismes publics ou reconnus comme ayant un caractère social Le droit de l’Union en matière de T.V.A., interprété à la lumière du principe de neutralité fiscale, s’oppose à ce que l’exonération de la T.V.A. de soins ambulatoires prodigués par des prestataires commerciaux soit soumise à une condition selon laquelle les frais af-

férents à ces soins doivent avoir été supportés en tout ou pour leur majeure partie au cours de l’année civile précédente, dans au moins deux tiers des cas, par les organismes légaux d’assurance sociale ou d’aide sociale, lorsque cette condition n’est pas de nature à assurer l’égalité de traitement dans le cadre de la reconnaissance, aux fins de cette disposition, du caractère social d’organismes autres que ceux de droit public (C.J., 15 novembre 2012, Zimmerman, C-174/11). Voy aussi vo « Établissement (liberté d’-) » (« Taxation discriminatoire des dividendes d’origine nationale et des dividendes d’origine étrangère »).

Marchés publics Pouvoir adjudicateur exerçant sur l’attributaire juridiquement distincte un contrôle analogue à celui exercé sur ses propres services - Attribution in house Lorsque plusieurs autorités publiques, en leur qualité de pouvoir adjudicateur, établissent en commun une entité chargée d’accomplir leur mission de service public ou lorsqu’une autorité publique adhère à une telle entité, la condition établie par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne selon laquelle ces autorités, afin d’être dispensées de leur obligation d’engager une procédure de passation de marchés publics selon les règles du droit de l’Union, doivent exercer conjointement sur cette entité un contrôle analogue à celui qu’elles exercent sur leurs propres services est remplie lorsque chacune de ces autorités participe tant au capital qu’aux organes de direction de ladite entité (C.J., 29 novembre 2012, Econord, C-182/11 et C-183/11).

Réforme de la réglementation des marchés publics : avis du Comité des régions Lors de sa 97e session plénière des 8, 9 et 10 octobre 2012, le Comité des régions a rendu son avis concernant le « Paquet “Marchés publics” » et a formulé plusieurs amendements. (J.O. C 391 du 13 décembre 2012, p. 49).

Principes généraux du droit de l’Union européenne Droit d’accès aux documents de la B.C.E. Tout citoyen de l’Union européenne et toute personne résidant ou ayant son siège dans un État membre a un droit d’accès aux documents de la Banque centrale européenne (B.C.E.). Une journaliste avait demandé l’accès à deux documents de la B.C.E. liés à la situation économique de la Grèce. La B.C.E. lui avait refusé l’accès à ces documents, invoquant notamment la protection de l’intérêt public en ce qui concerne la politique économique de l’Union et de la Grèce. À l’appui de sa décision, la B.C.E. avait indiqué que les informations contenues dans ces documents étaient dépassés et que leur divulgation présentait un risque important de tromper fortement le public en général et les marchés financiers en particulier. Le Tribunal a validé le refus de la B.C.E., soulignant entre autres que même une précision de la B.C.E. sur le caractère dépassé des informations divulguées n’aurait pas pu empêcher que leur publication induise en erreur le public et les marchés financiers, ce qui aurait pu avoir des conséquences négatives sur l’accès de la Grèce aux marchés financiers (Trib., 29 novembre 2012, Gabi Thesing et Bloomberg Finance c. B.C.E., T-590/10).


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36 I Journal de droit européen I 2013

Journal de droit européen

Sommaire Énergie et environnement

Éditorial 1

Vingt ans!, le comité de rédaction

Établissement (Liberté d’–)

Analyse 2

Vie du droit Rédacteur en chef : Paul Nihoul Secrétaire général : C. Verdure Secrétaires de la rédaction : B. Raevens, A. Jaume, C. Chenevière, A. Fromont, E. Van Nieuwenhuyze et S. Grifnée Secrétaires adjoints : V. Van den Acker, M.-E. Lerat, M. Raedts , N. Hachez, A. Piens, C. Binet, A. de Crayencour et V. Lefever Comité scientifique : A. Arnull, L. Defalque, P. Delsaux, O. De Schutter, W. Devroe, L. Gormley, C. Kaddous, G. de Kerchove, P. Lambrecht, K. Lenaerts, S. Mahieu, Ph. Marchandise, F. Puel, F. Tulkens, A.-M. Van den Bossche et S. van Drooghenbroeck.

10

Commentaires Arrêt « Expedia » : l’application des seuils de minimis par les autorités nationales de concurrence, par A. Fromont 13 Arrêt « Elenca » : quand l’obligation d’un marquage « CE » corsète la libre circulation, par C. Cheneviere 15

Chroniques 18

Droit de la consommation, par E. Poillot

26

Actualités

33

- Sanction pénale du séjour irrégulier

Communications électroniques

33

- Service universel et les droits des utilisateurs

Consommateurs, alimentation et santé

33

- Matériaux et objets en matière plastique destinés à entrer en contact avec des denrées alimentaires Les envois destinés à la rédaction peuvent être adressés au journal : jde@larcier.be. CITATIONS. Les contributions publiées dans cette revue peuvent être citées de la manière suivante : nom de l’auteur, titre de l’article, Journal de droit européen (en abrégé : J.D.E.), année, numéro, page. DROITS D’AUTEURS. Tous droits de reproduction, sous quelque forme que ce soit, réservés pour tous pays — Les auteurs cèdent à LARCIER, leurs droits intellectuels sur les textes publiés au «Journal de droit européen». Toute reproduction est dès lors interdite sans l’accord écrit de LARCIER.

Contentieux

33

- Concours de sélection de fonctionnaires de l’Union européenne - Limitation du choix des langues

Coopération judiciaire en matière civile et commerciale 33 - Reconnaissance des décisions de justice - Effet sur la compétence internationale - Refonte du règlement Bruxelles I

Droit financier

34

- Mécanisme européen de stabilité

Égalité de traitement

34

- Travail à temps partiel - Discrimination indirecte fondée sur le sexe - Interdiction de toute discrimination fondée sur l’âge et sur le handicap dans le contexte professionnel

JDE-N.13/1 9782804455385

Fiscalité

35

- Normes minimales de bonne gouvernance dans le domaine fiscal - Planification fiscale agressive - T.V.A. - Acquisition d’un terrain et de bâtiments en vue de leur démolition - T.V.A. - Location d’une péniche immobilisée - T.V.A. - Prestations de sécurité sociale effectuées par des organismes publics ou reconnus comme ayant un caractère social

Marchés publics

35

- Pouvoir adjudicateur exerçant sur l’attributaire juridiquement distincte un contrôle analogue à celui exercé sur ses propres services - Attribution in house - Réforme de la réglementation des marchés publics : avis du Comité des régions

Principes généraux du droit de l’Union européenne

Droit bancaire et financier européen, par P.-E. Partsch

Asile et migration

34

- Taxation discriminatoire des dividendes d’origine nationale et des dividendes d’origine étrangère

Labels écologiques et alimentaires : les enjeux de la réglementation européenne, par L. Boy

Statut de chef d’État et libre circulation dans l’Union européenne, par F. Dopagne

34

- Modification de la teneur en soufre des combustibles marins

35

- Droit d’accès aux documents de la Banque Centrale Européenne.

Prix et distinctions Le prix triennal Jean Rey sera décerné cette année pour la période 2010-2013 (4.000 EUR). Ce prix est un hommage à Jean Rey, qui fut président de la Commission des Communautés européennes et fut élu au Parlement européen lors des premières élections de ce Parlement au suffrage universel en 1979. Pour poser sa candidature, il faut : a) être ressortissant de l’un des États membres de l’Union européenne ; b) être âgé de moins de 40 ans à la date de clôture de la période triennale ; c) soit avoir réalisé seul ou en collaboration une étude originale rédigée en français, anglais, allemand, espagnol ou néerlandais sur la concurrence (avantages, limites), soit poursuivre des études consacrées à ces matières dans une université de l’Union. Informations : 62 rue de Cracovie, 4030 Liège, 00 32 4 343 95 03, aclg@misc.ulg.ac.be

COMMANDES : De Boeck Services, s.p.r.l. - Fond Jean-Pâques, 4 - B-1348 Louvain-la-Neuve Tél. : (0800) 99.613 - Fax : (0800) 99.614 ou tél. : 32-(0)2 548.07.13 - Fax : 32-(0)2 548.07.14 ABONNEMENT 2013 : 185 € – Le numéro : 30 € E-mail : abo@deboeckservices.com © Groupe De Boeck s.a.


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