La constellation des dys

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Cet ouvrage, didactique par essence, fait le point sur l’état des données scientifiques dans ce domaine et insiste sur la nécessité d’une interdisciplinarité (incluant le maître d’école) qui prenne en compte les soubassements neurobiologiques de ces troubles : pour l’enfant en difficulté, il est nécessaire que tous les professionnels qui l’entourent partagent une même connaissance et puissent accéder à une compréhension profonde de cette incapacité à apprendre, dont le caractère biologique et constitutionnel n’est plus à prouver. Dans ce texte, l’auteur défend en outre l’idée que la recherche et la clinique peuvent faire bon ménage dans cette branche de la médecine et fournit au lecteur les informations les plus actuelles sur le sujet. L’ouvrage s’adresse aux professionnels en quête d’une connaissance complète et moderne du sujet, mais également aux non-spécialistes qui ont besoin d’en connaître les rudiments scientifiques afin de construire leur propre conception des troubles dys.

L’auteur Michel Habib est neurologue au CHU de Marseille, où il a exercé dans le domaine des troubles cognitifs de l’adulte et de l’enfant avant de se spécialiser progressivement dans les troubles d’apprentissage. Il enseigne la neuropsychologie dans plusieurs universités françaises et outre-Atlantique. Fondateur de la Revue de Neuropsychologie, co-responsable de la Revue Développements, et auteur de plusieurs ouvrages et articles, il a consacré ces dix dernières années à mettre en place un réseau de professionnels (Résodys) autour de la dyslexie et des autres troubles d’apprentissage.

GALDYS ISBN : 978-2-35327-262-4

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Neuropsychologues et psychologues Orthophonistes Enseignants et éducateurs spécialisés Psychomotriciens Ergothérapeutes Médecins généralistes et spécialistes

MICHEL HABIB

LA CONSTELLATION DES DYS

Les « troubles dys » sont à la fois un problème de société d’une brûlante actualité et une thématique scientifique en pleine effervescence : en une vingtaine d’années, le thème, au début essentiellement psycho-pédagogique, est devenu central en neurosciences et en neuropsychologie.

LA CONSTELLATION DES DYS Bases neurologiques de l'apprentissage et de ses troubles

MICHEL HABIB

LANGAGE AUTISME

DYSCALCULIE

TDAH COMORBIDITÉ

DYSLEXIE DÉFICIT DE L’ ATTENTION PRÉCOCITÉ

ÉCRITURE DYSPRAXIE DEVELOPPEMENT


Sommaire Avant-propos....................................................................................................................................... VII Chapitre 1. Q uelques notions basiques (mais nécessaires) sur l’anatomie et le fonctionnement de notre cerveau........................................................ 1 Chapitre 2. D éveloppement, plasticité, apprentissage : quelques notions (non moins indispensables) sur la façon dont le cerveau se modifie pour apprendre............................................................................... 23 Chapitre 3. C omment apprend notre cerveau : les bases biologiques de la mémoire et de l’apprentissage............................................................. 39 Chapitre 4. L e cerveau émotionnel : entre cognition et motivation, de nouvelles frontières pour la neuropédagogie...................................... 63 Chapitre 5. L e langage et la latéralisation cérébrale : état final et développement............................................................................. 93 Chapitre 6. A ssociations, comorbidité et troubles « dys » : quelques considérations introductives......................................................... 117 Chapitre 7. D yslexie : un modèle pour comprendre les bases cérébrales des troubles d’apprentissage........................................................................... 123 Chapitre 8. N eurologie des aptitudes mathématiques, bases cérébrales de la dyscalculie................................................................................................... 153 Chapitre 9. A cquisition des coordinations motrices et ses troubles : de la maladresse du geste aux dyspraxies de développement............ 177

III


La constellation des dys

Chapitre 10. A ptitudes attentionnelles, trouble déficitaire de l’attention et syndrome d’hyperactivité............................................................................. 215 Chapitre 11. P récocité intellectuelle, une cause à part entière de trouble d’apprentissage.................................................................................................... 247 Chapitre 12. A ux frontières des dys : les troubles du spectre autistique et leur substrat neurologique.......................................................................... 269 Postface. L ever le voile sur le mystère « dys » : vers un modèle unique de « dysconnectivité régionale sélective »................................................... 299 Index...................................................................................................................................................... 313 Table des matières............................................................................................................................ 317

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À mes enfants et petits-enfants : Laurence, Hélène, Loraine, Pablo, Thaïs, Elias, Benjamin et Dinah. À Jean, Philippe, Florence, Sylvie, Isabelle, Brigitte, Géraldine, Cécile, Pascale, Morgane, Françoise, Marianne, Fabrice, Corinne, Claire, Marion, Tristan, Roselyne, Nathalie, Mélina, Véronique, Aurélie, Magali, Céline, Laetitia, Johanne, Barbara, Béatrice, Amandine, Valérie, Emilie, Elodie, Carine, Isabel, Christophe, Kimberly, Michel, Valérie, Andréa, Muriel, et les autres... à tous mes étudiants, à ceux qui, d’année en année, m’ont appris tout ce que je sais.

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Avant-propos Cet ouvrage fait le point sur l’état des données scientifiques en matière de ce qu’il est convenu d’appeler, aujourd’hui et dans les pays francophones, les « troubles dys », un terme générique qui englobe un certain nombre de troubles ayant en commun : – d’entraver les apprentissages scolaires initiaux chez un enfant par ailleurs normalement intelligent ; – de se prolonger à l’âge adulte, avec des conséquences directes et indirectes plus ou moins invalidantes dans la vie personnelle et professionnelle ; – de relever d’un défaut de maturation de systèmes neurocognitifs spécifiques. Ce défaut est habituellement considéré comme d’origine principalement génétique, mais son expression peut varier de manière très large en fonction du contexte culturel, social et environnemental. Mais, au fait – nous demande-t-on souvent – que recouvre, au juste, le terme de « troubles dys » ? Tous les enfants qui n’arrivent pas à apprendre, alors que leur intelligence devrait le leur permettre ? Ou seulement une partie d’entre eux, puisqu’on prétend souvent qu’il y a des enfants qui ne peuvent pas apprendre, et d’autres qui ne veulent pas. Peut-être, mais ces derniers ne sont pas les plus nombreux, loin s’en faut, et ce pour une simple et bonne raison sur laquelle nous reviendrons tout au long de cet ouvrage : un cerveau qui peut apprendre, c’est un enfant qui aime apprendre. Un enfant qui n’aime pas apprendre, c’est souvent un cerveau qui ne peut pas apprendre. Tout est dit : je pourrai interrompre ici l’écriture de ce livre, et laisser le lecteur sagace méditer sur cette dernière phrase, qui, en soi, pourrait déjà faire son chemin et modifier beaucoup d’idées reçues, en tout cas inciter tout un chacun à faire le pari de la réalité du trouble, plutôt que de croire qu’il s’agit d’un artéfact ou de la manifestation de quelque faiblesse psychique. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : l’enfant que nous avons en face de nous ne tire-t-il pas un bénéfice, conscient ou inconscient, à ne pas apprendre ? Refuserait-il d’utiliser, plus ou moins volontairement, ses capacités ? Dans une société qui prône la performance, y a-t-il la place pour une incapacité qui ne soit pas de la paresse ou de la faiblesse mentale (comme le prétendait un philosophe et « scientifique » français de triste mémoire1) ? J’ose affirmer que oui, statistiquement et humainement : le premier réflexe que doit avoir l’adulte face à cet enfant, c’est de parier sur sa sincérité, et donc sur le caractère biologique et constitutionnel de son incapacité à apprendre. Le risque de se tromper est bien moindre et bien moins hasardeux qu’en faisant le pari inverse. Mais l’utilisation du terme « biologique » ne signifie pas que l’on ignore le rôle du milieu dans lequel évolue l’individu, ou l’influence de son histoire psycho-affective. Bien au contraire, puisque la science nous démontre, chaque jour un peu mieux, comment notre cerveau est en perpétuelle interaction avec son environnement. Ce n’est pas non plus un constat d’impuissance qui reviendrait à dire « ceci est biologique, donc on ne peut rien y faire ni changer ! ». À l’inverse, chaque année qui passe nous apporte de nouvelles preuves de la capacité des interventions et des remédiations à modifier des circuits cérébraux dès lors qu’on a identifié la nature de leur dysfonction. Parmi les détracteurs d’un raisonnement neuroscientifique à propos des enfants en difficulté d’apprentissage, certains pédagogues et philosophes de l’éducation redoutent de voir la médecine compromettre la sérénité du travail de l’enseignant, soutenant l’idée que ce dernier a pour seule mission de faire progresser chacun des ses élèves, quel que soit le rythme auquel il apprend, et qu’il n’a pas à se soucier de la raison de ses éventuelles difficultés. Certes, l’enseignant et le thérapeute ne font pas le même métier, et chacun se doit de rester dans les limites de ses compétences, mais séparer de la sorte le pédagogique du médical peut être un choix désastreux pour l’enfant en difficulté qui a précisément besoin que 1 A. Carrel, L’Homme cet inconnu 1935, p. 324. Alexis Carrel, chirurgien et scientifique, soutenait la thèse d’un eugénisme salutaire pour la civilisation, prônant l’élimination physique des faibles d’esprit.

VII


La constellation des dys le lieu où se manifeste son trouble ne soit pas déconnecté de la connaissance et de la compréhension de ce trouble. Faute de quoi, et c’est malheureusement une éventualité encore trop fréquente, s’installerait inévitablement une souffrance psychique qui aura en retour un effet très néfaste sur ses apprentissages. Mais sans doute ces affirmations ne sont-elles pas suffisantes. Sans doute notre lecteur sagace, mais exigeant, souhaiterat-il quelques preuves supplémentaires avant d’être persuadé de la pertinence d’un tel parti-pris. Et il aura raison. C’est ce que les chapitres qui suivent vont tenter de lui apporter, en prenant appui sur deux piliers : l’expérience et la rigueur scientifique. L’expérience nous sert à tirer, à partir des invariances de notre environnement, des régularités, des règles que nous appliquons ensuite en les généralisant, exactement comme le fait, nous le verrons, le cerveau de l’enfant qui apprend à parler ou à lire : il capte dans son environnement les stimuli qui surviennent de manière non aléatoire pour en faire des règles, lui permettant de prédire ce qui est la forme correcte et ce qui ne l’est pas. Pour le clinicien, c’est la même chose : il s’agit de garder en mémoire des configurations de symptômes et de signes (issus de l’examen clinique et de l’histoire personnelle de l’individu) ainsi que les résultats aux tests subis, pour créer des « patrons » (patterns), autrement appelés « syndromes », qui sculptent le cadre de la réflexion. La rigueur scientifique, quant à elle, vient ensuite pour affirmer (ou infirmer) la réalité de ces intuitions cliniques. L’exemple type, sur lequel nous reviendrons largement dans cet ouvrage, est la notion de comorbidité. Quand nous observons répétitivement, sur plusieurs enfants différents, une association entre, disons, une certaine difficulté à apprendre à lire et l’incapacité à fixer son attention, et que nous sommes frappés par la fréquence « anormalement haute » de cette association, nous déduisons logiquement qu’il doit nécessairement y avoir un lien entre ces deux observations, et mettons tout en œuvre pour prouver ce lien. En d’autres termes, pouvons-nous prouver que la probabilité de rencontrer, chez un même individu, l’association des deux est plus fréquente que la somme des probabilités de rencontrer chacune d’elles séparément ? Alors, et seulement à ce moment-là, on pourra penser qu’il y a réellement un lien entre le fait de ne pas apprendre à lire et la difficulté à fixer son attention, et éventuellement tirer des hypothèses utiles sur sa nature. Ainsi, cette intuition clinique exigera une confirmation statistique, et ne pourra être avancée avec certitude que lorsque l’on aura réalisé une étude qui consistera à mesurer objectivement l’incidence relative de chacune de ces deux conditions et de leur association dans une population donnée. Si les tests statistiques nous indiquent un lien significatif, alors, et alors seulement, des conclusions pourront être tirées, ainsi que des éventuelles recommandations (en termes de remédiation et de pédagogie) pour aider les enfants qui ont ce profil. Vingt ans de travail interdisciplinaire autour des enfants « dys » m’ont apporté la conviction que l’efficacité dans ce domaine passe nécessairement par la mise en commun des points de vue de tous les intervenants médicaux, psychosociaux et pédagogiques qui travaillent autour d’un individu en difficulté d’apprentissage, et que ce n’est qu’en partageant une culture minimale commune que l’on peut parvenir à un tel résultat. Cette culture commune doit également être accessible aux parents, qui sont les acteurs centraux de ce dispositif. C’est donc précisément l’objet de cet ouvrage que de fournir au lecteur les éléments de cette culture minimale commune qui permettra à chacun de connaître les rudiments scientifiques de base (nécessaires à la compréhension de chacune des entités dont il va être question), et de construire sa propre conception, guidée par la certitude de disposer des informations les plus actuelles sur un sujet d’autant plus complexe qu’il est en perpétuelle évolution. Apprendre à faire la part des choses, dans ce domaine complexe où l’on peut trouver toutes sortes d’idées plus ou moins saugrenues et de solutions aussi inefficaces pour les patients que lucratives pour leurs auteurs, est de plus en plus indispensable pour le non-spécialiste. Cet ouvrage spécialisé s’adresse principalement aux praticiens, mais pas nécessairement aux spécialistes, qui pourront peut-être y trouver quelque complément à leurs connaissances sur certains aspects du problème, et s’en servir comme support pour leur propre réflexion, éventuellement comme aide pour orienter leur pratique ou comme outil pour construire des formations. Les uns comme les autres trouveront aussi dans cet ouvrage matière à réflexion autour du concept de trouble d’apprentissage et, du moins peut-on le souhaiter, auront à la fin de leur lecture la conviction que la recherche et la clinique peuvent faire bon ménage dans ce domaine.

Michel Habib Marseille, mars 2014

VIII


Chapitre 3 Comment apprend notre cerveau : les bases biologiques de la mémoire et de l’apprentissage

Tout ce qui est proprement humain dans nos comportements est appris : le langage que nous parlons, la façon dont nous nous habillons, les aliments que nous mangeons, comment nous les mangeons, jusqu’à nos attitudes sociales. En réalité, tout ce qui fait notre appartenance à l’espèce humaine et tout ce qui fait notre individualité relèvent de l’apprentissage, le processus qui permet l’acquisition de toute nouvelle information, et de manière plus générale de la mémoire, la capacité de stocker et de récupérer cette information. Les notions de mémoire et d’apprentissage sont, à vrai dire, quasiment indissociables : l’apprentissage n’a de sens que s’il persiste dans le temps sous la forme d’une trace qui pourra être réutilisée ultérieurement (la mémoire) ; la mémoire, quant à elle, n’existe que par le fait qu’il y a eu préalablement apprentissage. Dès la naissance, le bébé est génétiquement programmé pour apprendre. Il est par exemple capable de reproduire par imitation des mouvements du visage et des mains que lui présente l’adulte, ce qui suggère que son cerveau est prêt à la naissance pour l’apprentissage culturel humain. Toutefois on peut d’emblée distinguer deux types d’apprentissage : dans le premier, il s’agit d’acquérir certains automatismes, des procédures, de manière le plus souvent inconsciente, l’apprentissage venant perfectionner progressivement une compétence initialement insuffisante. Le deuxième type d’apprentissage est, lui, totalement conscient et repose sur une instruction formelle, celle de la connaissance que l’adulte veut transmettre à l’enfant. C’est ce dernier type d’apprentissage qui concerne plus particulièrement l’enseignement, en particulier scolaire. La mémoire, quant à elle, comprend tous les mécanismes qui permettent de rendre disponible une information précédemment acquise, depuis le moment de cette acquisition jusqu’à sa restitution (ou récupération), en passant bien entendu par le maintien (stockage) durant plus ou moins longtemps – parfois toute une vie – de cette information. La compréhension des mécanismes cérébraux qui sous-tendent notre capacité à apprendre et l’apprentissage lui-même a considérablement progressé au cours de ces dernières années, et ce principalement grâce à divers types d’expériences de laboratoire réalisées en grande partie chez des espèces non humaines. À l’inverse, nos connaissances sur la mémoire et les structures qui la sous-tendent reposent au moins au début essentiellement sur des données issues de la pathologie humaine, comme nous le verrons dans le paragraphe suivant. Par souci de suivre une logique historique, nous commencerons par décrire les structures cérébrales impliquées dans la mémoire, et dans un deuxième temps seulement nous envisagerons les notions plus fondamentales concernant l’apprentissage.

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La constellation des dys

1.  L’hippocampe et les origines

des neurosciences de la mémoire Nos connaissances sur les mécanismes de la mémoire ont réellement débuté dans les années 1950 par la mise en évidence quasiment fortuite de ce qu’il est actuellement convenu d’appeler un syndrome amnésique, c’est-à-dire la perte totale de la capacité d’apprendre des faits nouveaux. Le cas le plus célèbre de syndrome amnésique est sans doute celui connu par les initiales HM, du nom du patient qui avait été opéré dans le cadre d’une chirurgie de l’épilepsie, opération qui avait conduit les chirurgiens à extirper une bande de cerveau dans le lobe temporal, incluant en particulier l’hippocampe. L’amnésie de ce patient était très spectaculaire et a fait l’objet de plusieurs centaines d’articles scientifiques, la plupart signés de celle qui est devenue, grâce à ses écrits sur la neuropsychologie de la mémoire, une des plus célèbres scientifiques de la deuxième moitié du xxe siècle, la psychologue canadienne Brenda Milner. Après l’opération, HM avait certes récupéré en grande partie de son épilepsie mais très vite on put s’apercevoir que cette récupération s’était faite au prix d’un terrible handicap : la perte de toute capacité à former de nouveaux souvenirs. Pendant plus de cinquante ans après son opération jusqu’à sa mort en 2008, régulièrement examiné par B. Milner1, HM n’a jamais été capable d’acquérir le moindre nouveau souvenir, de mémoriser la moindre nouvelle information. Plus précisément, l’information pouvait être acquise durant quelques secondes mais elle s’effaçait immédiatement dès lors qu’une nouvelle tâche venait perturber la première. Des années après son opération, il ne connaissait toujours pas son âge ni la date ; il n’a jamais appris – plutôt retenu – le fait que ses parents étaient décédés dans l’intervalle. Il a décrit la même souffrance à chaque fois qu’on lui a « appris » la nouvelle du décès d’un de ses oncles. De manière troublante, il était parfaitement conscient du caractère singulier de son handicap mais ne pouvait l’apprécier pleinement : « Chaque jour est isolé des autres, quelque plaisir que j’aie pu avoir, ou tristesse... En ce moment même, je me demande si je ne vous dis pas quelque chose qu’il ne faudrait pas dire ou faire. Vous voyez, en ce moment, tout me paraît clair, mais qu’est-il arrivé juste avant ? C’est cela qui m’ennuie. C’est comme se réveiller d’un rêve, je n’arrive pas à me rappeler. ». L’incapacité de ce patient à créer de nouveaux souvenirs faisait qu’il ne pouvait pas construire une relation avec qui que ce soit de nouveau : commencer une relation pour lui 1 Voir par exemple Milner, B. (1965). Memory disturbance after bilateral hippocampal lesions. In Milner, P.M., & Glickman, S.E. (éds). Cognitive Processes and the Brain, D. Van Nostrand Co., Toronto, 97-111.

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Figure 1. Schématisation, d’après la description initiale du chirurgien, de la perte cérébrale subie par HM lors de son intervention en 1953, à l’âge de 27 ans. La zone colorée inclut l’hippocampe, mais aussi, assez largement, toute la zone de cortex et de substance blanche avoisinante, y compris probablement le noyau amygdalien et une partie importante du gyrus para-hippocampique.

n’avait pas de sens puisque, chaque jour, c’était comme une nouvelle personne qu’il avait en face de lui. Mais qu’est-ce que l’opération qu’avait subie HM avait pu détruire de si fondamental dans son cerveau pour provoquer un changement aussi spectaculaire et dramatique ? La figure 1 schématise l’étendue des lésions qu’avait provoquées l’opération subie : il s’agissait d’une « hippocampectomie bilatérale », c’est-à-dire certes principalement la destruction des deux hippocampes, mais aussi d’une partie du cortex temporal avoisinant, un point qui a eu son importance, nous le verrons, dans les nombreuses discussions qui ont suivi.

1.1.  Il y a plusieurs types de mémoire Pour prendre toute la mesure des révélations que nous a apportées l’étude du « cas » HM, il convient de garder à l’esprit un schéma général des différents types de mémoire dont on admet aujourd’hui l’existence. Le tableau 1 résume ces principales formes de mémoire. L’amnésie hippocampique de HM nous a principalement appris à connaître deux distinctions : celle entre mémoires


Chapitre 3 - Comment apprend notre cerveau Mémoire sensorielle (iconique, échoïque)

Mémoire à court terme (verbale, non verbale)

Mémoire à long terme

déclarative

non déclarative

implicite épisodique

sémantique

procédurale conditionnement

Tableau 1. Schématisation des différents types de mémoire.

immédiate et à long terme, et celle entre mémoires déclarative et non déclarative. La figure 2 représente, sur un schéma chronologique de l’existence de HM, l’étendue de son trouble de mémoire. Il s’agit avant tout, nous l’avons vu, d’un défaut d’acquisition de nouveaux souvenirs, un trouble de la mémoire antérograde, débuté brutalement au décours de son opération et qui a persisté quasiment inchangé durant toute son existence. Cette amnésie antérograde, véritable « oubli à mesure », a logiquement amené les scientifiques à penser que l’hippocampe, la structure principale visée par l’intervention chirurgicale, devait être impliqué dans la formation de nouveaux souvenirs. Mais un deuxième élément devait rapidement montrer que les choses n’étaient sans doute pas aussi simples : en plus de son amnésie antérograde, HM souffrait également d’une amnésie rétrograde, c’est-à-dire que les souvenirs acquis antérieurement à l’opération n’étaient pas intacts, plus précisément ceux Amnésie infantile

1926 naissance

Souvenirs préservés

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-40

concernant les événements survenus au cours des dix dernières années précédant l’opération. En outre, à l’analyse de cette perte des souvenirs préalablement acquis, il est apparu l’existence d’un « gradient rétrograde », c’est-à-dire que la perte était d’autant plus complète que l’événement était plus proche de l’opération, et les souvenirs d’autant plus accessibles qu’ils en étaient plus éloignés. Cette double constatation a suggéré un deuxième rôle pour l’hippocampe, celui de la consolidation des souvenirs, seule possibilité pouvant, selon les chercheurs, expliquer les faits observés. En d’autres termes, l’hippocampe jouerait deux rôles distincts : d’une part, il permet aux événements d’« entrer » dans la mémoire de l’individu, donc de former des souvenirs, mais aussi, pendant un certain temps au moins, de stocker temporairement les souvenirs, avant qu’ils soient « pris en charge » par d’autres structures cérébrales qui seraient, elles, dépositaires définitifs de la trace de l’information acquise.

Amnésie rétrograde

-50

Amnésie antérograde

-60

-70

opération

-80

-90

2000 -08 mort

Figure 2. Représentation chronologique de l’amnésie du patient HM. L’amnésie antérograde totale et définitive, depuis l’intervention chirurgicale où lui ont été réséqués les deux lobes temporaux, fait suite à l’amnésie rétrograde partielle des quelques années ayant précédé l’opération.

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La constellation des dys 1.2.  HM : des capacités préservées La force du raisonnement de Brenda Milner, d’inspiration typiquement neuropsychologique, a été de s’attarder non plus sur la nature du déficit, mais sur l’étendue des capacités préservées. C’est ainsi que deux révélations supplémentaires ont pu être faites. La première concerne la distinction entre mémoire immédiate et mémoire à long terme. En effet, lorsqu’on demandait à HM de répéter une liste de mots, il obtenait une performance très déficitaire par rapport à des témoins de même âge, mais avec cependant une préservation surprenante des deux ou trois derniers mots entendus (figure 3). Cet « effet de récence », qui existe aussi dans toutes les affections (comme la maladie d’Alzheimer) où la mémoire à long terme est touchée, traduit le fait que les derniers mots sont répétés grâce à un mécanisme distinct de celui sous-tendu par l’hippocampe. Il s’agit d’un système de stockage immédiat de l’information, qui est actuellement considéré comme dépendant des cortex spécifiques à une modalité sensorielle, en l’occurrence le cortex auditif, pour l’exemple de la répétition de mots, mais aussi le cortex visuel, si l’information était donnée par voie visuelle. Si on demande à un sujet neurologiquement intact de répéter une série croissante de chiffres (2, 8, 5 ; 7, 2, 4, 9 ; etc.), on peut définir pour chaque individu l’empan mnésique de chiffres, une capacité qui est en moyenne de 7 chiffres pour un adulte. Cette épreuve est considérée comme explorant typiquement la mémoire immédiate auditivo-verbale.

Or, chez HM, l’empan était strictement superposable à celui d’un témoin, confirmant l’intégrité des systèmes de mémoire immédiate. L’équivalent de l’épreuve d’empan dans le domaine non verbal est une épreuve qu’a beaucoup utilisée Brenda Milner, dite des cubes de Corsi. Sur une planche en bois, figurent une dizaine de cubes disposés de manière aléatoire, que l’examinateur touche successivement du doigt, dans un ordre préétabli, en commençant par trois cubes, puis en augmentant progressivement d’essai en essai, et que le sujet doit ensuite toucher dans le même ordre, Ici encore, HM réalisait une performance proche de la normale. Mais la dissociation la plus impressionnante a été observée sur une tâche non verbale, dite de l’étoile en miroir, tâche qui, en apparence, différait peu d’autres tâches d’apprentissage, si ce n’est que HM y réalisait une performance strictement normale (figure 4). Il s’agit d’apprendre en dix essais par jour à suivre au crayon les contours d’une étoile tracée sur une feuille que le sujet ne peut voir que dans un miroir. Alors même qu’il est incapable de se rappeler chaque jour avoir réalisé cette épreuve la veille (il en est même incapable quelques minutes après !), HM améliore sa performance d’essai en essai et d’un jour sur l’autre, et ce exactement comme le font les témoins normaux. Le contraste saisissant entre une main qui apprend et l’absence totale de conscience de l’événement qui a mené à cet apprentissage est une preuve formelle que l’acquisition de l’aptitude et celle de l’événement sont deux compétences neurologiquement dissociées.

Figure 3. Effets de récence et de primauté, caractéristiques de l’apprentissage d’une liste de mots. Chez un sujet amnésique (pointillés), comme le sujet HM, l’effet de récence persiste, alors que le nombre total de mots rappelés est effondré.

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Chapitre 3 - Comment apprend notre cerveau

Figure 4. Suivre les contours d’une étoile en ne pouvant contrôler visuellement le geste que de manière inversée, dans un miroir, est une compétence qui nécessite un apprentissage de plusieurs essais. Au troisième jour, après dix essais par jour, elle est durablement acquise.

En définitive, les enseignements apportés par le cas HM sur le fonctionnement normal de la mémoire ont été majeurs. En premier lieu, la distinction entre mémoires déclarative et non déclarative. La mémoire déclarative est celle que nous appelons habituellement mémoire, car elle contient les faits et les informations que nous avons acquis par l’apprentissage. C’est une mémoire consciente, dans le sens où nous avons verbalement la possibilité de relater (« déclarer ») son contenu à autrui. On teste en clinique courante la mémoire déclarative grâce à des épreuves comportant une information verbale (mots, courtes histoires) ou non verbale (dessins, figures géométriques…). L’aspect le mieux connu et le mieux explorable de la mémoire déclarative est la mémoire dite épisodique. Bien que cela soit parfois contre-intuitif, on classe sous le vocable de mémoire épisodique tous les faits nouvellement appris lors de ces tests, de même que les faits et événements vécus, également appelés mémoire autobiographique. C’est précisément ce type de mémoire qui a été si profondément altéré chez HM. On classe également dans la mémoire déclarative une autre sorte d’information qui concerne les connaissances acquises de diverses manières, en particulier les connaissances didactiques. On parle de mémoire sémantique, car elle contient en particulier le sens des mots que nous utilisons, et son utilisation passe par l’accès préalable à une dimension sémantique apprise de façon formelle. Le concept de mémoire sémantique a été introduit pour qualifier un type de mémoire concernant de manière générale le langage et la connaissance (à travers lui) du

monde physique, par opposition à la mémoire épisodique, de nature autobiographique et qui a trait aux événements concernant le sujet lui-même, essentiellement en termes de moment et de lieu. Ainsi, le souvenir du nom d’une ville, par exemple, ou une connaissance didactique concernant cette ville seront traités par la mémoire sémantique, alors que le souvenir de l’expérience que l’on a pu éprouver en la visitant à un moment donné, l’évocation de cet épisode de la vie du sujet concernent la mémoire épisodique. Une distinction similaire a été introduite par Damasio qui oppose, à propos de la mémoire visuelle, une mémoire générique, concernant la connaissance des objets du monde environnant, et une mémoire contextuelle, reposant sur le contexte affectif et motivationnel caractérisant la connaissance que possède un individu donné d’un objet ou d’un visage. À l’opposé de la mémoire déclarative, se situe la mémoire non déclarative, dont le principal représentant est la mémoire procédurale, celle-là même qui, intacte chez HM, lui permet d’apprendre de manière non consciente une procédure comme le dessin dans un miroir, décrit sur la figure 4. La mémoire procédurale est également impliquée dans de nombreux apprentissages moteurs (faire du vélo à deux roues, nager) et non moteurs (perceptif, comme par exemple la capacité à lire des mots écrits en miroir, voire cognitif, comme certains raisonnements dont une partie est automatisée). La lecture en miroir a été un paradigme assez souvent utilisé pour mettre en évidence le caractère implicite de la mémorisation de l’information : par exemple, HM était capable d’améliorer sa rapidité de lecture en miroir avec l’apprentissage (alors qu’il était incapable de mémoriser les mots sur lesquels il avait travaillé). La technique de l’amorçage (ou priming) fait également partie de ce type de mémoire non déclarative : ici, on présente des mots dans un contexte neutre (comme déterminer rapidement si les mots présentés contiennent ou non une lettre donnée) puis, après une épreuve dite de masquage où une tâche tout à fait différente est réalisée par le sujet, on lui propose des trigrammes à compléter, dont certains sont les premières lettres des mots précédents. À son insu, le sujet a mémorisé les mots et va être induit malgré lui à compléter les trigrammes avec les mots qu’il a vus précédemment. Ainsi, à l’instar de la mémoire procédurale, on peut faire l’hypothèse que la mémoire implicite et le priming perceptif sont sous-tendus par des parties du cerveau autres que l’hippocampe. Tulving & Schacter2 (1990) ont proposé le terme de « système de représentation perceptive » (PRS) pour référer à un système de mémoire qui est préservé chez les 2 Tulving, E., & Schacter, D.L. (1990). Priming and human memory systems. Science, 247, 301-306.

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La constellation des dys amnésiques et rend compte des phénomènes de priming. Il serait impliqué dans le traitement de l’information perceptive à un niveau présémantique, avant que l’information ne soit traitée en mémoire déclarative. Ce système serait spécifique à une modalité (visuelle, auditive…) et entrerait en jeu lors du traitement de l’information par les cortex associatifs spécifiques à chaque modalité. Il s’agirait donc d’un stockage réalisé à un stade préconscient du traitement de l’information perceptive.

1.3.  Mémoire verbale et mémoire visuelle : une question d’hémisphères Une autre distinction est très utilisée en clinique, car elle permet une interprétation des troubles en termes de latéralisation hémisphérique : c’est celle qui oppose mémoires verbale et visuelle. Du reste, les différentes batteries de tests de mémoire utilisées en pratique (comme celle de Wechsler ou celle de Signoret) comportent à égalité des tests utilisant un matériel verbal (apprentissage et rappel d’une série de mots ou d’une histoire, par exemple) et un matériel « visuel » (rappel ou reconnaissance d’images concrètes ou dessins abstraits). La comparaison des performances aux épreuves d’apprentissage dans les deux modalités donne un indice de dysfonctionnement prédominant hémisphérique gauche (en cas d’altération prédominante des processus verbaux) ou droite (pour les processus visuels). La spécificité hémisphérique de ces deux types de mémoire a été démontrée expérimentalement par B. Milner dans ses études effectuées sur des sujets ayant été opérés chirurgicalement de leur lobe temporal droit ou gauche. Les épreuves consistaient, d’une part, en un apprentissage verbal (apprentissage d’une liste de chiffres) et, d’autre part, en un apprentissage spatial (cubes de Corsi). Les résultats obtenus par les deux groupes de sujets montraient une dissociation claire, puisque la performance des « temporaux gauches » était très insuffisante à l’épreuve verbale mais normale à l’épreuve spatiale, alors que les « temporaux droits » avaient un comportement inverse. L’intervention avait consisté dans tous les cas en une amputation du lobe temporal comprenant une plus ou moins grande partie de l’hippocampe. De fait, la sévérité de la perturbation s’est avérée proportionnelle à l’importance de la résection hippocampique. Lors de pathologies hémisphériques chez l’adulte, comme un accident vasculaire cérébral, il est fréquent que soient associés au trouble principal des troubles de mémoire dont la nature varie selon que l’hémisphère gauche (mémoire verbale) ou droit (mémoire non verbale, visuo-spatiale) est touché. L’atteinte du cortex cérébral au-delà de la région hippocampique est donc susceptible de provoquer des troubles mnésiques qui ne réalisent

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cependant jamais un véritable syndrome amnésique : des cas exceptionnels d’amnésie rétrograde massive ont été rapportés lors de lésions touchant à la fois les lobes temporaux et soit les lobes frontaux, soit les régions postérieures.

1.4.  Une lésion cérébrale peut détruire la mémoire épisodique et laisser intacte la mémoire sémantique Un cas de ce type particulièrement saisissant a été rapporté : il s’agit du cas KC, un jeune homme de 30 ans qui a été victime d’un traumatisme crânien et qui ne pouvait plus rappeler aucun événement de son passé, alors que ses connaissances générales étaient épargnées. En d’autres termes, sa mémoire épisodique était sévèrement altérée, plus sévèrement même que chez HM, mais il était capable d’apprentissage en mémoire sémantique si l’on s’attachait à espacer les essais dans une tâche donnée, pour éviter l’interférence du matériel entre les essais. Toutefois, cela ne lui permettait pas d’acquérir des souvenirs épisodiques. On peut donc penser que, chez ce patient, dont le système hippocampique n’était par ailleurs pas intact, l’intensité du trouble de mémoire épisodique était liée aux vastes lésions corticales frontales et pariétales, d’où l’idée que, une fois consolidés, les souvenirs sont stockés dans différentes régions du cortex cérébral3.

1.5.  D’autres lésions qu’hippocampiques peuvent donner un syndrome amnésique, un peu différent… Un syndrome amnésique ayant des caractères un peu différents de celui d’HM peut être provoqué par des lésions d’autre nature que celles d’HM, en particulier le fameux syndrome de Korsakoff, provoqué par une atteinte carentielle en vitamine B1 (thiamine), principalement chez le sujet alcoolique chronique. Bien que rare, ce syndrome se rencontre encore, surtout chez les personnes alcooliques et dénutries, ayant déjà fait plusieurs états neurologiques confusionnels auparavant, et associe un oubli à mesure, des fausses reconnaissances et des fabulations, comme si ici, pour combler le vide laissé par l’amnésie, le cerveau se mettait à créer des pensées fabulatoires et des reconnaissances de personnes jamais rencontrées. En fait, le trouble de la mémoire lui-même est quelque peu différent : certes, en apparence, les souvenirs sont oubliés au fur et à mesure, comme chez HM, mais contrairement à ce dernier, on peut mettre en évidence qu’ils ont été au moins en partie acquis, donc mis en mémoire, mais que c’est leur réactivation, leur évocation sur commande qui ne se font pas. En 3 Tulving, E. (1972). Episodic and semantic memory. In Tulving, E., & Donaldson, W. (éds), Organization of Memory, New York, Academic Press, 381-402.


Chapitre 3 - Comment apprend notre cerveau outre, l’amnésie rétrograde, bien que plus vague, concerne des éléments étalés sur toute la vie du patient (et non seulement la période récente). Les lésions sont situées non pas dans les lobes temporaux internes, mais dans deux structures clés de la mémoire que sont les tubercules mamillaires, deux petites protubérances arrondies visibles sous la face inférieure du cerveau. En l’occurrence, la position stratégique de ces tubercules le long d’un circuit partant de l’hippocampe, contournant le centre du cerveau, pour atteindre le tubercule mamillaire, où l’information est ensuite projetée sur le thamalus interne, en fait le centre d’un système appelé « circuit de Papez », décrit dans les années 1930 comme un circuit dévolu au contrôle des émotions. En fait, il s’avère que c’est l’ensemble de ce circuit, lorsqu’il est détruit de manière bilatérale, qui peut être à l’origine de syndrome amnésique, avec différentes variantes cliniques selon la topographie exacte des lésions. Un pur exemple d’amnésie diencéphalique (ou thalamique) est fourni par un patient connu par les initiales NA, victime d’un accident bizarre (il a reçu accidentellement dans la narine droite une épée miniature qui a traversé la base du crâne et provoqué une petite lésion de la région thalamique inférieure et médiane) et qui, au décours de cet accident, est devenu profondément amnésique4. Comme HM, il souffrait d’amnésie antérograde, ne pouvant fournir que très peu d’informations sur les événements survenus depuis 1960, date de son accident ; mais à l’inverse de ce dernier, il pouvait également évoquer presque parfaitement les souvenirs juste avant l’accident. Comme le décrivait Squire : « Il donne l’impression de vivre en dehors du temps ; il garde les cheveux coupés en brosse, cite Betty Grable comme une actrice contemporaine, il n’a pas d’amis proches en raison de la difficulté à suivre une conversation et garder le contact avec ses connaissances d’une fois sur l’autre. Il ne peut pas se faire la cuisine, car la succession des étapes lui crée un trop lourd fardeau pour sa mémoire. Il signale que regarder la télévision lui est difficile, car il oublie l’histoire pendant les pauses publicitaires (…). » L’étude en IRM de ses lésions cérébrales montre une lésion touchant plusieurs structures diencéphaliques : le thalamus, les tubercules mamillaires et probablement le faisceau mamillo-thalamique. Comme HM, il avait une mémoire à court terme normale, avec une atteinte exclusive de la possibilité de former des traces en mémoire déclarative à long terme, et non en mémoire procédurale. Citons pour terminer la possibilité de rencontrer une amnésie sévère à la suite de lésions de la région frontobasale (basal forebrain). Il s’agit généralement de 4

Squire, L.R. (1987). Memory and Brain. New York, Oxford University Press.

complications cérébrales (spontanées ou postopératoires) liées à la présence d’un anévrisme artériel situé à la base du cerveau. Le tableau, caractérisé par une perturbation massive de la mémoire antérograde et une confusion permanente des souvenirs anciens, est assez proche de l’amnésie korsakovienne par la présence de fabulations quasi continuelles et d’une amélioration des performances par l’indiçage. La perturbation mnésique est attribuée à la destruction des complexes cellulaires, en particulier le noyau basal de Meynert, situés dans la région sous-frontale, et qui représentent les principaux « réservoirs » cérébraux d’acétylcholine. La perte de l’apport d’acétylcholine à l’hippocampe serait responsable de l’amnésie5. En définitive, les arguments cliniques envisagés jusqu’ici nous ont appris l’existence d’un système bilatéral comportant de manière obligatoire les deux hippocampes et leurs relations avec certains noyaux de la base du cerveau, formant un circuit dont l’atteinte bilatérale est nécessaire pour provoquer un syndrome clinique amnésique proprement dit. Ce système est certainement impliqué dans la formation de nouveaux souvenirs et accessoirement dans la consolidation de souvenirs plus anciens. Dans tous les cas, les souvenirs concernés relèvent de la mémoire déclarative à long terme (puisque ni la mémoire à court terme ni la mémoire procédurale ne sont concernées) et, au sein de la mémoire déclarative, tout particulièrement la mémoire épisodique (puisque la mémoire sémantique n’est pas concernée, un point qui a cependant été plus récemment contesté).

1.6.  Encodage, consolidation, récupération On s’accorde en général pour concevoir trois stades dans les phénomènes de mémorisation : l’encodage, c’est-à-dire la prise d’information, le stockage, qui se fait de manière progressive, à la faveur du phénomène de consolidation, et la récupération, c’est-à-dire la restitution de l’information en vue de son utilisation pour d’autres tâches cognitives. Parmi ces trois étapes, c’est certainement la seconde qui fait l’objet du plus grand nombre d’interrogations. De nombreuses études chez l’animal, selon un protocole similaire d’apprentissage d’une information suivi à différents délais d’une destruction de l’hippocampe, ont été conçues pour tenter de répondre à cette question, et ce sur différentes espèces. Un point émerge de cette littérature expérimentale comme une constatation robuste : quelle que soit l’espèce considérée, il existe un moment, après l’acquisition de l’information, où la trace n’est plus affectée par la lésion expérimentale hippocampique. Cela vient confirmer 5 Dans le même registre, on connaît également l’effet favorable sur la mémoire de l’administration de drogues augmentant l’effet de l’acétylcholine.

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La constellation des dys Indice de récupération a) encodage

b) Récupération en mémoire avant consolidation

Organisation par l’hippocampe des différents attributs de l’événement à mémoriser

Indice de récupération

Attributs

c) Récupération après consolidation

Écoulement du temps

Visuel Auditif Spatial

Figure 5. Les différentes étapes de la mémorisation d’un événement multisensoriel : théorie de la consolidation progressive.

l’idée que l’hippocampe reste indispensable au maintien du souvenir pendant un certain temps après son acquisition, puis ne l’est plus. Le souvenir est alors stocké dans le cortex, à proximité de sa région d’origine (occipitale, pour les composantes visuelles, temporo-pariétales pour les composantes auditives, etc.). La figure 5 schématise la conception classique quant aux différentes fonctionnalités du système. Lors de la première phase d’encodage, un événement est traité par l’hippocampe, d’emblée en relation avec ses différents attributs sensoriels. Plus précisément, la région temporale médiane aurait pour rôle de distribuer les différents attributs sensoriels d’un événement donné aux différentes régions corticales, de même que leurs interconnexions. Lorsque la récupération a lieu avant que la consolidation soit achevée, la récupération repose sur l’hippocampe et les structures temporales internes avoisinantes. Après consolidation, la récupération peut se faire directement depuis les cortex d’origine, sans la médiation de l’hippocampe. Nous verrons que cette conception a été plus récemment partiellement remise en cause.

1.7.  Le stockage des informations en mémoire à long terme est vaste mais très variable Hormis les cas exceptionnels d’hypermnésie, ces individus qui ne peuvent rien oublier et encombrent leur mémoire d’événements, de faits, de détails aussi inutiles

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qu’embarrassants, une partie relativement minime des informations que notre cerveau reçoit en permanence va être stockée en mémoire à long terme. À cet égard, l’oubli, ce processus qui déleste la mémoire de toutes les informations non pertinentes, a une véritable fonction physiologique, sans laquelle nous serions en permanence dans la situation très inconfortable des sujets hypermnésiques. Si l’on met bout à bout la totalité des informations : les mots et règles de notre langue, les visages des familiers et des célébrités, les lieux et les paysages connus, mais aussi les airs de musique, les odeurs, les saveurs, etc., ce sont des centaines de milliers d’informations qui sont stockées en permanence dans notre cerveau, et comme la plupart sont multisensorielles, voire émotionnelles et sensorielles, ce sont autant de circuits distincts qui se sont imprimés et se mettent en jeu lors du rappel de ces informations. Une caractéristique importante de la trace mnésique est qu’elle n’est pas rigide, au contraire, elle est fluctuante et modelable avec le temps et en fonction des contextes et des événements. Par exemple, il est bien connu qu’un souvenir est mieux évoqué et plus durablement conservé s’il concerne un événement qui touche émotionnellement l’individu qui le vit. Il a également été prouvé que, à chaque évocation d’un souvenir, nous modifions légèrement la nature de la trace qui le représente, de sorte qu’il peut, à terme, être notablement altéré lorsqu’il a été rappelé à plusieurs reprises. C’est le cas par exemple des témoignages devant les tribunaux, dont de nombreuses recherches ont montré


Chapitre 3 - Comment apprend notre cerveau la fragilité, en particulier l’aisance avec laquelle on peut induire, en toute bonne foi, un faux souvenir à un témoin. Une question débattue et non encore résolue est de savoir s’il existe, à côté d’une mémoire à long terme, une « mémoire à terme intermédiaire » qui pourrait être oubliée les jours ou semaines suivant l’événement. La durée de ces souvenirs de moyenne durée est en fait dictée par la nécessité : c’est le cas par exemple lorsque, lors d’un voyage à l’étranger, on change plusieurs fois d’hôtel durant un séjour : le numéro de la chambre occupée durant le début du séjour est en général totalement oublié par la majorité des individus, une fois parvenus à la fin du séjour. À moins qu’un événement particulier lors de l’encodage nous ait amenés à fixer plus profondément et donc plus durablement l’information (comme un numéro de chambre correspondant à sa date anniversaire). Les mécanismes physiologiques des processus de récupération ont été beaucoup moins analysés que les processus d’encodage. Il a été montré que le fait de rappeler une information provoque une modification de la trace mnésique qui la rend temporairement instable et susceptible d’être altérée avant qu’un nouveau processus ait lieu, dénommé « reconsolidation », qui ramène la trace à un état de stabilité. La mise à jour et la reconsolidation de la mémoire à long terme sont spécifiquement limitées aux traces mnésiques directement activées par la tâche en cours. Les souvenirs associés et les autres aspects de la mémoire ne sont pas concernés et ne redeviennent pas labiles. Ainsi, il n’est pas surprenant qu’un des meilleurs moyens d’améliorer démo

récompense

l’apprentissage, quelle qu’en soit la nature, soit de simplement répéter la récupération, et donc la reconsolidation, en se mettant en situation de récupération (réciter), plutôt que de répéter indéfiniment la phase d’encodage. De manière générale, une information qui a été mise en mémoire dans l’anticipation de la restituer (comme de se mettre en situation d’examen au moment où on apprend la leçon) a les meilleures chances d’être efficace sur la qualité du rappel. Plus riches auront été les conditions d’encodage en termes d’indiçage volontaire, meilleure sera la récupération de l’information.

1.8.  Apport de l’expérimentation animale pour comprendre l’amnésie humaine À la suite des observations cliniques initiales, de nombreuses équipes de par le monde ont tenté d’avancer dans la compréhension des mécanismes de la mémoire et de leur substrat cérébral, en utilisant divers modèles animaux, principalement le singe et le rat. Le principal modèle d’amnésie antérograde expérimentale est sans doute celui imaginé chez le singe par l’américain Mishkin et dénommé DNMS (delayed non-matching to sample, ou tâche de non-appariement retardé)6. On présente au singe, sur une plate-forme creusée de deux coupelles devant lui, de la nourriture dans une coupelle et un objet qu’on apprend au singe à associer à la présence de la nourriture (figure 6). Dans un deuxième temps, après test

récompense

Figure 6. Le test de reconnaissance retardée par non-appariement. Il consiste à soumettre le singe à deux épreuves successives, l’une où une récompense se trouve sous l’objet cylindrique, et l’autre, quelques instants plus tard, où la récompense se trouve sous l’objet cubique. Le singe doit donc apprendre à rechercher, lors de la deuxième épreuve, l’objet qui n’était pas associé à une récompense lors de la phase de démonstration. L’échec à ce test est considéré comme un modèle expérimental d’amnésie. 6 Mishkin, M., & Appenzeller, T. (1987). L’anatomie de la mémoire. Pour la science, no 118, août, 26-37.

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La constellation des dys un délai variable, on lui remontre l’objet accompagné d’un second objet totalement nouveau, et il doit décider dans quelle coupelle se trouve la nourriture. La règle est que, à chaque essai, la nourriture se trouve sous le nouvel objet. Les singes ayant une lésion de l’hippocampe se comportent normalement à cette tâche si le délai d’attente entre les première et deuxième phases est bref. Mais, audelà d’un certain délai, ils deviennent incapables de se rappeler la règle et échouent systématiquement à l’épreuve. Par contraste, les singes privés d’hippocampe obtiennent des performances normales dans l’acquisition d’habiletés motrices, comme dans une tâche où ils doivent récupérer un bonbon par manipulation d’une tige recourbée. Ainsi, le patron de modifications de la mémoire chez le singe avec lésion hippocampique reproduit fidèlement celui observé dans l’amnésie humaine. En utilisant ce modèle animal, les chercheurs ont pu identifier les structures du lobe temporal médial qui sont critiques dans la mémoire déclarative. Chez HM, la lésion intéressait tout à la fois l’hippocampe, l’amygdala et la région de cortex entourant l’hippocampe. Les études chez le singe ont montré que l’amygdala n’est pas une structure déterminante pour l’amnésie. En revanche, la sévérité du trouble de mémoire dépend de manière critique de l’étendue et du siège exact de la lésion au niveau des structures temporales. Une lésion limitée à l’hippocampe ou ses connexions avec les structures du circuit de Papez ne provoque pas de troubles sévères. En revanche, l’amnésie est beaucoup plus sévère si la lésion touche aussi les régions corticales avoisinantes. Les études chez le rongeur ont été également très contributives à notre connaissance du rôle de l’hippocampe. Diverses études chez le rat ont montré que des lésions de l’hippocampe provoquent des déficits dans diverses tâches d’apprentissage et de mémoire spatiale. Un exemple souvent donné est le water maze de Morris, qui consiste à entraîner les rats à nager vers une plate-forme non visible qu’il doit chercher dans une bassine d’eau trouble. Après entraînement, le rat se dirige directement vers la plateforme. Comme il n’y a pas d’indice extérieur sur la position de la plate-forme, le rat doit apprendre le trajet à partir des repères spatiaux qui sont visibles dans la salle. Des rats avec lésion hippocampique sont sévèrement déficitaires sur cette tâche. D’important résultats ont également été obtenus en enregistrant l’activité électrique des neurones hippocampiques pendant que le rat réalise un apprentissage spatial, enregistrements qui ont abouti à la découverte de « cellules du lieu » (place cells). Bien que ces données indiquent un rôle essentiel de l’hippocampe dans l’apprentissage spatial, toutes les formes d’apprentissage spatial ne sont pas altérées par la lésion hippocampique. Par exemple, des rats avec lésion hippocampique peuvent

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apprendre des discriminations spatiales simples, comme tourner à droite ou à gauche dans un labyrinthe en T. En revanche, si on les force d’abord à visiter l’un des deux bras du T et donc se rappeler cette expérience pour pouvoir visiter le second, leur performance est déficitaire. Les rats avec lésion hippocampique peuvent aussi apprendre à localiser la plate-forme dans le water-maze de Morris lorsqu’ils sont entraînés à partir toujours du même point. Mais ils s’avéreront déficitaires si on les fait partir de divers points lors d’essais successifs. Ces études montrent que les rats avec lésion hippocampique peuvent jusqu’à un certain point mémoriser des indices spatiaux, mais ne peuvent pas organiser l’information spatiale acquise à partir de différents épisodes. L’enregistrement des cellules de lieu pendant le déplacement dans un labyrinthe en T où le rat doit mémoriser sa position pour visiter alternativement le bras droit et gauche du T a permis de mettre en évidence d’une part des cellules de lieu dites canoniques, qui déchargent lorsque le rat se trouve à un endroit donné du trajet, et d’autre part des cellules qui déchargent lorsque l’animal se trouve vers la moitié du bras, que ce soit le droit ou le gauche, ce qui laisse penser que ces cellules codent pour un événement dans sa dimension temporelle et pas seulement pour une localisation spatiale, ce qui suggère la mise en jeu d’un mécanisme superposable à la représentation mentale de la mémoire d’un épisode, donc rappelant la mémoire déclarative humaine. Mais les rats, comme les singes, présentent des dissociations entre divers types de mémoire. Il a été démontré selon un protocole un peu différent des précédents, toujours utilisant le labyrinthe en T, que lorsque le rat apprend à se diriger toujours vers la gauche pour atteindre un but, ce n’est plus le même type de mémoire spatiale qui est mise en jeu, mais une mémoire motrice, proche du concept de mémoire procédurale. En effet, si on change la direction du T et que l’obtention du même but l’oblige à se diriger cette fois sur la droite, il le fait après un certain nombre d’essais. En revanche, si on le surentraîne à tourner toujours du même côté, par un nombre d’essais beaucoup plus important, le rat va développer une stratégie motrice de virage systématique d’un côté, révélant que ce n’est plus la position de la récompense (spatiale) qui le guide, mais bien l’automatisme moteur de tourner à droite ou à gauche qui a été acquis par ce type d’apprentissage. Ce type d’apprentissage est altéré spécifiquement lorsqu’on réalise une lésion ou une inactivation du striatum, la partie des noyaux gris centraux impliquée dans la motricité ; à l’inverse, une lésion de l’hippocampe ne modifie pas ce comportement. En d’autres termes, l’animal a mis en place initialement une stratégie spatiale relevant de l’activité de l’hippocampe, mais dans un second temps il opte pour


Chapitre 3 - Comment apprend notre cerveau une autre stratégie, d’automatisme moteur, qui repose, elle, sur le fonctionnement des ganglions de la base. Chez l’homme, le rôle du néostriatum dans l’apprentissage de routines motrices a été particulièrement étudié dans des expériences où les sujets doivent, à leur insu, apprendre des séquences motrices des doigts en suivant l’ordre d’allumage de petites lampes situées face à chaque doigt. Dans une condition, la succession des doigts est aléatoire, mais dans une autre, elle suit un pattern prédéterminé dont le sujet n’a pas conscience. Lorsqu’on enregistre en IRM fonctionnelle l’activité cérébrale, on s’aperçoit que, dans un premier temps, c’est dans le cervelet que se situe l’activité principale, mais très vite, dès que la performance commence à s’améliorer en termes de vitesse et de précision, révélant un début d’apprentissage de la séquence non aléatoire, l’activité du striatum commence à se manifester pour être maximale lorsque la performance optimale a été atteinte, alors même que le cervelet a cessé d’intervenir7. C’est donc de manière totalement inconsciente que s’effectue, grâce aux structures sous-corticales, un apprentissage de type procédural, ce qui rejoint l’observation des facultés préservées d’apprentissage procédural chez HM.

1.9.  Rôle du lobe frontal dans la mémoire8 Le cortex préfrontal, la partie du cortex humain impliquée dans de nombreux processus liés aux fonctions exécutives et aux capacités d’abstraction, joue aussi un rôle dans la mémoire à long terme qui a fait l’objet d’importantes révélations conjointes venant à la fois de l’approche clinique et de l’approche expérimentale. En premier lieu, il faut signaler que des lésions préfrontales ne provoquent jamais de syndrome amnésique au complet, mais des difficultés de mémoire qui ont certaines spécificités. En fait, jusqu’à il y a peu, la mémoire de ces patients était considérée comme intacte ; ce n’est que l’évaluation précise à l’aide d’instruments spécialisés qui permet de mettre en évidence l’altération. Une métaanalyse de l’ensemble de la littérature disponible à l’époque sur la comparaison des performances des fronto-lésés en rappel libre, indicé et en reconnaissance a amené l’équipe de Tulving, en 19959, à deux conclusions principales : 1) du point de vue qualitatif, le rappel est plus altéré que la reconnaissance, c’est-à-dire que le sujet fait beaucoup 7 Doyon, J., Penthune, V., & Ungerleider, L. ( 2003). Distinct contribution of the cortico-striatal and cortico-cerebellar systems to motor skill learning. Neuropsychologia, 41, 252-262. 8 Puisque le rôle du lobe frontal dans la mémoire à court terme est largement envisagé dans d’autres chapitres de cet ouvrage, nous nous concentrons ici seulement sur son rôle dans la mémoire à long terme. 9 Wheeler, M.A., Stuss, D.T., & Tulving, E. (1997). Toward a theory of episodic memory: the frontal lobes and autonoetic consciousness. Psychological Bulletin, 121(3), 331-335.

plus d’oublis dans une condition où il doit rappeler de lui-même ce qu’il a vu ou entendu (mot, images, etc.) que lorsqu’il a le choix entre plusieurs réponses possibles, dont la bonne, où la performance est souvent totalement normalisée ; mais 2) dans l’absolu, même la mémoire en reconnaissance est inférieure à celle de sujets intacts. Les auteurs en ont conclu que ce type de dissociation découlait du fait que réussir à rappeler une information repose plus sur un processus de récupération consciente que la réussite en situation de reconnaissance, ce qui les a amenés à faire l’hypothèse que le cortex préfrontal est dépositaire d’un certain type de conscience, dite « autonoétique », qui se caractériserait par la capacité à revivre les événements remémorés, à voyager mentalement dans le temps (passé, présent, futur), par opposition à la conscience noétique, qui caractérise la mémoire sémantique, qui est, elle, indépendante de tout processus temporel. À cet égard, les patients avec lésion frontale ont également un autre type de trouble, concernant la « mémoire de la source ». Par exemple, des chercheurs ont demandé à des patients avec lésion frontale de se rappeler une liste de faits inconnus (comme « le nom du chien sur la boîte de cornflakes Crackerjack est Bingo ») et sept jours plus tard ils étaient interrogés sur vingt faits anciens et vingt faits nouveaux. Lorsque la bonne réponse était donnée, on posait au sujet la question « comment avez-vous appris ce fait? » et « quand l’avez-vous entendu la dernière fois? ». Les patients faisaient deux types d’erreurs de source : ils rappelaient normalement un fait appris, mais rapportaient de façon erronée qu’ils l’avaient acquis avant l’essai d’apprentissage ; ou alors ils rappelaient normalement un fait nouveau, mais rapportaient de façon erronée qu’il avait été appris pendant l’essai d’apprentissage. Ce résultat était interprété comme une dissociation entre la mémoire des faits (sémantique) et la mémoire de la source (épisodique). Plus récemment, le défaut de mémoire de la source des frontaux a été interprété comme un défaut d’évocation/récupération du contexte de l’apprentissage, c’est-à-dire des caractéristiques du lieu, du moment, des circonstances de l’acquisition de l’information. Globalement, la distinction entre mémoires sémantique et épisodique n’est pas considérée par tous comme aussi claire. Baddeley, par exemple, considère que les « souvenirs sémantiques » procèdent de l’accumulation de souvenirs épisodiques similaires. Ils deviennent « connaissances » quand on n’est plus capable de se rappeler les épisodes individuels ayant mené à leur apprentissage.

1.10.  Amnésies partielles La mise en évidence de perturbations partielles ou sélectives de la mémoire nécessite le plus souvent la mise en

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La constellation des dys

Figure 7. Triple dissociation dans une expérience en IRM fonctionnelle mesurant l’activité régionale du cortex occipito-temporal selon que sont présentés trois types de stimuli : des maisons, des visages ou des chaises (d’après Ishai et al., 1999)10.

œuvre de tests spécifiques, tels ceux utilisés par Milner dans les lobectomies temporales. C’est ainsi que des troubles de la mémoire verbale ou de la mémoire spatiale pourront être décelés chez des sujets porteurs de lésions spontanées droites ou gauches, d’autant plus nettement que ces lésions seront plus proches des lobes temporaux. On a pu de même incriminer un trouble mnésique dans la genèse d’une perturbation d’une autre fonction ; par exemple, certains types d’aphasies peuvent apparaître comme liés à une perturbation de la mémoire verbale. De même, les troubles de la reconnaissance visuelle (« agnosies ») sont parfois considérés comme la conséquence d’une défaillance sélective de la mémoire visuelle, ou encore les troubles de la gestualité (apraxies) comme une anomalie de la mémoire des gestes. Dans ce contexte, certains vont jusqu’à décrire des troubles sélectifs de la mémoire pour un type seulement de matériel visuel (figure 7). Par exemple, la perte sélective de la reconnaissance des visages (prosopagnosie) est actuellement souvent considérée comme une impossibilité de faire coïncider l’expérience visuelle actuelle d’un visage avec un répertoire de visages précédemment acquis,

impossibilité qui serait par conséquent en rapport soit avec une destruction du répertoire, soit avec une impossibilité d’y accéder. Il a été ainsi proposé de distinguer deux types de prosopagnosie, l’un en rapport avec une destruction du répertoire (qui pourrait se « situer » au niveau du cortex temporal antérieur), l’autre dû à une déconnexion entre les aires visuelles occipitales et les régions temporales et amygdaliennes (voir encadré n° 1). Une autre circonstance évoquant la perte d’une mémoire spécifique est un syndrome actuellement bien documenté où les sujets ont perdu électivement la possibilité de s’orienter dans leur environnement. D’abord présent même dans l’environnement habituel (appartement, quartier), le trouble ne va finalement porter que sur l’orientation dans les lieux nouveaux et la capacité à apprendre de nouveaux itinéraires, ce qui suggère même l’existence d’une composante antérograde et d’une composante rétrograde. Cette désorientation topographique (également appelée perte de la mémoire topographique) est liée à une lésion de la région parahippocampique de l’hémisphère droit, région du cortex qui, par ses connexions, apparaît comme cruciale à la mémorisation des données spatiales. Dans l’expérience présentée sur la figure 7, ce sont des maisons, des visages et des chaises qui ont été présenté en IRMf, et dont les auteurs montrent que les zones activées sont différentes pour chaque type de stimuli, ce qui peut signifier que le stockage en mémoire se fait dans des parties différentes du cortex associatif visuel pour chaque type d’objet, sans doute de par la nature différente des processus mis en jeu lors de la mise en place du système. Une telle interprétation est certes spéculative mais offre de nouvelles perspectives d’extension du concept de mémoire à l’activité perceptive elle-même et enrichit en retour notre compréhension des mécanismes cérébraux de la mémoire en suggérant l’existence de mémoires distinctes « localisées » dans le néocortex associatif pour chacune des principales modalités sensorielles (visuelle, auditive, somesthésique).

Encadré n° 1. Les pertes spécifiques de la mémoire visuelle Une thématique particulièrement instructive pour comprendre les liens entre mémoire et perception visuelle est celle des pertes spécifiques de la mémoire de certaines catégories d’objets visuels, dont la plus célèbre, et sans doute la plus impressionnante, est la prosopagnosie. Reconnaître un visage pourrait apparaître a priori comme une fonction assez triviale de notre esprit, si l’on n’avait l’exemple de patients ayant perdu spécifiquement cette capacité, une éventualité qui nous apprend deux notions fondamentales : 1) la reconnaissance des visages est distincte de celle d’autres objets visuels ; et 2) cette aptitude repose sur le fonctionnement de régions bien délimitées de notre cerveau, à la jonction des lobes occipital et temporal, très nettement prédominant à l’hémisphère droit.

10 Ishai, A., Ungerleider, L.G., Martin, A., Schouten, J.L., & Haxby, J.V. (1999). Distributed representation of objects in the human ventral visual pathway. Proceedings of the National Academy of Sciences, 96, 9379-9384.

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Chapitre 3 - Comment apprend notre cerveau Encadré n° 1. Les pertes spécifiques de la mémoire visuelle (suite)

Figure 1 : Notre cerveau possède un outil singulier et étonnamment efficace lui permettant de reconnaître très rapidement un visage familier sur des indices qui ne relèvent pas de l’analyse consciente du stimulus visuel, mais sur un processus de reconnaissance globale immédiate de la familiarité. Dans un deuxième temps, après quelques dixièmes de secondes supplémentaires, on peut identifier le visage comme étant celui d’une personne particulière. Ces deux processus : reconnaissance et identification utiliseraient des circuits cérébraux distincts. Le terme de prosopagnosie a été utilisé pour la première fois en 1947 par un neurologue allemand, Joachim Bodamer, à partir des mots grecs prosopon (visage) et a-gnosis (sans connaissance), c’est-à-dire absence de (re)connaissance des visages. Cette définition s’accompagnait d’une description de plusieurs cas et suggérait qu’il existerait dans le cortex cérébral une région responsable de la faculté de reconnaître les visages. Lorsque cette région est détruite à la suite d’un accident vasculaire ou d’un traumatisme crânien, par exemple, la personne présenterait un trouble prosopagnosique pur, c’est-à-dire une perte de la capacité à reconnaître les visages, en l’absence de difficultés pour reconnaître les objets. Un débat s’est très vite installé sur la réalité de cette spécificité (a-t-on bien examiné dans tous les cas la reconnaissance d’autres objets ?), comme sur la spécificité des zones cérébrales concernées. Si la majorité des cas décrits étaient causés par des lésions occipito-temporales droites, certains, comme Damasio, niaient toute latéralisation dans la fonction de reconnaissance des visages. Au début des années 1990, la neuropsychologue canadienne Justine Sergent avait entrepris des études d’imagerie fonctionnelle portant sur la reconnaissance des visages en présentant à des témoins normaux des photographies de visages connus et inconnus, et trouvé de manière systématique une activation dans une petite zone temporale inférieure droite pour les visages connus plus que pour les visages inconnus11. Des études IRMf plus récentes ont permis d’identifier chez l’homme sain plusieurs régions du cerveau qui s’activent davantage lorsqu’on présente des photographies ou des dessins de visages que d’autres catégories d’objets. La région la plus sensible à la présentation des visages est localisée à la jonction du lobe occipital et du lobe temporal inférieur, au niveau du gyrus fusiforme. Pour cette raison, certains chercheurs lui ont donné le nom d’aire fusiforme faciale (fusiform face area en anglais, ou FFA), même si cette région est aussi activée (mais moins) par les autres objets. Une autre région, plus postérieure, au niveau occipital inférieur droit, présente le même type de réponse : c’est l’aire occipitale des visages (en anglais, occipital face area, OFA). Les aires OFA et FFA de l’hémisphère droit sont plus activées par les visages que celles de l’hémisphère gauche. Ces observations confirment la dominance de l’hémisphère droit pour la reconnaissance des visages, que l’on observe chez l’homme, mais également chez d’autres espèces, tels le primate non humain ou le mouton. La reconnaissance des visages occupe une place très particulière parmi les fonctions de notre cerveau. Tout être social en effet se doit de posséder la capacité de différencier et de reconnaître les membres de son groupe. Pour l’être humain, le visage est le vecteur majeur de cette reconnaissance.

11 Sergent J. (1991). Neuroanatomie fonctionnelle de l’identification des visages : une étude par tomographie à émission de positons. Revue de neuropsychologie, 1(2), 119-156.

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La constellation des dys Encadré n° 1. Les pertes spécifiques de la mémoire visuelle (suite) Le visage possède une fonction également très particulière parmi tous les objets visuels que notre cerveau est amené à traiter, ce qui explique que le traitement du visage humain doive nécessairement avoir un statut particulier du point de vue neurologique. Ce statut particulier, il apparaît clairement lorsqu’on s’interroge sur la fonction : la fonction de l’objet, en général, est directement liée à la catégorie à laquelle il appartient. Lorsque notre cerveau reçoit l’information visuelle d’une pomme, la première de ses tâches sera de l’attribuer à la catégorie fruits. Pour un visage, il en va tout autrement : la fonction première de la reconnaissance du visage d’autrui est non pas de le catégoriser mais de l’identifier au sein de milliers, voire de millions d’autres que nous avons vus durant notre existence. Ce qui rejoint ce qu’écrivait déjà Bergson en 1896 : « Reconnaître un homme consiste à le distinguer des autres hommes ; mais reconnaître un animal est ordinairement se rendre compte de l’espèce à laquelle il appartient. » Une dernière différence importante entre les visages et les autres objets est par conséquent d’identifier parmi des millions de visages, de manière très rapide, un ensemble de caractéristiques qui devront permettre de différencier un visage de tous les autres. On comprend dès lors que se soit développé dans le cerveau humain un système dont l’usage est exclusif et dont la fonction unique est de reconnaître parmi des millions de visages et avec un minimum d’indices ceux que nous avons déjà rencontrés au moins une fois. Il existe de nombreux arguments prouvant que ce système fonctionne sous le mode « global » (opposé à « local »), c’est-à-dire qu’il utilise des compétences de traitement simultané et de synthèse immédiate de nombreux indices, un type de traitement très classiquement attribué à l’hémisphère cérébral droit. À cet égard, certains cas de prosopagnosie, comme celui du fermier rapporté par le neurologue suisse Gil Assal12, nous confirment dans cette analyse de spécificité : le patient qui ne pouvait plus reconnaître ni ses proches ni les personnalités célèbres était également devenu incapable de distinguer entre elles… ses différentes vaches, ce qui le gênait beaucoup dans l’exercice de sa profession au quotidien. Ainsi avait-il probablement développé au cours des années une aptitude singulière, certainement très utile dans son activité professionnelle, aptitude qui utilisait probablement des circuits cérébraux identiques à ceux impliqués dans la reconnaissance des visages. Le mécanisme en cause a donc fondamentalement la mission spécifique d’établir des distinctions rapides et efficaces au sein d’un groupe (les visages humains en étant le prototype, mais non exclusif) dont les individus sont éminemment nombreux et les différences entre les individus très faibles. Il existerait en fait plusieurs sortes de prosopagnosie : outre la distinction entre prosopagnosie acquise (par lésion cérébrale) et congénitale (concernant des personnes qui, depuis toujours, ont de la peine à reconnaître les visages et ont développé des stratégies de compensation souvent imparfaites, provoquant parfois des situations socialement très gênantes), on peut distinguer trois mécanismes possibles : un trouble de la perception des traits, qui relève de l’agnosie visuelle et touche le visage parmi d’autres objets, et que l’on peut qualifier d’aperceptive. Une tâche simple qui permet de suspecter cette forme consiste à présenter des paires de visages photographiés sous des angles différents et à demander au patient d’apparier les photos d’une même personne ; la prosopagnosie associative ou prosopagnosie vraie, qui est une perturbation d’un mécanisme purement perceptif mais spécifique à la reconnaissance de l’objet « visages » ; enfin, un trouble plus large de l’identification des personnes, que l’on appellera prosopagnosie asémantique, et où, contrairement aux deux cas précédents, la voix ou d’autres indices ne permettent pas au sujet d’identifier la personne en tant qu’individu. Du point de vue cérébral, ces trois formes correspondraient à trois topographies lésionnelles distinctes : la région occipitotemporale interne bilatérale (OFA) pour la forme aperceptive, non spécifique aux visages ; la FFA droite pour la prosopagnosie associative, et les régions plus antérieures du lobe temporal droit, incluant le sillon temporal supérieur, pour la forme asémantique. La figure 2 résume un modèle souvent cité, celui de Haxby13. Cette conception repose en grande partie sur la constatation d’un niveau de reconnaissance implicite dans les prosopagnosies associatives et non aperceptives. En effet, si l’on présente des visages connus et non connus à un sujet prosopagnosique, il fera de nombreuses non-reconnaissances de personnes pourtant connues de lui. Toutefois, si on enregistre son activité électrodermale à chaque présentation, on s’aperçoit que, comme un individu non cérébro-lésé, il réagit aux personnes connues et non aux visages inconnus. Mais cette réaction est infraconsciente, ce qui signifie que, bien que l’information n’atteigne pas un niveau de reconnaissance suffisant pour parvenir à une identification conscience, pour autant, l’information est bel et bien traitée par le cerveau. En d’autres termes, il doit exister deux voies, l’une consciente (overt), l’autre inconsciente (covert) d’accès à la reconnaissance de la familiarité d’un visage. Un cas de figure intéressant, qui pourrait être précisément l’« inverse neurologique » de la prosopagnosie, est un trouble rare dénommé syndrome de Capgras, où le sujet a l’illusion que les personnes qui l’entourent (et qui lui sont donc familières) sont des imposteurs, en fait des étrangers qui se sont déguisés en personnes de son entourage pour le tromper. On peut interpréter ce fait du point de vue cognitif comme l’inverse du cas de figure précédent : ici le visage est reconnu, identifié comme ayant les traits d’une personne qu’on connaît (et dont on peut parfaitement dire le nom), mais la vision de ce visage ne déclenche pas de sensation de familiarité, de sorte que le sujet interprète cette sensation probablement très désagréable comme une imposture.

12 Assal, G., Favre, C., & Anderes, J.P. (1984). Non-reconnaissance d’animaux familiers chez un paysan. Zoo-agnosie ou prosopagnosie pour les animaux. Revue neurologique, 140(10), 580-584 (19 réf.). 13 Haxby, J.V., Hoffman, E.A., & Gobbini M.I. (2000). The distributed human neural system for face perception. Trends in Cognitive Sciences, 4(6), 223-233.

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Chapitre 3 - Comment apprend notre cerveau Encadré n° 1. Les pertes spécifiques de la mémoire visuelle (suite)

Dorsal (caché – covert)

Sillon temporal supérieur Aspects changeants de la perception du regard, de l’expression et des mouvements des lèvres

Gyrus occipitaux Perception initiale des caractéristiques faciales Gyrus fusiforme latéral Aspects invariants de la perception des visages et de l’identité Ventral unique d’un individu (apparent – overt)

Cœur du système : analyse visuelle

Sillon intra-pariétal Attention spatialement dirigée

Cortex auditif Aspects pré-lexicaux de la parole Amygdale, insula, système limbique Traitement des émotions, réponse émotionnelle Temporal antérieur Identité de la personne, nom, informations biographiques

Système étendu : traitement ultérieur de concert avec les autres systèmes

Figure 2. Deux circuits pour traiter les visages : un dorsal, fonctionnant de manière inconsciente et traitant entre autres les aspects émotionnels et expressifs, et fournissant l’expérience infraconsciente de familiarité ; l’autre ventral, permettant l’identification du visage en tant qu’appartenant à un individu donné. La prosopagnosie vraie, dite associative, est liée à l’atteinte du circuit ventral. Une lésion des gyrus occipitaux, donc de l’entrée commune des deux voies, donnera une prosopagnosie aperceptive. Un syndrome rare et surprenant, le syndrome de Capgras, provoquant chez le patient l’illusion que les personnes qui l’entourent sont des imposteurs qui ont pris l’apparence de ses proches, pourrait correspondre à l’atteinte du circuit dorsal, puisque l’identification de la personne est intacte, mais ne provoque pas de sentiment de familiarité. Altération spécifique de la mémoire spatiale de déambulation Un autre cas de figure issu de la pathologie neurologique est connu sous le terme de « désorientation topographique pure ». Il s’agit de patients qui, à la suite d’une lésion relativement circonscrite de la région parahippocampique droite, ont perdu de manière élective la capacité à se repérer et à s’orienter dans leurs déplacements dans les environnements connus et surtout nouveaux. Tout se passe pour eux comme s’ils ne possédaient plus les mécanismes, le plus souvent infraconscients, qui captent les informations de notre environnement pour permettre, sans avoir à y penser, de s’orienter (par exemple sortir d’un magasin et se diriger, sans avoir à le justifier verbalement ni même à rechercher des repères, dans l’une ou l’autre des directions possibles : dans ce cas de figure, notre mémoire a emmagasiné à notre insu un certain nombre d’informations que nous pouvons récupérer dans un futur immédiat pour retrouver quasi automatiquement notre chemin). Nous avions analysé14 quatre cas qui, à la suite de lésions vasculaires dans le même territoire (artère cérébrale postérieure droite) présentaient un syndrome similaire touchant très spécifiquement la capacité à s’orienter dans les espaces peu connus. L’un ces patients présentait une dissociation très typique entre son incapacité à s’orienter dans un parking ou un supermarché, et une performance intacte dans des tâches spatiales d’autre nature, comme utiliser une carte pour se déplacer. Cette dissociation était tout particulièrement illustrée par le fait que, pilote de l’armée de l’air, il continuait à diriger sans problème les chasseurs les plus sophistiqués, en se fiant aux ordinateurs de bord, de sorte que son copilote n’a jamais réalisé qu’il avait le moindre trouble neurologique. Nous avions cependant insisté auprès de sa hiérarchie pour qu’il se recycle dans des tâches plus administratives, en arguant de son hémianopsie associée. L’analyse des lésions visibles sur le scanner X de ces quatre patients (figure 3) nous a amenés à identifier une petite région de quelques centimètres de diamètre se projetant au niveau de la partie antérieure du gyrus parahippocampique et nous avons suggéré que cette région était spécifiquement impliquée dans les processus d’orientation inconsciente au cours de la locomotion. Or des travaux récents en imagerie fonctionnelle15 montrent l’activation précisément de cette même zone lors d’activités de déplacement virtuel dans un espace locomoteur. 14 Habib, M., Sirigu, A. (1987). Pure topographical disorientation: a definition and anatomical basis. Cortex, 23, 73-85. 15 Aguirre G.K., Zarahan E., D’Esposito M. (1998). Neural components of topographical representation. Proceedings of the National Academy of Science, 95, 839-846.

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La constellation des dys Encadré n° 1. Les pertes spécifiques de la mémoire visuelle (suite)

Figure 3 : Reconstitution des lésions visibles sur les images scanographiques chez quatre patients ayant présenté un syndrome de désorientation topographique après infarctus limité de l’artère cérébrale postérieure droite (Habib & Sirigu, 1987). La zone commune aux quatre observations (trait pointillé), située dans la partie moyenne, sous-spléniale du gyrus parahippocampique, s’est avérée par la suite spécifiquement activée en imagerie fonctionnelle lors de tâches de simulation locomotrice chez le sujet normal.

1.11.  Contribution de l’imagerie fonctionnelle cérébrale Il n’est pas simple de concevoir des expériences d’imagerie cérébrale explorant les différents aspects de la mémoire, en particulier la mémoire épisodique autobiographique. Cela nécessite un travail particulier de collecter les informations inhérentes à l’histoire personnelle des sujets et donc implique nécessairement des différences de protocole entre divers sujets d’une même expérience. En outre, les mécanismes concernés peuvent être très différents dans des expériences comme : reconnaître des phrases décrivant des événements autobiographiques, revivre mentalement des événements en réponse à des mots-indices, ou encore observer des photos de famille. Pourtant, les différentes études réalisées convergent vers un certain nombre de points. En premier lieu, il y a bien activation de l’hippocampe et du lobe temporal médian lors de l’évocation de souvenirs stockés en mémoire à long terme, en particulier épisodique. Ces régions sont activées à la fois lors de l’encodage et de la récupération des informations, mais, comme cela a été déjà précisé, les traces mnésiques sont stockées au niveau du cortex. Concernant la mémoire sémantique, c’est essentiellement le cortex temporal gauche qui est impliqué, avec une évidente spécificité de certaines régions pour le type de matériel utilisé. Par exemple, évoquer des noms d’animaux ou d’objets active des zones du cortex temporal externe se chevauchant partiellement, mais fondamentalement distinctes. Cela est vrai également pour les

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noms de couleurs, le caractère manipulable ou non des objets…, laissant penser que les concepts sont stockés en mémoire sémantique dans des régions spécifiques, leur organisation topographique ayant sans doute trait à la façon dont la connaissance afférente a été acquise durant l’apprentissage initial chez l’enfant (apprendre le sens d’un objet manipulable fait intervenir son usage autant que la connaissance de sa forme, apprendre les caractéristiques d’un animal fait intervenir sa forme visuelle, bien plus souvent que son usage…). Concernant la mémoire épisodique, la situation est certainement plus complexe. L’évocation de souvenirs à la lecture d’un texte concernant la biographie du sujet, comparée à la lecture d’un texte concernant une personne étrangère, active de manière plus importante les régions frontale et temporale de l’hémisphère droit. Globalement, la comparaison de l’évocation de souvenirs épisodiques personnels par rapport à des faits sémantiques montre clairement un effet de latéralisation droite des souvenirs personnels. En revanche, lorsqu’il s’agit de comparer l’évocation et l’acquisition de souvenirs épisodiques, c’est en général le lobe frontal droit qui est impliqué dans la récupération, et le gauche dans l’encodage. Enfin, il faut signaler qu’il existe encore de nombreuses inconnues quant au rôle respectif de l’hippocampe droit et l’hippocampe gauche, le premier serait plus impliqué dans le traitement d’informations contextuelles et l’évocation de détails sur un événement, le second dans la composante émotionnelle et spatiale du souvenir.


Chapitre 3 - Comment apprend notre cerveau 1.12.  De la théorie de la consolidation progressive à la théorie « multitraces » (figure 8) L’idée que la mise en mémoire à long terme des souvenirs déclaratifs (épisodiques et sémantiques) repose sur un processus de consolidation progressive, graduée dans le temps, a été passablement contestée ces dernières années. L’hypothèse d’une phase de consolidation avant la mise en mémoire définitive repose en grande partie sur la constatation que, chez HM, la mémoire rétrograde est altérée pour la période la plus récente et respectée pour les souvenirs les plus anciens, et cette consolidation est donc une fonction de l’hippocampe. Toutefois, HM n’est pas le seul cas étudié d’amnésie hippocampique : or, parmi la trentaine de cas correctement documentés de la littérature, c’est seulement chez la moitié d’entre eux qu’une amnésie rétrograde graduée a été mise en évidence ; chez les autres, le déficit de mémoire rétrograde est soit massif, intéressant tout autant les souvenirs anciens que plus récents, soit plus léger, pouvant alors donner l’impression d’une certaine gradation. Surtout, les auteurs ayant revu cette littérature montrent en général que la sévérité de l’amnésie rétrograde est en fait proportionnelle à l’étendue des lésions dans le lobe temporal. C’est pourquoi a été proposée une alternative à la théorie de la consolidation progressive : la théorie multitraces, selon laquelle, à chaque fois qu’un souvenir épisodique est récupéré, il est ensuite réencodé, menant à la formation de traces multiples sous-tendues par des ensembles de neurones connectant l’hippocampe et le néocortex. Par conséquent, les souvenirs épisodiques les plus anciens sont distribués plus largement dans le Première évocation

système que les plus récents. La mémoire sémantique, au contraire, bénéficierait de la contribution de l’hippocampe pendant une certaine période, puis serait seulement soustendue par le néocortex. Cette théorie a reçu un certain nombre de confirmations que nous ne détaillerons pas ici16. Nous citerons seulement le fait que les travaux récents en imagerie fonctionnelle tendent à montrer que l’activation est plus forte pour les souvenirs récents que pour les plus anciens, contredisant la théorie du renforcement progressif et militant donc en faveur de la théorie multitraces.

2.  Le conditionnement :

un modèle d’apprentissage ou une simplification excessive ? 2.1.  Conditionnement classique Le conditionnement classique (également appelé pavlovien) est certainement l’un des modèles expérimentaux les plus fertiles et les plus utilisés en matière d’apprentissage. Il a été introduit par le physiologiste russe I. Pavlov au début du siècle. Il repose sur la possibilité pour un organisme d’acquérir et de retenir l’association de deux stimuli, de telle sorte qu’une réponse naturellement provoquée par un stimulus (dit inconditionnel) puisse, après apprentissage, être obtenue par le second (dit conditionnel). Il s’agit d’un apprentissage associatif, par opposition aux apprentissages simples que constituent l’habituation, la déshabituation ou la sensibilisation. L’exemple de Pavlov est celui du chien à qui l’on présente de la poudre de viande (stimulus inconditionnel ou SI), ce qui

Deuxiéme évocation

Troisième évocation

Figure 8. Théorie multitraces de la mémoire épisodique : le phénomène sensoriel que constitue l’événement à mémoriser fait l’objet de traces multiples, sous la forme de connexions entre l’hippocampe et les cortex sensoriels, de plus en plus fournies au fur et à mesure des évocations successives du souvenir en question. 16 Moscovitch, M.M., Nadel, L., Winocur, G., Gilboa, A., & Rosenbaum, R.S. (2006). The cognitive neuroscience of remote episodic, semantic and spatial memory. Current Opinion in Neurobiology, 16, 179-190.

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La constellation des dys entraîne une réponse inconditionnelle, la salivation. Si l’on fait suivre pendant un certain nombre de présentations le SI d’un stimulus neutre (ici le son d’un métronome), ce dernier (SN) devient capable de provoquer seul la salivation et devient ainsi un stimulus conditionnel (SC). La réponse salivaire est alors appelée réponse conditionnée (RC). Ainsi, le conditionnement classique permet à l’individu de prédire les relations entre des événements extérieurs, qu’ils soient positifs ou négatifs : le SI peut ainsi être le passage d’un faible courant électrique, ce qui entraîne de manière inconditionnelle un retrait du membre stimulé, réflexe qui peut également être obtenu conditionnellement. On distingue ainsi un conditionnement « appétitif », où le SI apparaît comme une « récompense », et un conditionnement « aversif », où le SI apparaît comme une « punition ». La répétition des associations entre SC et SI est la base du mécanisme dit de renforcement, par lequel le conditionnement est appris : la survenue du SC est un indicateur d’une augmentation de probabilité de survenue du SI.

2.2.  Propriétés du conditionnement classique L’établissement de la réponse conditionnelle nécessite un certain nombre de conditions. Le SI doit en particulier toujours suivre le SN et non le contraire. Le délai optimum entre les deux stimuli est de l’ordre de la demi-seconde. Elle présente en outre des propriétés telles que la généralisation ou l’extinction. La liaison conditionnelle peut ainsi se généraliser à des stimuli voisins (par exemple, la salivation peut être conditionnée initialement pour un son d’une certaine fréquence, mais pourra être également obtenue pour des sons voisins). Dans ces cas, la liaison conditionnelle est d’autant plus faible que le son est plus éloigné du SC. À l’inverse, la liaison conditionnelle peut subir un phénomène d’extinction ; si, après acquisition du conditionnement, on présente plusieurs fois le SC seul, la RC décroît puis disparaît.

2.3.  Conditionnement instrumental et opérant Le conditionnement instrumental diffère du conditionnement classique en ce que le renforcement provient ici non pas d’une variable introduite par l’examinateur (la répétition de l’association du SN au SI) mais de l’action même du sujet en réponse au stimulus. Cette réponse est l’instrument que le sujet possède pour modifier l’environnement et la suite des événements. L’exemple le plus classique de conditionnement instrumental est appelé conditionnement opérant et a pour modèle le comportement d’un animal dans un environnement expérimental, la « boîte de

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Skinner ». De la nourriture est distribuée périodiquement à l’animal en fonction de ses réponses consistant à appuyer sur un levier, dispositif expérimental permettant d’étudier de façon très fine les lois et mécanismes du conditionnement et de l’apprentissage. Schématiquement, ce type de conditionnement consiste à prédire une relation non plus entre deux stimuli mais entre un stimulus et une réponse : quand une réponse produit une modification favorable de l’environnement, le sujet a tendance à la reproduire, ce qui réalise un renforcement, renforcement qui peut être soit positif, lorsque l’action a pour but d’obtenir ou de maintenir une situation récompensante, soit négatif, lorsque l’action a pour but de faire cesser ou d’éviter une situation punitive.

2.4.  Applications thérapeutiques du conditionnement Les deux types de conditionnement décrits ci-dessus trouvent de nombreuses applications. La désintoxication des alcooliques chroniques utilise par exemple le conditionnement classique. On soumet les alcooliques à un conditionnement consistant à faire suivre systématiquement la prise d’alcool d’une injection de substance telle que l’apomorphine, déclenchant une violente nausée. Le résultat de cette association est de provoquer une aversion systématique du sujet pour l’alcool. La médecine psychosomatique utilise volontiers la méthode du biofeedback où le patient apprend à contrôler ses réponses végétatives (ayant lieu normalement hors du contrôle volontaire) et éventuellement à les modifier par conditionnement. Il existe également diverses applications du conditionnement opérant, en particulier en psychiatrie, où diverses techniques thérapeutiques consistent à renforcer positivement les comportements normaux chez des sujets ayant des perturbations comportementales sévères. La technique de « désensibilisation systématique » consiste à obtenir une relaxation par biofeedback et à apprendre au patient à associer progressivement l’état de relaxation à l’évocation de situations stressantes. Cette méthode, utilisant la propriété d’extinction d’un conditionnement classique, parvient à « éteindre » les réactions d’anxiété devant un stimulus stressant. Enfin, il est probable, bien que difficile à prouver, que l’effet placebo de certaines thérapeutiques, médicamenteuses ou non, passe par des mécanismes proches du conditionnement classique. Un tel effet est en particulier recherché dans le traitement de certaines affections allergiques ou dysimmunitaires, où un conditionnement s’est avéré capable de modifier une réaction immunitaire anormale. En psychopathologie, les états anxiodépressifs, incluant le PTSD (voir encadré n° 2), sont des applications de choix des principes du conditionnement.


Chapitre 3 - Comment apprend notre cerveau Encadré n° 2. L’amygdala, centre névralgique du conditionnement et le modèle du PTSD D’importants progrès ont été réalisés dans le domaine de la physiologie de l’apprentissage par conditionnement, en particulier grâce aux travaux de Le Doux sur le conditionnement de peur et ses liens étroits avec une structure du système temporal médian : le noyau amygdalien ou amygdala. Le conditionnement de peur est une situation bien documentée dans la littérature expérimentale sur la mémoire : un événement neutre, tel qu’un son (SC), est apparié avec un événement aversif, comme un choc électrique (SI), qui normalement provoque une réaction visible et mesurable de peur : le freeezing (réponse inconditionnelle). Après plusieurs associations entre son et choc électrique, la seule présentation du son provoque la réaction observable (réponse conditionnée). L’extinction survient après répétition de la présentation du SC seul, sans le SI, pendant un nombre suffisant de fois pour que la réponse conditionnée s’affaiblisse puis disparaisse. Des études chez l’homme et chez l’animal apportent aujourd’hui des arguments convergents pour faire de l’amygdala et du cortex préfrontal médian un système crucial tant dans le développement que pour la suppression de ce conditionnement. L’expérimentation animale Le noyau amygdalien est constitué de deux sous-unités : un noyau central et un noyau baso-latéral (figure 1). Le noyau central est responsable de l’expression physiologique et comportementale du conditionnement de peur (par exemple le freezing, ou encore la réponse végétative qui l’accompagne), le noyau baso-latéral est pour sa part responsable de l’acquisition (apprentissage) de la réponse conditionnée. Le cortex préfrontal ventro-médian est quant à lui impliqué dans l’extinction de la réponse conditionnée. Dès les années 1960, il a été démontré chez le singe puis chez le rongeur que des lésions de cette région du cortex préfrontal altèrent spécifiquement l’extinction de la réponse de peur conditionnée, particulièrement le rappel de l’extinction après un long délai, ce qui suggère que le cortex préfrontal médian agit par une action inhibitrice sur le noyau amygdalien médian.

CS

US

Son

Choc électrique

Amygdala Thalamus auditif

Thalamus somatosensoriel

LA

Cortex somatosensoriel

CE

Cortex auditif

CG

LH

PVN

freezing

Pression arterielle

hormones

Figure 1. Schématisation du conditionnement de peur chez le rat : Le stimulus conditionnel (CS) et le stimulus inconditionnel (US) sont relayés dans le noyau latéral de l’amygdala (LA) par l’intermédiaire respectivement du thalamus auditif et du thalamus somato-sensoriel. L’association entre stimulus conditionnel et inconditionnel au niveau du LA est ensuite transmise au noyau central de l’amygdala (CE) où s’effectue la commande de la réaction neurovégétative émotionnelle. CG, central grey ; LH, lateral hypothalamus ; PVN, paraventricular hypothalamus.

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La constellation des dys Encadré n° 2. L’amygdala, centre névralgique du conditionnement et le modèle du PTSD (suite) Les recherches chez l’humain Les patients neurologiques ayant une lésion de l’amygdala présentent une altération de l’acquisition du conditionnement de peur, ce qui laisse penser que, chez l’homme comme chez l’animal, la structure est indispensable à la formation de l’association entre le stimulus et la réponse. Des études en IRM fonctionnelle chez le sujet sain ont également montré l’activité de l’amygdala lors d’un conditionnement de peur, de même que l’activité du cortex ventro-médian lors de son extinction. Il a même été démontré que l’épaisseur du cortex ventro-médian est corrélée à la capacité d’adultes sains à retenir l’extinction, c’est-à-dire à ne plus réagir au stimulus qui suscitait préalablement la peur. PTSD : une application majeure du concept de conditionnement de peur Il existe des analogies troublantes entre le conditionnement de peur, dans ces différentes manifestations, et une pathologie relativement fréquente en psychiatrie, le PTSD, ou syndrome de stress post-traumatique. Les patients, sans doute du fait d’une prédisposition constitutionnelle, réagissent de manière spectaculaire à des chocs psychologiques ou physiques, comme les traumatisés de la route (surtout s’ils sont restés conscients des circonstances de l’accident) ou encore les vétérans de l’armée ayant subi un choc en situation de guerre. Il a été proposé que cette réaction massive d’anxiété souvent dépressive, avec des réminiscences envahissantes de la situation stressante, relève typiquement d’un défaut dans les mécanismes d’extinction de la peur conditionnée, ce qui pourrait correspondre à une dysfonction du circuit cortex ventro-médian/amygdale. Une telle interprétation est corroborée par des expériences d’imagerie fonctionnelle réalisées chez des adultes en traitement par thérapie comportementale, à qui on apprend à évoquer des situations contrariantes ou anxiogènes afin de réduire l’intensité de leurs affects négatifs, et chez qui il a été démontré que la réduction volontaire du caractère négatif des affects s’accompagne d’une inversion de la relation entre l’activité de l’amygdala et celle du cortex ventro-médian.

3.  Mécanismes cellulaires

de l’apprentissage : habituation et sensibilisation Au cours de ces dernières années, des progrès considérables ont été réalisés dans la compréhension des mécanismes de l’apprentissage grâce à l’étude biologique de modèles élémentaires, tels que l’habituation, la sensibilisation et le conditionnement classique sur des systèmes nerveux de vertébrés et d’invertébrés. L’habituation est une diminution de la force d’une réponse survenant comme conséquence de la répétition du stimulus qui la provoque. La forme la plus banale d’habituation est celle qui suit la « réaction d’orientation » ou la réaction de sursaut provoquée par un stimulus nouveau. Lorsque le stimulus se répète, il perd son caractère de nouveauté et cesse progressivement d’entraîner la réaction motrice. L’équipe d’E. Kandel17 a étudié en détail, au cours des années 1970-1980, les mécanismes de l’habituation chez un organisme rudimentaire, celui d’un invertébré marin, l’aplysie, dont le système nerveux ne contient que 105 cellules. Ces auteurs ont tout d’abord identifié les structures impliquées dans un réflexe dit de « retrait branchial », au cours duquel on observe un retrait des branchies lorsqu’une stimulation quelconque s’exerce sur certaines parties de l’animal (appelées « manteau » et « siphon »). Lorsque la stimulation est répétée, la réponse s’atténue, traduisant le phénomène d’habituation (figure 9). Les éléments impliqués 17 Kandel, E. (1979). Les petits systèmes de neurones. Pour la science, numéro spécial, novembre, 37-50.

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dans ce réflexe monosynaptique sont un groupe de neurones moteurs responsables du comportement de retrait et un groupe de neurones sensoriels qui font synapse sur les neurones moteurs. La stimulation de novo entraîne la production d’un potentiel postsynaptique de grande amplitude au niveau de la terminaison du neurone sensoriel, ce qui déclenche une activation puissante du neurone moteur. La répétition de la stimulation entraîne une diminution progressive de l’amplitude du potentiel et une diminution du nombre de potentiels d’action. Finalement, les potentiels suscités au niveau des neurones sensoriels deviennent minuscules et ne provoquent plus de potentiel d’action au niveau des neurones moteurs. Cette absence de réponse, fait important, va persister pendant plusieurs heures, ce qui traduit une « mise en mémoire » du phénomène. Les chercheurs de cette équipe ont pu montrer que le phénomène était lié à une inactivation progressive des canaux calciques

Figure 9. Le processus d’habituation. Un neurone sensoriel (A) de l’aplysie, s’articulant avec un neurone moteur (B), est stimulé répétitivement toutes les dix secondes (15 stimulations successives). La réponse du neurone B diminue progressivement d’amplitude jusqu’à disparaître presque complètement. L’habituation représente une forme primitive et élémentaire d’apprentissage (d’après Kandel, 1979).


Chapitre 3 - Comment apprend notre cerveau dans la terminaison présynaptique, inactivation responsable d’une inhibition de la transmission synaptique. C’est donc dans la persistance, pendant quelques minutes à plusieurs heures, de la dépression du courant calcique dans la terminaison présynaptique que réside la mémoire du phénomène d’habituation à court terme. Si l’on poursuit l’expérience plus longtemps, on peut obtenir une inactivation encore plus durable de la transmission synaptique, véritable habituation à long terme. Dans ce cas, l’habituation est due à la rétraction d’un certain nombre de synapses entre les neurones sensoriels et moteurs. La sensibilisation est une forme d’apprentissage un peu plus complexe, qui consiste à augmenter durablement la réponse par la présentation d’un stimulus nocif. Par exemple, lorsqu’on applique un stimulus nocif sur la tête de l’aplysie, on augmente considérablement le réflexe de retrait de la branchie. Le mécanisme cellulaire responsable de la sensibilisation s’avère répondre au phénomène de facilitation présynaptique, en rapport avec l’activité d’interneurones Siphon

Neurone sensitif témoin

Témoin

Motoneurone

Habituation à long terme

Branchie (rétraction)

Sensibilisation

Figure 10. Le système nerveux de l’aplysie contient un mécanisme monosynaptique responsable du réflexe de retrait branchial. La stimulation du siphon de la peau provoque, par l’intermédiaire du neurone sensoriel, une excitation du neurone moteur qui provoque elle-même une contraction des branchies. La stimulation de cette connexion sensori-motrice de manière répétée sur une longue période provoque une diminution du nombre de synapses, alors que le processus inverse, de sensibilisation, se traduit morphologiquement par une augmentation du nombre de prolongements synaptiques (d’après Kandel, 1979).

facilitateurs se terminant sur le neurone sensoriel, à proximité de la synapse (figure 10). La sérotonine serait le médiateur le plus souvent impliqué dans ce phénomène de facilitation. L’effet facilitateur de l’interneurone se ferait en modifiant le courant transmembranaire de potassium, provoquant une exagération de la durée du potentiel d’action et une augmentation de la libération du médiateur. Plus récemment, il a pu être démontré que tant l’habituation à long terme que la sensibilisation s’accompagnaient de modifications non seulement fonctionnelles mais également morphologiques des terminaisons synaptiques du neurone sensitif de l’aplysie. En particulier, les zones actives de la terminaison (celles contenant les vésicules synaptiques) sont nettement réduites dans l’habituation et augmentées dans la sensibilisation par rapport à des animaux témoins n’ayant subi aucun des deux phénomènes.

4.  La potentialisation à long terme

comme modèle de la mémoire

La découverte du rôle particulier de l’hippocampe à partir du modèle des lésions cérébrales humaines a été le moteur de nombreuses études expérimentales sur cette structure, ayant abouti à la description d’un phénomène électrophysiologique que certains considèrent comme un modèle privilégié d’étude des mécanismes de constitution et de restitution des traces mnésiques. Ce phénomène, appelé potentialisation à long terme (PLT) ou encore potentialisation hippocampique de longue durée (PHLD), est obtenu par stimulation conditionnante de l’hippocampe ou de sa voie afférente principale, appelée « voie perforante » (figure 11). Si l’on fait subir à cette voie un train d’impulsion à fréquence élevée, on observe, durant les minutes voire les heures suivantes, une augmentation de l’amplitude de la réponse de 50 à 150 % par rapport à la réponse normale. Un tel phénomène est connu pour d’autres régions du système nerveux (où l’on parle de tétanisation et de potentialisation post-tétanique) mais n’atteint un tel degré nulle part ailleurs que dans l’hippocampe. Un point important est le fait que la PLT est un phénomène « collectif », qui ne survient que lorsqu’un nombre suffisant (plusieurs centaines) d’afférences hippocampiques sont stimulées simultanément ; en dessous de ce seuil, le phénomène n’apparaît pas. Ce fait suggère que la PLT est la conséquence d’une modification synaptique liée à la stimulation simultanée de la cellule par plusieurs voies afférentes. La PLT fournit un modèle théorique de la mémoire selon lequel le processus d’acquisition se traduirait par l’apparition de connexions synaptiques préférentielles durables et la structuration de réseaux (« frayage ») par l’expérience ; ainsi se constituerait une trace latente, véritable souvenir, qui pourra être réactivée lors de la réapparition du stimulus. En outre,

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La constellation des dys CA1

Voie collatérale de Schaffer

Voie perforante latérale

Voie des fibres moussues Voie perforante médiale

Gyrus dentatus Figure 11. Coupe transversale de l’hippocampe. Derrière une forme curieusement enroulée sur elle-même, la formation hippocampique cache un fonctionnement encore mal connu, mais dont la caractéristique notable est de « fabriquer de la mémoire », grâce à un mécanisme qui commence à être élucidé : la potentialisation à long terme (PLT). Dans cet enroulement entre les deux structures principales que sont le gyrus dentatus et la corne d’Ammon (qui comporte trois parties, CA1, CA2 et CA3), trois voies sont individualisables : les fibres moussues, la voie collatérale et la double voie perforante. Le phénomène de PLT est observable dans diverses régions du cerveau, mais tout particulièrement sur les trois voies de l’hippocampe.

toutes les entrées sont capables de donner accès à la totalité du réseau, de sorte que le rappel de la totalité du souvenir peut être évoqué par n’importe lequel des stimuli initialement associés à la formation de la trace. La figure 12 illustre les caractéristiques de fonctionnement de la PLT.

Figure 12. Illustration du phénomène de PLT au niveau de la synapse CA3-CA1 de l’hippocampe. Une cellule hippocampique est représentée au centre dans trois situations : à gauche, une stimulation tétanique de faible amplitude ne parvient pas à provoquer de PLT ; au centre, une stimulation tétanique sur la forte entrée seulement donne une PLT sur la forte entrée et non sur la faible ; à droite, une stimulation tétanique à la fois sur la faible entrée et sur la forte entrée donne une PLT à la fois aux deux niveaux. Cette expérience illustre le phénomène d’additivité, selon lequel la PLT est produite de manière optimale par des stimulations simultanées sur diverses entrées d’un même neurone (par recrutement d’un plus grand nombre d’axones afférents).

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La production de PLT par stimulations multiples convergentes et simultanées d’un même neurone rappelle les caractéristique de la synapse de Hebb, dont le principe est précisément la formation de liaisons fortes entre des neurones dont l’activation se fait de manière répétée et simultanée. La trace en mémoire devient permanente précisément grâce à cette convergence ou additivité temporellement coordonnée des stimulations. La PLT ferait intervenir principalement un neuromédiateur, le glutamate, dont la libération synaptique serait exagérée après tétanisation et provoquerait le maintien d’un flux transmembranaire d’ions monovalents. On connaît du reste à présent le détail du fonctionnement de ces synapses glutamatergiques (figure 13). La PLT

Active production de glutamate Récepteur NMDA

Mg2+

Récepteur AMDA

Entrée Na+ (provoque dépolarisation)

Entrée Ca2+ (bloquée par Mg2+)

Active protéine kinases

Récepteur NMDA latent

Figure 13. Les soubassements cellulaires de la potentialisation à long terme. La caractéristique des synapses aptes à présenter une potentialisation à long terme est de posséder deux types de récepteurs postsynaptiques qui interviennent de manière graduée et collaborative. À l’état de base, le récepteur NMDA est bloqué par les ions Mg2+ qui empêchent sa fonction principale de passage des flux de calcium (Ca2+). Lorsque les vésicules de neuromédiateur, le glutamate, issues de la terminaison présynaptique, parviennent en quantité suffisante sur le récepteur AMDA, cela crée une entrée de sodium, donc une dépolarisation électrique qui provoque le déblocage du récepteur NMDA et donc l’entrée massive de calcium. Celle-ci provoque à son tour une activation des protéines kinases, des enzymes spécifiques qui vont entretenir de manière récurrente l’activité de la synapse en activant des récepteurs latents et en augmentant la fabrication de glutamate.


Chapitre 3 - Comment apprend notre cerveau dépend de façon critique d’un récepteur postsynaptique appelé NMDA (car il est sélectivement lié au N-méthylaspartate), et les drogues qui bloquent sélectivement le récepteur NMDA empêchent totalement la survenue de la PLT dans la région principale de l’hippocampe, celle des grandes cellules pyramidales, dite CA1, sans altérer cependant la PLT déjà établie. Au niveau de la région postsynaptique, il existe en fait aussi un autre type de récepteur, le récepteur AMDA, qui travaille de concert avec le récepteur NMDA. Lors de l’activité de base, la libération de glutamate par l’élément présynaptique active seulement les récepteurs AMDA, car les récepteurs NMDA sont bloqués par la présence de magnésium (Mg2+) qui inhibe le flux d’ions calcium (Ca2+). Lors d’une activité plus intense, comme une stimulation importante, l’activation des récepteurs AMPA est suffisante pour entraîner la dépolarisation de la membrane, ce qui, en retour, lève l’inhibition exercée par les ions Mg2+ et permet aux récepteurs NMDA de réagir aux afflux de glutamate. L’arrivée d’ions calcium aura comme effet principal d’activer divers types de substances capables d’augmenter de manière durable l’activité de la cellule, en particulier les protéines kinases qui activent entre autres des formes latentes des récepteurs NMDA.

En bref En résumé, il apparaîtra clairement au lecteur de ce chapitre que la mémoire et l’apprentissage sont des phénomènes complexes et hétérogènes des points de vue cognitif et neurobiologique. La fragmentation de la mémoire en mémoire à long et à court terme, se double d’une distinction entre mémoire épisodique et sémantique. Pour chacune de ces distinctions, les frontières semblent de moins en moins étanches et les chevauchements de plus en plus nombreux. Par exemple, on admet que l’enfant qui entend le mot « canari » va se représenter le contexte épisodique où il a rencontré ce mot, ici, en regardant un épisode de Titi et Grosminet, et qu’au fur et à mesure de nouvelles occurrences de ce mot dans son environnement, le souvenir épisodique va se transformer en une trace en mémoire sémantique. Le mot canari est alors associé à une image visuelle (un petit oiseau jaune qui chante dans une cage) plus qu’à un ou plusieurs événements, chaque occurrence apporte son lot de nouveaux indices contextuels, et chaque indice vient renforcer la trace

Un second important effet des protéines kinases activées implique une substance appelée CREB (c-AMP response element-binding protein), qui est un facteur de transcription, c’est-à-dire qu’elle est capable de se lier aux gènes des chromosomes pour changer leur expression. Ce faisant, elle modifie des enzymes et des protéines structurales qui sont transportées du noyau vers les dendrites où elles vont altérer la réponse du neurone à de futurs stimuli. Chez la souris, une délétion génétique du CREB altère la mémoire à long terme, sans toucher à la mémoire à court terme. En outre, les neurones peuvent fabriquer des protéines qui bloquent sélectivement le CREB, permettant peut-être d’effacer ou d’inhiber la formation de souvenirs inappropriés. Les souris dites knock-out, c’està-dire auxquelles on a supprimé par manipulation génétique la possibilité de fabriquer des récepteurs dans CA1, semblent normales pour la majorité des aspects, mais leur hippocampe est incapable de réaliser une PLT et les animaux ont des troubles nets de la mémoire. À l’inverse, il a été montré que des souris modifiées pour surexprimer les récepteurs NMDA de l’hippocampe ont une augmentation de la PLT et des performances en mémoire supérieure à la norme.

en mémoire à long terme en même temps qu’il complexifie le réseau sémantique associé à ce concept. En ce sens, la mémoire épisodique se transforme progressivement et se fond dans le contenu de la mémoire sémantique. Lorsque l’enseignant propose à ses élèves un cours d’histoire ou de géographie, il évoque des faits historiques ou topologiques qui sont typiquement de l’ordre des connaissances didactiques, et qui relèvent donc de la mémoire sémantique, mais c’est en multipliant les épisodes que se construit la connaissance didactique en question. A l’inverse, l’apprentissage par cœur fait peu appel à la compréhension et ne contribue probablement que très peu à l’établissement des connaissances didactiques. En revanche, il serait indispensable à l’établissement du vocabulaire lexical, la répétition mentale venant renforcer la trace en mémoire à long terme des mots. Du point de vue neurobiologique, le rôle central de la formation hippocampique, à la face interne du lobe temporal, est aujourd’hui incontesté mais reste incomplètement élucidé. En particulier, l’amnésie rétrograde partielle qui

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La constellation des dys

accompagne les lésions de cette structure reste sujette à débats. Cette structure, absolument unique tant par son organisation anatomique que par ses connexions avec le reste du cerveau, joue un rôle majeur et incontournable dans la mémorisation des événements et dans leur récupération en mémoire à long terme. Le stockage des informations reste, pour sa part, plus difficile à « localiser », sans doute parce qu’il fait intervenir des régions multiples, associatives, du cortex cérébral, celles-là mêmes qui peuvent être atteintes par des maladies dégénératives comme la maladie d’Alzheimer. Il est probable que l’apprentissage normal utilise fortement les fonctions du lobe frontal, en particulier les

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capacités de programmation, d’inhibition de l’interférence, la flexibilité mentale et la régulation des émotions, toutes incluses dans le concept de fonctions exécutives. Comme nous le verrons dans les chapitres suivants, la mémorisation des connaissances par l’enfant en difficulté d’apprentissage repose souvent sur sa capacité à compenser les problèmes de mémoire pure par l’utilisation de toutes ces fonctions dites exécutives et, à l’inverse, l’altération des fonctions exécutives est une situation fréquente qui compromet parfois sévèrement les capacités d’apprentissage alors que la mémoire proprement dite est relativement préservée.


Cet ouvrage, didactique par essence, fait le point sur l’état des données scientifiques dans ce domaine et insiste sur la nécessité d’une interdisciplinarité (incluant le maître d’école) qui prenne en compte les soubassements neurobiologiques de ces troubles : pour l’enfant en difficulté, il est nécessaire que tous les professionnels qui l’entourent partagent une même connaissance et puissent accéder à une compréhension profonde de cette incapacité à apprendre, dont le caractère biologique et constitutionnel n’est plus à prouver. Dans ce texte, l’auteur défend en outre l’idée que la recherche et la clinique peuvent faire bon ménage dans cette branche de la médecine et fournit au lecteur les informations les plus actuelles sur le sujet. L’ouvrage s’adresse aux professionnels en quête d’une connaissance complète et moderne du sujet, mais également aux non-spécialistes qui ont besoin d’en connaître les rudiments scientifiques afin de construire leur propre conception des troubles dys.

L’auteur Michel Habib est neurologue au CHU de Marseille, où il a exercé dans le domaine des troubles cognitifs de l’adulte et de l’enfant avant de se spécialiser progressivement dans les troubles d’apprentissage. Il enseigne la neuropsychologie dans plusieurs universités françaises et outre-Atlantique. Fondateur de la Revue de Neuropsychologie, co-responsable de la Revue Développements, et auteur de plusieurs ouvrages et articles, il a consacré ces dix dernières années à mettre en place un réseau de professionnels (Résodys) autour de la dyslexie et des autres troubles d’apprentissage.

GALDYS ISBN : 978-2-35327-262-4

Publics : • • • • • •

Neuropsychologues et psychologues Orthophonistes Enseignants et éducateurs spécialisés Psychomotriciens Ergothérapeutes Médecins généralistes et spécialistes

MICHEL HABIB

LA CONSTELLATION DES DYS

Les « troubles dys » sont à la fois un problème de société d’une brûlante actualité et une thématique scientifique en pleine effervescence : en une vingtaine d’années, le thème, au début essentiellement psycho-pédagogique, est devenu central en neurosciences et en neuropsychologie.

LA CONSTELLATION DES DYS Bases neurologiques de l'apprentissage et de ses troubles

MICHEL HABIB

LANGAGE AUTISME

DYSCALCULIE

TDAH COMORBIDITÉ

DYSLEXIE DÉFICIT DE L’ ATTENTION PRÉCOCITÉ

ÉCRITURE DYSPRAXIE DEVELOPPEMENT


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